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OUVRAGES DU PÈRE G.-G.

LAPEYRE
Saint Fulgence de Ruspe, un évêque catholique africain sous la domination van-
dale, avec une carte de l'Afrique vandale, in-8, 381 pages. Lethielleux, Paris,
1929. (Ouvrage couronné par l'Académie des Sciences morales et politiques.)
Texte et traduction de la Vie de Saint Fulgence de Ruspe, par Ferrand, diacre
de Carthage, 168 pages avec une carte de l'Afrique vandale. Lethielleux,
Paris, 1929. (Ouvrage couronné par l'Académie Française.)
L'Ancienne Eglise de Carthage, études et documents. Avec une lettre-préface de
S. Exc. Mgr. Lemaître, archevêque de Carthage. ire série :Saint Augustin et Car-
thage. Le XIVe centenaire desaint Fulgence. Viedesaint Fulgence parFerrand,
diacre de Carthage. 2° série : L'Église de Carthage au Concile d'Ephèse. La
politique religieuse des rois vandales. Ferrand, diacre de Carthage. Passion
des sept moines de Capsa. Evêques, basiliques, monastères, cimetières de Car-
thage. G. Beauchesne, éditeur, Paris 1933.
Carthage, collection des Visites d'Art. Memoranda, 64 pages. Henri Laurens,
éditeur, Paris, 1940 (2e édit.).
Petite Histoire de l'Eglise d'Afrique, éd. Publiroc, Marseille.
Communications à l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. Collabpration
à la Revue Tunisienne, à la Revue Africaine, etc.

OUVRAGES DE M. A. PELLEGRIN
La Littérature Nord-Africaine, Fonds. Ressources. Principes. Enquête. Un vol.
in-12, 222 pages, Tunis, 1920 (épuisé).
L'Islam dans leMonde. Dynamisme politique. Position de la France et del'Europe.
Un.vol. in-8, de la «Collection d'Études, de Documents et de Témoignages pour
servir à l'Histoire de notre Temps », 182 pages avec une carte. Payot, éditeur,
Paris 1937 (en réimpression).
UnAfricain, le Lieutenant-Colonel Paul Marty, sa vie et son œuvre, avec un por-
trait et un fac-similé en hors-texte, préface de Louis Massignon. Un vol. in-12,
48 pages, éd. La Kahéna, Tunis, 1939 (épuisé).
Histoire dela Tunisie, depuis les origines jusqu'à nos jours, 1vol .in-8, 260pages,
avec gravures et cartes, 40 édition, Tunis, 1948.
Les Noms de lieux d'Algérie et de Tunisie (Sources, oueds, montagnes, villes),
préface de G. Mercier, 1vol. in-8, 244 pages avec gravures, Tunis, 1949.
BIBLIOTHÈQUE HISTORIQUE

G. G. LAPEYRE A. PELLEGRIN
DES PÈRES BLANCS MEMBRE CORRESPONDANT
ANCIEN DIRECTEUR DU MUSÉE LAVIGERIE DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES
A CARTHAGE COLONIALES

CARTHAGE LATINE
ET CHRÉTIENNE
Avec 8 croquis et 10 photographies

PAYOT, PARIS
106, Boulevard Saint-Germain
1950
Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation réservée pour tous paya.
DES MÊMES AUTEURS, A LA MÊME LIBRAIRIE

G.-G. Lapeyre et A. Pellegrin, CARTHAGE PUNIQUE (814-146). In-8


avec 43 illustrations (épuisé). 1
Deux spécialistes : le Père Lapeyre, des Pères Blancs, directeur du musée
Lavigerie, et A Pellegrin, de l'Académie des Sciences Coloniales, ont associé
leurs efforts pour nous donner une esquisse de Carthage punique, depuis l'an
814 avant J.-C., date incertaine de sa fondation, jusqu'en l'an 146 avant notre
ère, dateindiscutée de sa destruction. Soit près desept siècles de gloire et derevers.
Qu'en reste-t-il dans nos souvenirs ? Un grand nom maritime, commercial et
même militaire avec Annibal ; mais pas delittérature, presque pas de monuments
ni de documents. Carthage en a eu pourtant, de même que ses parentes Tyr,
Sidon et Jérusalem. Pages pleines d'intérêt, du reste, de science aussi et qui ne
manquent pas de saveur littéraire, relevées encore par le choix des cartes et des
illustrations.
Année Théologique.
Une bonne vue d'ensemble de tout ce que l'on sait sur Carthage, science limitée
si l'on songe que toute la littérature carthaginoise a péri dans l'incendie de la
ville par les Romains et qu'il faut aller chercher nos renseignements chez les
écrivains grecs et romains, et les inscriptions puniques des stèles découvertes...
Cet ouvrage sera grandement utile aux professeurs d'histoire romaine et d'his-
toire ancienne, et à tous ceux qui s'intéressent à la grande ancêtre de Tunis :
Carthage punique.
Témoignages.
Nul n'était mieux préparé à écrire cette histoire de l'ancienne Carthage que
le R. P. Lapeyre, directeur du Musée Lavigerie et M. A. Pellegrin, déjà célèbre
par ses travaux sur la Tunisie et l'Islam. Les découvertes nombreuses concernant
les antiquités puniques, qui ont rempli, avec le Musée Lavigerie, les Musées du
Bardo, de Sousse et de Sfax, sans parler des Musées étrangers à la Tunisie, per-
mettent aujourd'hui d'ajouter à l'histoire de Carthage des pages entièrement
nouvelles sur sa religion, ses coutumes et, par suite, sa morale, sa vie sociale,
économique et même sa littérature et ses beaux-arts. La lecture de ce beau livre
en fait désirer ardemment la suite qui traitera de Carthage latine et chrétienne.
Cahiers du Livre.
AVANT-PROPOS
Leprésentouvragefait suite, enquelquesorte, àCarthagePunique
desmêmesauteurs, paru en1941. Maisla matièren'est pasla même.
Carthagepunique, c'était une Cité-Etat dontl'antiquité nous offre
tant d'illustres modèles : Tyr, Athènes, Rome, etc. Chacune d'elles
avait ses caractères propres, politiques, économiques, sociaux, mais
pouvait être ramenée au même type : un organisme autonome qui
trouve en lui-même les éléments vivifiants de son existence et de sa
force d'expansion.
La Carthage >quisuccède, après une carence d'un siècle et demi,
à la- ville qué détruisit Scipion, n'a Plus les caractères d'une Cité-
État. Aulieu denedépendre qued'elle-même pour légiférer et régler
le cours desa destinée, elle est sous la dépendance étroite et continue
de Rome, cité impériale qui lui donne l'administration de César,
la justice de César, la langue de César et dans une certaine mesure
la religion deCésar. Ellefait partie intégrante de l'Empire, comme
tant d'autres villes deprovince, que.Rome a conquises ou créées et
quelle maintient sous sa domination.
Mais si Rome couvre l'univers de son ombre, elle laisse une
certaine liberté d'allure auxvilles qui dépendentdesonpouvoir poli-
tique et administratif. C'est le propre du génie romain de ne pas
étouffer l'originalité des peuples qui ont été subjugués. Carthage
ressucitée par lui au titre de capitale de l'Afrique, se développe en
portant l'empreinte à la fois de Rome, d'où vient l'impulsion poli-
tiqueetcivilisatrice, etdel'Afriquelibyenneauxinfluences multiples
et diverses. Carthage est latine, mais aussiméditerranéenneetafri-
caine ; ses mœurs, sonpaganisme, son parler mêmesont influencés
par le vieux fonds phénicien, grec et libyen, qui transparaît en
chacune de' ses attitudes et ne permet pas de confondre Carthage
romaine, mêmelorsqu'elle futdevenue Chrétienne, avectelleautrecité
de l'Empire.
Certes, Carthage sous la domination romaine, n'est qu'un chef-
lieu deprovince qui reçoit et fait exécuter les ordres du pouvoir cen-
tral, et son histoire politique est presque toujours subordonnée aux
événements dont Rome est le théâtre, ; ce n'est que sous le règne des
rois vandalesquela causalité historiquey prend son point de départ
mais Carthage se distingue, durant son millénaire latin, par sa
vie intellectuelle et surtout religieuse. Dès la fin du IIe siècle le
christianisme lui confèreuneforte personnalité. Grâce à ses martyrs,
à ses propagandistes, à ses docteurs, l'Eglise d'Afrique, ayant Car-
thage pour Pivot, acquiert une place privilégiée dans la Chrétienté.
Son extraordinaire vitalité spirituelle a contribué, pour une-bonne
part, à conserver à Carthage la pérennité desa structure latine qui ne
fut guère entamée par l'occupation des Vandales ni par l'occupa-
tion des Byzantins, les uns et les autres étant defait ou de droit les
continuateurs des Romains en Afrique.
On ne s'étonnera donc pas que nous ayons fait une assez grande
Place à Carthage chrétienne, cette ville apparaît au cours de son
histoire commeun lieu oùle Christ a comptédenombreux et illustres
témoins.
Païenne ou chrétienne, Carthage latine a été la métropole de
l'Afrique, une cité de l'intelligence et de la foi, qu'il convient
d'étudier de près et de faire revivre dans une étude d'ensemble, qui
tienne compte des découvertes et des travaux les plus récents. C'est
à quoi l'on s'est efforcé très modestement, heureux si le lecteur juge
que nous n'avons pas été trop inférieurs à notre dessein.
CARTHAGE LATINE ET CHRÉTIENNE

PREMIÈRE PARTIE
EXPLORATION ET TOPOGRAPHIE

CHAPITRE PREMIER
L'EXPLORATION ARCHÉOLOGIQUE
Le champ de fouilles de Carthage romaineest dominé, comme
celui de Carthage punique, par l'activité de deux personnalités
auxquelles on doit les plus importantes et les plus nombreuses
découvertesarchéologiquesintéressantl'histoire delacité antique :
le Père DeJattre, de l'ordre des Pères Blancs, et P. Gauckler,
ancien directeur des Antiquités de Tunisie.
Avant eux des savants prospectèrent avec succès le sol cartha-
ginoissansparvenir, faute deconcoursadministratifset demoyens
financiers suffisants —c'était avant le traité de protectorat de
1881—àdesrésultats comparables. Leurs efforts méritent, cepen-
dant, d'être mentionnésparce que certains furent très honorables
et d'autres le point de départ qui permit de faire mieux.
C.-T. Falbe, consul de Danemark à Tunis, profita d'un séjour
de onze ans dans le pays des Beys, pour faire des recherches sur
la topographie,de Carthage antique d'après les ruines encorevisi-
bles sur le terrain au début du 19e siècle. Malgré les difficultés
que lui suscitèrent l'ignorance, le fanatisme et mêmela jalousie,
il put lever le plan de Carthage, qu'il publia avecdesnotices lris-
toriques et géographiques sous le titre Recherches sur VEmplace-
ment de Carthage (Paris 1833). Ceux qui, par la suite, ont eu le
loisir de vérifier au cours de leurs travauxpersonnelslesdonnées
de Falbe, ont reconnu la justesse de ses observations.
Certes, Falbe fut plus ingénieur qu'historien, mais son émule
Dureau de la Malle, membre de l'Institut se montra plus érudit
quetopographe. En s'aidant dutravail deson devancer, Dureau
de la Malle entreprit des recherches sur Carthage et les consigna
dans son livre Recherches sur la Topographie de Carthage (Paris,
1835), où il précisa et étendit les acquisitions obtenues avant lui.
Un autre membre de l'Institut, Beulé fit à ses frais deux cam-
pagnes de fouilles à Carthage en 1859 et les fit connaître en
publiant Fouilles à Carthage (Paris, 1861) et Lettres de Carthage
(Paris, 1873). En interprétant ses recherches avec des vues assez
éloignées de la réalité, Beulé, attribua une origine punique aux
vestiges qu'il avait dégagés alors qu'il s'agissait surtout de restes
romains. Néanmoins, dansl'ensemble, ses recherches et les conclu-
sions qu'il en tire font date dans l'exploration de Carthage. C'est
à lui notamment que l'on doit la découverte des absides deByrsa,
que clôturent aujourd'hui les murs du musée Lavigerie.
L'ingénieur Daux envoyé enmission dansla Régenceen 1865-67
par Napoléon III s'occupa peu de Carthage romaine heureu-
sement d'ailleurs, car il fit preuve d'insuffisance critique dans ses
travaux sur les sites archéologiques de la Régence.
Vers la même époque que Daux, l'Allemand vonMaltzan entre-
prit des recherches restreintes sur l'emplacement de Carthage et
formula des jugements de valeur.
Sur le désir exprimé par l'Académie des Inscriptions, M. de
Sainte-Marie premier drogman du consulat général de France à
Tunis, explora en 1874-75 le sol carthaginois et consigna les
résultats de ses fouilles dans un ouvrage assez confus Mission
à Carthage (Paris, 1884). M* de Sainte-Marie ne tira pas de ses
découvertes tout le parti scientifique qu'on pouvait en attendre.
Dans sa Géographie comparée de la province romaine d'Afrique ,
(Paris, 1884-1888), ouvrage degrande valeur, Ch. Tissot qui vécut
longtemps à Tunis, consacre un chapitre à Carthage, mais c'est
surtout la cité punique qu'il a en vue dans ses considérations
sur la topographie de la ville.
Comme on voit, les résultats fragmentaires auxquels on était
parvenu vers 1881 ne pouvaient offrir qu'une basefragile pourla
reconstitution de Carthage romaine. On ignorait à peu près tout
notamment des éléments constitutifs de la cité chrétienne qui
fut la métropole de l'ancienne Église d'Afrique. La Carthage
chrétienne et la Carthage païenne ne pouvaient apparaître sur le
sol effacé qui leur servait de linceul que par une exploration
méthodique, patiente et continue. Il appartenait au Père Delattre,
à Paul Gauckler et à ses successeurs à la Direction des Antiquités
de Tunisie de réaliser le vœu des archéologues et des historiens,
en faisant surgir peu à peu les vestiges de l'antique cité.
Dasa lettre célèbre à l'Académie des Inscriptions sur «l'utilité
d'une mission archéologique permanente à Carthage »(1881) le
- Cardinal Lavigerie disait du Père Delattre qu'il chargeait des
travaux d'archéologie : «Il a vraiment le feu sacré, comme ses
nombreuses communications ont pu le prouver à l'Académie ».
Arrivé à Carthage dans les premiers jours de novembre 1875,
il fut chargé tout particulièrement de donner ses soins aux indi-
gènes malades qui venaient à Saint-Louis ou qu'il allait visiter
dans leurs pauvres demeures. Pour lui prouver leur reconnais-
sance ceux-ci lui apportaient des inscriptions ou des objets qu'ils
avaient recueillis dans leurs champs. Ainsi naquit le Musée qui
porte aujourd'hui le nom de Musée Lavigerie. D'autre part le
Père Delattre netardait pas à fouiller «patiemment le sol », avec
une <(méthode excellente et un zèle infatigable »,selonlespropres
expressions d'un membre de l'Institut, M. Héron de Villefosse.
C'est en 1878 que le Père Delattre eut la joie de découvrir le
premiercimetièrechrétiendeCarthage,celuideDamous-el-Karita,
dont les fouilles devaient amener la découverte d'un ensemble de
> monuments de la plus haute importance pour la connaissance de
l'histoire du christianisme en Afrique.
Par suite des circonstances, les premières fouilles faites en 1880
dans le cimetière chrétien de Damous-el-Karita ne purent être
reprises qu'à la fin de 1883 et continuées jusqu'au mois d'octobre
1884. Elles eurent les plus heureux résultats. Le Père Delattre
recueillit un grand nombre d'inscriptions chrétiennes, presque
deux mille dont quelques-unes très importantes, en particulier
l'inscription funéraire dulecteurDeusdeditquela formedes carac-
tères et le laconisme du texte font remonter aux premierstemps
du christianisme en Afrique, une fragment d'inscription punique
portant le mot sanctuaire, unetrentainede débris desarcophages,
un grand nombre de lampes et de monnaies et une cinquantaine
de débris de bas-reliefs, parmi lesquels un fragment représentant
le miracle dela multiplication des pains et surtout le magnifique
bas-relief demarbreblanc desBergerset desMages.
Enfin le Père Delattre mettait au jour, du moins dans ses par-
ties essentielles, le plan de la basilique avec ses deux absides
principales, son atrium, sa memoria en forme de trijolium, une
grande partie de son quadratum populi.
Reprises quelques années plus tard, les fouilles de Damous-el-
r Karita aboutirent à la découverte d'une seconde basilique
£
contiguë àla première et aumilieu delaquelle setrouvele baptis-
tère.En1886,leP.Delattrepouvaitévaluerlenombredefragments
d'inscriptions recueillies à 6.000, et en 1890plus du double de ce
chiffre. On y lisait entre autres les mots Basilicus, Ecclesiae,
Cancellos, EPiscopus, Presbyte?, Diaconus,Subdiaconus,Acolytus,
Lector.
Tout en fouillant la basilique de Damous-el-Karita, le P.
Delattre explorait en 1880le baptistère de la basilique de Bir-
Ftouha, queGaucklerdevaitdégageren1895.Danscebaptistère, il
trouvait un curieux vase en terre cuite décoré d'une croix latine
accostée de deux poissons et des lettres A. B. C. remplaçant
l'alpha et l'oméga, qui symbolisaient la croix pour les premiers
chrétiens d'Afrique, une inscription mentionnait des reliques :
Hic sunt reliquiae ou memoriae sanctorum, avecplusieursnomsde
saints. Lesfouilles reprises en1882-1892 firent découvrirunhypo-
causte dans des thermes chrétiens dépendant de la basilique et
dix sarcophages chrétiens disposés dans une chapelle trichore
de 12 m. de long complètement ruinée.
En 1895, le P. Delattre entreprenait de déblayer l'arène de
l'amphithéâtre.Ilreconnutbientôtquel'amphithéâtredeCarthage,
beaucoup plus grand qu'on ne l'avait cru jusqu'alors, atteignait
presque les dimensions du Colisée. En dégageànt tout le sol et
les pourtours de l'arène, il mit au jour les substructions des
souterrains, des citernes, peut-être des carceres, plusieurs dalles
du podium, des gradins, des sièges réservés aux magistrats et
aux principaux citoyens, des rampes de vomitoria ornées de dau-
phins, de chapiteaux, des colonnes, des fragments desculptures
parmi lesquels une statuette de Diane d'un beau travail, un .
grand camée portant une tête d'empereur deprofil, beaucoup de
lampes païennes, juives et surtout chrétiennes, enfin une cin-
quantaine de lamelles de plomb avec inscriptions imprécatoires
qu'on n'avait jusque-là trouvées que dans des tombeaux. Les
abords de l'amphithéâtre donnèrent quelques beaux morceaux
de sculpture, entre autres une Victoire colossale, un corps de
cheval en ronde bosse, une statue de femme, deux inscriptions
où se lit le nom de Symmaque, proconsul d'Afrique vers 373.
Entre les années 1880 et 1900, dans le voisinage de l'amphi-
théâtre, il explorait quatre cimetières, deuxpaïens et deux chré-
tiens, les deux cimetières païens situés près des remparts des
deux côtés de la route de Tunis à Carthage, à Bir-ez-Zitoun
«le puits del'olivier »et Bir-el-Djebbana «le puits du cimetière ».
Ce dernier, d'une importance historique considérable, était une
nécropole réservée aux Officiâtes, employés de l'administration
du procurateur chargés en particulier de la gestion des grands
domaines impériaux de l'Afrique. Dans la Revue Archéologique
(1888), le P. Delattre donne les dimensions et caractéristiques de
cette nécropole rectangulaire et qui ne mesurait pas plus de mille
mètres carrés ;complètemententouréepar unmurépais deom55
elle était remplie de sépultures en forme de cippes carrés ayant
en moyenne 0m50 à i m., de largeur et l m50dehauteur ; cer-
tainessontsuperposéesàdeplusanciennes. Destablettesdemarbre
scellées surlesfaces ducippeportentuneépitaphesur chaqueface.
«Tous ces cippes sont construits en maçonnerie et renferment
une ouplusieurs urnes contenant desossements calcinés et recou-
vertes d'une patère percée d'un trou au centre et mise en com-
munication avec l'extérieur au moyen d'un tuyau de terre cuite.
Celui-ci est placé soit verticalement suivant l'axe du cippe de
façon à aboutir au centre de la partie supérieure, soit oblique-
ment pour communiquer avecles parois externes. Ceconduit qui
fait de chaque cippe un véritable autel était destiné à recevoir
les libations des parents et amis des défunts. Le tube de terre
cuite servait aussi dans certains cas à faire glisser jusque dans
les urnes maçonnées à l'avance ou renfermant déjà les restes de
quelque autre défunt les os calcinés et les cendres, résidus de la
crémation d'un nouveau cadavre. On constate en effet, dans
certains cippes, la présenced'urnescomplètementvideset d'autres
fois le conduit est rempli d'ossements brûlés et de cendres. Un
mari a élevé de son vivant un cippe ou mieux un autel à son
épouse (se vivo aram fecit) et ses restes eux-mêmes sont venus
y reposer après sa mort».
Par l'étude des noms de leurs fonctions et par l'examen du
style épigraphique, Mommsen apu établir que le cimetière leplus
ancien était utilisé encore au début du ne siècle de notre ère et
que le second décèle plutôt l'époque d'Hadrien et d'Antonin
le Pieux, c'est-à-dire le milieu de ce même siècle. Lesecond, plus
à l'écart des murailles, vint en usage, selonlesapparences, quand
le premier fut tout occupé. Unfait justifie encore ces conclusions,
c'est que les marques des lampes retirées des tombeaux sont,
sans exception, différentes dans les deux areœ. L'abandon du
cimetière postérieur vers la fin dune siècle résulta-t-il de quelque
mochfication dans le service des bureaux ? Il est probable qu'un
certain nombre d'Officiales embrassèrent dès lors le christianisme
et se firent enterrer près des memoriae martyrum, mais ils ne cons-
tituaient assurément qu'une faible minorité.
En 1890 le P. Delattre explorait le versant est de la colline
de Byrsa et y déblayait une maison romaine où il trouvait dans
une salle une belle mosaïque décorative en assez mauvais état,
mais où le médaillon central était assez bien conservé. C'est le
groupe d'Eros et de Psyché avec les deux légendes Omnia Dei
sunt et Agimur non agimus. Cette mosaïque n'a pas été détruite
comme onle lit à tort dans l'Inventaire desMosaïques, II, (p. 198),
mais on peut l'admirer, du moins dans ses parties principales,
dans la salle punique du Musée Lavigerie. Ala même époque, en
vidant des citernes, il recueillit de beaux morceaux de sculpture
(tête d'un Jupiter Serapis, d'une Minerve), desbas-reliefsmutilés
(buste de vieillard, serpent d'Esculape). En 1892, il découvrait
entre autres monuments un cimetière musulman du moyen âge
une maison dite byzantine, une rue romaine, un mur de fortifi-
cation élevé, crut-il, par Théodose II en 424, une suite d'absides
appartenant à une série de salles contiguës, un mur de soutène-
ment, portant des dates consulaires qui ont permis d'en attri-
buer la construction au règne d'Auguste, peut-être l'emplace-
ment d'une machine de guerre et, sur le plateau près dela borne
géodésique, divers fragments d'architecture et desculptureparmi
lesquels deux grands bas-reliefs, une figure colossale portant une
corne d'abondance, une autre représentant une Victoire qui porte
un trophée d'armes romaines.
En décembre 1895, P. Gauckler, directeur du Service desAnti-
quités, puis le P. Delattre reprirent les fouilles dela plus ancienne
nécropole (Bir-ez Zitoun). Le déblaiement fut poursuivi jusqu'à
sept mètres de profondeur et quatre couches superposées de
tombeaux des premiers siècles avant et après l'ère chrétienne
furent mises au jour. Le Père Delattre décrit ainsi les résultats
particulièrement précieux de ces fouilles.
« Une des constatations les plus intéressantes fut celle de la
décoùverte à 7 mètres de profondeur de plusieurs stèles anépi-
graphes trouvées debout in situ dans le sol primitif sur les plus
anciennes tombes. Ces stèles de pierre calcaire (saouân), larges
en moyenne de o m 25 et atteignant jusqu'à o m 95 de hauteur,
portent sur leur face. dans un cartouche, l'image en relief d'une
femmelevant la main droite et tenant de la gauche, appuyé sur
la poitrine un vase d'offrande. Jusqu'à présent ces sortes destèles.
avaient passé pour votives et comme exclusivement puniques.
Cependant on en a trouvé une grande quantité dans les travaux
de la batterie de Borj-Djedid, qui occupe l'emplacement d'une
nécropolepunique et nousenavons exhuméplusieurs dela partie
la moins ancienne de la nécropole punique dela colline de Saint-
Louis. Ces stèles sont donc bien funéraires. La découverte de
stéles identiques au fond d'un très ancien cimetière romain
permet d'établir que la plupart datent des derniers temps de Ja
période punique et queleur usage seconserva au début del'occu-
pation romaine. »
Aune centaine demètres au nord du cimetière païen deBir-ez-
Zitoun, le Père Delattre explora un cimetière chrétien entouré
de murs, une area dans le genre de celle deCherchell, qu'il datait
du IVEet peut-être même du commencement du vie siècle. Mais
Aug. Audollent croit cette date trop récente.
Acôté dececimetièrefut enfin découverte une maisonromaine
somptueuse, la villa d'un Scorpianus avec atrium entouré d'une
colonnade, des thermes et piscines pour bains, le tout tapissé de
belles mosaïquesreprésentant desscènes champêtres et les quatre
saisons.
Pendant les trente dernières années de sa vie (il est mort à
80 ans en 1932), le Père Delattre se consacra presque exclusi-
vement à la recherche et à l'étude de monuments chrétiens.
En 1895, il découvrait sur les flancs de la colline de Byrsa, du
côté de la mer, une crypte de 5 m. de largeur sur 3m80 de pro-
fondeur, dont les parois sont recouvertes de graffiti avec mono-
grammes chrétiens, croix gravée probablement par de pieux
visiteurs et de l'époque qui suivit immédiatement la paix de
l'Église.
Au fond de la crypte se voyait face à l'entrée une fresque
malheureusement très dégradée, dont la partie principale se
trouve actuellement dans le vestibule duMuséeLavigerie.
Dans cette fresque de la fin du 111esiècle, début du ive, le per-
sonnagecentral, serait, d'aprèsHérondeVillefosse, leChristrepré-
senté dans différentes chapelles du même genre, notamment sur
un sarcophage de Lambèse.
En 1906, entre la station deSainte-Monique et celle d'Amilcar,
àMçidfa, sur unpetit monticuleplanté d'oliviers, le Père Delattre
découvrait un centre chrétien très important et surtout très
intéressant, d'abord une vaste area chrétienne comparable à
1area païenne de Lambèse. Sur la face N. E. une abside semi-
circulaire, au milieu une maçonnerie rectangulaire indique peut-
être l'emplacement d'un autel. En dessous, il y avait deux
grands sarcophages et, en avànt, en dehors du bloc de macon-
nerie, un troisième sarcophage très beau, décoré de six Eros
jouant entre eux. C'était une sépulture païenne inachevée, ayant
contenu le corps d'un enfant chrétien. Undesgrands sarcophages
renfermait un défunt dans un drap d'or. Commeon a pu le cons-
tater de nouveau lors des fouilles de 1930, toute Yarea était
remplie detombes ;elle renfermait enoutreuneciterned'unappa-
reil particulièrement soigné, recouverte d'une voûte d'arêtes
portée par quatre piliers.
La basilique voisine était presque complètement détruite, elle
avait primitivement sept nefs, mais deux neuves y avaient été
ajoutées plus tard. Au milieu de la grande nef était une petite
chapelle centrale de forme carrée, avec une absidiole faisant face
à une niche carrée. Cette"chapelle était recouverte d'une voûte
• d'arêtes supportée par huit piliers et pavée d'une mosaïque (un
paon et une torsade). Il y avait plusieurs excavations. C'est là,
croyait le Père Delattre, que reposaient les corps des saintes
Perpétue et Félicité et leurs compagnons, mais il est impossible
de dire dans quelles excavations. Aquelques pas dela confession,
on voit un puits, qui fut trouvé rempli d'ossements représentant
des centaines de cadavres et d'intéressantes inscriptions, dont
quelques-unes très anciennes.
Dans les ruines de la basilique, on recueillit une inscription
très mutilée sur maibre blanc qui confirmait les actesdumartyre
des saints de l'amphithéâtre et portait le nom des martyrs :
Saturus, Sati;rninus, Revocatus,Félicité, Perpétue,précédésd'une
croix latine, ce qui indique clairement qu'il ne s'agit pas de la
pierre tombale primitive, mais d'unepierretombale, postérieure
de plus d'un siècle, et qu'un bon juge, P. Monceaux, attribue à
l'époque byzantine. Furent recueillis aussi dansla mêmebasilique
une autre inscription mentionnant le martyr Secundulus, une
troisième donnantla date dumartyre dessaints CastusetÉnúlius,
martyrisés à Carthage la même année (203) mais trois mois plus
tard (le il des calendes de juin, 22 mai). Enfin le puits tout
près de la- confession fournit une inscription intéressante :
PerpetuaeFiliae dulcissilnae, etuneoùonlit la fin du mot [Perpé]
TUA, qui peut remonter au 3e siècle.
Si on remarque que dans l'area, à côté dela basilique, furent
trouvées deux inscriptions, portant l'une le nom de Vibia et une
autre le nom de Vibius, on peut croire que l'inscription Perpe-
tuae Filiae dulcissimae se rapporte bien à sainte Perpétue, fille
d'un païen obstiné, qui quoique habitant Tuburbo minuspouvait
avoir des tombeaux à Carthage.
Dans la basilique on recueillait encore, entre autres incriptions
païennes et chrétiennes, deux inscriptions du 111esiècle, quisem-
blent se rapporter à la peste de 250 ; dans l'une on lit eripuit
pestis et l'autre renferme l'éloge d'une défunte enlevée en même
temps que sa belle-mère cum sua socru simile modo erepta, un
grand nombre d'inscriptions avec divers symboles : ancre, palme
navire, paon,colombe,orante, poisson,BonPasteur,brebisbuvant
dans un vase, des cadrans solaires, des lampes chrétiennes, des
vases, croix, etc...
Le P. Delattre a cru devoir affirmer, d'après la situation de
cette basilique et de son area, d'après l'ensembledesinscriptions,
d'après les tombes, la confession et surtout, d'après l'inscription
des martyrs, que la Basilica Majorum, une des plus anciennes
sinon la plus ancienne de Carthage, était bien la basilique où,
d'après Victor de Vite, furent déposés les corps dessaintes mar-
tyres Perpétue et Félicité. St. Gsell admet cette opinion, mais
P. Monceauxpenseplutôt qu'il n'y avait àMçidfa que de simples
reliques de ces saintes. Remarquons cependant que l'inscription
porte : «Ici sont les martyrs »,tandis qu'à Bir-Ftouha il y a sim-
plement : ici sont les reliques ou memoriae et au monastère de
Saint-F,tienne : Beatissimi Martyres. Le mot Maulus, suivi pro-
bablement d'autres noms, laisse supposer que d'autres martyrs
probablement, en particulier Castus et Emilius, y furent déposés
plus tard.
En 1911, le Père Delattre, continuant ses explorations dans
la basilique de Damous-el-Karita, reconnut plusieurs chapelles
et un hypogée chrétien avec cinq arcosolia. En le déblayant,
on recueillit plusieurs débris de bas-reliefs, une main bénissant
selon la forme latine, provenant d'une statue de marbre, des
lampes chrétiennes ; le sujet d'une de ces lampes à deux becs
est une croix pattée, ornée de médailles à l'Agneau et accostée de
colombes.
Enfin en 1912, le Père Delattre termina les fouilles de Damous-
el-Karita par la découverte de plusieurs petites chapelles ou
petits appartements, peut-être des cellules de religieuses qui
bordaient une longue salle, troisième basilique sans abside, tri-
clinium ou salle de réunion d'un monastère et par une intéres-
sante rotonde souterraine.
En 1915, une nouvelle et belle basilique fut découverte par
le Père Delattre près du lieu dit «Les larmes de Sainte Monique »,
sur un plateau qui domine la mer d'une trentaine de mètres.
Elle est exceptionnellement orientée à l'ouest, sans raison semble-
t-il, et se compose d'un atrium, peut-être autrefois précédé d'un
porche, et renfermant au milieu une salle souterraine, servant
probablement de citerne ou de magasin à réserves pour approvi-
sionner les pauvres. I,' atrium renfermait de nombreuses sépul-
hues pressées les unes contre les autres. La basilique a sept nefs,
celle du milieu beaucoup plus large que les bas-côtés ; les colonnes
et chapiteaux bien disparates proviennent d'autres monuments.
Au milieu de la grande nef se dressait le Ciborium surmontant
l'autel sans doute en bois.
Le presbyterium terminé en hémicycle ne communiquait pas
avec les sacristies placées à droite et à gauche. Ces sacristies
s'ouvraient sur les nefs latérales ; fréquentes dans les églises
africaines, dans l'une (le diaconicum) se tenait le clergé avant et
après les offices. L'autre (prothesis) servait à recevoir les fidèles
qui apportaient-leurs offrandes ; quelquefois même elle était une
salle d'agapes ; derrière la basilique il y a des restes de construc-
tion qui n'ont pas été fouillés. L'église devait être recouverte
d'une charpente en bois. Une inscription «templum securitatis »
fait penser que la basilique fut construite sur des monuments
païens. Des constructions postérieures à la destruction de la
basilique, comme un fortin, se voient à l'intérieur près du puits ;
le sol de l'église était rempli de sépultures, dont beaucoup sont
antérieures à sa construction. Presque 10.000 inscriptions ou
fragments d'inscriptions furent recueillis, dont quelques-unstrès
intéressants, telle que l'inscription métrique d'une jeune fille de
dix ans où est affirmée la croyance à l'éternité heureuse et à
l'immortalité de l'âme (aeterna in luce manebit) (peut-être 31mars
429ou444) ; une épitaphe datée, entre autre, donnait les nomsdes
consuls (Théodose pour la 16e fois, et Faustus 438), la seule
trouvée à Carthage, plusieurs inscriptions donnant des noms,
; puniques lfnnibal, ou vandales Calinien, Cudilius, Taiza, Tzino,
[ des noms de métiers aurifex, nauclerius.
Ajoutons enfin que le plan de la basilique de S^Cyprien repro-
duit exactement le plan des basiliques syriennes, qu'on retrouve
dans de nombreuses églises d'Afrique, quadratum populi à nefs
nombreuses, précédé d'un atrium avec un presbyterium demi-
circulaire profond, accosté à droite et à gauche de deux sccrctaria
(sacristies), les diaconicum et la prothesis, le tout compris dans un
rectangle.
Une des dernières fouilles du P. Delattre fut la découverte
de la basilique de Bir-Knissia «puits de l'église-» ; à la vérité en
1913 on avait trouvé les traces d'une basilique près de Douar-
ech-Chott, mais les travaux* de déblayage ne furent entrepris
qu'en 1922 sous la direction du R. P. Châles.
L'église orientée au N.-N. O., à peu près comme celle de St.
Cyprien est presque complètement ruinée. Elle se composait d'un
atrium avec une colonnade, du quadratum populi formé de trois
nefs. Dans la grande nef qui a dix colonnes sur la longueur, deux
bases de colonnes révèlent la place du Ciborium. Elle paraît
d'origine byzantine.
Dans l'église, dans la galerie et autour du monument, de nom-
breuses sépultures dont quelques unes recouvertes de mosaïques
ont été trouvées ainsi que de nombreuses inscriptions.
On connaît une basilique chrétienne à Carthage qui n'a pas
été découverte par le Père Delattre : c'est celle de Dermech ou
Douimès, découverte et fouillée en 1899 par P. Gauckler, direc-
teur des antiquités. C'était une basilique d'origine byzantine,
à cinq nefs dont nous donnons le description au chapitre suivant.
Tout l'édifice était pavé de belles mosaïques à ornements géo-
métriques ou fleuraux, dont quelques parties subsistent encore
sur place.
Au pied de la colline de l'Odéon, P. Gauckler découvrit un
intéressant monastère qui est aussi d'époque byzantine.
Mais P. Gauckler se distingua surtout pendant les années qu'il
dirigea le service des antiquités de Tunisie par sesbelles et intéres-
santes fouilles de l'Odéon et du théâtre de Carthage.
Fondé vraisemblablement au début du 111e s. de notre ère et
décoré avec luxe, l'Odéon fut incendié par les Vandales au moment
de la prise de Carthage en 439, parce que, vu sa situation, il était
pour eux «une menace perpétuelle, un foyer permanent d'émeute
et de rebellion ». Les Byzantins utilisèrent ces magnifiques maté-
riaux de construction pour réparer les fortifications de la cita-
delle de Byrsa et bientôt «après avoir été un dépotoir pour les
ordures ménagères de ce quartier de Carthage la végétation
s'empara des terrains désertés )j.
Ne pouvant songer à le déblayer entièrement, P. Gauckler se
borna, comme il le dit lui-même, « à dégager les parties essen-
tielles du théâtre, l'enceinte, l'orchestre et ses dépendances, les
vestibules pavés de mosaïques, les portes et galeries d'accès laté-
rales, les couloirs et les égouts du sous-sol, et restitua ainsi dans
ses dispositions essentielles le plan de l'Odéon détruit ».
Le monument atteignait réellement des dimensions colossales,
comme le prouve l'extraordinaire développement des fondations.
Ces fondations se composent d'abord d'un énorme môle exté-
rieur qui enveloppe la masse principale..., puis d'une plate-forme
centrale en hémicycle de dimension égale à celle de la salle de
spectacle proprement dite et qui supporte tout le poids des gradins
de l'amphithéâtre... Les premiers étages de gradins étaient sup-
portés par des voûtes en maçonnerie ; les étages supérieurs
devaient être en bois, commeaussi le toit encharpente, dontl'exis-
tence est attestée par les débris de tuiles et les restes de poutres
carbonisées.
L'orchestre bordé d'une balustrade de pièrres, a gardé en
partie son dallage de marbre aux vives couleurs habilement oppo-
sées : blanc de Paros, vert antique, rose chair de Chemtou, rouge
pourpre, vert azuré de Carystos. Le mur de scène et ses absides
sont également revêtus de placage de marbre... Ce mur devait
avoir au moins la hauteur des statues de grandeur réelle qu'il
abritait dans ses niches alternativement rondes et rectangulaires.
La scène était donc très élevée au-dessus de l'orchestre ; pavée
de mosaïque calcaire à dessins blancs et noirs, elle reposait surles
voûtes en plein cintre de deux citernes accolées. Elle devait
occuper un espace relativement très étendu et être décorée avec
un grand luxe.
L'importance donnée aux fondations du mur du fond prouve
que celui-ci devait atteindre une grande hauteur, avoir des dimen-
sions massives et supporter sans doute plusieurs étages d'ordres -
encadrant des Statues. Un second mur parallèle au premier,
dont il n'est séparé que par une galerie pavée de mosaïques,
supportait la façade de l'édifice ; celle-ci tournée vers le nord,
tandis que celle du théâtre regardait au contraire le midi, com-
muniquait sans doute par les arcades monumentales d'un vaste
portique avec une grande cour rectangulaire... L'enceinte exté-
rieure qui limite cette cour paraît seprolonger en arrière et enve-
lopper tout l'édifice.
Adroite et à gauche de la façade principale s'ouvraient très
probablement deux grandes portes, lesquelles donnaient accès,
d'une part à la galerie de pourtour, et d'autre part aux deux
larges couloirs qui conduisaient àl'orchestre séparantles coulisses
del'amphithéâtre... Souscesdeuxcouloirs étaient ménagées deux
galeries voûtées
Perpendiculairement à ces deux conduits et formant avec eux
un T, s'ouvre le sous-sol d'une troisième galerie identique qui
semble prouver l'existence d'un couloir central dirigé dans l'axe
dumonument, del'orchestre àlagrandeporte médianeet divisant
l'amphithéâtre en deux parties égales. Cette troisième galerie
a ceci departiculier qu'elle nes'arrête pas commeles deux autres
àl'entréedel'orchestre, maisqu'elleletraversetoutentierjusqu'au
mur de scène et communique avec les citernes de la scène par
deux tuyaux d'écoulement- D'autre part, après avoir passé sous
la porte d'entrée dusud, elle se prolonge, bienau-delàdel'Odéon,
par untunnel voûté qui subsiste encore danssonintégrité jusqu'à
quelques mètres à peine de l'enceinte du théâtre voisin.
Aussi, conclut Gauckler, après le dérasement méthodique
opéré, le plan de l'Odéon a pu être reconstitué dans ses parties
essentielles ; de plus, ajoute-t-il, en comblant les citernes de la
scène de morceaux d'architecture et de sculpture, les démolis-
seurs nous permettent de nous faire une idée très nette de ce
qu'était l'ornementation intérieure de l'édifice.
Ony a retroqvé en effet presque tous les éléments de la déco-
ration, bases, chapiteaux et fûts de colonnes de marbre antique
et rose clair, de granit, frises gravées d'inscriptions, consoles sou-
tenues par l'aigle impérial aux ailes déployées, corniches, soffites,
pilastres et caissons surchargés d'ornements et dorés, placages
en opus sectile faits de porphyre vert et violet et nombre de
statues (Jupiter assis, de taille colossale, Junon diadémée et
voilée, Vénus pudique, Sérapis, Cérés, statue colossale entière-
ment dorée, une impératrice, l'empereur Hadrien en costume
héroïque, Diane, Vénus, Cybèle, la première Faustine, la seconde
Faustine, nombreux fragments de sculptures diverses se rappor-
tant au cycle bachique, un beau torse de Bacchus en marbre de
Paros, et enfin une curieuse série de ces statuettes de femme
assise, seule ou tenant un enfant sur ses genoux, où l'on avait
proposé de voir Isis et Horus, mais dont le caractère chrétien est
ici démontré d'une façon irréfutable par le chrisme qui apparaît
au revers de l'une de ces figures. Elles représentent la Vierge et
l'Enfant Jésus.
«En explorant les fondations de l'Odéon, l'on apartout recon-
contré à deux ou trois mètres au-dessous de la plateforme, c'est-
à-dire à cinq mètres environ du sol moderne des tombeaux puni-
ques : ce qui confirme pleinement les assertions de Tertullien. »
(Les fouilles de Tunisie, p. 22-30).
Après avoir déblayé l'Odéon, dans ses parties essentielles,
P.Gauckler résolut d'en faire autant pour le Théâtre. Il obtint de .
l'administration diocésaine, propriétaire du terrain, l'autorisation
de faire des fouilles. Les travaux commencèrent en mai 19Ô4 et
durèrent presque sans interruption jusqu'en mai 1906. Ala vérité,
c'est le Père Delattre qui avait signalé le premier l'intérêt de ces
ruines, mais il y avait vu les ruines de l'Odéon bâti, comme on
le sait par les Carthaginois au début du troisième siècle pour y
cèlébrer les jeux pythiques. Il entreprit même de le dégager et
en 1885-1886, y pratiqua quelques sondages jusqu'à trois mètres
de profondeur, mais sans résultat, et on jugea que l'affirmation
de Victor Vite devait être prise au pied de la lettre et que les
Vandales avait bien détruit de fond en comble le théâtre comme
d'ailleurs le temple de la Mémoire, la rue Cœlestis et l'Odéon.
«Le premier sondage, dit P. Gauckler, pratiqué au-dessus de
le scène ne donna rien d'abord. Sans me décourager je le poussai
pendant trois semaines jusqu'à 8 mètres de profondeur. A ce
niveau je rencontrai un chapiteau de marbre blanc, puis quelques
fragments de corniche, enfin quelques centimètres plus bas je
touchai le sol de l'orchestre. Après avoir enlevé en un an 15.000
mètres cubes de décombres, je fis reparaître au jour la plus grande
partie du théâtre de Carthage, toute la scène et ses dépendances,
l'orchestre, le premier maenianum tout entier avec ses gradins
de marbre massif et une partie des trois étages supérieurs et de
la galerie qui faisait au sommet le tour de l'hémicycle. Les tra-
vaux ont duré presque sans interruption pendant un an et demi,
ils étaient à peu près achevés au moment où M. Merlin m'a suc-
cédé à la tête du Service des Antiquités et Arts de Tunisie.
Aupoint de vue artistique et architectural les fouilles ont été
très fécondes. Elles nous ont rendu presque tous les éléments qui
formaient le décor de l'édifice qui nous donnent une haute idée
de son ampleur et de sa richesse : chapiteaux corinthiens ou
composites de marbre blanc au nombre d'une centaine ; colonnes
torses ou cannelées, en granit, enporphyre, en brêches d'Afrique
deteintes sombres, bizarrement veinées, des plus éclatantes cou-
leurs, en marbre jaune des carrières de Simithu en vert antique
de Sparte, en marbre onyx de Fifila et d'Aïn-Smara (en Algérie)
architraves et corniches délicatementfouillées ;consoles, placages
et piédestaux. Une vingtaine de statues dont plusieurs presque
intactes ont été retirées des décombres recouvrant la scène ou
l'orchestre, parmi lesquelles Apollon et Herculecolossaux, groupe
de Vénus et l'Amour, Cérés drapée, Hermès portant Dyonisios
enfant, tête de Lucius, torses d'Apollon et d'Hercule, statuettes
de Minerve et de Neptune, etc... etc...
Au point de vue épigraphique, la récolte a été moins bonne,
elle a déçu mes espérances. Les inscriptions relatives au monu-
ment lui-même, à son décor, aux transformations qu'il a forcé-
ment subies au cours detrois siècles d'existence étaient, sauf une
seule, toutes réduites en miettes. »
ContinuéesparM.A.Merlin,quisuccédaen1909àM.P.Gauckler,
les fouilles du théâtre romain furent interrompues, et même les
fouilles de la Carthage romaine furent, sinon complètement
abandonnées, du moins poursuivies seulement dans certains en-
droits. Onjugea, semble-t-il, qu'il n'y avait plus degrands monu-
ments à explorer avec succès et l'activité du Service des Anti-
quités se porta de préférence dans d'autres parties de la Tunisie
jusqu'alors quelque peu négligées. Nous signalerons tout parti-
culièrement, entreprises par M. A. Merlin, les belles et fécondes
explorations sous-marines de Mahdia (19°7-19°8-1911-1913), les
fouilles de Sufetula (1906 à 1912), d'Althiburos (1908-1912), de
ThuburboMajus (1912-1914et 1919-1920). Quant à Carthage, le
quartier duthéâtre et del'Odéonfutdéblayéàdifférentesépoques.
Dans les dernieres années de son séjour en Tunisie, Gauckler
avait découvert sur le plateau de l'Odéon «un fort joli ensemble
qui comprenait trois maisons romaines entre lesquelles passe
une rue dallée à très forte pente. Une d'elles est connue sous le
nomdeMaison à la Volière, appelée ainsi à cause de la mosaïque
qui y fut trouvée ». En 1923, des fouilles dirigées par le R. P.
Châles, « à la limite du plateau stir lequel pendant huit ans il
avait exploré la riche nécropole des Rabs », la découverte d'une
cachette de figurines de Deméter et de brûle-parfums votifs.
Le P. Delattre concluait ainsi son rapport à l'Académie des
Inscriptions et Belles-Lettres : « Toutes ces figurines et brûle-
parfums votifs se rapportent au culte de la déesse Déméter. Elles
semblent bien avoir quelque rapport avecla dédicace punique des
deux nouveaux sanctuaires à Astarté et à la Tanit du Liban ou
de la Montagne Blanche ».
Nous avons là également un ensemble qui ne paraît pas non
plus étranger aux monuments concernant le culte de Cérès,
monuments découverts il y a un quart de siècle, ainsi que la
dédicace punique sur la même colline. «La conclusion qui semble
s'imposer, c'est que cette trouvaille marqué l'emplacement ou
du moins le voisinage immédiat d'un temple consacré à Déméter
dont le culte avait succédé à celui de Tanit et qui, à l'époque
romaine, devait céder la place à la déesse Cérès. Ceres Africana.
En somme, c'était la même divinité païenne honorée sous diffé-
rents noms selon les époques et les circonstances. L'emblème de
Tanit qui se voit au revers d'un des bustes de Déméter semble
bien confirmer l'identité de la déesse punique et de la déesse
grecque. »
En 1925 M. L. Poinssot et Lantier explorèrent le quartier
des Thermes principalement le terrain appelé «Ard-et-Touibi »
qui limitent au nord les premières pentes de Bordj-Djedid. Ces
fouilles montrèrent que la nécropole d'Ard-et-Touibi fut comprise
à l'époque romaine dans celle des quatre centuries de la Colonia
Julia qui est située plus à l'est. Il apparut aussi qu'à cette époque
une partie de la ville était abandonnée. C'est un petit vieus établi
sur un coin des ruines d'Ard-et-Touibi qui a été mis au jour sur
le Kardo Est XVI, vicus qui avait sa vie propre et était entouré
de tombes très grossièrement faites dont quelques-unes ont été
tetrouvéés. Ce petit village est à rapprocher de ceux, également
accompagnés de petits cimetières, qu'on a retrouvés sur la colline
dite de Junon, à l'Odéon, et dans le voisinage immédiat de
l'Odéon.
Signalons aussi les travaux du Dr Carton à la Fontaine aux-
mille-amphores, ainsi nommée de deux mille amphores qui avaient
été trouvées quelques années auparavant par le Père Delattre,
étagées en ligne, appuyées contré les rochers ; les travaux de
M. Jules Renault aux Citernes de Dar-Samat près de la station
d'Âmilcar ; tout particulièrement les fouilles de M. Ch. Saumagne
dans son jardin de Byrsa, près du jardin du Musée Lavigerie,
qui firent découvrir successivement la magnifique inscription
qui nous apprend qu'un temple de Gens Augusta avait été élevé
à cet endroit par Perelius Hedulus, une dédicace à la Mère des
Dieux, et surtout à peu près au même endroit « un très bel
autel en marbre de l'époque augustéenne, dont les quatre faces
sont ornées de bas-reliefs :Enée portant Anchise et tirant Ascagne
par la main, Apollon, Rome et ,une scène de sacrifice. Élevé pour
glorifier la famille des Jules, pour honorer Apollon, une de ses
divinités tutélaires et la déesse Rome dont le culte s'associait
à l'empereur, cet autel, dit M. Merlin, se dressait sans doute
originairement dans le temple de la Gens Augusta dont les ves-
tiges ont été reconnus non loin de là ».
Ajoutons enfin que M. G. Picard, actuellement Directeur des
Antiquités, a déblayé au cours des années 1943-1944, au sud de
la basilique de Douimès, une nouvelle église d'axe Nord-Sud où
ne sont plus guère visibles que la mosaïque du bas-côté ouest, la
base des piliers et le suggestus de l'autel. Cet édifice paraît byzan-
tin. Il y avait donc là, semble-t-il, un vaste ensemble d'édifices
religieux. En 1946,il a entrepris unefouilleméthodique et complète
des Thermes d'Antonin et a confié à M. Feuille la direction des
travaux, qui ont fait .apparaître les restes encore imposants d'un
édifice considérable.
Cet exposé tout sommaire des fouilles pratiquées dans la pres-
qu'île carthaginoise nous permet de connaître dans ses grandes
lignes l'aspect de Carthage romaine, et d'aborder avec plus de
sécurité le chapitre suivant où seront précisées les données topo-
graphiques résultant des fouilles. D'ores et déjà, on se rend
compte que par leur nombre et leur intérêt les vestiges de Carthage
chrétiennel'emportent sur ceuxquicaractérisentCarthagepaïenne,
encore que le théâtre l'amphithéâtre, le cirque, les thermes furent
utilisés jusqu'aux derniers jours.
Il est d'ailleurs naturel que l'on ait trouvé peu de vestiges des
cultes païens, le Vandales et après eux les Byzantins ayant dû
faire disparaître les derniers édifices rappelant le souvenir des
anciens dieux. Il est naturel aussi de penser que les édifices
chrétiens furent les derniers à disparaître sous la pioche des
pilleurs du moyen âge parce que la communauté de Carthage dut
veiller jusqu'au bout sur ce qui fut sa raison d'être en Afrique.
Mais encore les éléments de décoration, colonnes et chapiteaux,
bas-relief et statues échappés par miracle à une dévastation qui
dura mille ans, permettent d'avoir un aperçu de l'art romain
d'Afrique d'inspiration païenne ou chrétienne ; de même les
mosaïques découvertes à Carthage sont aussi belles que celles
de Sousse, Oudna, Tabarka, El Djem, etc, et viennent confir-
mer que l'art des mosaïstes africains a produit, dans le genre,
des chefs-d'œuvre inégalés.
Ontrouvera en bibliographie les principales publications décri-
vant les fouilles ouportant sur les résultats ; parmi elles on retien-
dra surtout Carthage romaine l'œuvre magistrale de M. Aug.
Audollent. « Ce fut, dit M. G. Dupont-Ferrier faisant l'éloge
funèbre de son auteur le 16 avril 1943 à l'Académie des Inscrip-
tions, sa thèse principale de, doctorat qui lui valut, en 1901,
l'applaudissement unanime de la Sorbonne et des critiques les
plus avisés des Deux Mondes. Il y a là, d'Octave-Auguste à la
prise de Carthage par les Arabes, 850 années d'histoire : histoire
del'empire romain, de l'église d'Afrique, des Vandales, de la res-
tauration byzantine. Dtj. seul point de vue de Carthage, on y
embrasse tout ce que nous pouvons connaître sur la topographie
les institutions, la société et les civilisations successives de cecoin
de la méditerranée antique. »

CHAPITRE II

APERÇU TOPOGRAPHIQUE
Urbanisme et voirie. — On peut restituer d'une façon sommaire
le plan de Carthage romaine, mais il est difficile de décrire l'aspect
exact de la ville, de ses rues, de ses maisons, de ses monuments
publics ou religieux parce que très peu des éléments qui les
composaient sont encore existants et que les écrivains de l'anti-
quité nous ont mal renseignés à ce sujet.
Reconstituée par M. M. Ch. Saumagne et P. Davin, grâce aux
vestiges d'égouts et de murs au ras du sol, la cadastration urbaine
de la Colonia Iulia Carthago fait apparaître une ville bien dessinée
avec des rues symétriques se coupant à angles droits, et s'éteii-
dant de La Malga jusqu'à la mer, et de Bordj-Djedid vers La
Goulette (voir le plan page 56). Les deux axes du lotissement
initialleDecumanusmaximusetle Kardomaximusserencontraient .
au sommet de la colline de Byrsa, au chevet de la cathédrale
actuelle, formant le groma. Apartie de ce point d'intersection
et d'orientation générale, la ville était divisée en quatre secteurs
carrés.
Longues de plus de 1700 mètres, les rues pavées étaient peu
larges, 7m06, saufle Decumanusmax.et leKardomax. qui mesu-
raient 11 m 76, mais leur réseau serré encadrait des pâtés de
maisons peu étendus mesurant 35 m 28 sur 141 m 12, ce qui
permettait de réaliser un dégagement et une ventilation suffi-
sante, si, commeon est porté à le croire,lesconstructionsprivées,
engénéral, ne se développaient pas en hauteur. La ville, en effet,
ne fut pas entourée de remparts pendant les quatre premiers
siècles de l'ère chrétienne et put s'étendre librement ; en fait
ses rues se prolongeaient dans les faubourgs où se trouvaient la
plupart des églises et des cimetières.
Un réseau d'égouts, dont on estime la longueur à plus de cin-
quante kilomètres, desservait les insulae ; il en existe encore des
parties bienconservéesquinousmontrent qu'ils étaientconstruits
presque toujours dans l'axe des rues et s'évacuaient vers la mer.
Les habitations privées n'offraient pas en général de grandes
proportions. L'entrée unique était suivie d'un vestibule donnant
accès à Vaula ou cour intérieure (patio) entourée de pièces
exiguës sur les quatre côtés. Dans les maisons riches et les villas
suburbaines, l'aula ou l'atrium était pavé de belles mosaïques et
communiquait avec de grandes pièces richement ornées. Une de
ces maisons est connue sous le nom de Maison de la Volière,
appelée ainsi à cause de la mosaïque qui y fut trouvée. «C'est, .
dit P. Gauckler, la plus luxueuse et une des mieux conservées.
Elle.se développe autour d'un large péristyle ; cour carrée qu'en-
toure un portique découvert à colonnade de marbre rose. Un
viridarium octogonal occupait le milieu de la cour. L'espace
intermédiaire jouait le role d'impluvium recueillait les eaux du
toit pourlesverserdansuneciterne ;il était pavé d'une admirable
mosaïquereprésentant une sorte devolière oùcent oiseaux divers
prenaient leurs ébats dans un parterre jonché de roseaux fleuris
et de branches chargées de fruits. (Cette mosaïque se trouve au
Musée du Bardo). Aux quatre coins, la cour était ombragée
d'arbres émergeant de puisards cylindriques, profonds d'un mètre
qui traversaient la mosaïque, permettant auxracines ainsi rendues
inoffensives de se développer en éventail au-dessous du pave-
ment. Au sud-ouest du péristyle, un portique en terrasse, domi-
nant la rue iv qui en longeait le pied, s'ouvrait à la brise du
large, laissant apercevoir l'admirable panorama de la ville et du
golfe. Au nord-est, le rez-de-chaussée était réservé aux appar-
tements d'apparat ».
La villa de Scorftianus, nom du propriétaire, située au sud-
ouest delà Malga était aussi une construction luxueuse avec por-
tique, atrium à colonnade en marbre, grands appartements et
pavements à mosaïque imagée (transportés au musée Lavigerie)
et comprenait en plus des thermes et une piscine.
Onpeut supposer que les insulde des quartiers du forum et du
port, où se trouvait le centre des affaires, étaient composées d'im-
meubles de rapport avec boutiques au rez-de-chaussée et petits
appartements aux étages, auxquels on accédait sans doute comme
à Rome, par un escalier étroit en maçonnerie ou en bois.
Les constructeurs carthaginois employaient des matériaux
divers, mais d'une façon générale, Carthage fut bâtie en calcaire :
tuf, grès saouan, Kadel. L'usage de la brique était relativement
rare. Le corps des édifices était ordinairement formé d'un blo-
cage uni paf un mortier d'une extrême résistance. Dans les voûtes
et parfois même dans les murs, on mêlait aux pierres calcaires,
des pierres volcaniques rouges et noires apportées de Sardaigne
ou. de Sicile. On se servait aussi, pour allégerles voûtes, de petits
cylindres creux en terre cuite ; quelquefois même, comme au
théâtre, dans les parties les plus épaisses, on plaçait de grandes
amphores.
La décoration intérieure, inspirée de l'Italie, consistait tantôt
en un simple enduit de plâtre, le plus souvent nu, mais quel-
quefois avec des moulures et des ornements divers, tantôt
eii un enduit recouvert de fresques ou de minces plaques de
marbre.
Les marbres appartiennent à presque toutes les variétés
connues : marbre blanè statuaire semblable au marbre de Paros
et au marbre pentélique, cipolin, marbre numidique, porphyre
vert ou rose onyx. Les colonnes et les chapiteaux étaient ordi-
nairement en marbre. Le mtisée Lavigerie possède des colonnes
en granit gris et rose et des chapiteaux en Kadel. L'ordre corin-
thien domine de beaucoup ; quelques chapiteaux sont compo-
sites, les ordres ionique et dorique sont à peine représentés.
L'enceinte romaine de425. - La paix dela Proconsulaire n'ayant
jamais été sérieusement troublée au cours des premiers siècles,
les Romains n'avaient pas jugé utile de fortifier Carthage ; mais
au début du ve siècle, les Barbares de l'Europe centrale et sep-
tentrionale parvenaient jusqu'aux bords de la Méditerranée, attei-
gnant les colonnes d'Hercule, tandis que Maures et Berbères
s'agitaient sur les confins et faisaient reculer le limes. L'empereur
Théodose II fit donc élever une muraille fortifiée autour de Car-
thage, du côté de la terre ferme, pour la protéger contre une
attaque éventuelle des Barbares.
Ces remparts, les écrivains dû temps ne nous renseignent pas
sur leur structure et leur étendue. -Nous ne connaissons, en réalité,
que de fragiles indices que l'on regarde, à tort ou à raison, comme
des vestiges de murs appartenant à l'enceinte de Théodose.
Cependant Falbe, Barth, Beulé et même le Père Delattre parais-
sent en avoir identifié des testes certains encore visibles à leur
époque.
Aug. Audollent, faisant état de ces constatations, pense que
l'enceinte fortifiée partait de la passe ou entrée des ports, près
du Kram, et se dirigeait en ligne à peu près droite jusqu'au Cirque
et à l'amphithéâtre qu'elle englobait ; puis elle contournait, par
le Nord, le village de la Malga dont elle protégeait les citernes
et de là s'infléchissait vers là mer où elle aboutissait au Nord de
Bordj-Djedid. Sans doute ses portes principales, sous leur « arc
de triomphe », donnaient-elles accès aux routes de grand trafic
qui partaient de Carthage : la route d'Utique et d'Hippo Diar-
rhytus, celle de Bulla Régia et de Cirta, celle de Theveste par Sicca
celle de Cyrène par Hadrumète et Œa, D'après Corippus, Carthage
comptait neuf portes.
Non entretenus par les Vandales, les remparts s'écroulèrent
par endroits, mais Bélisaire après son entrée à Carthage, les fit
réparer et remettre en bon état.
L'alimentation en eau. —II est certain que Carthage, pendant
tout le premier siècle, s'alimenta au moyen de l'eau des citernes
dont chaque maison était pourvue et de l'eau des puits creusés
dans le sous-sol de la presqu'île qui fournissent encore actuelle-
| ment line eau potable. Mais, avec l'accroissement continu de la
j population, ces ressources hydrauliques, aléatoires en période de
sécheresse ne devaient pas suffire aux besoins. Peut-être faisait-on
venir de l'eau de l'extérieur par bateaux, ou à dos d'âne et de
mulet comme cela se pratiquait à Tunis les années sèches avant
que l'on eût fait les adductions d'eau à grand débit.
En tout cas, il est sûr qu'au plus tard sous Hadrien (117-138),
les Romains contruisirent un magnifique aqueduc long de 138
kilomètres et dont les arches atteignent en certains endroits
40 mètres de hauteur, pour aller chercher l'eau dans le djebel
Zaghouan et le djebel Djouggar et l'amener à Carthage. Du coup
le problème de l'alimentation en eau de la capitale, qui duthanter
les nuits des édiles responsables pendant plusieurs lustres, fut
résolu à l'entière satisfaction de la population. En effet, l'eau
coula a flot désormais : M. Caillat a calculé que cet aqueduc
pouvait amener 32.000 m3 d'eau par jour, soit 370 1. seconde.
« Le canal où l'eau coule (specus) a 82 centimètres de largeur
environ et i m 82 dé hauteur, il est enduit à l'intérieur d'un
ciment d'excellente qualité, l'eau ne s'y élevait pas au-dessus de
i mètre. Des regards qui s'ouvrent de 40 à 40 mètres facilitent
le curage et les réparations. » Les ruines de ce beau monument
que les géographes arabes rangeaient parmi les merveilles
du monde, sont encore visibles sur une partie du son par-
cours.
Les eaux amenées par l'aqueduc se déversaient à Carthage en
partie dans les citernes de Bab-Djedid, en partie dans les citernes
de la Malga, et sans doute en partie dans le château d'eau de
Douar-ech-Chott.. •
Les citernes de Bab-Djedid pouvaient contenir de 25.000 à
30.000 mètres cubes d'eau. «Entièrement construites en blocage
recouvert d'un ciment d'une excessive dureté, écrit Ch. Tissot,
les citernes de Bordj-Djedid forment un rectangle allongé, divisé
en dix-huit réservoirs voûtés, parallèles, larges de 7 m 50, hémi-
sphériques aux deux extrémités, que séparent depuissants murs
- de refend, dans chacun desquels est pratiquée une ouverture cen-
trale. Quinze de ces réservoirs mesurent 30 mètres de longueur.
Les autres... n'ont que 20 mètres de long, et leurs extrémités
sont rectangulaires. (Entre ces extrémités et les galeries latérales
se trouvent six chambres circulaires et voûtées en coupole qu'on
a reconnu être des filtres.) La profondeur de ces dix-huit bassins
est uniformément de 9 mètres... Deux galeries latérales longues
de 145 mètres, larges de 2 m 50) courent le long des grandes
0
faces du parallélogramme, et souvent sur chacun des bassins... ».
Si les citernes de Bab-Djedid sont en très bon état et servent
encore de réservoirs après que l'on y eut fait les réparations
nécessaires), les citernes de la Malga sont fort délabrées et ce qui
en reste (une douzaine) sert d'écuries. D'après Edrizi, « le
nombre de ces citernes s'élevait à vingt-quatre accolées les unes
aux autres sur une seule ligne, mesurant chacune 130 pas de long
et 26 pas de large ; elles étaient toutes surmontées de coupoles,
et dans les murs qui les séparent les unes et les autres sont des
ouvertures pratiquées pour le passage des eaux. »
D'après Ch.. Saumagne, le village de Douar-Ech-Chott, comme
le Malga recouvre les vestiges importants d'un Château d'Eau,
la Turris Aquaria qui fut conquise tour à tour par Saint Louis
et Charles-Quint, et dontles réservoirs et les canalisations servaient
à l'alimentation hydraulique des faubourgs méridionaux de Car-
thage.
Évidemment, des canalisations conduisaient l'eau des réser-
voirs aux fontaines publiques et à certaines maisons privées.
Les ports. — Au dire de Cicéron, Carthage possédait plusieurs
ports de mer, mais la côte du Cap Carthage à La Goulette ne se
prêtait guère, dans l'antiquité, au creusement de nombreux bas-
sins. Il sembleplusrationneld'admettre, aveclaplupart des archéo-
logues et techniciens, que le port principal de Carthage àl'époque
romaine, occupait l'emplacement du port marchand et du port
militaire de l'époque punique, et qu'il pouvait exister, comme
c'est le cas de presque tous les grands ports marchands, un ou
deux ports de pêche ou de cabotage, peut-être La Marsa, en arabe
«port, rade » et un port à affectation spéciale, tel le port mili-
taire.
Une étude sur place entreprise par le Dr Courtet, médecin
militaire, et de nombreux et méthodiques sondages exécutés
par M. M. de Roquefeuil et Hantz officiers de marine, ont établi
que les vestiges actuellement visibles (lagunes et îlot circulaire)
représentent le port militaire. Dans son prolongement était situé
le port marchand qui empiétait sur la mer.
Le trafic maritime de Carthage, centre économique de la pro-
vince en relation avec tous les points de la Méditerranée, étant
considérable, il y a lieu de croire que le développement des quais
devait être en rapport avec le mouvement des navires.
PAYOT. 106. BOULEVARD SAINT-GERMAIN. PARIS ^
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— Survivances païennes dans la civilisation mahométane. In-8, 74 fig. 250 fr.
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