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CARTHAGE PUNIQUE

OUVRAGES DU PÈRE G.-G. LAPEYRE

Saint Fulgence de Ruspe, un évêque catholique africain sous la domination


vandale, avec une carte de l'Afrique vandale, in-8, 381 pages. Lethielleux,
Paris, 1929. (Ouvrage couronné par l'Académie des Sciences morales et
politiques.)
Texte et traduction de la Vie de Saint Fulgence de Ruspe, par Ferrand,
diacre de Carthage, 168 pages avec une carte de l'Afrique vandale. Lethiel-
leux, Paris, 1929. (Ouvrage couronné par l'Académie Française.)
L'Ancienne Eglise de Carthage, études et documents. Avec une lettre-pré-
face de S. Exc. Lemaître, archevêque de Carthage. 1 série : Saint Augus-
tin et Carthage. Le X I V centenaire de saint Fulgence. Vie de saint Ful-
gence par Ferrand, diacre de Carthage. 2 série : L'Eglise de Carthage au
Concile d'Ephèse. La politique religieuse des rois vandales. Ferrand, diacre
de Carthage. Passion des sept moines de Capsa. Evêques, basiliques,
monastères, cimetières de Carthage. G. Beauchêsne, éditeur, Paris, 1933.
Carthage, collection les Visites d'Art. Memoranda, 64 pages. Henri Laurens,
éditeur, Paris, 1940 ( 2 édit.).
Communications à l'Académie des Inscriptions et Belles Lettres. Collabora-
tion à la Revue Tunisienne, à la Revue Africaine, etc.

OUVRAGES DE M. A. P E L L E G R I N

L'Islam dans le Monde. Dynamisme politique. Position de la France et de


l'Europe. Un vol in-8 de la « Collection d'Etudes de Documents et de
Témoignages pour servir à l'Histoire de notre Temps », 182 pages avec
une carte. Payot, éditeur, Paris, 1937.
Histoire de la Tunisie, depuis les origines, jusqu'à nos jours avec trois
cartes et vingt gravures hors texte. Un vol. in-8 carré, 264 pages. 2e édi-
tion revue et augmentée. Edit. SAPI, Tunis, 1941.
Un Africain, le lieutenant-colonel Paul Marty, sa vie et son œuvre, avec un
portrait et un fac-similé en hors-texte, préface de Louis Massignon. Un
vol. in-12, 48 pages, édit. La Kahéna, Tunis, 1939.

DES MÊMES AUTEURS

EN PRÉPARATION :

Carthage latine el chrétienne. Un vol.


BIBLIOTHÈQUE HISTORIQUE

G.-G. LAPEYRE A. PELLEGRIN


DES PÈRES BLANCS D É L É G U É AU GRAND CONSEIL
DOCTEUR ÈS-LETTRES DE LA T U N I S I E
D I R E C T E U R DU M U S É E L A V I G E R I E MEMBRE CORRESPONDANT
M E M B R E ASSOCIÉ D E L'ACADÉMIE D E L'ACADÉMIE
DES SCIENCES COLONIALES DES SCIENCES COLONIALES

CARTHAGE
PUNIQUE
(814-146 AVANT J.-C.)

Avec 2 caries, 7 figures et 34 gravures hors texte

PAYOT, PARIS
106, Boulevard St-Germain

1942
Tous droits réservés
Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation
réservés pour tous pays.
Copyright 1942 by Payot, Paris.
CARTHAGE PUNIQUE

INTRODUCTION

L'ÉNIGME

De 814, date incertaine de sa fondation, jusqu'en 146


a v a n t Jésus-Christ, date certaine de sa destruction par
l'armée de Cornelius Scipion Aemilianus, Carthage, Cité-
É t a t surgit dans l'histoire avec des aspects dramatiques et
quelque peu énigmatiques.
Elle se développe et croît, pour ainsi dire dans l'ombre e t
le silence, puis s'élève avec les Magonides, les Hannons et
les Barcides, jusqu'au sommet de la puissance politique et
économique. Un siècle durant, elle dispute l'empire de la Mé-
diterranée aux Romains; mais ceux-ci finissent par la ruiner
de fond en comble. Anéantie Carthage survit quand même
dans la mémoire des peuples, et son histoire devient un des
chapitres les plus passionnants de l'antiquité.
De son passé t u m u l t u e u x quelque chose se dégage : c'est
que Carthage fut grande surtout par sa volonté de puis-
sance économique, et moins par sa civilisation et sa culture.
Une cité de marchands, soit; un É t a t de pirates, c'est bien-
t ô t dit; mais ces hommes cupides étaient intelligents et
énergiques; il leur a manqué d'être artistes. Peut-être le
furent-ils à leur manière et suivant une norme de culture
qui leur était propre. Nous manquons de documents pour
nous prononcer en toute connaissance de cause. Nous ne
pouvons pas dire beaucoup de bien des Carthaginois, faute
de preuves; mais on en a dit beaucoup de mal sur des pré-
somptions fragiles. Leur littérature a disparu sans laisser de
traces; leur art, fait d'apports égyptiens et grecs, s'il n'est
pas original, n'est pas sans témoigner d'une certaine
noblesse d'âme et d'esprit. L'âme et l'esprit de Carthage,
c'est ce qui nous échappe le plus, à nous modernes qui
vivons sur un autre plan, tandis que nous cherchons avi-
dement à reconstituer un monde évanoui.
Malgré un siècle de critique des textes et de recherches
archéologiques, la destinée de Carthage est encore par cer-
tains côtés, pleine d'obscurités. Il y a des trous dans la
connaissance des faits historiques et surtout de la civilisa-
tion punique.
Quand on se penche sur l'histoire de la Cité, reine des
mers, on est saisi d'une sorte d'inquiétude décevante : de
partout surgissent des points d'interrogations. On n'a qu'à
lire l'historien qui a passé son existence à scruter Carthage
et les Carthaginois, pour se rendre compte des difficultés et
des écueils, parfois insurmontables, au milieu desquels, Sté-
phane Gsell se meut pour appréhender la vérité.
Certes, on sait, par le détail quelquefois, les phases des
guerres successives qui mirent aux prises, pendant plus d'un
siècle, Carthage et sa rivale Rome, aussi avide et impi-
toyable qu'elle; mais l'histoire des guerres puniques et les
renseignements que nous avons, par la même occasion, sur
la vie de Carthage, nous sont connus par le dehors, et pas
toujours par le dedans. En d'autres termes, les péripéties de
la lutte, les réactions des Carthaginois nous ont été rappor-
tées par des historiens grecs et latins, jamais par un auteur
punique. Aucun texte carthaginois touchant des faits pu-
blics ou privés n'est parvenu jusqu'à nous. Aucun texte lit-
téraire, ni archives de l'État, ni annales de la Cité (les cités
antiques avaient leurs annales tenues à jour), tout, sauf quel-
ques inscriptions lithiques, a été détruit par le feu et le temps.
Aussi, bien des aspects de la Cité punique nous échappent-
ils encore. Que sait-on, au juste, des institutions de Car-
thage? Comment s'administrait cette république de mar-
chands, de marins habiles à la diplomatie et à la guerre?
Quel était le rôle des sufètes et des assemblées et conseils?
Quelles furent les relations de Carthage avec les peuples
européens, avec les Indigènes africains?
Les Carthaginois étaient très religieux : les auteurs
anciens insistent à ce sujet; mais il est difficile pour nous
d'avoir une idée exacte des dieux qu'ils adoraient, des
formes du culte, du rôle des prêtres dans la vie sociale et
politique.
Quant à leur vie intellectuelle, nous savons seulement
qu'elle a existé et que Carthage punique a compté des écri-
vains de talent, dont les œuvres ne nous sont point parve-
nues. On est sûr aussi que la langue punique a eu une grande
diffusion parmi les Africains qui l'ont parlée plusieurs
siècles après la disparition de la ville.
E n moins de cent ans de recherches, le Sphinx d ' É g y p t e a
fini par livrer son secret, mais la médiocre stèle votive exhu-
mée à l'emplacement de la ville qui fut Carthage la Grande,
reste encore mystérieuse par bien des aspects.
Au seuil de notre travail, nous parlons ainsi pour montrer
que nous n'ignorons pas les difficultés qui nous a t t e n d e n t
et que notre ambition en écrivant les pages qui vont suivre,
n'est pas de remettre Carthage en pleine lumière, mais seu-
lement d'essayer de reconstituer l'histoire et les lignes de
force de la vieille cité.
Les textes anciens et les t r a v a u x modernes sur Carthage
nous ont été d'un grand secours; mais nous avons voulu,
autant que faire se peut, tirer partie des documents archéo-
logiques. Nous avons tenté, et c'est en quoi notre étude
offre peut-être quelque intérêt, de faire parler le vieux sol
de Carthage, que l'un de nous deux, reprenant la pioche
de ses prédécesseurs, a depuis quelque dix ans, fouillé
ardemment. Malgré la rareté des vestiges puniques rencon-
trés dans une terre ravagée par quatre ou cinq emprises
successives, on a ramené au jour de précieuses trouvailles, à
l'aide desquelles on a pu éclaircir certains points d'histoire
restés obscurs jusqu'ici ou tel aspect de civilisation encore
indéterminé. La traduction historique du fait archéolo-
gique, c'est-à-dire la recherche de la signification des docu-
ments exhumés, qu'il s'agisse de textes épigraphiques
ou de mobiliers, est extrêmement ardue en raison du peu
de repères que nous offrent les textes pour la reconstitution
de la vie politique et sociale de Carthage. Autant que de
science, c'est affaire de sagacité et d'intuition. La fouille est
passionnante en soi, souvent fructueuse, utile; mais elle
devient de plus en plus difficile dans la presqu'île carthagi-
noise, où les villas et les centres urbains s'étendent de toutes
parts et chaque jour davantage. Il faut se hâter de fouiller,
car le vivant comme il est arrivé plusieurs fois en ce coin de
terre illustre, détruit le mort, irrémédiablement. On regret-
tera d'autant que la modicité des crédits consacrés aux
recherches archéologiques ne permette pas d'effectuer des
excavations plus nombreuses sur les emplacements encore
disponibles.
Nous nous sommes également appuyés sur les découvertes
qui ont été faites en dehors et parfois loin de Carthage, qui
fut une grande cité essaimant un peu partout sur le pour-
tour méditerranéen. La connaissance de cette vie « provin-
ciale » éclaire bien souvent l'histoire de la métropole. On
donnera, en appendice, une nomenclature sommaire, mais
suffisante croyons-nous, des principales collections puniques.
On a essayé de comprendre Carthage et les Carthaginois
du point de vue punique, africain, parce qu'il eût été diffi-
cile aux auteurs de ce livre de s'abstraire de l'ambiance où
s'écoulent les jours de leur vie, ambiance dont les affi-
nités électives ne peuvent pas ne pas nous aider à saisir
certains fils ténus des événements et des mobiles qui font
mouvoir les hommes : ce qui n'exclut pas une vue objective
de l'histoire. La méthode historique ne s'exerce pas néces-
sairement en dehors de toute sympathie pour le sujet
traité. Cette sympathie pour Carthage a servi seulement,
pensent-ils, pour éclairer son histoire du dedans.

D'autre part, Carthage ne doit pas être considérée comme


une force isolée en Méditerranée. Sa politique, douée d'un
dynamisme interne incontestable, ne subissait pas moins
l'action et les réactions des peuples avec lesquels elle était en
contact. De longues et tenaces traditions pesaient sur son
devenir historique. On sait que la Phénicie fut mêlée de très
près à l'histoire de tout l'Orient méditerranéen. Les Phéni-
ciens ont probablement ravitaillé par mer l'Égypte à partir
du I I I millénaire et favorisé l'exportation de ses produits
et de sa civilisation; ils ont joué à cette occasion un rôle
politique important dans la mer Égée et en Asie Antérieure.
et cela du moins jusqu'à la prise et la destruction de T y
par Alexandre le Grand.
Carthage qui fut, pendant longtemps, une simple colonie
de Tyr, dirigée par une aristocratie tyrienne fort au courant
des dessous de la politique « internationale » de l'époque, dut
participer activement, dès qu'elle fut en état de le faire,
aux luttes d'influence, chaque fois que celles-ci pouvaient
servir ses fins politiques. La coïncidence de la bataille d'Hi-
mère contre les Grecs de Sicile avec celle que le Grand Roi
engagea contre les Grecs ligués à Salamine, en 480, n'est
certainement pas l'effet d'un pur hasard. Un politique pro-
fond comme Hannibal ne négligeait aucune chance de
nouer des intelligences, voir des alliances, chez les peuples
les plus divers dans sa lutte contre les Romains. Il suffira de
jeter un simple coup d'œil sur le Tableau chronologique
(p. 226), pour se convaincre qu'il ne faut pas abstraire Car-
thage du monde méditerranéen qui l'entourait. Ses rela-
tions économiques dont le développement était sa raison
d'être, l'entraînèrent inévitablement à des interventions
politiques de vaste envergure.
De même il ne faut pas oublier l'interdépendance des
civilisations méditerranéennes et leurs incidences réci-
proques sur la vie politique des peuples en présence.
Déjà, au moment de la deuxième guerre punique, Carthage
commençait à subir l'empreinte de la civilisation hellé-
nistique, qui, au point de vue politique, véhiculait des
germes de décadence. Il n'est pas impossible de penser
que, les fortes et dures traditions qui étaient à la base de
son ascension ayant été peu à peu ébranlées, Carthage
s'est trouvée en état de moindre défense devant l'agres-
sivité toute jeune de Rome, dernière venue en Méditer-
ranée.

Cette étude est avant tout une mise au point de ce que


l'on sait sur Carthage punique à l'usage du public cultivé, qui
s'intéresse de plus en plus à l'histoire des peuples et de leur
civilisation. Une mise au point et une tentative d'explica-
tion psychologique.
L'histoire de Carthage est une de celles qui offrent le plus
d'intérêt. Le rôle que Carthage a joué dans le monde ancien
est considérable, par le déplacement des forces politiques
qu'elle a provoqué par son duel avec Rome qui a duré un
siècle, et par sa chute tragique, tous éléments qui font de sa
destinée une sorte d'existence individualisée, chargée de
sens, pareille au long cheminement d'une vie humaine. Sa
naissance est auréolée de légende, sa richesse parut fabu-
leuse aux peuples de l'antiquité et sa fin fut empreinte
d'une sauvage grandeur. Elle n'a pas manqué de grands
hommes ni de vues d'ensemble.
Mais un des aspects les plus attachants des Carthaginois
est leur prodigieuse activité économique, à laquelle ils
subordonnaient le présent et l'avenir de la cité. La recher-
che des débouchés commerciaux, la défense des marchés
conquis, l'évincement des concurrents, l'âpreté au gain,
c'est à ces fins qu'aboutissaient tous leurs efforts. Comme ils
ressemblaient, en cela, aux modernes, de l'Occident et de
l'Extrême-Orient, pour qui « les affaires sont les affaires! »
Chez eux, cette primauté du matérialisme économique
s'alliait à un attachement étroit à des traditions tenaces, à
des coutumes religieuses empreintes de barbarie. Curieuse
psychologie, qui sollicite autant sinon plus que le déroule-
ment des faits, l'attention de l'historien. Si le caractère
d'un homme expliquait sa destinée, pourquoi l'âme d'un
peuple ne nous donnerait-elle pas la clef des événements,
aussi complexes que soient ses événements? Certes, il faut
descendre profond et nous manquons parfois de documents
pour étayer une analyse méthodique et atteindre aux
causes intimes. Mais l'enjeu vaut la peine qu'on essaie de
rechercher les mobiles psychologiques par quoi il serait pos-
sible de comprendre Carthage et de résoudre l'énigme de sa
destinée.
PREMIÈRE P A R T I E

CHAPITRE PREMIER

SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE

a) Textes littéraires puniques.

Avant de détruire Carthage, les Romains remirent aux


princes africains, leurs alliés, qui savaient lire le punique,
les livres contenus dans les bibliothèques des Carthaginois.
Aucun de ces livres ne nous est parvenu; de la littérature
punique, il ne reste rien que quelques citations de l'ouvrage
de Magon sur l'agronomie t r a d u i t en latin et des survi-
vances documentaires dans Salluste ( Guerre de Jugurtha ),
qui affirme s'être servi des livres puniques du roi Hiempsal
( I s. av. J.-C.).
L'existence d'annales carthaginoises paraît être confir-
mée par la référence qu'en donne un poète latin, Festus
Avienus, qui versifia, au I V siècle de notre ère, un périple
Ora maritima où il dit avoir tiré son fonds de vieilles annales
puniques.
On peut supposer que les auteurs grecs antérieurs à Avie-
nus, qui nous ont le mieux renseignés sur Carthage, ont eu
connaissance de ces annales, indirectement par l'intermé-
diaire de Carthaginois ou d'Africains sachant lire le punique.
E n résumé, la contribution de la littérature punique à la
connaissance de l'histoire de Carthage représente peu de
chose, et l'on ne regrettera jamais assez la perte des biblio-
thèques carthaginoises.
Serions-nous plus heureux du côté de la Phénicie que l'on
doit aussi interroger? A l'origine et pendant longtemps,
Carthage a été une colonie de Tyr, à laquelle elle se substi-
tua politiquement vers la fin du VI siècle parce que Tyr
ne pouvait plus soutenir son rôle de Métropole. Tyr et Car-
thage furent en relations étroites durant des siècles et il
n'est pas impossible que les archives tyriennes fissent men-
tion de Carthage dont le rôle politique devenait prépon-
dérant. Mais du côté de Tyr, nous nous heurtons aussi à
une pénurie absolue de documents littéraires originaux, du
fait que cette ville ayant voulu résister à Alexandre le
Grand, en 332, fut, après un siège de sept mois, entièrement
détruite et ses habitants vendus comme esclaves.

b) Textes épi graphiques puniques.


Les inscriptions lithiques en langue phénicienne ou pu-
nique relatives à Carthage sont extrêmement rares, si l'on
en excepte celles tracées sur des stèles votives, qui sont
certes, très nombreuses, mais ne nous renseignent guère
que sur l'onomastique carthaginoise, sur certaines divinités,
quelques noms de métiers et fonctions sacerdotales.
Les épitaphes, peu nombreuses, donnent les mêmes indi-
cations que les ex-voto. Les dédicaces du mausolée libyco-
punique et du temple de Massinissa, à Thugga, présentent
un intérêt tout relatif pour Carthage.
Les tarifs sacrificiels (voir pp. 200 à 203) sont en très
petit nombre et mutilés : celui dit de Marseille, provenant
de Carthage, est le mieux conservé, il a été complété par
d'autres fragments trouvés à Carthage. Il nous renseigne
surtout sur les redevances dues aux prêtres.
L'inscription dite « d'Astarté et de Tanit du Liban » est
d'une certaine importance pour la connaissance des dieux,
du culte, du mobilier sacré et de la hiérarchie civile et reli-
gieuse de Carthage.
Quant à la numismatique carthaginoise, elle est assez
monotone et n'apporte que des indications historiques très
réduites.
Comme on peut le penser, tous les textes puniques, en
raison de leur rareté, ont été étudiés de très près par les
érudits et les historiens.
c) Textes grecs et latins.

Les Grecs, heureusement, nous ont transmis ce que nous


savons de plus certain sur le passé de Carthage, et par eux
les historiens latins ont pu saisir et mesurer l'ampleur de la
lutte que la cité punique soutint contre Rome.
Des Grecs, nous avons d'abord une traduction de la rela-
tion du périple d'Hannon, relation qui se trouvait placée
dans le temple de Krônos à Carthage, et rédigée probable-
ment par Hannon lui-même à son retour du grand voyage
qu'il effectua, vers 450, le long des côtes d'Afrique jusqu'à
l'Équateur. Cette traduction est un document précieux pour
la connaissance de l'esprit aventureux des Carthaginois et
de leur colonisation des côtes africaines. Gsell l'a traduite
en français et E.-F. Gautier en a tiré des hypothèses ingé-
nieuses sur l'expansion carthaginoise.
Des indications intéressantes sur les tribus libyennes, con-
temporaines de Carthage, se trouvent dans le vieil Héro-
dote (484-425) qui visita certainement Cyrène, sur la côte
africaine, et put ainsi avoir des renseignements exacts tou-
chant les populations et les mœurs de la Libye, appellation
servant à désigner, à l'époque, la contrée des Syrtes et de
Carthage. S. Gsell a réuni, traduit et annoté les passages
d'Hérodote concernant la Libye : Textes relatifs à l'Histoire
de l'Afrique du Nord (Alger, 1915).
La constitution du gouvernement carthaginois nous est
connue par Aristote qui en parle quelque peu dans sa Poli-
tique, écrite vers 343. A signaler un fragment récent sur
papyrus (publié en 1924), de l'historien Sosylos originaire
de Carthage et contemporain d'Hannibal.
Une des meilleures sources écrites que nous ayons sur
l'histoire de Carthage, sinon la meilleure, est Polybe (vers
205-105 avant J.-C.), auteur d'une Histoire Générale de son
temps, dont il ne reste intégralement que les cinq premiers
livres et des fragments, parfois importants de trente-cinq
autres livres, remplis de renseignements substantiels et
précis sur les guerres puniques. Ami et peut-être conseiller
intime de Scipion Émilien, d'une culture historique et phi-
losophique considérable, il fréquenta à Rome, en Grèce et
en Afrique, les principaux personnages qui avaient joué à
son époque un rôle politique ou militaire. Il connut per-
sonnellement Massinissa, qui l'entretint d'Hannibal et des
chefs carthaginois; il assista au siège et à la destruction de
Carthage. En le lisant avec attention on sent toujours qu'il
s'est donné la peine de remonter aux sources et de n'en
retenir que les faits qui lui parurent les plus sûrs. Aussi
a-t-il exercé une profonde influence sur les historiens de son
temps et ceux qui suivirent, encore que la mode fût à la
réthorique brillante et creuse, contre laquelle il s'éleva
d'ailleurs avec énergie.
Bien que ses volumineuses Décades ou Histoires soient
remplies de considérations pompeuses et de discours inter-
minables, Tite-Live (59 avant J .-C.-19 après J.-C.) est très
utile à consulter. Évidemment il faut faire la part du feu
ou de l'orgueil national, qui incite l'auteur à prendre trop
souvent parti pour les Romains, dont la gloire lui importe
au plus haut point. Nous sommes au siècle d'Auguste, en
un temps où il était difficile aux auteurs latins de s'abs-
traire d'une atmosphère toute imprégnée de la puissance de
Rome.
Il semble, pourtant que Trogue-Pompée, autre historien
du temps d'Auguste, ait échappé à cette ambiance, si nous
en jugeons par Justin qui a compilé et résumé son Histoire
Universelle. Il y a dans Justin des renseignements de pre-
mier ordre, et même dans Cornelius Nepos qui écrivit des
biographies intéressantes, dont celles d'Hamilcar et d'Han-
nibal. On peut utiliser également Silius Italicus, auteur
d'une épopée, Punica, sur la seconde guerre punique. Parmi
les Latins citons encore Florus (II siècle), Eutrope (IV siè-
cle) tous deux auteurs d'un Abrégé d'Histoire Romaine, sou-
vent consultés, Paul Orose (ve siècle) dont l'Histoire contre
les Païens contient sur Carthage des détails non négligeables.
Revenons aux Grecs. Contemporain de Tite-Live, Diodore
de Sicile écrivit une Bibliothèque Historique, qui témoigne
d'un esprit bien informé; il donne sur Carthage et son his-
toire, des informations précieuses. Le géographe Strabon,
mort sous Tibère (14-37 après J.-C.), parle de Carthage
dans sa Géographie en dix-sept livres, qui décrit t o u t le
monde connu des anciens. On trouve dans Plutarque (vies
de Fabius Maximus, Marcellus, Caton l'Ancien), qui tra-
vaillait d'après une documentation considérable, des rensei-
gnements d ' a u t a n t plus précieux qu'une grande partie de
ses sources ne nous est pas parvenue. Signalons aussi les
Histoires Romaines d'Appien et de Dion Cassius ( I I siècle
après J.-C.). Appien est surtout connu par sa description du
siège et de la destruction de Carthage, mais on a l'impres-
sion qu'il copie souvent Polybe et des auteurs grecs fai-
sant état de sources puniques; il n'est pas toujours très
sûr : ses affirmations ont soulevé maintes difficultés dans
l'interprétation de la topographie de Carthage. Beaucoup
plus tard, au X I siècle, Zonaras, chroniqueur byzantin,
apporte une contribution utile dans son Manuel d'Histoire
universelle.
Comme on voit par ce rapide exposé, l'héritage de l'anti-
quité est assez considérable et par le nombre des auteurs
et la quantité de documents qui nous sont parvenus; mais
il y a peu de textes absolument sûrs, peu de témoignages
oculaires, peu d'historiens consciencieux n ' a y a n t enregistré
les faits qu'après en avoir dûment contrôlé l'authenticité

d) Critique des sources.

La critique des textes, à laquelle on s'est livré avec achar-


nement et beaucoup de méthode de 1850 à 1914, a permis
d'opérer la discrimination nécessaire, en corrélation avec les
découvertes archéologiques, dont nous parlerons dans le
chapitre suivant.
Parmi les artisans de cette mise au point, il faut citer,
en France, Stéphane Gsell auteur de l'Histoire ancienne de
l'Afrique du Nord, ouvrage qui reste fondamental et pour
la composition duquel il a lu, étudié et critiqué tous les
auteurs anciens qui ont écrit sur Carthage; en Italie, Ettore
Païs, qui dans son ouvrage Storia di Roma durante la guerre
puniche ( 2 édition, 1935), s'étend sur la valeur des sources;
de même l'étude de l'historien allemand H. Dessau, Ueber
die Quellen unseres Wissens vom zweite punischen Kriege,
parue dans « Hermes, » t. I, 1906.

e) Bibliographie.
Quand on parle de Carthaginois, il faut toujours penser
aux Phéniciens, Carthage ayant été pendant longtemps une
colonie de Tyr; et même après que le rôle politique de celle-
ci fut achevé, elle n'en continua pas moins à représenter à
travers la Méditerranée l'idéal phénicien, si l'on peut ainsi
s'exprimer. Il est donc indispensable, pour bien connaître
Carthage, de remonter jusqu'à l'histoire de la Phénicie.
A travers les vieux historiens grecs, Hérodote, Thucydide
et même à travers Homère, on se doutait bien de l'impor-
tance des Phéniciens dans l'élaboration du monde antique
et quelques historiens modernes avaient fait fond sur les
Sémites beaucoup plus peut-être que les textes et les fouilles
ne le permettaient. L'archéologie, avec Ernest Renan, Mis-
sions de Phénicie, et Maspero, Histoire ancienne des peuples
de l'Orient Classique, 3 vol. (1895-1899) pour ne citer que
les « maréchaux » du XIX siècle, l'un au Liban et l'autre en
Égypte, semblait donner raison aux vieux textes grecs; mais
il faut arriver aux découvertes récentes — de 1915 à nos
jours — pour obtenir la confirmation éclatante de l'influence
des Phéniciens en Méditerranée Orientale, influence qui
s'exerce chronologiquement en même temps que celles de
l'Égypte, de la Chaldée et de Mycènes, dont ils sont les pro-
pagateurs intelligents. Ces découvertes sont dues surtout
aux savants français en mission en Syrie, dont les princi-
paux travaux publiés sont :
R. WEILL. — Phéniciens, Égéens et Hellènes, Syria 1921.
R. DUSSAUD. — Byblos et les Hittites dans l'Ancien Tes-
tament, Syria 1923. — Les Inscriptions phéniciennes du Tom-
beau d'Ahiram roi de Byblos, Syria 1924 et 1925, capital
pour l'histoire des origines de l'alphabet. — Les origines
cananéennes du sacrifice, Paris 1926. — Les Tablettes de Bas
Shamra, Syria 1929. — Les Découvertes de Ras Shamra
(Ugarit) et l'Ancien Testament, 1937.
P. MONTET. — Les Égyptiens à Byblos, Monument Piot
1921-1922. — Le Pays de Negoon, Syria 1923. — L'Art Phé-
nicien au X V I I I siècle av. J.-C., Monuments Piot 1924.
— Un Égyptien, roi de Byblos, sous la X I I dynastie, Syria
1927. — Byblos et l'Égypte, 2 vol., Paris 1932.
CH. VIROLLEAUD. — Les Tablettes de Bas Shamra, Syria
1929. — La Légende phénicienne de Danel, 1936. — La
Légende de Keret, 1936. — La déesse Anat, 1938.
M. DUNAND. — Les Égyptiens à Beyrouth, Syria 1928.
G. CONTENAU. — La Civilisation Phénicienne, Paris 1939.
— Manuel d'archéologie orientale, t. I, Paris 1927.
A. POIDEBARD. — Un grand port disparu, Tyr, Paris 1939.
R. P. H. VINCENT. — Les Fouilles de Byblos, Revue
biblique, 1925 et Canaan ( 2 édit., 1914).
Un résumé de ces travaux se trouve dans le petit livre
de R. Weill, La Phénicie et l'Asie Occidentale (1939).

Ces publications ont en quelque sorte renouvelé, sur des


bases indiscutables, notre connaissance des Phéniciens; mais
il est juste de dire que V. Bérard s'appuyant sur les textes
des Anciens, d'Homère à la Bible, en passant par les his-
toriens et les géographes, et les données de la toponymie
et ce qu'il appelle la topologie ou science des sites, avait
dès 1894, suivant des vues ingénieuses et toujours érudites,
tenté de démontrer l'importance du rôle des Phéniciens
et des Sémites dans l'histoire de la Méditerranée et du Pro-
che-Orient (voir notamment Les Phéniciens et l'Odyssée,
2 vol., 1902, réédité en 1927, avec un Album-Atlas).

En ce qui concerne Carthage, la bibliographie moderne


est immense et il n'entre pas dans nos intentions de dresser
une liste d'ouvrage se rapportant à la matière, qui même
incomplète, dépasserait le cadre de notre ouvrage. Il nous
suffira de dire que le passé de Carthage dans ses rapports
avec l'histoire de Rome fut étudié d'une façon méthodique
par Mommsen, dont les puissants moyens d'investigation
intellectuelle ont rajeuni l'histoire de l'antiquité. Les éru-
dits allemands, à la suite de Mommsen se passionnèrent pour
Carthage et les Puniques.
Citons d'abord l'édition savante des textes anciens de la
Bibliotheca Teubneriana de Leipzig (dont nous commençons
à avoir l'équivalent en France avec la Collection des Uni-
versités de France ou Guillaume Beudé), et parmi les études
modernes :
MELTZER et KAHESTEDT. — Geschichte der Karlhager,
3 vol., Berlin 1879-1913.
EHSENBERG. — Karthago, Leipzig 1927.
TAUBLER. — Die Vorgeschichte des zweiten punischen
Kriegs, Berlin 1921.
EGELHAAF. — Hannibal, ein Charakterbild, S t u t t g a r t
1922.
GROAG. — Hannibal als Politiker, Vienne 1922.
ED. MEYER. — Geschichte des Alterlums ( 2 et 3 édit.,
S t u t t g a r t et Berlin 1912, 1928, 1937).

En Italie, l'ouvrage le plus important, nous l'avons vu,


est celui d ' E t t o r e Païs, Storia di Roma durante le guerre
puniche, 1935, qui n'est pas exempt de parti-pris.
En Angleterre, signalons la Cambridge Ancient History,
dont plusieurs tomes sont consacrés à l'histoire de Carthage.
B. H. LIDDELL HART. — Scipion l'Africain, trad. A
Lageix, Paris 1934.
HOWARD H. SCULLARD. — Scipio Africanus in the Second
Punic War, Cambridge 1930.
D. B. HARDEN. — The Pottery prom the precinct of Tanit
of Salammbo, Carthage, 1937. — The Topography of punic
Carthage, 1939.

Mais il appartenait à un savant français, Stéphane Gsell,


de publier sur Carthage et les Carthaginois et leur rôle en
Afrique et en Méditerranée Occidentale l'ouvrage le plus
considérable et le plus sûr : Histoire Ancienne de l'Afrique
du Nord, monument de science et d'érudition; il comprend
huit volumes :
I. — Les Conditions du développement historique. Les
Temps primitifs. La colonisation phénicienne et l'Empire de
Carthage, Paris 1913.
II. — L'État carthaginois, 1918.
III. — Histoire militaire des Carthaginois, 1918.
IV. — L a civilisation carthaginoise, 1920.
V. — Les Royaumes indigènes. Organisation sociale, poli-
tique, économique, 1927.
VI. — Les Royaumes indigènes. Vie matérielle intellec-
tuelle et morale, 1927.
VII. — La République romaine et les Rois indigènes, 1928.
VIII. — Jules César et l'Afrique. F i n des royaumes indi-
gènes, 1928.

S. Gsell, nous l'avons dit, a repensé tous les auteurs anciens


et modernes, qui ont écrit sur Carthage; il s'est tenu au
courant des découvertes archéologiques intéressant de près
ou de loin son sujet. Il a utilisé son immense documentation
avec le maximum d'esprit critique et de prudence : il est
à peu près impossible de le prendre en défaut. Mais sa
rigueur même, l'empêche de faire appel, quelquefois, quand
cela peut aider à l'explication des événements, à l'intuition,
aux rapprochements possibles. Un de ses contemporains,
l'historien et géographe E.-F. Gautier pécherait p a r l'excès
contraire; il n'hésite pas, dans son ouvrage le Passé de
l'Afrique du Nord (1937), à formuler des hypothèses, souvent
hardies, toujours suggestives, sur le millénaire de Carthage.
Avec Gsell, avant, pendant et après lui, il est juste de
citer les auteurs éminents et les chercheurs modestes qui
ont patiemment édifié notre documentation sur Carthage
punique.
R. CAGNAT. — E n pays romain, Paris 1927.
A. AUDOLLENT. — Carthage Romaine, Paris 1901.
P. GAUCKLER. — Nombreuses communications et surtout
l'ouvrage posthume Nécropoles Puniques de Carthage, 1915.
R. P. DELATTRE. — Nombreuses publications et comptes
rendus concernant les résultats des fouilles qu'il a effec-
tuées à Carthage.
A. MERLIN. — La Nécropole d'Ard-el-Kheraïb, 1909.
L. POINSSOT et LANTIER. — Un Sanctuaire de Tanit à
Carthage dans la Revue de l'Histoire des Religions, 1923.
D CARTON. — Documents pour servir à l'étude des ports
et de l'enceinte de la Carthage punique, 1913. — Question de
topographie carthaginoise, 1919.
CH. SAUMAGNE. — IIερί τὰ Mεϒαλα IIεδία, 1925. — Sur la
Bataille de Zama, 1925. — Les prétextes juridiques de la
I I I guerre punique.
R. P. LAPEYRE. — Fouilles récentes à Carthage, C. R. A. I.,
1935. — Autour des grands sarcophages puniques du Musée
Lavigerie, R. I., 1935. — L'Enceinte punique de Byrsa,
R. A., 1935.
E. G. GOBERT et P. CINTAS. — Les tombes puniques du
J ebel-Mlezza, Rev. Tunis, 1939. — Smirat, R. T. 1941.

On trouvera d'autre part, des études intéressantes dans


les revues et publications : Revue Archéologique, Paris. —
Revue Biblique, Paris. — Revue de l'Histoire des Religions,
Paris. — Revue Africaine, Alger. — Syria, Damas. — Revue
Tunisienne, Tunis, etc.
Enfin, il convient de signaler les excellents manuels de la
collection « Clio » : I. Le Proche-Orient Asiatique, par Louis
Delaporte. — II. L'Égypte, par E. Drioton et J. Vandier.
— II. La Grèce et l'Hellénisation du monde antique, par
Robert Cohen. — III. L'Histoire de Rome, par A. Piganiol
(1939), ce dernier ouvrage contient une bibliographie métho-
dique et sûre sur les guerres puniques et l'état des questions.
En somme, la bibliographie de Carthage punique n'a
cessé de s'accroître à la faveur du renouvellement des études
historiques qui a marqué le XIX siècle. Les savants de tous
pays, avec une noble émulation, ont publié soit des œuvres
de pure érudition, soit des travaux archéologiques du plus
haut intérêt. Nous regrettons de ne pouvoir, faute de
place, en donner une plus longue liste.
Au surplus, cette esquisse bibliographique sur Carthage
punique n'a pas la prétention d'être complète; on a voulu,
seulement, faire connaître l'essentiel de ce qui a été publié
à ce jour sur le sujet. En principe, aucune publication n'est
indifférente à la documentation du travailleur intellectuel,
mais il est nécessaire, en raison de l'accumulation des publi-
cations de faire un tri, et, si l'on nous permet cette image,
de ne butiner que sur les corolles les plus mellifères. Cette
bibliographie, ne constitue pas à proprement parler un ins-
t r u m e n t de travail; mais en même temps, qu'elle donne
des indications sur les documents qui nous ont servi pour
composer notre livre, elle permet au lecteur de se rendre
compte de l'étendue de la matière.
La connaissance des sources écrites n'est pas suffisante;
il faut prendre un contact direct avec les documents archéo-
logiques. Les trouvailles faites dans les nécropoles puniques
sont d'un intérêt considérable. Sans elles on ne pourrait
avoir une idée exacte des mœurs et coutumes des Cartha-
ginois. A cet égard, les musées Lavigerie (Carthage) et du
Bardo (Tunis), en particulier, contiennent des collections
d'une richesse incomparable et leur étude complète celle
des textes.
CHAPITRE II

EXPLORATION ARCHÉOLOGIQUE

J u s q u ' a u X I X siècle, la presqu'île de Carthage n'attira


guère que les amateurs de trésors et les chercheurs de
pierre.
Certes, les faits sont attestés par les historiens de l'épo-
que, avant de détruire entièrement, comme il en avait reçu
l'ordre du Sénat, ce qui pouvait rester de la malheureuse
ville, après un incendie de dix-sept jours, Scipion avait fait
enlever les objets précieux des monuments publics et des
temples; il avait invité les représentants des villes de Sicile
à reprendre les objets d ' a r t et les ex-voto d'or et d'argent
dont les Carthaginois les avaient dépouillés pour embellir
leur capitale; les soldats avaient été autorisés alors à piller
à leur gré pendant plusieurs jours.
E t cependant, au cours des siècles, à toutes les époques,
on rechercha les richesses fabuleuses que la légende disait
avoir été cachées dans les entrailles de la terre par les der-
niers habitants de Carthage. Plutarque nous raconte que
des soldats de Pompée, au nombre de plusieurs milliers,
débarqués à Carthage, pour combattre les partisans de
Marius, fouillèrent en vain le sol pendant plusieurs jours
sans réussir à découvrir ces trésors.
Néron ne fut pas plus heureux, Tacite nous apprend que
l'empereur s'étant laissé tromper par un certain Bassus,
originaire de Carthage, qui assurait avoir trouvé dans son
champ une caverne remplie d'or, envoya une expédition
chargée de retrouver la caverne et les richesses qu'elle con-
tenait. Malgré toutes les recherches la caverne est restée
introuvable et Bassus se serait suicidé de désespoir et peut-
être aussi par crainte des châtiments qui l'attendaient.
De nos jours encore sur la foi de prétendus et anciens
manuscrits arabes de la plus haute antiquité, d'aucuns
s'obstinent à croire que les trésors de l'ancienne Carthage
gisent toujours au fond des souterrains de la colline de
Sidi-Bel-Hassen, au sud-est de Tunis. A la fin du siècle
dernier, sous le patronage de quelques personnalités de la
Régence une société presque officielle fut même constituée
dans le dessein de les recueillir!
Quant aux chercheurs de pierres à bâtir ils commencèrent
de très bonne heure leur œuvre néfaste et la poursuivent
encore sans relâche. Nous n'en pouvons douter, les preuves
abondent, la Carthage de César et d'Auguste comme celle
de C. Gracchus fut bâtie en grande partie avec des maté-
riaux empruntés à la première Carthage.

C'est à Beulé, membre de l'Institut de France, qu'échut


l'honneur d'inaugurer en 1859, l'exploration scientifique des
ruines de Carthage. A la vérité, avant lui C. T. Falbe, con-
sul général de Danemark y avait songé; N a t h a n Davis, cha-
pelain anglican de Tunis, l'avait entreprise. Mais C. T. Falbe
avait dû bientôt y renoncer devant les difficultés de toutes
sortes qu'il rencontrait. N. Davis, de son propre aveu, vou-
lait surtout « enrichir de pièces rares les collections du Bri-
tish Muséum ». D'ailleurs il ne tarda pas à recevoir du
Gouvernement britannique l'ordre d'arrêter ses recherches.
Il faut mentionner aussi la tentative faite par la « Société
établie à Paris pour l'Exploration de Carthage » (1831).
Après quatre mois de travaux, les directeurs déclaraient
triomphalement « posséder plusieurs plans, des dessins de
mosaïques, des copies de peintures à fresque, une foule
d'objets d'art de toute espèce ». Ils annonçaient l'apparition
prochaine d'une brochure « tout entière consacrée à décrire
les fouilles avec les résultats ». Cette brochure ne p a r u t
jamais et on ignore ce que devinrent les trente et une caisses
de « mosaïques, peintures et vases antiques » qu'ils disaient
arrivées à Toulon et à Marseille!
Beulé dirigea deux campagnes de recherches à Carthage
en mars 1859 et d'octobre à décembre de la même année.
M. A. Audollent lui reproche a v a n t t o u t d'avoir trop
méconnu « les droits et les devoirs de la critique ». A son
gré, écrit le savant auteur de Carthage Romaine la
seule Carthage qui compte, c'est la première; Carthage
Romaine n'en est que le prolongement, ou plutôt le dimi-
nutif. On ne rencontre cette opinion nulle part exprimée de
façon catégorique; elle existe néanmoins partout latente. Et
la conséquence suit d'elle-même. Carthage punique est
l'essentiel; il importe donc avant tout d'en retrouver sous
la terre, peut-être çà et là sur le sol, les débris épars.
« Quand on raisonne de cette manière, on n'est pas loin
de qualifier de punique tout ce qu'un heureux hasard ou
des calculs habiles mettent en vos mains. Beulé ne va pas
jusque-là; sa grande intelligence le met en garde contre
toute méprise grossière. Habitué à distinguer les appareils
de maçonnerie, il concède aux Romains tout ce qu'il ne
saurait leur retirer sans erreur manifeste. Mais, dès que le
doute est possible, ses préférences reprennent le dessus. Et
quand il ne subsiste rien, pas même des ruines, il a beau jeu
pour interpréter, de très bonne foi, dans un sens favorable
à ses idées, les témoignages des historiens et des géogra-
phes... »
Beulé eut aussi le tort, poursuit M. Audollent de se bor-
ner trop souvent à de simples sondages « si les résultats
souhaités n'apparaissaient pas aussitôt, il se transportait
ailleurs espérant un meilleur succès. Cette fièvre de la décou-
verte et la méthode éparpillée qui en dérive ont empêché
Beulé d'aboutir, sur la colline de Saint-Louis, à quelques-
unes des plus curieuses trouvailles qu'une marche plus
patiente réservait au P. Delattre. En effet plusieurs des
tranchées ouvertes par ce dernier se relient à celles de Beulé.
Moins de hâte, quelques coups de pioche de plus, auraient
donc suffi pour que, dès 1859, nous connussions les monu-
ments qui viennent à peine d'être dégagés sur les flancs du
plateau. »
Le P. Lapeyre lui aussi, en 1932-1933, dans ses fouilles de
la colline de Byrsa, a constaté les inconvénients de la
méthode de Beulé. Sur le plan « aussi détaillé que possible »
ce sont les expressions mêmes de Beulé des sondages qu'il
avait exécutés, il n'indiquait aucune ruine pour la partie
de la colline qu'il se proposait d'explorer. Or il a découvert
tout un ensemble de constructions romaines et puniques, en
particulier un monument où il inclinerait à voir la partie
centrale du palais des proconsuls romains; une dizaine de
tombeaux puniques et un mur qui lui paraît bien être le
rempart supérieur de l'Acropole punique dont St. Gsell sup-
posait l'existence.
Disons cependant avec M. A. Audollent que l'œuvre de
Beulé « fut utile, qu'elle fut belle, quoiqu'elle n'ait pas rem-
pli toute son attente. Entre Falbe et le P. Delattre, c'est
lui qui a le mieux exploré la péninsule. E n outre il donna
un rare exemple de désintéressement lorsqu'il se mit à
l'ouvrage sans aide matérielle ni subvention d'aucune sorte,
entravé loin d'être soutenu dans ses projets par le mauvais
vouloir du gouvernement impérial. »
Sans doute, on est tenté de sourire quand on lit sur le
plan qu'il a publié de Byrsa : « Ruines supposées du Palais
de Didon », « Emplacement supposé du temple de Jupiter »;
mais on lui doit la découverte des sept absides que l'on aper-
çoit devant la chapelle Saint-Louis et où il a reconnu à bon
droit, une construction romaine. Il semble bien qu'il ait vu
juste en jugeant punique le « gros mur de plus de deux
mètres d'épaisseur qu'il suivit par une série de sondages
pendant plus de cent mètres » en dehors de l'enceinte de
Saint-Louis. Ce mur, comme il a cru, appartient-il au péri-
bole du temple d'Esculape? C'est bien possible, mais nous
n'en avons pas encore la preuve.
Revenu en France au printemps de l'année 1859 Beulé
repartit pour Carthage l'automne suivant. Dans cette
deuxième campagne n ' a y a n t pu reprendre malgré son désir
les fouilles de Byrsa, il s'applique à l'étude des ports de Car-
thage. Comme le fait remarquer M. A. Audollent, tandis que
ses devanciers n'avaient guère fait que répéter Appien sans
le contrôler, le premier, Beulé chercha à vérifier sur place
les assertions de l'historien. La relation qu'il a écrite de ses
fouilles inaugure l'étude scientifique des ports. Malheureu-
sement dans la question des ports, comme dans celle de
Byrsa, il ne se défia pas assez de son imagination. « Sans
vouloir en rien rebaisser son mérite, on peut s'étonner qu'il
adopte souvent le ton tranchant, sans réplique, d'un homme
sûr de son fait. Il sait tout; à 0 m. 001 près, il connaît les
dimensions des navires antiques, leur tirant d'eau, leur
ligne de flottaison. Les esprits avisés se défient d'instinct
d'une science qui n'hésite pas davantage en un sujet si incer-
tain. Et, quand on a parcouru le champ de fouilles de Beulé,
on irait volontiers jusqu'à dire que l'auteur a presque tout
inventé. Le souvenir des changements survenus depuis 1860
dans cette région empêche de porter sur lui ce jugement
injuste. Si indulgent qu'on soit cependant, on ne peut se
défendre de penser que l'imagination a joué plus d'un mau-
vais tour à l'ingénieux savant. »
Enfin Beulé entreprit l'exploration de la nécropole de
Gamart, mais là encore, il fut encore victime de son ima-
gination, il y vit une nécropole punique, or le P. Delattre
reprenant ses fouilles prouva que les tombeaux étaient loin
d'être aussi nombreux que Beulé l'avait écrit. Dans ses
Fouilles à Carthage, il parlait « de tout un monde souter-
rain, comprenant des milliers de chambres sépulcrales et
des milliers de tombes ». Le P. Delattre estime à « 200 seule-
ment environ le nombre des tombes, c'est-à-dire 3.400 pla-
ces pour les morts! » Le P. Delattre donna enfin la preuve
certaine que la nécropole de Gamart (datée de l'époque
romaine) était surtout destinée à la colonie juive.
Les fouilles de Carthage ne furent reprises que quinze
ans après, en 1874, par un diplomate, E. de Sainte-Marie,
premier drogman du consulat général de France à Tunis.
L'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres l'avait chargé
de rechercher des inscriptions puniques en vue de la publi-
cation du Corpus Inscriptionum Semiticarum. Elle spéci-
fiait sagement que M. de Sainte-Marie devait se renfermer
strictement dans l'objet à sa mission qui est uniquement
de faire des fouilles à des endroits déjà connus pour produire
au jour des textes puniques « et non » de rechercher les
divers objets d'antiquités : mosaïques, vases, etc., qu'on peut
trouver sur le sol de Carthage. M. de Sainte-Marie se
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