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Apport de l'électrochimie à une meilleure compréhension

des mécanismes de tribocorrosion.


Pierre Ponthiaux1 — François Wenger1 — Dirk Drees2 — Jean-Pierre Celis3 — Lidia
Benea4,1.

1)
Laboratoire "Corrosion, Fragilisation, Hydrogène" Ecole Centrale Paris,
Grande Voie des Vignes,
F-92295 Châtenay-Malabry (France).
Tél : 33(0)1 41 13 12 44 / Fax : 33(0)1 41 13 14 37 / E-mail°°: pponthia@ecp.fr
Tél : 33(0)1 41 13 11 09 / Fax : 33(0)1 41 13 14 37 / E-mail°°: fwenger@ecp.fr

2)
Falex Tribology N.V.,
Technologielaan 11-0001
B-3001 Leuven (Belgique)
Tél : 32 16 40 79 65 / Fax : 32 16 40 51 28 / E-mail : dirk.drees@falexint.com

3)
Département MTM,
Katholieke Universiteit Leuven,
de Croylaan, 2
B-3001 Leuven (Belgique)
Tél : 32 16 32 13 12 / Fax : 32 16 32 16 91 / E-mail : Jean-Pierre.Celis@mtm.kuleuven.ac.be

4)
Université de Galati "Dunarea de Jos"
Département Métallurgie et Science des Matériaux.
47, rue Domneasca
RO-6200 Galati (Roumanie).
Tél : 40 94 216277 / Fax : 40 36 461353 / E-mail : lidiabd@yahoo.com ; beneal@cti.ecp.fr

RÉSUMÉ. Les techniques électrochimiques, telles les mesures de potentiel libre, le tracé des courbes de polarisation, les
mesures d'impédance électrochimique ..., sont des outils essentiels pour l'étude de la tribocorrosion, processus de
dégradation des matériaux métalliques sous l'action combinée du frottement et de la corrosion. Dans cette communication,
on présente des résultats de mesures de potentiel libre et d'impédance électrochimique concernant une étude du
comportement en tribocorrosion d'un disque d'acier inoxydable AISI 316 soumis au frottement contre une bille d'alumine en
milieu H2SO4 0,5 M. Les mesures électrochimiques sont interprétées dans le cadre du concept d' "aire frottée active", qui est
l'aire des zones sur lesquelles le film passif a été détruit sous l'effet du frottement. On montre que les techniques
électrochimiques permettent non seulement de mettre en évidence différents mécanismes de tribocorrosion intervenant dans
différents domaines de force normale appliquée, mais qu'il est possible également de quantifier la corrosion intervenant sur
ces zones actives, et de suivre précisément la repassivation de ces zones après arrêt du frottement.

MOTS-CLÉS : corrosion, frottement, tribocorrosion, acier inoxydable, techniques électrochimiques.


Matériaux 2002

1. Introduction

La tribocorrosion peut être définie comme le processus conduisant à la dégradation et à l'usure de matériaux
métalliques sous l'action combinée du frottement et de la corrosion par un milieu environnant agressif. Ces
dernières années, on constate dans la littérature un intérêt grandissant pour l'utilisation des techniques
électrochimiques dans l'étude des mécanismes de tribocorrosion. L'influence de l'état électrochimique du
matériau (passif ou actif) a été étudié, en particulier par (Drees et al.1997) (Ponthiaux et al.1999) (Mischler et
al. 2001), ainsi que l'influence du potentiel appliqué au matériau (Takadoum 1996). Ces techniques ont été
également utilisées pour quantifier l'effet de synergie entre frottement et corrosion (Watson et al.1995). L'étude
des processus électrochimiques par ces techniques a permis de développer la modélisation de certains
phénomènes intervenant dans la tribocorrosion, en particulier la dépassivation mécanique et la repassivation
(Jemmely et al. 2000) et de nouveaux concepts, tel celui "d'aire frottée active" permettant une meilleure
quantification de la composante corrosive de l'usure pour différents régimes de frottement (Garcia et al. 2001).
Dans cet article, on étudie le comportement en tribocorrosion de disques d'acier inoxydable AISI 316 frottant
contre des billes d'alumine, en milieu sulfurique. On présente les résultats de différents types de mesures
électrochimiques (potentiel libre, impédance) effectuées lors d'essais de frottement, dans des conditions où
interviennent simultanément la corrosion et une usure douce, afin d'illustrer les capacités de ces techniques, et en
particulier celles des mesures d'impédance encore très peu utilisées.

2. Approche de la tribocorrosion. Concept de zone frottée active.

Le concept d'aire frottée active a été proposé récemment (Garcia et al. 2001) comme nouvelle approche des
phénomènes de tribocorrosion des matériaux passifs soumis au frottement. La zone frottée active est la partie de
la zone frottée dépassivée temporairement par le frottement. L'aire de cette zone a pu être évaluée en comparant,
les vitesses de repassivation mesurées par des essais électrochimiques de sauts de potentiel, et les valeurs de
courants anodiques mesurées durant des essais de frottement de type bille-disque.

Figure I. Perte de matière sur l'acier inoxydable, par unité de distance frottée en fonction de la force normale,
lors d'essais de frottement bille-disque, en milieu sulfurique dilué.

Dans le cas de l'acier AISI 316 soumis à un frottement contre une bille d'alumine (diamètre : 10 mm) dans
H2SO4 0,5 M, la rupture du film d'oxyde sur l'acier (épaisseur 2 à 5 nm), n'intervient pas pour des forces
normales inférieures à 2 N (figure I, zone I). La perte de matière dans ces conditions est principalement due à la
dissolution du film d'oxyde. Pour une force normale comprise entre 2 et 12 N (zone II), un processus combinant
l'usure mécanique et la corrosion intervient. L'évolution de la perte de matière est en accord avec le mécanisme
d'usure oxydative douce (Quinn 1983). Dans ce modèle, sur les zones de contact, un film d'oxyde croît
progressivement jusqu'à une épaisseur seuil pour laquelle il est détaché mécaniquement de la surface sous l'effet
du frottement : la tribocorrosion résulte d'une "délamination" périodique du film d'oxyde sur une partie de la
surface frottée, d'une dissolution électrochimique du matériau de base dans la zone active ainsi créée, puis d'une

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repassivation progressive de cette zone. Enfin, pour une force normale supérieure à 12 N (zone III), la vitesse de
tribocorrosion augmente fortement car un nouveau processus d'endommagement intervient, tel l'abrasion et/ou la
rupture d'une couche superficielle d'épaisseur supérieure à celle du film d'oxyde.
Le résultat intéressant obtenu à partir du concept d'aire frottée active, est qu'il a été possible d'identifier les
domaines de valeurs de force normale où différents processus de tribocorrosion interviennent. Une confirmation
de l'intervention d'un mécanisme d'usure oxydative douce (zone II sur la figure I), fondée sur des résultats de
mesures électrochimiques, est présentée dans le paragraphe suivant.

3. Mesures de potentiel libre et d'impédance électrochimique en tribocorrosion.

Le potentiel libre ainsi que l'impédance électrochimique d'un disque d'AISI 316 ont été mesurés en l'absence
et en présence de frottement. (contre une bille d'alumine de diamètre 10 mm), dans l'acide sulfurique 0,5 M. Une
cellule électrochimique à trois électrodes, comportant une contre-électrode de platine et une électrode de
référence au calomel saturée (ECS), a été utilisée. L'évolution du potentiel libre enregistrée durant un essai de
tribocorrosion sous une force normale de 10 N est représentée sur la figure II. Avant application du frottement,
un état passif stable est atteint au bout de 104 secondes. Lorsque la bille d'alumine entre en contact avec le
disque, une décroissance brutale du potentiel libre est observée. Lorsque le contact est interrompu, le potentiel
libre augmente rapidement jusqu'à la valeur atteinte avant application du frottement.

Figure II. Variation du potentiel libre d'un disque d'AISI 316 dans H2SO4 0,5 M, avant, pendant et après
frottement sous 10 N, au contact d'une bille d'alumine. Rotation du disque durant tout l'essai : 400 trs / minute.

Les diagrammes d'impédance représentés schématiquement sur la figure III, ont été enregistrés dans le
domaine de fréquence 10-2-104 Hz, durant les intervalles de temps notés 1 à 4 sur la figure II. Deux ont été
relevés aux basses valeurs du potentiel libre (int. 1 et 3), et les deux autres à des valeurs élevées de ce potentiel
(int. 2 et 4).

Figure III. Diagrammes d'impédance d'un disque d'acier inoxydable AISI 316 en solution H2SO4 0,5 M,
tournant à 400 tours par minute sous une force normale de 10 N. Les intervalles de temps correspondant à
l'enregistrement des diagrammes durant l'essai sont indiqués sur la figure II.

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Ces diagrammes présentent d'importantes différences, non seulement suivant les potentiels auxquels ils ont
été relevés, mais aussi, pour des valeurs pratiquement identiques du potentiel libre, suivant qu'ils ont été obtenus
avant ou après application du frottement. Dans tous les cas, un arc de cercle unique est obtenu, ce qui
correspond au diagramme d'un circuit électrique équivalent comprenant une résistance de polarisation Rp en
parallèle sur un élément CPE (Constant Phase Element) dû aux propriétés de la double couche électrochimique.
Avant l'application du frottement, la surface du disque est uniformément active (int. 1 sur la figure II) ou
uniformément passive (int. 2). Sous frottement (int. 3), seule l'aire Sa sur la zone frottée est active. Sa peut être
calculée comme indiqué dans [4]. On suppose que, dans ce cas, le circuit équivalent est une combinaison en
parallèle de deux circuits (CPEa // Rpa et CPEp // Rpp) correspondant respectivement à l'impédance de la zone
frottée active, et à celle du reste de la surface du disque à l'état passif. Dans ces conditions, la résistance de
polarisation résultante Rp3 est donnée par l'expression suivante :

1 1 1
= + [1]
R p3 R pa R pp

A partir du moment où le frottement est interrompu (int. 4), l'ensemble de la surface se repassive.
Sous frottement, Rp3 est beaucoup plus faible que Rp2 mesurée avant frottement, lorsque l'acier était passif.
Ceci s'explique par le fait que la résistance de la zone frottée active, Rpa, est beaucoup plus faible que Rpp,
relative au reste de la surface du disque. Rpa a alors un effet de court-circuit et la résistance mesurée Rp3 est
pratiquement égale à Rpa. En outre, il est intéressant de remarquer qu'en dépit de valeurs du potentiel libres très
voisines dans les intervalles 1 et 3, les résistances Rpa sont très différentes. Avant passivation et frottement
(int. 1), l'état électrochimique du disque peut être supposé uniforme, et le potentiel libre est alors le potentiel de
corrosion de l'acier actif. En cours de frottement (int. 3), un état non uniforme est obtenu, avec couplage
galvanique entre la zone frottée active et le reste de la surface à l'état passif. La zone frottée active est alors sous
polarisation anodique, et par conséquent, la vitesse de dissolution est plus élevée, et la résistance de polarisation
plus faible qu'au potentiel de corrosion. Enfin, après frottement (int. 4), l'état passif sur la surface frottée n'est
pas restauré tel qu'il était avant frottement (int. 2), puisqu'on obtient une résistance plus faible, caractérisant un
film passif moins protecteur .

4. Conclusion

Les mesures électrochimiques effectuées lors d'essais de tribocorrosion offrent la possibilité d'obtenir in-situ
des renseignements sur les conditions superficielles à la surface de matériaux soumis au frottement. Les mesures
électrochimiques effectuées durant des essais de tribocorrosion montrent que la cinétique d'oxydation et les
ruptures mécaniques du film d'oxyde doivent être prises en considération. L'aire de la zone frottée active doit
être envisagé comme une grandeur dynamique, évoluant continuement ou cycliquement durant l'essai de
tribocorrosion. Les mesures d'impédance indiquent clairement que les processus de passivation et dépassivation
interviennent sur la zone frottée de l'acier inoxydable immergé en solution d'acide sulfurique, et apportent de
précieuses informations sur l'état de restauration du film sur la zone frottée.

5. Bibliographie

Drees D., Celis J.P., Roos J.R., Matériaux et Techniques, édition spéciale, 1997, p. 17-24, ISSN0032-6895
Garcia-Diego I., Drees D., Celis J.P., Wear, vol. 249, 2001, p. 452-460.
Jemmely P., Mischler S., Landolt D., Wear, vol. 237, 2000, p. 63-76
Mischler S., Spiegel A., Stemp M., Landolt D., Wear, vol. 251, 2001, p. 1295-1307.
Ponthiaux P., Wenger F., Kubecka P., Galland J., Hyspecka L., Proceedings of the 14th International. Corrosion Congress,
Cape Town, 26 Septembre-1 Octobre 1999, CD-ROM ISBN 0-620-23943-3.
Quinn T.S.F., Tribol. Int, vol. 16, 1983, p 257-262.
Takadoum J., Corrosion Science, vol. 38, 1996, p. 643-654
Watson S.W., Friedersdorf F.J., Madsen B.W., Cramer S.D., Wear, vol. 181-183, 1995, p. 476-484

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