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Mon analyse des pistes de Everywhere At The End Of Time et mon ressenti de

celles-ci :
Notes prises au fur et à mesure de mon écoute du 24/08/2023, de 9h30 à
16h00, mises en forme et retravaillées par la suite. J’y ai également ajouté les
extraits utilisés dans les pistes sonores (les extraits des moments les plus
marquants pour les pistes les plus longues).
Etape 1 :
A1-Cette première piste, introduisant le "leitmotiv" de la série, évoque une
réminiscence de jours heureux d’un temps passé, où tout était plus simple, le
statique donnant l’impression que ces souvenirs brûlent avec une certaine
fierté (le fameux « souvenir ardent » de son titre).
Extrait utilisé : Heartaches de Al Bowlly.
A2-Je perçois cette boucle de piano comme la version sonore de ces après-
midis où on ne souhaite que s’allonger dans son canapé et ne rien faire d’autre
que regarder par la fenêtre pour observer les oiseaux et le ciel.
Extrait utilisé : Say it isn’t So de Layton & Johnstone.
A3-Ce souvenir est plus étouffé/saturé, comme pour représenter les détails de
celui-ci échappant à son propriétaire, ne l’empêchant pas de restituer le
sentiment de joie et de plénitude qui s’en dégage, non sans un peu plus de
difficultés.
Extrait utilisé : It All Depends On You de Layton & Johnstone.
A4-Les trompettes de cette piste qui se veulent à la fois rassurantes et
triomphantes sont un peu déformés par l’écho, donnant l’impression que les
instruments fatiguent, comme pour représenter la lassitude sous-jacente du
« patient ».
Extrait utilisé : Moonlight and Shadow de Russ Morgan and His Orchestra.
A5-Le titre semble indiquer que le « patient » réalise (inconsciemment ?) que
quelque chose ne va pas ; le piano saturé aux notes relativement basses (ainsi
que l’ajout de voix subtiles en arrière-plan pouvant évoquer un monologue
intérieur) a l’air de représenter une méditation sur son état actuel.
Extrait utilisé : Alabamy Bound (Principal) et The Wedding of the Painted Doll
(Voix) de Layton & Johnstone.
A6-Cette piste dissipe immédiatement cet état d’interrogation pour évoquer
une sorte de nouveau moment de contemplation tranquille, une réminiscence
des moments de joie passés apaisant (ou reléguant) ses doutes ; bien que le
statique/voix saturée à la fin semble être un rappel que tout ne va pas bien en
réalité, comme un message d’alerte de son inconscient auquel il ne prête pas
attention.
Extrait utilisé : The Waltz You Saved For Me de Wayne King and His Orchestra.
B1-En adéquation avec le titre, cet extrait répété en boucle semble être un
moyen pour le « patient » de se rassurer en se disant que tel ou tel détail lui
revient parfaitement en mémoire, le faisant s’accrocher à ce détail pour être
d’autant plus certain que ses moments de gloire passés sont toujours présents
dans sa mémoire.
Extrait utilisé : Medley (It Looks like Rain in Cherry Blossom Lane) de Ronnie
O’Dell.
B2-Cette piste m’évoque une sorte de fête tranquille, comme un matin de Noël,
un moment privilégié où on est entouré de tous les gens qu’on aime pour
passer du temps ensemble de façon décomplexée ; on entend de la « neige »
tomber au-dehors mais ce moment est tellement magique qu’on l’oublie, bien
que le tas de neige, lui, continue de s’épaissir.
Extrait utilisé : In a Little Second-Hand Store de Layton & Johnstone.
B3-(Note : ce morceau a été remplacé dans la version complète du projet
disponible sur YouTube par un extrait postérieur [Voir piste E8 de l’étape 3] ; je
l’ai écouté après-coup.)
La musique légèrement plus dynamique augmentant irrégulièrement de
volume et présentant un léger écho lui donnant un côté insistant peut vouloir
dépeindre un avertissement inconscient pour le « patient » que ses souvenirs
sont en train de dépérir et que plus d’efforts dans la remémoration devraient
être fournis ; ce message se confond avec le caractère paisible de la nostalgie
marquant cette étape, répété à plusieurs reprises sans jamais arriver à faire
réagir son destinataire.
Extrait utilisé: Water Lilies in the Moonlight de Hughie Diamond.
B4-C’est là où le patient semble commencer à se souvenir de sa vie
amoureuse : le piano semble évoquer une promenade paisible où les deux
amants n’auraient même pas besoin de mots pour exprimer leur amour. Le
statique est toujours présent et sature subtilement la boucle.
Extrait utilisé : Willow Weep for Me de Layton & Johnstone.
B5-Cette fois, la musique restitue à mon sens l’un de leurs premiers rendez-
vous, quelque chose dont le « patient » pourrait se souvenir toute sa vie ; outre
la longueur de la piste, l’ensemble dégage un sentiment d’intimité couplé à une
profonde sensation de bien-être.
Extrait utilisé : Smoke from a Chimney de Sam Costa.
B6-Cette musique, qui ressemble à ce qu’on pourrait entendre dans le
générique de fin d’une vieille sitcom, semble résumer l’entièreté de la vie
amoureuse du « patient » avec les cuivres triomphants et les violons rassurants
faisant de ce souvenir quelque chose dont il peut être fier.
Extrait utilisé : Room with a View de Mert Curtis.
Illustration : Rouleau de parchemin ou de papier journal d’un nombre de pages
incalculables où l’on ne distingue aucune écriture, légèrement froissé : c’est un
objet commun que l’on peut parfaitement reconnaître mais dont certaines
caractéristiques donnent un sentiment d’étrangeté.

Etape 2 :
C1-C’est à partir de là que l’égo du « patient » va commencer à se détruire petit
à petit et que la fierté et le triomphe de la nostalgie vont laisser place à la
mélancolie. Ici, le statique est très fort, m’évoquant le bruit des balayettes d’un
camion-nettoyeur : les souvenirs commencent à être balayés et leur détenteur
ne peut plus l’ignorer béatement, celui-ci essayant tant bien que mal de les
retenir de toute sa force mentale (d’où la longueur prononcée de la piste
utilisant un extrait plus long). Ce souvenir finit par se couper brusquement alors
qu’il est en train de s’éloigner vers le « lointain ».
Extrait utilisé : Love’s Old Sweet Song d’un orchestre inconnu (Chester Gaylord
en saxophoniste).
C2-Le statique est moins prononcé dans celui-ci, mais le ton globalement
morne du morceau évoque un moment de défaitisme, comme si le « patient »
était conscient de sa condition mais se dit que ses tentatives seront
infructueuses alors « pourquoi essayer ? ». (P.S. : C’est l’un de mes extraits de
musique préférés de l’album.)
Extrait utilisé : Lullaby of the Leaves de George Olsen & His Music.
C3-Le leitmotiv fait son retour, mais la version qui est utilisée de ce morceau est
moins triomphante et plus lasse, tournant en boucle comme s’il ne valait plus la
peine d’être sauvé ; ce souvenir qui convoyait autrefois de la gloire et de la joie
est désormais le rappel douloureux que les choses ne sont plus comme avant,
brûlant plus par dépit que par fierté.
Extrait utilisé : Heartaches de Seger Ellis.
C4-Le titre ne peut pas mieux représenter le thème du voyage intérieur qui se
dégage de cette piste : les cuivres et le xylophone semblent d’abord dépeindre
une suite de questionnements, jusqu’à l’intervention des cordes qui évoque un
profond sentiment d’impuissance, avant de partir sur un unisson entre cordes
et cuivres pour une sorte de moment de lutte laissant à nouveau place au
défaitisme à travers un dialogue entre les deux groupes d’instruments, se
terminant sur un accord désespéré de violon.
Extrait utilisé : Grand Canyon Suite - Painted Desert de Paul Whiteman & His
Concert Orchestra.
C5-Le morceau est complètement mélancolique et possède même un petit côté
pathétique. Ici, le statique ressemble parfois aux pas d’un individu sur un sol
indéterminé, ressemblant tantôt à de l’asphalte tantôt à du sable : le souvenir
est inconsistant malgré tous les efforts fournis. Après quelques instants de pas
sur du sable après la fin de la boucle, la suite du morceau commence à jouer,
comme si, par fierté, le « patient » refusait de terminer ce souvenir sur une
note négative ; les cuivres graves dans ce morceau ajoutent au pathétique de
cette tentative, montrant que tout essai de retrouver la joie d’antan échouera.
Extrait utilisé : Sweet and Low/Forsaken d’un orchestre inconnu (Chester
Gaylord en saxophoniste).
D1-La piste commence par un subtil roulement de tambour noyé sous une
couche de statique, comme si le souvenir mettait du temps avant de sortir. La
musique se veut apaisante et invite à la contemplation, mais l’écho et les
statiques donnent l’impression que ce morceau vient du lointain et sonne
parfois un peu maladroit, notamment vers la fin avec le ralentissement du
tempo.
Extrait utilisé : Grand Canyon Suite – Sunrise de Paul Whiteman & His Concert
Orchestra.
D2-La mélancolie est à nouveau dominante dans cette piste, le morceau
essayant tant bien que mal de se donner un air joyeux mais finissant
immanquablement par tomber de haut, signifiant une lassitude d’autant plus
grande par rapport aux tentatives de se souvenir.
Extrait utilisé : To Be Forgotten d’un orchestre inconnu (David Rubinoff en
saxophoniste).
D3-Cette piste est plus similaire aux pistes de l’étape 1, avec un retour des
cuivres donnant un sentiment plus triomphant et glorieux que les morceaux
précédents, bien que parfois le volume de la piste est amplifié irrégulièrement,
celle-ci devenant alors un peu plus saturée, comme si ce souvenir joyeux était
un peu forcé. D’après le titre, ce sera la dernière fois qu’une piste sera à peu
près agréable à écouter, puisque le « patient » ne peut que tomber plus bas à
partir de là.
Extrait utilisé: Into My Heart de Harold “Scrappy” Lambert.
D4-L’extrait musical commence relativement normalement mais on se rend vite
compte dès que la musique prend du volume que l’écho est bien plus présent
sur cette piste, faisant se répéter des extraits du morceau, comme si cette
musique résonnait dans une grotte dont les dimensions augmenteraient de plus
en plus au fur et à mesure que le temps passe. La joie se dégagent de ce
morceau est auditivement forcée, comme une tentative désespérée de déni de
la maladie.
Extrait utilisé : You are the song de Phil Dewey.
D5-Ce morceau, censé évoquer un coucher de soleil, nous présente à nouveau
un voyage intérieur : d’abord une profonde mélancolie teintée d’apaisement,
puis des accords majeurs de cordes à l’unisson semblant évoquer une
recherche de joie désespérée, retombant dans la mélancolie avant de se
terminer sur une profonde lassitude exprimée par le violon soliste, teintée d’un
semblant d’incertitude avec les clochettes=c’est l’expression d’un abandon.
Extrait utilisé : Grand Canyon Suite - Sunset de Paul Whiteman & His Concert
Orchestra.
Illustration : Vase à l’aspect dégradé, distordu, dont l’aspect évoque vaguement
une croix, qui semble être entouré par deux formes humaines, les roses
d’aspect frêle et étiolé qui reposent à l’intérieur tendant vers plusieurs
directions : l’objet est encore identifiable mais il est impossible de savoir de
quel matériau il est fait, les roses apportant à la fois une note d’espoir par leur
présence et de tristesse par leur aspect, présageant de la stérilité croissante de
leurs racines.

Etape 3 :
E1-Puis la musique joyeuse reprend comme si de rien n’était ; seulement, le mal
est fait. L’écho est encore plus prononcé, donnant l’impression que la piste se
superpose à elle-même, et les trompettes semblent s’entremêler tandis que les
violons étirés ont des sonorités sépulcrales. C’est l’expression d’une positivité
toxique, dont le seul résultat est le malaise. La piste se coupe brusquement,
sans fondu en écho=on passe à autre chose.
Extrait utilisé : Goodnight, My Beautiful de Russ Morgan and His Orchestra.
E2-Le leitmotiv revient, mais semble avoir définitivement abandonné tout son
côté triomphant ou mélancolique pour ne garder que sa structure, vidée de son
sens : la piste possède une certaine qualité granuleuse, entourée d’un voile de
sons ambients ; le souvenir ne brûle ni par fierté ni par dépit, il ne fait que
brûler. C’est un feu solitaire au fin fond d’une caverne qui n’a même plus la
force de faire de la fumée, sensation renforcée par le long écho à la fin.
Extrait utilisé : Heartaches de Al Bowlly.
E3-La boucle de piano très courte est répétée ad nauseam, comme si le
« patient » venait de mettre la main sur une musique de son passé mais ne
parvient pas à trouver la suite de celui-ci. Les coups répétés en arrière-plan
donnent l’impression que quelqu’un ou quelque chose est enfermé derrière un
mur, frappant celui-ci pour tenter de vainement le pénétrer.
Extrait utilisé : Piano Medley of Layton & Johnstone Successes (Part 1) de
Layton.
E4-La piste de E1 revient, plus calme avec moins d’écho, comme si le « patient »
ne pouvait s’empêcher de revenir au souvenir qu’il a déjà évoqué, que celui-ci
venait « malgré lui » s’immiscer dans son espace cognitif. La trompette très
sonore au milieu du morceau donne l’impression que son cerveau lui envoie un
douloureux stimulus, sans pour autant qu’il sache à quoi est due cette douleur.
Extrait utilisé : Goodnight, My Beautiful de Russ Morgan and His Orchestra.
E5-Le morceau est à moitié noyé dans une mer de statiques et d’écho, comme
s’il s’était fait dépouiller de tous ses détails=il ne vaut même pas la peine de
s’en souvenir mais il tourne malgré tout en boucle, tentant d’être compris.
Extrait utilisé : Paddlin' Madelin' Home de Layton & Johnstone.
E6-A ce stade, les morceaux commencent à perdre leur cohérence structurelle :
l’extrait effectue des répétitions, des sauts, des rembobinages, lui dérobant
toujours un peu plus de sa logique tout en préservant une certaine harmonie.
Extrait utilisé : Stardust de Charlie Spivak & His Orchestra.
E7-Cette piste est particulièrement malaisante, voire inquiétante, composée
d’un court extrait semblant sortir d’une boîte à musique (d’où le terme
« souvenir d’enfance » dans le titre) qui, non content d’être distordue par l’écho
et les statiques, répète plusieurs de ses notes en arrière-plan, formant une
sorte de cascade de clochettes s’effondrant sur elles-mêmes.
Extrait utilisé : The Prettiest Little Song of All d’un orchestre inconnu (Albert
Benzler au glockenspiel).
E8-(Note : C’est ce morceau qui remplace la piste B3 de l’étape 1 dans la version
complète sur YouTube, se répétant ainsi 2 fois dans cette version du projet).
Un nouveau morceau cohérent fait son apparition : bien que brouillé par le
statique et semblant venir de loin à cause de l’écho, sa cohérence est
préservée. On dirait que « le patient » se remémore un moment heureux fort,
parvenant à garder le souvenir suffisamment intact (longueur plus prononcée)
pour retrouver une meilleure humeur ; mais ce moment est de courte durée,
puisque la boucle se coupe soudainement.
Extrait utilisé : Exactly Like You de Harold "Scrappy" Lambert.
F1-On nous présente un nouveau souvenir semblant garder sa cohérence
structurelle mais on voit assez vite que la répétition et l’écho le tort, l’étire
jusqu’à ce qu’il finisse par s’éteindre.
Extrait utilisé : Romance de John Boles.
F2-Mon extrait de musique favori revient, cette fois comme une mélodie
entêtante couverte d’un voile d’écho et de sons ambiants, semblant évoquer
une rumination de sombres pensées. L’écho finit par couvrir et étirer de plus en
plus la piste, les hautes notes perçant occasionnellement ce voile, comme si ce
souvenir échappait de plus en plus à son possesseur. Il est, vers la fin, presque
totalement noyé par l’écho, finissant par redevenir plus clair pour s’arrêter
brusquement, suivi par des sons statiques, comme si, alors que le souvenir
s’apprêtait à être retrouvé, il était finalement perdu à jamais.
Extrait utilisé : Lullaby of the Leaves de Layton & Johnstone.
F3-Le mur de sons est cette fois prédominant, sonnant comme des bruits
persistants de vagues. Il en sort une voix étirée au maximum, déshumanisée, à
la fois lointaine et omniprésente, comme le chant d’une créature inconnue
sortant des profondeurs de l’océan. On reconnaît une cohérence structurelle au
morceau, mais elle est complètement noyée sous les statiques.
Extrait utilisé : Il Trovatore – Miserere de Ferruccio Giannini.
F4-Le leitmotiv fait à nouveau son retour, mais abandonne à moitié sa
cohérence structurelle pour devenir des fragments de musiques étirés, répétés,
saturés, cédant à intervalles réguliers la place à un fragment plus cohérent
amplifié, comme si « le patient » retrouvait un semblant de sens à son souvenir
pour le voir s’échapper quasi-immédiatement.
Extrait utilisé : Heartaches de Seger Ellis.
F5-La piste devient intégralement un mur de son ambiant, le leitmotiv n’étant
même plus reconnaissable.
Extrait utilisé : Heartaches de Seger Ellis.
F6-Même au cœur d’un monde en train de s’écrouler, on peut trouver des
moments d’apaisement ou, en tout cas, d’une un peu moins grande confusion.
Le morceau, malgré son étirement par l’écho, possède une mélodie
reconnaissable, évoquant un joyeux souvenir d’enfance errant dans les brumes
du temps qui a momentanément retrouvé son chemin pour faire le bonheur de
son propriétaire, bien que ce bonheur soit également marqué par une forme de
vacuité=il prend fin brusquement.
Extrait utilisé : The Wedding of the Painted Doll de Victor Salon.
F7-L’écho et la répétition a complètement pris d’assaut la première boucle de
l’étape 3, devenant un amas de notes dans lequel on peut à peine reconnaître
une progression, les trompettes et les violons se confondant et le piano
devenant complètement flottant, plus ambiant que musical. Il s’en dégage un
profond sentiment de malaise teinté d’inquiétude, mettant son auditeur (moi
en tout cas) sur la corde raide.
Extrait utilisé : Goodnight, My Beautiful de Russ Morgan and His Orchestra.
F8-Le leitmotiv subit le même traitement que la piste F4, bien qu’il soit
accompagné par une suite constante de sons ambiants, évoquant vaguement
un orgue (d’où l’ajout de « deuil » dans le titre). Les seuls souvenirs qui restent
au « patient » sont des souvenirs incomplets, qui disparaissent encore de plus
en plus. Seul le pseudo-orgue reste à la fin, comme une messe funèbre de la
lucidité.
Extrait utilisé : Heartaches de Seger Ellis.
Illustration : Ce qui ressemble à un enchevêtrement de lierre ou autres plantes
grimpantes ayant vaguement la forme d’un bouquet de roses posées dans un
vase (comme dans la partie précédente), avec des couches de peinture épaisse
et baveuse, donnant l’impression d’un débordement : l’objet est à peine
reconnaissable, semblant être à la frontière entre la réalité et l’illusion.

Etape 4 :
G1-Ceux qui se concentrent sur la piste précédente, comme ce fut le cas pour
moi, seront surpris par le brutal changement de ton. Les morceaux deviennent
des sursauts musicaux incohérents pris au piège dans une tornade de
sons ambiants et c’est à peine si on reconnaît les instruments qui les
composent ou s’ils ont déjà étés joués dans les albums précédents ; certaines
« musiques » deviennent semblables au bruit d’un avion décollant, à celui
d’une voiture passant en trombe dans une rue, un volet battant au vent ou une
armoire trainée sur un carrelage, faisant d’autant plus se confondre la frontière
entre musical et sonore. Certains extraits sont plus prédominants que d’autres,
et retrouvent momentanément un semblant de cohérence, bien que couverts
par les sons statiques, avant de se refaire engloutir. Le « patient » est dans la
phase post-conscience : il ne sait plus qu’il perd la mémoire, il ne sait pas ce
que signifient la plupart de ses souvenirs et il répète ceux qui ont suffisamment
de sens pour lui, même dans les situations qui ne s’y prêtent pas. Les statiques
interrompent parfois tous les extraits superposés pendant une demi-seconde,
comme pour représenter l’équilibre précaire de cette « chaotique harmonie ».
(Vers 2 : 15 : 30, j’ai retrouvé l’un de mes extraits préférés parmi cette «
bouillabaisse sonore »)
(Vers 2 : 17 : 30, le leitmotiv revient, bien qu’influencé par une profonde
lassitude, reprenant momentanément sa cohérence toujours sur le même
extrait, avant de se faire étirer sur une note et disparaître)
(Vers 2 : 23 : 50, le leitmotiv de l’étape trois est audible, bien que morcelé et
bien vite interrompu).
(Vers 2 : 26 : 00, il n’y a qu’un seul extrait qui est joué, complètement envahi de
statiques et irrégulièrement étouffé par les sons ambiants ; il est difficile de dire
quels instruments à part le piano sont joués dans ce morceau. On entend aussi
une voix pendant quelques secondes qui disparaît aussi rapidement qu’elle est
arrivée).
(Vers la toute fin, vers 2 : 29 : 00, la tornade laisse la place à ce qui peut se
décrire par un bruit de micro saturé enregistrant l’extérieur duquel perce des
musiques tentant d’avoir de la cohérence mais échouant lamentablement,
finissant par êtres noyés sous les statiques.)
Ce n’est définitivement pas quelque chose d’agréable à écouter, et le sentiment
de confusion qui s’en dégage semble être au moins aussi intense pour l’auditeur
que pour le « patient » qui le vit.
H1-La tempête de sons devient plus une suite d’extraits musicaux semblant être
en plein pugilat, les souvenirs se battant pour se donner le droit d’être
remémorés sans jamais pouvoir prendre l’ascendant les uns sur les autres ; les
statiques viennent distordre voire interrompre pendant une seconde les dits
morceaux, l’équilibre précaire devenant de plus en plus apparent. Les murs de
sons ambiants deviennent de plus en plus prédominants au fur et à mesure ; on
distingue des éclats de voix profondes qui finissent par s’évanouir. A 2 : 37 : 40,
des souvenirs plus forts que les autres commencent à jeter des éclats
désespérés, étouffés de plus en plus longtemps par les silences (même pas
accompagnés de statiques, représentant l’état de vacuité croissant de l’esprit du
« patient »). A 2 : 43 : 00, les sons ne se battent plus et ne sont plus que des
sons ambiants accompagnés par des éclats de statiques ressemblants à des
vagues s’écrasant sur des côtes pour les éroder peu à peu, avant de
recommencer leur pugilat de façon encore plus intense. Vers 2 : 45 : 00, le ton
change radicalement, devenant une sorte de mur de son sinistre traversé
d’éclats qu’on peut reconnaître comme des percussions, allants crescendo
avant de devenir une sorte de cri perçant descendant semblable à une sirène
d’alarme étirée, ce moment étant désigné par la communauté comme celui des
« sirènes infernales », avant se terminer sur le même mur de son traversé de
statiques, le tout représentant possiblement un syndrome de stress post-
traumatique pouvait renvoyer au passé militaire du « patient ». Vers 2 : 48 : 00,
le mur ambiant devient compact et recouvert de craquements de statiques,
comme si la structure même de cette harmonie chaotique était en train de se
briser ; il n’y a que des sons éthérés de piano servant de toile de fond, peu à
peu envahi par des cuivres semblant être en souffrance qui finissent par les
remplacer totalement.
(Vers 2 : 42 : 20, le leitmotiv de l’étape 3 revient).
Extrait utilisé pour les « sirènes infernales » : Granada de Mantovani & His
Orchestra.
I1-L’ambiance change radicalement : la toile sonore est désormais composée de
bruits à la fois stridents et éthérés de la mélodie de boîte à musique de la piste
E7, sans aucun semblant de mélodie mais faisant s’en dégager une certaine
harmonie, comme si quelqu’un jouait la partition d’une musique qu’il aime bien
les yeux bandés, évoquant une sorte de troublant apaisement, un moment où
la remémoration laisse la place à une calme introspection traversée par des
sursauts de souvenirs tellement brouillés qu’ils en deviennent agréables ; le
« patient » éprouve une sorte de complaisance dans le chaos, une confusion où
il trouve malgré tous des choses qui lui parlent. Cependant, on sait que cet état
est temporaire et que tout reviendra bientôt à la désorientation pure. Vers 3 :
06 : 00, les sons commencent à devenir plus éthérés que stridents, créant un
espace aérien où le chaos devient toile de fond et les sons ambiants deviennent
d’autant plus apaisants, semblant évoquer une magnifique nuit polaire sur une
planète aliène morcelée, une sorte « d’horreur boréale ».
Extrait utilisé : The Prettiest Little Song of All d’un orchestre inconnu (Albert
Benzler au glockenspiel) [Superposé à soi-même fois 5]
J1-Après le répit, la peur, alors que les extraits musicaux recommencent à se
battre avec un ton d’autant plus lassé puisque la plupart ont des notes répétées
en boucle. Des sons éthérés similaires à la partie précédente sont toujours
présents et essayent de se maintenir mais sont finalement submergés par les
sonorités ambiantes, la beauté des souvenirs se faisant écraser constamment
par la progression de la maladie, s’arrêtant avant de repartir de plus belle
comme une sorte de cercle vicieux. Les murs de sons deviennent de plus en
plus omniprésents à partir de 3 : 19 : 00, les moments de beauté
s’interrompant eux-mêmes pour laisser la place aux sons de trompettes
d’outre-tombe, de plus en plus désespérés. Ces sons éthérés finissent par être
morcelés par les statiques vers 3 : 22 : 30 pour finalement se fondre dans
l’arrière-plan sonore. Vers 3 : 24 : 00, un morceau a l’air d’avoir un peu plus de
cohérence que les autres mais semble très lointain, comme joué à travers les
écouteurs d’une très vieille radio avant de se couper. Vers 3 : 25 : 00, un espace
se crée à nouveau mais avec des sons durs, terrestres, à l’opposée de la
légèreté de la piste précédente, traversé de douloureux accords de violons et
de piano si étirés qu’ils pourraient être tout autre chose. Le son finit par tout
recouvrir, les statiques prenant toujours plus de consistance avant de
s’estomper pour laisser place, à 3 : 28 : 30, à un accord très flottant de piano
envahi peu à peu par le retour des statiques, l’accord s’amplifiant de plus en
plus pour les percer à intervalles réguliers (la saturation intense finissant par
ressembler au hurlement du vent, emportant les derniers résidus de souvenirs).
Cette piste est vraiment triste car, peu importe la persistance des moments les
plus heureux de l’esprit, même vidés de leur substance, qui refusent de se
laisser envahir par l’oubli, ceux-ci finiront immanquablement par disparaître.
C’est une bataille perdue d’avance qui se déroule, mais « le patient » n’en a
même pas conscience.
Illustration : Ce qui ressemble vaguement au portrait d’une femme, défiguré et
même incohérent dans les lignes qui le compose, semblant être fait d’un amas
de tissus, où il est impossible de reconnaître des traits de visage (bien que sa
structure ait une certaine similitude avec « La jeune fille à la perle » de
Vermeer): c’est une forme à la fois familière et inaccessible, comme quelqu’un
voyant le souvenir de dos d’une personne qui lui est chère, courant vers elle
sans jamais pouvoir l’atteindre ou entrevoir son visage.

Etape 5 :
K1-La confusion mélancolique de la piste précédente finit par céder la place au
chaos, pur et simple, sans aucune tentative d’harmonie ou semblant de combat
entre les morceaux ; ils n’ont plus aucune volonté propre et sont tous à la merci
d’un terrible flot destructeur venant éteindre toutes les dernières braises de
conscience chez « le patient ». On peut distinguer çà et là des éclats de voix,
des sons de trafic, des sifflements ou ce qui ressemble à des cris ou des
applaudissements ; ici, les statiques vont et viennent au gré des perturbations,
mêmes eux étant à la merci de cette force de destruction. Vers 3 : 40 : 00, un
morceau calme et cohérent se joue tout à coup, bien qu’envahi de statiques
mais, avant même qu’il ne se termine, la destruction reprend à nouveau son
cours. Il en est de même vers 3 : 42 : 00, bien que des sons plus durs ne le
recouvrent partiellement. Vers 3 : 43 : 00, il se produit un moment plus calme,
sans mélodie reconnaissable, constitué d’un mur sonore aux tons graves avec
des bruits de trompettes mal-entretenues résonnant comme des chants
d’oiseau ou des sons de clochettes très rapides et qui semblent être inversées.
Le « patient » ne reconnaît plus grand-chose, et même les moments auxquels il
peut occasionnellement se raccrocher lui échappent, comme s’il essayait de
retenir un filet d’huile avec une passoire. Vers 3 : 48 : 00, le mur de son devient
si épais que toutes les tentatives musicales ne sont presque pas perceptibles :
c’est énormément de bruit pour rien. Le chaos « classique » reprend vers 3 :
50 : 00, avec un peu plus d’instruments reconnaissables comme le piano, les
trompettes et le violon, comme si on assistait à un concert de particules mises
bout à bout qui s’éparpillent peu à peu. Ces espaces musicaux sont vites réduits
à une suite de notes flottantes dont le sens a été complètement perdu. Vers 3 :
54 : 30, un semblant de mélodie éthérée peut être entendue à demi, avant de
se faire assaillir par une tempête de statiques sur lequel on entend une sorte de
voix de présentateur (après recherche, celui-ci dit "This selection will be a
mandolin solo by Mr. James Fitzgerald."), cédant la place à une mélodie à peine
perceptible d’un instrument à corde pouvant par moments être confondu avec
une voix, alors que des sons de piano et de trompettes ambiants persistent en
arrière-plan. Une fois la mélodie terminée, l’inéluctable chaos reprend.
Le ton de cette piste est franchement terrifiant, donnant l’impression que le
cerveau a littéralement « bugué » et passe en revue tout son contenu en train
de se faire irrémédiablement supprimer sans voir et encore moins comprendre
celui-ci.
Extrait utilisé pour le premier moment de clarté : Was it a Dream? de Dick
Powell.
Extrait utilisé pour le deuxième moment de clarté : I'm Following You de
Lawrence Gray.
Extrait utilisé pour le « solo de mandoline » : El Capitan March de James
Fitzgerald.
L1-Le chaos continue, et une mélodie semblable à celle de la boîte à musique
revient, avec du statique toujours plus rageur, les instruments criant à
s’arracher la gorge et les voix lançant des accords quasi-imperceptibles vers le
ciel obscurci (métaphore filée sur la frontière entre les deux qui devient de plus
en plus mince). Vers 4 : 04 : 30, on entend des accords de trompettes sans
queue ni tête cédant la place, vers 4 : 05 : 10, à un espace chaotique de
musique inaudible entourée d’à-coups statiques ressemblant à des pas dans la
neige (de ces pas effacés dès qu’ils ont été faits) pris dans une violente tempête
limitant la vision de l’esprit, tempête qui finira par geler l’intégralité du cortex
cérébral. Vers 4 : 14 : 30, des accords de trompettes et des suites de
percussions retentissent pour mieux se perdre à nouveau dans ladite tempête.
Pendant l’écoute que cette piste, je sens que je plonge peu à peu dans un état
de transe légère, faisant des choses machinalement sans m’en rendre compte
ou oubliant de faire des choses spécifiques que je venais d’entamer ; cet album
est physiquement dur à écouter.
M1-Le statique disparaît totalement pour créer un nouvel espace aérien aux
sons stridents très lointains, dépeignant la vacuité de plus en plus prononcée
du cerveau du « patient » subissant une régression de son comportement ; tout
lui est étranger et familier à la fois, faisant s’en dégager une sensation de
réconfort totalement vide, dans le sens où l’absence de la douleur due au
souvenir est réconfortante puisqu’elle est moins terrifiante. Ici et là percent des

sons plus forts que l’anormale (😉), surtout à 4 : 28 : 40 où on entend des sons
produits visiblement par des instruments. Vers 4 : 29 : 30, le chaos commence à
revenir soudainement, reléguant l’espace ambiant en arrière-plan et produisant
des sons instrumentaux très vaguement mélodieux similaires aux
gémissements désespérés d’un animal sauvage. L’espace ambiant, vers 4 : 32 :
00, commence à s’amplifier de plus en plus, avant de soudainement s’éteindre
vers 4 : 33 : 50 pour faire s’y installer des sons brouillés. Vers 4 : 36 : 30, un
nouvel espace essaye de se créer pour à nouveau s’éteindre et céder devant ces
musiques complètement brouillées, devenant de plus en plus intenses vers 4 :
38 : 00, ressemblant parfois au bruit d’un piano se heurtant à un mur. Des
mélodies au piano complètement distordues semblent dialoguer avec les
trompettes décrépies, pour finalement ne mener à rien. C’est comme ça qu’on
pourrait résumer la piste : tout ce qui a lieu ne veut rien dire, sinon que tout est
en train de mourir.
N1-Les sons statiques sont prédominants dans l’ouverture de cette piste,
ressemblant autant à l’impact de trombes de pluie ou à un courant d’air infernal
qu’à une foule en délire dans un stade. Les extraits musicaux commencent et
s’arrêtent en une demi-seconde, repartent et font demi-tour, ou restent
pendant plusieurs secondes sur une note avant de disparaître, certaines
sonnant comme des voix artificielles ou des « bips » sonores ; à cela s’ajoutent
des percussions résonnant en écho, comme si l’entièreté de l’immense grotte
servant lieu de cerveau était secouée de spasmes perturbant ses fondations.
Vers 4 : 49 : 00, un piano sonore semble encore avoir un semblant de
progression mélodique agitée de perturbations statiques et ce qui ressemble à
des rembobinages. Le statique finit par s’interrompre brusquement vers 4 : 54 :
00, laissant le piano en solo, recouvert du même mur de son ambiant. A 4 : 56 :
00, la mélodie au piano est parfaitement perceptible avant se dégrader peu à
peu pour disparaître sous des sons éthérés mais brutaux, agités par des sortes
de percussions ressemblant à des bruits de respirations irrégulières, comme si
la bête tapie au fond de cette caverne quasi-vacante s’imposait comme le seul
locataire=ce parallèle permet de mettre en valeur l’aspect inhumain de la
maladie. S’en suit une suite de mugissement sonores agités par des sons de
piano difficilement reconnaissables et s’interrompant constamment.
Si, dans tout cet album, on peut voir une certaine influence de la « noise
music », avec ses suites de sons dénaturés et perçants au caractère violent, sa
fin crée un espace ambiant angoissant, semblant montrer que même si la
destruction se poursuit, il n’y a plus grand-chose à détruire et tout ce qui reste
résonne comme le vague écho d’une pensée floue venue d’un souvenir oublié.
Extrait de la mélodie claire au piano : Piano Medley of Layton & Johnstone
Successes (Parts 1 + 2) de Layton.
Illustration : Une silhouette apparemment humanoïde composée de formes
abstraites et d’excroissances au matériau définitivement inconnu, ayant l’air de
descendre un escalier ne menant nulle part, représentant un équilibre instable
et très aléatoire : cette forme a été purgée de toute familiarité ne laissant que
l’expression d’une violence vide de sens.

Etape 6 :
O1-C’est littéralement le néant qui nous est présenté. Le statique est toujours
présent mais ne couvre plus rien, sinon divers sons qui n’ont plus rien de
musical, certains ressemblant à des vagues ou à des bruits métalliques, tous
résonnant de façon irrégulière comme s’ils étaient étouffés sporadiquement
par le silence. Le calme règne, mais c’est un calme pesant, perturbant, un calme
insupportable après tout ce qui a déjà été traversé. C’est la béatitude que
souhaitait tant le « patient » après toutes ces douleurs dues au souvenir mais il
ne peut pas en profiter, il ne peut plus profiter de rien. Il n’a ni conscience de
ceux qui l’entourent, ni conscience de lui-même, ni conscience de son passé et
c’est à peine s’il peut se rendre compte de son présent. Vers 5 : 12 : 00, des
sons plus forts que les autres, semblables à des grincements de porte en écho,
tentent de percer ce mur vaporeux à intervalles réguliers mais comment peut-
on franchir ce qui est partout ? Vers 5 : 17 : 30, un piano commence à jouer des
notes perceptibles mais espacés qui finissent par se fondre dans l’arrière-plan
sonore pour ressurgir vers 5 : 21 : 30 pour s’étioler et céder la place à une voix
très lointaine ressemblant vaguement à celle d’un chanteur d’opéra intervenant
de façon éparse dans tout le reste de la partie. Des vagues de souvenirs si
mélangés et lointains qu’ils en sont totalement méconnaissables envahissent
momentanément le sol instable du cerveau du « patient » mais sont
immédiatement englouties par les multiples crevasses qui le composent
maintenant ; un piano tente de s’imposer à la toute fin mais les statiques le
submergent impitoyablement.
Pour ne rien arranger, mon écoute de cette partie de l’album est accompagnée
au-dehors par de la pluie, recouvrant le ciel d’un voile sombre et mon espace
sonore proche d’une myriade de sons insistants et presque statiques en la
présence de gouttes d’eau, faisant se fondre les deux univers d’une façon que je
ne puis décrire.
P1-Dans cette piste, les craquements sont les maîtres absolus, envahissant
l’espace créé par les vagues bruits de piano comme ils le souhaitent, le noyant
avant de repartir en arrière-plan pour mieux revenir. On a l’impression
d’assister en direct à la destruction du cerveau du « patient » se corrodant de
plus en plus sous l’influence de cette maladie inhumaine, laissant apparaître
des crevasses toujours plus élargies, des espaces toujours plus douloureux dans
les extraits sonores. Vers 5 : 33 : 40, des percussions de plus en plus sonores
interviennent irrégulièrement, ainsi que des vagues de sons ambiants finissant
par être jouées quasiment au même volume que les craquements, les dominant
occasionnellement. Le tout finit par former un véritable tourbillon sonore très
très très vaguement musical constamment en sourdine presque aussi difficile à
écouter que le chaos pur de l’étape précédente. Vers 5 : 41 : 50, le tourbillon
s’estompe pour reprendre son schéma des craquements envahissant des
vagues sonores. Vers 5 : 44 : 30, diverses vagues de genres différents
accompagnés de craquements tentent de percer à nouveau, surtout un bruit de
trompette très grave. Vers 5 : 46 : 50, lesdites vagues deviennent plus
ambiantes et de tonalités diverses, faisant se succéder l’apaisement à
l’étrangeté à la douleur avant de s’interrompre purement et simplement.
Ma respiration se fait courte, je commence à avoir de légers maux de tête et j’ai
de plus en plus de mal de rester focalisé sur l’écoute du projet ; j’ai quasiment
abandonné toutes mes autres activités pour me concentrer là-dessus. Je
commence à en avoir vraiment marre de tout ce silence strident et ne souhaite
qu’une chose, c’est que ça se termine.
Q1-Désormais, c’est l’espace ambiant qui domine le début de cette piste ; les
vagues sonores en font partie intégrante (mélangeant ce qui ressemble à du
piano, des trompettes et des percussions) et retentissent tout à travers celui-ci,
parfois de façon trop amplifiée. Vers 5 : 50 : 50, un accord de piano résonne, si
beau qu’il en devient presque cristallin, avant de repartir sur les trompettes
vaporeuses. Il retentit à nouveau vers 5 : 52 : 25 et à de multiples reprises par la
suite avant de s’estomper vers 5 : 53 : 50 pour ne laisser que les statiques
résonnant comme de la pluie. Vers 5 : 55 : 20, un nouvel espace se crée,
reprenant des sons de piano éthérés recouverts d’une bonne couche de son
ambiant, s’interrompant et reprenant à de multiples reprises avec quelques
bruits de coups en écho résonnant çà et là. A 5 : 58 : 10, un craquement
particulièrement sonore se fait entendre avant de s’estomper pour laisser
reprendre le piano nébuleux, qui devient beaucoup plus grave et amplifié vers
6 : 00 : 00, comme si quelque chose semblait se réactiver, avant de se
transformer en vague sonore emplissant tout l’espace pour retomber puis se
reprendre. Ici, les silences sont extrêmement douloureux car, même si le
« patient » est devenu complètement apathique, il reçoit à intervalles
irréguliers des stimuli qu’il ne comprend pas et qu’il se contente de laisser
résonner contre les parois de son crâne, incapables de réactiver un quelconque
souvenir et se contentant de disparaître, quel que soit leur force. Le piano aigu
et le piano grave reprennent de plus belle et de concert vers 6 : 03 : 30, avant
de se laisser absorber par le fond sonore qui monte en flux inaudible. A 6 : 07 :
00, un nouveau mur de son de trompettes voilées perce l’écho, comme une
sorte de moment de « semi-clarté », pour mieux s’évanouir et laisser la place au
piano qui meurt lui aussi avant de remonter soudainement de toutes ses forces
vers 6 : 08 : 00 pour finalement disparaître tout à fait.
C’est absolument terrifiant de se dire que, peu importe que tu aies profité de ta
vie au maximum, fait des rencontres formidables, eu des expériences
absolument enrichissantes et ait été le plus heureux possible, tu risques à tout
moment de voir tout ça t’échapper progressivement, se réduire peu à peu à des
échos de rumeurs de murmures de reflets de choses perdues depuis
longtemps. La personne qui s’est fait enlever tout ce qui le compose, tout ce qui
fait sa vie, tout ce qui fait de lui « lui-même », peut-il être encore considéré
comme la même personne ?
Extrait composant les fondations du moment de semi-clarté : This is Romance
de Wendell Mayhew.
R1-Le début de la piste est quasiment vide, encore plus qu’avant, avec un vague
bruit de statique silencieux dessinant l’arrière-plan, alors que des formes
sonores naissent et disparaissent. Vers 6 : 11 : 00 se crée un espace ambiant
aérien qui s’estompe lui-aussi avant de se recréer pour reprendre régulièrement
le cycle. Soudain, vers 6 : 15 : 40, cet espace est abandonné pour un nouvel
espace bien plus audible, dont les sons éthérés à la tonalité fluide peuvent être
clairement identifiés comme provenant d’un orgue, semblant évoquer une
ascension vers un nouveau plan d’existence ou une accession à un savoir depuis
longtemps oublié. Les stimuli qu’éprouve le « patient » semblent atteindre leur
point culminant ; c’est comme s’il commençait à s’éveiller d’un long rêve ou à
sortir d’un état de transe et qu’il voyait des formes danser autour de lui, des
objets ou des personnes qui n’ont pour l’instant pas de sens lui revenir en écho
dans la tête, des partitions brûlées pour le plaisir d’être brûlées commençant à
se recomposer dans une valse étrange, peut-être inquiétante mais tellement
fascinante. Puis, à 6 : 24 : 15, un crissement d’aiguille fait cesser le tout. On
entend alors des chaises bouger, des toussotements, puis une mélodie au piano
à la fois lointaine et toute proche qui retentit, comme si c’était quelque chose
que le « patient » vivait en direct. Un chœur d’église incompréhensible et
saturé accompagne cette mélodie, évoquant soit la mort de notre protagoniste
inconnu, soit la phase de « lucidité terminale » où certains souvenirs semblant
avoir servi de pâture à la maladie corruptrice ressurgissent soudainement, en
réponse à l’impulsion indiquant une mort imminente; dans ce cas, il lui revient
alors des images de lieux maintenant familiers, celles d’objets qu’il est à
nouveau capable de reconnaître et celles de proches autrefois totalement
étrangers qu’il ressent maintenant le besoin urgent d’appeler, les avoir près
d’eux pour leur dire une dernière fois qu’il les aime et qu’ils les a toujours aimé.
Ce n’est pas une mort glorieuse ou héroïque, car il n’y a pas de fierté à retirer
du fait d’avoir momentanément pu échapper à une force gangréneuse qui avait
déjà gagné depuis longtemps ; c’est une mort simple, banale, même un peu
pathétique, où l’une des dernières pensées du « patient » est le regret d’avoir
passé ses dernières années dans la solitude. Puis, 1 minute avant la fin, tout se
coupe ; le reste n’est que silence, comme un hommage funèbre envers toutes
les victimes d’Alzheimer et autres maladies neuro-dégénératives, dont le
souvenir restera gravé dans les cœurs de leurs familles, de leurs amis et de tous
ceux qui les ont connus.
En écoutant la dernière partie de la piste, j’ai éprouvé de véritables frissons
dont je ne saurais déterminer la nature (si c’était de plaisir ou de tristesse). Bien
que je susse qu’elle arrivait, ce dernier extrait fut pour moi un véritable coup de
poing dans le ventre, fusionnant le soulagement immense de réentendre de la
musique claire et cohérente et la douleur de savoir que cela représente les
derniers instants de la vie d’une personne unique avec un passé, un présent, un
avenir et tout ce qui constituent ces derniers, réduits à un dernier moment de
profonde affliction précédant la disparition de sa « place dans le monde ».
Extrait de l’espace sonore créé par l’orgue : Prelude and Fugue in E Minor / A
Song of Sunshine (BWV 533) d’un organiste inconnu.
Extrait du moment de « lucidité terminale » : O Jesu Christ d’une chorale
inconnue.
Illustration : Une toile vue de dos : l’être tout-entier est bien là, à portée d’œil,
mais reste totalement inaccessible, la seule chose visible étant le vide et les
bouts de scotch qui soutiennent (tant bien que mal) cette dernière. Cet objet ne
représente rien, ou représente plutôt la fin ; la fin d’un univers mental, la fin
d’un combat, la fin d’une vie, bref, la « fin des temps ».

EATEOT est un projet musical expérimental très émotionnellement puissant qui,


pour ceux n’ayant pas une force mentale suffisamment épanouie, sera
absolument dévastateur, mais qui fera ressortir grandis ceux qui parviennent à
aller jusqu’au bout de celui-ci, avec une meilleure compréhension de la fragilité
de l’esprit humain. C’est honnêtement l’une des meilleurs œuvres de
sensibilisation aux maladies neuro-dégénératives que j’ai pu voir et entendre de
toute ma vie (bien que je n’en connaisse pas beaucoup) ; ma vie ne sera peut-
être pas chamboulée par son écoute mais, au moins, je pourrais dire que j’ai
regardé l’incarnation de la Mort de l’Esprit droit dans ses (métaphoriques) yeux
pour lui dire « je te comprends mais je ne t’estime pas ».
Après cette écoute de 6h30, je suis sorti dans mon jardin et j’ai vu la lumière du
soleil percer les nuages de pluie pour en descendre en rayons diaphanes, le ciel
bleu se découpant à l’horizon, ce qui m’a inspiré cette conclusion: même si
notre vie terrestre est marquée par une forme de finitude, arrivant même plus
tôt que prévu chez quelques individus par un inexplicable concours de
circonstances, celle-ci vaut toujours la peine d’être vécue car, derrière chaque
moment de souffrance, il y a un moment de bien-être qui attend de se
produire.

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