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Le mouvement des enclosures en Angleterre (XVIe – XVIIIe siècle)

« Vos moutons, que vous dites d'un naturel doux et d'un tempérament docile, dévorent
pourtant les hommes… »1 Voici comment, au détour d’une phrase remarquable qui marqua de
son emprunte l’historiographie, Thomas More, alors au service de la Couronne d’Angleterre,
décrivit les balbutiements du mouvement des enclosures, desquels il fut contemporain. Si,
pour servir la rhétorique de son Utopie, l’humaniste nous peint une Angleterre
métamorphosée par un phénomène qui le dépasse, lui, et l’aristocratie qu’il sert, c’est qu’il est
perçu comme nocif, toxique, ruineux pour un État se relevant tout juste de deux siècles de
marasmes. La symbolique biblique est détournée. Sous la plume de More, le mouton,
allégorie de l’innocence, se fait « vorace et féroce », « [mangeant] même les hommes ».
L’humaniste nous a léguer un des premiers témoignages et une des premières réactions vis-à-
vis d’un phénomène qui bouleversa l’Angleterre des temps modernes. Les siècles s’écoulant,
les clôtures couvrirent l’archipel. Le phénomène se généralisa, alors que les Îles Britanniques
quittaient l’ère de la modernité pour s’engouffrer dans l’« ère du Capital ».2
Le mouvement des enclosures se défini par l’appropriation de territoires par des
particuliers, mettant progressivement fin à l’openfield, le paysage agricole à champs ouverts,
pour laisser la place à des pâturages ou des champs clos. Le mouvement des enclosures
caractérise, dans la sphère agricole, le passage de la propriété collective des tenures
communales à la propriété privée de champs clos. Les enclosures menèrent à la fin des droit
d’usage, des droits communaux dont dépendaient alors beaucoup de paysans. On sait que les
enclosures existent déjà, au moins depuis 1236 et le Statut de Merton garantissant le droit des
seigneurs à enclore les communaux. Le mouvement des enclosures pris son envol au XVI e
siècle lorsque de riches propriétaires fonciers transforment des pâturages et des champs
communs en pâturages fermés pour des troupeaux de moutons, forts de l’expansion du
commerce de la laine. Nonobstant les oppositions populaires et nobiliaires, les champs clos
l’emportèrent sur les communaux, vieil héritage d’une féodalité perdue.
L’historiographie s’est rapidement saisie de cette question. L’historiographie
traditionnelle fut, pour sa grande part, marquée par les travaux des historiens marxistes. Karl
Marx arguait, dans la huitième section du premier tome du Capital, que les riches
propriétaires terriens utilisèrent leurs place dans le processus productif pour s’approprier les
terres collectives à leurs propres fins. Le philosophe explique ainsi que ce processus
d’« accumulation primitive du capital » fut la condition sine qua none à l’émergence et à
l’essor du « mode de production capitaliste » en Angleterre ; le mouvement des enclosures
créant une classe ouvrière chassée de ses terres d’origine et contrainte de vendre sa force de
travail à l’industrie naissante.3 L’historien marxiste Edward Palmer Thompson, dans son
ouvrage phare The making of english working class démontre la corrélation entre les
prémisses de la Révolution industrielle britannique et l’explosion des ventes de terrains

1 Thomas More. L’Utopie. 1516.


2 Eric J. Hobsbawn. The Age of Capital : 1848 – 1875. Weidenfeld & Nicolson, 1975.
3 Karl Marx. « Huitième section : L’accumulation primitive du capital » dans Le Capital, Tome I. 1867.
privées et de la destruction graduelle des droits communaux. 4 Des historiens non-marxistes
remirent en perspective cette vulgate traditionnelle. Il ne s’agissait pas de la contredire, mais
de la compléter. Ainsi Alan Armstrong s’attela à prouver que le phénomène eut des impacts
variables selon les régions ; les problèmes agricoles de la période ne furent pas causés par les
enclosures en elles-mêmes mais par l’exode rural et la surpopulation dans les campagnes. 5 Le
principal débat historiographique relatif au mouvement des enclosures demeurent son rôle
dans les progrès agricoles et industriels que connut l’Angleterre du XVIII e siècle. Ici encore,
Marx fut l’un des précurseurs dans la compréhension que nous avons aujourd’hui du
phénomène. Dans Le Capital, il développe l’idée que les enclosures jouèrent un rôle
primordial du passage de ce qu’il dénomma « mode de production féodal » au « mode de
production capitaliste ».6 Les enclosures auraient transformé la valeur des terres : de moyens
de production de subsistance, celles-ci devinrent des moyens de produire du profit par la vente
des surplus sur le marché de l’« économie-monde ».7 S’opère un renversement dialectique,
l’intérêt primaire de la production agricole n’est plus sa valeur d’usage mais sa valeur
d’échange. Mark Overton, quant à lui insiste sur l’importance des surplus agricoles et des
progrès techniques permis par les enclosures dans le processus d’industrialisation du pays. 8
Cette historiographie reste toujours majoritaire, même si, comme nous le verrons
ultérieurement, elle vient à être questionnée par les recherches les plus récentes.
Le mouvement des enclosures est corrélatif et constitutif de transformations radicales,
socio-économiques, techniques, juridiques et politiques, qui transformèrent l’Angleterre
moderne. Il provoqua des bouleversements en chaînes, spatiaux, juridiques et socio-
économiques. L’Angleterre s’en trouva métamorphosée. (I) De telles transformations ne
purent triompher sans provoquer des résistances, populaires et aristocratiques. Aussi bien dans
les Parlements que dans les campagnes embrasées par la colère des miséreux, la question de la
privatisation des communaux fut un véritable champ de lutte politique. (II) De ces
transformations socio-économiques, politiques et culturelles découlent un véritable bond
qualitatif dans le domaine des techniques et de la production agricole. Le mouvement des
enclosures seraient, à en croire l’historiographie traditionnelle, vecteurs de progrès
technologiques et économiques. (III)

Le mouvement des enclosures n’est pas homogène, ni uniforme. Il fut, au contraire,


disparate et fluctuant selon la législation ou les conditions économiques et géographiques des
régions qu’il métamorphosa. L’archipel, transformée par les siècles d’essor du champ clos, fut
triplement transformée ; des bouleversements juridiques, géographiques et socio-économiques
débouchèrent de la fin des communaux.
Comparez les campagnes anglaises de l’aube du XVIe siècle à celles du crépuscule du
XVIIIe siècle et une chose vous sautera aux yeux : les paysages furent métamorphosés.

4 Edward P. Thompson. The Making of the English Working Class. New York, Pantheon Books, 1964.
5 Alan W. Armstrong. « The Influence of Demographic Factors on the Position of the Agricultural Labourer in
England and Wales, c.1750–1914 ». dans Agricultural History Review, 29, 1981.
6 Karl Marx. Ibid.
7 Fernand Braudel. Civilisation matérielle, économie et capitalisme : XVe-XVIIIe siècle. Paris, A. Colin, 1967.
8 Mark Overton. Agricultural Revolution in England: The transformation if the agrarian economy 1500–1850.
Cambridge University Press. 1996.
A l’orée du XVIe siècle, l’Angleterre est déjà traversé par ce phénomène séculaire. Près
de 90 % des terres des communautés étaient encloses dans le Kent, le Devon, le Cheshire, le
Lancashire, le Cornouaille et le Monmouthshire ; 75 % des terres dans le Shropshire ; 40 % à
60 % des terres du Sussex, du Surrey et du Herefordshire. 9 Thomas More n’était presque pas
dans l’hyperbole lorsqu’il dénonçait des moutons « qui couvrent toute l’Angleterre ». Dans
les zones principalement dédiées à la pâture, les enclosures protégeaient les champs des
paysans contre les troupeaux des grands propriétaires terriens, susceptibles de détruire, sur
leur passage, leurs terres. Dans la même période, la population globale de l’Angleterre
augmente. Selon Gregory King, l’Angleterre serait passé de quatre millions d’habitants en
1579 à cinq millions quatre cents mille en 1688.10 Roland Marx, dans son Histoire de la
Grande-Bretagne décrit un taux d’élévation annuel de la population d’1 %.11 Selon lui,
l’augmentation de la population aurait été une condition préalable au développement des
enclosures. L’accroissement de la main-d’œuvre disponible fut indispensables pour les grands
travaux de défrichements et de clôtures, ainsi que pour le développement d’industries textiles
se nourrissant de la matière première issue des champs clos. Avec l’essor d’une proto-
industrie laineuse, les besoins de matières premières augmentèrent, faisant corrélativement
s’accélérer le phénomène de privatisation des champs, afin de les dédier au commerce de la
laine. S’ajoute à cela une conjoncture économique favorable favorisant le commerce de la
laine sur les marchés européens.
L’accélération du phénomène est net à partir du XVII e siècle. Selon J.R. Wordie, les
enclosures correspondent à 45 % du sol de l’Angleterre en 1500.12 Elles correspondent à 71 %
des terres en 1700 ; et à 91 % des terres en 1914. L’augmentation du nombre d’enclosures fut
spectaculaire. Les travaux récents ont montré que le XVIIe siècle est le siècle charnière du
mouvement. Si l’augmentation du nombre d’enclosures est de 2 % pour le XVIe siècle, et de
13 % pour le XVIIIe siècle, il est de 24 % pour le XVIIe siècle.13 Notons cependant que cette
chronologie doit être appréciée en connaissance de grandes variations locales.
Les paysages et les échanges marchands anglais furent bouleversées. Comme l’écrivit
Christine Jordis, « l’Angleterre des haies a succédé à celle des campagnes ouvertes ».14 Il en
est logiquement de même pour les juridictions, s’adaptant aux desiderata des possédants,
véritables maîtres du jeu politique et des décisions juridiques.
Avant que le mouvement des enclosures viennent les détruire, les pratiques collectives
étaient très répandu ; les droits communaux les encadraient.
Les droits communaux, c’est-à-dire « les droits exercés collectivement sur les terres du
finage par les habitants d’une paroisse »,15 s’appliquaient à deux espaces. D’une part, ces
droits s’appliquaient aux openfields et aux commonfields, considérés comme des biens
communaux utilisés collectivement. Selon Gordon E. Mingay, les droits communaux furent

9 Stéphane Jettot. François-Josph Ruggiu. L’Angleterre à l’époque moderne. Armand Collin, U, 2017.
10 Gregory King’s estimate of population and wealth, England and Wales, 1688.
11 Roland Marx. Histoire de la Grande-Bretagne. Paris, Perrin, Tempus, 2004.
12 J. R. Wordie. Enclosure in Berkshire, 1485-1885. Berkshire Record Office, 2000.
13 Annie Antoine, Jean-Michel Boehler, Francis Brumont. L’agriculture en Europe occidentale à l’époque
moderne. Paris, Belin Sup, 2000.
14 Christine Jordis. Le Paysage et l’Amour dans le roman anglais. Seuil, Le don des langues, 1994.
15 Annie Antoine, Jean-Michel Boehler, Francis Brumont. Ibid.
anciennement établis au profit des occupants des fermes et des cottages.16 Ces droits
communaux assuraient une certaine égalité entre les membres de la communauté villageoise.
Par exemple, dans des villages d’openfields où les prairies avaient été enrichies par les
inondations de l’hiver, celles-ci étaient redistribuées de sorte que chaque fermier puisse avec
les mêmes chances que les autres d’obtenir les meilleurs pâturages.
Ces droits touchaient une grande partie des paysans britanniques. J. M. Neeson, étudiant
le cas du Northamptonshire au XVIIIe siècle, expliqua qu’en moyenne, 37 % des paysans
avaient accès aux droits communaux.17 N’oublions pas que ces taux devaient, en réalité, être
supérieurs car l’étude fut portée spécifiquement sur la land tax, ne faisant qu’apparaître la
location des terres. Dans certaines paroisses, même les immigrants et les squatters avaient le
privilèges de profiter des droits communaux. 18 Gordon E. Mingay insiste sur le fait que les
motivations des propriétaires étaient multiples. Selon les sources analysées par l’auteur,
l’épicentre du phénomène se trouve dans la modification du système de perception des dîmes,
dédommageant les propriétaires par une dotation en terre. 19 Une autre motivation est purement
économique. Dans les Midlands et dans le Cumberland, des champs furent privatisés pour que
le propriétaire puisse dédier son activité à l’extraction de charbon. Comme l’étudièrent John
Lawnrence et Barbara Hammond dans leur ouvrage The Village Labourer, certaines zones
marécageuses furent encloses pour être drainée et transformée en pâturages.20 Si les
motivations pour enclore furent variées, une constante demeure : la suppression des droits
communaux à la faveur du droit de propriété privée.
Le phénomène de privatisation des terres illustres parfaitement le concept heuristique
de l’« individualisme agraire » de Marc Bloch.21 Marc Bloch, inspiré par les travaux
britanniques sur les enclosures, conceptualisa le fait que, au long de l’époque moderne, se
développa une forme d’individualisme agraire partout en Europe de l’Ouest. L’émergence
d’une culture individualiste dans les campagnes est parallèle à l’essor l’individualisme
économique, dont les enclosures anglaises se firent symboles. Selon Max Weber, l’esprit
protestant fut l’un des facteurs de la naissance de ce capitalisme anglais. Développant
l’individualisme spirituel, le protestantisme aurait, en même temps, diffusé l’esprit
d’entreprise et légitimé la privatisation de terres autrefois collectives.22 Richard Henry
Tawney rajoute que l’emprise moindre de l’Église anglicane par rapport à celle de l’Église
catholique et l’opposition aux papistes portugais et espagnols, a légitimer les revendications
de la bourgeoisie et de la gentry favorables à la privatisation des terres. 23 Les modifications de

16 Gordon E. Mingay. Parlementary Enclosure in England. An Introduction to Its Causes, Incidence, and
Impact, 1750-1850. Longman, 1997.
17 J. M. Neeson. Commoners : Common Right, Enclosure and Social Change in England, 1700 – 1820.
Cambridge University Press . 1993.
18 Annie Antoine, Jean-Michel Boehler, Francis Brumont. Ibid.
19 Gordon E. Mingay. Ibid.
20 John L. Hammond, Barbara Hammond. The Village Labourer 1760-1832: a Study of the Government of
England before the Reform Bill. 1911.
21 M. Bloch, La lutte pour l’individualisme agraire dans la France du XVIII siècle, Annales. Histoire.
Économie. Sociétés (= A.H.E.S.), t. 2, 1930, p. 329–384. Réimp. ID., Mélanges Historiques, Paris, t. 2,
p. 593–637.
22 Max Weber. L’Ethique protestante et l’Esprit du capitalisme. Archiv für Sozialwissenschaft und
Sozialpolitik. 1905.
23 Richard H.Tawney. The Agrarian Problem in the Sixteenth Century et Religion and the Rise of Capitalism.
1926.
la juridiction sont donc causés par des facteurs religieux, économiques, politiques et
idéologiques. La transformation de la société britannique est anthropologique ; la conception
même de la société, de ses mœurs et de ses valeurs dominantes ayant été métamorphosé
parallèlement à l’essor des enclosures.
L’appropriation de terres par certaines catégories sociales lèse les autres. Se dessine
ainsi une dialectique de la paupérisation et de l’enrichissement ; les propriétaires accumulant
des capitaux, prolétarisant les paysans et les manouvriers.
Il y a un lien de corrélation entre l’enrichissement des propriétaires et la paupérisation
des travailleurs et des locataires. C’est parce que certains s’enrichirent, privant des milliers de
paysans de terres autrefois cultivables, que ces même paysans virent leurs conditions
matérielles d’existence se dégrader, au fur et à mesure que l’appropriation des terres pris de
l’ampleur.
L’époque moderne est une période d’élan économique et de transformations sociales.
Durant la seconde moitié du XVIe siècle, l’Angleterre, à l’instar du reste de Vieux Continent,
bénéficie de l’arrivée en quantités croissantes de métaux précieux d’Amérique espagnole, puis
portugaise. La confiance en la monnaie agît positivement sur tout les secteurs de l’économie
britannique, aux devant desquels l’industrie laineuse. Cet accroissement des flux monétaires
provoqua une élévation continue des prix. Ce phénomène fut favorable aux propriétaires
terriens qui eurent enclos leurs terres. L’afflux de métaux précieux a boosté la demande,
tandis que la baisse du nombre de bras nécessaires au travail des terres encloses a joué contre
les hausses des salaires. Les profits des propriétaires ont donc augmenté, sans que les salaires
les suivent. Corrélativement, l’augmentation des prix agricoles a stimulé l’intérêt des classes
possédantes pour la possession foncière, et a augmenter le mouvement des enclosures.
La sociologie de ce mouvement est claire. Les grands propriétaires furent à l’avant-
garde du mouvement, suivis par des petits paysans (yeomen). Tandis que les petits paysans
purent enclore leurs terres pour améliorer leurs conditions de travail et pour ne plus subir la
spoliation légale autorisée par les communaux, la majeure partie des enclosures furent la
conséquence d’une volonté des possédants de s’enrichir. Pour cela, ils n’hésitaient pas à
employer la force lors d’évictions brutales de paysans et de manouvriers. Nombreux furent les
propriétaires à enclore leurs terres pour augmenter leurs revenus. De plus, pour les
propriétaires, les enclosures apparaissaient comme un moyen de renégocier les baux et
d’exiger des loyers plus conséquents.
Les enclosures s’accompagnent d’une révision des titres d’occupations du sol et
provoquent l’expulsion de nombreux squatters illégaux ou de villageois. Par exemple, à partir
de 1603, des enclosures furent imposées dans la paroisse de Wormleighton par Sir Robert
Spencer. Le village fut vidé de sa population, laissant paître tranquillement 10 000 bêtes. Le
mouvement fut le plus dur envers les petits propriétaires. La construction des haies, de
nouveaux bâtiments, les frais des nouvelles semences représentaient de lourds investissements
pour les petits propriétaires. Le capital nécessaire à l’enclosure leur faisait souvent défaut. Il
arrivait souvent que des petits propriétaires fussent contraints de vendre leurs parcelles et être
rétrogradés au rang de manouvriers. De plus, la fluctuation des prix agricoles contraints de
nombreux petits propriétaires à s’endetter. L’acte général d’enclosure de 1801 contribua a
diminuer les frais de l’opération. Trop tard : 4/5e des superficies appartenaient déjà aux grands
propriétaires. Ils ont concentrés les terres et les capitaux. La concentration de la propriété
s’est renforcé et les rapports de classes simplifiées : les landlords détenaient les grandes
propriétés et faisaient travailler des ouvriers agricoles sur leurs terres. La petite-paysannerie
résiste mais périclite. En même temps, le droit d’aînesse fut complété par la pratique de
l’entail et du strict settlement, garantissant le transfert de ses possessions à sa descendance.
Les patrimoines se transmettaient intacts. Comme l’expliqua François Cruzet, « dans une
société où, vers 1770, l’agriculture assurait 40 % au moins du revenu national, la
concentration de la propriété foncière aux mains d’une oligarchie de grands propriétaires –
seize mille environ autour de 1688 – conférait au landed interest24 une énorme puissance ». 25
Ces bouleversements socio-économiques ne fut pas exsangues de contestations et
d’oppositions. Le gain de pouvoir économique de la bourgeoisie et de la gentry, permis par la
privatisation des terres, fut créateur d’instabilité politique et de troubles sociaux.

Un phénomène nouveau, transformant les paysages et la juridiction britanniques,


paupérisant les classes populaires tout en renforçant la puissance économique des possédants,
ne peut apparaître sans faire naître dans son sillage un nombre croissant d’oppositions. Ces
oppositions furent de nature multiple et contradictoire ; pouvant être du fait de paysans en
rébellion comme de nobles attachés aux traditions médiévales.
Du XVIe au XVIIIe siècles, les résistances populaires et les jacqueries furent nombreuses
face à un phénomène paupérisant de nombreux paysans et manouvriers.
De la concentration des terres et des sources de capitaux dans les mains d’une minorité
découla la paupérisation globale de la population rurale. De multiples révoltes et jacqueries
éclatèrent en conséquence. La population décollant dès le second quart du XVI e siècle, le
manque de terres poussa des paysans désœuvrés à la révolte. En 1549, 16 000 paysans, menés
par Robert Kett déferlèrent sur tout le pays avant d’être stoppés par l’armée de la Couronne.
Les jacqueries se firent, par la suite, cycliques. Les populations rurales voulaient restaurer les
communaux afin de retrouver la sécurité et la stabilité d’antan. Les paysans se sentaient
dépossédés des terres autrefois collectives. Cette phase d’expulsion et de privatisation ne
pouvait se faire sans éclat de violence ; les intérêts des possédants et les nécessités vitales des
couches sociales inférieures étant antagonistes. 1607 fut l’année de la révolte. Celle-ci toucha
principalement les Midlands et Newton. L’Angleterre des paysans s’embrasa avant que la
répression n’eut raison de la colère des ruraux.
Un des principaux motifs de contestation populaire ne fut pas l’enclosure en elle-même,
mais le plein pouvoir qu’acquéraient les propriétaires sur leurs terres. Maints propriétaires
abandonnèrent la céréaliculture pour reconvertir leurs terres en pâturages pour un élevage
ovin en essor conjointement à l’explosion du commerce de la laine. Alors que l’agriculture
employait de nombreux bras, la prédilection pour l’élevage conduisit au chômage de
nombreux paysans.
Les jacqueries révélaient une opposition populaire aux enclosures. Les autorités les
réprimaient quasiment systématiquement. Pourtant, les gouvernements étaient, eux, opposés
aux transformations agricoles et socio-économiques.

24 Autrement dit la « classe des propriétaires terriens », en tant que force économique et politique.
25 F. Crouzet. De la supériorité de l’Angleterre sur la France. Paris, Perrin, 1985.
Si à partir de la seconde moitié du XVII e siècle, le gouvernement devint de plus en plus
laxiste vis-à-vis du phénomène, jusqu’à définitivement le soutenir durant ce que
l’historiographie anglophone nomme les « Parliements enclosures », la Couronne s’est
d’abord opposés à l’épidémie des enclosures – cette première phase est nommé par
l’historiographie « Tudors enclosures ».
Les Tudors, rongés, à l’instar de Thomas More, par les catastrophes du Moyen Âge
tardif, étaient hanté par le risque de dépeuplement. Dans un mode de pensée non rationnel et
non matérialiste, la métaphysique était reine. L’ordre présent des choses était à conserver. Les
Tudors voyaient dans les enclosures un coup porté d’estoc dans l’ordre traditionnel, garant de
la stabilité sociale. Bernard Cottret explique : « la protestation est à l’unisson de la politique
des souverains Tudors, attachés à un ordre du monde qui assigne à chaque homme sa place
dans la chaîne des êtres ».26 Elizabeth poursuivit cette politique. De nombreux actes furent
adoptés contre les enclosures ; en 1562, 1563, 1597, 1598 et 1601.
Cependant, l’historiographie a longtemps laissé de côté le rôle des gouvernements
Tudors et des Stuarts dans la privatisation des terres et dans l’essor du capitalisme
britannique. Opposés aux enclosures, ils n’ont pas théorisé cette politique qui leur était
particulièrement favorable. En concurrence avec les autres États européens, la Couronne a
cherché à augmenter la production intérieur, par des politiques mercantiles et protectionniste.
Les nouvelles couches sociales enrichies par ces politiques pouvaient investir dans la terre.
Gentry et bourgeoisie profitèrent de nouvelles mobilités sociales permise par les nouvelles
politiques économiques, afin de concentrer leurs propriétés terriennes et ainsi augmenter leur
production et leurs profits. Comme l’explique Roland Marx, « la structure sociale [est
désormais] marquée par l’absence de barrière infranchissable, par le renouvellement par le bas
de la classe aristocratique, par le va-et-vient de bourgeois enrichis vers la campagnes ».27
De plus, contre sa volonté, l’État britannique n’a pas su empêcher l’épidémie
d’enclosures car ses serviteurs dans les campagnes étaient, pour la plupart, issus de la
bourgeoisie ou de la noblesse terrienne. Leurs intérêts économiques entraient en contradiction
avec les diktats des gouvernements.
La situation se modifia au cœur du XVIIe siècle. Avec la défaite de la Couronne face à la
nouvelle aristocratie, la législation se modifia à la faveur des enclosures.
Jusqu’à la fin du XVIIe siècle, les opérations d’enclosures sont le plus souvent le fait des lords
et approuvées par les francs-tenanciers des paroisses. Au XVIIIe siècle, ce n’est plus le cas.
L’État s’implique volontairement dans le mouvement des enclosures.
L’Angleterre fut gouvernée par des souverains absolutistes jusqu’à la guerre civile de
1642 – 1649. Les rois Jacques Ier (1603 – 1625) et Charles Ier (1600 - 1649), imbus d’une
conception absolutiste du pouvoir devinrent rapidement impopulaire. Si Jacques Ier fut assez
intelligent pour écarter le Parlement de son rôle de contre-pouvoir en le privant du contrôle
des dépenses de la monarchie, Charles Ier ne put conserver son titre devant la triple
contestation de la haute bourgeoisie, de la gentry des campagnes et du menu-peuple des villes.
La révolte n’était pas due à la crise économique ; l’Angleterre se portant mieux au niveau
financier que le reste de l’Europe. La dépression du XVIIe siècle fut relativement bénigne

26 Bernard Cottret. Histoire d’Angleterre. XVIe – XVIIIe siècle. Paris, PUF, Nouvelle Clio, 2003 (2e édition)
27 Roland Marx. Ibid.
quand l’on compare les effets qu’elle eut en Espagne ou en France. Pierre Chaunu compare :
« Économiquement l’Angleterre a accumulé sous la bienfaisante tyrannie de Charles I er autant
de richesses que la France en a détruite sous le ministériat nécessairement batailleur de
Richelieu ».28 Au contraire, une nouvelle couche sociale s’était imposé à la faveur de la
croissance du « Beau XVIe siècle ».29 C’est une haute et une moyenne bourgeoisie dans les
villes et des yeomen (petits propriétaires agricoles) et une gentry sortie renforcée par le
mouvement des enclosures dans les campagnes. Des troubles religieux éclatent. Des groupes
sociaux divers se coalisent pour combattre la Couronne. Derrière le Parlement se rangent les
nouvelles forces socio-économiques. A l’issue d’une guerre civile de huit ans, le Parlement l’a
emporté. Le roi Charles Ier est exécuté le 8 février 1649. La République est proclamée. En
1660, la monarchie est restaurée sous sa forme parlementaire. En 1679, l’Habeas corpus
entérine les limites du pouvoir royal, garantissant la liberté individuelle comme droit
fondamental. Le Parlement est devenu le vrai organe détenteur du pouvoir.
Dès lors, le Parlement ne se complaît plus dans la passivité, il agît à la faveur des
enclosures. À la demande des principaux propriétaires de villages, le Parlement put acter
l’enclosure de communaux. La composition sociologique du Parlement a évolué. Elle joue
désormais aux profits des propriétaires. Le nombre de décisions parlementaires entérinant
l’enclosure des campagnes ne cesse d’augmenter : 25 de 1661 à 1727, 226 de 1727 à 1760 et
plus de 3000 entre 1760 et 1820. Les décisions parlementaires culminèrent lors des années
napoléoniennes. Les superficies encloses passèrent de 478 000 ares entre 1761 et 1792 à plus
d’un million d’ares de 1793 à 1816.30 Des résistances persistaient néanmoins dans les
Midlands. L’openfield y était très bien ancré dans les habitudes paysannes et il s’y était adapté
aux progrès techniques. Les propriétaires ont donc fait voter des lois pour imposer aux
communautés locales l’enclosure des champs communaux.
Le pouvoir n’est plus entre les mains du roi et de la haute noblesse. Désormais, il est
entre les mains de la haute bourgeoisie et de la gentry propriétaire. Ce nouveau pouvoir sert
logiquement ses intérêts marchands et économiques. Même si l’intervention politique et
juridique de ce « nouvel État » dans sa lutte pour la libéralisation et la privatisation des terres
est manifeste quand on observe les chiffres, n’oublions pas que leur cœur du mouvement des
enclosures eut lieu au XVIIe siècle. Les actes parlementaires furent surtout imposés aux
XVIIIe siècle. Les transformations politiques n’ont, en fait, eut qu’un relative impact sur
l’essor globale des enclosures. Renversons le paradigme : ce sont les changements socio-
économiques relatifs phénomène d’enclosures qui ont permis à de nouvelles générations de
propriétaires et de marchands de s’engouffrer dans la vie politique. Une fois le pouvoir entre
leurs mains, ils utilisèrent l’État pour imposer des acts favorables à leurs ambitions. Ce fut un
véritable cercles vertueux pour cette nouvelle élite : les enclosures leurs permettant
d’augmenter leur pouvoir politique ; leur politique leur permettant d’accélérer le mouvement
et ainsi de continuer à concentrer les terres.

28 Pierre Chaunu citée dans Michel Cassan (dir.). Histoire moderne. Les XVIe et XVIIe siècles, tome 1. Paris
Bréal, Grand Amphi, 2000.
29 Selon l’expression de Le Roy Ladurie [Emmanuel Le Roy Ladurie. Histoire du Languedoc. Paris, Presses
universitaires, 1962.]
30 Roland Marx. Ibid.
Les oppositions furent nombreuses. Cependant, le mouvement des enclosures sortit
victorieux de ces années de guerres civiles. Une nouvelle élite, plus progressiste, avait
considérablement accrût sa puissance, jusqu’à rendre l’ancien pouvoir monarchique caduque.
Les grands propriétaires et les yeomen, nouveaux maîtres de l’Angleterre rurale, firent
progresser les libertés et les droits politiques. La révolution de 1649 et l’Habeas Corpus furent
de véritables moteurs de progrès politique en Angleterre. Parallèlement, le mouvement des
enclosures, fut, en outre, un véritable moteur de progrès techniques et agricoles.

La question qui anima et continue d’animer les débats historiographiques est celle de la
corrélation entre enclosures et progrès agricoles et techniques. Deux thèses s’affrontent alors.
Selon l’historiographie traditionnelle, teintée de marxisme, l’essor de l’individualisme agraire
et du capitalisme dans les campagnes britanniques fut la condition aux progrès techniques.
Les travaux les plus récentes, quant à elle, tendent à relativiser ce lien de cause à effet. Au vu
des dernières recherches, les progrès agraires nous apparaissent plus variables et relatifs que
ce que l’historiographie classique nous laissez penser.
Déjà, Les spécialistes contemporains étaient, en leur temps, divisés devant un
phénomène qui les dépasse. Revenons brièvement sur leurs analyses.
Dès l’émergence du phénomène, les agronomes s’accordent à penser que les enclosures
sont essentielles pour améliorer les techniques agricoles. Dès le XVI e siècle, des agronomes
publient déjà une farandole d’ouvrages louant les bienfaits des enclosures. On pense ainsi aux
ouvrages tels que le Book of Husbandry et le Boke of Surueyeng de Fitzherbert (probablement
publiés dans les années 1520) ou aux Hundred Good Pointes of Husbandrie de Tusser (1573).
Arthur Young, quant à lui, rayait, au XVIII e siècle, l’agriculture française car les
survivances médiévales dans la juridiction de la propriété terrienne, expliquait, selon lui, la
supériorité productive du modèle britannique. Il observa, dans le Norfolk, des cas où la
production avait doublé. Selon lui, les progrès s’expliquent par l’amélioration de la qualité du
bétail – des nouvelles races de moutons à la toison plus volumineuse remplacèrent les
anciennes des openfields – et par la mise en place de rotations intégrant des plantes
fourragères – navets ou trèfles – donnant au blé et à l’orge une meilleure qualité. 31 A
l’exception de quelques exemples notables – pensons à John Cowper qui, en 1732, publia un
essai tentant de démontrer que les enclosures étaient « contraires aux intérêts de la Nation » –,
les spécialistes contemporains étaient majoritairement enclins à penser que les enclosures
étaient nécessaires à l’amélioration des rendements.
Plus que de simples observateurs, ces spécialistes contribuèrent à l’essor du
mouvement. Les conseils d’agronomes prônant l’enclosure servit le désirs des propriétaires
d’enclore leurs terres. L’openfileld aurait représenté un frein aux progrès. Afin d’améliorer les
rendements, il était, selon eux, préférable pour les propriétaires d’enclore leurs terres et de
privilégier l’exploitation concentrée. La science encouragea ici l’individualisme agraire. Sans
négliger la pertinence ces travaux primordiaux, nous pouvons nous interroger sur la partialité
des agronomes de l’époque. La majorité d’entre eux n’étaient-ils pas issus de la gentry ?

31 Arthur Young. Le Cultivateur Anglois, ou œuvres choisies d'agriculture, et d'économie rurale et politique.
Paris : Maradan, 1800-1801.
Contemporains comme chercheurs postérieurs au phénomène s’accordaient à dire que
l’enclosure était la condition préalable aux transformations technologiques, puis industrielles.
C’est ce que s’accorde à penser les économistes du XIX e siècle. Cette analyse fut confortée
par les travaux de l’historiographie traditionnelle.
La grande majorité des historiens du XXe siècle défendait l’idée que la privatisation des
terres fut nécessaire à la révolution agricole, et en outre mesure, à la révolution industrielle.
John et Barbara Hammond, dans leurs travaux précurseurs, défendaient que la
croissance de l’agriculture, au long de la période moderne, fut permise par le mouvement des
enclosures.32 Seules les grandes exploitations encloses auraient été capables de fournir les
capitaux nécessaires à l’investissement dans les dernières machines et dans les plantes les plus
rentables. Poursuivant l’analyse de Marx, ils démontrèrent que les grands propriétaires
utilisaient les enclosures pour évincer les petits et concentrer entre leurs mains la propriété,
afin de moderniser les techniques et d’augmenter leur taux de profit. La mentalité des
propriétaires, compressés par la concurrence avec leurs rivaux, les poussèrent à innover, afin
de réduire les coûts de production. La supériorité de l’Angleterre sur le reste de l’Europe en
terme de développement agricole, tiendrait dans ces deux aspects. Les grands propriétaires
étaient choyés dans un cercle vertueux : la concentration des terres entre leurs mains leur
permettaient d’améliorer les rendements, et donc d’évincer la concurrence, ce qui leur
permettaient en retour d’accaparer plus de terres. Et cetera.
John Beckett considère que les enclosures ont permis de moderniser l’agriculture
traditionnelle car elles ont permis de faire sauter l’ancienne limitations à la quantité de bétail
autorisé à être élevé.33 De plus, les enclosures garantissaient aux farmers la liberté d’utiliser
leur sol. Cela leur autorisa des prises de risques et la diversification de la production.
Les aménagements contingents aux enclosures et les capitaux engendrés par la hausse
de production favorisa la croissance. Comme l’explique Peter O’Brien, « il paraît probable
que la phase extensive dans la formation du capital de l’agriculture britannique était à peu
près achevée au milieu du XVIIe (extension et mise en valeur des terroirs, drainage,
construction de pistes ou de routes). De fait, le moindre accroissement du stock – outils,
bâtiments, et surtout animaux – entraînait une croissance marquée de la production ».34 La
liberté d’exploiter leurs terres et leurs capacités à les concentrer, permis aux grands
propriétaires d’améliorer quantitativement et qualitativement leur production.
Si l’historiographie a longtemps analyser le phénomène de privatisation comme facteur
de progrès technique, les travaux récents tendent à relativiser ce point. Les intrications
seraient plus complexes, et la corrélation entre progrès techniques et enclosures variables.
Le renouveau historiographique sur le sujet naît dans le dernier quart du XX e siècle.
Sans forcément invalidée les analyses de leurs prédécesseurs, les nouvelles générations
d’historiens tentent de démontrer que le mouvement d’amélioration des rendements ne fut pas
aussi général que le mouvement des enclosures.
Gordon Mingay remarque que des améliorations du système agraire peuvent se faire
sans enclore les terres. Remettant en cause l’historiographie traditionnelle, Mingay explique

32 John L. Hammond, Barbara Hammond. Ibid.


33 John V. Beckett. The Agricultural Revolution. Oxford, Basil Blackwell, 1990.
34 P. O’Brien. Agriculture and the Industrial Revolution, Economic History Review, 2e série, 30, 1977
que les openfields n’empêchaient pas les assolements triennaux. Les farmers des openfields en
faisaient. Des nouvelles cultures étaient expérimentées, même sur les champs communaux.35
John Beckett explique que, si les enclosures furent conçues pour convertir de
l’openfield arable en pâturage ovin, les pratiques agricoles n’ont pas immédiatement changé
suite à l’enclosure des terrains.36 Robert Parker démontra, dans ses travaux sur le cas du
Norfolk, que les progrès n’y ont pas suivit instantanément le phénomène d’enclosures.37
Cependant, ces résultats dépendent de la qualité du sol. Par exemple, les sols mal
drainés des Midlands avaient peu de chance de pouvoir donner aux paysans des racines ou des
légumes. Ces terres furent évidemment longtemps délaissées par le mouvement de
privatisation ; les propriétaires préférant s’accaparer les terres les plus rentables. On peut ainsi
se demander si les rendements moyens supérieurs des terres enclosures ne serait pas
simplement due aux clôtures, mais au fait que les propriétaires préféraient s’accaparer des
meilleures terres ? Le meilleur sol à enclore est une terre riche et profonde, pouvant accueillir
de nombreuses céréales ou pouvant être convertie en pâturages pour les bêtes. Nous
observons que, quand des terres argileuses, mal drainées, sont encloses, les rendements ne
sont pas forcément en hausse. Les coûts augmentent, ces champs étant plus onéreux que les
autres à mettre en culture.
Si le mouvement général est à une hausse de la productivité, des rendements et des
techniques agricoles, ce schéma n’est pas universel. Des variations demeurent selon les
régions et les sols. Ce renouveau historiographique n’égratigne que peu les travaux des
historiens du XXe siècle. Ils ne sont pas réellement remis en cause, mais complétés.

Les transformations furent de tout ordre, sociales, économiques, technologiques,


culturelles, juridiques, politiques, idéologiques, anthropologiques. Le mouvement des
enclosures privatisa des terres autrefois communes, témoigne d’un changement
anthropologique et idéologique, consacrant le triomphe de l’individualisme agraire. C’est
aussi le triomphe d’une bourgeoisie et d’une gentry sur la noblesse traditionnelle, pièce
rapportée d’une féodalité doublement vaincue, par la victoire de l’État moderne en tant
qu’instance régissant l’Angleterre, et par la victoire politique d’une nouvelle classe
dominante. Les techniques et la production s’améliorèrent. L’Angleterre devint, à la fin de
l’époque moderne, la première puissance capitaliste du monde.
Le mouvement des enclosures se perpétua au XIXe siècle. Il avait déjà triomphé des
anciennes survivances féodales au XVIIIe siècle. Il lui fallait désormais les exterminer. Ce
sera chose faite. Selon Bernard Cottret, lorsque éclate la Première Guerre Mondiale, il ne
resterait plus que 4, 60 % de terres non bocagères en Angleterre. Les enclosures l’ont emporté
sur les communaux, la propriété privée des terres sur la propriété collective des tenures, la
« dynamique du capitalisme »38 sur les verrous de l’économie féodale.

35 Gordon E. Mingay. Ibid.


36 John V. Beckett. Ibid.
37 Robert Parker. Coke of Norfolk. A financial and agricultural study, 1707 – 1842. Oxford, Clarendon Press,
1975.
38 Fernand Braudel. La dynamique du capitalisme. Flammarion, Champs Histoire, 1977.
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