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ÉLÉMENTS THÉORIQUES SUR L'ENTREPRENEURIAT

Les recherches sur l’entrepreneuriat et la création d’entreprise effectuées notamment


dans le monde industrialisé ont mis à jour une multitude de facteurs déterminants, ce qui
permet de les appréhender très tôt. Toutefois, au lieu d’aborder toutes les conceptions à la
fois, le présent chapitre met en exergue la diversité liée à la notion d’entrepreneur dont se
réclament les différents auteurs.
Ce chapitre comprend deux sections que nous présenterons succinctement. Ainsi,
afin de mieux cerner le cadre théorique et de faire la Synthèse de la recherche des différentes
contributions académiques, seront traités successivement les points abordant les différentes
conceptions de l’entrepreneur (I) et les déterminants des facteurs environnementaux en tant
que mode de comportement sensible à l’émergence des organisations (II).

I. Vers une identité de l’entrepreneur

Depuis son apparition, la thématique entrepreneuriale semble tellement à la mode


que le qualificatif est de plus en plus utilisé dans divers champs de recherche. De nombreux
spécialistes, sociologues, psychologues, anthropologues, économistes, et gestionnaires en font
leur domaine d’investigation. De fait, l’entrepreneuriat recouvre une réalité hétérogène,
complexe et équivoque avec plusieurs définitions et de vives discussions soulignées dans la
littérature scientifique. Selon les sociologues, par exemple, l’entrepreneuriat serait le produit
des facteurs culturels, car les normes sociales et les coutumes en place favorisent la création
d’entreprise. Somme toute, la création d’entreprise revêt un caractère social, qui englobe des
facteurs historiques, sociaux et culturels [McClelland, 1961; Gartner, 1990].
Les anthropologues et des psychologues, se sont, eux, intéressés à l’individu,
activement impliqué dans la création d’entreprise. A ce niveau, la contribution de
l’entrepreneur, c'est-à-dire ses traits de personnalités, ses attitudes, ses motivations et ses
profils socio-démographiques sont mis en relief [Gasse et D’Amours, 2000]. La littérature
économique, quant à elle, met l’accent sur l’action de l’entrepreneur ainsi que sur son rôle
dans la croissance économique. Cantillon [1726] est le premier à définir ce profil
d’entrepreneur et à mesurer les difficultés d’une gestion qui affronte empiriquement
l’imprévisible et l’incertitude. Pour lui, « Est entrepreneur celui qui s’engage de façon ferme
vis-à-vis d’un tiers, sans garantie de ce qu’il peut en attendre »1.

1
Source, Hernandez et Marco (2006) dans entrepreneur et prise de décision, p.15.

1
Pour Say [1803], l’entrepreneur est celui qui combine des facteurs de production en
vue d’accroître la production. Cela implique que recherche du profit pour l’entrepreneur ne
constitue pas une priorité en soi. Casson [1982] se positionne dans la continuité de la tradition
économique, et met l’accent sur la spécialisation de l’entrepreneur notamment dans la prise
intuitive de décisions pour coordonner des ressources rares. L’entrepreneur de Schumpeter
[1935] est assimilé à un individu qui introduit et conduit l’innovation.
L’approche des gestionnaires, enfin, se focalise plutôt sur un processus au cours
duquel, un ensemble de décisions et d’actions sont mises en œuvre et se succèdent en vue de
l’émergence d’une nouvelle activité [Gartner 1985 ; Hernandez, 1999, 2001 ; Bruyat et Julien,
2001]. Pour ces auteurs, l’entrepreneuriat est un phénomène qui consiste à créer et à gérer de
nouvelles organisations à travers un ensemble de processus. On retrouve toutefois, d’autres
conceptions de l’entrepreneur chez certains chercheurs, comme Boutillier et Uzudinis [1999 :
147] qui mettent en avant la dimension sociale. Pour leurs, l’entrepreneur est « Un agent
social dont la réussite est conditionnée par la mobilisation d’un capital social à triple
facette : capital financier, capital-connaissances et capital-relations ». Les auteurs comme
Bruyat [1993]; Verstraete [1999] et Fayolle [2002] proposent une autre lecture de
l’entrepreneur et évoquent la dialogique entre individu et création de valeur. Janet T. LANDA
[1993]2 propose quant à elle, le concept de combleur de vide. Dans cette représentation, « Le
rôle de combleur de vide lui permet d’arriver quand même à créer et à maintenir en activité
une entreprise dans un contexte tout à fait spécifique où l’incertain est nettement plus élevé
que dans les pays occidentaux » [Hernandez, 1997 : 16].
Toutes ces tentatives de définitions renvoient selon Fayolle [2002] à trois approches
globales : une approche fonctionnelle mise en place par les économistes (What) une approche
se focalisant essentiellement sur l’individu (Why and Who) et l’approche des gestionnaires
basée sur le processus (How). Ainsi, Fayolle [2002] s’inspirant, d’une formulation de
Stevenson et Jarillo [1990] propose un triple questionnement : «What on Earth is he
doing…?», constitue la première question, «Why on Earth is he doing…? » est la deuxième et
« How on Earth is he doing?» est la troisième [Tornikoski, 1999].
Avant de traiter ces questions, il convient de cerner la composition des éléments qui
fondent cette section. Cette section est divisée en deux paragraphes. Le premier aborde les
différentes représentations de l’entrepreneuriat du point de vue de Fayolle [2002] (1) et le
second porte sur la diversité des conceptions de l’entrepreneur symbolisé par des paradigmes
(2).
2
Cité par Hernandez et Marco, (2006).

2
1. Synthèse des différentes représentations de l’entrepreneuriat selon Fayolle

La Synthèse de Fayolle fait ressortir trois dimensions fondamentales : la première


fait référence à l’aspect économique ou fonctionnel (What) et est initiée par les économistes
(Cantillon [1726] ; Say [1803] ; Schumpeter [1935]; Casson [1982]) (1.1). La deuxième est
centrée sur les individus (Why and Who) et renvoie aux sociologues, psychologues et
anthropologues (Filion [1997]; Gasse et D’Amours [2000]; Timmons [1978]) (1.2) et enfin, la
troisième est processuelle (How) et est véhiculée par les gestionnaires (Gartner [1985];
Hernandez [1999, 2001]) (1.3).

1.1 La dimension des économistes (What)

Selon Fayolle [2002], les fondements historiques de l’entrepreneuriat appartiennent


aux économistes. L’émergence d’une économie entrepreneuriale apparaît selon Hernandez et
Marco [2006] dans les écrits de Cantillon [1726]. Pour ces derniers, Cantillon est le premier
auteur à fournir une image économique de l’entrepreneur en s’intéressant à la fois à sa
fonction et à son impact sur le développement économique ainsi qu’à son affrontement au
risque. Il faudra attendre plusieurs années pour que l’activité de l’entrepreneur soit
approfondie [Say, 1803]. Pour cet auteur, l’entrepreneur est placé au centre du progrès
économique. Une autre figure de l’entrepreneur est développée plus tard par Schumpeter
[1935], c’est celle de l’entrepreneur-innovateur. Pour Filion [1997], Schumpeter peut être
considéré comme le père du champ de l’entrepreneuriat. La définition Schumpetérienne de
l’innovation selon Hernandez et Marco [2006] est large et peut revêtir plusieurs aspects 3.
L’approche des économistes est fondamentale en ce sens qu’elle permet surtout de retracer
l’historique du champ de l’entrepreneuriat et de l’entrepreneur. Ainsi, au vu de cette littérature
globale, Fayolle [2002 : 3] identifie deux profils d’entrepreneurs et quatre rôles
entrepreneuriaux principaux. « Les figures sont celles de “L’entrepreneur-organisateur
d’activité économique et l’entrepreneur- innovateur” » [Baumol, 1993]4.
L’entrepreneur joue quatre rôles fondamentaux dans le système économique
[Landstrom, 1998]. Il peut être assimilé à un «risk-taker/risk manager» (Cantillon, Say,
3
Les cinq éléments de la combinaison identifiées par Schumpeter sont : fabrication d’un bien nouveau
(1), introduction d’une méthode de production nouvelle (2), conquête de
débouchés (3), conquête d’une nouvelle source de matières premières (4),
réalisation d’une nouvelle organisation de la production (5).
4
Cité par Fayolle (2002) dans « Du champ de l’entrepreneur à l’étude du processus entrepreneurial : quelques
idées et pistes de recherche », p.3.

3
Knight) ou à un «innovator» (Schumpeter). D’autres voient en lui un « alert seeker of
opportunities » (Hayek, Mises, Kirzner) ou enfin, un «co-ordinator of limited resources»
(Casson)».
Il faut noter que l’approche des économistes aborde l’entrepreneur dans sa
dimension économique basée exclusivement sur son rôle (de coordinateur de ressources) et
sur sa fonction (maximisation du profit) indépendamment des autres disciplines. Cette vision
peut paraître réductrice dans la mesure où les spécificités de l’entrepreneuriat ne sont pas
traitées. Ainsi les théories économiques ne tiennent pas en compte par exemple des autres
concepts, tels les comportements et les profils des entrepreneurs. Ceux-ci sont étudiés par les
disciplines spécialisées (approche sur les individus par exemple).

1.2 La dimension basée sur l’individu (Who/Why)

Cette discipline cherche à répondre à la question récurrente suivante : est-ce qu’on


naît entrepreneur (caractère inné), ou est ce qu’on le devient (caractère acquis)? Les
spécialistes de cette thématique s’intéressent au profil de l’entrepreneur, à ses caractéristiques
personnelles, à ses particularités bref à sa personnalité. A ce titre, la diversité des conceptions
de l’entrepreneur est présentée à travers quelques particularités, tels les comportements, les
motivations, l’environnement et la culture de l’entrepreneur qui sont largement décrits. La
littérature attribue à Weber d’être le premier à s’intéresser au système de valeurs [Filion,
1997]. McClelland [1961] s’appuyant sur Weber établit une étude empirique à partir d’une
théorie (need for archivement)5 : le comportement des entrepreneurs6. De nombreuses
recherches ont vu le jour après celles de Weber et de McClelland et ont tenté d’expliquer la
typologie des entrepreneurs et leur rapport avec la création d’entreprise [Timmons, 1978 ;
Filion, 1997 ; Gasse, 2000]. Puis, l’approche par les traits des entrepreneurs a été développée
par d’autres auteurs comme Smith [1967]7 et Hernandez [1999]. Toutefois, ces typologies
différentes les unes des autres ne permettent pas de déterminer un profil type de
l’entrepreneur car les individus différents de par leur appartenance environnementale et
agissent dans l’apparition d’une intention entrepreneuriale [Hernandez et Marco, 2006] selon
la conjonction d’un ou plusieurs facteurs. Pour résumer, Gasse [2002 : 3] propose une
Synthèse qui récapitule l’importance des caractéristiques de l’entrepreneur :

5
Signifie la nécessité de réaliser ou d’achever les choses.
6
Selon cet auteur, les entrepreneurs sont des personnes qui ont un fort besoin d’accomplissement, une forte
confiance en eux, elles ont une forte capacité à résoudre leur problème, un risque modéré et un retour sur
investissement.
7
Smith (1967) énonce deux profils d’entrepreneurs, «craftsman» et «opportunistic».

4
« L'entrepreneur type a un fort besoin de réalisation personnelle ; il a confiance en
lui ; il veut être autonome et indépendant ; il aime les risques modérés ; et il est plein
d'énergie et de motivation. Il est certes évident que l'ensemble de ces caractéristiques ne se
retrouve pas toutes à un degré élevé chez un entrepreneur. Même si ces dimensions se
conjuguent pour produire un effet commun et qu'elles semblent se compléter, c'est un fait que
chaque être humain demeure un être complexe dont la personnalité est unique. Il n'est pas
impératif à la réussite de posséder toutes ces caractéristiques, cependant, il est souhaitable
d'en favoriser l'émergence et le développement chez les entrepreneurs potentiels (si on
considère qu'elles ont été identifiées chez les entrepreneurs qui ont connu le succès) ».
Au regard de toutes ces approches, l’intention de l’entrepreneur de passer à l’acte
apparaît comme la résultante de l’influence du facteur environnemental et des caractéristiques
individuelles. Ces influences correspondent en partie à des normes sociales qui peuvent être
subjectives [Ajzen, 1991]. Cependant, l’engagement entrepreneurial requiert l’alignement des
buts, des besoins, des valeurs, des normes et des croyances [Bird, 1988].
Ainsi, pour de nombreux auteurs, comme Gartner [1990] et Hernandez [2001]
l’approche centrée sur les individus ne permet pas à elle seule de retracer le phénomène de la
création de l’entreprise, celle-ci restant encore complexe. Ces auteurs estiment que les
approches fonctionnelles et comportementales sont insuffisantes pour soutenir le comment de
la création d’une entreprise. Pour comprendre comment les entrepreneurs créent leurs
entreprises, une théorie a été proposée faisant interagir les variables psychologiques
(l’entrepreneur, ses comportements, ses aptitudes, ses motivations) et les variables socio-
économiques (le projet de création, l’environnement, les moyens employés).

1.3 La dimension fondée sur le processus

L’entrepreneuriat inscrit dans une approche d’émergence entrepreneuriale concerne


la conception de Gartner et Hernandez [1985, 2001]. Dans cette logique, Hernandez et Marco
[2006] décèlent et introduisent un modèle processuel qui prend en compte quatre étapes
interactionnistes : l’Initiation (Etape I), la Maturation (Etape II), la Décision (Etape III) et la
Finalisation (Etape IV)8. Cette théorie selon les auteurs intègre les caractéristiques

8
Il s’agit d’un modèle stratégique d’entrepreneuriat introduit par Hernandez et Marco (2006). Ce modèle intègre
quatre dimensions les caractéristiques sociologiques et psychologiques du créateur à tous les niveaux. L’étape I,
marquée par l’initiation est composée des caractéristiques psychologiques du créateur, son histoire, son origine
familiale. L’étape II, fait référence à son environnement qui influence la détection d’opportunité et donc à la
décision de créer. L’étape II, renvoie, au projet et l’étape IV, comporte les stratégies de mise en œuvre.

5
sociologiques et psychologiques de l’entrepreneur, et considère l’opportunité entrepreneuriale
comme un élément essentiel dans la décision de création.
L’opportunité soutenue par Shane et Venkataraman [2000] porte plus sur
l’émergence d’une nouvelle activité économique que sur l’émergence d’une nouvelle
organisation ou entreprise. Cette situation peut paraître normale car la création d’entreprise
selon Bruyat [1993] en plus de viser des objectifs élevés peut se retrouver à avoir des activités
similaires à une autre entreprise déjà existante.
Ainsi, certains auteurs comme Hofer et Bygrave [1991] considèrent que l’essence de
l’entrepreneuriat est la saisie d’opportunités à travers la reconnaissance de futurs modèles
émergents. Dans tous les cas, de nombreux auteurs partagent le fait que l’existence objective
d’une occasion d’affaires peut favoriser l’émergence d’une nouvelle organisation. Le rapport
du Global Entrepreneurship Monitor [2007] confirme ces propos et affirment que la majorité
des entrepreneurs helvétiques (76%) déclarent avoir créé leurs entreprises pour poursuivre une
opportunité.
Dans cette veine, certains chercheurs, comme Fayolle [2002] préconisent de nuancer
la notion d’opportunité pour deux raisons principales : En premier lieu, l’opportunité ne doit
pas constituer la condition sine qua non de l’émergence d’une activité ou d’une organisation,
celle-ci peut être provoquée ou valorisée lors d’une occasion. En second lieu, l’opportunité ne
doit pas seulement se focaliser sur les entreprises réussies car les cas d’échec sont autant
intéressants que les autres.
Aussi, pour résumer la revue de l’évolution du champ de l’entrepreneuriat, Fayolle
[2002 : 7] propose un tableau récapitulant toutes les tendances entrepreneuriales (de
l’approche fonctionnelle à l’approche processuelle en passant par celle basée sur les
individus) ainsi que les différentes ruptures épistémologiques survenues à la suite des
investigations passant du positivisme au constructivisme.

What Who/Why How


Question
Approche Approche sur les Approche sur les processus
principale
fonctionnelle individus
Echelle du temps Depuis le début des Depuis le début des années
200 dernières années
années 1950 1990

6
Domaine scientifique
Psychologie, Sociologie Science de gestion
principal
Economie Psychologie cognitive Science de l’action
Anthropologie sociale Théories des Organisations

Objet d’étude Caractéristiques


personnelles Processus de création d’une
Fonction de
Traits des individus nouvelle activité ou d’une
l’entrepreneur
Entrepreneurs et nouvelle organisation
entrepreneurs potentiels
Paradigme dominant Positivisme
Constructivisme
Positivisme Sociologie
Positivisme
compréhensive
Méthodologie Quantitative Quantitative
Quantitative
Qualitative Qualitative
Hypo recherche de base L’entrepreneur joue/ ne
Les entrepreneurs sont Les processus
joue pas un rôle
différents des entrepreneuriaux sont
important dans la
non-entrepreneurs différents les uns des autres
croissance économique
Lien avec la demande Entreprises
sociale (qui est intéressé Entrepreneurs
Etat, collectivités Entrepreneurs,
par …) Entrepreneurs potentiels
territoriales, Entrepreneurs potentiels,
Educateurs et formateur
Responsables Système éducatif,
Structures
économiques Formateurs
d’accompagnement et
d’appui aux entrepreneurs
Tableau 1 : Vue organisée et synthétique des recherches en entrepreneuriat

Il ressort de cette construction que l’entrepreneuriat est un terme polysémique et que


le verbe entreprendre requiert la conjugaison de plusieurs facteurs qui entourent une activité
entrepreneuriale. Aussi, pour bien comprendre ces concepts, nous proposons, d’étudier dans le
prochain paragraphe les différents paradigmes dans le domaine de l’entrepreneuriat.

7
2. La diversité des paradigmes en entrepreneuriat

La littérature relative à l’entrepreneuriat présente la création d’entreprise comme


une dimension essentielle du travail de l’entrepreneur. De fait, il apparaît un besoin très
répandu d’intégrer l’entrepreneur (l’acteur) dans le système d’action, structuré, spécifique qui
se constitue et se transforme au cours du processus [Bruyat, 1993].
Cependant, le champ de l’entrepreneuriat souffre depuis son apparition d’une
définition standard et unanimement acceptée. Ainsi plusieurs concepts ont vu le jour à l’issue
des travaux empiriques, ils décrivent l’entrepreneur comme un individu, généralement de sexe
masculin « Audacieux, courageux, qui défie son environnement et qui le ressent comme un
challenge. Il voit ce que les autres ne voient pas, il fait ce que les autres ne feraient pas et il
accomplit des changements, d’une grande portée dans le monde des affaires et dans la société
en général » [Lindgren et Packen Dorff, 2003 : 96].
Cette situation illustre bien le fait que l’entrepreneur est loin d’être considéré
comme une personne ordinaire, mais plutôt comme un héros voire un modèle d’émulation
[Lindgren et Packen Dorff, 2003]. D’autres auteurs, comme Danjou [2004] délimitent
l’entrepreneur dans son action et soulignent qu’entreprendre, signifie étymologiquement «
Entreprendre ensemble », et fait donc référence à une action entreprise collectivement. Ainsi,
les positions de recherche visant à définir l’entrepreneuriat peuvent privilégier soit
l’entrepreneur (le mot), soit l’action à entreprendre (le verbe), soit les deux dimensions
cumulées. L’appartenance à une discipline peut donc conduire à s’intéresser à un point de vue
particulier. Cette vision est soutenue par certains auteurs comme Verstraete et Fayolle [2005]
qui affirment « Qu’il devient nécessaire de situer les contours de l’entrepreneuriat, non pas
pour définir ce que l’usage prend de fait, mais pour permettre, à des niveaux plus ou moins
agrégés (paradigme), une accumulation dite scientifique des connaissances ».
Face à la multiplicité des approches entrepreneuriales, il devient nécessaire d’établir
un cadre explicatif de l’entrepreneur vis-à-vis de l’acte entrepreneurial. Il existe déjà plusieurs
classifications du phénomène d’entrepreneuriat. Le modèle le plus ancien suggère d’associer
la notion d’entrepreneur à l’innovation : « entrepreneuriat et innovation » (les tenants de ce
courant sont Schumpeter [1935]; Drucker [1985] ).
Dans le concept « entrepreneuriat et opportunité », on peut citer les œuvres de
Belley [1989] ; Sweeney [1989] ; Shane et Venkataraman [2000]. Les notions «
entrepreneuriat et création de valeur ou de richesse » sont proposées par Bruyat [1993] et
Fayolle [2004]. Enfin, les travaux sur « entrepreneuriat et processus d’émergence
8
organisationnelle » sont initiés par Gartner [1985, 1990, 1995] ; Hernandez [1999, 2001];
Verstraete [1999], Hernandez et Marco [2006]. Tous ces pôles clairement distincts les uns des
autres, conduisent à soutenir la nécessité de dégager toutes les approches (lecture
multiparadigmatique de l’entrepreneuriat) autour desquelles les décisions entrepreneuriales se
prennent et se structurent [Hernandez, 2001 ; Fayolle, 2001 ; Verstraete et Fayolle, 2005 ;
Hernandez et Marco, 2006]. Nous allons à présent tour à tour exposer les différentes positions
de recherches en entrepreneuriat : entrepreneuriat et innovation (2.1) entrepreneuriat et
opportunité (2.2) entrepreneuriat et création de valeur (2.3) entrepreneuriat et émergence
organisationnelle (2.4). Pour conclure, nous présentons une Synthèse (2.5).

2.1 Entreprendre, c’est innover

Lorsqu’il est question d’innovation Schumpeter est une référence historique


[Hernandez, Marco, op. cit.]. Au 19ème siècle, la fonction de l’entrepreneur est désignée par le
management qui est une terminologie anglaise qui regroupe plusieurs rôles (entre autres :
agent administratif, agent économique) [Schumpeter, 1928].
Cette vision restrictive de l’entrepreneur ne satisfait pas Schumpeter pour qui, le
travail de l’entrepreneur ne doit pas se réduire à effectuer des tâches routinières. Pour cet
auteur, l’entrepreneur doit créer une valeur ajoutée. Cette situation signifie que l’entrepreneur
doit être un individu qui facilite le développement et l’émergence d’innovation. On doit à
Schumpeter la notion de « destruction créatrice », qui implique un processus par lequel les
nouvelles innovations créées se substituent aux anciens procédés. La définition
Schumpetérienne retient cinq types de recombinaisons productives : « fabrication d’un bien
nouveau, introduction d’une méthode de production nouvelle, conquête d’un nouveau
débouché, conquête d’une nouvelle source de matière premières, réalisation d’une nouvelle
organisation de la production » [Hernandez, Marco, 2006 : 17]. Pour Schumpeter, la
spécificité de l’entrepreneur se trouve dans l’innovation. Cette spécificité permet de distinguer
les entrepreneurs des non-entrepreneurs (les exploitants d’entreprises et ceux qui font émerger
les nouvelles combinaisons économiques). Ainsi, dans une organisation par exemple,
l’intervention de l’entrepreneur n’est indispensable que lors de la création d’un nouveau
produit, ou lors de la mise en place d’une nouvelle méthode de travail, bref lors d’une
innovation.
Au regard de toutes ses particularités, il apparaît évident que l’entrepreneur
Schumpetérien ne se réduit pas simplement à la création d’entreprise, celui-ci doit conduire

9
une innovation. Cependant, l’entrepreneur peut ne pas être l’initiateur de cette innovation, il
doit pouvoir la coordonner afin de lui donner une structuration [Schumpeter, 1928].
La dimension du risque occupe une place de choix dans les recherches
Schumpetériennes. En effet, selon cet auteur, il y a un lien étroit entre la prise de risque et la
motivation de l’entrepreneur. De fait, celui-ci en prenant des risques est motivé par la
réalisation des bénéfices supplémentaires.
Toutefois, les bouleversements économiques actuels ont conduit certains
économistes à revoir le caractère de l’innovation introduit dans la théorie Schumpetérienne.
Ainsi, en raison de l’importance de la concurrence et de l’exigence des consommateurs, le
profit des entreprises se voit réduit voire même inexistant. Pour Schumpeter, le seul moyen de
lutter contre cette situation est d’innover, cela suppose aujourd’hui que le(s) produit(s) ou que
les procédés soient sans cesse renouvelés. Ainsi, deux niveaux d’analyses dominent la théorie
Schumpétérienne : l’innovation, d’une part et la prise de risque qui se complète avec la
motivation, d’autre part. Donc l’approche de Schumpeter est essentielle pour le concept
économique car elle a permis de cadrer les fonctions de l’entrepreneur.
Néanmoins, d’autres courants de la pensée économique ont mis l’accent sur un point
de vue différent ou complémentaire et constituent aussi des éclairages intéressants : leur
principal représentant est Drucker9 [1985]. Peter Drucker est aussi un économiste et
représente une figure symbolique du management. Pour cet auteur, « L’innovation est
l’instrument spécifique de l’esprit d’entreprise » [Drucker, 1985 : 56]. Une des hypothèses
fondamentales de Drucker est que l’entreprise pour innover est contrainte de limiter la durée
de vie de ses produits et/ou de ses services, des processus qu’elle utilise, de ses méthodes de
distributions, des techniques qu’elle emploie et de ses marchés. Dans cette approche, la notion
de temps occupe une dimension essentielle à la réalisation de l’innovation. Prenant la
temporalité comme base de toute analyse, Drucker [1985 : 205], introduit le concept de la
« radiographie de l’entreprise » et propose à l’entrepreneur des moyens et techniques visant à
délimiter le champ de l’innovation.
D’autres auteurs comme Borges et Simard [2006] apportent une clarification
sémantique à la notion d’innovation dans le contexte industriel 10. Ainsi ces auteurs ont
démontré à partir d’une étude empirique 11 que les entrepreneurs attribuent leurs réussites

9
Source : Verstraete et Fayolle (1999). D’après donc ces auteurs, Drucker est l’initiateur du module
« Entrepreneurship and innovation » à l’Université de New York [1953].
10
Voir, les incubateurs universitaires, spin-off, high-tech et industries.
11
Il s’agit d’une étude réalisée auprès de 201 entreprises dans le secteur technologique essentiellement créées
entre le 1er janvier 1999 et le 30 septembre 2004 et ayant au moins 40 employés.

10
principalement à leurs innovations12 (pour 54% d’entre eux) contre les services (39%) et le
commerce (31%)). Des auteurs comme Julien et Marchesnay [1996] rejoignent l’analyse de
Drucker et définissent l’innovation comme le fondement de l’entrepreneuriat. Ils mettent en
évidence deux types d’innovations : l’innovation technologique et l’innovation
organisationnelle. Ils résument cette dimension en définissant l’entrepreneuriat comme « Des
idées nouvelles pour offrir ou produire de nouveaux biens ou services, ou encore, pour
réorganiser l’entreprise. L’innovation, consiste à créer une entreprise différente de celle
qu’on connaissait auparavant, à proposer une nouvelle façon de faire, à distribuer ou à
vendre » [Julien et Marchesnay, 1996 : 35].
Dans cette optique, Hernandez et Marco [2006 : 19] se sont intéressés à la relation
qui existe entre les détenteurs de l’innovation [Schumpeter, 1935 ; Drucker, 1985] et les
agents privilégiant la création d’organisation. La corrélation de ces deux types d’approches est
fournie par la matrice suivante :

12
La question posée est la suivante : comment classifiez-vous votre idée de création ?

11
Tableau 2 . Les deux conceptions en matière d’entrepreneuriat

CREATION D’ORGANISATION
OUI NON
OUI I II
CRÉATEUR Innovateur mais
d’Organisation et pas Créateur
INNOVATION

Innovateur = d’Organisation =
Entrepreneur Entrepreneur ?
NON IV III
Créateur Ni Innovateur,
d’Organisation mais pas ni Créateur
Innovateur = d’Organisation= pas
Entrepreneur ? Entrepreneur
Source : Hernandez et Marco [2006]

La lecture du tableau montre deux discours différents sur la définition de


l’entrepreneur : celui des partisans de l’innovation et celui des partisans du processus
organisationnel. Pour Schumpeter et Drucker, les individus se situant dans les cases I et II
sont des entrepreneurs. Pour Gartner I et IV sont des entrepreneurs. Il y a donc accord sur I
(entrepreneur) et III et désaccord sur II et IV.
A partir de ces constats, il semble naturel de se poser les questions suivantes :
- Peut-on être entrepreneur sans créer une entreprise ? (case II)
- Peut-on créer une entreprise et ne pas être un entrepreneur ? (case IV)
En se référant aux modèles développés par Gartner [1985] ; Hernandez [2001] ; et
Hernandez et Marco [2006] sur le processus d’émergence des organisations, nous répondrons
que l’on peut effectivement être entrepreneur sans créer une entreprise, donc par l’affirmative
à la première question et par la négative à la seconde. La première réponse trouve son
argumentation dans le cas de l’intrapreneur, qui est un entrepreneur qui s’investit dans une
organisation qui ne lui appartient pas (Cf. Carrier [1997] ; Filion [1999] ; Basson [2004] ;
Champagne et Carrier [2004]). La seconde réponse, quant à elle, est négative, car dès lors
qu’il y a création d’entreprise, il y a entrepreneur. Ce concept suggère que la création d’une
entreprise est indissociable de l’entrepreneur (Gartner [1990]; Hernandez [2001]; Hernandez
et Marco[2006]).

12
Ainsi une lecture synthétique de l’approche Schumpetérienne permet de visualiser
d’une part la place accordée à la notion d’innovation dans la mission de l’entrepreneur et
d’autre part, l’importance de l’innovation dans certains secteurs, notamment les entreprises
technologiques. En outre, la prise de risque et la motivation, sont aussi autant d’éléments qui
sont déterminants dans la vision Schumpetérienne. C’est en cela qu’il nous paraît intéressant
de regarder d’un peu plus près (dans le paragraphe suivant) le concept de détection des
opportunités. Mais auparavant, nous proposons l’extrait d’un des textes de Schumpeter [1935]
qui synthétise sa vision de l’entrepreneur.
La définition de l’entrepreneur pour J. Schumpeter
« Nous appelons...entrepreneurs, les agents économiques dont la fonction est
d’exécuter de nouvelles combinaisons et qui en sont l’élément actif.
Ces concepts sont à la fois plus vastes et plus étroits que les concepts habituels.
plus vastes, car nous appelons entrepreneurs non seulement les agents économiques
indépendants de l’économie d’échange, que l’on a l’habitude d’appeler ainsi, mais encore
tous ceux qui de fait remplissent la fonction constitutive de ce concept, même si, comme
cela arrive toujours plus souvent de nos jours, ils sont les employés dépendants d’une société
par actions ou d’une firme privée tels les directeurs, les membres du comité directeur, ou
même si leur puissance effective repose sur des bases étrangères.
Sont aussi entrepreneurs à nos yeux ceux qui n’ont aucune relation durable avec
une exploitation individuelle et n’entrent en action que pour donner de nouvelles formes à
des exploitations, tels pas mal de financiers, de fondateurs, de spécialistes du droit financier
ou de techniciens.
Les concepts dont nous parlons sont plus étroits que les concepts habituels car ils
n’englobent pas, comme c’est l’usage, tous les agents économiques indépendants, travaillant
pour leur propre compte. La propriété d’une exploitation - ou en général d’une fortune
quelconque - n’est pas pour nous un signe essentiel ».
[Extraits de la Théorie de l’évolution économique] Librairie Dalloz, deuxième édition.

2.2. Entreprendre, c’est identifier des opportunités


Classiquement, la détection de l’opportunité apparaît donc comme un champ qui a
été longtemps oublié par les modèles d’entrepreneuriats [Hernandez et Marco, 2006].
Ainsi, le paradigme de l’opportunité fait référence à de nombreux chercheurs. D’un
point de vue théorique, l’identification d’opportunité d’affaires constitue le point central de

13
toute démarche entrepreneuriale. Une des célèbres publications du domaine est le Frontiers of
Entrepreneurship Research, qui a été à l’origine de la création en 1997 d’une section intitulée
opportunity recognition. La tendance s’est beaucoup accentuée depuis l’article de Shane et
Venkataraman [2000] publié dans l’Academy of Management Review qui s’intitule « The
promise of entrepreneurschip as a field of research ». Dans cette perspective, ces auteurs
soulignent que « Pour avoir de l’entrepreneuriat, il faut d’abord avoir des opportunités
entrepreneuriales » [Shane et Venkaraman, 2000 : 220]. Depuis cette publication, plusieurs
travaux théoriques et empiriques mentionnent la reconnaissance d’opportunité dans la
définition de l’entrepreneuriat. Ainsi, pour Vesper [1990], « Le processus entrepreneurial ne
peut être considéré comme tel qu’à partir du moment où les connaissances, informations
et/ou l’expérience de l’entrepreneur potentiel peuvent être mises à profit pour faire émerger
et développer une idée d’affaires intéressante ».
Trois courants de pensées synthétisent la notion de l’émergence d’opportunité. La
première approche se présente comme objectiviste. D’après les tenants de ce paradigme
(Kirzner [1985] ; Herron et Sapienza [1992], Shane et Venkataraman [2000]), l’existence de
l’opportunité est indépendante de l’individu. Bonardi [1998 : 285] corrobore ces propos en
affirmant que le rôle de l’entrepreneur qui peut être divisé en deux groupes distincts :
« D’abord la vigilance, qui permet de découvrir des informations et des opportunités de
profit, mais qui n’implique pas de prise de risque en tant que telle ; ensuite l’exploitation de
l’opportunité découverte, qui implique, elle, une prise de risque et des investissements de
ressources ». Ainsi, l’identification de l’opportunité découlerait de l’information disponible et
de la vigilance (alertness) de l’entrepreneur à l’égard du déséquilibre qui le distingue des
autres [Hernandez et Marco, 2006]. La deuxième approche, qui se veut plutôt subjectiviste
regroupe des auteurs comme Gaglio [1997] ; Stevenson et Jarillo [1990] ; Krueger [2000] ;
Gartner, Carter et Hills [2003]. Pour ces chercheurs, l’opportunité est étroitement liée aux
caractéristiques de l’entrepreneur et de la vision qu’il privilégie. Ce point de vue signifie que
l’entrepreneur parvient à détecter ou à identifier des opportunités que d’autres ne sont pas en
mesure de voir en octroyant une dimension à son environnement. Cette conception basée sur
le subjectivisme a été anticipée par Stevenson et Jarillo [1990 : 23] qui ont défini
l’opportunité comme « Une situation future jugée désirable et faisable ». Pour ces auteurs, le
caractère de subjectivité de l’opportunité se note sur les notions employées à savoir «
désirabilité » et « faisabilité ». La troisième approche, enfin, qui se veut plus constructiviste
aborde l’émergence d’opportunité comme une dimension qui peut être développée voire créée
par l’entrepreneur à travers l’apprentissage, la formation et la créativité. Cette approche est

14
développée par Hills et al. [1999]; Sarasvathy [2001]; De Koning [2003]; Saranson, Dean et
Dillard [2005]; Smith et Digregorio [2003].
Toutefois, en dépit de ces nombreuses contributions, la littérature situe la détection,
ou l’émergence d’opportunité au cœur de toute démarche entrepreneuriale.
Ainsi au-delà de l’entrepreneur, certains auteurs proposent de se pencher sur les
forces externes (économiques, culturelles, environnementales, sociales) qui peuvent favoriser
l’émergence de l’opportunité ainsi que les interactions sociales qui permettent de la
reconnaître [Lounsbury, 1998].
Parallèlement, Messenghem [2006], à travers une approche multiparadigmatique,
montre un lien étroit entre l’opportunité (qui apparaît en toile de fond) et les autres approches
entrepreneuriales. Il affirme donc à ce titre: «Traiter de la question de l’opportunité, conduit
inéluctablement à s’interroger sur l’organisation, sur le création de valeur et sur
l’innovation». Pour mieux illustrer ce phénomène, Messeghem [2006] s’appuie sur le schéma
suivant :

Figure 3. Approche multiparadigmatique de l’entrepreneuriat

Innovation

Opportunité

Création de valeur Organisation

Source : Messenghem [2006]

La notion d’opportunité a suscité l’intérêt d’un grand nombre de chercheurs dans le


domaine de l’entrepreneuriat. Plusieurs recensions se sont intéressées à la définition de
l’opportunité ainsi qu’à son impact dans les organisations. Pour Long et McMullan [1984:
573], l’opportunité est définie comme une « Elaborated vision of a new venture which
involves a searching preview of the mechanics of translating the concept into a reality within
an industrial setting». Selon ces auteurs, l’opportunité est générée par l’individu, elle ne peut
exister sans lui. Ils distinguent trois étapes dans le processus d’identification d’opportunités :
la prévision, la vision et l’élaboration. Par contre, les travaux de Bygrave et Hofer [1991 : 14],

15
ont porté sur la relation qui existe entre opportunité et création d’entreprise et ils affirment : «
An entrepreneur is someone who perceives an opportunity and creates an organisation to
pursue it ». Schumpeter [1974 : 66], quant à lui, considère l’opportunité comme « Des
nouvelles combinaisons qui se manifestent dans l’introduction d’un nouveau produit, d’une
nouvelle méthode de production, de l’exploitation d’un nouveau marché, de la conquête d’une
nouvelle source d’approvisionnement et, finalement d’une nouvelle forme d’organisation
industrielle »13. Pour cet auteur, en introduisant de nouvelles combinaisons, l’entrepreneur
provoque une « création destructrice » qui génère de l’opportunité.
Dans ce processus, l’opportunité demeure l’essence de l’entrepreneuriat
Schumpetérien et est assimilée à l’innovation. Pour Shakle [1961], l’opportunité peut être
créée à partir de rien. L’individu est au cœur de l’opportunité et il prend son idée par l’esprit
et sa forme par son action. Les travaux de Kirzner [1973, 1979], quant à eux ont introduit la
notion d’« opportunité de profit » qui est synonyme d’«opportunité». L’auteur met en relief,
l’importance de l’émergence de l’opportunité dans une économie de marché. L’entrepreneur
est donc présenté comme un individu qui est à la recherche d’opportunité de profit (utilisé
dans le sens déséquilibre). Casson [1991] appuie la recherche de Kirzner et définit
l’opportunité comme un instrument qui permet de réaliser des profits. En effet, grâce à
l’opportunité l’entrepreneur est en mesure de présenter de nouveaux produits/services et des
nouvelles méthodes d’organisation, lui permettant de vendre à prix élevé, de dégager une
marge supplémentaire et donc de réaliser des profits.
Les études de Drucker [1985] ont permis de faire le lien entre l’opportunité et
l’environnement de l’entrepreneur. Pour elles, l’opportunité est en quelque sorte une
assurance contre les menaces et constitue les fruits de changements exogènes (conditions
économiques, politiques, sociales et démographiques). Gaglio [1997] propose un modèle de
détection d’opportunité basé sur l’utilisation heuristique mentale et de la pensée
contrefactuelle. Cela consiste à réfléchir sur un événement passé ou futur visant à favoriser
l’émergence d’une action. C’est donc une pensée qui se réalise par un fait. Ainsi l’individu
qui identifie des opportunités exploite ces heuristiques différemment de celui qui ne les
identifie pas. Et enfin, l’émergence de l’opportunité a suscité l’intérêt de l’école autrichienne
et ce à travers Kirzner [1979]. Pour cet auteur, l’opportunité est une notion liée à l’approche

13
Cette définition peut se traduire par le fait qu’ « un entrepreneur est quelqu'un qui perçoit une opportunité et
crée une organisation à poursuivre ». Schumpeter [1974: 66] considère l'opportunité comme «des nouvelles
combinaisons qui se manifestent dans l'introduction d'un nouveau produit, d'une nouvelle méthode de
production, de l'exploitation d'un nouveau marché, de la conquête «d’une nouvelle source d'approvisionnement
et, finalement d'une nouvelle forme d'organisation industrielle ».

16
néoclassique de l’économie, approche qui montre que les informations sont asymétriques et il
appartient à l’entrepreneur de les trier et de les exploiter en ramenant le déséquilibre à
l’équilibre.
Ce faisant, nous avons vu que la revue académique a permis de dégager plusieurs
concepts fondamentaux d’opportunités. Nous retenons à notre niveaux trois notions
d’opportunités : il s’agit de l’approche objectiviste, soutenue par Shane et Venkataraman
[2000] ; Kirzner [1985]. La notion subjectiviste est défendue par Gartner [2003] ; Carter et
Hills [2003], et enfin, la dernière qui se veut plus constructiviste est mise en évidence par De
Koning [2003] ; Hills et al. [1999]. L’individu qui n’est autre ici que l’entrepreneur semble
occuper une place de choix. Ainsi, pour les uns, l’opportunité existe indépendamment de
l’individu, pour les autres, l’individu et son environnement constituent de ce fait le « centre de
gravité » de la détection de l’opportunité.
Dans un essai de Synthèse du concept d’opportunité, Dutta et Crossan [2005]
proposent deux approches ontologiques relatives aux opportunités14. La première conception
qui se veut positiviste conduit à considérer qu’il existe une réalité objective, identifiable, que
seul l’entrepreneur peut découvrir. Ils affirment à ce titre que « Les opportunités existent
indépendamment des entrepreneurs qui les découvrent ». A noter que cette position est
implicitement soutenue par Schumpeter [1935], puis de façon explicite par Shane et
Venkataraman [2000]. Il s’agit là d’une vision objectiviste. La seconde, quant à elle, se
propose d’être constructiviste soutient qu’« Il peut exister des vérités objectives mais ces
vérités interagissent et sont modelées constamment par l’observateur de telle sorte que
l’action continue de l’observateur devient elle-même une part de la vérité » [Dutta et Crossan,
2005 : 429]. Ainsi, la détection d’opportunité et son exploitation sont donc selon Hernandez et
Marco [2006 : 26] « Moins l’exploitation d’un individu exceptionnel ayant découvert des
sources objectives de profit là où les autres n’ont rien vu que le fait du particulier à une
conversation sociale qui, par son enracinement culturel et son aptitude à la lecture des
situations sociales complexes, y a identifié une possibilité de profit ».
Par ailleurs, quelle que soit la position paradigmatique retenue, il est possible de
distinguer de nombreuses sources de détections d’opportunité entrepreneuriale qui englobent
les situations, l’environnement et les individus. Hernandez [2001], se basant sur les deux
approches dominantes en entrepreneuriat : la première objectiviste véhiculée par Shane et

14
Cas auteurs proposent deux approches ontologiques relatives aux opportunités ; il s’agit de la découverte et
l’enactment (mise en scène, activation).

17
Venkataraman [2000] et la seconde subjectiviste soutenue par Gartner [2003] propose une
typologie dans laquelle les deux démarches sont croisées.
Tableau 7. La matrice des opportunités créatrices d’organisation

CREATION D’ORGANISATION

OUI NON
OUI I II
Création d’Organisation et Opportunité mais pas
d’Opportunité = Créateur d’Organisation =
OPPORTUNITE

Entrepreneuriat Intrapreneuriat
NON IV III
Création d’Organisation Ni Opportunités, ni
mais pas Opportunités = créateur d’Organisation =
Entrepreneuriat ? pas Entrepreneur
Source : Hernandez [2001]

Les cases I, II et IV correspondent incontestablement à des démarches


entrepreneuriales. La case I est la création ex nihilo d’une organisation pour exploiter une
opportunité. Il s’agit donc d’un processus d’émergence organisationnel. La case II, est le
développement d’une activité nouvelle au sein d’une organisation existante, cela relève du
comportement organisationnel. La case IV, enfin, est malheureusement un cas fréquent : la
création en l’absence d’une véritable opportunité. C’est souvent le fait de créateurs qui se
lancent dans l’entrepreneuriat en vue de créer leur propre emploi. Pour ceux-là, le risque est
maximal. Les chiffres donnés par André Letowski15 [2002] font tout à fait ressortir
l’importance de cette case : «80% des nouveaux créateurs et 91% des repreneurs estiment
qu’ils se situent sur une activité très concurrencée alors que 4% seulement créent pour mettre
en œuvre un nouveau procédé de fabrication ou un nouveau produit/service. En termes de
motivation, 15% seulement des nouveaux chefs d’entreprise créent pour mettre en œuvre une
idée nouvelle et un tiers parce qu’ils ont saisi une opportunité ». On peut voir dans ces
chiffres une explication, même si ce n’est pas la seule, du taux élevé d’échec des créations
d’entreprises.

15
Il est à noter que l’analyse de la matrice ainsi que les données de l’auteur ont été rapporté par Hernandez et
Marco, (2006), p.27.

18
Nous concluons avec Hernandez et Marco [2006] pour affirmer que si l’innovation
dans le sens Schumpetérien du terme n’est pas une condition nécessaire, ni une condition
suffisante pour qu’un processus puisse être qualifié d’entrepreneurial, la création d’une
organisation et la détection et l’exploitation d’opportunité (selon les différentes approches)
sont, elles des conditions suffisantes mais pas nécessaires.
Traiter la notion d’opportunité dans le contexte entrepreneurial conduit
inévitablement à s’interroger sur le sens que l’on accorde à la notion de valeur, c’est l’objet de
la prochaine étude.

2.3 Entreprendre, c’est créer de la valeur

L’intégration de la notion de valeur au sein de l’organisation a été empiriquement


attribuée à Gartner [1990]. Dans le sillage de ses recherches, Bruyat [1993, 1994] s’inscrivant
dans la tendance de Gartner développe le concept qu’il caractérise par la dialogique 16
individu/création de valeur17. Ainsi Bruyat [1993 : 58] propose un champ de l’entrepreneuriat
et affirme à ce titre que « L’individu est une condition nécessaire pour la création de valeur,
il en détermine les modalités de production, l’ampleur… Il en est l’acteur principal. Le
support de la création de valeur, une entreprise par exemple, est la “chose” de l’individu,
nous avons :

INDIVIDU CRÉATION DE VALEUR

La création de valeur, par l’intermédiaire de son support, investit l’individu qui se


définit, pour une large part, par rapport à lui. Elle occupe une place prépondérante dans sa
vie (son activité, ses buts, ses moyens, son statut social,), elle est susceptible de modifier ses
Caractéristiques (savoir-faire, valeurs, attitudes,), nous avons :

CRÉATION DE VALEUR INDIVIDU

Pour Bruyat, l’entrepreneur ne peut exister qu’en référence à l’objet qui le légitime.
En effet, il est la source de cet objet qui va créer de la valeur et il en est aussi le résultat d’où
la dialogique. De plus, le modèle de l’auteur introduit explicitement la variable humaine et en
fait donc une condition nécessaire pour la création de valeur. Ainsi, la création de valeur
16
La dialogique a été introduit par Edgar Morin (1990) dans « Introduction à la complexité ».
17
Pour Bruyat (1993), la valeur se rapporte aux échanges sur un marché, conduisant à la fixation d’un prix.

19
engage l’individu et lui attribue une dimension importante de la vie de l’entreprise (il est à la
fois l’initiateur et le résultat de cette initiation). Il devient dès lors difficile de parler
d’individu sans lui associer la création de valeur et inversement. Le couple homme/création
de valeur devient indissociable voire inséparable.
De même, dans cette notion de « dialogique », Bruyat [1993] veut montrer qu’il
existe au moins deux logiques différentes qui lient l’individu (le créateur de valeur) et son
objet (la valeur créée) au sein de l’entreprise. La dialogique apparaît alors comme le
fondement de toute activité entrepreneuriale et elle est complétée par un indicateur de
changement qui doit être perçu tant au niveau de l’individu que de la valeur créée.
Le système entrepreneurial (aller-retour entre création de valeur et l’individu,
symbolisé par ‘valeur <-> individu’) est alors en interaction avec son environnement et se
trouve impliqué dans un processus où le temps constitue une dimension incontournable
[Bruyat et Julien, 2001]. L’environnement apparaît comme un contexte, favorisant ou inhibant
la création de valeur. Cette représentation met en évidence quatre concepts fondamentaux, qui
sont : l’(es)individu(s), son environnement, l’organisation et le processus. Ces quatre concepts
rappellent le modèle de Gartner [1985], à quelques différences prés. En effet, dans les deux
modèles, la notion du processus n’est pas conceptualisée de la même manière. Chez
Gartner[1985], celui-ci implique une façon de faire tandis que chez Bruyat [1993],
l’organisation constitue une création de valeur.
Se fondant sur le même cadre, d’autres auteurs comme Verstraete [1999] proposent
de modéliser l’approche de Bruyat [1993] en introduisant la dialectique
entrepreneur/organisation18. Dans le même ordre d’idée, Fayolle [2004] apporte sa
contribution en introduisant une approche basée sur le couple sujet/objet, Homme/projet et
Homme/organisation. A noter que cette recherche s’inscrit clairement dans le modèle de
Bruyat, comme en ont témoigné d’ailleurs les travaux de recherche de son équipe (EPI) 19.
Pour représenter le champ de l’entrepreneuriat, Bruyat [1993] circonscrit une
matrice comportant deux dimensions ; où en abscisse on trouve le processus de la création de
valeur et en ordonnée, le changement induit chez l’entrepreneur par la création de valeur (voir
la figure suivante) :

18
Dans cette approche, l’entrepreneuriat est défini comme un phénomène correspondant à l’impulsion d’une
organisation, le phénomène perdurant tant que l’impulsion met l’entrepreneur et l’organisation dans ce que l’on
pourrait qualifier de relative symbiose (Verstraete, 2000). La « symbiose » qualifie la relation unissant
l’entrepreneur (ou les entrepreneurs) et l’organisation impulsée par celui-ci.
19
Cette abréviation signifie Espaces Pédagogiques Interactifs (EPI).

20
Tableau 8. Le domaine de l’entrepreneuriat selon Bruyat [1993]

CRÉATION DE VALEUR Innovation réussie


+
Processus de changement pour l’individu
+

Importance du changement Z6

INDIVIDU
Z1 Z3
Z5

Z4 +
Pas de changement pour l’individu

-
Z0 Z2
Intensité de l’innovation
_

Importance de valeur nouvelle créée


- valeur nouvelle
Pas de création de +
Processus de création de valeur

Bruyat [1993]
Pour Bruyat [1993] et les chercheurs de la même tendance [Verstraete, 1999,
Fayolle, 2002, 2004] la surface formée par Z3, Z5 et Z6 correspond bien à une situation
entrepreneuriale, ce qui implique que plus le phénomène étudié apporte du changement et de
la nouveauté, plus, il y aurait un relatif consensus au niveau de l’équipe des chercheurs pour
admettre qu’un phénomène se situe ou pas dans le domaine entrepreneurial. De plus, Fayolle
[2004] reconnaît que la matrice développée par Bruyat permet de positionner tous les
paradigmes d’entrepreneuriat : de l’émergence organisationnelle au sens de Gartner [1990] et
Hernandez [1999, 2001] à l’innovation[Schumpeter, 1935] en passant par l’intrapreneuriat
[Drucker, 1985 ; Carrier, 1997] et la reprise d’organisation [Drucker, 1985]. Ainsi la position
de Gartner et Hernandez selon Fayolle, se trouve dans la surface constituée par Z 2, Z3, Z4, Z5 et
Z6 ; l’innovation Schumpetérienne [1935], quant à elle, se situe dans la surface formée par Z 4,
Z5 et Z6 ; l’intrapreneuriat ou le management développé par Drucker [1985], correspond à la
surface occupée par Z5 et Z6 ; et enfin, la reprise d’entreprise de Deschamps [2000] ; de
Deschamps et Paturel [2005] se place dans la surface adjointe à Z1.
Selon Verstraete [1999 : 22], l’intégration du facteur « temps » dans le
« Conceptacle »20 de Bruyat permet de cerner les trajectoires des individus dans leur aventure
entrepreneuriale. L’exemple typique, est « Une personne ayant ouvert une boutique est
représentée dans la figure de Bruyat lors de la création au temps “T” dans la zone de
situation entrepreneuriale Z3, Z5 et Z6 parce qu’elle revêt le statut de l’entrepreneur. A la

20
Bruyat désigne son modèle comme étant un conceptacle.

21
suite d’un événement conjoncturel (contexte environnemental, absence d’opportunité, manque
de moyen) celui-ci perd ce statut et donc se retrouve dans une autre situation au temps
“T+1”. Il y a eu donc un déplacement d’une situation entrepreneuriale (configuration
organisationnelle) correspondant à la surface Z 3, Z5 et Z6 vers une situation non
entrepreneuriale (salariat, chômage) correspondant à Z0 survenu à la suite d’un mouvement
».
Dans cette perspective, la délimitation d’un phénomène qui n’est plus
entrepreneurial apparaît comme une dimension incontournable et à ce titre, Verstraete [1999 :
39] précise, « Que le phénomène n’est plus entrepreneurial, dès que l’organisation n’apporte
plus de valeur et l’impulsion ne provoque aucun changement pour l’individu l’ayant initié).
Cette vision inclut, la définition de l’entrepreneur, considéré dans ce champ comme un
“perpétuel créateur”, un “persistant entrepreneur” ». Sur ce point, Fayolle [2004] considère
l’entrepreneur comme un créateur d’avantages concurrentiels.
Afin de progresser dans son champ entrepreneurial, Verstraete [2003] propose le
croisement de son modèle avec celui de Bruyat [1993] afin de montrer la nécessité de
relativiser la notion de valeur aux différentes parties prenantes impliquées dans l’organisation.
Il affirme à ce titre que « L’entrepreneur et l’organisation qu’il a impulsée ne se positionnent
plus sur un environnement, mais sur au moins d’autant d’environnements qu’il y a de parties
prenantes »21. Dans cette vision, Verstraete [2003 : 86] confie au Business Model [Verstraete
et Saporta; Jouison et Verstraete, 2006] en indiquant: qu’« Il convient de mettre en place de
véritables politiques pour chacune des parties prenantes afin d’optimiser la valeur
d’échange».
Bruyat propose une typologie d’approche centrée sur deux dimensions : l’intensité
du changement pour le créateur d’une part et l’intensité de la nouveauté pour l’environnement
d’autre part. Le changement est induit chez l’individu (sujet) entreprenant par cette création
de valeur (objet) et rejoint en cela les propos d’Ansoff [1989] pour qui l’entrepreneuriat
constitue un comportement stratégique incluant des changements importants, des risques et de
l’incertitude. D’autre part, son modèle délimite le champ de l’entrepreneuriat. Le schéma ci-
dessous résume l’intensité du changement chez l’entrepreneur.

21
La notion de l’élargissement de valeur a intéressé plus d’un chercheur, on peut citer notamment, Paturel
(2005). Cet auteur propose un concept qui repose sur un élargissement de la notion de création de valeur tenant
compte de la cible de la valeur créée. Il distingue cinq cibles possibles : le nouveau chef d’entreprise ; les
propriétaires de l’entité créée ou reprise ; la zone géographique d’installation de la nouvelle structure créée ; la
société au sens large ; la cible visée. Les réflexions de T. Verstraete (2002, 2003) complètent celles de Paturel.

22
Tableau 9. Les logiques d’actions du Créateur

Intensité du changement pour le créateur

IMITATION INNOVATION-
AVENTURE

REPRODUCTION INNOVATION-
VALORISATION
Bruyat [1993]
Intensité du changement pour l’environnement

Dans la logique de reproduction, l’individu cherche à reproduire, pour son compte,


ce qu’il faisait antérieurement. Dans la logique d’imitation, il tente de mettre en place une
organisation en se fondant sur une procédure déjà existante, mais il ne dispose pas de moyens
(humains et matériels) pour se lancer. La logique innovation-valorisation, quant à elle,
s’adresse à des individus qui ont un savoir-faire particulier. Pour ce groupe d’individus, la
difficulté se trouve au niveau de la mise au point de l’organisation et surtout de l’acceptation
par l’environnement socio-économique.
L’innovation-aventure, enfin, elle annule les incertitudes liées à l’apprentissage et à
l’innovation. D’autres chercheurs comme Fayolle [2003] ont enrichi le contexte
environnemental de l’entrepreneur et ont dégagé trois pôles: le pôle personnel englobe les
motivations, les besoins, les croyances et valeurs et l’histoire de l’entrepreneur. Le deuxième
pôle renferme les moyens matériels et immatériels de l’entrepreneur. Enfin le pôle
professionnel correspond à l’espace d’opportunité de l’entrepreneur.
Toutefois, le « conceptacle » de Bruyat [1993] souffre, comme toutes les approches
de quelques limites sémantiques et épistémologiques liées à l’exigence de la création de
valeur. En effet, si pour certains auteurs [Bruyat, 1993 ; Verstraete, 1999, 2003 ; Fayolle
2002, 2004] la création de valeur constitue une dimension incontournable à l’entrepreneuriat,
d’autres comme Hernandez et Marco [2006 : 17] estiment que toutes les initiatives
entrepreneuriales ne sont pas créatrices de valeur. Ils affirment à ce titre : « D’abord,
l’exigence de création de valeur n’est pas spécifique à l’entrepreneuriat. Elle s’impose à
toute organisation, car seule elle en assure la pérennité. Ensuite, toutes les initiatives
entrepreneuriales ne sont pas créatrices de valeur (acceptation de la Z1). On en a eu un

23
exemple avec les difficultés de nombreuses Start-up qui ont détruit plus de valeurs qu’elles
n’en ont créées. Pourtant elles relèvent incontestablement du champ de l’entrepreneuriat.
Enfin, la notion de création de valeur s’entend essentiellement dans son acception financière.
Cela ne constitue pas l’objectif principal de nombreux entrepreneurs, en particulier des
demandeurs d’emploi, qui visent surtout à créer leur propre emploi et à s’insérer
socialement »
Cette relative confusion terminologique soulève un débat. Pour les uns, c'est-à-dire
les tenants de la création de valeur, la création d’entreprise implique explicitement la création
de valeur. Les autres s’accordent à reconnaître que le concept de création d’entreprise couvre
implicitement la notion de valeur mais n’en constitue pas un objectif principal.
Ainsi les paradigmes entrepreneuriaux se sont beaucoup intéressés à l’entrepreneur
d’abord, comme agent économique à travers les fonctions qu’il met en œuvre : preneur de
risque, innovateur et opportuniste (composante économique), ensuite, à l’individu, c'est-à-dire
à ses traits de personnalité, ses motivations, ses attitudes et comportements (composante
psychologique), enfin, le comment de la création (composante stratégique) qui suscite depuis
un moment l’intérêt des chercheurs. Le prochain paragraphe se propose d’étudier la notion du
processus entrepreneurial dans une perspective d’émergence organisationnelle.

2.4 Entreprendre, c’est créer une organisation

Selon la littérature, le terme organisation est polysémique, puisqu’il implique «


L’inexistence préalable de l’organisation pour voir finalement naître celle-ci » [Verstraete et
Fayolle, 2005 : 37]. Ainsi la conception de l’organisation a été définie par plusieurs auteurs
pour les uns [Bygrave et Hofer, 1991], l’organisation correspond à une entité (une firme tout
simplement), pour les autres [Shane et Venkataraman, 2000 ; Davidson, Low et Wright,
2001 ; Wilkund, Dahqvist et Havres, 2001], l’organisation se réduit à l’acte de création, à une
phase du cycle de vie d’une entité. Or dans les travaux de recherches actuelles, la création
d’organisation n’implique plus la création d’organisation au sens limitatif du concept.
L’accent est plus mis sur le processus que sur le résultat [Shane et Venkataraman, 2000].
Pour Hernandez et Marco [2006 : 41] : « le renouvellement de l’étude de
l’entrepreneuriat doit aller de pair avec celui du vocabulaire utilisé pour le décrire. Il
propose un petit glossaire de l’émergence organisationnelle avec, pour chaque terme, la

24
définition correspondante : Existence, Situation, Emerger, Emergence, Circonstance,
Evolution, Equivoque, Fondé, Fondateur, S’effondrer, Genèse, Variation ». Dans cette veine,
Gartner [1985: 71] propose une première réflexion sur le sujet et qualifie une situation
d’émergence organisationnelle comme: « I hope that organizational emergence will convey
the image of organizations make the becoming manifest that is or organizational emergence is
the process of how organizations make themselves know (how they come out into view; how
they come into existence) the phenomenon of organizational emergence occurs before the
organization exists ». Dans cette définition, Gartner caractérise l’émergence organisationnelle
comme une apparition soudaine invisible rendue visible par l’action de création. Ainsi à la
question posée par le Journal of Business Venturing, Volume 5, [1990], intitulé « What are
we talking about when we talk about entrepreneurship ? », Gartner, fait ressortir huit thèmes
qui définissent le champ de l’entrepreneuriat.
Le premier définit l’entrepreneur dans sa dimension psychologique et sociale. Dans
ce schéma, ses caractéristiques et capacités personnelles sont mises en relief. Le deuxième fait
référence à la notion de l’innovation entendu dans son sens large (l’innovation peut être liée à
une idée, un produit, un service, un marché, une technologie). Le troisième décrit
l’entrepreneur comme le créateur d’organisation (Organization creation). Le quatrième
renvoie au concept de création de valeur (Creating value). Le cinquième met l’accent sur la
diversité des secteurs de l’entrepreneuriat qui peuvent être publics, privés ou associatifs
(Profit or no profit). Le sixième renvoie à la fonction économique de l’entrepreneur, et fait
donc allusion au fait que l’entrepreneur, est le stimulateur de la croissance au sein d’une
organisation (Growth). Le septième met en évidence l’originalité de l’entrepreneuriat
(Uniqueness) met en évidence l’originalité du caractère entrepreneurial. Le huitième enfin
renvoie au statut de l’entrepreneur manager-propriétaire (Owner-manager).
Ainsi, à travers ces définitions, trois courants peuvent être mis en exergue pour
qualifier le champ de l’entrepreneuriat :
Le premier tient à l’entrepreneur, ses caractéristiques ses traits de personnalité et ses
motivations et ses particularités. Ainsi l’approche par les traits selon laquelle on naît ou on
devient entrepreneur22 se retrouve dans les thèmes 1, 7 et 8. Les tenants de ce courant sont
McClelland [1961], Gasse et al. [2002]. Le deuxième courant, définit l’entrepreneur comme
un individu qui crée une organisation (entendue comme processus d’émergence), procède à
des innovations en créant de la valeur et donc de la croissance pour l’organisation. Il regroupe
les thèmes 2, 3, 4 et 6. Les courants mobilisés ici sont principalement ceux issus de la théorie
22
La littérature fait référence au débat ouvert entre Garlant et Gartner (1990) opposant l’approche par les traits.

25
Schumpetérienne [1935], de Gartner [1990], Hernandez [2001], et du conceptacle de Bruyat
[1993]. Ainsi, l’identification du concepteur de l’organisation a soulevé également plusieurs
débats. À la question « suis-je un entrepreneur », Gartner [1990 : 238] apporte une
clarification et indique : « Si vous créez une organisation, vous êtes un entrepreneur, si vous
n’en créez pas, vous n’en êtes pas un : nous sommes ce que nous faisons ». Verstraete [2003 :
13], soutient ces propos et affirme à son tour que « Dans notre recherche, l’entrepreneuriat
est vu comme un phénomène conduisant à la création d’une organisation impulsée par un ou
plusieurs individus s’étant associés pour l’occasion ». En analysant ces définitions, on peut en
conclure que la notion de création est la caractéristique fondamentale de l’entrepreneuriat. Ce
point de vue est confirmé par Bruch et al [2003].
Le troisième courant enfin met en évidence la notion de diversité des entreprises.
L’accent est mis ici sur la diversité des valeurs créées par l’entreprise qui peuvent aller de la
recherche du profit à la recherche d’un statut social (thème 5 et 6) (Cf. ; Bruyat [1993];
Hernandez et Marco [2006]).
Dans cette vision, l’étude de l’entrepreneuriat invite à s’interroger sur le comment
d’une organisation, ce qui implique de se demander quels sont les déterminants qui
influencent l’action entrepreneuriale.
L’émergence organisationnelle serait un ensemble de processus que l’individu doit
mettre en place pour créer une organisation.
Pour répondre à ces questions, nous nous appuyons sur plusieurs approches pour
illustrer le paradigme de l’émergence organisationnelle. Pour cela, nous proposons tout
d’abord le modèle de Gartner23 [1989] fondé sur une chronologie de système interrelié. Dans
ce cadre théorique, Gartner associe (figure 5) à l’émergence organisationnelle quatre
dimensions fondamentales qui sont : (les)l’individu(s), son environnement, le processus
(process) et l’organisation (organization).
L’entrepreneur ainsi décrit est en interaction avec son environnement pour la mise
en place d’un processus organisationnel.
La première dimension mentionnée par Gartner[1989] est l’individu, donc
l’entrepreneur. Pour cet auteur, l’entrepreneur est défini comme un individu qui engage une
quelconque action en vue de la mise en place d’une organisation [Gartner, 1990 ; Reynolds,
1997]. Ainsi, chez l’individu, la création d’un établissement résulte de plusieurs variables :
d’abord physiologiques (réussite, contrôle, tendance à la prise de risque), ensuite propres à

23
Source : Hernandez, (1999), p.49.

26
l’individu (âge, sexe), et enfin le résultat de l’interaction avec son environnement (éducation,
expérience professionnelle antérieure, modèles parentaux).
La dimension environnementale regroupe tous les facteurs qui peuvent stimuler la
mise en place d’une organisation. Le processus, quant à lui, englobe toutes les variables qui
impulsent l’émergence d’une organisation. Et la quatrième dimension, enfin, comporte toutes
les forces, faiblesses, opportunités et menaces liées à l’organisation.

27
Figure 4. Modèle de Gartner (variable dans la création d’une nouvelle entreprise)

INDIVIDU

Besoin de réussite
Lieu de contrôle
Tendance à la prise de risques
Satisfaction au travail
Expérience professionnelle antérieure
Parents entrepreneurs
Age
Education

ENVIRONNEMENT ORGANISATION

Disponibilité de capital-risque Domination par les coûts


Présence d’entrepreneurs expérimentés Différenciation
Toutefois,
Main-d’œuvre qualifiée d’autres chercheurs com Focalisation
Présence de fournisseurs Le nouveau produit ou service
Présence de clients ou de nouveaux marchés Concurrence parallèle
Influences gouvernementales Entrée sur le marché par la franchise
Proximité d’universités Transfert géographique
Disponibilité de terrains et d’équipements Manque d’approvisionnement
Présence de moyens de transport Exploitation des ressources inutilisées
Attitude de la population environnante Contrat client
Disponibilité de services de soutien Devenir une source de recours
Condition de vie Associations
Grande diversité de l’emploi et de l’industrie Licences
Pourcentages élevés d’immigrants récents dans la population Abandon du marché
Importante base industrielle Vente d’une division
Zones urbaines plus importantes Achat favorisé par le gouvernement
Disponibilité des ressources financières Changement des règles administratives
Barrières à l’entrée
Rivalité entre les concurrents existants
Pression des produits de substitution
Pouvoir de négociation des acheteurs
Pouvoir de négociation des fournisseurs

PROCESSUS

L’entrepreneur identifie une possibilité d’affaire


L’entrepreneur accumule des ressources
L’entrepreneur propose au marché des produits et des services
L’entrepreneur produit le produit
L’entrepreneur construit une organisation
L’entrepreneur répond au gouvernement et à la société
Source : Gartner [1985]
Learned [1992 : 40] s’inspirant des travaux de Gartner propose un modèle (voir
figure 6) basé sur le processus de création d’une organisation en trois étapes : (1) l’étape de
propension à créer (pour cet auteur, les caractères psychologiques de certains individus ainsi
que leurs expériences passées les rendent plus susceptibles de devenir entrepreneur plus que
d’autres). L’étape (2), est l’intention de créer (parmi ces individus, certains vivent des
situations qui les poussent à l’intention de créer). L’étape (3), enfin est la structuration des
informations (dans cette phase, l’auteur indique que les niveaux d’informations détenus par
les individus conditionnent la capacité de la mise en place d’une organisation).

Figure 5. Un modèle de formation d’organisation

28
SELECTION

MISE EN ACTION
RETENTION PRISE DE SENS

SCHEMA

TRAITS
CREATION
EXPERIENCE
PROPENSION INTENTION DECISION

ABANDON

SITUATION

ENVIRONNEMENT
Source : LEARNED [1992]

Selon Hernandez et Marco [2006], les travaux académiques les plus employés pour
expliquer l’événement entrepreneurial sont incontestablement ceux de Shapero [1975]; et de
Shapero et Sokol [1982]. Dans ces théories l’entrepreneur apparaît comme un individu qui
sous l’influence de plusieurs variables (psychologique, sociologique, économique,
contextuelle) passe à l’acte. La notion d’événement entrepreneurial a fait l’objet d’un regain
d’intérêt dans le domaine de l’entrepreneuriat. Shapero [1975] a été l’un des premiers à
recenser les facteurs pouvant déclencher l’acte entrepreneurial. Selon ce modèle, pour qu’un
individu s’initie une orientation importante dans sa vie, telle que la décision d’entreprendre,
un événement (positif ou négatif) doit déclencher une telle décision. Son choix dépendra alors
de quatre variables interdépendantes : la variable de situation, la variable sociologique, la
variable économique et la variable psychologique.
Dans cette conception, la variable de situation renferme deux événements majeurs :
les situations considérées comme négatives (le divorce, la mort, la migration, l’échec scolaire,
le chômage, l’insatisfaction au travail) par l’individu, appelées facteurs push et les situations
positives (famille, mise en place d’un nouveau produit, une nouvelle relation), nommées
facteurs pull. A noter toutefois que les facteurs positifs étant cependant rares comme le
souligne Hernandez [1999]. L’auteur justifie ces propos en attirant l’attention sur certains
témoignages recueillis lors d’une enquête : « Dans 65% des enquêtés, l’unique où la première
influence sur le créateur d’entreprise était négative, ces propos en témoignent : “j’ai été

29
licencié” ; “j’ai travaillé pour la société pendant dix ans, nuit et jour, et puis ils m’ont donné
leur imbécile de fils comme patron” ; “mon patron a vendu la société” »24. Ces profils et
témoignages, quoi que sommaires, permettent de comprendre que le déclic provient
essentiellement des facteurs négatifs.
La deuxième variable fournie par Shapero est celle qui est liée à la sociologie. Cette
variable renvoie à la crédibilité de l’acte, c'est-à-dire à la perception de la désirabilité que lui
accorde l’environnement social, culturel et économique. Plus précisément cette deuxième
variable correspond aux normes subjectives, c'est-à-dire à l’idée que se fait le futur
entrepreneur de l’attitude d’un proche, de son milieu face au comportement. A ce titre, Fortin
[2004] souligne que l’acte d’entreprendre ne devient crédible, c'est-à-dire désirable et désiré
que lorsqu’une complicité s’instaure entre l’environnement social (système de valeurs des
individus) et l’entreprise.
La troisième variable, quant à elle, se construit sur la faisabilité de l’acte
d’entreprendre. Dans cette rubrique, sont mis en exergue la propension de l’individu à
entreprendre ainsi que sa capacité à mobiliser des ressources nécessaires (économies
personnelles, aides familiales, apports du conjoint, main-d’œuvre qualifiée et bon marché,
équipe compétente, les conseils et la formation à la création d’entreprise) au démarrage de
l’activité. La variable psychologique (quatrième variable), enfin, fait référence à des attitudes
liées au comportement de l’individu (son désir d’entreprendre, ses motivations personnelles).
Les caractéristiques personnelles sont ici considérées comme une dimension pouvant
influencer la réussite entrepreneuriale.
L’influence psychologique a été associée à l’acte d’entreprendre depuis que
McClelland [1961] a affirmé que l’acte d’entreprendre ne se réduit pas à une fonction, mais à
un comportement qui est motivé par un besoin d’accomplissement (besoin de se réaliser).
Dans cette configuration, pour appuyer l’importance de cette variable, Béchard [1996 :18]
donne sa position et rapporte: « Les chercheurs nous parlent souvent d’un individu entre 25 et
40 ans, aîné d’une famille, ayant acquis son expérience au fil des emplois précédents,
créateur d’une entreprise près de sa résidence dont les chances de succès augmentent quand
il a, de surcroît, une bonne éducation. Du côté des femmes entrepreneures, elles présentent
très peu de différences dans les traits de personnalité quand on les compare avec leurs
collègues masculins. De plus, elles sont souvent plus âgées, plus éduquées et plus supportées
par leur milieu immédiat que ne le sont les entrepreneurs masculins ».

24
Propos de Shapero (1975), cité par Hernandez, (1999), p. 37.

30
Pour synthétiser son modèle, Shapero, propose une figure dans laquelle les quatre
variables sont introduites.

31
Figure 6. Modèle de l’événement entrepreneurial de SHAPERO

DISPOSITION A L’ACTION CREDIBILITE DE L’ACTE

- Motivations - Milieu familial


- Attitudes - Groupes de référence
Dogmatisme - Environnement local
Idéologie d’affaires - Environnement organisationnel
Maîtrise du destin - Essaimage
- Intuitions

ENTREPRENEUR POTENTIEL
EVENEMENT ENTREPRENEURIAL
- Création
Avec son « bagage »
- Achat
- Scolarité
- Succession
- Expériences

DISCONTINUITE ou DEPLACEMENT FAISABILITE DE L’ACTE

- Négatifs : « Pushs » - Main-d’œuvre


- Positifs : « Pulls » - Ressources financières
- Technologie
- Marchés
- Supports de l’Etat

Source : Shapero [1975]

Il apparaît au regard de cette partie que si l’on parle beaucoup d’émergence


organisationnelle et surtout de l’intérêt qu’elle suscite même en ce moment, il n’en demeure
pas moins que de nombreuses controverses subsistent quant au processus de création. Nous
retenons ici deux faits majeurs :
Tout d’abord, force est de constater que la présence plus ou moins explicite de la
« nouveauté » dans les différents modèles évoqués ne constituent pas la seule possibilité
d’une émergence organisationnelle. En effet, l’impulsion d’une organisation à travers la
reprise d’entreprise (l’achat ou l’acquisition par succession) est aussi une autre forme de
processus entrepreneurial. L’existence de cette alternative a été reconnue par Deschamps
[2000], qui affirme que la création et la reprise d’entreprises sont les deux alternatives qui
caractérisent le choix de l’entrepreneur potentiel. Dans la même représentation, Deschamps et
Paturel [2005: 5] s’intéressant à la création d’entreprise par la reprise affirment que: «Le
repreneur n’a pas à constituer ex-nihilo le réseau et la combinaison des moyens de
productions que nécessite la création, car il dispose déjà d’un outil de production, d’une
clientèle et d’une insertion dans la vie économique ; les entrepreneurs de plus de cinquante
ans, privilégieraient la reprise à la création, car elle représente […] un moyen de diriger une

32
organisation de taille acceptable que la création prendrait trop de temps pour atteindre cet
effectif acceptable, surtout qu’ils sont relativement à proximité de la retraite ».
Ainsi, ces auteurs, s’intéressant plus particulièrement au processus de la reprise des
organisations (axée sur la décision), proposent de tenir compte de la diversité de l’évolution
du repreneur en trois étapes (voir figure 8).

Figure 7. Le processus relatif à la décision de reprendre une entreprise

Etape 1 Etape 2 Etape 3


Achat
Processus relatif à la décision de reprendre
Processus de reprise
Processus d’entrée

Processus repreneurial

Source : Descahmps et Paturel [2005]

La deuxième étape est marquée par un changement de statut, le repreneur potentiel,


devient un repreneur réel grâce au dossier de reprise qui lui sert de support de négociation.
Lorsque le repreneur réel est identifié, dans la dernière étape, il passe à l’acte, c’est-
à-dire qu’il devient dirigeant de l’entreprise qu’il a achetée en appliquant les procédures et
plans de reprises.
La deuxième critique de cette approche basée sur l’émergence organisationnelle
renvoie au résultat de la création c'est-à-dire au démarrage et non à la durée de vie de
l’entreprise. En effet, les recherches accordent plus d’intérêt aux résultats de l’action qu’à
l’acte crée lui-même. D’ailleurs, le même constat est recensé au niveau des décideurs, l’accent
est plus mis même lors des évaluations sur le nombre d’entreprises créées que sur celles qui
ont survécu après création. Hernandez et Marco [2006] adhèrent à ces insuffisances et vont
même établir un parallélisme entre la démographie des entreprises et celle du tiers monde en
mettant l’accent sur le nombre élevé de naissances pour une énorme mortalité infantile.

2.5 Synthèse globale sur la diversité des paradigmes en entrepreneuriat

Il n’est pas a priori aisé, nous l’avons dit, de définir le concept d’entrepreneuriat à
partir d’une seule revue de la littérature. Une acception pourrait cependant s’établir autour de

33
cette notion, qu’est l’entrepreneuriat. Il s’agit de passer d’un concept équivoque (englobant
tous les champs de l’entrepreneuriat) vers une représentation plus singulière qu’est la notion
univoque (faisant référence à un paradigme en particulier). De plus, nous l’avons vu,
l’entrepreneur est successivement innovateur, détecteur d’opportunité, créateur de valeur et
créateur d’organisation. Ainsi sur tous ces paradigmes, les chercheurs ne semblent retenir que
la notion de création d’organisation. De plus, la complémentarité des différents courants de
pensée apparaît tout-à-fait évidente à plusieurs titres [Gartner, 1990]. Afin d’approfondir cette
notion de complémentarité, Verstraete et Fayolle [2005 : 44] proposent une figure associant à
l’entrepreneuriat quatre dimensions clés: innovation (Schumpeter); création de valeur (Bruyat,
Fayolle et Verstraete), détection d’opportunité (Shane et Venkaraman) et création
d’émergence organisationnelle (Gartner, Hernandez).

34
Figure 8. Représentation des quatre dimensions de l’entrepreneuriat et leur lien

Paradigme de 1 Paradigme de la
l’opportunité création d’une
organisation

6 5 2
4

Paradigme de Paradigme de la
l’innovation création de valeur

3
Source : Verstraete et Fayolle [2005]

Ainsi, une rétrospective des principales définitions permet de retenir plusieurs


positions, en passant de l’innovateur, de l’agent économique, de créateur de valeur,
d’opportuniste, au créateur de processus entrepreneurial. Autrement dit, l’entrepreneur peut
être défini comme un agent détectant une occasion d’affaires en créant une entreprise en vue
de l’exploiter [Morin, 1990]. Ces caractères à la fois nuancés et complémentaires sur la vision
de l’entrepreneur, ne contribuent-ils pas à compliquer la mission de celui-ci ?
Cette position a le mérite de recueillir la conception de plusieurs chercheurs, car
l’entrepreneur n’est rien d’autre que le produit de l’environnement auquel il appartient et
l’activité ne saurait se créer en dehors de celui-ci. Ainsi, l’activité entrepreneuriale demeure
étroitement liée à la présence de certains préalables. En effet, le capital social 25, à triple
facettes [Boutillier et Uzudinis, 1999] constitue l’une des conditions incontournables pour
l’insertion de l’entrepreneur dans l’économie de marché. Dans cette configuration,
l’entrepreneur en tant qu’agent socio-économique vit dans un environnement culturel auquel,
il est indissociable. Dans ces conditions, il apparaît nécessaire de s’intéresser davantage à cet
aspect culturel qui semble occuper une place primordiale et qui regroupe les facteurs sociaux,
économiques et politiques. La présente section, explore la littérature sur cette question. Au

25
Ce capital a été déjà évoqué et il se compose de capital relation, capital financer et capital connaissance, cités
par Boutillier et Uzudinis (1999), p. 147.

35
regard de toutes ces analyses, les pratiques entrepreneuriales sont–elles universelles,
autrement dit, y a-t-il un style spécifique d’entreprendre ?
Ces différentes interrogations conduisent à considérer les principaux facteurs
culturels dans lesquels baignent les normes, sociales et économiques. La section prochaine
s’intéresse à la culture incorporée dans le contexte entrepreneurial.

II. La culture dans le contexte entrepreneurial

Lorsqu’il est question de culture, Kroeber et Kluckohn [1952] font références à plus
de 150 contributions scientifiques toutes disciplines confondues. Ainsi, la question de la
culture constitue un domaine qui a intéressé plus d’un chercheur. Historiens, anthropologues
[Levi-Strauss, 1958]; économistes et sociologues [Weber, 1934]; psychologues [McClelland,
1961] et gestionnaires [Hofstede, 1980 ; Bottger et al, 1985 ; Boyacigiller et Adler, 1991 ;
Hampden-Turner et Trompenaars, 1997] pour ne citer que ceux-là, ont largement étudié ce
concept.
Ces auteurs partent sur quatre dimensions clés pour définir la culture : une
construction historique, multidimensionnelle, durable et génératrice. Il ressort de cette analyse
que la culture peut être définie comme un ensemble de construits mentaux, qui sont collectifs
et partagés au sein d’un groupe ou d’une nation [Kluckhohn et Strodtbeck, 1961]. L'étude de
cette définition révèle que les construits26 sont sources de pensées et agissements des
individus.
De ce qui précède, on note que dans notre contexte, nous situons la culture au niveau
collectif [Cf. Laléye et al., 1996] national en lui intégrant la dimension entrepreneuriale. Il est
donc question d’étudier l’impact de la culture sur les organisations ainsi que sur les
comportements managériaux.
Pour ce faire, nous proposons d’abord une recension de la documentation pour
mieux cerner les influences culturelles sur les comportements managériaux.
Mais auparavant, nous proposons afin de mieux appréhender le contexte culturel de
nous cadrer sur une approche spécifique. Nous optons dans ce contexte pour la conception
d’Hofstede [1980]. Pour cet auteur, la culture peut se définir comme un système englobant un

26
Ces mesures dictent l’orientation de la nature humaine (qu’elle soit bonne ou mauvaise) en établissant le
rapport avec la nature (de l’harmonie), le temps (passé ; présent et le futur). Le savoir être (orientation de la
nature) et le type de relation avec son environnement (individualisme, égalitaire, hiérarchique), quant à eux sont
aussi régis par les construits.

36
ensemble de valeurs collectives. De cette définition, ressort un ensemble de valeurs partagées
par les individus (d’une nation par exemple), qui en fonction de leur intensité (degré
d’importance pour l’individu) et de leurs directions (qui peuvent être bonnes ou mauvaises)
vont guider des croyances et donc des comportements au sein de la nation et constituent alors
un socle fondamental. A noter que cette définition illustre bien notre domaine 27, puisque la
notion de collectivité humaine qui y est employée, n’est rien d’autre que celle des
organisations et des entreprises.
La présente section, comporte trois niveaux d’analyses : le premier met en exergue
le caractère de la culture comme phénomène qui permet de distinguer un entrepreneur d’un
autre (1). Le deuxième paragraphe met en évidence l’impact de la dimension culturelle dans
l’émergence des organisations (2) et le troisième enfin, aborde le contexte d’un
entrepreneuriat spécifique, celui de l’entrepreneuriat africain (3).

1. La culture comme phénomène qui permet de distinguer un entrepreneur d’un autre


Dans ce paragraphe, nous proposons d’étudier les principes de la culture (1.1) et la relation
qui existe entre entrepreneuriat et culture (1.2).

1.1 Les principes de la culture

Selon Smith [1992]; Triandis et Sinha [1994], les facteurs culturels peuvent être
définis un ensemble de construits historiques. Deux événements majeurs semblent constituer
cette définition : le contexte historique se déroulant dans un espace géographique précis,
d’une part et le culturalisme produisant des comportements particuliers sous l’influence des
traditions culturelles, d’autre part.
C’est ainsi que Singh et Parashar [2005], pour synthétiser une revue de la littérature
propose un tableau qui récapitule l’ensemble des facteurs culturels (contexte historique,
géographique, social, économique et institutionnel).

27
Pour illustrer le rapport entre culture et entrepreneuriat, nous proposons le concept de Fortin (2002) qui
propose une large définition comprenant les attitudes et valeurs associées à l’entrepreneuriat (autonomie,
responsabilité, créativité et solidarité), de même que les connaissances et les compétences de savoir-faire, savoir-
être et savoir-agir appropriées pour relever le défi de création.

37
Tableau 10. Les antécédents de la culture

Contexte Géographie Identité sociale Paramètres Facteurs


historique Économiques Institutionnels
Mythes Climat Religion Système. Système de
Mémoire Topographie Instruction Économique Gouvernance
collective. Rapport de sexe Développement Système légal.
Territoire ou patrie Mobilité. Économique Droits et devoirs
Historique. Territoriale. Développement Règles et lois.
Colonisation Technologique
Ampleur des Industrie principale
Influences externes
Source Singh et Parashar, [2005]

Il se dégage à travers la lecture du tableau deux phénomènes majeurs : le contexte


historique et le contexte géographique. En effet, pour ces auteurs, ces deux contextes
constituent les éléments les plus marquants qui influent sur l’identité sociale de l’individu, qui
déterminent les paramètres économiques et institutionnels dans une époque donnée et dans un
espace géographique déterminé.
Toutefois, il faut noter que l’approche de Singh et Parashar [2005] s’éloigne du
modèle de stabilisation culturelle mis en place par Hofstede [1980]. En fait, il convient de
noter que pour cet auteur, les facteurs tels que l’identité sociale, les paramètres économiques
et les facteurs institutionnels sont liés aux normes sociales ou à un système de valeur et non à
la culture. L’accomplissement de toute action a lieu à partir des systèmes de valeurs qui
déterminent le mode de fonctionnement des institutions et qui influent en retour sur
l’environnement (la famille, le système éducatif, la législation et la politique).

38
Ainsi Hofstede [1980] établit la distinction entre la culture d’une société et ses
conséquences28 et il indique à ce titre que la culture d’un pays est durable et ne peut être
modifiée qu’en présence des forces exogènes intenses (voir figure 10).
Figure 9. Modèle de stabilisation culturelle

Influences extérieures
- forces de la nature
- forces de l’homme
- commerce et conquêtes
- découvertes
scientifiques
Conséquences : structure et
fonctionnement
des institutions :
Origines : facteurs : CULTURE Structure familiales ;
Écologiques ; = Différenciation des rôles ;
Géographiques ; Normes sociales Stratification sociale ;
Économiques ; = Définitions de comportement ;
Démographiques ; Systèmes de valeur de Éducation ;
Génétiques/hygiéniques ; la plupart des groupes Religion ;
Historiques ; de population Structure politique ;
Urbanistiques. Législation ;
Architecture ;
Développement de la science.

Hofstede [1980]

1.2 Le rapport entre les éléments de la culture et l’entrepreneuriat

Si historiquement la revue de la littérature a beaucoup porté sur les actions de


l’entrepreneur, ses traits et caractéristiques, il n’en demeure pas moins que ses attributs sont
étroitement liés au culturalisme [ Borges, Simard et Filion, 2005]. Pour ce faire, Warnier
[1993] identifie l’entrepreneur à une boîte noire qu’il convient d’ouvrir afin d’en d’observer
le contenu. De fait, la culture fournie à l’individu le cadre de sa perception et les résultats de
son action. Partant de cette approche, Davidsson [1995] établit un rapport entre les variables
(institutionnelles et macroéconomiques) et les spécificités culturelles. Pour illustrer l’impact

28
Il faut noter que pour Hofstede (1980) ses conséquences sont indispensables pour le maintien de la culture et
renforce même les valeurs. Parmi ces conséquences, on peut citer attribution des rôles par exemple dans une
société ou une stratification sociale des peuples, les comportements ou la religion, constitue un ensemble de
conséquences de la culture.

39
de la culture sur l’entrepreneuriat, deux courants de pensées sont privilégiés. Il s’agit de
l’approche par les traits qui consiste à étudier le rapport qui existe entre la culture et les
caractéristiques personnelles de l’entrepreneur (1.2.1). La seconde approche explore quant à
elle, le lien entre la culture nationale et l’intensité entrepreneuriale (entendu-ci par le nombre
d’organisations créées) (1.2.2).

1.2.1 Approche par les traits

Dans l’étude visant à montrer la relation entre la culture et les caractéristiques


personnelles de l’entrepreneur, il convient ici de recenser les travaux empiriques élaborés par
Hayton, George et Zahra [2002]. Selon ces auteurs, la relation entre la culture nationale,
l’entrepreneuriat et les caractéristiques de l’entrepreneur s’expriment sous quatre formes de
manifestations : les besoins et les motivations de l’entrepreneur, ses croyances et
compétences, sa cognition et les valeurs culturelles (individuelles et collectives). En effet
selon Scheinberg et MacMillan [1988], Shane et al. [1991 ; 1992], les motivations et les
objectifs des créateurs d’entreprises varient systématiquement selon les spécificités
culturelles ; ces variations existent malgré toutes les caractéristiques communes évoquées 29.
Au niveau de l’approche cognitive, Abramson et al. [1993]; expliquent les différences de
styles cognitifs par la variété de l’environnement culturel. Ainsi, Mitchel et al., [2000], en
étudiant des entrepreneurs dans sept pays différents montrent que les scripts cognitifs des
entrepreneurs sont en forte corrélation avec les valeurs culturelles.
Cette recherche s’inscrit dans le modèle de Hosfede [1980] qui associe l’éclosion
des entrepreneurs grâce à une culture caractérisée par une faible ou un fort individualisme,
une faible distance hiérarchique, une faible maîtrise de l’incertitude et une forte masculinité [
Shane, 1992 ; Mueller et Thomas, 2000]. La première dimension de Hofstede met l’accent sur
les différentes relations qui peuvent unir les individus. Ils peuvent être soit lâches (sens
individualisme du terme) ou soit collectifs (soumis à l’intérêt du groupe). La deuxième
dimension, renvoie à la distance hiérarchique et elle vise à mesurer jusqu’à quel degré par
exemple, une société est capable d’accepter les inégalités. Pour l’auteur, la réduction de ces
inégalités implique de faible distance hierachique. La troisième dimension, souligne
l’incertitude des membres face à des situations inconnues.

29
Il faut noter que la littérature attribue aux entrepreneurs un ensemble de caractéristiques communes (Cf. Gasse
(2000), Filion (1997), Et Fortin (2004)).

40
Ainsi, un fort contrôle de l’incertitude traduit une meilleure vision de l’avenir.
Inversement, dans les sociétés à faible contrôle d’incertitude, les individus ne se sentent pas
en danger et par conséquent, ils déploient peu de moyens institutionnels pour se protéger. La
quatrième dimension, enfin, met en évidence les sociétés masculines par rapport aux sociétés
féminines. Ainsi, selon l’auteur, les sociétés masculines sont marquées par une répartition des
tâches entre genre. En clair, l’homme dans cette société doit rester fort de détenir tous les
droits matériels, quant à la femme, elle doit se concentrer sur la qualité de vie et rester
modeste. Dans les sociétés féminines, les deux sexes peuvent avoir des rôles similaires.
Toutefois, un certain nombre d’auteurs ont souhaité étudier les relations qui existent
entre les facteurs institutionnelles et économiques et l’entrepreneuriat. Pour Hayton et al.
[1993] la dimension culturelle (constituée par les croyances, les valeurs, la cognition et les
comportements) serait une variable modératrice de la relation entre les facteurs contextuels
(institutionnels et économiques) et l’entrepreneuriat. Busenitz et Lau [1993], considèrent
quant à eux que l’interaction des valeurs culturelles ainsi que les caractéristiques personnelles
déterminent, dans une situation donnée la cognition de l’entrepreneur qui est à l’origine de
l’intention et par la suite de l’action entrepreneuriale. A noter, que cette configuration (de
Busenitz et Lau [1993]) s’inscrit largement dans le modèle développé par Shapero et Sokol
[1982] qui accordent une place capitale aux variables culturelles dans l’explication de la
désirabilité sociale et donc de l‘acte de création.

1.2.2 Culture nationale et intensité entrepreneuriale


Le second courant de pensée, quant à lui s’intéresse au rapport qui existe entre la
culture d’une nation et son intensité entrepreneuriale (entendu au sens de création
d’entreprise). Ainsi, plusieurs travaux [Shane, 1992, 1993 ; Davidsson, 1995 ; Davidsson et
Wiklund, 1995] soulignent que le taux de création varie d’un pays à l’autre ou d’une région à
une autre. Cette représentation rejoint les travaux de Hofstede 30 [1980] qui montre une forte
corrélation entre l’intensité entrepreneuriale et certaines caractéristiques culturelles nationales.
2. L’impact de la dimension culturelle dans les organisations
Deux approches semblent cohabiter dès qu’on parle de comportement culturel dans
les pratiques entrepreneuriales. La première, appelée approche unidimensionnelle, s’intéresse
à l’impact de la culture dans les organisations, en partant d’une seule variable. Parmi les
œuvres recensées dans la revue de la littérature relative à cette approche, se trouvent les
30
Selon la grille mise en place par Hostede (1980), comme nous l’avions souligné précédemment, le taux de
création est positivement corrélé avec les dimensions liées à l’individualisme, à l’acceptation, à la tolérance face
à l’incertitude et à la distance hiérarchique.

41
contributions de Weber [1964] et de Tribou [1995]. Weber, dans son ouvrage intitulé
L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, fournit une explication. En effet, pour cet
auteur, les représentations protestantes valorisant le travail sont à l’origine du développement
des entreprises capitalistes. Weber établit ainsi un lien entre les principes (comme le dur
labeur, l’accumulation de l’argent, le dépassement, l’abondance matérielle qui constituent des
valeurs sollicitées par Dieu) développés par les Protestants et le comportement économique
qui en résulte. Tribou [1995], s’inspirant des propos de Weber propose une démarche
parallèle en établissant une comparaison avec les principes de l’islam. Il ressort de cette
analyse que la religion Musulmane tout comme celle des protestants favorise l’influence des
pratiques entrepreneuriales. En fait, pour l’auteur, l’islam, à travers ses forces et son
dynamisme alimente spirituellement l’activité économique de l’entrepreneur.
La seconde approche, qui s’appuie sur plusieurs dimensions, est celle de l’approche
multidimensionnelle. Ainsi, en science de gestion, nombreux sont les chercheurs (Hofstede
[1980]) ; Hall et Hall [1990]; Lawrence et Yeh [1994] ; Fukuyama [1995]) qui ont choisi
d’étudier la culture entrepreneuriale sous l’angle de la taxonomie 31. Ce modèle identifie quatre
dimensions d’une culture nationale expliquant les comportements des individus dans une
organisation. Dans cette configuration, Hofstede [1980] établit à partir d’un échantillon de
116 000 salariés d’IBM une étude dans 72 pays. Il en résulte qu’il est possible grâce aux
indices attribués à chaque dimension, d’établir une carte culturelle du monde [Hofstede et
Bollinger, 1987]. Il convient toutefois de noter ici les résultats contradictoires observés par
McGrath, MacMillan et Scheinberg [1992]. Ces résultats mettent l’accent sur le fait que les
entrepreneurs se caractérisent par une distance hiérarchique élevée et non faible comme le
démontre Hofstede. D’autres auteurs comme Yang et Tsai, [1992] ; Swierczek et Quang,
[2004] se sont intéressés à l’identification des dimensions de la taxonomie de Hofstede
pouvant discriminer entre les cultures entrepreneuriales nationales. Il va sans dire que le
modèle de Hofstede a été repris par plusieurs auteurs, notamment Hernandez [1997 : 98] qui,
à partir de la grille de l’auteur résume le positionnement de quelques pays par rapport au
modèle de Hofstede (voir tableau 6).

Tableau11. Positionnement de quelques pays à l’aide des items de Hofstede

Pays Distance Contrôle de Individualiste Masculinité


31
Il s’agit d’un modèle élaboré par Hofstede qui prend en compte quatre dimensions-clé : (1) : un fort
individualisme, (2) un fort taux de masculinité, (3), une distance hiérarchique, et (4) une faible maîtrise de
l’incertitude.

42
hiérarchique l’incertitude
USA - - + +
France + + + -
Allemagn - + + +
e
Afrique + - - -
Source : Hernandez [1997]

Ainsi, la culture est un concept multidimensionnel qui renferme des dimensions


discriminantes. C’est pour cette raison, qu’il est important de parler de ces caractères
discriminants afin de mieux comprendre les spécificités de l’entrepreneuriat africain.

3. Le contexte de l’entrepreneuriat africain et ses particularités

Les contributions scientifiques consacrées à cette thématique peuvent être


structurées au tour de six approches socioculturelles. La première approche est consacrée à la
notion du communautarisme ainsi qu’à son influence sur l’entrepreneur (3.1). La deuxième
approche fait référence à la famille comme dimension essentielle dans le fonctionnement de
l’entreprise (3.2), la troisième renvoie aux notions spirituelles comme mode
d’accompagnement sensible au comportement entrepreneurial (3.3), la quatrième met l’accent
sur l’imbrication de l’économie formelle et de l’économie informelle (3.4). La cinquième met
en évidence la dimension de la solidarité dans les pratiques entrepreneuriales (3.5) et la
sixième, enfin aborde la faible mobilisation du secteur bancaire (3.6).

3.1 Entrepreneuriat et communautarisme

Le communautarisme, présenté actuellement au Sud, peut être défini comme « la


tendance à considérer que la terre et les moyens de production appartiennent à la
communauté » [Ngoma-ya-Nzuzi, 2007 : 103]. En effet, le communautarisme a été considéré
tour à tour par de nombreux auteurs comme étant la principale forme d’organisation de la vie
socioculturelle africaine [Hernandez, 1987 ; Fokam 1993 ; Warnier 1995 ; Tadjine, 2004 ;
Tadjine et Nkakleu, 2005]. Ainsi, selon Levy-Tadjine et al. [2004] au moins deux points
caractérisent le communautarisme :

43
- Le premier est le tributariat. Ce point met en exergue l’influence du
communautarisme. Cette situation implique que l’entrepreneur vit dans une communauté et
partage un conditionnement collectif, respecte des droits et obligations qui s’imposent à lui.
L’entrepreneur, plus que les autres, a un devoir moral et économique, et doit donc par
conséquent redistribuer tous les fruits de sa réussite [Fokam, 1993] à sa communauté. Ainsi,
de nombreux auteurs se sont intéressés à cette redistribution. Pour Sarr [1998], elle est
assimilée à un placement social. Ainsi l’argent apparaît dans ce contexte comme un outil à la
fois d’enrichissement et de libération individuel et collectif.
- Le second point, qui est une conséquence du premier met en évidence la dimension
de la responsabilité sociale de l’entrepreneur envers sa communauté et inversement. En effet,
le système communautaire africain, selon Warnier [1995], est tel qu’il oblige les
entrepreneurs à privilégier leur communauté, pour les recrutements par exemple. On peut
également observer l’apport positif de la communauté dans la mobilisation initiale des
ressources pour soutenir l’entrepreneur32. Cette situation vise à faciliter le démarrage de
l’entrepreneur. Ainsi, il ressort à ce stade du développement que l’entrepreneur africain est à
la recherche d’un double objectif : « etho-profit » et d’un « etho-notabilité » [Nkakleu, 2001].

3.2 Approche basée sur l’implication familiale

La deuxième approche fait référence à la cohésion familiale et aux liens de parenté


sur lesquels repose toute une organisation. Ainsi, dans les travaux réalisés en sciences
humaines, nombreux sont les auteurs qui considèrent la famille comme une entrave à la
création d’entreprise et donc au développement économique [Banfiel, 1953 ; Kerr et al.,
1960 ; Berger et al., 1993]. À noter toutefois que cette vision n’est pas partagée par tous les
chercheurs. En effet, des auteurs comme Freeman [1979]; Wong [1985]; Lan [1988]; Redding
[1990] considèrent la famille comme un véritable levier pour entrepreneurs. L’exemple
typique qui est souvent donné est la petite entreprise africaine [Warnier 1995] où toute la
famille est mise à contribution pour la réussite de l’entreprise33.
Cette recherche vient réfuter la première analyse selon laquelle la famille peut
constituer un frein au développement économique [Berger et al., 1993]. En fait, la
contribution de la famille au niveau du contexte africain peut se résumer essentiellement par

32
Il s’agit là, d’une dette morale que l’entrepreneur est tenu de rembourser, pas forcement en argent, mais en
restant sociable et social à l’égard de sa communauté.
33
Il faut noter que pour certains auteurs comme Waldinger et al., (1990), il s’agit le plus souvent de structures
informelles et donc la contribution de la famille se fait le plus souvent sans rémunération et donc sans statut.

44
l’entraide familiale qui prend effet à partir de la phase du démarrage [Levy-Tadjidine, 2004].
Dans la veine de ces travaux, Gillian [2003] met l’accent sur l’exemple de la famille indienne
qui peut constituer également un important levier d’encouragement entrepreneurial 34.

3.3 Les croyances magico-religieuses

La littérature portant sur les stratégies d’accompagnements spirituels livre deux


messages fondamentaux. Certains considèrent la réussite sociale et même celle des
organisations comme étant fonction des actions occultes [Ngoma-ya-Nzuzi, 2007] d’une part.
Pour d’autres, les pratiques de sorcellerie ou de magie [Kabou, 1991 ; Kamdem, 2002]
constituent les principaux freins au développement économique des entreprises africaines
d’autre part. Ainsi, les pratiques magico-réligieuses semblent indissociables des contextes
socioculturels dans lesquels baignent les entreprises africaines. D’autres éléments
caractérisent les entreprises africaines ; il s’agit du taux élevé de l’analphabétisme, la
croyance au destin, l’autoritarisme des personnes âgées et la marginalisation des femmes.

3.4 L’imbrication de l’économie formelle et de l’économie informelle

On s’accorde généralement à considérer le secteur informel comme étant une


extension du secteur traditionnel et un secteur moderne plus ou moins analogue au secteur
moderne [Hart, 1973]. Ainsi, des auteurs comme Ponson [1995] ; Hukum et Le Saoult [2001],
en analysant l’économie informelle, constatent une forte imbrication entre le secteur formel et
le secteur informel. Dans le même ordre d’idée, Metellin [1985 : 16] a identifié plusieurs
termes pour désigner les diverses conceptualisations des activités économiques
africaines « Activités de survie, de substance, non exploiteuses, artisanat, circuit inférieur,
économie de bazar, de subsistance, marginalité, non protégé, non structuré, refuge… ». De
plus, quelle que soit l’opinion que l’on puisse développer sur les activités informelles, qu’il
faille notamment les inhiber ou les stimuler, leur qualification est actuellement incontestable
dans les économies africaines. Pour mobiliser des ressources, ces économies informelles ont

34
La famille indienne pour l’auteur est une source de formation et d’apprentissage pour la socialisation de
l’individu tournée vers l’entreprise.

45
recours à des caisses d’entraide qui fonctionnent comme des banques populaires sans intérêt
ni garantie et où la confiance est le maître mot.

3.5 Existence d’une forte solidarité ethnique

En Afrique, la solidarité est un devoir, voire une règle qu’aucun individu ne doit
transgresser au risque d’être marginalisé [Sarr, 1998]. Ainsi selon cet auteur la solidarité ne
signifie pas une assistance, mais elle implique une réciprocité et donc un échange. Dans le
contexte entrepreneurial deux visions ethniques sont favorisées quand on évoque le
recrutement. La première, fait appel à un recrutement intra-ethnique [Levy-Tadjine et al.,
2004] et renvoie à une logique communautaire qui s’explique par le raffermissement des liens
sociaux et répond en fait à une obligation morale. La seconde [ Levy-Tadjine et al., 2004]
nommée inter-ethnique, repose plus sur les caractéristiques entrepreneuriales et favorise donc
les compétences des recrues.

3.6 Le faible recours aux systèmes bancaires structurés

Des chercheurs africains en entrepreneuriat [Lelart, 1995 ; Warnier, 1995 ; Fokam,


1993 ; Nkakleu, 2001 et Tchankam, 2004] reconnaissent l’existence de trois modes de
financement. Le premier est le financement endogène et il semble être le plus classique. Cette
situation implique que les ressources mobilisées au démarrage de l’activité et même par la
suite proviennent de l’apport personnel de l’entrepreneur ou de sa famille. Le deuxième mode
de financement est le recours au système bancaire (le financement externe). Selon Sarr
[1998], le plus souvent, les banques établies en Afrique n’accordent pas de prêts aux
entrepreneurs qui ne répondent pas aux critères de garantie exigés. Ainsi, en l’absence de
système bancaire intéressé à soutenir les initiatives des entrepreneurs ne présentant pas de
garantie autre que morale, s’est développé un troisième mode de financement qui est celui des
tontines. La mobilisation de la petite épargne par le biais de la tontine a connu des
transformations significatives, notamment dans certains milieux ethniques comme les
Bamiléké au Cameroun [Nkakleu, 2001].

46
Synthèse du chapitre deuxième

Dans le cadre de notre chapitre, nous nous sommes en tout premier lieu attachés à
présenter ce que les recherches scientifiques placent sous les expressions suivantes :
entrepreneuriat, entrepreneur et entreprendre. Ainsi, nous avons pu grâce à une recension de
la littérature mettre en évidence plusieurs paradigmes de l’entrepreneuriat et à l’action qui en
résulte. Deux visions principales apparaissent pour caractériser l’entrepreneur. Pour certains,
l’entrepreneuriat repose sur le besoin de réalisation, le sens de l’initiative, d’innovation et la
performance. Pour d’autres, l’entrepreneuriat se traduit par la recherche d’indépendance, de
survie et d’autonomie. Dans tous les cas, il apparaît évident et ce à travers tous les auteurs que
la décision d’entreprendre ne s’improvise pas, mais résulte de l’effet conjugué d’un ensemble
de décisions et d’actions.
Au-delà des caractéristiques communes, la culture fait apparaître clairement des
différences notables entre les entrepreneurs.
S’agissant de notre définition, nous considérons l’entrepreneuriat dans une approche
pluri-paradigmatique associant l’approche de Shapero [1975]; celle de Gartner [1990]; celle
d’Hernandez [1999 ; 2001]; celle de Shane et Venkataraman [2000] et enfin celle
d’Hernandez et Marco [2006].
Notre conception de l’entrepreneuriat est donc celle fournie par Hernandez et Marco
[2006 : 17] qui souligne que : « l’entrepreneuriat, c’est le processus d’émergence
organisationnelle et l’entrepreneur c’est l’initiateur de ce processus complexe qui consiste à
détecter et à exploiter les opportunités d’affaires dans un contexte économique, historique,
socioculturel et technologique donné ».
Cependant, indéniablement, l’entrepreneuriat se positionne comme une solution
viable au chômage [Ponson, 2002] structurel qui sévit actuellement en Afrique en général et
en Mauritanie en particulier. On sait aussi, que certains pays doivent leur développement à
l’action entrepreneuriale, dont les femmes entrepreneures sont des actrices de premier plan.
Ainsi, au cours des dernières décennies, on assiste à une croissance du nombre des entreprises
créées par les femmes à travers le monde. En Mauritanie, l’entrepreneuriat a connu ces
dernières années un regain d’intérêt considérable. Dans le prochain chapitre seront proposées
successivement une revue de la littérature écrite à propos des femmes entrepreneures (I), puis
une série d`hypothèses à propos de l’émergence des entreprises féminines mauritaniennes
extraites d’un cadre théorique (II).

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