Introduction Lors des cours précédents, nous avons essayé de récapituler et d’établir les filiations des idées et des théories actuelles sur l’entrepreneuriat. Aujourd'hui, le champ de l’entrepreneuriat est éclaté et ses multiples composantes sont observées et analysées par différents spécialistes des sciences humaines et sociales: économistes, sociologues, historiens, psychologues, spécialistes des sciences du comportement et des sciences de gestion. Ce domaine émergent fait l’objet de nombreuses controverses et les définitions des notions d’entrepreneuriat et d’entrepreneur ne sont pas encore unifiées, de même que leurs implications théoriques et pratiques ne sont pas précisées. On peut dégager cependant trois grandes conceptions de l’entrepreneuriat. 1. Le point de vue des économistes Les bases historiques de l’entrepreneuriat appartiennent aux sciences économiques. Comme nous l’avons souligné précédemment, c’est Richard Cantillon qui est le premier à présenter la fonction de l’entrepreneur et son importance dans le développement économique. Cet auteur souligne dans son analyse du phénomène entrepreneurial, le rôle de l’incertitude et du risque lorsqu’il s’engage vis-à-vis d’un tiers de façon ferme. Jean Baptiste Say souligne aussi la prise de risque de l’entrepreneur lorsqu’il investit son propre argent et coordonne des ressources pour produire des biens. J. A. Schumpeter est considéré cependant comme le fondateur du champ de l’entrepreneuriat. Chez cet économiste, l’entrepreneur devient une figure centrale du développement économique. Il est l’innovateur (en réalisant de nouvelles combinaisons productives)et l’agent du changement. D’autres économistes ont apporté des éclairages différents ou complémentaires: - Franck Knight et la relation de l’entrepreneur à l’incertitude: le profit que perçoit l’entrepreneur est une rémunération juste car elle est le produit de l’incertitude et du risque. - Israel Kirzner souligne le rôle de la notion d’opportunité; les opportunités de profit naissent du déséquilibre et non de l’équilibre, l’entrepreneur doit donc être vigilant afin de les détecter et les exploiter. - Leibenstein met l’accent sur l’inefficacité dans l’utilisation des ressources . - Mark Casson introduit deux éléments d’analyse afin d’expliquer la réussite entrepreneuriale: la famille (rôle du réseau de relations pour trouver les financements et les marchés) et la maitrise de l’information. Le point de vue des économistes est important car il donne une légitimé historique au champ de l’entrepreneuriat. Il est également multi composantes et tend à dégager au moins deux figures d’entrepreneurs (celle de l’entrepreneur-organisateur d’activités et celle de l’entrepreneur innovateur) et quatre rôles entrepreneuriaux principaux (« risk-takeur/risque manger », « innovateur », « alert seeker of opportunities » ou co-ordinateur of limited resources ») 2. Approches centrées sur les individus Elles visent à produire des connaissances sur les caractéristiques psychologiques des entrepreneurs, leurs traits de personnalité, leurs motivations, leurs comportements, leurs origines et leurs trajectoires sociales. Elles cherchent à dégager un profil-type d’entrepreneur qu’il serait possible d’identifier par une caractéristique principale ou un ensemble de traits. Une des questions relatives aux individus porte sur le caractère inné de l’entrepreneur (hypothèse). Les entrepreneurs auraient un instinct entrepreneurial. Max Weber met en évidence le système de valeurs: Les entrepreneurs sont dotés de l’ « esprit du capitalisme» qui est celui de la rationalité économique: «un type de conduite économique particulier caractérisé par la recherche de profits, toujours accrus grâce à l’utilisation rationnelle , calculée et méthodique des moyens de production ainsi que des conditions d’échange ». Mc Clelland propose la théorie du besoin de réalisation (need for achievement). Pour cet auteur, les entrepreneurs sont des individus qui ont un besoin élevé d’accomplissement, une forte confiance en eux, une capacité à résoudre seuls les problèmes. - N’ayant pas démontré l’existence d’une seule variable pour expliquer le phénomène, les psychologues, sociologues et autres spécialités du comportement ont effectué des centaines de recherches sur les entrepreneurs et identifié toute une série de caractéristiques qui les décrivent. - Les approches typologiques viennent compléter les approches par les traits Caractéristiques le plus souvent attribuées aux entrepreneurs par les spécialistes du Innovateurs comportement Besoin de réalisation Leaders Internalité Preneurs de risques modérés Confiance en soi Indépendants Implication à long terme Créateurs Tolérance à l’ambiguité et à l’incertitude Energiques Initiative Persévérants Apprentissage Originaux Utilisation des ressources Optimistes Sensibilité envers les autres Orientés vers les résultats Agressivité Flexibles Tendance à faire confiance Débrouillards Argent comme mesure de performances
Source: Filion, L. (1997). Le champ de l’entrepreneuriat: historique, évolution,
tendances. Revue Internationale P.M.E., Volume 10, n°2, 1997, p. 129-172 3. Approches basées sur les processus - L’approche en terme de processus entrepreneurial fait essentiellement référence à des notions de la théorie des organisations: d’une part l’organizational behavior et d’autre part la notion d’Organizational Emergence. - A. Le comportement entrepreneurial concerne principalement les rapports entre les individus et les organisations ainsi que les rapports interindividuels ou intergroupes au sein des organisations. Il est structuré autour de 4 thèmes: l’engagement de l’individu dans l’action et l’organisation (notions de motivation, d’implication), le lien individu-organisation (modes d’ajustement portant sur l’échange d’informations, la confrontation des valeurs, l’apprentissage dans l’organisation), les dynamiques de leadership. - Plusieurs aspects de l’entrepreneuriat sont ainsi étudiés en se référant au champ de l’Organizational Behavior: la décision de créer l’entreprise, le comportement dans une organisation en vours de création, le comportement entrepreneurial dans une organisation existante appelé « intrapreneurship » ou « corporate venturing ». - B. la notion d’organisation émergente dans cette optique, étudier l’entrepreneuriat revient à étudier la naissance de nouvelles organisations, autrement dit les activités permettant à quelqu’un de créer une nouvelle entité plutôt que celles liées au développement, à la maintenance ou au changement d’unités existantes. - L’émergence organisationnelle est le processus d’organisation qui mène à une nouvelle organisation. Ella a lieu avant que l’organisation n’existe, ce n’est pas une nouvelle entité mais le processus dont le résultat est une nouvelle entité. - L’analyse de l’entrepreneuriat sous cet angle amène le chercheur à devoir répondre aux questions suivantes: comment naissent les organisations? Pourquoi? Où? Quand? Qui était impliqué?