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UA : Union Africaine
L'Afrique, en tant que continent aux multiples facettes, est confrontée à des défis
sécuritaires complexes qui transcendent les frontières nationales. Dans ce contexte,
l'intégration régionale 1émerge comme une réponse cruciale pour faire face aux enjeux
sécuritaires qui menacent la stabilité et le développement du continent. L'Union Africaine
(UA) et la Communauté Économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) ont,
chacune à leur manière, élaboré un cadre règlementaire et des mécanismes opérationnels
visant à coordonner les efforts des États membres en matière de sécurité. Cette première partie
de l'exposé explorera donc le cadre règlementaire de l'UA et de la CEDEAO, en mettant en
lumière les instruments et mécanismes qui sous-tendent leur engagement envers la paix et la
sécurité régionales d’une part (A) et d’autre part les actions concrètes entreprises par ces
organisations pour traduire dans les faits leurs ambitions d'intégration en réponse aux besoins
de sécurité du continent africain (B).
L'Acte Constitutif de l'UA, adopté à Syrte en 2001, reflète l'engagement des États
africains envers une intégration poussée et la résolution commune des défis sécuritaires. Cet
acte établit les objectifs de l'UA, dont la promotion de la paix, de la sécurité, et de la stabilité 2.
Il souligne le principe de non-indifférence face aux crimes contre l'humanité, affirmant la
volonté de l'UA de protéger ses citoyens. L'article 4 de l'acte constitutif précise : Le droit de
l’Union d’intervenir dans un Etat membre sur décision de la Conférence, dans certaines
circonstances graves, à savoir : les crimes de guerre, le génocide et les crimes contre
l’humanité; Pour atteindre ses objectifs en matière sécuritaire, l’UA s’est doté d’un organe
permanent, le Conseil de paix et de sécurité (CPS).
1
L’intégration est l’action d’entrer dans un tout. Ernest Hans dans Battistella (2012 :425) la définit comme : « ...
Un processus par lequel des auteurs politiques de nationalités différentes sont amenés à transférer leurs
allégeances, attentes et activités politiques vers un centre nouveau dont les institutions ont, ou cherchent à
avoir, compétence sur les Etats nationaux préexistants». L'intégration régionale est définie par Biao (2003) vis-
à-vis l’Afrique Centrale en ces termes: L’Intégration régionale est le processus par lequel deux ou plusieurs pays
réduisent progressivement et supprimer les obstacles aux échanges entre eux et les disparités entre leurs
économies, de manière à constituer, à terme, un espace économique homogène. » (p. 23) L’intégration
régionale requiert une adhésion des peuples d’un espace donné à une prise de conscience commune de
consolider leurs liens sociologiques, économiques, voire politico-monétaires
2
Acte constitutif de l'Union africaine, article 3 (f)
Adopté en 2002 à Durban, en Afrique du Sud, le Protocole relatif au Conseil de paix
et de sécurité de l'Union Africaine établit les bases juridiques et institutionnelles du Conseil
de paix et de sécurité (CPS), en mettant en place une architecture élaborée.
Comme tout organe institutionnel, le CPS fonde bien évidemment son action sur des
principes. Ceux qui lui ont été attribués par les pays africains sont évoqués à l’article 4 du
protocole, à savoir :
3
Le Conseil de paix et de sécurité établit son propre règlement intérieur, dans lequel il fixe la convocation de
ses réunions, la conduite des débats, la publicité et les procès-verbaux des séances, ainsi que tout autre aspect
pertinent de sontravail, pour examen et approbation par la Conférence. (Art 8-14 protocole relatif au CPS)
le respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale des Etats membres ;
la non-ingérence ;
l’égalité souveraine des Etats ;
le respect des frontières héritées de la colonisation ;
le « droit d’ingérence » reconnu à l’Union en cas de violation massive des
droits de l’homme ou de menace à la paix.
Les principes qui guident l’action du CPS sont l’expression d’un compromis et d’une
« ambiguïté constructive » qui a permis aux Etats africains de construire un consensus autour
de deux approches antinomiques : « la non-ingérence d’un Etat membre dans les affaires
intérieures d’un autre Etat membre » (article 4.f du protocole) et « le droit de l’Union
d’intervenir dans un Etat membre dans certaines circonstances graves […] » (article 4.j du
protocole).
Qui plus est, les fonctions du CPS, clairement énumérées à l’article 6 dudit protocole,
peuvent être résumées comme suit :
Pour mener à bien son action et les missions qui lui ont été dévolues, le CPS dispose
de pouvoirs énoncés à l’article 7 du protocole, à savoir :
Le Système Continental d’Alerte Rapide (SCAR) constitue une initiative axée sur la
prévention des conflits sur le continent africain et la fourniture d'informations pertinentes
relatives à l'évolution des conflits violents, en se basant sur des indicateurs spécifiquement
conçus à cet effet. Son objectif premier est d'anticiper et d'éviter les conflits, établissant ainsi
la prévention comme une condition préalable cruciale à l'instauration de la paix, de la sécurité
et de la stabilité en Afrique. Ce système, conformément à l'article 12 du protocole, a pour
mission de conseiller le Conseil de paix et de sécurité (CPS) en lui transmettant de manière
opportune des informations sur les conflits potentiels et les menaces à la paix et à la sécurité
en Afrique. Il se compose d'un centre d'observation et de contrôle, chargé de collecter et
d'analyser les données, ainsi que d'unités d'observation et de contrôle régionales. Cette
structure vise à renforcer la capacité du CPS à prendre des mesures éclairées et efficaces pour
prévenir et résoudre les conflits sur le continent.
• Une mission autonome de paix au titre du chapitre VI de la charte de l’ONU ainsi que le
stationnement préventif de troupes en vue du maintien de la paix ;
• Intervention (militaire) de l’UA dans des situations graves, par exemple pour empêcher un
génocide si la communauté internationale n’intervient pas. Les unités de la FAA qui
interviennent sur le terrain comprennent des composantes militaires qui s’adressent au
commandant de la force, des forces de police et des composantes civils qui s’adressent au
représentant nommé par le président de la commission. Chaque (CER) a été chargé de la mise
en place d’une brigade en attente, d’un dépôt logistique militaire et d’un ou plusieurs centres
d’entraînement. Outre sa brigade en attente, chaque CER est censée posséder un dispositif de
planification permanent, un quartier général cadre à partir duquel est assemblée sa brigade.
Les forces cumulées des brigades régionales devraient atteindre entre 25 000 et 32 000
hommes.
LA CEDEAO
Contrairement à l’Union africaine (UA), qui a construit son dispositif sécuritaire sous
l’influence de l’architecture de paix et de sécurité, la Cedeao a précédé les initiatives de
l’organisation panafricaine et a développé dans les années 1990, un cadre de prévention et de
gestion des conflits largement endogène, inspiré avant tout du contexte politique ouest-
africain, de ses propres expériences sécuritaires et des formes particulières que prend
l’instabilité dans cette région.
C’est dire que les objectifs de la CEDEAO ont considérablement évolué depuis la signature
du traité initial instituant l’organisation sous‐régionale ouest‐africaine. Aux termes des
dispositions du Traité de 1975, la CEDEAO a vocation à favoriser la coopération et le
développement dans tous les domaines de l’activité économique, en particulier l’industrie, les
transports, les télécommunications, l’énergie, les ressources naturelles, le commerce, la
monnaie et les questions financières, ainsi que les affaires sociales et culturelles, dans le but
final d’élever le niveau de vie de la population de la région, d’assurer la stabilité économique
et de contribuer au progrès et au développement du continent africain4. Dans le texte originel,
aucune mention n’est faite sur le maintien de la paix. Toutefois, l’évolution du climat
politique marqué par la récurrence des crises socio‐politiques dans la sous‐région va amener
les États membres de la CEDEAO à reconsidérer ses objectifs en accordant une place de
4
Cf. Article 3 du Traité révisé de la CEDEAO.
choix à la coopération politique. La crise au Liberia qui suscita l’intervention de la CEDEAO
à travers l’ECOMOG a contribué à accélérer la prise de conscience des États membres de la
CEDEAO qu’il n’existe pas de cloison étanche entre développement économique et la
stabilité politique. C’est pourquoi, le 22 juillet 1993, fut révisé le Traité de Lagos avec une
innovation majeure : la prise en compte des problèmes de coopération sur les questions de
sécurité entre les États membres. C’est ainsi que la CEDEAO introduisit dans son texte
fondateur des compétences juridiques en matière de règlement des différends survenant à
l’intérieur ou entre États membres. Avec le nouveau traité, il est expressément reconnu à la
CEDEAO la compétence de régler les différends intra ou inter‐États de son espace.
En vertu de cette disposition, fut adopté le 10 décembre 1999, le texte qui a consacré
une nouvelle étape de la vie de la CEDEAO en matière de paix et de sécurité : le Protocole
relatif au mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la
paix et de la sécurité. « Convaincus que la criminalité transfrontalière, la prolifération des
armes légères et toutes formes de trafic illicites contribuent au développement de l’insécurité
et de l’instabilité et compromettent le développement social et économique de la sous‐région
»9, les États membres de la CEDEAO posèrent clairement les principes10 qui guident l’action
de l’organisation en matière de paix et de sécurité. Le mécanisme mis en place par ce
5
Cf. Traité révisé de la CEDEAO, article 58, § 1.
6
Ibid., article 58, § 2.
7
Ibid., article 58, § 3.
8
Cf. Protocole de la CEDEAO relatif au Mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de
maintien de la paix et de la sécurité, article 58, § 3.
9
Ibid., dispositions préambulaires.
10
Ibid., article 2.
protocole se fixe entre autres les objectifs suivants : « La prévention, la gestion et le règlement
des conflits internes dans les conditions prévues au paragraphe 46 du cadre du Mécanisme
entériné par la Décision A/DEC.11/10/98 du 31 octobre 1998, ainsi que des conflits inter‐
États ; le renforcement de la coopération dans les domaines de la prévention des conflits, de
l’alerte précoce, des opérations de maintien de la paix, de la lutte contre la criminalité
transfrontalière, le terrorisme international, la prolifération des armes légères, et les mines
anti‐personnelles ; le maintien et la consolidation de la paix, de la sécurité et de la stabilité au
sein de la Communauté ; la promotion d’une coopération étroite entre les États membres dans
les domaines de la diplomatie préventive et du maintien de la paix ; la mise en œuvre des
dispositions pertinentes de l’article 58 du traité révisé de la CEDEAO »11. Ce mécanisme mis
en place par le protocole octroie à l’organisation ouest‐africaine une gamme de pouvoirs
allant des initiatives en matière de prévention des conflits au pouvoir de recourir à la force
pour rétablir les gouvernements démocratiquement élus en passant par les actions déployées
pour régler pacifiquement les différends.
Forte des leçons des années 1990, l’organisation s’est dotée d’un régime de sécurité
collective sans précédent sur le continent africain, qui se manifeste également dans
l’architecture institutionnelle et le fonctionnement des principaux organes de décision du
Mécanisme. Si la plus haute autorité, la Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement, est
une instance intergouvernementale, celle-ci délègue ses pouvoirs de décision à un organe qui
a une dimension supranationale, le Conseil de médiation et de sécurité (CMS)12. Le CMS se
compose de neuf Etats membres, dont sept sont élus par la Conférence pour un mandat de
11
Cf. Protocole de la CEDEAO relatif au Mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de
maintien de la paix et de la sécurité, article 3. 102 U. Villani, Les rapports entre l’ONU et les organisations
12
Article 10(1) : « Le Conseil de Médiation et de Sécurité prend, au nom de la Conférence, des décisions sur des
questions liées à la paix et à la sécurité de la région. Il assure également la mise en œuvre de toutes les
dispositions du présent Protocole ».
deux ans renouvelables13. Aucun Etat membre ne siège de manière permanente, ce qui place
petits et grands Etats sur un pied d’égalité. Le CMS dispose de larges attributions, dont celle
d’autoriser le déploiement de missions politiques et militaires. Alors que la Conférence
fonctionne sur le principe du consensus, le CMS délibère à la majorité des deux tiers, ce qui
confère aux décisions sécuritaires de la Cedeao un caractère supranational : six Etats membres
ont le pouvoir d’engager l’organisation toute entière sur des questions de paix et de sécurité 14.
Le CMS est soutenu par des « organes d’appui » directement rattachés à la Cedeao, qui
l’assistent dans la prise de décision et la mise en œuvre des directives 15. La Commission de la
Cedeao, qui a succédé au Secrétariat exécutif depuis janvier 2007, fournit un appui
administratif, opérationnel et logistique. Son président est notamment chargé de recommander
au CMS les principales nominations et de dépêcher des missions d’enquête et de médiation.
La Commission de défense et de sécurité, qui réunit les chefs d’état-major des armées et les
responsables des services de sécurité, se réunit au moins une fois par trimestre pour assister le
CMS sur les questions militaires. Une autre institution du dispositif, le Conseil des sages, qui
regroupe d’éminentes personnalités ouest-africaines, peut être sollicité par le CMS ou par le
président de la Commission pour effectuer des missions de médiation, de conciliation ou
d’arbitrage.
Les rédacteurs du Mécanisme ont tiré des leçons des déploiements militaires
improvisés de la Cedeao au Libéria et en Sierra Leone et ont fait de l’ECOMOG, créé pour la
circonstance, une force permanente. L’ECOMOG réunit des unités militaires, policières et
civiles mises à disposition par les Etats membres. Les unités sont stationnées dans leur pays
d’origine, et prêtes à être déployées dans les missions autorisées par les organes exécutifs du
Mécanisme. Depuis le lancement au début des années 2000 de l’Architecture africaine de paix
et de sécurité de l’UA, l’ECOMOG – dénommé « Force en attente de la Cedeao » depuis juin
2004 – fait partie des cinq brigades régionales constitutives de la Force africaine en attente
(FAA). Dès 2010, ce dispositif avait pour objectif la mise sur pied d’une brigade
multinationale de 6 500 hommes, pouvant être déployée selon six scénarios, dans la région ou
13
Les deux autres membres sont la présidence en exercice de la Conférence et la présidence immédiatement
précédente (Article 8).
14
Le CMS se réunit à trois niveaux : celui des chefs d’Etat (au moins deux fois par an), celui des ministres des
Affaires étrangères, de la Défense, de l’Intérieur et de la Sécurité (de manière trimestrielle), et celui des
ambassadeurs accrédités auprès de la Cedeao (chaque mois).
15
En réalité, le Conseil des sages a été peu présent, voire dormant, ces dernières années. Entretiens de Crisis
Group, Abuja, décembre 2014.
sur d’autres terrains du continent en cas d’intervention de grande ampleur. Soucieux de
résoudre les problèmes de coordination des troupes dont avait particulièrement souffert
l’ECOMOG au Libéria et en Sierra Leone, le Mécanisme confie à la Commission de la
Cedeao la responsabilité de mener des programmes d’entraînement communs et d’organiser à
intervalles réguliers des exercices militaires conjoints. Chaque mission de paix est dirigée par
un représentant spécial pour sa composante politique, et par un commandant de la Force pour
sa composante militaire.26 Les deux sont nommés par le CMS, sur recommandation de la
Commission. Les commandants des contingents nationaux rendent compte au commandant de
la Force, qui est seul responsable devant la Commission de la Cedeao.27 Il en va de même
pour les unités civiles, placées sous la direction du représentant spécial. La Cedeao est à ce
jour l’organisation régionale africaine qui a fait le plus de progrès, formellement tout au
moins, en direction d’une Force en attente effective. Si ses composantes civiles et policières
sont encore largement sous-développées, elle est parvenue à tenir peu ou prou les échéances
qu’elle s’était fixées sur le plan militaire dans sa feuille de route adoptée en 2005. En
décembre 2009, les chefs d’état-major des Etats membres ont approuvé la structure et la
composition de la brigade de la Force en attente. La brigade comprendrait une force de
réaction rapide capable d’intervenir sous 30 jours, le reste pouvant être déployé en trois mois.
L’état-major permanent à Abuja a sous ses ordres trois bataillons et dispose de deux dépôts
logistiques.28 Plusieurs exercices d’entraînement ont eu lieu pour évaluer sa capacité à
conduire une opération de maintien de la paix, dont un exercice de grande envergure en 2008,
réunissant tous les modules à Bamako.29 La communication officielle sur l’état de
préparation de la force en attente est cependant en décalage important avec la réalité d’un
modèle qui n’a pas encore fait ses preuves sur le terrain.
En examinant les actions mises en œuvre, nous pourrons mieux comprendre comment
le cadre règlementaire se traduit dans la pratique, démontrant ainsi l'efficacité ou la pertinence
des mécanismes de sécurité élaborés par l'UA et la CEDEAO.
Les actions menées par l’UA et la CEDEAO, vont de la médiation aux interventions armées.
Nous prendrons en exemple les expériences Guinéenne et Malienne.
En Guinée comme en Guinée-Bissau, les responsables de la CEDEAO, à commencer
par celui qui a été le Secrétaire exécutif puis le premier Président de la Commission de la
CEDEAO entre février 2002 et février 2010, Mohamed Ibn Chambas, ont montré une volonté
réelle de s’appuyer sur les Protocoles de 1999 et 2001 pour influencer les développements
politiques et sécuritaires. Le président de la Commission a incontestablement entrepris de
jouer pleinement son rôle tel que défini dans le Mécanisme de prévention, de gestion, de
règlement de conflits, de maintien de la paix et de la sécurité. Il a envoyé des missions
d’information et de médiation, nommé des représentants spéciaux, conduit lui-même nombre
de missions, y compris au plus fort des crises comme ce fut le cas à Conakry en février 2007
ou en janvier 2009, au lendemain de la prise du pouvoir par la junte du CNDD16. Il a impliqué
les autres institutions du Mécanisme dans les efforts entrepris, y compris les membres du
Groupe de sages, donné l’impulsion nécessaire au Conseil de médiation et de sécurité (CMS)
et entretenu des relations constantes et constructives avec les chefs d’Etat qui exerçaient la
présidence tournante de l’organisation. Il a incarné les nouvelles valeurs de l’organisation en
étant ferme dans ses déclarations publiques sur la condamnation des violations des droits de
l’Homme par les forces de défense et de sécurité des Etats membres et dans la volonté
d’appliquer strictement les sanctions prévues par les Protocoles en cas de rupture de l’ordre
constitutionnel. La Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement a généralement adopté les
recommandations du CMS elles-mêmes soumises par la Commission, y compris des décisions
fortes comme celles qui ont été prises à l’encontre du CNDD de Dadis Camara en octobre
2009. Au sein du Département des Affaires politiques, de la paix et de la sécurité de la
Commission s’est développée une vision partagée de la défense effective des valeurs portées
par les Protocoles de 1999 et 2001. Il s’agit d’un acquis qui ne doit pas être remis en cause par
les changements de personnes au niveau de la Commission et/ou au niveau de la Conférence
des chefs d’Etat et de gouvernement. Si une partie considérable des moyens est affectée à la
mise en place de la force en attente de la CEDEAO dans le cadre de la formation des brigades
régionales de maintien de la paix à disposition de l’UA, l’accent a également été mis sur le
renforcement de la Direction en charge du dispositif d’Alerte précoce à travers des activités
de formation des analystes et le développement de nouveaux outils techniques comme le
souligne le rapport annuel 2009 de la CEDEAO. Outre l’appui au Conseil de médiation et de
sécurité pour la gestion des crises politiques en Guinée, en Guinée-Bissau et au Niger, la
direction des Affaires politiques a continué à affecter des ressources importantes à l’assistance
et à l’observation électorales dans les pays membres et engagé le travail de préparation des
16
Le Conseil national pour la démocratie et le développement
plans d’action qui doivent donner corps à l’ambitieux Cadre de Prévention des Conflits
(CPCC) adopté en janvier 2008. Le CPCC comprend pas moins de 14 composantes. Des
consultants engagés par la Commission développent depuis 2009 les plans d’action pour les
composantes Démocratie et Gouvernance politique, Diplomatie préventive, Gouvernance des
ressources naturelles, Gouvernance sécuritaire, Médias, et Femmes, paix et sécurité.
L’examen des cas de la Guinée et de la Guinée-Bissau notamment depuis 2009 montre une
volonté de coopération étroite et d’alignement des positions politiques entre la CEDEAO et
l’UA dont le Conseil de paix et de sécurité (CPS) est l’organe de décision prééminent au
niveau continental. Sur le dossier de la Guinée après le coup d’Etat de décembre 2008 en
particulier, les deux organisations ont systématiquement recherché un alignement de leurs
positions et présenté un front commun au sein du Groupe international de contact qu’elles ont
co-présidé. La menace puis l’application effective de sanctions ciblées par le CPS de l’UA à
l’encontre des dirigeants de la junte du CNDD ont ainsi pu consolider et crédibiliser les
efforts diplomatiques menés par la CEDEAO. Un alignement visible de l’UA et de la
CEDEAO permet aussi d’obtenir plus facilement le soutien diplomatique des acteurs
extérieurs influents comme l’Union européenne, ses Etats membres et les Etats-Unis. Les
sanctions financières, les interdictions de voyage, voire les menaces d’une saisine de la Cour
pénale internationale (CPI) en cas de violations graves des droits de l’Homme, lorsqu’elles
émanent des grandes puissances occidentales, sont davantage redoutées que lorsqu’elles ne
sont brandies ou adoptées que par l’Union africaine. Les fonctionnaires de la Commission de
la CEDEAO ont régulièrement fait la navette entre Abuja et Addis-Abeba pour alimenter en
informations et en analyses la Commission de l’UA et le CPS.
Cas du mali (MISMA) : Le début du processus de négociation peut être situé avec les
premiers actes décisionnels des organisations régionales dans la prise en charge de la crise.
Très tôt après le début de la crise avec le coup d’état du 27 mars 2012, la CEDEAO a agi en
prenant deux mesures : la désignation d’un médiateur17 et l’activation de sa Force en attente
(FAC) en cas de refus d’une solution pacifique par les rebelles. Dans un premier temps, ce
sont les solutions politiques qui ont été privilégiées par les acteurs. En effet, le 6 avril, un
accord-cadre18 a été conclu entre la junte militaire et la CEDEAO prévoyant la nomination
17
Comme dans de nombreuses crises ouest africaines notamment en Côte d’Ivoire, c’est le Président burkinabè
B. COMPAORÉ qui a été désigné comme médiateur
18
Suite à la démission de l’ancien Président élu A.TOUMANI TOURÉ, D. TRAORÉ a été choisi comme Président
de la République par intérim et Ch. MODIBO DIARRA nommé Premier ministre.
d’un nouveau Président de « consensus » et la création d’un nouveau gouvernement de
transition dirigé par un Premier ministre doté d’un pouvoir exécutif élargi ayant notamment
pour but d’organiser des élections. L’accord prévoyait aussi une loi d’amnistie pour les
membres de la junte. Cet accord politique suscitait davantage d’interrogations et
d’inquiétudes qu’il n’apportait de réponses. La principale question posée qui résume bien
l’échec de la stratégie de la CEDEAO, était la suivante : « comment la CEDEAO pouvait-elle
espérer résoudre une crise politico-institutionnelle en ménageant excessivement des personnes
qui sont parvenues au pouvoir par voie anticonstitutionnelle alors même que l’organisation
continentale tente de présenter une image démocratique sur la scène internationale ? » 19. De
toute évidence, le manque de fermeté des acteurs régionaux envers la junte apparaît comme
un affaiblissement de leur position. Alors que l’ONU condamnait sans ménagement les
auteurs du changement anticonstitutionnel de gouvernement, les acteurs régionaux
reconnaissaient le Comité national pour la restauration de la démocratie et le redressement de
l’Etat (CNRDRE) en concédant à son président putschiste le statut d’ancien chef d’Etat, avant
de se rétracter. Cette position régionale fut pour le moins surprenante et surtout à contre-
courant de la philosophie d’une « organisation prônant la démocratie et la bonne gouvernance
» dans la mesure où plusieurs instruments juridiques20 de la CEDEAO et de l’Union Africaine
interdisent clairement le changement anticonstitutionnel de gouvernement. Ce ne sont pas
leurs divers sommets extraordinaires21 et réunions ministérielles qui ressemblaient davantage
à des rendez-vous de principe qu’à des rencontres de mise en place d’une véritable stratégie
de sortie de crise, qui ébranlent cette certitude. Par conséquent, cet accord-cadre s’est très vite
révélé comme le « mariage de la carpe et du lapin » 22, sa violation par les rebelles, malgré le
rappel à l’ordre du Conseil de sécurité dans un communiqué de presse du 9 avril 2012 visant à
le respecter, en témoigne. Dès lors, les acteurs locaux n’ont pas pu établir une feuille de route
claire pour une intervention militaire. Si les principales raisons de ce rôle marginal sont à
rechercher dans la faiblesse institutionnelle et politique23 de ces organisations au stade de la
19
Sentinelle, n° 313 du 15/07/2012 (www.sfdi.org).
20
Pour l’Union Africaine : l’article 2 § 4 de Charte Africaine de la Démocratie, des Elections et de la
Gouvernance du 30 janvier 2007. Pour la CEDEAO, l’article 1er § b et c du Protocole A/SP1/12/01 sur la
Démocratie et la Bonne Gouvernance additionnel au protocole relatif au mécanisme de prévention, de Gestion,
de règlement des conflits, de maintien de la Paix et de la Sécurité du 21 décembre 2001.
21
Avant l’adoption de la résolution 2056 par le Conseil de sécurité, cinq sommets extraordinaires ont été tenus
sans qu’il n’en ressorte une position claire et unanime des Etats ouest africain ou une véritable stratégie
commune. Ce sont plutôt des solutions a minima qui sont prises par les acteurs.
22
Le rapport du Secrétaire général S/2012/894 du 28 novembre 2012 qualifie cet accord dans son paragraphe
14 d’« une alliance de nécessité »
23
Bien que les alternatives locales ne fussent pas légion, on déplora fortement l’absence de leadership d’une
grande puissance africaine. Le Nigéria, susceptible d’assumer ce rôle au sein de la CEDEAO, n’a joué en
définitive, qu’un rôle marginal dans la négociation d’une solution à la crise.
négociation, et surtout dans la complexité de la crise qui semble difficile à appréhender, le fait
est que, dès le début de la crise, les acteurs locaux ont privilégié une solution africaine qui
exclurait l’intervention du Conseil de sécurité. Certains ont qualifié cette volonté de «
somalisation »24 du Mali.
Ces atermoiements sont révélateurs d’un paradoxe entre l’aspiration à l’autonomie locale,
notamment à l’égard de l’organisation universelle, qui s’est traduite par leur volonté de
trouver une solution africaine à la crise, et leur incapacité à s’accorder sur la solution à
donner. L’intervention du Conseil de sécurité a eu pour conséquence de limiter l’impact du
régionalisme sécuritaire en Afrique.
Cela illustre bien que les efforts de l’UA et de la CEDEAO, rencontrent maintes
difficultés qui méritent d’être analysées pour le renforcement de l’action sécuritaire régionale.
24
Sentinelle 213, op. cit. C’est l’idée selon laquelle l’Etat malien ne serait qu’un Etat sous perfusion, artificiel et
qu’on pourrait qualifier de défaillant. Ce qui justifierait donc l’envoi d’une force africaine à l’instar de
l’ONUSOM au Somalie en 2007