Vous êtes sur la page 1sur 22

CHAPITRE 2.

EVALUATION DES ACTIONS DE L’ARCHITECTURE


AFRICAINE DE PAIX ET DE SECURITE : REALISATIONS ET DEFIS

Le maintien de la paix et de la sécurité internationale constitue,


incontestablement, le grand problème de la société internationale. Cette affirmation
ne nécessite pas une longue démonstration. Le nombre et la gravité des guerres qui
ont marqué l'histoire de l'humanité, l'apparition et la répétition du phénomène de la
guerre, l'invention, le perfectionnement et la multiplication des armes atomiques en
ce siècle également, la persistance de foyers de crise et la multiplication des guerres
locales depuis 1945 sont des faits assez angoissants et assez connus pour montrer à
la fois la gravité du problème et l'urgence de lui trouver une solution1.

Dans la perspective d’une concrétisation de la philosophie kantienne sur


la paix perpétuelle, les États, que ce soit au niveau universel ou régional, envisagent
une mutualisation, une contractualisation de leur sécurité, à travers des systèmes
dits de sécurité collective. Ces derniers reposent sur une politique de défense, de
règlement des conflits, de maintien de la paix, à l’instar de ce qu’il en est de
l’Afrique, surtout à partir de 1963 avec la création de l’Organisation de l’Unité
Africaine (OUA)2.

En succédant à l’Organisation de l’Unité Africaine, l’Union Africaine se


donne pour ambition de renouveler et de consolider le projet d’intégration politique
et économique dont les bases avaient été jetées en 1963. À cet effet, l’Acte
constitutif de la nouvelle organisation, dont les contours ont été tracés dans la
Déclaration de Syrte du 9 septembre 1999, a fixé des objectifs et instauré un cadre
institutionnel allant bien au-delà de l’approche diplomatique finalement privilégiée
par l’OUA.

1
VIRALLY M. « Les grands secteurs d'intérêts des organisations internationales » in : Manuel sur les
organisations internationales, 2e éd., La Haye, Martinus Nijhoff, 1998, p.398.
2
OUMBA P. « L’effectivité du rôle du conseil de paix et de sécurité de l'union africaine dans la résolution des
conflits » in : NAP, n° 10 – août 2013, pp.1-27.
Au-delà de la symbolique d’une telle décision, les dirigeants africains
prenaient définitivement acte de leur volonté d’ouvrir une nouvelle page de
l’intégration de leur continent. À travers ce dernier aspect, la création du Conseil de
Paix et de Sécurité traduit la volonté de rompre avec la fatalité des guerres et de se
doter d’instruments aptes à relever les défis de la paix et à promouvoir une
politique africaine commune de défense et de sécurité visant à renforcer le rôle de
l’Organisation continentale en matière de gestion des crises politiques, militaires et
civiles3.

Depuis sa création officielle en 2002, l’Union Africaine est une actrice


majeure dans la sécurité collective africaine qu’elle s’évertue, par ailleurs, à
structurer et à consolider. L’examen de son agenda et de ses activités durant ses dix
premières années d’existence confirme la prépondérance des problématiques liées à
la paix et à la sécurité. Comparativement à l’Organisation de l’Unité Africaine à
laquelle elle a succédé, l’Union Africaine opère un véritable tournant sécuritaire :
elle a créé de nouveaux organes sécuritaires connus sous le nom d’Architecture
Africaine de Paix et de Sécurité (AAPS ou APSA) ; elle a inscrit dans son Acte
constitutif le droit de l’Union d’intervenir dans un État membre dans certaines
circonstances graves à savoir en cas de crimes de guerre, de génocide ou de crimes
contre l’humanité, mais aussi en cas d’une « menace gave à l’ordre légitime » d’un
État, par exemple, dans le cas d’un coup d’État et « le droit des États membres de
solliciter l’intervention de l’Union pour restaurer la paix et la sécurité »4.

Par ses objectifs et les principes qui le guident, en tous points identiques
à ceux qui figurent dans l’Acte constitutif de l’Union, comme par ses modalités de
saisine et d’intervention ou encore les instruments sur lesquels elle s’appuie,
l’APSA marque une franche rupture avec l’organe central de l’ancien Mécanisme
auquel elle se substitue.

3
OUMBA P, op.cit. p.14.
4
CHOUALA Y-A., « Puissance, résolution des conflits et sécurité collective à l'ère de l'Union africaine. Théorie
et pratique" », Annuaire Français des relations internationales, 2005, volume VI, pp.286-308
A s’en tenir au texte du Protocole qui la crée, l’Union africaine dispose
donc d’un dispositif de sécurité qui s’impose aux mécanismes régionaux et
s’intègre dans la mission de maintien de la paix des Nations Unies, en vertu du
chapitre VIII de la Charte. Sur la suprématie des Nations Unies en la matière, le
Protocole souligne sans ambiguïté que le Conseil de paix et de sécurité « coopère et
travaille en étroite collaboration avec le Conseil de sécurité des Nations Unies, qui
assume la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité »5.

L’ambition de l’Union africaine est de trouver des solutions à des


conflits dévastateurs, dont, souvent, se désintéresse la « communauté internationale
», et de mieux cerner les maux qui en sont générateurs. C’est dans cette perspective
qu’on est en droit d’appréhender ses réalisations jusqu’à ce jour (Section 1), et les
écueils qui minent l’effectivité du rôle de l’architecture de paix et de sécurité de
l’Union africaine dans le cadre de la prévention, gestion et résolution des conflits
en Afrique (Section 2).

SECTION 1. LES REALISATIONS DE L’APSA POUR LE MAINTIEN DE


LA PAIX EN AFRIQUE

Le maintien de la paix et de la sécurité dans le monde est l’une des


missions primordiales sinon la mission essentielle dont est investie la communauté
internationale avec à sa tête l’Organisation des Nation Unies (ONU). Aussi bien
l’ONU que sa prédécesseur la Société des Nations ont vu le jour suite à des conflits
armés qui au siècle passé ont ébranlé le monde et perturbé la paix. Ce maintien de
la paix internationale nécessite des structures capables d’intervenir lorsque les
mécanismes politiques de négociation et de médiation n’arrivent pas à résoudre les
crises6.
Qu’il s’agisse d’intervention, d’interposition ou de simples missions
d’observation, la disponibilité de forces internationales est incontournable.

5
OUMBA P. « L’effectivité du rôle du conseil de paix et de sécurité de l'union africaine dans la résolution des
conflits » in : NAP, n° 10 – août 2013, pp.1-27.
6
BASSOU A. « Architecture Africaine de Paix et de Sécurité : Pertinence dans la conception et difficultés dans
les réalisations » in : 'OCP Policy Center, 2017, pp.1-11
C’est dans ce sens que l’ONU et les organisations régionales se sont
dotées de mécanismes qui leur permettent de rassembler et d’actionner ces forces
chaque fois que nécessaire. La sauvegarde de la paix internationale se rappelle avec
insistance au monde d’aujourd’hui à un moment où la surface du globe est
traversée par une vague de conflits et de tensions qui plus que jamais menacent la
sécurité internationale7.

L’Afrique figure parmi les régions du monde où les problèmes liés à la


sécurité représentent non seulement un frein au développement mais aussi et
surtout une menace de déstabilisation, voie de faillite de certains Etats du continent
qui est aujourd’hui proie à plusieurs courants d’instabilité. C’est ainsi que dès la
création de l’Union africaine en 2002, les Etats se sont penchés sur cette
prolifération de crises qui entravent la marche de l’Afrique et qui constituent un
souci majeur à tel point que le principe de non-ingérence privilégié par l’OUA a
laissé place à celui de « non-indifférence » adopté par l’UA8.

Depuis sa création, l’Architecture africaine de sécurité collective, à


travers le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine est intervenue à
maintes reprises dans plusieurs États afin de contribuer et aussi à maintenir la paix
et la sécurité sur le continent africain.

L’examen de son agenda et de ses activités durant ses dix premières


années d’existence confirme la prépondérance des problématiques liées à la paix et
à la sécurité. Comparativement à l’OUA à laquelle elle a succédé, l’UA opère un
véritable tournant sécuritaire en créant connus sous le nom d’Architecture Africaine
de Paix et de Sécurité; Il serait donc intéressant d’envisager quelques exemples de
ses interventions afin de pouvoir analyser l’efficacité de ses actions.
§1. L’APSA et la situation au Burundi

Première mission de paix de l’UA, la Mission africaine au Burundi a été


approuvée le 3 février 2003 par l’Organe central de l’UA pour superviser la mise en
7
BASSOU A. op.cit.p.7
8
OUMBA P. op.cit. p.13.
œuvre des accords de cessez-le-feu, stabiliser la situation sécuritaire et de défense
au Burundi et préparer l’établissement d’une mission de maintien de la paix de
l’ONU. Elle a été transformée en Opération des Nations Unies au Burundi (ONUB)
par la Résolution 1545 du Conseil de sécurité du 21 mai 2004 et ses éléments ont
été transférés à l’ONUB à compter du 1er juin 2004.

En effet, c’est au Burundi que l’UA a déployé sa première mission de


paix. L’Organisation a autorisé, en janvier 2003, le déploiement d’une petite
mission d’observation chargée de surveiller l’application du cessez-le-feu. Le 3
février 2003, l’organe central a approuvé le déploiement de la Mission africaine au
Burundi (MIAB) prévue par les accords de cessez-le-feu des 7 octobre et 2
décembre 2002. La MIAB avait pour objectifs de : superviser la mise en œuvre des
accords de cessez-le-feu ; stabiliser la situation sécuritaire et de défense au Burundi
; fournir un appui aux initiatives relatives au désarmement et à la démobilisation
ainsi que des conseils pour la réintégration des combattants et préparer
l’établissement d’une mission de maintien de la paix de l’ONU. A cela s’ajoutent la
prise de mesures tendant à faciliter, fournir l’assistance humanitaire aux réfugiés et
personnes déplacées et protéger les personnalités qui retournent dans le pays9.

La MIAB a été autorisé pour une période initiale d’un an, en attendant le
déploiement d’une force de maintien de la paix de l’ONU. Son mandat a été
prorogé du 2 avril au 2 mai 2004. Le 01 juin 2004, les éléments de ladite mission
ont été transférés à la Mission des Nations Unies au Burundi. Elle se composait de
militaires et de civils venant d’Éthiopie, de Mozambique et d’Afrique du Sud et
placés sous la direction d’un chef de mission de l’UA, représentant spécial du
Président de la Commission de l’UA.

§2. L’APSA et la situation en Somalie

9
OUMBA P., op.cit. p.24.
En Somalie, l’UA, par le biais de son CPS, a chargé l’IGAD
(Intergovernmental Authority on Development)10, en 2005, de préparer le
déploiement d’une force de paix dans ce pays. Ce déploiement était toutefois
conditionné par une levée de l’embargo sur les armes imposées en janvier 1994 par
le Conseil de sécurité de l’ONU. La Conférence de l’UA a récemment demandé à
ce dernier de lever la sanction afin de faciliter le déploiement de l’IGASOM. Dans
le cadre de l’AMISOM (Mission de l’Union africaine en Somalie) sur les 8.000
soldats qui devaient être déployés, environ 1500 sont présents en Somalie. Le 5
janvier 2012, le CPS a approuvé le concept stratégique de l’AMISOM, en priant le
Conseil de sécurité de l’ONU d’examiner la question du soutien indispensable pour
permettre sa mise en œuvre immédiate11.

L’AMISOM représente un véritable laboratoire d’étude des avancées et


des limites de l’application de la doctrine des « solutions africaines aux problèmes
africains ». Depuis l’opération au Burundi (fév 2003-juin 2004), les deux missions
aux Comores (mars-juin 2006 ; mai 2007-sept 2008), puis celle au Soudan (mai
2004-sept 2007), il s’agit de la cinquième opération menée par l’UA, et de la plus
importante jamais déployée par une organisation africaine. Alors que son mandat
initial prévoyait le déploiement de 8000 hommes, ce nombre est élevé à 17 000 en
février 2012, auxquels l’on peut désormais ajouter les 4000 soldats éthiopiens
intégrés à la mission depuis janvier 2014. Ces effectifs sont donc largement
supérieurs à la mission de la Communauté économique des États d’Afrique de
l’Ouest (CEDEAO) au Liberia qui n’ont jamais dépassé 12 000 hommes12.

Nous revenons ici (très) brièvement sur les origines de la mission, son
évolution jusqu’au début de l’année 2014, et enfin sur ce que la mission révèle des
bricolages politiques au sein de l’APSA.
Suite à la création des institutions de transitions somaliennes en 2004
(004- 2012), le président alors élu, Abdullahi Yusuf Ahmed, ne cesse de réitérer les

10
Autorité Intergouvernementale pour le Développement
11
MOULLOUL A., L’intégration économique et juridique en Afrique, Paris, L’Harmattan, 2017, p.78.
12
OUMBA P., op.cit. p.24.
appels envers la communauté internationale. Ces appels lancés à l’ONU et à l’UA
visent à créer les conditions sécuritaires minimales qui permettraient aux
institutions de transition, formées au Kenya, de s’installer sur le territoire somalien.

En 2005, l’UA donne son feu vert à l’IGAD en vue de monter une telle
opération. La mission de l’IGAD en Somalie devait être déployée sous le nom
d’IGASOM. Une logique qui répondait au principe de l’APSA selon lequel les
interventions armées devaient être basées en priorité sur les communautés
économiques régionales. Néanmoins, le déficit de confiance de l’IGAD, mentionné
plus haut, la réticence de l’ONU à lever l’embargo international sur la Somalie
(1992), et la réticence des États-Unis à voir les pays limitrophes (Kenya, Éthiopie,
Djibouti) intervenir via cette mission en Somalie bloquent la mise en oeuvre de
l’opération13.

Il faudra attendre que la crise prenne une nouvelle dimension, suite à la


prise de Mogadiscio et des principales villes du pays par l’Union des tribunaux
islamiques en 2006, face à l’ARCPT (Alliance for Restoration of Peace and
Counter-Terrorism) soutenue par les États-Unis. La Somalie est alors propulsée
aux premières pages des médias internationaux qui y voient l’installation du
nouveau régime « taliban », faisant du pays un nouveau front de la lutte
internationale contre le terrorisme. Ainsi lorsque l’Éthiopie, menacée d’attaque par
une branche radicale des Tribunaux islamiques, décide d’intervenir de façon
préventive et unilatérale afin de les chasser de la capitale, plus aucune voix ne
s’élève. L’offensive devient officielle en décembre 2006 après la promesse de l’UA
d’envoyer dans les mois suivants une mission africaine relevant les troupes
éthiopiennes. L’IGAD ne condamnera pas non plus cette intervention menée en
dehors des nouvelles institutions de paix et de sécurité, Asmara décidant de
suspendre sa présence au sein l’IGAD.

En quelques semaines, les troupes éthiopiennes parviennent à chasser les


Tribunaux islamiques de Mogadiscio. Quant à la mission de l’Union Africaine, elle
13
OUMBA P., op.cit. p.25.
est validée dès janvier 2007 par le CPS de l’UA, puis légitimée par la résolution
1744 du Conseil de Sécurité de l’ONU le 20 février suivant. Le contingent africain
déployé depuis mars 2007 par l’Ouganda a depuis été rejoint par des troupes
envoyées par le Burundi, Djibouti, la Sierra Leone, le Kenya, et l’Éthiopie.
L’intégration du contingent éthiopien confirmée en janvier 2014 portera ainsi la
mission à environ 21 000 hommes en armes14.

Formée de contingents africains et en majorité de pays limitrophes, la


mission n’aurait néanmoins pas été possible sans le soutien financier des acteurs
extérieurs. Le « paquet logistique » fourni par l’ONU assure le financement d’une
part importante des équipements et du soutien logistique. L’Union européenne, via
le mécanisme de Facilité de Paix notamment, finance les soldes des troupes de
l’AMISOM. Ce financement représente plus du tiers du financement total de la
mission depuis 2007. Plus largement, plus de 600 millions d’euros auraient été
versés par l’UE sur l’ensemble de ses programmes liés à la Somalie (dont le
programme de formations des soldats EUTM-Somalia). Les États-Unis apportent
également un appui logistique à la mission via des entreprises privées15.

L’AMISOM a connu une nette progression sur le terrain depuis son


lancement en 2007. Les principales villes du pays ont été reprises aux troupes les
plus radicales (« Shebab »), ces derniers conservant certains bastions du centre et
du sud du pays. Les attentats de Kampala en 2010 et de Westgate à Nairobi en 2013
peuvent être interprétés en partie comme le signe d’une perte de vitesse de la part
du mouvement et ses difficultés à conserver une implantation locale en Somalie16.

14
BACH J- N « La construction de l’APSA en Afrique de l’Est : un « outil adapté » pour qui ? in : l’architecture
de paix et de sécurité en Afrique. Bilan et perspectives, L’Harmattan, Paris, 2014, p.214-236.
15
Ibidem.
16
BACH J-N. & ESMENJAUD R., « Innovations normative, résilience des pratiques : à qui et à quoi sert
l’AMISOM ? », Sécurité Globale, Hiver 2011-2012, p. 67-83.
Mais malgré ces avancées, l’AMISOM est révélatrice des difficultés
rencontrées dans la construction d’une paix africaine et dans la mise en oeuvre des
principes de l’APSA adoptés en 2002. La mission demeure tout d’abord dans une
dépendance financière très forte vis-à-vis des acteurs non africains. La récente
intégration des troupes éthiopiennes qui seront désormais financées par la mission
montre bien le coût élevé de l’intervention pour les pays - rappelons que l’Éthiopie
menait cette guerre sur ses fonds propres depuis 2006, conservant ainsi son
indépendance politique17.

Par ailleurs, le maintien du mandat de l’AMISOM comme soutien au


gouvernement somalien et la conduite d’une véritable guerre menée contre les «
Shebab » ne permet pas de classer la mission ni dans les différents scenarii élaborés
dans le cadre de l’APSA, ni de considérer la mission comme une opération de
paix26. La responsabilité de protéger ne fait pas non plus partie du mandat de
l’AMISOM, pas plus que la protection des civils ou la promotion de la bonne
gouvernance27. L’UA n’a pourtant jamais cessé de légitimer la mission en
Somalie, même si cette dernière s’éloigne du cadre normatif postwestphalien
adopté en 2002. On pourrait y voir une faiblesse de l’institution africaine à faire
appliquer ses nouveaux principes. Mais l’on peut aussi y lire une certaine souplesse
et une capacité d’adaptation relativement à la conduite d’une véritable guerre. Cette
souplesse peut-elle pour autant être considérée de façon « positive » ? Autrement
dit, l’APSA n’est-elle pas en train de scier la branche sur laquelle elle est assise en
légitimant une guerre ouverte ? Si cette question reste ouverte, l’AMISOM a
clairement démontré que l’APSA, loin de pouvoir être considérée comme une
structure supranationale autonome, est un outil au service des États de la région, et
des États apportant leur soutien en fonds ou en expertise18.

17
BACH J-N. & ESMENJAUD R., « Innovations normative, résilience des pratiques : à qui et à quoi sert
l’AMISOM ? », Sécurité Globale, Hiver 2011-2012, p. 67-83.
18
ESMENJAUD R., « Architecture de paix et de sécurité en Afrique : Evaluation et renforcement », Revue de
Défense Nationale, octobre 2013, p. 57-62.
En effet, les motivations des pays de la région ne peuvent être comprises
qu’à partir de leur propre conception de la sécurité, de leur stratégie régionale
propre, et de leurs ambitions politico-économiques internes. L’intervention
préventive de l’Éthiopie doit être comprise en ce sens. Lorsque le Front
démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien (FDRPE) à la tête de l’Éthiopie
s’engageait en Somalie en 2006, il initiait tout juste un programme de
développement économique sans précédent qui ne supporterait pas l’escalade
éventuelle d’un conflit avec l’un de ses voisins. De plus, cette intervention est à
comprendre dans un contexte particulier au lendemain des élections générales de
2005 qui s’étaient soldées par un véritable bain de sang après que le FDRPE avait
décidé d’ouvrir le feu sur les manifestants contestant les résultats. La Somalie et la
« menace terroriste » pouvaient désormais occuper les unes des journaux officiels.
La question se pose donc de la stabilisation politique à long terme de la Somalie,
puisque cette stabilisation est reléguée au second plan à la faveur d’intérêts
nationaux économiques et sécuritaires et d’une paix régionale minimale19.

L’intervention du Kenya peut également être lue en des termes


similaires. Tout comme l’Éthiopie établit une zone tampon sur sa frontière
orientale, il s’agit pour Nairobi d’établir une zone tampon au nord du pays. À long
terme, l’Éthiopie comme le Kenya entendent sécuriser une zone frontalière ayant
acquis une dimension stratégique nouvelle depuis la concrétisation du projet de
corridor économique depuis Jubba, capitale du Soudan du Sud, passant par le sud
de l’Éthiopie/le nord du Kenya pour déboucher sur l’Océan indien au port kenyan
de Lamu. L’initiative prise par le Kenya de lancer un nouveau front depuis le sud
de la Somalie découle d’une décision avant tout kényane20.

19
BACH J-N. & ESMENJAUD R., p. 70.
20
Ibidem.
Après un début de campagne difficile à l’automne 2011, les troupes
kényanes ont finalement pris le contrôle du port stratégique de Kismayo dans le sud
de la Somalie. Mais l’opacité de la mission kényane, malgré son incorporation à
l’AMISOM en février 2012 (une intégration allégeant ses dépenses en matière de
paiement des soldes des soldats engagés) laisse aujourd’hui les observateurs et les
bailleurs quelque peu perplexes : les retombées du trafique du port de Kismayo sont
gérées de façon obscures par le Kenya, les zones « libérées » des « Shebab » ne
font pas l’objet d’un plan politique et administratif clair, et le nombre même de
soldats engagés réellement sur le terrain (officiellement 4 000) ne convainc pas les
partenaires, notamment européens. Mais la confiance est de mise envers un allié
régional indispensable que les partenaires étrangers ne pouvaient laisser
d’embourber21.

L’intégration du Kenya a également suscité la méfiance du Burundi qui


menaça de retirer ses troupes de l’AMISOM. Cette menace de retrait offre un
exemple concret des motivations des pays à intervenir dans une opération de « paix
». Se rendre indispensable, dans un contexte où les pays sont réticents à envoyer
des troupes, permet de peser politiquement dans la sousrégion en menaçant, si
nécessaire, de retirer ses troupes. Par ailleurs, l’envoi de contingents burundais en
Somalie a permis d’éloigner une part importante de soldats et d’officiers
potentiellement gênants dans le processus de reconstruction de son armée nationale
au sortir de la guerre civile. Du point de vue des soldats de la troupe, le passage par
une opération de « paix » africaine ou onusienne signifie également l’obtention
d’une solde inespérée dans le pays. Illustration de cette aubaine, des quartiers
entiers habités par les militaires à Bujumbura ont ainsi été rebaptisés « AMISOM »
ou « Somalia »22.

21
BACH J-N. & ESMENJAUD R., op.cit., p. 71.
22
BACH J- N « La construction de l’APSA en Afrique de l’Est : un « outil adapté » pour qui ? in : l’architecture
de paix et de sécurité en Afrique. Bilan et perspectives, L’Harmattan, Paris, 2014, p.214-236.
Fournir des troupes permet aussi de bénéficier, d’un point de vue
diplomatique (et en vue d’autres négociations), d’une image de faiseur de paix pour
des pays parfois en situation de fragilité en politique extérieure, voire intérieure.
L’Ouganda semble cumuler ces bénéfices escomptés en assumant à plein son rôle
de faiseur de paix : par l’envoi de contingents importants en Somalie dès le début
de la mission, Kampala assoit son statut de partenaires incontournable au sein de la
Corne de l’Afrique, de l’Afrique des Grands Lacs, mais aussi avec les partenaires
non africains - comme les États-Unis. Depuis la guerre lancée contre le « terrorisme
» dès les années 1990, et plus encore depuis 2001, l’Ouganda occupe une place de
partenaire privilégié dans une région sous tension. On comprend que le
déroulement contesté des élections ougandaises de 2011, ou encore éthiopiennes en
2010, n’ait guère suscité l’émoi des alliés.

Au total, derrière les innovations doctrinales de l’APSA, les intérêts


nationaux continuent d’être prédominants dans les opérations de paix.

SECTION 2. LES DEFIS DE L’APSA A L’EPREUVE DE LA REALITE


DU CONTINENT

L’APSA repose sur une conception élargie de la sécurité qui prend en


compte les « menaces à l’existence, au développement et à la durabilité des
systèmes politiques, économiques, militaires, humains, sociaux, du genre et de
l’environnement au niveau de l’État, régional et continental. » Cette acception de la
sécurité a l’avantage de rendre compte de la diversité des causes des conflits sur le
continent et permet, en même temps, de légitimer diverses initiatives politiques,
militaires, économiques, environnementales, etc., que l’Union pourrait entreprendre
en faveur de la sécurité et de la paix 23. Si l’étendue de cette définition atteste de
l’importance accordée aux organes de sécurité et à la politique sécuritaire au sein
de l’UA, elle cache à peine les difficultés de l’UA à embrasser efficacement tous
ces défis.

23
Les défis auxquels l’APSA fait face actuellement sont multiples. Mais
ces défis peuvent être réunis en deux catégories : les défis d’ordre politique; et les
défis d’ordre financier et opérationnel.

§1. Les défis d’ordre politique : le terrorisme et la persistance des conflits


en Afrique
L’un des principaux défis auxquels l’Afrique est confrontée actuellement
est le terrorisme. Pour emprunter au vocabulaire sociologique, la menace terroriste
en Afrique est un fait social total. C’est-à-dire, en l’espèce, une sorte de pathologie
à partir de laquelle on peut lire l’ensemble des maux et faiblesses structurelles qui
affectent le continent24.

Par ailleurs, plus de 15 ans après la mise en place de l’Architecture


africaine de paix et de sécurité, les résultats ne sont pas au rendez-vous.
Paradoxalement, les dynamiques bellicistes n’ont cessé d’embraser des pans
importants de l’Afrique. La carte des conflits et des foyers de tension s’est
considérablement élargie, les poches de radicalisme se sont multipliées et la
violence politique continue de se disséminer sur le continent. La montée du péril
terroriste en Afrique met en relief les atermoiements de l’UA face aux nouvelles
menaces transfrontalières qui gagnent du terrain sur le continent. La Tunisie,
l’Egypte, la Lybie, le Mali, le Nigéria, le Cameroun, le Burkina, le Tchad, le Niger,
la Somalie, le Kenya ont été tous victimes du terrorisme au cours de ces 5 dernières
années25. La FAA, qui est une composante militaire de l’APSA, n’est pas encore
totalement opérationnelle quoique les troupes affectées à cette force aient déjà
réalisées plusieurs exercices communs d’entrainement et de formation. Mais des
difficultés d’ordre financier, matériel, organisationnel et structurel tant au niveau
de l’UA qu’au niveau des organisations sous-régionales entravent les capacités de
l’UA pour la mise en place d’une telle force26.

24
NKALWO NGOULA, « L’Union Africaine à l’épreuve du terrorisme : forces et challenges de la politique
africaine de sécurité, » in : IRENEES, avril 2016, p.12-32
25
DE GENDT P., « L’Union Africaine face aux défis du continent », in :SIREAS, 2016/02 N°08 p.1-28
26
NKALWO NGOULA, op.cit. p.15.
Par ailleurs, depuis sa création, l’Union Africaine s’est surtout illustrée
dans des missions de maintien de la paix. Cependant, de ses missions se sont
soldées par un partenariat avec l’ONU et d’autres sont devenues des missions
onusiennes. Cette situation est due en raison de deux facteurs qui sont le manque
de moyens financiers et de matériels lesquels peuvent être combiné aussi, à
l’hostilité des gouvernements, ce qui empêche l’UA de mener à bien ses missions et
rendent inefficaces ses actions27.

Les guerres sans fin à l’Est de la République démocratique du Congo


(RDC), les rébellions au Cameroun, au Tchad ou en République Centrafricaine
(RCA), la piraterie dans le golfe de Guinée ou les coupeurs de route à l’intérieur
des terres et le terrorisme qui se vit en Afrique du Nord et de l’ouest sont les
manifestations de l’insécurité en Afrique et témoignent l’incapacité des acteurs
africains à apporter des solutions idoines.

La prolifération des extrémismes qui ignorent et méprisent les frontières


représente sans doute une épreuve pour l’UA qui s’est donnée pour mission
d’affirmer son leadership dans la gestion des crises sur le continent. Cette situation
a contraint l’Union africaine à se doter d’une large gamme d’instruments juridiques
et organisationnels pour adapter son architecture de défense et de sécurité à la
nouvelle menace transfrontalière. Malgré le danger que cette menace représente
pour l’Afrique, elle offre aussi aux États Africains une opportunité de coopérer en
touchant à des domaines qui jusque-là relevaient de la souveraineté des États28.

Les actions entreprises par l’Union Africaine pour enrayer la menace que
fait peser les groupes terroristes sur ses États membres sont multiples mais
connaissent des lacunes. Ces lacunes consistent à la fois en l’absence d’une
approche globale, qu’il conviendrait de définir au préalable, et en des instruments
ou initiatives à adopter d’urgence pour renforcer le dispositif de lutte antiterroriste.

27
DE GENDT P., op.cit. p15.
28
NKALWO NGOULA, op.cit. p.18.
Quelques mesures se révèlent particulièrement importantes à adopter
pour accroître l’impact des efforts de l’institution panafricaine dans la lutte contre
le terrorisme afin de réussir la matérialisation de l’APSA. L’adoption de ces
mesures permettrait de réduire la menace terroriste. Ces mesures consistent
notamment à :

 Élaborer une véritable stratégie de lutte contre le terrorisme à l’échelle


du continent. Il est question de se doter d’un cadre global qui va orienter les efforts
de l’UA et des partenaires extérieurs dans la lutte contre le terrorisme. Cette
stratégie n’exclut pas l’élaboration de stratégies régionales plus ajustées aux réalités
de la zone. Mais celles-ci doivent être une déclinaison de la stratégie globale pour
garantir une coordination efficace ;
 Impliquer pleinement et de manière cohérente l’ensemble des
programmes, organes et institutions de l’UA qui existent déjà dans ses efforts pour
endiguer la menace terroriste.29
 Coordonner le plan d’action de l’UA en matière de lutte antiterroriste
avec les efforts engagés par les Nations Unies dans le cadre de la Stratégie
antiterroriste mondiale adoptée par son assemblé générale le 8 septembre 2006.
Cette démarche accroîtrait l’efficience des actions entreprises par les deux parties
dans ce domaine ;
 Convaincre tous les États membres à signer et/ou ratifier l’ensemble
des instruments pertinents de l’Union Africaine relatifs à la prévention et la lutte
contre le terrorisme. Cette action renforcerait la coopération sécuritaire et
faciliterait davantage les mécanismes de lutte antiterroriste 30;
 Renforcer le partenariat stratégique avec les États-Unis et la France
pour une meilleure coordination des efforts engagés par les différents acteurs dans
le cadre de la lutte antiterroriste ;

29
ABALAWI MPANGA L, Evaluation des actions de l’Organisation des actions des Nations-Unies et de
l’union africaine dans la lutte contre le terrorisme. Mémoire de Master, Faculté de droit, Université de
Montreal, 2015, p.87.
30
NKALWO NGOULA., op.cit. p.20.
 Lutter contre les facteurs de sous-développement qui favorisent le
recrutement au sein des organisations internationales31 ;
 Enfin, la médiation de l’Union Africaine doit être d’une grande
importance sur un dossier majeur, le cas du dossier libyen.

En effet, le vide politique a favorisé l’implantation des groupes


terroristes affiliés à Daesh et malgré la médiation des Nation Unies, « le processus
politique évolue plus lentement que l’expansion de Daesh ». L’Union africaine
devrait donc jouer sa partition pour l’avancement du processus politique en
multipliant les contacts avec les différentes parties pour obtenir la validation d’un
gouvernement d’union nationale32.

L'Afrique demeure à ce jour le continent qui accueille le plus d'opérations


de maintien de la paix. Les récentes crises sur le contient ont démontré l'importance
pour le continent de se doter réellement d’une armée d'intervention rapide 33. Il
importe ici de rappeler que l'idée de la création d'une force africaine est récurrente
depuis les études de l'UA et à l'occasion de la réunion des dirigeants africains.

En ce moment, devant les crises couplées aux difficultés voire


l'incapacité de certains États à assurer leur sécurité, les dirigeants africains ont
instauré le CPS qui constitue un système de sécurité collective et d'alerte rapide,
visant à permettre une réaction rapide et efficace aux situations de conflits et de
crise en Afrique. Le schéma militaire et institutionnel adopté par les chefs d'États
africains prévoyait la mise en place progressive d'une force africaine en attente
(FAA) pour 2015. Ces forces seront gérées par les organisations régionales
notamment : CEDEAO, SADC, IGAD, CEEAC, qui devront compter une
brigade34.

31
ABALAWI MPANGA L, op.cit. p.89.
32
NKALWO NGOULA,op.cit. p.21.
33
KEMOKO DIAKITE, Droit de l’intégration africaine : Rapports entre les organisations sous régionales,
l’Union Africaine et l’organisation des Nations Unies. Défis prioritaires de l’intégration en Afrique,
L’Harmattan, Paris, 2017.176.
34
idem., p.177.
Nous retenons sur ce point que même si la solution au maintien de la paix
a été trouvée et que la CEDEAO et la SADC connaissent des avancées
significatives, l’UA quant à elle n’a pas encore atteint son objectif. La volonté
politique des Etats devrait être renforcée pour l’effectivité de la FAA. Son avantage
est celle de pallier à la difficulté de l’ONU de trouver des contingents.

L’emploie de cette force serait fait conformément à la charte de l’ONU.


Aussi, comme perspective, l'UA, à travers le CPS, doit absolument marteler sur la
prévention des conflits en mettant l'accent sur la dimension politique. En fin
aucune démarche en faveur de la sécurité et d’intégration n'aurait de sens si elle ne
se fonde pas sur le respect des valeurs démocratiques, de l'État de droit et des droits
de l'homme. La promotion de la culture de la démocratie, des droits de l'homme et
de la bonne gouvernance dans les États africains doit être une des priorités étant
donné que l'aspect politique constitue une des principales causes de conflit sur le
continent.

§2. Les défis d’ordre financier et opérationnel


Le fonctionnement d’une organisation internationale, souligne le
Professeur MULAMBA Benjamin, exige que celle-ci ait d’une part, des moyens
financiers et d’autre part, des moyens en personnels35. Les moyens financiers sont
indispensables pour réaliser les taches qui lui sont assignées par les Etats membres,
lesquelles sont consacrées dans l’acte constitutif. Elle doit faire des dépenses qui
sont naturellement couvertes par des recettes. Il lui faut un budget qui retrace,
d’une part, recettes et, d’autre part, des dépenses.

Les recettes des organisations sont essentiellement constituées par les


contributions des Etats membres. Ces contributions peuvent être volontaires ou
obligatoires. Les dépenses sont des couts provenant, d’une part, du fonctionnement
de l’appareil administratif de l’organisation, dépenses du personnel, d’entretien,
d’achat ou location éventuelle des locaux, dépenses liées aux réunions des organes

35
MULAMBA MBUYI B., Droit des organisations internationales, L’Harmattan, Paris, p.120
et, d’autre part, des activités fonctionnelles et opérationnelles de l’organisation,
telles les dépenses découlant de l’action humanitaire, l’aide au développement,
l’assistance technique ou encore les opérations de maintien de la paix36.

Considérant que les opérations de maintien de la paix ne peuvent être


prévues à l'avance et qu'il faut cependant donner au Conseil de paix et de sécurité
les ressources lui permettant de réagir en temps voulu à une crise, que les
opérations de maintien de la paix, en particulier dans leur phase de démarrage, ont
besoin de ressources financières leur permettant de s'acquitter pleinement,
efficacement et en temps voulu de leur mandat37.

Pour ce qui est du problème de financement des actions du CPS, « L’UA


a élaboré une architecture continentale de paix et de sécurité dont le financement
représente un défi majeur. Face à une demande croissante, la pénurie de
ressources prévisibles et durables, cumulée avec des contraintes opérationnelles
critiques, limite fortement la capacité d’action de l’UA à s’acquitter des
engagements pris en matière de maintien de la paix et de la sécurité sur le
continent »38.

Les incertitudes au sujet du niveau de financement disponible restent le


principal obstacle aux opérations de maintien de la paix dans les pays de l'Union
africaine. Le protocole portant création de l'architecture africaine de paix et de
sécurité a incité plus fortement le Fonds pour la paix à financer les activités de
l'Union africaine dans ce domaine. On attend des États membres qu'ils contribuent
plus régulièrement au financement de ce fonds, pour lequel d'autres contributions
sont également sollicitées.

36
DIEZ DE VELASCO VALLEJO M., Les organisations internationales, Paris, Economica, 2002, p.98
37
DORMOY D., « Les opérations de maintien de la paix de l'Organisation des Nations Unies. Aspects récents de
la question de leur financement », in Annuaire français de droit international, vol. 39, 1993, p. 144.
38
ZOZIME TAMEKAMTA A, « L’architecture de paix et de sécurité de l’union africaine: articulations et
enjeux de la gouvernance sécuritaire au xxie siècle » in : Institut de Recherche et d’Enseignement sur la Paix,
NAP n° 24 – janvier 2015, p.21
L’UA peine à mobiliser les contributions annuelles des États membres
ainsi que des fonds spéciaux utiles pour le déploiement du CPS. Ces difficultés
financières se sont accrues avec la chute de KHADAFI (en 2011) dont le pays était
le principal contributeur39.

Les difficultés à mobiliser à temps les fonds dédiés aux opérations de


maintien de paix, avaient été évoquées en marge de la célébration du cinquantième
anniversaire de l’UA et puis avaient été renvoyés pour débat lors du sommet de
Paris sur la paix et la sécurité en Afrique, tenu les 6 et 7 décembre 2013. L’inflation
des crises et conflits sur le continent et la volonté affirmée des dirigeants à réduire
l’extrême dépendance financière de l’Union vis-à-vis des apports extérieurs, paraît
préoccuper de plus en plus les experts africains. Au demeurant, quatre options ont
été retenues au 24e sommet des chefs d’État de l’UA tenu à Addis- Abeba du 29 au
31 janvier 2015 : la levée des taxes sur les billets d’avion en partance ou en
provenance de l’Afrique (10 dollars US par voyageur), sur les séjours dans les
hôtels ou taxe d’hospitalité (2 dollars US par client), sur le tourisme et sur la
messagerie téléphonique. Ces mécanismes innovants de financement de l’Union
pourraient assurer la complémentarité, la prévisibilité et la stabilité par rapport à
l’aide publique au développement à laquelle l’UA est dépendante40.

Dans la pratique, les coûts financiers des opérations de soutien de paix


menées par l'Union africaine ont été en grande partie pris en charge par la
communauté internationale, tandis que l'Afrique a fourni des troupes et assuré un
leadership politique considérable dans la gestion et le règlement des conflits. Le
soutien de la communauté internationale a été apporté par le biais d'un certain
nombre de mécanismes différents, il s'agit par exemple de la Facilité de soutien à la
paix pour l'Afrique dotée de 250 millions d'euros, dont la création a été approuvée
en décembre 2003 par l'Union européenne.

39
KEMOKO DIAKITE, op.cit.177
40
ZOZIME TAMEKAMTA A, op.cit. p.22.
De nouveaux fonds ont été engagés pour la réalimenter à hauteur de 300
millions d'euros pendant la période 2008-2010. Cette Facilité peut couvrir une
grande partie des coûts des opérations de la paix, mais pas tous. On peut citer aussi
les contributions financières fournies de façon ponctuelle, en réponse à des
demandes précises, ou enfin des contributions en nature (matériel, soutien
logistique et appui technique)41.

Cependant, il faut relever que malgré ces financements, de manière


générale les ressources disponibles par rapports aux besoins restent insuffisantes.
Aussi, le caractère ponctuel de certains financements empêche la prévisibilité et
entraine des difficultés au niveau de la planification. Partant, la multiplicité des
sources de financement, a contraint la Commission de l'Union africaine à passer
beaucoup de temps à traiter avec les bailleurs de fonds et à se plier à leurs
différentes formalités administratives.

En terme d'illustration, la Mission africaine au Soudan a fourni un


exemple des difficultés dues à l'impossibilité d'être assuré d'un financement pour le
moyen terme. Aucune des deux conférences de récolte des fonds organisées à la
mi-2005 et à la mi-2006 n'a permis de mobiliser les ressources financières
nécessaires pour mener l'opération sans heurts. En fait, les contributions ont été
mobilisées essentiellement de façon ponctuelle. Le budget de la Mission en 2007
était de 297,6 millions de dollars pour la période de 6 mois allant de janvier à juin
2007. Sur cette somme seulement, 137,9 millions de dollars ont été promis, hors
contributions de nature avant fin Avril. C'est dans ce contexte que la Commission
avait demandé aux partenaires de développement de créer une Facilité
complémentaire de soutien à la paix qui pourrait éventuellement prendre en charge
également les coûts qui ne peuvent pas être couverts par la Facilité de soutien à la
paix de l'Union européenne42.

41
KEMOKO DIAKITE, op.cit. p.176
42
ESMENJAUD R., « Architecture de paix et de sécurité en Afrique : Evaluation et renforcement », Revue de
Défense Nationale, octobre 2013, p. 57-62.
L'insuffisance des ressources financières limite considérablement
l’action de l’APSA. En effet, chaque fois qu’une nouvelle opération, est décidée, il
faut transporter tout son personnel sur le théâtre d’opération. Une fois sur place, il
faut prévoir les logements, la nourriture, les soins médicaux, les transports, les
communications et les équipements qui lui sont nécessaires pour s’acquitter de ses
fonctions.

Si l’ONU est confrontée au défi du financement a fortiori l’UA qui est


une organisation financièrement défavorisée. Il est vrai que l’article 21 (1) du
Protocole met en place un Fonds spécial destiné à financer les missions du CPS. Il
n’est cependant pas évident que ce fonds soit approvisionné au regard de la
situation économique et financière précaire de la majeure partie des pays membres
de l’UA43.

Par ailleurs, le déploiement d’une mission de maintien de la paix


nécessite l’existence des effectifs militaires formés à cet effet, des équipements, des
structures d’appui logistique. Même si le protocole met sur pied des structures dans
cette perspective (à savoir la force africaine repositionnée ou le système continental
d’alerte rapide) il convient toutefois de relever le fait que leur fonctionnement
efficace est subordonnée à « la conception et à la mise en oeuvre des programmes
de formation idoines ». Or, l’UA ne dispose pas d’agents spécialisés en la matière.
C’est pourquoi, l’APSA se trouve, subordonné à l’aide financière et logistique de
l’Union Européenne et des Nations Unies. Le montage opérationnel et financier de
la Commission de cessez-le feu et de la mission d'observation de l'UA au Darfour
(MUAS) en constitue le premier exemple concret et servira donc, en quelque sorte
d’ « opération test ». A cet effet, le Fonds de la paix a été obligé de recourir surtout
aux ressources extrabudgétaires de l'UA pour l'opération de maintien de paix, le
Groupe de travail intégré pour le Darfour- et les pourparlers d'Abuja44.

43
ESMENJAUD R., « Architecture de paix et de sécurité en Afrique : Evaluation et renforcement », Revue de
Défense Nationale, octobre 2013, p. 57-62.
44
Ibidem.
Partant, pour rendre effectif l’APSA, il incombe aux États africains
d'augmenter leurs contributions au financement des opérations de maintien de la paix
menées par l'Union africaine. Cependant, l'idée de la responsabilité collective des États
membres pour le financement des opérations de maintien de la paix n'interdit pas de
rechercher des ressources complémentaires ou additionnelles aux contributions
principales constituées par des contributions obligatoires auprès de ces mêmes États.

On peut aussi songer à demander aux États directement intéressés ou aux


États hôtes, ou encore aux organisations régionales intéressées à verser des
contributions supplémentaires. Mais ces mesures ne vont pas sans soulever des
questions. Concernant les contributions volontaires il est sûr que le maintien de
l'appel à celles-ci peut aussi servir de point d'appui à l'argumentation des États qui
ne souhaitent pas que se généralise ou se développe le recours aux contributions
obligatoires. Dans le cadre de l'Organisation des Nations Unies, la Russie a exercé
son droit de veto au Conseil de sécurité pour s'opposer au projet de résolution sur le
financement de la Force de Chypre, elle l'a fait, au-delà de considérations
économiques et politiques pour que l'option du financement des opérations de
maintien de la paix par des contributions volontaires soit sauvegardée45.

La contribution supplémentaire des pays ou des organisations régionales


intéressées, afin qu'elle ne vienne pas fausser ou remettre en cause l'équilibre
résultant du barème spécial des contributions, doit nécessairement s'adresser aux
pays ou organisations qui en ont les moyens. C'est ce qui semble indiquer la
formulation utilisée par le Président du Conseil de sécurité dans sa Déclaration du
28 janvier 1993, au sujet de l'Agenda pour la paix, et qui demande aux accords et
organismes régionaux d'examiner la question de l'acceptation de l'éventualité d'une
participation financière.

45
ESMENJAUD R, op.cit p.60

Vous aimerez peut-être aussi