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*Peter Staudenmaier, Fascist Ecology: The 'Green Wing' of the Nazi Party and its Historical
Antecedents.
Paru initialement dans Janet Biehl and Peter Staudenmaier, Ecofascism: Lessons from the German
Experience (San Francisco: AK Press, 1995) ; réédité dans Janet Biehl and Peter Staudenmaier,
Ecofascism Revisited (Porsgrunn: New Compass Press, 2011).
Traduction française octobre 2019.
attitudes et les pratiques généralement associées au mouvement environnemental contemporain. Il
ne s'agit pas d'un anachronisme, mais simplement d'une approche interprétative qui met en évidence
les liens avec les préoccupations contemporaines. Deuxièmement, cette approche n'a pas pour but
d'endosser la notion historiographiquement discréditée selon laquelle les données historiques
antérieures à 1933 peuvent ou doivent être considérées comme « conduisant inexorablement » à la
catastrophe nazie. Il s'agit plutôt ici de discerner des continuités idéologiques et de retracer les
généalogies politiques, dans le but de comprendre le passé à la lumière de notre situation actuelle -
pour mettre l'histoire en rapport avec la crise sociale et écologique actuelle.
D'autres monistes ont étendu cet accent anti-humaniste et l'ont mélangé avec les thèmes
traditionnels völkisch de l'anti-industrialisme et de l'antiurbanisme aveugles ainsi qu'avec le
nouveau racisme pseudo-scientifique émergent. La clé de voûte, une fois de plus, était la confluence
des catégories biologiques et sociales. Le biologiste Raoul Francé, membre fondateur de la Ligue
moniste, a élaboré ce que l'on appelle la Lebensgesetze, les « lois de la vie » par lesquelles l'ordre
naturel détermine l'ordre social. Il s'opposait au mélange racial, par exemple, en le qualifiant de
« contre nature ». Francé est acclamé par les écofascistes contemporains comme un « pionnier du
mouvement écologiste ». 14
Le collègue de Francé, Ludwig Woltmann, un autre élève de Haeckel, a préconisé une interprétation
biologique pour tous les phénomènes de société, des comportements culturels aux arrangements
économiques. Il a souligné le lien supposé entre la pureté environnementale et la pureté « raciale » :
« Woltmann avait une attitude négative envers l'industrialisation moderne. Il a affirmé que le
passage d'une société agraire à une société industrielle avait accéléré le déclin de la race.
Contrairement à la nature, qui avait engendré les formes harmonieuses du germanisme, il y avait les
grandes villes, diaboliques et inorganiques, qui détruisaient les vertus de la race. » 15
Ainsi, au début du XXe siècle, un certain type d'argumentation « écologique », saturé de contenu
politique de droite, avait atteint une certaine respectabilité dans la culture politique allemande.
Pendant la période agitée qui a entouré la Première Guerre mondiale, le mélange de fanatisme
ethnocentrique, de rejet régressif de la modernité et de véritable préoccupation environnementale
s'est révélé être une potion très puissante.
a NdT La traduction de Peter Staudenmaier de Wandervögel est volontarement décalée par rapport à la traduction
courante : « oiseau migrateur ».
L'attrait que de telles perspectives exerçaient sur une jeunesse idéaliste est manifeste : l'énormité de
la crise semblait appeler à un rejet total de ses causes apparentes. C'est dans la forme spécifique de
ce rejet que réside le danger. Ici, le travail de plusieurs autres théoriciens de l'époque est instructif.
Le philosophe Ludwig Klages a profondément influencé le Mouvement de la Jeunesse et en
particulier sa conscience écologique. Il est l'auteur d'un essai extrêmement important intitulé
L'Homme et la terre pour le légendaire rassemblement Meissner du Wandervögel en 1913. 18 Texte
extraordinairement poignant et le plus connu de tous les travaux de Klages, il n'est pas seulement
« l'un des plus grands manifestes du mouvement écopacifiste radical en Allemagne », 19 mais aussi
un exemple classique de la terminologie séduisante de l'écologie réactionnaire.
L'Homme et la terre a anticipé à peu près tous les thèmes du mouvement écologiste contemporain.
Il a dénoncé l'extinction accélérée des espèces, la perturbation de l'équilibre écosystémique
mondial, la déforestation, la destruction des peuples autochtones et des habitats sauvages,
l'étalement urbain et l'aliénation croissante des populations par rapport à la nature. En termes
emphatiques, il a dénigré le christianisme, le capitalisme, l'utilitarisme économique, l’hyper-
consommation et l'idéologie du « progrès ». Il a même condamné la destruction environnementale
du tourisme endémique et le massacre des baleines, et a montré une reconnaissance claire de la
planète comme une totalité écologique. Tout cela en 1913 !
Il peut donc être surprenant d'apprendre que Klages a été tout au long de sa vie politiquement
ultraconservateur et vénéneusement antisémite. Un historien le qualifie de « fanatique Volkish » et
un autre le considère simplement comme « un stimulateur intellectuel du IIIe Reich » qui « a ouvert
la voie à la philosophie fasciste à bien des égards, et non des moindres ». 20 Dans L'Homme et la
terre, une véritable indignation face à la dévastation de l'environnement naturel s'accompagne d'un
filigrane politique de désespoir culturel. 21 Le diagnostic de Klages sur les maux de la société
moderne, malgré toutes ses déclamations sur le capitalisme, revient toujours à un seul coupable :
« Geist ». Son utilisation idiosyncrasique de ce terme, qui signifie esprit ou intellect, visait à
dénoncer non seulement l'hyperrationalisme ou la raison instrumentalisée, mais la pensée
rationnelle elle-même. Une telle mise en accusation généralisée de la raison ne peut qu'avoir des
conséquences politiques dévastatrices. Elle exclut toute possibilité de reconstruire rationnellement
le rapport de la société à la nature et justifie l'autoritarisme le plus brutal. Mais les leçons à tirer de
la vie et du travail de Klages ont été difficiles à intégrer pour les écologistes. En 1980, L'Homme et
la terre a été réédité en tant que traité précieux et précurseur pour accompagner la naissance des
Verts allemands.
Un autre philosophe, sévère critique des Lumières, qui aida à faire le pont entre le fascisme et
l'environnementalisme était Martin Heidegger. Penseur beaucoup plus connu que Klages, Heidegger
a prêché « l’Être authentique », a sévèrement critiqué la technologie moderne, et est donc souvent
considéré comme un précurseur de la pensée écologique. Sur la base de sa critique de la technologie
et du rejet de l'humanisme, les écologistes radicaux contemporains ont élevé Heidegger au panthéon
des écohéros :
Sa critique de l'humanisme anthropocentrique, son appel à apprendre à « laisser les
choses telles qu'elles sont », son idée que l'humanité est impliquée dans un « jeu » ou
une « danse » avec la terre, le ciel et les dieux, sa méditation sur la possibilité d'un
authentique mode de « demeurer » sur la terre, sa dénonciation de la pollution de la terre
par la technologie industrielle, son insistance sur l'importance de la régionalité et de la
« patrie », son appel à ce que l'humanité garde et préserve les choses au lieu de les
dominer - tous ces aspects de la pensée de Heidegger aident à soutenir l'hypothèse qu'il
est un théoricien majeur de l'écologie radicale. 22
De tels épanchements sont, au mieux, dangereusement naïfs. Ils suggèrent un style de pensée
totalement inconscient de l'histoire des appropriations fascistes de tous les éléments dont le passage
cité fait l'éloge dans Heidegger. (À son crédit, l'auteur des lignes ci-dessus, un grand théoricien de
l'écologie radicale à part entière, a depuis changé de position et a exhorté avec éloquence ses
collègues à faire de même). 23 Quant au philosophe de l'Être lui-même, il fut - contrairement à
Klages, qui vécut en Suisse après 1915 - un membre actif du parti nazi et, pendant un certain temps,
il soutint le Führer avec enthousiasme, voire avec adoration. Ses panégyriques mystiques sur
Heimat (la mère patrie) se sont accompagnés d'un profond antisémitisme, et ses prises de position
au phrasé métaphysique contre la technologie et la modernité ont convergé avec une démagogie
populiste. Bien qu'il ait vécu et enseigné pendant trente ans après la chute du IIIe Reich, Heidegger
n'a pas une seule fois publiquement regretté, et encore moins renié, son implication dans le national-
socialisme, ni même condamné ses crimes. Son travail, quels que soient ses mérites philosophiques,
apparaît aujourd'hui comme un signal d'alerte sur les utilisations politiques de l'antihumanisme dans
les discours écologiques.
Outre le Mouvement de la Jeunesse et les philosophies protofascistes, il y a eu, bien sûr, des efforts
pratiques pour protéger les habitats naturels pendant la période de Weimar. Beaucoup de ces projets
ont été profondément impliqués dans l'idéologie qui a abouti à la victoire du « Blut und Boden ». Un
discours de recrutement de 1923 pour une entreprise de préservation des forêts donne une idée de la
rhétorique environnementale de l'époque :
Dans chaque cœur allemand, la forêt allemande tremble avec ses cavernes et ses ravins,
ses pitons et ses rochers, ses eaux et ses vents, ses légendes et ses contes de fées, avec
ses chants et ses mélodies, et réveille un puissant désir et l'attrait du foyer ; dans toute
âme allemande, la forêt allemande vit et se développe avec sa profondeur et son
ampleur, son calme et sa force, sa puissance et sa dignité, sa richesse et sa beauté - elle
est la source de l'intériorité allemande, de l'âme allemande et de la liberté allemande.
C'est pourquoi vous devez protéger et prendre soin de la forêt allemande pour le bien
des anciens et des jeunes, et rejoindre la nouvelle « Ligue allemande pour la protection
et la consécration de la forêt allemande ». 24
Ce passage récapitule presque tous les tropes de l'idéologie écofasciste classique : Lebensraum,
Heimat, la mystique agraire, la santé du Volk, la proximité et le respect de la nature (explicitement
construite comme la norme par rapport à laquelle la société doit être jugée), le maintien de
l'équilibre précaire de la nature, et les pouvoirs terrestres du sol et de ses créatures. Ces motifs
n'étaient rien d'autre que des idiosyncrasies personnelles de la part d'Hitler, d'Himmler ou de
Rosenberg ; même Göring - qui était, avec Goebbels, le membre du premier cercle nazi le moins
favorable aux idées écologiques - semblait parfois être un défenseur engagé de la nature. 34 Ces
sympathies étaient également loin de se limiter aux échelons supérieurs du Parti. Une étude des
listes de membres de plusieurs organisations Naturschutz (protection de la nature) de l'époque de
Weimar a révélé qu'en 1939, près de 60 % de ces écologistes avaient rejoint le NSDAP (contre
environ 10 % des hommes adultes et 25 % des enseignants et avocats). 35 Clairement, les affinités
entre l'environnementalisme et le national socialisme étaient profondes.
Au niveau idéologique, les thèmes écologiques ont donc joué un rôle essentiel dans le fascisme
allemand. Ce serait une grave erreur, cependant, de considérer ces éléments comme de la simple
propagande, intelligemment déployée pour masquer le véritable caractère du nazisme en tant que
force technocratico-industrialiste. L'histoire indéniable de l'antiurbanisme allemand et du
romantisme agraire s'oppose avec force à ce point de vue :
Rien ne pouvait être plus faux que de supposer que la plupart des principaux idéologues
national-socialistes avaient cyniquement feint un romantisme agraire et une hostilité à la
culture urbaine, sans conviction intérieure et à des fins purement électorales et de
propagande, afin de tromper le public [...] En réalité, la majorité des principaux
idéologues national-socialistes étaient sans aucun doute plus ou moins enclins au
romantisme agraire et à l'antiurbanisme et convaincus d'un besoin de réagrarisation
partielle. 36
La question reste cependant posée : Dans quelle mesure les nazis ont-ils réellement mis en œuvre
des politiques environnementales pendant les douze années du Reich ? Il existe des preuves solides
montrant que la tendance « écologique » du parti, bien que largement ignorée aujourd'hui, a connu
un succès considérable pendant la majeure partie de son règne. Cette « aile verte » du NSDAP était
surtout représentée par Walther Darré, Fritz Todt, Alwin Seifert et Rudolf Hess, les quatre figures
qui ont initialement façonné l'écologie fasciste dans la pratique.
Cet objectif n'était pas seulement conforme à l'expansion impérialiste au nom du Lebensraum,
c'était en fait l'une de ses principales justifications, voire motivations. Dans un langage rempli des
métaphores biologiques de l'organicisme, Darré a déclaré : « Le concept du sang et du sol nous
donne le droit moral de reprendre autant de terres à l'Est qu'il est nécessaire pour établir une
harmonie entre le corps de notre Volk et l'espace géopolitique ». 40
En plus de fournir un prétexte vert pour la colonisation de l'Europe de l'Est, Darré s'est efforcé
d'installer des principes respectueux de l'environnement comme base même de la politique agricole
du IIIe Reich. Même dans ses phases les plus productivistes, ces préceptes sont restés
emblématiques de la doctrine nazie. Lors de la proclamation de la « Bataille pour la production »
(un programme d'amélioration de la productivité du secteur agricole) durant le deuxième Congrès
des agriculteurs du Reich en 1934, le tout premier point du programme était « Préservez la santé du
sol ! ». Mais l'innovation la plus importante de Darré a été l'introduction à grande échelle de
méthodes d'agriculture biologique, largement labellisées « lebensgesetzliche Landbauweise », ou
mode d'exploitation agricole traditionnel. Ce terme rappelle une fois de plus l'idéologie de l'ordre
naturel qui sous-tend tant de pensées écologiques réactionnaires. L'impulsion de ces mesures sans
précédent est venue de l'anthroposophie de Rudolf Steiner et de ses techniques de culture
biodynamique. 41
La campagne d'institutionnalisation de l'agriculture biologique a touché des dizaines de milliers de
petites exploitations et de domaines dans toute l'Allemagne. Elle s'est heurtée à une résistance
considérable de la part d'autres membres de la hiérarchie nazie, en particulier Backe et Göring. Mais
Darré, avec l'aide de Hess et d'autres, a pu maintenir la politique jusqu'à sa démission forcée en
1942 (un événement qui n'avait rien à voir avec ses penchants écologistes). Et ces efforts ne
représentaient en aucun cas les prédilections personnelles de Darré ; comme le souligne l'histoire
commune de la politique agricole allemande, Hitler et Himmler « étaient tout à fait d'accord avec
ces idées ». 42 Il demeure que c'est surtout l'influence de Darré dans l'appareil nazi qui a donné, en
pratique, un soutien gouvernemental à des méthodes agricoles écologiquement saines et à une
planification de l'utilisation des terres par un État sans équivalent auparavant et jusqu'à présent.
Pour ces raisons, Darré a parfois été considéré comme un précurseur du mouvement vert
contemporain. Sa biographe, le décrivit un temps comme « le père des Verts ». 43 Son livre Blood
and Soil, sans doute la meilleure source indépendante sur Darré, en allemand ou en anglais,
minimise constamment les éléments fascistes virulents de sa pensée, le présentant plutôt comme un
radical agraire malavisé. Cette grave erreur de jugement révèle l'attrait puissamment désorientant
d'une certaine aura « écologique ». Les seuls écrits publiés par Darré, datant du début des années
vingt, suffisent à l'accuser d'être un idéologue raciste et chauvin, particulièrement enclin à un
antisémitisme vulgaire et haineux (il parlait des Juifs, de façon révélatrice, comme de « mauvaises
herbes »). Son mandat de dix ans en tant que serviteur loyal et, de plus, architecte de l'État nazi
démontre son dévouement à la folle cause d'Hitler. Un récit prétend même que c'est Darré qui a
convaincu Hitler et Himmler de la nécessité d'exterminer les Juifs et les Slaves. 44 Les aspects
écologiques de sa pensée ne peuvent, en somme, être séparés de leur cadre entièrement nazi. Loin
d'incarner les facettes « rédemptrices » du national-socialisme, Darré représente le spectre funeste
de l'écofascisme au pouvoir.
Tel est le véritable héritage de l'écofascisme au pouvoir : « le génocide est devenu une nécessité
sous le couvert de la protection de l'environnement ». 65
***
L'expérience de l'« aile verte » du fascisme allemand est un souvenir qui donne à réfléchir sur la
volatilité politique de l'écologie. Elle n'indique bien entendu aucun lien inhérent ou inévitable entre
les questions écologiques et une politique de droite ; à côté de la tradition réactionnaire étudiée ici,
il y a toujours eu un héritage tout aussi vital d'écologie libérale de gauche, en Allemagne comme
ailleurs. 66 Mais certaines structures peuvent en être dégagées : « Alors que les préoccupations
concernant les problèmes posés par la maîtrise croissante de l'humanité sur la nature sont de plus en
plus partagées par des groupes toujours plus nombreux de personnes embrassant une pléthore
d'idéologies, la réponse "pro-naturelle" la plus cohérente a trouvé son incarnation politique dans
l'extrême droite. » 67 Ceci est le fil conducteur qui unit les manifestations conservatrices, voire
supposément apolitiques, de l'environnementalisme avec la variété fasciste pure et simple.
Le déroulé historique contredit assurément l'affirmation vide de sens selon laquelle « ceux qui
veulent réformer la société selon la nature ne sont ni de gauche ni de droite, mais écologistes. » 68
Les thèmes environnementaux peuvent bien être mobilisés à gauche ou à droite, à l'évidence ils
nécessitent un contexte social explicite s'ils veulent avoir une quelconque valeur politique.
« L'écologie » seule ne prescrit pas une politique ; elle doit être interprétée, médiée par une théorie
de la société afin d'acquérir un sens politique. Le fait de ne pas tenir compte de cette interrelation
médiatique entre le social et l'écologique est la marque de l'écologie réactionnaire.
Comme nous l'avons vu plus haut, cet échec prend le plus souvent la forme d'un appel à « réformer
la société selon la nature », c'est-à-dire à formuler une version de « l'ordre naturel » ou de la « loi
naturelle » et à lui soumettre les besoins et les actions humaines. Par conséquent, les processus
sociaux sous-jacents et les structures sociétales qui constituent et façonnent les relations des gens
avec leur environnement ne sont pas examinés. Cette ignorance délibérée, à son tour, obscurcit la
manière dont toutes les conceptions de la nature sont elles-mêmes socialement produites, et laisse
les structures du pouvoir incontestées tout en leur conférant un statut apparemment « naturellement
ordonné ». Ainsi, la substitution de l'écomysticisme à une recherche socio-écologique clairvoyante a
des répercussions politiques catastrophiques, car la complexité de la dialectique société-nature
s'effondre en une Unité purifiée. Un « ordre naturel » idéologiquement fort ne laisse pas de place
au compromis ; ses revendications sont absolues.
Pour toutes ces raisons, le slogan avancé par de nombreux Verts contemporains, « Nous ne sommes
ni à droite ni à gauche, mais en avant », est historiquement naïf et politiquement fatal. Le nécessaire
projet d'inventer une politique écologique émancipatrice exige une conscience et une
compréhension aiguë de l'héritage de l'écofascisme classique et de ses continuités conceptuelles
avec le discours environnemental actuel. Une orientation « écologique » isolée, en dehors d'un
cadre social critique, est dangereusement instable. Le bilan de l'écologie fasciste montre que,
lorsque les conditions sont réunies, une telle orientation peut rapidement conduire à la barbarie.
Notes
1. Ernst Lehmann, Biologischer Wille. Wege und Ziele biologischer Arbeit im neuen Reich, Munich,
1934, pp. 10-11. Lehmann était un professeur de botanique qui a caractérisé le national-socialisme
comme « biologie appliquée politiquement ».
2. Anna Bramwell, auteure de la seule étude de la dimension d'un livre sur le sujet, est un bon
exemple de ce travers. Voir son Blood and Soil : Walther Darré and Hitler's'Green Party', Bourne
End, 1985, et Ecology in the 20th Century : A History, New Haven, 1989.
3. Voir Raymond H. Dominick, The Environmental Movement in Germany: Prophets and Pioneers,
1871-1971, Bloomington, 1992, surtout la troisième partie, « La tentation de Völkisch ».
4. Par exemple, Dominick, The Environmental Movement in Germany, p. 22 ; et Jost Hermand,
Grüne Utopien in Deutschland : Zur Geschichte des ökologischen Bewußtseins, Francfort, 1991,
pp. 44-45.
5. Cité dans Rudolf Krügel, Der Begriff des Volksgeistes in Ernst Moritz Arndts
Geschichtsanschauung, Langensalza, 1914, p. 18.
6. Wilhelm Heinrich Riehl, Feld und Wald, Stuttgart, 1857, p. 52.
7. Klaus Bergmann, Agrarromantik und Großstadtfeindschaft, Meisenheim, 1970, p. 38. Il n'y a pas
d'équivalent anglais satisfaisant à « Großstadtfeindschaft », terme qui signifie hostilité au
cosmopolitisme, à l'internationalisme et à la tolérance culturelle des villes sur ces sujets. Cet « anti-
urbanisme » est l'exact contraire de la critique prudente de l'urbanisation élaborée par Murray
Bookchin dans Urbanization Without Cities, Montréal, 1992, et The Limits of the City, Montréal,
1986.
8. George Mosse, The Crisis of German Ideology: Intellectual Origins of the Third Reich, New
York, 1964, p. 29.
9. Lucy Dawidowicz, The War Against the Jews 1933-1945, New York, 1975, pp. 61-62.
10. Daniel Gasman, The Scientific Origins of National Socialism: Social Darwinism in Ernst
Haeckel and the German Monist League New York, 1971, p. xvii.
11. ibid. p. 30. La thèse de Gasman sur la politique du monisme n'est pas sans controverse, mais
l'argument central du livre est solide.
12. Cité dans Gasman, The Scientific Origins of National Socialism, p. 34.
13. ibid. p. 33.
14. Voir l'avant-propos de la réédition de 1982 de son livre de 1923 Die Entdeckung der Heimat,
publié par les éditions d'extrême droite MUT Verlag.
15. Mosse, The Crisis of German Ideology, p. 101.
16. Walter Laqueur, Young Germany: A History of the German Youth Movement, New York, 1962,
p. 41.
17. ibid. p. 6. Pour un portrait concis du mouvement de jeunesse qui tire des conclusions similaires,
voir John De Graaf, « The Wandervogel », CoEvolution Quarterly, automne 1977, pp. 14-21.
18. Réimprimé dans Ludwig Klages, Sämtliche Werke, Band 3, Bonn, 1974, pp. 614-630. Aucune
traduction anglaise n'est disponible.
19. Ulrich Linse, Ökopax und Anarchie. Eine Geschichte der ökologischen Bewegungen in
Deutschland, Munich, 1986, p. 60.
20. Mosse, The Crisis of German Ideology, p. 211, et Laqueur, Young Germany, p. 34.
21. Voir Fritz Stern, The Politics of Cultural Despair, Berkeley, 1963.
22. Michael Zimmerman, Heidegger’s Confrontation with Modernity: Technology, Politics and Art,
Indianapolis, 1990, pp. 242-243.
23. Voir Michael Zimmerman, « Rethinking the Heidegger -- Deep Ecology Relationship »,
Environmental Ethics vol. 15, no. 3 (automne 1993), p. 195-224.
24. Reproduit dans Joachim Wolschke-Bulmahn, Auf der Suche nach Arkadien, Munich, 1990, p.
147.
25. Robert Pois, National Socialism and the Religion of Nature, Londres, 1985, p. 40.
26. ibid. pp. 42-43. La citation interne est tirée de George Mosse, Nazi Culture, New York, 1965, p.
87.
27. Hitler, dans Henry Picker, Hitlers Tischgespräche im Führerhauptquartier 1941-1942, Stuttgart,
1963, p. 151.
28. Adolf Hitler, Mein Kampf, Munich, 1935, p. 314.
29. Cité dans Gert Gröning et Joachim Wolschke-Bulmahn, « Politics, planning and the protection
of nature : political abuse of early ecological ideas in Germany, 1933-1945 », Planning
Perspectives 2 (1987), p. 129.
30. Änne Bäumer, NS-Biologie, Stuttgart, 1990, p. 198.
31. Alfred Rosenberg, Der Mythus des 20. Jahrhunderts, Munich, 1938, p. 550. Rosenberg était, du
moins dans les premières années, l'idéologue en chef du mouvement nazi.
32. Picker, Hitlers Tischgespräche, p. 139-140.
33. Cité dans Heinz Haushofer, Ideengeschichte der Agrarwirtschaft und Agrarpolitik im deutschen
Sprachgebiet, Band II, Munich, 1958, p. 266.
34. Voir Dominick, The Environmental Movement in Germany, p. 107.
35. ibid. p. 113.
36. Bergmann, Agrarromantik und Großstadtfeindschaft, p. 334. Ernst Nolte dévellope un argument
similaire dans Three Faces of Fascism, New York, 1966, pp. 407-408, bien que ce point se soit
quelque peu perdu dans la traduction. Voir aussi Norbert Frei, National Socialist Rule in Germany,
Oxford, 1993, p. 56 : « Le changement de direction vers le « sol » n'avait pas été une tactique
électorale. C'était l'un des éléments idéologiques de base du national-socialisme ... »
37. R. Walther Darré, Um Blut und Boden : Reden und Aufsätze, Munich, 1939, p. 28. La citation
est tirée d'un discours de 1930 intitulé « Blood and Soil as the Foundations of Life of the Nordic
Race ».
38. Bramwell, Ecology in the 20th Century, p. 203. Voir aussi Frei, National Socialist Rule in
Germany, p. 57, qui souligne que le contrôle total de Darré sur la politique agricole constituait une
position unique et puissante au sein du système nazi.
39. Bergmann, Agrarromantik und Großstadtfeindschaft, p. 312.
40. ibid. p. 308.
41. Voir Haushofer, Ideengeschichte der Agrarwirtschaft, pp. 269-271, et Bramwell, Ecology in the
20th Century, pp. 200-206, pour l'influence formatrice des idées Steinerites sur Darré.
42. Haushofer, Ideengeschichte der Agrarwirtschaft, p. 271.
43. Anna Bramwell, « Darré. Cet homme était-il le "Père des Verts" ? » History Today, septembre
1984, vol. 34, pp. 7-13. Cet article répugnant s'inscrit dans une longue série de déformations visant
à dépeindre Darré comme un héros anti-hitlérien, un effort aussi grotesque que détestable.
44. Roger Manvell et Heinrich Fraenkel, Hess : A Biography, Londres, 1971, p. 34.
45. Franz Neumann, Behemoth. The Structure and Practice of National Socialism 1933-1944, New
York, 1944, p. 378.
46. Albert Speer, Inside the Third Reich, New York, 1970, p. 263.
47. ibid. p. 261.
48. Bramwell, Ecology in the 20th Century, p. 197.
49. Karl-Heinz Ludwig, Technik und Ingenieure im Dritten Reich, Düsseldorf, 1974, p. 337.
50. Cité dans Rolf Peter Sieferle, Fortschrittsfeinde? Opposition gegen Technik und Industrie von
der Romantik bis zur Gegenwart, Munich, 1984, p. 220. Todt était tout aussi convaincu d'être nazi
que Darré ou Hess ; sur l'étendue (et la mesquinerie) de son allégeance aux politiques antisémites,
voir Alan Beyerchen, Scientists Under Hitler, New Haven, 1977, pages 66-68 et 289.
51. Bramwell, Blood and Soil, p. 173.
52. Alwin Seifert, Im Zeitalter des Lebendigen, Dresde, 1941, p. 13. Le titre du livre est
grotesquement inapte compte tenu de la date de publication ; il signifie « à l'âge des vivants ».
53. Alwin Seifert, Ein Leben für die Landschaft, Düsseldorf, 1962, p. 100.
54. Bramwell, Ecology in the 20th Century, p. 198. Bramwell cite les documents de Darré comme
source de la citation interne.
55. Seifert, Ein Leben für die Landschaft, p. 90.
56. William Shirer, Berlin Diary, New York, 1941, p. 19. Shirer appelle également Hess le
« protégé » de Hitler (588) et « le seul homme au monde en qui il a pleinement confiance » (587), et
confirme également la position de Darré et Todt (590).
57. Cité dans Manvell et Fraenkel, Hess, p. 80. Dans une autre confirmation remarquable de la
stature de la faction « verte », Hitler déclara un jour que Todt et Hess étaient « les deux seuls êtres
humains parmi tous ceux qui m'entouraient auxquels j'ai été vraiment et intérieurement attaché »
(Hess, p. 132).
58. Voir Haushofer, Ideengeschichte der Agrarwirtschaft, p. 270, et Bramwell, Ecology in the 20th
Century, p. 201.
59. ibid. p. 197 à 200. La plupart du travail de Todt passait aussi par le bureau de Hess.
60. Raymond Dominick, « Les nazis et les défenseurs de la nature », The Historian vol. XLIX no. 4
(août 1987), p. 534.
61. ibid. p. 536.
62. Hermand, Grüne Utopien in Deutschland, p. 114.
63. Dominick, « Les nazis et les défenseurs de la nature », p. 529.
64. Gröning et Wolschke-Bulmahn, « Politique, planification et protection de la nature », p. 137.
65. ibid. p. 138.
66. L'Ökopax und Anarchie de Linse, entre autres, propose un examen détaillé de l'histoire de l'éco-
anarchisme en Allemagne.
67. Pois, National Socialism and the Religion of Nature, p. 27.
68. Bramwell, Ecology in the 20th Century, p. 48.