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Rhizome Bulletin national santé mentale et précarité

RHIZOME n.m. (gr. rhiza, racine). Tige souterraine vivante, souvent


horizontale, émettant chaque année des racines et des tiges aériennes.

« Jeunesse, le devoir d’avenir »


édito Il devient de plus en plus impossible de ne pas croiser ou prendre de front la thématique
« adolescence ».
Jean FURTOS L’adolescence commence de plus en plus tôt et finit de plus en plus tard, ce qui en révèle
sa nature de construction sociale. Fascinants autant que suspects, les adolescents, les
« jeunes », posent des problèmes aux institutions.
« Ils » envahissent l’espace psychique des personnes autant que l’espace public de la
cité : centres commerciaux, Stade de France et autres lieux, bouleversant le bel ordon-
nancement des règles établies. Que veulent-ils ? Faire la fête ? Détruire ? Se faire recon-
naître ?
En tout cas la spirale de la méconnaissance, mais aussi celle de la peur et du ressenti-
ment, se déroulent quasi sans espace de réflexion.
« Ils » envahissent même la nosographie de la pathologie psychiatrique adulte puisque
certains auteurs, et non des moindres (Jean Bergeret, Jean-Jacques Rassial) suggèrent
d’aborder la pathologie montante, constituée d’états limites et de troubles identitaires
narcissiques, comme une adolescence prolongée qui maintient l’incertitude identitaire.
Octobre 2001 Dans ce numéro 6 de Rhizome, nous n’évoquerons pas tous les adolescents qui vont
bien, ni quels sont leurs « trucs » pour y parvenir. Tout au plus notre ami Marzouki, dans
sa page d’humeur corrosive, interroge t-il sur l’éternel adolescent que nous portons en
nous.
Nous envisagerons surtout, pour tenter de les penser, des rencontres singulières, des
situations particulières. Comment rencontrer cet adolescent à Paris ou à Bamako, à
Sousse ou à Bobigny ? Ceux dont nous parlons sont en échec scolaire, en errance, en pri-
son, violents, suicidaires ou suicidés. Ils vont mal. Ils ne sont pas en souffrance psy-
chique mais en péril psychique et somatique.
Comment résister lorsque, habité par une mélancolie d’indignité, un(e) adolescent(e)
nous pousse à la faute, c’est à dire à l’abandon de responsabilités, voire au rejet ?
Comment faire appel à la loi, à la limite, sans la réduire aux règlements ? Ces questions,
nous avons à les élaborer, nous, parents, éducateurs, aidants, soignants, politiques.
N’oublions pas que cette mélancolie des jeunes, souvent méconnue, renvoie aux pensées
à peine latentes de beaucoup d’adultes désemparés : « Le passé est un cimetière, L’avenir est
un désert », comme l’a écrit une jeune fille dans un service d’urgence.
C’est pourquoi il faut lire le rapport du Commissariat Général du Plan, ou au moins le
texte écrit pour Rhizome par Dominique Charvet, Président de la Commission « Jeunes
et politiques publiques » qui a élaboré ce rapport. Il s’agit d’une contribution éclairante
pour notre temps, au titre superbement stimulant : « Jeunesse, le devoir d’avenir », que
nous avons mis en exergue de ce numéro.
Dans une société où la pression est faite pour que les jeunes sachent ce qu’ils veulent
dans le même temps où leurs aînés ont souvent perdu toute ambition collective, nous,
les adultes actuellement en charge, nous avons à travailler avec eux et pour eux le devoir
d’avenir. Celui-ci n’est ni plus ni moins que « le travail de civilisation » dont Freud nous
a rappelé le caractère difficile, douloureux et toujours inachevé.

DOSSIER RUBRIQUES
Jeunesse, le devoir d’avenir p. 2-3 LE COIN DU CLINICIEN
Dominique Charvet La « désadoption »
Etre parents aujourd’hui et en situation de Comment être témoin d’un parcours
grande précarité Claire Vercraene p. 4 d’exclusion calamiteux ? p. 11-12
Jean Furtos
L’adolescent, l’identité et la violence scolaire
Jean-Jacques Jordi p. 5 SUR LE TERRAIN DES PRATIQUES
Réflexions sur l’incarcération des mineurs Accueil thérapeutique et adolescence
dans le Service de Psychiatrie

Au sommaire Cyrille Canetti, Isabelle Roustang

L’adolescent au nom de la loi : oui,


mais laquelle ? Sylvie Quesemand-Zucca
p. 6

p. 7
Infanto-Juvénile du Nord
des Hauts de Seine
Michèle Zann, Jeanne Gaillard
p. 13 - 15

Le suicide de l’adolescent : la mort dans


RHIZOME est téléchargeable les yeux Robert Brès p. 8
LIBRES PROPOS, PROPOS LIBRES
Dangereuse adolescence : persiflage
sur le Web :

6
A propos des adolescents en errance : et grincements de dents p. 14 - 15
www.ch-le-vinatier.fr/orspere la mélancolisation d’exclusion ou Moncef Marzouki
d’une souffrance psychique
dans l’actuel Olivier Douville p. 9-10 ACTUALITES p. 16
Rhizome N° 6 - Octobre 2001 Dossier Adolescence

Jeunesse, le devoir d’avenir


Un retournement de dès 12 ans et on est jeune à 30 cause les appartenances statutai-
perspective ans pour les “emplois-jeunes”. res et les solidarités collectives,
A la fin des années 90 la question On peut d’ailleurs faire le même choisies ou contraintes, pour
jeune est venue se réinscrire dans tableau flou de l’autre côté de la renvoyer à des parcours et des
l’agenda politique. D’une part à vie, entre 50 et 70 ans . responsabilités d’abord person-
travers la prise de conscience des Là ne s’arrête pas la difficulté de nels.
Dominique CHARVET limites de la pensée publique qui la définition. Etre jeune est une Autant que ce qu’elle est en soi,
Magistrat, Président se résumait en quelques constats expérience personnelle incontes- la jeunesse donne à voir ce qui
de chambre à la assez stérilisants : la jeunesse s’al- table. Sa diversité est telle, des est notre destin commun ou va
Cour d’appel de Paris. longe, elle va mal quand elle est personnages de “la Haine” ou de l’être : la nécessité de s’adapter à
au chômage, elle fait mal quand “La Squale” aux banals collégiens une société du savoir, le creuse-
elle crée de l’insécurité et on a, que nous croisons au quotidien, ment dans la différence des sorts,
quasiment, “tout essayé”. D’au- que l’on peut s’interroger sur ce le défi d’être constamment
tre part des initiatives financiè- qui est partageable dans cette acteur de son destin.
rement et symboliquement expérience. Surtout qu’il ne s’a-
fortes étaient prises : mise en git pas que de cinéma et que l’on Des choix publics incertains
place d’un programme de plu- vérifie statistiquement le creuse-
sieurs centaines de milliers d’em- ment des inégalités à l’intérieur Avons-nous été au niveau de ces
plois-jeunes, suppression du de la jeunesse dans la présente défis ? Quantitativement il ne
service national. période. fait pas de doute qu’en multi-
Le Commissariat général du pliant par deux en une vingtaine
Plan a alors été mandaté par le Bref la jeunesse n’est-elle qu’un d’années la dépense d’éducation,
Premier ministre pour conduire mot, pour reprendre celui de en aidant plus d’un tiers des
une réflexion sur les jeunes et les Pierre Bourdieu ? Probablement emplois auxquels accèdent les
politiques publiques ; ses travaux plutôt une déconstruction- moins de 25 ans, la collectivité a
viennent d’être publiés*. Ils reconstruction. Déconstruction fait un effort financier considéra-
devraient concourir, avec ceux du modèle précédent, où des ble.
du rapport Brin, élaboré dans le cohortes d’adolescents, à l’issue Toutefois à y regarder plus près,
BIBLIOGRAPHIE :
cadre du Conseil économique et d’une période, parfois succincte, on s’interroge sur le point de
* « Jeunesse, le devoir d’avenir », social, à nourrir la concertation de scolarisation-formation en- savoir si la préférence n’a pas été
la Documentation Française
2001. qui va commencer dans une traient dans la double carrière donnée à un traitement d’ur-
commission parlementaire en professionnelle et matrimoniale gence de symptômes plutôt qu’à
vue de la création d’une alloca- pour un parcours sans retour. la mise à jour de questions struc-
tion d’autonomie. Reconstruction à partir d’une turelles que révèlent les parcours
Mais au-delà de décisions que les ambition : l’augmentation du des jeunes et, voire, si l’on ne
perspectives politiques peuvent nombre et du niveau de la scola- s’est pas enfermé dans certaines
éventuellement accélérer, l’en- risation. Et de plusieurs crises au contradictions. De quoi sert d’é-
semble de ces travaux fait émer- sens de remodèlements. D’abord lever le niveau de compétence
ger des sujets qui touchent à la la transformation de modes de d’une génération si, lui faisant
structuration même de notre production laissant à l’extérieur largement payer la flexibilité
société et aux choix collectifs de l’emploi les candidats insuffi- requise par les entreprises, on
faits et à faire. samment qualifiés, imposant aux dilue leurs capacités à travers un
moins bien protégés, les jeunes parcours chaotique d’accès à
De quoi parle t-on : une jeu- et les femmes en France, le l’emploi - petits boulots, multi-
nesse insaisissable ? besoin de flexibilité des entrepri- ples périodes de chômage, etc ?
ses. Ensuite, et plus fortement Quelle cohérence entre l’injonc-
L’interrogation est sans doute que nous n’en avons conscience, tion à la citoyenneté faite aux
paradoxale quand le terme est la poursuite de la dimension jeunes et une réalité qui est celle
sous toutes les plumes, le corps individualisante du projet démo- d’une tutelle étatique - dans une
de la jeunesse sur toutes les ima- cratique. Pour prendre un exem- institution éducative qui peine à
ges, le désir de jeunesse dans tous ple dans mon milieu évoluer - et d’une dépendance
les esprits. professionnel, le développement familiale par le refus à l’accès à
Pourtant l’incertitude du du recours au procès plutôt qu’à des ressources autonomes (refus
concept est à la mesure de son l’action collective paraît signifi- du RMI, suppression ou inacces-
usage protéiforme. Nous savons catif de ces nouveaux modes d’ê- sibilité des prestations attachées
ce que nous avons quitté : un tre mais les stratégies féminines au chômage) ?
tableau ternaire des âges d’autonomisation par la prolon- Les choix français sont peu favo-
(enfance/adolescence, âge adulte, gation des études et la généralisa- rables aux jeunes malgré les mul-
vieillesse) pour des périodes aux tion de l’accès à l’emploi vont tiples mesures de rattrapage, de
seuils et aux contenus incertains. dans le même sens. La conjonc- discrimination positive. Ils se
2
Le banquier a un produit jeune tion de ces évolutions remet en situent ainsi dans une tradition
N° 6 - Octobre 2001
Dossier Adolescence

Jeunesse, le devoir d’avenir (suite)

culturelle privilégiant l’âge refus d’affrontement du présent aux bourses de l’enseignement


adulte, méfiante à l’égard de la et cette absence d’engagement supérieur et versée directement
jeunesse perçue comme un pour l’avenir que donne à voir aux jeunes dès 18 ans.
groupe à part potentiellement un certain nombre de fonction-
dangereux, éventuellement à nements institutionnels derrière Démocratiser est mettre en pos-
protéger mais surtout à civiliser. un bavardage incessant sur la session du monde ceux qui y
Au-delà, ces choix sont significa- solidarité et la citoyenneté. arrivent : le leur rendre compré-
tifs de la difficulté que nous hensible, les associer comme
avons à concevoir les profondes La proposition à faire aux jeunes acteur et auteur. Il y faut une
transformations à l’œuvre et la est celle de la compréhension et rigueur du propos qui seul per-
mise en cause des mécanismes de de la maîtrise de la société qui met de construire : dire qu’il n’y
reproduction sociale : on ne vient. Elle doit s’établir autour a pas de monde sans drogue,
remettra plus “son pas dans celui des notions d’éducation et de appeler un “petit boulot” par son
de son père”, et à articuler un démocratisation. Il faut repren- nom. Il y faut lutter pour des
projet collectif pour affronter les dre ici le projet ambitieux de l’é- logiques de production du bien
risques de l’avenir. ducation-formation tout au long public : construire une réparti-
de la vie, déjà défendu par le rap- tion des ressources éducatives au
Un projet pour tout le monde port Boissonnat et aujourd’hui regard des défis réels et non en
au coeur des réflexions de la fonction de ceux qui habitent les
Sans doute n’est-ce ni la pre- CEE. Il faut ériger comme un institutions. Il y faut le goût de
mière ni la dernière fois que la droit du citoyen celui d’une partager le pouvoir : reconnaître
jeunesse sert de fantassin à l’his- créance de formation pas seule- dans les illégalités et les désordres
toire qui va. Sans doute aussi ment professionnelle mais aussi de banlieue bien plus qu’un sujet
beaucoup de jeunes sont-ils luci- destinée à maintenir la capacité à policier, social mais bien aussi
des sur les difficultés de la être un citoyen à part entière. Et une interpellation politique pour
période qu’ils traversent. Encore commencer par les jeunes pour laquelle il faut sans doute inven-
faudrait-il que cela « serve à qu’ils sachent qu’on a besoin ter de nouveaux moyen d’expres-
quelque chose ». d’eux, qu’on les attend pour faire sion.
Nous avons fait le tour des poli- demain, qu’en conséquence les
tiques court-termistes, prolifé- adultes d’aujourd’hui investis- Le débat sur l’autonomie des
rantes et segmentées réduisant la sent sur les adultes qu’ils vont jeunes est aujourd’hui largement
légitimité de chacun à son han- être. Le rapport du Plan propose ouvert. Il faut s’en saisir non pas
dicap et produisant un « Etat la mise en place d’un “capital” de tant pour pérenniser un sort par-
charitable » selon une excellente formation de 20 ans utilisable en ticulier fait à la jeunesse qui à
formule. une seule fois ou à plusieurs terme s’avère toujours décevant
Il n’est d’ailleurs pas interdit de moments de sa vie, renouvelable mais pour interroger les fonc-
penser que la crise d’autorité, dès lors que l’un occupe un tionnements de société et des
souvent accolée à la question emploi. A ce capital s’ajouterait institutions qui pourraient y
jeune, ait aussi pour origine ce une allocation-formation égale contribuer. ■

3
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Etre parents aujourd’hui


et en situation de grande précarité
Etre pauvre, autrefois, était un Pour nombre d’entre les familles, Dans nos sociétés, dans nos cités,
vécu collectif, une situation ces rencontres régulières, dans un l’enfance est souvent en danger
sociale de classe, porteuse de lieu qui a une longue histoire, sont d’un trop de présence maternelle
sa propre culture, une culture un repère stable, un temps pour pour mille raisons sociales, écono-
Claire VERCRAENE de la lutte le plus souvent. sortir de l’isolement, ou bien miques et culturelles. Dès que
Directrice du Service encore un lieu d’apprentissage en quelque chose existe dans la
de Prévention de Maintenant la précarité est une douceur des séparations entre société pour proposer un espace à
l’A.D.E.F.O exclusion, une situation à la parents et enfants. Pour d’autres, ces mères, elles ont une chance de
Association Dijonnaise
d’Entraide des Familles Ouvrières
marge, floue, incertaine, dans un dont les enfants sont placés, c’est trouver une place plus juste auprès
1, Rue de la Prévôté provisoire qui peut durer. Mais les un lieu régulier de retrouvailles. de leurs enfants. L’enfant est moins
21000 Dijon personnes ou les familles en danger entraîné dans la dépression mater-
de précarité ne sont-elles pas plei- C’est à partir de ces temps d’ac- nelle, il n’est plus le seul objet de
nement des habitants de notre cueil que se tissent les relations son désir. La mère se tourne vers
humanité ?… Pour les enfants de entre les familles et nous, mais d’autres désirs, elle s’écarte de cette
ces familles en difficulté, comme aussi entre les familles elles-même. relation dont on ne sait plus très
pour tous jeunes, l’apprentissage Il est tout à fait nécessaire d’atta- bien qui est la mère qui est l’en-
de la vie et de ses lois, le «devenir cher de l’importance à ce qui se vit fant. Du « deux » s’installe. Sa
grand» ne peut se faire que dans la là, entre elles, instaurant des liens, mère n’est pas toute pour lui, elle a
collaboration de la cité avec les des passages d’expérience, des un « ailleurs » qui va donner de
parents, hommes et femmes recon- dédramatisations d’évènements du l’air à son enfant. Soutenir cette
nus comme digne d’intérêt. C’est quotidien, en bref, une apparte- fonction paternelle, ce tiers, n’est
seulement ainsi qu’une transmis- nance pour des gens en manque pas prendre la place du père, mais
sion entre générations est possible. d’appartenance. Beaucoup n’ont parler de ce père : « Tu vois, ton
Des familles (une bonne centaine), pas connu leurs propres parents. père n’accepterait pas que tu parles
venant de quartiers que l’on dit Un silence pesant vient en place de comme ça à ta mère ». Tâche diffi-
difficiles fréquentent le Club de transmission de leur histoire qui, cile pourtant que la rencontre de
Prévention de l’A.D.E.F.O à souvent, s’inscrit avec perte et fra- ces pères quand ils sont présents…
Dijon. Ce service à la particularité cas dans les corps et dans les actes. En proposant de les accueillir
de rencontrer non pas prioritaire- Ce sont des personnes très vite (nous organisons des week-ends
ment des adolescents (comme c’est insécurisées, avec une vie sociale pères-enfants), ou en les invitant
le cas habituellement en préven- réduite ou conflictuelle, en grande avec leur famille (en séjour de
tion spécialisée), mais des familles, demande de reconnaissance et vacances par exemple), un autre
et notamment des familles avec des d’affection pour elles. Elles ont regard peut-être porté sur eux de la
jeunes enfants. Les rencontres ont besoin de régularité, de continuité. part de l’entourage mais surtout de
lieu dans les règles de la prévention leurs enfants et de leur femme. Ils
spécialisée, c’est-à-dire sans man- Les moments de rencontres que s’y révèlent autrement vivants et
dat nominatif et dans la libre nous proposons sont chaleureux, actifs dans leur paternité si souvent
durée, de quelques mois à quasi ritualisés, favorisant la parole mise à mal. Avec les très jeunes
quelques années. Les familles vien- et un apprentissage des règles de la parents également, nous faisons le
nent librement. Ce sont des moda- vie sociale. Les enfants voient leurs pari que quelque chose peut chan-
lités d’approche qui nous semblent parents parler avec d’autres, ils ne ger dans la répétition familiale.
tout à fait intéressantes. sont plus les seuls interlocuteurs de Nous pensons qu’un accompagne-
Ces familles ont souvent une his- la souffrance parentale : « Tu vois, ment fait de confiance et d’atten-
toire faite d’abandon et de place- Untel, il s’occupe de ta maman tu tion, dans ce moment de
ment se répétant de génération en peux jouer tranquillement »... resi- bouleversement intime qu’est la
génération, auxquels s’ajoutent des tuant chacun à sa place. Comment naissance d’un enfant, est propice
difficultés liées au contexte écono- apprendre à l’école quand on est à des relations nouvelles.
mique. en souci pour ses parents ? Nous
tentons d’être des passeurs de Bien sûr tout ce que nous tentons
Nous (une petite équipe de tra- relais, de mettre des ponts entre les d’entreprendre ne va pas sans du
vailleurs sociaux), proposons des mondes si éloignés que sont pour temps, de la patience. Rien ne peut
temps d’accueil collectifs ou indi- eux l’intime et le dehors, la mai- se faire véritablement dans l’ur-
viduels, réguliers ou ponctuels, son, la crèche, l’école, le travail… gence. C’est à travers des petites
avec la possibilité de participer à Ce sont les mots qui peuvent choses mises en place, sans rien de
des activités concernant les parents relier ; c’est quand les grandes per- spectaculaire, mais dans un cadre
seuls, ou les enfants seuls, ou sonnes se parlent qu’un enfant bien pensé, qu’émergent des paro-
parents et enfants, sur le lieu qu’on peut grandir dans la confiance et les, des attitudes, des mouvements,
appelle le « Club » à Dijon ou à la aimer l’un sans trahir l’autre. qui peuvent être reçus, entendus
maison familiale de Grancey, pour parfois, et peut-être faire écho et
4 des séjours de vacances. poursuivre leur chemin… ■
N° 6 - Octobre 2001
Dossier Adolescence

L’adolescent, l’identité et
la violence scolaire 1

Il n’est pas un jour sans que que, surtout, il n’y a pas de causes ment en milieu populaire et immi-
l’on entende ici ou là parler de spécifiques à l’échec scolaire des gré*. En ce sens, pour les collé-
violence scolaire. jeunes issus de l’émigration. giens, l’identité locale prend
Comme le faisait remarquer un nettement le pas tant sur l’identité
Jean-Jacques JORDI De la même manière, en règle inspecteur de l’Education Natio- d’origine que sur l’identité natio-
Historien, Coordonnateur générale, la communauté éduca- nale, la “pauvreté n’est pas gage de nale. Enfin, l’inscription de
de Réseau d’Education tive qui regroupe enseignants, per- l’indignité”. Enfin, mais il ne peut chaque élève dans son histoire,
prioritaire sonnel de direction et s’agir là d’une revue de détail, on a dans un projet de vie soutenu par
Marseille d’administration, surveillants, avancé que la constitution de clas- des actions spécifiques (culturelles
aides-éducateurs, évoque régulière- ses au collège, parce qu’elle est eth- et artistiques, scientifiques, sporti-
ment l’incivisme, l’irrespect de ces niquement inégalitaire - pour ves, actions de prévention des
“jeunes”, autant dans l’enceinte parler clair, des classes de “blancs”, conduites à risque...) permet à
scolaire qu’à l’extérieur. On a sou- des classes de “noirs”, des classes l’élève de se situer et de compren-
vent évoqué la violence en milieu “d’arabes” - produirait des blessu- dre pourquoi il se trouve ici et pas
scolaire - nous nous situons ici res et des douleurs, lesquelles, de ailleurs...
dans le cadre d’une population manière inéluctable, débouche- Pour autant, des problèmes subsis-
scolaire de collège - au travers de raient sur une violence quasi dra- tent. Si l’on constate une améliora-
plusieurs éléments constitutifs de matique3. Combien de fois ai-je tion du comportement dans les
cette violence. Tout d’abord, l’idée entendu : “Ils (les enseignants) classes de 4ème et de 3ème, les
que l’école en elle-même génère nous font pas travailler parce qu’on classes de 6ème semblent avoir
une violence qui est celle issue de est arabe”. Et quand je leur disais : quelques difficultés qui génèrent
la volonté affirmée de l’Etat d’inté- “et quand vous avez du travail, de la violence, et que le rappel à la
grer-assimiler tous ceux qui pas- vous le faites ?” La réponse était loi ne peut contenir. Sans doute,
sent par l’école comme l’on invariable : “non, puisque ça sert à ne fait-on pas évoluer des a priori
passerait dans un moule, moule rien !” sur tel ou tel collège en une ou
1
Il s’agit dans ce texte de républicain, laïc et gratuit. Forts de ces connaissances, avec deux années, et que si tel collège
réflexions et d’opinions Cependant, contrairement à une leurs possibilités, et sans que cela passe pour être le collège des “ara-
personnelles au regard d’une
pratique de terrain nourrie de
idée reçue, la France n’a pas refoulé puisse être considéré comme une bes et des Comoriens”, donc un
recherches sur l’histoire des dans son école les “petites patries” expérience, les communautés édu- “mauvais” collège au regard des
migrations. (la Bretagne, la Corse, la Provence, catives de deux collèges de autres, il est à craindre que cette
2
Directeur de recherche au l’Alsace, l’Auvergne...), mais a Marseille, avec lesquels je travaille, réputation lui survive encore,
CNRS (aujourd’hui disparu) considéré l’ethnicité comme poly- ont décidé que ceux qui étaient les quand bien même ses résultats
Contribution inédite au
rapport Jacques Berque.
ethnique et historicisée. L’école de mieux placés pour constituer les seraient en progression. Sans doute
3
la République a crée un fort senti- classes de 6ème étaient les institu- aussi, la mise en concurrence illégi-
Il reste toutefois le délicat
problème de l’orientation
ment d’appartenance à la France teurs et professeurs des écoles. Le time, faite les années précédentes,
après la classe de 3ème. sans véritablement se couper des principal critère restait la constitu- entre la “compétence” mythique
4
On pourrait avoir une
patries ou terroirs d’origine. De tion de classes hétérogènes. De de l’institution-école et la “compé-
réflexion semblable sur les fait, l’école a été et reste puissam- fait, les sentiments réels d’injustice tence-incompétence” des parents a
pratiques “répressives” ment intégratrice. Un enfant peut ou de victimisation qui pouvaient t-elle engendré une violence
(punitions) différenciée aux
élèves de certaines classes par
ne pas être français, mais l’élève, exister avec une affectation dans sourde contre ceux - les ensei-
rapport à d’autres. S’il parce qu’il est élève de l’école fran- une classe segréguée s’en trou- gnants - qui n’arrivaient pas à faire
n’existe plus de classe çaise, au sein de la société française, vaient sinon disparus, au moins travailler les élèves suffisamment
reléguée, le système de
punition ne peut plus être est un élève français nous rappelle affaiblis4. Ensuite, la violence cons- pour obtenir des résultats conve-
différencié. Abdelmalek Sayad2. Ensuite, on a tatée les années précédentes a nables. Il conviendrait en effet de
avancé l’idée que la violence est imposé à la communauté éduca- voir comment l’institution sco-
BIBLIOGRAPHIE : liée à l’échec scolaire, lui-même tive de mettre l’accent sur la néces- laire, après avoir délégitimé le rôle
* On verra sur ce point l’étude fait social lié à des mécanismes sité d’affirmer l’existence de règles, et le pouvoir des parents, peut
Migrants et sociétés urbaines en sociaux d’exclusion qui existent l’existence d’un règlement de l’éta- redonner du sens à l’autorité
Europe, l’exemple de Marseille
et de Francfort-sur-le-Main,
dans la société. Une des premières blissement, et l’existence d’une parentale... et non aux grandes
GAPRETS, Université de victimes de ces exclusions sont his- référence commune aux élèves soeurs ou aux grands frères. Il nous
Luminy, 1995-1997, et le toriquement les immigrés et par comme à l’ensemble de la commu- faut donc, en plus que ce que nous
document de synthèse paru dans
Migrations Etudes, ADRI, Paris,
conséquent leurs enfants. L’école nauté éducative permettant l’émer- avons dit, chercher ailleurs dans
Octobre 1999. étant le reflet de la société, aucun gence d’un sentiment d’appar- un double enjeu : faire de l’établis-
changement n’était possible sans tenance à une même “polis”. Sans sement scolaire un espace d’ap-
bouleversement de la société. doute ici, les caractéristiques de prentissages, de socialisation et de
C’était juste oublier qu’aucune Marseille et de sa culture locale civilité au rapport de la loi, et l’en-
société n’est immuable, que l’école favorisent l’adhésion à une forte jeu de ne plus ségréguer les diffé-
a parfois un peu d’autonomie, et identité collective, et particulière- rences mais de vivre ensemble. ■
5
Rhizome N° 6 - Octobre 2001 Dossier Adolescence

Réflexions sur l’incarcération


des mineurs
Le quartier mineur du centre d’empêcher toute évolution posi- Mérogis rencontre chacun des
de jeunes détenus de Fleury- tive du jeune incarcéré. jeunes incarcérés. Ils sont initiale-
Mérogis accueille des adoles- L’incarcération peut constituer, ment reçus par un psychiatre et
cents de 13 à 18 ans. Ceux de certes moyennant un nombre non un infirmier et adressés ensuite le
Docteur Cyrille 13 à 16 ans y sont pour des négligeable d’améliorations, une cas échéant à un psychologue ou
CANETTI procédures criminelles, les étape dans la vie du jeune, une participent à des ateliers théra-
Psychiatre au SMPR autres pour des procédures prise de conscience et offrir aux peutiques.
du centre de jeunes qui peuvent être correction- différents intervenants (justice, Les missions des SMPR com-
détenus de Fleury-Mérogis
nelles ou criminelles. santé, éducation nationale) la pos- portent également l’organisa-
Docteur Isabelle
ROUSTANG
sibilité d’une action concertée et tion d’un suivi post pénal qui se
La très grande majorité y est pla- cohérente abordant le jeune à la met en place progressivement.
Médecin à l’UCSA
du centre de jeunes
cée en détention provisoire, c’est à fois dans son individualité et sa Le temps de l’incarcération est
détenus de Fleury-Mérogis
dire avant jugement et pour des globalité au sein de la famille et de aussi celui de la rencontre avec les
périodes qui sont le plus souvent la société. parents du mineur, moment
d’un à deux mois. En dehors de Ce temps de l’incarcération doit essentiel de la prise en charge qui
ceux qui y sont pour un acte être mis à profit afin d’être vécu permet parfois de mettre à plat
unique et grave la quasi totalité par les jeunes comme une période des situations jugées inextricables.
d’entre eux ont un parcours fait transitoire leur permettant de Il est rare que ces jeunes présen-
d’antécédents judiciaires, de pri- changer de direction dans un par- tent des pathologies psychia-
ses en charge multiples (juge des cours mal engagé. triques avérées. Il s’agit le plus
enfants, éducateurs de l’aide Les améliorations à apporter aux souvent d’une symptomatologie
sociale à l’enfance, de la protec- conditions d’incarcération sont réactionnelle à l’incarcération et à
tion judiciaire de la jeunesse...). multiples et portent sur de nom- ses conséquences sur la cellule
Ils sont pratiquement toujours breux points mis en exergue par familiale et plus souvent encore
passés par différentes institutions les rapports d’enquête du de troubles de la personnalité
telles que les centres de placement Parlement et du Sénat. Pour les engendrés par des carences affecti-
immédiat, les unités éducatives à mineurs, elles doivent porter en ves, sociales et éducatives. La prise
encadrement renforcé ou autres tout premier lieu sur le dévelop- en charge n’a pas la prétention de
foyers d’accueil. Lorsqu’ils sont pement d’un réel partenariat pallier ces carences mais de mettre
placés en détention, c’est le plus entre les différents professionnels en place un suivi qui peut per-
souvent par un juge à court de intervenant dans la prise en mettre une prise de conscience et
solution qui voit dans cet ultime charge de ces jeunes. tente de redonner à ces jeunes qui
recours la possibilité de marquer souffrent la possibilité de repren-
d’abord une limite et ensuite de Tout récemment encore se réunis- dre une part active dans le choix
ménager un temps afin de trouver sait au centre de jeunes détenus de de leur vie.
une solution plus adaptée à long Fleury-Mérogis un groupe de tra-
terme à la situation de ces jeunes. vail constitué des membres de D’ores et déjà, un partenariat
Pour la plupart de ces mineurs, il l’Administration Pénitentiaire, de entre les équipes de soins soma-
n’y a pas de réincarcération après l’Application des Peines, du tiques et psychiatriques permet
le jugement qui a souvent lieu Parquet ainsi que des représen- aux jeunes de prendre cons-
après la sortie de prison. Ils se tants de la Protection Judiciaire de cience de leur souffrance tant
voient le plus souvent condamnés la Jeunesse, de l’Education Natio- physique que psychique.
à des peines de sursis assorties de nale, de la Croix Rouge et des
période de mise à l’épreuve sous équipes de l’UCSA (unité de Loin de représenter la solution, la
contrôle judiciaire. La mise en consultation et de soins ambula- présence de jeunes en prison est le
détention n’est donc pas générale- toires, responsable des soins signe d’un échec de notre société.
ment pratiquée dans le but somatiques) et du SMPR (service Il nous faut poursuivre nos efforts
unique de sanctionner (et quel médico-psychologique régional afin que le placement en déten-
sens a la sanction avant chargé des soins psychiatriques). tion des plus jeunes puisse aussi
jugement ?) mais dans celui de Ce groupe de travail s’est fixé recouvrir un rôle éducatif et ne
contraindre le jeune à un temps comme objectif de créer des liens pas représenter le dernier maillon
de réflexion et à la justice la possi- entre les différents acteurs de la de la course vers l’échec.
bilité de trouver une issue à un prise en charge des mineurs, aussi Parallèlement la société doit faire
parcours qui fait craindre une bien entre les différentes structu- preuve d’imagination pour inven-
évolution très défavorable. res qu’entre l’avant, le pendant et ter d’autres réponses à la délin-
La détention des mineurs souffre, l’après détention. quance des adolescents, ce qui
sans doute encore, souvent à juste Dans le cadre de ce partenariat, permettra de limiter l’incarcéra-
titre, d’une triste réputation, celle l’équipe du SMPR de Fleury- tion des mineurs. ■
6
N° 6 - Octobre 2001
Dossier Adolescence

L’adolescent au nom de la loi :


oui, mais laquelle ?
Un certain nombre d’adoles- entre lui et le Monde (provoca- facile… puisque l’adolescent n’est
cents se retrouve aujourd’hui tions diverses, actes délictuels…). plus là, dans l’institution.
dans les villes, errants parfois Des quelques commentaires que
de longs mois. Qu’a-t-il pu se • Engrenage dans les réponses : ces j’ai pu recueillir, par des anima-
Sylvie QUESEMAND- passer dans ce dernier adolescents difficiles se retrouvent teurs de « Points Jeunes » par
ZUCCA moment d’effraction du cadre alors adressés en institutions spé- exemple, recevant des jeunes en
Psychanalyste institutionnel (familial, éduca- cialisées (qu’ils ont souvent errance, ou même directement
Psychiatre tif, social) avant le passage à connues depuis l’enfance). Il peut parfois, par certains jeunes errants,
Réseau « Souffrances la rue, et comment interroger s’agir d’institutions familiales (pla- me reviennent en écho, à distance,
et Précarité » cet acte de rupture par rap- cements), scolaires, sociales, des mots sur ces ruptures : à
(Dr. Xavier Emmanuelli) port à la question de la Loi ? médico-sociales et psychiatriques. chaque fois différents selon l’his-
Hôpital Esquirol Des contrats1 sont mis en place, toire, ils reflètent souvent un cri
94413 St Maurice L’adolescence est le temps de l’ex- des thérapies aussi. Pour un certain contre ce qu’ils vivent comme l’a-
périence : expérience des limites de nombre d’entre eux, la confronta- nonymat de certains modes de
son corps, de la sexuation, de la tion est positive : le lieu même, la réponses institutionnels, désincar-
possibilité de s’affronter au dis- rencontre avec un enseignant, un nés et qui ne sont plus référés pour
cours de l’autorité ; expérience, éducateur, un psy, font cadre. eux à ce qu’ils se sont fait comme
enfin de s’affranchir d’une position L’adolescent s’y retrouve – au sens idée de « la justice ».
d’enfant dépendant. littéral du terme2.
Le trajet de l’enfance, chez de C’est à ce niveau que porte mon
nombreux jeunes en rupture de Mais pour d’autres – ceux qui interrogation. N’avons-nous pas
liens, a souvent été émaillé de vio- nous intéressent ici, en ruptures fini, dans les moments d’impasse
lences, de rejets silencieux ou agis, incessantes jusqu’à ce qu’ils se thérapeutique et institutionnelle
de traumatismes de deuils, de cas- retrouvent à errer, seuls ou en ban- auxquels nous confrontent grave-
sures aux conséquences subjectives des, dans les rues – force est de ment ces adolescents difficiles, à
BIBLIOGRAPHIE :
et sociales souvent catastro- nous interroger. Ce qui a fait cadre faire trop appel à la « Loi »
phiques. pour les uns n’a constitué pour oubliant nous-mêmes qu’il ne faut
1
Sur la notion de contrat
thérapeutique, je conseille l’article
L’adolescence surgit alors dans un ceux-là qu’un règlement intérieur pas confondre la Loi avec la ques-
réalisé autour de la notion de contexte où ont manqué réassu- de plus, arbitraire et donc devant tion des contrats, des règlements,
contrat passé avec les anorexiques rance, possibilité d’élaboration des être transgressé. de la discipline ? Ces jeunes, sou-
« Un contrôle moral -
dans « la jeune fille et la Mort -
conflits internes, de sublimation et vent soumis depuis des années à
soigner les anorexies graves » de projection de soi autre que sur Nous avons tous connu, en tant des régimes d’horaires, de disci-
Arcan - fin 2000 un registre purement imaginaire. que soignants divers, des adoles- pline, de règlements uniformes (et
2
Sur ce sujet, je recommande
Les pulsions débordent alors le cents dont l’institution nous dit encore une fois parfois depuis la
la lecture de Winnicott jeune qui se retrouve submergé, qu’ils sont intenables, et qui, dans toute petite enfance quand ils ont
« Déprivation et délinquance » envahi, sans limites face à cette le secret du face à face de nos été placés), ne nous crieraient-ils
Payot, 1994
violence soudaine en lui et face à entretiens, sont charmants, calmes, pas plutôt que la présence de la Loi
ce corps inconnu. intelligents. Et pourtant un jour, s’inscrit dans un cadre, des bords,
Cette violence pulsionnelle le fait nous apprenons qu’ils ont fugué, des limites reconnues authentique-
agir, réagir, être agi – par défaut qu’ils ont été exclus, qu’ils ont fait ment par un vrai désir de la Société
d’avoir pu être contenu dans sa une « bêtise » au-delà des limites de les contenir psychiquement ?
subjectivité par le langage. L’ins- effectivement supportables pour Ces adolescents en effet, ont, plus
tance symbolique qui – par des l’institution. que tout autre, besoin d’un rap-
interdits structurants – permet aux Que s’est il passé ? Comment port fortement personnalisé,
tensions de s’apaiser, au corps de se expliquer que la digue ait lâché – répondant (plus que porteur de
calmer, à la révolte de se canaliser, malgré le fil fragile, certes, du lien réponses) d’une présence qui leur
n’a pu être opérante. Au lieu de qui commençait à se tisser par le permettent de s’inscrire dans le
cela, l’engrenage commence pour langage ? Une réflexion « en trop », langage, l’échange… Contrats et
l’adolescent et son entourage. l’absence d’un éducateur très règlements s’inscrivent dans ce
investi, un désaccord sur la notion « répondant », mais à eux seuls ne
• Engrenage pour le jeune qui de respect, par exemple. Mon suffisent donc pas définir la Loi.
« cherche des limites » : limites de hypothèse est qu’alors le cadre n’a
l’appropriation de son corps (per- pu être (encore ?) investi par eux Il me semble que c’est peut-être, et
cings, tatouages, mutilations, etc.), comme rempart suffisant, face au encore à travers l’errance, cette
limites de sa confrontation avec gouffre du vide qui risque de les quête de ce que seraient les fonde-
l’idée de la mort (conduites à anéantir à chaque moment. Mais ments authentiques de la Loi, que
risques, tentatives de suicide…), l’explosion du passage à l’acte, de clament ces adolescents : à chaque
limites entre des positions mégalo- la fugue, est à décrypter, à chaque fois à réinventer par eux, avec
maniaques et dépressives, limites fois différemment : ce qui n’est pas nous, malgré l’épuisement… ■
7
Rhizome N° 6 - Octobre 2001 Dossier Adolescence

Le suicide de l’adolescent :
la mort dans les yeux
Le suicide est par excellence L’acte suicidaire est bien au Le passage à l’acte suicidaire cor-
un acte intime au sens où il ne cœur du paysage adolescent ; il respond souvent à une tentative
concerne que le sujet et lui concerne plus de 1.000 adoles- magique de se débarrasser de la
seul et exclut de fait toute cents par an et 30.000 si on nécessité de faire des choix, d’ac-
Docteur Robert BRÈS référence à l’autre. C’est un prend en compte l’ensemble des cepter des limites et de s’inscrire
Psychiatre des Hôpitaux acte pur dont on ne peut rien tentatives de suicide. dans sa propre temporalité.
Unité de Soins pour dire, comme une histoire sans Il est rarement associé à une Mourir c’est se débarrasser de ce
Grands Adolescents, parole, un « innommable ». pathologie mentale. Le suicide qui embarrasse, grandir c’est
Polyclinique de Psychiatrie Cet acte n’est pas une des adolescents n’est pas le fait accepter de s’en embarrasser.
Hôpital de La Colombière démonstration mais une d’une maladie ou d’une problé- Souvent au décours d’une tenta-
CHU de Montpellier monstration ; on en a plein les matique spécifiée, mais bien un tive de suicide l’adolescent est
yeux et la bouche close. acte adolescent, liée donc aux pro- serein, heureux de vivre, comme
blématiques propres à l’adoles- s’il avait vérifié qu’il était vivant et
Le suicide apparaît d’autant plus cence. que les autres avaient répondu au
monstrueux quand il s’agit d’ado- terrible rendez-vous qu’il leur
lescents ; il est hors de propos, En ce qui concerne les grands avait donné. Quand il y a passage
semblant prendre à contre-pied adolescents, les 15 ans et plus, à l’acte, l’adolescent ne sait plus
l’éclosion souhaitée parfois crain- cette problématique est dominée pourquoi il s’est exposé à mourir.
tivement d’un sujet à venir. Il par la convocation culturelle à C’est pour cela qu’il est difficile
marque l’absence incongrue et s’inscrire dans ce qui va être leur de l’aider à penser cet acte, à en
cruelle d’un sujet en plein ad- histoire à l’écart de l’histoire dire quoi que ce soit. C’est pour
venir. parentale. L’adolescent est convo- cela qu’il est souvent préconisé
Cet innommable monstrueux qué à faire des choix (il ne peut d’intervenir très précocement au
ouvre à des réponses diverses dont pas tout avoir), accepter ses pro- décours d’un acte suicidaire.
la finalité n’est que de le déplacer, pres limites (il ne peut être tout)
de le conjurer, à l’instar de Persée et ce de manière quasi-irréversible Cet acte suicidaire ne correspond
qui pour affronter le regard de (et donc à s’inscrire dans une tem- pas toujours à l’incapacité qu’a
mort de Gorgone utilisait un arti- poralité). Ce mouvement d’éclo- l’adolescent à savoir se penser à la
fice en ne cherchant à le voir sion est particulièrement boule- fois dans le passé, dans le présent
qu’au travers d’un miroir afin versant, l’adolescent se sent perdu, et dans l’avenir, se penser donc
d’éviter l’occurrence mortifère de seul dans un monde trop grand ; dans une histoire ; l’acte répond
le regarder en face. et déprime dans la mesure où il se parfois non pas à un défaut de
rend compte qu’il ne prime plus. savoir mais à un défaut de vérité,
Le corps social oscille ainsi entre un peu comme si l’adolescent
des réponses de type hystérique ou Le rapport au temps doit se refor- voulait anticiper sur une vérité à
de type obsessionnel : muler brusquement ; l’adolescent venir. Il se laisse entraîner dans
n’est plus dans le temps des autres l’acte en ayant sincèrement l’im-
• Il s’agit parfois de démonstration (celui de ses parents, de la mode, pression qu’il découvre par cet
d’affects forts , de témoignages de de ses copains, celui des rythmes acte qu’il avait envie de mourir ;
douleurs intenses comme pour scolaires etc.) il entre dans sa pro- tout se passe comme si certains
détacher l’attention, la compas- pre temporalité, dans ce qui adolescents se trouvaient aux por-
sion et l’intérêt du mort vers ceux maintenant fait histoire pour lui. tes de la mort sans avoir jamais
qui souffrent ; ou de proposer une Se poser la question de son propre véritablement décidé de mourir.
reconstruction quasi-romanesque temps amène de fait à se poser la Au décours de l’acte ils sont alors
de l’acte pour l’inscrire dans une question de sa propre mort dans perplexes, comme incapables de
histoire autre ; on cherche des la mesure où c’est bien la mort qui penser ce qui leur est arrivé, ne
explications pour se soulager de donne sa mesure au temps. sachant que faire de cette vérité
trop fortes implications. Penser à sa mort, c’est échapper à révélée à leurs yeux.
la nécessité de penser au temps La prévention de tout acte suici-
• Il s’agit aussi de dresser des qui passe ; présentifier sa propre daire consisterait alors à permettre
tableaux statistiques, des descrip- mort c’est abolir le temps, ça à l’adolescent de prendre le temps
tions minutieuses, des analyses retire ce qui lui donnait la mesure, de grandir, d’entamer et poursui-
froides. L’acte est posé nu, sans c’est donc se penser immortel. vre cette longue Odyssée d’un
affects. Ulysse parfois déboussolé mais
Ces deux stratégies ont bien en Si l’adolescent n’a pas peur de animé du désir d’avancer vers son
commun de détourner le regard mourir, c’est qu’en fait il a très Ithaque. ■
de l’innommable de l’acte suici- peur de vieillir : « à mourir pour
daire. mourir, il choisit l’âge tendre ».
8
N° 6 - Octobre 2001
Dossier Adolescence

A propos des adolescents en errance :


la mélancolisation d’exclusion ou d’une
souffrance psychique dans l’actuel
Olivier DOUVILLE La problématique de l’exclu- une idée assez fixe du développe- meublement. Je lui propose d’al-
Psychanalyste, Paris. sion a pris le relais de celle de ment qui ne convient toujours ler faire un tour, dehors, d’aller
Maître de conférences la pauvreté, voire de la misère, pas. A quoi assistons-nous ? à des « faire les cents pas ». De biais,
en Psychologie clinique, et cette dramatisation des ter- sujets qui ont perdu le sens de leur côte à côte, nous cheminons entre
(Université Paris 10- mes s’explique peut-être du image corporelle, qui se vivent les tours et les barres de cette cité
Nanterre) fait de la grande proportion dans des formes particulières de de banlieue. Et puis, là, devant
Psychologue clinicien d’adolescents en exclusion, en rapports à la douleur, une façon une cage d’escalier, il se fige, me
au E.P.S. de Ville-Evrard errance, en déliaison sociale*. d’anesthésie, qui ont des rapports pousse en avant et me désigne un
(93). Les espaces urbains contem- contrariés aux rythmes élémentai- autre jeune, effondré, sans doute
Directeur de publication porains sont aussi des réalités res de l’existence - ceux donnés abruti par la colle, l’alcool ou les
de Psychologie Clinique inter et intra psychiques. par le jour et par la nuit, qui met- deux substances ajoutées, mêlées,
Il sont les lieux même de l’ex- tent en avant un corps déchu, surdéterminées dans une consom-
pression du malaise actuel déchet, objet de scandale surtout, mation anarchique, plus régulière
dans la culture et dans la sub- avant qu’il ne soit objet de soin. que gourmande. Une substance
jectivation […] composite qui crée une seconde
Ce que nous rencontrons dès que peau, un second sommeil, une
Partons d’une expérience cli- nous allons à la rencontre d’ado- forme d’abri désespéré qui ruine
nique. Je travaille comme psycho- lescents en grande précarité, c’est le psychisme. Sans doute plus de
logue clinicien dans un Centre le plus souvent non un individu souffrance psychique, mais un
Psychiatrique de la Banlieue pari- ou un autre, mais une forme de psychisme en souffrance, à la
BIBLIOGRAPHIE :
sienne où je me suis investi dans lien entre deux ou, plus rarement, casse, en rade. Voilà, il va falloir
un travail sur la cité, j’ai égale- trois sujets, liés par une forme de s’occuper d’abord de ce second
* cf mon article «Adolescence en
errance de lien» L’Information
ment été consultant pour le Samu solidarité sans réciprocité où s’in- jeune adolescent, essayer certes de
Psychiatrique, vol. 76-751, 2000, Social International dans un pro- diquent pour les moins cassés retrouver sur qui il peut encore
1: 29-34, jet concernant les adolescents en d’entre eux une préoccupation compter, de retrouver trace de sa
cf également la thèse
d’anthropologie de M. Cadoret situation de grande exclusion qui les relie à celui qui dans l’en- famille. Mais aussi et surtout,
«Adolescents des mondes dans la rue, à Bamako. De la ban- vironnement le plus proche (cage entendre ce montage entre deux
contemporains» (EHESS, 2000) lieue parisienne à Bamako et ses d’escalier, coin de rue, petites adolescents et pour intervenir
quartiers périphériques les diffé- « caches » sous les tables du mar- comme il le convient, dans un
rences peuvent, en un premier ché en plein air à Bamako) leur souci impérieux de veiller à ce qui
temps sauter aux yeux. Le clini- apparaît, à très juste titre, comme dans la survie est encore et avant
cien, à l’inverse, doit se montrer plus régressé, plus « mélancolisé », tout fidélité à la vie. Reconnaître
sensible, en dépit des différences plus en danger aussi qu’ils ne le la compétence du premier de ces
manifestes, en dépit de tout ce qui sont eux-mêmes. deux jeunes, ce messager inquiet
peut, à juste titre, différer entre et inquiétant, ce marqueur de
un adolescent bambara et un ado- Ce matin, un adolescent, se seuil, celui qui n’avait pas en son
lescent de banlieue parisienne, à plante à la porte du dispensaire. Il nom, du moins manifestement,
une certaine concordance de traits toque, frappe sonne, mais sans tiré la sonnette.
cliniques qui définissent une jamais franchir le seuil. La porte
mélancolisation d’exclusion. s’ouvre, sur lui, sur nous, sur un Si la clinique de l’exclusion est
« entre-deux » vide où nous nous aussi et souvent d’abord une cli-
Que veut dire un tel terme tenons lui et moi, moi et lui. Un nique du mésusage des corps,
« mélancolisation d’exclusion » ? « entre-deux » provisoirement sans c’est alors la dimension du soin
Il s’y désigne une dégradation direction et sans enjeu. Mais pas qui est à reprendre et à repenser.
progressive des rapports du sujet à un face à face, non plus. Son Les grands exclus vivent des phé-
l’espace, au corps et au langage. regard ne me fixe pas. Je crains de nomènes de bords, ils collent avec
Les sujets en danger psychique (et le regarder en face, crainte de un angle de l’espace, avec un reste
non seulement en souffrance psy- tomber dans un vide. Je ne lui dis de territoire et un territoire des
chique) dans l’exclusion sont des pas, ou plus, qu’il peut rentrer restes, où ils font corps avec le
sujets qui ont perdu le sens de leur afin que nous nous parlions. Je ne bord (recoin d’une cage d’escalier,
corps, de l’intégrité de leur corps, lui ai heureusement jamais dit angle de trottoir…). Cette façon
de la cohésion de leur corps. La qu’il doit rentrer dans mon limite de ne faire qu’un avec un
notion de régression qui s’impose bureau, ou même s’installer dans accent de l’espace est un recours,
alors n’est pas une mauvaise un fauteuil pour que nous puis- le plus souvent, contre une mise à
notion. Elle implique toutefois sions parler. Le cadre n’est pas l’a- plat du monde. Tout se passe 9
Rhizome
N° 6 - Octobre 2001 Dossier Adolescence

A propos des adolescents en errance... (suite)

comme si l’exclu vivait non seule- ce souci de l’autre […] est bel et fonctions orificielles, de la capa-
ment sa mise à part des circula- bien tissé de projections, d’identi- cité à ressentir la douleur et d’a-
tions et des liens, mais sa fications voire de dénis. Il n’en est dresser cette douleur à quiconque.
progressive chute dans un pas moins le ressort d’un montage
informe du corporel, du temps et qui interroge frontalement la Or une structure simple du com-
de l’espace. C’est dans ce moment dimension du soin. C’est à dire plexe d’autrui –je reprends cette
de mélancolisation que l’on voit que nous sommes de la sorte expression à Freud- par laquelle
se produire ces transferts par les- conviés à respecter des lieux et des l’exclu « profond » est un peu pris
quels un adolescent, en vive diffi- temps, tout en, et c’est un para- en charge par d’autres est aussi
culté narcissique, va se « coller » à doxe, rendant notre présence aisément rencontrable dans une
un autre bien plus atteint que lui régulière et dense. Nous consti- banlieue parisienne que dans une
par les processus de destruction tuons un point fixe, appelé à être mégapole africaine. A Bamako
de l’identité, et prendre soin de ce là et qui par sa fixité soignante aussi, des bandes de jeunes errants
qui reste de vivant, de survivant, troue effectivement la platitude déambulent dans la cité, dans les
en cet autre qu’il va situer à côté catastrophique et informe où interstices de ces villes, près de ces
de lui. Tout comme ce grand ado- s’isolaient des jeunes grandement lieux où tous passent et où nul ne
lescent m’avait mené au seuil d’un exclus, laissés au rythme languide prend la temps ou la peine de s’ar-
autre jeune, bien plus encore à la des auto-intoxications et des apa- rêter. Les gares routières, le
casse et à la dérive. Devenant alors thies mortifères. Il est pénible contrebas d’un pont enjambant le
le gardien du lieu et du temps, cet mais non rare de constater à quel Niger, etc…Tous les adolescents
adolescent, devenant « aide-soi- point qui se vit coupé, indigne, de ne vivent pas en bande. Des appa-
gnant », porte la demande de l’au- toute réciprocité, glisse avec une riements se forment. Là aussi, là
tre, façon sans doute progressive, rapidité effarante vers un état encore, des adolescents en errance
masquée, mais ô combien légi- « dé-langagier » de son corps. Au de lien vont se fixer à un autre en
time de faire passer en contre- point que la certitude même d’a- errance de corps. Et c’est là encore
bande sa propre demande. C’est voir un corps (et comme pro- la même logique, amener les soi-
ainsi d’altruisme dont je parle ici, priété et comme responsabilité) gnants à occuper ce point fixe où
vacille. Se produisent alors des le corps du plus aliéné s’est recro-
troubles organiques autour des quevillé, amené de la sorte, du
rythme, de la succession de pré-
sence, du contenant pour la
parole à venir.

Que la mélancolisation d’exclu-


sion aille de pair avec la mise en
place d’une forme de complexe
d’autrui adressée aux soignants est
peut-être un des enseignements
majeurs que le clinicien reçoit de
ces adolescents en errance de lien
et en risque de chute dans l’in-
forme du corporel. ■

10
-

N° 6 - Octobre 2001
Le coin du Clinicien

La « désadoption »
Comment être témoin d’un parcours d’exclusion
calamiteux ?
Jean Furtos Il existe aujourd’hui un des familles, en nombre semble-t- ment d’école et de copains. La
Directeur scientifique processus de désaffiliation à il croissant, qui souhaitent collègue psychiatre qui cite cette
de l’ORSPERE l’œuvre dans le champ social. rompre le lien avec l’enfant situation redoute d’assister, sans
Bron (69) Ce terme renvoie, sur le regis- adopté souvent après un long pouvoir intervenir, au début
tre négatif, à l’affiliation à un cheminement et une recherche au d’une errance institutionnelle où
groupe, à une institution, à loin, parce que les liens de filia- est déjà engagé un processus à
des devoirs d’appartenance ; tion se passent mal ; il y a un long terme. Est-il pensable et
il renvoie aussi à la filiation, épuisement de l’investissement possible d’agir, se demande t-elle ?
cette suite discontinue des psychique qui se traduit par une Par exemple, peut-on imaginer un
générations qui fabrique du tentation de rupture en terme budget pour continuer d’amener
même et de l’autre. d’abandon de responsabilité. l’enfant à son école, ce qui coûte-
Analogiquement, nombre d’ado- rait moins cher en dégâts
Avec la « désaffiliation », nous lescents, ceux-là beaucoup plus humains, moins cher aussi que la
sommes en tout cas dans l’ère des nombreux, seraient de fait prise en charge institutionnelle
mots en « dé » : démariage, désin- désadoptés par leurs familles lourde et longue qui s’avérera
stitutionnalisation, désymbolisa- naturelles qui se perçoivent elles souvent nécessaire.
tion, défusion, déconstruction... aussi comme ne pouvant plus rien
Ils signifient une perte, un pour leurs enfants, du fait de Voici une autre vignette : depuis
mouvement de déliaison qui comportements trop difficiles. Par six ans, une jeune fille a fréquenté
garde, dans son principe, une épuisement, elles le désinvestis- épisodiquement l’Unité Médicale
potentialité de reliaison. Au sein sent pour survivre, dans le désar- d’Accueil (UMA) de l’Hôpital du
de ce processus, certains y trou- roi et la culpabilité; et cela Vinatier. Elle y est venue pour des
BIBLIOGRAPHIE :
vent leur compte, tels Tristan et concerne aussi bien l’investisse- hospitalisations rares et courtes,
*
Cf. Castel (R.) : « Le Roman de
Iseult* qui sortent des obligations ment du juge des enfants, des de 10 ans 1/2 à 16 ans 1/2, âge
la Désaffiliation », in La Revue ritualisées du social pour s’aimer, institutions éducatives, des famil- qu’elle a actuellement.
Le Débat, sept./Oct. 1990. ce qui se paie du prix fort. Moins les d’accueil, des services médi- A l’âge de 3 ans 1/2, Amélie a été
**
Darrot (J.) : « Adolescence et radicalement, celui ou celle qui caux. Le rejet est second. En tout confiée à une famille d’accueil, sa
Société : une crise peut en cacher
une autre », in Rhizome n°4,
peut assumer un minimum de cas, l’errance de certains adoles- mère ayant été condamnée à 3 ans
mars 2001. transgression des normes d’appar- cents constitue déjà un stade de prison. Elle est restée très atta-
tenance va plutôt bien sur le plan sérieux de SDF : « Un quart des chée à sa mère (qui ne s’occupe
de la créativité. Et ceux-là passent adultes sans domicile fixe n’habi- plus d’elle) et idéalise son père.
rarement par les services d’ur- taient déjà plus chez eux à Les deux parents sont séparés. Il y
gence générale et psychiatrique, 16 ans »**. aurait eu une longue période de
quoique parfois... Mais qu’en est- latence symptomatique.
1
Programme Régional
il de la désaffiliation pour les En désespoir de cause et de délin- A dix ans, Amélie était une petit
d’Accès à la Prévention et aux adolescents en grande difficulté, quance, ils peuvent être incarcé- fille sur le point d’entrer en CM2,
Soins. lorsque se superpose un processus rés, et se retrouver SDF à leur et dont l’avenir n’inspirait alors
2
Le travail de ce groupe d’exclusion sociale ? sortie de prison, situation aiguë aucune inquiétude exagérée,
donnera lieu à un rapport fin Ce questionnement permet d’in- de mise en grande précarité. même si elle avait besoin d’être
2001.
troduire une idée forte exprimée aidée. Ces dernières années, elle
3
Hospitalisation à la par des praticiens de l’urgence Des exemples cliniques fugue de tous les foyers, n’est plus
Demande d’un Tiers. médicale et sociale travaillant D’abord une vignette courte et scolarisée, semble se livrer à la
4
Institut Départemental de dans le cadre d’un projet PRAPS1 simple : voici une mère en état de prostitution et fréquente des
l’Enfance et de la Famille toujours en cours à l’ORSPERE2 : psychose décompensée. Elle est groupes sataniques.
5
Dixit Nathalie Giloux, ces praticiens constatent des hospitalisée en urgence à l’hôpital Les soignants des services d’ur-
psychiatre qui a présenté processus d’exclusion de jeunes psychiatrique sous la forme de gence ont le sentiment pénible de
cette situation.
adolescents ; ils se perçoivent eux- l’HDT3, et ses enfants, placés à l’avoir vu « dégringoler » sur une
mêmes en train d’assister, en l’IDEF4, quittent leur école et pente dévastatrice sans pouvoir
qualité de témoins impuissants et leurs copains pour l’école la plus intervenir efficacement, et d’avoir
souffrants, à un processus calami- proche du lieu d’accueil ; à la été « les témoins passifs d’un
teux de « désadoption », autre rupture avec la mère s’ajoute celle parcours calamiteux5 ».
mot en « dé ». avec les pairs. Si la séparation Son parcours s’est étiré de familles
« Désadoption » : ce néologisme a dure, les enfants vont être placés d’accueil en foyers, avec un
d’abord été utilisé dans le groupe en famille d’accueil : nouvelle comportement constitué de crises
PRAPS au sens propre ; il y aurait discontinuité, nouveau change- d’agitation et de violence clas- 11
Rhizome
-
N° 6 - Octobre 2001

Le coin du Clinicien

La « désadoption »
Comment être témoin d’un parcours d’exclusion calamiteux ? (suite)
tique épuisant les capacités conte- dique, il n’y a pas de preuves pour se prennent pour l’unique inter-
nantes des éducateurs ; elle jubile- ou contre, mais une souffrance venant tout puissant, juste avant
rait, est-il rapporté, de éthique dans la mesure où elle le rejet. Dans cette gestion grou-
l’impuissance de ses éducateurs, interroge l’action. Comment pale se constitue, pour reprendre
comme si elle retournait sa propre faudrait-il faire ? les termes de René Kaès, une
impuissance et son propre C’est aussi une souffrance qui, forme d’appareil psychique grou-
désespoir en jouissant de ses sans se dissoudre à bon compte, pal autour de l’adolescent ; c’est la
affects projetés « dans » ceux et engage à une interprétation qui prise de contact, lettre ou télé-
celles qu’elle côtoie. ne vise à rien d’absolu sauf à phone, qui authentifie tous ces
Lorsqu’elle est hospitalisé à comprendre un tout petit peu ce intervenants : tel éducateur dans
l’UMA, elle est capable d’écrire qui se passe. Ainsi, que se passe-t- telle institution, plusieurs interve-
des choses intéressantes sur sa vie, il, justement, lorsque Amélie nants qui ne se connaissent pas
son histoire, ou alors des fulgu- vient à l’UMA ? Elle écrit, elle souvent, un juge, un pédiatre, un
rances telles que : coagule une histoire terriblement psychologue... Dire à l’adolescent,
« Vive le désespoir » ou broyée, ses cris, certains moments « J’ai téléphoné à Mme X. », ou
« Le passé, c’est le cimetière, psychiques. Elle permet aux « Mr X. m’a téléphoné à votre
L’avenir c’est le désert ». personnes qui l’accueillent (famil- sujet », fait émerger un groupe
Ce dernier aphorisme est l’exacte les d’accueil ou foyers) de se repo- subjectivement très concret ;
définition d’une position mélan- ser de l’intolérable et des certains ont un rôle majeur même
colique. projections qu’elle dépose en eux, s’il apparaît effacé ; ainsi, pour
à partir desquels ils répondent par Amélie, Monsieur D. un psycho-
Interrogeons nous sur le vécu une demande d’éviction... à l’ur- logue qui l’avait rencontrée régu-
des soignants : « être les témoins gence. Un tel apaisement est lièrement autrefois, continue de
passifs d’un parcours d’exclu- susceptible de favoriser la pour- jouer un rôle important dans ce
sion calamiteux... » Qu’est-ce suite des liens, d’empêcher un groupe à distance, rôle qu’on ne
qu’un témoin ? C’est quelqu’un surcroît de désaffiliation, encore peut qualifier de virtuel.
qui refuse de banaliser ce dont il une éviction « définitive ». Bien « Vive le désespoir », écrivait
est témoin. En l’occurrence, il plus, quelques jours en service Amélie. Peut-être en tout cas le
refuse de le réduire à des signes d’urgence permettent de prendre désespoir des soignants témoi-
observables, à une classification contact avec ceux et celles qui gne t-il d’un souci actif pour
nosographique. Quelque chose sont en relation avec ces adoles- l’avenir de l’adolescent en
d’injustifiable est authentifiée, qui cents en difficulté et qui partici- extrême difficulté de liens.
n’empêche pourtant pas d’agir en pent aux multiples institutions du Paradoxalement, cela revient à ne
qualité d’acteurs de sa pratique, champ social et soignant. On pas valider le sentiment d’impuis-
mais avec un reste qui n’est pas s’aperçoit que toutes ces person- sance des institutions qui, s’il suit
transformable. Le témoin a vu et nes, ces professionnels, consti- sa pente naturelle, peut paralyser
entendu, mais il veut témoigner à tuent sans le savoir une forme de toute anticipation positive pour
d’autres pour une sorte de procès. gestion groupale à distance, l’avenir du jeune.
Ici il ne s’agit pas d’un cadre juri- pourvu qu’aucune d’entre elles ne Le témoignage dont nous parlions
plus haut consiste probablement,
c’est en tout cas notre hypothèse,
à porter la mélancolie de l’adoles-
cent, à soutenir l’insoutenable
cruauté du sentiment d’indignité.
« Témoins passifs », disions-nous,
c’est à dire acceptant d’être choisis
comme « porteurs » ; une telle
passivité, éthique, appelle à une
activité psychique d’une haute
exigence. La souffrance silen-
cieuse (mais non muette) des
aidants peut éviter un excès de
destructivité, antidote du proces-
sus de désadoption. Le désespoir
soignant, sans rejet, est parfois le
défilé nécessaire pour tenir « le
devoir d’avenir ». ■
12
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N° 6 - Octobre 2001
Sur le terrain des pratiques

Accueil thérapeutique et adolescence dans le


Service de Psychiatrie Infanto-Juvénile du Nord
des Hauts de Seine
Michèle ZANN La création de l’U.A.T.A. « De la rencontre avec les jeune va permettre une reconnais-
Médecin responsable de (Unité d’Accueil Partenaires... à l’Adolescent » sance du type de difficultés ren-
l’U.A.T.A. Thérapeutique pour Une équipe composée d’un équi- contrées, donner une assise et un
Jeanne GAILLARD Adolescents) en 1995 a été le valent de cinq temps pleins (psy- contenant à l’expression de la
Educatrice spécialisée à fruit d’une élaboration du chiatre, psychologue, infirmier, souffrance.
l’U.A.T.A. Service de Pédopsychiatrie éducatrice, assistante sociale, Ce dispositif de soins peut être
*Secteur 92I01, Service du Infanto-Juvénile du Nord des orthophoniste, secrétaire) s’est décrit comme une surface d’ac-
Docteur Yves BUIN Hauts de Seine*, à propos de constituée par redéploiement des cueil large qui remet en place cha-
(Communes de Asnières,
Clichy, Gennevilliers,
la difficulté d’accès aux soins autres unités du service en 1994. cun des intervenants dans son
Levallois, Villeneuve la des adolescents. Le projet a privilégié l’accueil et la efficience et constitue ainsi autour
Garenne ). rencontre des professionnels du jeune une « équipe élargie ». Le
« Davantage de demandes auprès desquels les adolescents travail se situe le plus souvent
autour des adolescents expriment leur malaise, car ces dans l’actuel. Il s’agit de nouer ou
qu’émanant des adoles- derniers sont le plus souvent de renouer les liens avec un
cents eux-mêmes » « non demandeurs de soins », se ensemble communautaire encore
Le constat unanimement partagé révélant dans l’inadaptation aux existant mais très vulnérable.
par les équipes soignantes en psy- structures sociales existantes (éta- Parfois, ce travail se suffit en lui-
chiatrie est que seul un petit nom- blissements scolaires ou éducatifs) même. Parfois il conduit à l’ac-
bre d’adolescents en difficulté ou en rupture de soins (hôpitaux compagnement du jeune vers
accepte de venir dans un centre de de jour, centres spécialisés) ; les notre structure pour un suivi plus
consultation médico-psycholo- équipes sont confrontées à l’exclu- spécialisé. La réponse apportée
gique classique (CMP enfants, sion du jeune, à la rupture pro- par l’adulte (infirmier, éducateur
adultes) voire même de rencon- gressive du lien. ou autre), lorsqu’il s’agit d’une
trer un médecin généraliste. Ces Les adultes demandeurs font par- orientation vers notre structure,
jeunes sont parfois hospitalisés en tie des équipes de terrain dans les peut être vécue comme dange-
urgence lors d’une tentative de lieux familiers des adolescents de reuse pour l’adolescent ; elle peut
suicide ou lorsque la souffrance « la cité » (Club de prévention, engendrer des angoisses de rup-
prend le masque du somatique. Il Protection Judiciaire de la ture, de désolidarisation de son
est bien rare qu’une fois sortis, ils Jeunesse), dans les établissements milieu. Il s’agit de mettre en place
utilisent les coordonnées qui leur scolaires (équipe médico-sociale, un dispositif de soins qui préserve
ont été fournies. communauté scolaire). Ces adul- ce lien ténu.
En revanche, beaucoup de parte- tes, dans leur approche quoti-
naires s’inquiètent et sollicitent les dienne des jeunes, sont déjà « Quel travail avec quels
services spécialisés pour des ado- repérés et dans un lien de adolescents ? »
lescents en situation de souf- confiance avec nombre d’entre Du fait de notre spécificité, nous
france. La majoration des passages eux. passons donc autant de temps
à l’acte, et notamment des com- Nous avons aussi affaire aux équi- avec des tiers professionnels à éla-
portements de violence, génère pes de l’Aide Sociale à l’Enfance borer autour de jeunes en diffi-
un malaise impressionnant débor- (ASE), aux équipes éducatives de culté qu’avec les adolescents qui
dant les adultes directement l’Aide Educative en Milieu Ou- viennent nous voir avec une assi-
concernés. vert (AEMO) et aux structures duité certaine. Qui sont ces ado-
spécialisées (IMP : Institut Médi- lescents dont nous entendons
Les situations de déserrance avec co-Pédagogique ; IMPRO : Insti- parler ou que nous rencontrons
menace de rupture des liens fami- tut Médico-Professionnel ; CMPP : dans des lieux aussi divers que col-
liaux et sociaux, les conduites Centre Médico-Psychopédago- lèges, lycées, planning familial,
d’absentéisme scolaire et de gique). Nous rencontrons des club de prévention, hôpitaux ?
déscolarisation sont également adultes en souffrance, dans l’im- Nous ne constatons pas de majo-
fréquentes et préoccupantes. possibilité de formaliser un projet. ration des pathologies psychia-
C’est dans ce contexte que notre L’équipe de l’Unité d’Accueil triques lourdes « classiques » telles
service de psychiatrie infanto- Thérapeutique pour Adolescents, que psychoses ou dépressions
juvénile a engagé une réflexion avant toute adresse vers un soin, sévères (peut-être ces troubles
visant à aménager l’accueil de la va susciter la rencontre des diver- donnent-ils lieu à d’autres orien-
souffrance des adolescents et de ses personnes concernées par la tations vers d’autres centres de
ceux qui les entourent. situation. En effet, l’implication soins pourtant bien insuffisants
des adultes préoccupés par un en région parisienne ?). 13
(suite page 15)
Rhizome
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N° 6 - Octobre 2001

Libres Propos, Propos Libres

Dangereuse adolescence :
persiflage et grincements de dents
Le Dr Moncef Marzouki , professeur de santé communautaire, est la figure de proue de la Défense des Droits Humains
en Tunisie. Il a été déchu de son poste à l’Université de Sousse, en juillet 2000, par décision du pouvoir tunisien.
Dans le cadre du procès de la Ligue tunisienne des Droits de l’Homme, le Dr Moncef Marzouki est assigné à résidence
depuis le 10 mars 2001, essentiellement en raison de ses positions pour la défense des droits de l’homme et de l’enfant.
L’Université de Bobigny l’attend depuis mars 2001 comme professeur associé en santé publique, mais il ne peut
occuper cette chaire puisqu’on lui interdit de se rendre à l’étranger.

Deux hommes ont saccagé notre maltraitances plus subtiles. Puis vient le temps de la relativi-
vision imaginaire de l’enfance : Mais nous autres, gens du Sud sation.
Sigmund Freud dès la fin du (protégés de telles turpitudes à la Le viol des corps et des conscien-
XIXème siècle et Henry Kemp au fois par nos nobles et grandes ces ne constitue que l’extrémité
milieu des années soixante du valeurs religieuses et familiales et du spectre des comportements
défunt XXème. surtout par nos solides dictatures humains. A l’autre extrémité, il y
Le premier a montré que la sexua- qui nous empêchent de fouiller a le don de soi, la compassion,
lité et l’agressivité n’attendent pas dans les coulisses politiques et les l’affection la plus désintéressée.
l’adolescence pour exister. Elles poubelles sociales, sauf pour man- Entre les deux bouts, se succèdent
sont omniprésentes durant l’en- ger), nous n’avons à présenter que toutes les nuances de la réussite
fance, simplement elles y ont des de plates études sur le servage de comme de l’échec de la communi-
modes d’expression qui lui sont centaines de millions d’enfants ou cation et de la collaboration entre
propres. sur ces peccadilles que sont les êtres.
Le second a montré les ravages quelques dizaines de millions On peut donc affirmer que l’ado-
que font l’agressivité et la sexua- d’enfants à la rue. lescent est dangereux, non par ce
lité de certains adultes sur ce Résumons : entre 10 et 20 % des qu’il est, mais par ce qu’il révèle
même enfant travaillé par ses pro- enfants occidentaux et pas moins sur son entourage et sur son passé.
pres impulsions. de 50 % des enfants du tiers L’adolescent n’est pas qu’une his-
Tous les deux ou trois ans, il y a monde ont eu tous la même mau- toire personnelle plus ou moins
un grand festival mondial de vaise idée : naître. tragique qui serpente entre les
l’horreur, qui s’appelle le Congrès On revient en général des congrès nombreux écueils de l’existence.
de l’International Society for de l’IPSCAN avec la décision C’est un être social donc poli-
Prevention of Child Abuse and ferme et définitive de démission- tique.
Neglect (IPSCAN) fondée dans ner du genre humain et de nier Et c’est là le deuxième niveau du
les années 60 par ce tristement tout lien de parenté avec une problème.
célèbre Henry Kemp. espèce de bipèdes carnivores pra- Si l’enfance est un regard neuf
Celui tenu en 2000, à Durban en tiquant la torture, qui pullulent à porté sur le monde, l’adolescence
Afrique du sud, n’a pas déçu les la surface d’une planète appelée est un regard neuf porté sur la
amateurs des grands déballages. Terre comme des asticots sur de la société.
On peut même dire que ce fut un viande faisandée. Il jette sur elle le regard de l’éton-
grand crû. Il faut beaucoup de temps pour nement, de la perplexité, de l’in-
En général ces dégénérés d’occi- ramener l’aiguille de l’humeur à dignation mais surtout celui de la
dentaux viennent avec leurs statis- une position centrale en se conso- subversion.
tiques effroyables sur les lant comme on peut. On com- Il a vite fait de repérer toutes les
dévastations psychologiques des mence par bougonner en se disant anomalies d’une société hypocrite
crimes sexuels, violences et autres que 80% des enfants occidentaux qui fonctionne en permanence à
ne subissent que la lisière des lois et principes affi-
des traumatismes chés. Il va vouloir changer le
mineurs et ne s’en monde et devenir ipso facto une
tirent pas trop menace pour tous ceux qui ont
mal, la preuve en trouvé des arrangements avec lui.
est leur joie de Il ignore que le monde est plein
vivre et leur de vieux adolescents qui ont
remarquable essayé de changer ce monde à leur
résistance à l’hy- image, mais qu’au bout du
giène, l’amour compte c’est lui qui les a changés
parental et l’édu- à la sienne.
cation. Il se laisse aller à la dénonciation
facile, inconscient du fait que
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N° 6 - Octobre 2001
Libres Propos, Propos Libres

Dangereuse adolescence :
persiflage et grincements de dents (suite)
cette révolte si précieuse qui le L’adolescent éternel menace donc tion entre ce qu’on pourrait appe-
caractérise, a toutes les chances de un certain désordre des choses, ler la dimension existentielle de
se perdre comme un torrent mais pas seulement sur le long l’adolescence et ses dimensions
impétueux dans les méandres du terme. pathologique ou politique.
désert. Il ne sait pas à quel point D’une certaine façon, le désordre Woody Allen a fait remarquer très
elle est guettée par le risque si fré- établi a pris de gros risques en justement qu’on ne pouvait pas
quent de l’hédonisme de la jeu- concentrant tous ces dangereux décemment exiger de l’homme
nesse, de l’arrivisme de l’âge écervelés dans des espaces clos qu’il soit décontracté quand il est
adulte ou l’amertume et la désillu- appelés lycées, où ils peuvent guetté par la mort.
sion de la vieillesse. développer une conscience de
Fort heureusement, un certain groupe pour ne pas dire de classe. Freud, ce grand oiseau de mauvais
contingent arrive à survivre à tou- L’agressivité de l’adolescent, augure, a énoncé une autre terri-
tes les tentations d’accommode- comme celle du paria, n’est rien ble vérité sur l’existence
ment avec la doucereuse horreur d’autre que le passage à l’acte « Vivre, c’est vivre diminué ».
du monde. d’une souffrance qui n’en peut Autant le faire, dès lors, non dans
Et ce sont les adolescents jeunes, plus. un environnement aseptisé et
les adolescents d’âge mûr et les Le couple indissociable souf- confortable, mais dans une réalité
adolescents de 50 à 80 ans, qui france-agressivité est donc une où, contre le lourd tribut de la
vont s’acharner à domestiquer sa défense contre un environnement souffrance-agressivité, nous pou-
démence et, ce faisant, le rendre menaçant et dangereux. vons voler au monde tout son or
un tant soit peu vivable. C’est une réaction normale à une et ses diamants, en extraire tout ce
L’entêtement des adolescents éter- situation qui l’est beaucoup qu’il peut receler comme joie,
nels n’a d’égal que la résistance du moins. humour, panache, effronterie,
monde. Il y a hélas un troisième niveau au musique, amour et beauté ; toutes
Heureusement le processus est problème où la souffrance-agressi- pratiques et valeurs qu’incarne l’a-
continuel, car les réserves sont vité n’a aucun traitement . dolescence plus que toute autre
inépuisables. C’est ici qu’il faut faire la distinc- phase de la vie. ■

-
Sur le terrain des pratiques

Accueil thérapeutique et adolescence dans le Service de Psychiatrie


Infanto-Juvénile du Nord des Hauts de Seine (suite)
Nous rencontrons surtout des s’agit pas toujours d’un travail au l’accès aux soins de l’adolescent. Il
adolescents présentant davantage long cours, ce qui ne préjuge en s’agit néanmoins d’un travail dif-
des troubles à l’adolescence que rien des accompagnements recon- ficile où il convient de rester très
de l’adolescence. La plupart ont duits d’étape en étape ou de vigilant concernant notamment le
vécu leur enfance et leur petite l’orientation ultérieure de l’ado- respect de la confidentialité et du
enfance dans des contextes très lescent vers un travail de psycho- secret médical. La place de la
douloureux, souvent marqués par thérapie. famille est également à prendre en
la perte des repères familiaux, La ressource essentielle à la place compte et la restauration du lien
sociaux, institutionnels, et ont qui est la nôtre ici et maintenant, familial est souvent l’un des
subi l’acculturation probléma- avec l’adolescent, nous semble aspects importants de notre tra-
tique du migrant et de l’indigène. être dans le travail au long cours vail.
La plupart aussi ont été carencés avec les adultes de la « cité ». Ce Ces pratiques sont très consom-
de mots, de regards, d’environne- souci du lien et de l’environne- matrices de temps et exigent des
ments enrichissants. Beaucoup ment, du travail avec les profes- équipes aux compétences diversi-
sont éprouvés par la situation sionnels semblent actuellement se fiées et complémentaires. Il nous
sociale et certains sont traumatisés développer dans de nombreuses paraît donc très important, dans
par des événements vécus dans les structures psychiatriques. le contexte de la fragilisation
guerres actuelles. Dans le cas de l’adolescent, notre actuelle de la psychiatrie publi-
Avec ces adolescents, le travail de expérience nous semble très posi- que, que ces expériences puissent
l’U.A.T.A. se situe, nous l’avons tive et enrichissante sur deux se développer et se confronter. ■
vu, avant tout dans l’actuel. Il ne points essentiels : la prévention et 15
Rhizome
N° 6 - Octobre 2001

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Actualités

Nous avons lu :
■ Jeunesse, le devoir d’avenir ■ Adolescents dans la violence. Médiations éducatives et
Commissariat général du Plan-La Documentation française, 2001 soins psychiques
Un rapport majeur qui apporte un changement de regard sur Pierre Kamerrer Ed. Gallimard, 2000
la jeunesse, un changement de perspectives : il s’agit aujour- Ce livre apporte aux professionnels un regard théorique,
d’hui d’assurer la continuité éducative, de promouvoir de accessible aux psys comme aux non-psys, des réponses
nouvelles relations entre les jeunes et les institutions dans une cliniques et des méthodes concrètes pour répondre au phéno-
société en transition, particulièrement de leur donner la capa- mène de la violence des jeunes. A lire impérativement.
cité d’être acteur dans la vie de la cité.
Ce rapport pose le principe d’un droit qui s’adresse à l’en- ■ Les Prisons de la misère
semble des générations et non exclusivement aux jeunes. Loïc Wacquant Ed. Raisons d’agir, 1999
Site: www.plan.gouv.fr Un ouvrage intéressant qui décrit la « tolérance zéro », la
■ Des jeunes se prennent la tête ici, là-bas répression accrue de la délinquance des jeunes, le harcèle-
Francis Maqueda Ed. Hommes et perspectives, 2001
ment des sans-abris… et condamne la diffusion en Europe de
Un ouvrage sur la douleur d’exister des jeunes adultes ce nouveau sens commun pénal élaboré en Amérique
rencontrés dans les consultations qui est aussi l’expression du ■ Au coeur des banlieues. Codes, rites et langages
peu de soin qu’ils prennent de leur vie psychique. La David Lepoutre. Ed. Odile Jacob, 1997
« violence des jeunes » est mise en rapport avec une impos- C’est une lecture tonique, neuve, parfois drôle des compor-
sible identité ; l’attaque de l’altérité devient l’attaque de soi- tements et des pratiques des adolescents des grands ensem-
même. bles. Fruit d’un travail
■ La souffrance psychique des adolescents et des jeunes de terrain de plusieurs
adultes années dans la cité des RHIZOME est un bulletin national
Haut Comité de la santé publique Ed. ENSP, 2000. Quatre Mille, cette trimestriel édité par l’Observatoire
Régional sur la Souffrance Psychique En
Ce document fait le point sur les principaux indicateurs de chronique, au fil des Rapport avec l’Exclusion (ORSPERE)
santé psychique des jeunes de 15 à 25 ans et s’attache à jours, témoigne de la avec le soutien de la Direction Générale
apporter un «éclairage» sur les petits signes d’alerte repérables vitalité et de l’intelli- de l’Action Sociale
par chacun. A consulter. gence créatrice d’une Directeur de publication : Jean FURTOS
jeunesse souvent stig- Secrétaire de rédaction : Claudine BASSINI
matisée. Comité de rédaction :
- Guy ARDIET, psychiatre (St Cyr au Mont d’Or)
Agenda - Pierre BELMANT, Fnars (Paris)
- Marie Dominique BENEVENT, CRACIP (Lyon)
- Jean-Paul CARASCO, infirmier (St Maurice)

TOUTE REPRODUCTION OU PHOTOCOPIE EST FORMELLEMENT AUTORISEE.


■ Les rendez-vous de l’Action Sociale et du Développement Social - Jean DALERY, prof. de psychiatrie (Univ. Lyon 1)
- Philippe DAVEZIES, enseignant, chercheur en
22 Novembre 2001 : RMI : faut-il supprimer l’insertion ? médecine du travail (Univ. Lyon 1)
11 Décembre 2001 : Pouvoirs locaux et Santé : cinq questions au cœur de l’action. - Bernard ELGHOZI, médecin généraliste Réseau
Renseignements et inscriptions : Créteil
- Jean FURTOS, psychiatre, Orspere
Sciences Po Formation , 215, Bd Saint Germain 75007 Paris - Marie GILLOOTS, pédopsychiatre (Vénissieux)
Tél : 01 44 39 07 41 Fax : 01 44 39 07 61 - Jean-François GOLSE, psychiatre (Picauville)
- Jalil LAHLOU, psychiatre, Orspere
- Pierre LARCHER, DGAS
■ « Droit d’être soigné, droits des soignants » - Christian LAVAL, sociologue, Orspere
Colloque organisé par la Conférence Nationale des Présidents de CME des Centres - Antoine LAZARUS, prof. santé publique (Bobigny)
- Marc LIVET, cadre infirmier (Paris)
Hospitaliers Spécialisés avec l’Association des Psychiatres Présidents et vice-présidents - Jean MAISONDIEU, psychiatre (Poissy
des CME des Centres Hospitaliers. St Germain en Laye)
22 - 23 novembre 2001, Palais des Congrès, Dijon. - Jean-Pierre MARTIN, psychiatre (Paris)
- Alain MERCUEL, psychiatre (St Anne Paris)
Contact : Tél : 06 20 56 69 07 Fax: 03 87 03 07 01 - Michel MINARD, psychiatre (Dax)
- Gladys MONDIERE, psychologue (Lille)
■ « Re-habilitation-Re-adaptation- Re-socialisation… : quelles pratiques de la - Pierre MORCELLET, psychiatre (Marseille)
- Christian MULLER , psychiatre (Lille)
réaffiliation ? ou quelles places dans la cité ? - Jean PERRET, ancien directeur SMC
Journée d’étude et de formation organisée à bordeaux le 23 novembre 2001 (Villeurbanne)
- Eric PIEL, psychiatre (Paris)
Renseignements et inscriptions : - Olivier QUEROUIL, conseiller technique fonds
A.S.A.I.S 121, rue de la Béchade 33076 Bordeaux cedex CMU (Paris).
Tél/Fax : 05 56 56 17 04 Contact rédaction :
Claudine BASSINI - Tél. 04 37 91 54 60
■ Forum Santé Grenoble Valérie BATTACHE - Tél. 04 37 91 53 90
Jeudi 29 Novembre 2001 à Alpes Congrès, Grenoble.
Renseignements :
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Tél :04 76 63 71 69 Fax : 04 76 63 74 10 E.mail : gbicais@ujf.grenoble.fr CH Le Vinatier, 95, Bd Pinel
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Jeudi 6 et vendredi 7 décembre 2001 Impression et conception : MEDCOM
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Tél : 05 58 91 48 38 Fax : 05 58 91 46 84 Tirage : 8 000 ex.
ISSN 1622 2032

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