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20/07/2020 L’écriture de soi, et ses modalités de constitution en archives

Ateliers d'anthropologie
Revue éditée par le Laboratoire d'ethnologie et de sociologie comparative

36 | 2012 :
Pratiques d'archives

L’écriture de soi, et ses modalités


de constitution en archives
Le cas des témoignages d’anciens prisonniers politiques au
Maroc
Self-writing and its Archive-Building Methods: the Case of the Testimony of Former Political Prisoners in
Morocco

ANOUK COHEN
https://doi.org/10.4000/ateliers.9062

Résumés
Français English
L’Instance équité et réconciliation (IER), créée au Maroc en 2006, vise à « établir la vérité sur
plusieurs faits de l’histoire » (de la date de l’indépendance du Maroc, 1956, à la fin du règne de
Hassan II, 1999). Devant l’absence d’archives officielles, l’IER a procédé à l’archivage des livres
carcéraux récemment publiés au Maroc. Cela pose un certain nombre de questions : comment les
récits carcéraux sont-ils passés du statut d’écrits littéraires à celui d’archives ? De quelles
manières l’articulation des notions de « témoignages », de « récits » et d’« archives » est-elle
conçue et opérée par les acteurs qui les mobilisent (IER, auteurs, éditeurs, lecteurs) et pourquoi
leur attribuent-ils cette terminologie ? Autant d’interrogations qui seront au cœur de cette
réflexion axée sur les procédés à l’origine de la mutation des livres carcéraux en archives.

The Equality and Reconciliation Commission (IER: Instance Equité et Réconciliation), created in
Morocco in 2006, aims to “establish the truth about several historical facts” (from the date of
Moroccan independence, 1956, to the end of the reign of Hassan II, 1999). Faced with a lack of
official archives, the IER proceeded to archive prison books recently published in Morocco. This
raises a number of questions: how did prison stories shift from the status of literary compositions
to that of archives? How is the link between the notions of “testimony”, “stories” and “archives”
conceived and manipulated by the actors who use them (IER, authors, publishers, readers), and
why attribute this terminology to them? These questions lie at the heart of this study, which
focuses on the processes underlying this transformation of prison books into archives.

Entrées d’index

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20/07/2020 L’écriture de soi, et ses modalités de constitution en archives

Mots-clés : archives, écriture carcérale, édition, fabrication du livre, Instance équité


réconciliation, témoignages
Keywords : archives, book production, Equality and Reconciliation Commission, prison writing,
publishing, testimony
Géographique : Maroc urbain

Texte intégral
1 Depuis sa fondation en 1999, la maison d’édition Tarik (tarîq ou chemin en arabe),
où j’ai réalisé une enquête ethnographique de plusieurs mois, a publié une quinzaine de
témoignages et de récits d’anciens prisonniers politiques des « années de plomb » —
appellation aujourd’hui donnée aux premières années du règne de Hassan II entre le
début des années 1960 et le milieu des années 1970. Cette période constitue une zone
d’ombre de l’historiographie marocaine que Mohammed VI a souhaité éclaircir en
créant, cinq ans après son avènement, l’Instance équité et réconciliation (IER) dans le
but d’« établir la vérité sur plusieurs faits de l’histoire et plusieurs types de violations,
restées longtemps sous silence ou ayant fait l’objet de tabous ou de rumeurs, à leur tête
la question des disparitions forcées »1. Le mandat de l’IER porte sur la période courant
de l’indépendance du Maroc en 1956 à la fin du règne de Hassan II en 1999.
2 Dans le cadre de son investigation et devant l’absence d’archives officielles
concernant les années de plomb (Chegraoui, 2004), les membres de l’IER ont
recommandé l’adoption d’une nouvelle loi sur les archives nationales qui acte
« l’obligation pour les services publics […] de conserver l’ensemble des documents
attestant de leur activité » (El Yazami, 2007 : 31). Depuis, l’IER procède au « recueil de
déclarations et témoignages, [à] l’examen des archives officielles, ainsi que [à] la
collecte des informations et données pouvant contribuer à la recherche de la vérité
auprès de toute source ».
3 Cette initiative amène à formuler plusieurs interrogations : comment les récits
carcéraux sont-ils passés du statut d’écrits littéraires à celui d’archives ? Selon quelles
modalités l’IER les a-t-elle constitués en documents historiques ? Comment
l’articulation des notions de « témoignages », de « récits » et d’« archives » est-elle
conçue et opérée par les acteurs qui les mobilisent (IER, auteurs, éditeurs, lecteurs) et
pourquoi leur attribuent-ils cette terminologie ? Enfin, du point de vue des auteurs,
quel sens revêt la décision de « faire archive » ? Ces interrogations qui ont fait l’objet du
premier colloque organisé par l’IER en 2004 à Rabat sont au cœur de cette réflexion
axée sur les procédés à l’origine de la mutation des livres carcéraux en archives2.

La mise en texte de la littérature


carcérale

Matière, traces, preuves


4 Les pratiques d’écriture carcérale sont apparues dans un contexte marqué par un
engouement croissant pour le passé proche (Stora, 2002). En témoigne le nombre
important de textes carcéraux publiés dans la presse sous la forme d’interviews, de
récits ou de témoignages. Suivant les cas, ils occupent une petite rubrique dans les
pages culturelles des journaux partisans de gauche (comme Libération, al-Ahdath al-
Maghribia, La Gazette du Maroc, etc.) ou une pleine page, voire une double page, dans
certains hebdomadaires (tels que La Nouvelle Tribune). D’autres sont des extraits
d’ouvrages étrangers interdits au Maroc. À sa parution en France en 1992, le livre de
Christine Daure Serfaty3, Tazmamart, une prison de la mort, sur les conditions de vie
au bagne de Tazmamart, où un grand nombre de militants ont été emprisonnés et
torturés, a fait l’objet d’une censure très stricte au Maroc ; le bagne a été détruit par le
Makhzen4 qui a longtemps nié son existence. C’est seulement huit ans après sa
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publication en France que les lecteurs marocains en prennent connaissance sous la


forme d’un feuilleton. Chaque semaine, un passage paraît dans le journal de
l’organisation « Forum Vérité et Justice ».
5 Le feuilleton est un procédé utilisé par les journaux et les magazines marocains dans
le but non seulement de fidéliser un public et d’accroître leurs ventes mais aussi de
publier les ouvrages censurés (portant généralement sur la monarchie, la religion ou le
Sahara occidental5) qui, sous cette forme fragmentaire, parviennent à circuler sur le
territoire marocain. Pourtant, l’édition marocaine est, au même titre que les quotidiens,
régie par l’article 1 du code de la presse. Le texte carcéral est ainsi reçu de différentes
manières suivant la forme qui lui est donnée : celle du livre est prohibée tandis que la
série d’extraits publiés dans la presse est tolérée. Sous la forme d’écrits incomplets et
éclatés, les textes carcéraux circulent alors que regroupés dans un livre, ils sont
censurés. On le voit, le format du texte — extrait fragmentaire/livre — est ici
directement corrélé à la légitimité accordée au contenu qu’il expose ; l’autorité conférée
à un texte est aussi affaire de format.
6 Ce n’est qu’après l’arrivée au pouvoir de Mohammed VI que les textes carcéraux sont
placés au cœur de projets éditoriaux divers : témoignages, récits, romans, pièces de
théâtre et recueils de poèmes, par l’intermédiaire desquels un grand nombre de lecteurs
déclarent apprendre leur « vraie histoire ». Ils leur attribuent ainsi la valeur de
document historique, transformation dont Bichr Bennani et Marie-Louise Belarbi, les
fondateurs des éditions Tarik, ont pleinement conscience. C’est même à cet objectif que
leurs livres répondent. Les années Lamalif — du nom de la revue militante et partisane
fondée au Maroc et censurée à plusieurs reprises pour ses articles portant sur
« l’histoire du pays entre 1958 et 1988 » (Zakya Daoud, auteur du livre) — est un
exemple éloquent de la manière dont un livre est érigé en source.

Les années Lamalif, le livre-source


7 Nous sommes le 12 décembre 2006. Comme chaque mois, le comité de lecture de
Tarik se réunit dans ses locaux pour discuter des prochaines publications. À l’ordre du
jour : Les années Lamalif. Miriam et moi sommes chargées d’en faire la présentation.
Aux yeux de Miriam, âgée de quarante-six ans et documentaliste au lycée français de
Casablanca depuis une vingtaine d’années, cela ne fait aucun doute : « C’est un ouvrage
de référence sur une partie méconnue de l’histoire marocaine du règne de Hassan II
que Tarik doit absolument publier. » Sonia (française retraitée et mariée à un Marocain
depuis quarante ans) et Abdelkader (trentenaire, professeur de littérature française à la
faculté d’Ain Chock), également membres du comité de lecture, partagent son avis à
l’inverse de Bichr. Pour lui, un problème essentiel se pose, lié à la véracité du récit et à
la légitimité de l’auteur d’« écrire l’histoire » :

En tant que journaliste, elle n’a pas à écrire l’histoire du Maroc, d’autant plus
qu’elle consacre une partie mineure, à peine une dizaine de pages, à l’histoire
marocaine des années 1955-1960 alors qu’il s’agit de la période pendant laquelle
l’histoire marocaine s’est entièrement faite, il faudrait des milliers de pages pour
la raconter. En plus, elle donne une vision très personnelle de l’histoire et sujette à
controverse. Cette vision comporte même des erreurs, moi j’y étais, je peux vous
dire ce qui s’est passé, ça ne s’est pas tout à fait passé comme ça.

Le père et l’oncle de Bichr, membres fondateurs du parti Istiqlal, ont œuvré à la


construction du Maroc indépendant. De fait, Bichr connaît bien cette histoire et, de son
point de vue, le texte de Zakya ne paraît inédit qu’à des Français méconnaissant le passé
proche du Maroc. Mais Abdelkader réagit : « En lisant cet ouvrage, j’eus la même
impression de découverte que Miriam alors que je suis marocain », conduisant Bichr à
conclure : « Oui mais tu es jeune, c’est normal… Enfin bon, effectivement c’est un
ouvrage qui peut intéresser les jeunes Marocains qui ne connaissent pas non plus cette
histoire. »
8 Finalement, l’ouvrage paraît quelques mois plus tard. Mais Marie-Louise restera
longtemps secouée par le débat qui montre selon elle la difficulté des « Marocains à

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accepter qu’un étranger [Zakya Daoud, d’origine française, vit au Maroc depuis une
cinquantaine d’années, Daoud est le nom de son mari, Zakya, un pseudonyme] puisse
écrire l’histoire de l’intérieur ». Plus encore, ce débat rend compte de la confusion entre
l’écriture de l’historien professionnel et le témoignage de l’acteur et met en évidence
l’enjeu que recouvre la publication d’un récit sur une période occultée. Le débat suscité
par Les années Lamalif pose les questions de légitimité et de légitimation quant aux
conditions de production et de parution de récits auxquels est conféré le statut de
documents. De fait, l’interrogation au centre de la discussion est : à qui revient le droit
de produire la source et pour lui faire dire quoi ? Les témoins peuvent-ils jouer le rôle
d’historien en « parlant comme un livre »6 ? Le contentieux montre également dans
quelle mesure éditeurs et membres du comité contribuent ensemble à la fabrication
d’imprimés prenant la valeur de source aux yeux des lecteurs (et de l’IER comme nous
le verrons par la suite). Les années Lamalif n’est pas un exemple isolé, beaucoup de
récits édités par Tarik et d’articles publiés dans la presse ont été érigés en documents
d’histoire que les lecteurs achètent ou s’échangent. À l’écoute de leur public, les éditeurs
tels que Tarik, Eddif et Marsam (spécialisés dans le livre francophone) accordent dans
leur catalogue une place centrale à ces récits de plus en plus nombreux sur le marché du
livre marocain.

Esthétique populaire des livres carcéraux : la


charte graphique de la subjectivité
9 En 2000, la maison d’édition Tarik naît avec la publication de Tazmamart, cellule 10
d’Ahmed Marzouki, rescapé du bagne. Vendu à des milliers d’exemplaires, cet ouvrage
représente l’un des rares best-sellers édités au Maroc ; le succès du livre et les gains
qu’il génère poussent Bichr et Marie-Louise à poursuivre la démarche éditoriale en
publiant une dizaine d’ouvrages du même type dont certains ont été traduits en arabe
comme Tazmamart, cellule 10 et Héros sans gloire. Par là, l’ambition de Bichr est de
« sauvegarder la mémoire de la société marocaine » car, poursuit-il, « sans sa mémoire
une société ne peut avancer ». Faire œuvre de mémoire constitue ainsi l’enjeu de sa
politique éditoriale. La bibliothèque installée dans les locaux de la maison d’édition, un
appartement aménagé en bureaux, situé non loin du centre ville de Casablanca au
premier étage d’un immeuble récent, est le reflet de cette élaboration. Contre le mur de
la pièce principale, face à la porte d’entrée, la bibliothèque en bois de deux mètres de
hauteur sur trois mètres de longueur, dont certains rayons remplissent la fonction de
présentoir, réunit tous les livres édités par Tarik depuis sa création. Rangés côte à côte,
sur les rayonnages du haut de la bibliothèque, une dizaine de récits de vie et de
témoignages carcéraux s’accumulent au fil des années. Leur regroupement au sein d’un
même lieu permet au visiteur ou au lecteur consultant le catalogue de Tarik et achetant
ses livres, de « les lire en relation » comme l’écrit Christian Jacob à propos de l’histoire
des bibliothèques (2001 : 56). Seul, il peut composer et construire une tranche
d’histoire marocaine non encore écrite et, suivant certaines opérations cognitives —
compléter, comparer, expliquer, critiquer, approfondir —, élaborer une analyse
historique. Ainsi, les éditions Tarik mettent à la portée de n’importe quel lecteur des
instruments de connaissance efficaces. Cette réflexion nous invite à reconsidérer la
question posée plus haut sur la circulation des feuilletons. Leur forme fragmentaire —
dans le temps et dans l’espace du texte décomposé et distribué en plusieurs bouts —
complique la tâche à celui qui le souhaite de reconstituer l’histoire factuelle en
confrontant les événements les uns avec les autres. Procédé par lequel un lecteur
ordinaire pourrait librement et progressivement reconstruire une part méconnue de
son histoire. C’est peut-être la raison pour laquelle les textes carcéraux ont commencé à
circuler sous forme de feuilletons plutôt que de livres.
10 Dans le meuble de la bibliothèque des éditions Tarik, on voit apparaître quelques
couvertures de livres, notamment celle de Tazmamart, cellule 10 (ill. 1). De format
14 x 21 cm, cet ouvrage présente une couverture blanche sur laquelle est inscrit en bleu,
en haut et au centre, le nom de l’auteur au-dessous duquel apparaît le titre du livre, en

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caractère plus épais de couleur noire. Le bleu utilisé pour souligner « Ahmed
Marzouki » fait écho au dessin placé au centre de la couverture dont les traits de même
couleur tracent les contours d’une cellule à l’intérieur de laquelle se trouvent des objets
et une configuration caractéristiques de l’univers carcéral — tels que le vide,
l’enfermement entre quatre murs, l’absence de lumière, le plateau-repas rudimentaire,
le contrôle exercé par une paire d’yeux regardant à travers l’ouverture de la porte de la
cellule, etc. Ensemble, ces éléments ont vocation à renseigner le lecteur sur le contenu
du livre et à exprimer ce qu’il raconte. Observer le catalogue de Tarik montre que ce
procédé esthétique a servi de point de repère à la définition du design de beaucoup
d’ouvrages qui lui ont succédé (ill. 2). Quant aux essais, ils comportent une photo ou un
fonds vierge (ill. 3 et 4). Ces couvertures sobres renvoient au souci de l’auteur et de
l’éditeur de mettre l’accent sur leur dimension jugée objective et analytique. De ce fait,
elles contrastent nettement avec les images reproduites sur les couvertures de livres de
témoignages, de récits, de romans etc. visant à exprimer un point de vue, dont la
subjectivité est assumée. La fonction initialement dévolue aux couvertures de livres
carcéraux a donc été reprise pour concevoir toute une charte graphique qui a donné lieu
à une tradition esthétique de couvertures expressives, aujourd’hui propre non
seulement à Tarik Éditions mais aussi à l’ensemble de l’édition marocaine qui a accordé
entre 1999 et 2004 une place primordiale aux livres carcéraux.

ILL. 1 à 4 — Exemples de couverture des éditions Tarik

La texture narrative : histoires tissées


les unes dans les autres

Du manuscrit au livre : la mise en coexistence des


histoires carcérales
11 L’apparition synchronisée des livres carcéraux n’est pas anodine. Elle relève du
contexte marqué par une forte libéralisation politique qui a permis à de nombreux
auteurs de sortir leurs manuscrits du « tiroir », pour les faire lire à d’autres : amis,
militants, journalistes, éditeurs qui, autour de la circulation d’un texte passé de mains
en mains, ont tissé un réseau de lecteurs et de critiques. Au moment où ils sont soumis
à la lecture, ces textes changent de forme — de manuscrits, ils sont dactylographiés — et
de support : ils ne sont plus composés de feuilles volantes ou agrafées, mais de pages
imprimées, pliées, reliées, collées et/ou cousues. En outre, lorsqu’ils font l’objet d’un
texte publié dans la presse et plus encore d’un livre, la version originale est structurée et
mise en page de manière à être rendue lisible pour le grand public. Le texte est en
quelque sorte (re)défini et (re)créé suivant diverses modifications. D’abord, il est
composé de manière à prendre l’apparence d’un article ou d’un livre. Lorsqu’il est
déposé sous forme manuscrite, le compositeur ou le « chargé de saisie » (généralement
une femme) le tape sur ordinateur et l’enregistre sur le support informatique requis
pour l’exécution de la suite des opérations éditoriales et d’impression. À partir de là,
l’éditeur et le compositeur façonnent le texte en changeant la forme des lettres, coupant
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les paragraphes, créant des titres et des intertitres, restructurant les parties, les
réduisant ou les développant, etc. La version originale peut également être réécrite de
manière à la rendre plus attractive pour un public soucieux de lire un texte clair et bien
écrit. J’ai moi-même procédé à ce travail de recomposition et de réécriture de l’ouvrage
Les années Lamalif à la demande de Bichr qui, jugeant la longueur du récit (450 pages)
inadaptée au lectorat marocain, m’a demandé de le raccourcir à 300 pages. Pour ce
faire, j’ai supprimé des passages entiers du manuscrit procédant ainsi à une réécriture
de la source qu’il sera appelé à constituer. Marie-Louise, soutenue par les membres du
comité, s’oppose fermement à la nouvelle version épurée. Selon elle, ce texte « inédit »
traite d’événements fondateurs et corrélés devant être absolument racontés dans leur
intégralité. De son côté, Bichr accorde un intérêt prioritaire à la réduction des frais
d’impression (du coût du papier essentiellement).
12 Ainsi la composition du texte, touchant à sa forme et à son support, interfère sur la
nature de l’information qu’il communique, sur ses pratiques et sur son efficace. Au
départ, le témoignage de Zakya Daoud, à l’instar d’autres, présente une forme brute,
puis, une fois inscrit dans le dispositif éditorial, il se structure et bénéficie d’une
diffusion élargie permise par les possibilités qu’offre le « livre » tiré à des milliers
d’exemplaires. Outre une distribution massive, la publication de ces histoires
personnelles leur permet de circuler au sein d’un même espace et, donc, de coexister.
Par conséquent, elles s’inscrivent dans une série de textes dotés d’une capacité
d’historicité similaire qui, pour reprendre les mots de Daniel Fabre, « prend sens au
regard du voisinage des textes du même type » (2002 : 23). Mis ensemble, ces textes
font naître une histoire qui sans eux serait restée improbable. Tissés les uns dans les
autres, ils forment une texture narrative dont la densité permet de représenter la trace
tangible d’un événement passé autour duquel on voit s’établir une communauté de
langage partagé. Alors que la publication d’un seul texte n’aurait pas suffi à déterminer
l’existence des bagnes, la multitude le permet. La vocation mémorielle de ces écrits est
manifeste dans les vocables employés par les éditeurs de Tarik, Eddif, Marsam et Le
Fennec pour les désigner et les présenter au grand public : « Témoignage » ou
« Collection Témoignages ». Les éditeurs de livres arabophones — Toubkal, Dar
Attakafa, le Centre culturel arabe ou Afrique Orient — publient quant à eux davantage
de livres d’histoire, târîkh, majoritairement des essais ou des études (dirâsât),
principalement sur le Maroc précolonial. Les travaux d’histoire contemporaine (période
davantage traitée par des politologues que des historiens) prennent surtout la forme de
manuels scolaires généralement écrits par des professeurs du secondaire. De sorte
qu’on observe dans la masse des livres publiés sur l’histoire proche au Maroc, un
emploi différencié des langues suivant le type narratif adopté (témoignage/étude
historique) : alors que le français est davantage employé pour dénoncer les atrocités du
règne de Hassan II, l’arabe est plutôt utilisé pour écrire l’Histoire officielle, souvent
policée, franchissant rarement la limite implicite de la mise en cause de la monarchie et
de la personne du roi (Bras, 2008). Néanmoins, il existe quelques témoignages en
arabe, majoritairement écrits sous forme de recueils de poésie. Quant aux récits de vie
(riwâyât), ils sont pour la plupart traduits (du français à l’arabe), édités à l’étranger
(Liban, Égypte, Syrie) ou publiés à compte d’auteurs en raison, expliquent certains
auteurs, du refus fréquent des éditeurs de livres arabophones7. Ceux-ci, dotés du
« pouvoir tout à fait extraordinaire d’assurer la publication c’est-à-dire de faire accéder
un texte et un auteur à l’existence publique » (Bourdieu, 1977 : 3), jouent une fois de
plus un rôle essentiel dans la production de livres-sources sur l’histoire contemporaine.
En ne publiant qu’un nombre restreint de témoignages d’anciens prisonniers politiques
écrits en arabe, ils contribuent à sauvegarder le rapport légitimatoire tarîkh-makhzen
et à diffuser une certaine vision de l’histoire souvent différente de celle produite en
langue française et publiée par des éditeurs qui refusent aussi de publier les manuscrits
ne correspondant pas à leur perception de l’histoire, notamment Le Maroc et Hassan II
d’Abdallah Laroui (2005). Les raisons d’ordre idéologique ne suffisent pas à expliquer
l’attitude des éditeurs arabophones et francophones. Les premiers, soucieux de
remporter le marché fructueux du livre scolaire accordé par le ministère de l’Éducation
nationale, veillent à entretenir avec le roi des rapports privilégiés. Quant aux éditeurs
francophones, ils sont un certain nombre à ne publier que s’ils bénéficient des aides à la
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publication du service de coopération culturelle de l’Ambassade de France, intéressée à


diffuser les valeurs laïques, démocratiques et de défense des droits de l’homme au
Maroc. Des intérêts économiques orientent donc les éditeurs vers certains choix
éditoriaux.
13 Dans ce contexte, les livres carcéraux représentent un créneau éditorial porteur
surtout pour les éditeurs francophones comme Bichr ou Abdelkader Retnani (éditions
Eddif), qui déclare : « Les Marocains n’ont toujours eu que des livres français ou
étrangers à lire sur le Maroc. Alors nous, on a voulu faire des ouvrages maroco-
marocains. » Son ambition éditoriale est donc de publier des livres sur l’histoire
nationale telle qu’elle est racontée par ses protagonistes : sous la forme d’un récit censé
être brut et franc. La notion de « témoignage » contribue précisément à souligner la
sincérité du discours en mettant l’accent sur la singularité du moi, la particularité du
point de vue et la vérité que le témoignage représente. En outre, le choix de cette
terminologie répond aux intentions des auteurs dont beaucoup déclarent écrire pour
« faire le point » et publier « pour que le Maroc sache ».

La naissance de l’IER et l’archivage des récits


carcéraux
14 Devant le nombre croissant de livres carcéraux et l’influence grandissante qu’ils
exercent au sein de la société, Mohammed VI crée en janvier 2004 l’Instance équité et
réconciliation (IER) pour « établir la vérité » sur un passé douloureux et œuvrer à la
« réconciliation » au sein de la société marocaine8. Dans cette perspective, l’Instance,
présidée par Driss Benzekri, ancien président de l’association « Forum vérité et
justice », a fait jouer un rôle central aux livres carcéraux en élaborant un travail de
reconstitution historique à partir du recueil direct de témoignages (qu’elle diffusera
dans le cadre d’émissions télévisées)9 et des récits pénitentiaires parus ces dernières
années. Une bibliographie recensant les ouvrages publiés en français et en arabe est
d’ailleurs disponible sur le site de l’IER10. Selon Salah El Ouadie, membre de
l’organisation gouvernementale : « Les récits carcéraux sont autant de documents pour
l’Histoire »11. Une remarque corroborée par celle d’Abdesslam El Ouazzani, également
membre de l’IER, qui déclare : « Nous disposons de récits archivés par l’IER. Les
spécialistes dans différentes disciplines se penchent déjà sur les questions que soulève
le genre carcéral »12 (El Ouazzani, 2005). D’après ces déclarations, on comprend que,
par l’usage qu’elle en fait, l’Instance équité et réconciliation a fait passer les récits
carcéraux du statut d’écrits littéraires à celui de sources. Ainsi, l’absence de traces et les
impératifs de véridiction érigés par l’instance ont été à l’origine d’une mutation du récit
carcéral, institué en « archives »13 alors qu’il était initialement utilisé par les auteurs
comme une forme de catharsis et, une fois publié, de texte à vocation mémorielle. Les
éditeurs ont été les premiers à entreprendre cette mutation en qualifiant ces écrits de
« témoignages ». Du point de vue des narrateurs, une transformation a également eu
lieu : auparavant militants puis auteurs, ils sont aujourd’hui témoins, incarnant les
rares personnes pouvant certifier du déroulement de certains événements historiques.
15 La mise en place de l’IER et l’élan collectif dont elle procède ont poussé nombre
d’anciens prisonniers politiques qui n’avaient pas osé ou ressenti le besoin d’écrire leur
histoire (en prison ou à leur sortie du bagne) à publier à leur tour un livre14. Dans ce
contexte, ce sont les auteurs eux-mêmes (et non plus l’IER) qui destinent leurs récits à
« faire archive ». En les insérant dans un espace partagé, ils participent à l’initiative
commune d’écrire une tranche de l’histoire nationale. Ce faisant, l’acte
autobiographique représente à la fois un exercice collectif et une pratique singulière qui
répond tant au désir d’être publié que de faire connaître son histoire propre. Il est
d’ailleurs significatif que seul un nombre réduit d’auteurs use de pseudonymes,
cherchant plutôt à se rendre visibles en utilisant leur véritable nom de famille, au
moyen duquel, au Maroc comme ailleurs, il est possible de déterminer l’histoire
familiale d’une personne et le milieu social auquel elle appartient. Publier pour afficher

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son nom, écrire pour exister, cette motivation d’ordre personnel prend néanmoins sens
dans le mouvement collectif au sein duquel elle s’inscrit : écrire l’Histoire nationale.

Le travail du « petit-nègre »
16 Les anciens prisonniers ne savent pas nécessairement rédiger et font donc souvent
appel à un nègre pour écrire le livre de leur vie. Parfois, ce sont les éditeurs qui les
encouragent à y avoir recours, surtout lorsqu’ils leur commandent le récit. Dans ce cas,
ces derniers sollicitent des journalistes francophones ou des amis professeurs de lettres
françaises au lycée ou à l’université dont ils apprécient la plume. Ils leur versent une
somme forfaitaire variant suivant le nombre de pages et les conditions dans lesquelles
la réécriture est élaborée : caractère de l’auteur, maîtrise du français, durée des
déplacements jusqu’au logement de l’auteur où se déroulent généralement les
entretiens, etc. En fonction de ces différents critères, le nègre négocie son tarif. Ces
« petits-nègres », comme les éditeurs et auteurs les nomment, enregistrent le discours
du narrateur et le réécrivent. Ce processus d’écriture se décompose en plusieurs étapes
impliquant chacune un changement de nature — de sonore, le document devient écrit
— et de matière — de l’enregistrement numérique, il passe à un support informatique
(page pixelisée) puis imprimé (papier/livre) qui interfère sur le devenir de l’archive que
le texte est destiné à former. Cela peut s’observer à différents points de vue, notamment
à travers les modalités de sa constitution. Car si le nègre est simplement censé mettre à
l’écrit des « mots parlés », en fait il participe activement à l’élaboration du récit. En
effet, dans le travail d’écriture et de rédaction qu’il opère, le nègre améliore le style,
corrige les fautes de conjugaison et de vocabulaire, réorganise les événements décrits
lors de l’enregistrement de manière à donner au témoignage oral une forme intelligible
à l’écrit. En somme, le nègre adapte le discours à son nouveau support — l’écrit — et, en
conséquence, le reconstruit. Le témoignage oral a la caractéristique d’être modulable :
sa forme permet la reformulation immédiate d’une idée, d’une phrase ou d’un mot. Une
spécificité dont rend compte le travail du nègre lui-même : lors des séances
d’enregistrement, loin de se limiter à écouter le narrateur, il lui pose des questions pour
clarifier des zones d’ombre et s’assurer une reconstitution correcte. Ce faisant, il mène
l’auteur vers des interrogations et des considérations que celui-ci n’aurait peut-être pas
eu idée de soulever s’il avait constitué seul son archive. Ainsi, l’archive procède d’une
construction à la fois objective et subjective qui représente les deux facettes d’une
histoire duale : l’une officielle (dans la mesure où le récit est appelé à faire archive dans
le cadre de l’IER, instance gouvernementale), l’autre personnelle15.
17 Les modalités de réception des récits carcéraux rendent compte de la même dualité
en faisant l’objet d’appropriations diverses par l’IER et les lecteurs. Tandis que
l’Instance recueille les récits carcéraux pour écrire un pan de l’histoire nationale et
collective, les lecteurs les explorent de manière singulière. Plus affranchies, ces
pratiques sont à mettre en relation avec la forme prise par le texte carcéral (devenu
archive) : celle du livre et du récit plutôt que du manuel et du document historique. Les
lecteurs ont ainsi accès à une tranche de leur histoire qui ne leur est transmise ni par
des auteurs étrangers — chercheurs, historiens ou autres — ni par des instances
académiques en lien avec l’État, mais par des acteurs sociaux qui, de leur propre chef,
de manière directe ou indirecte, seuls ou par l’intermédiaire d’un nègre, ont fait de leurs
parcours et de leurs témoignages des archives. Ainsi, le traitement de l’histoire proche
repose davantage sur des expériences multiples et discontinues que sur un récit unique
et officiel. Elle s’alimente de biographies personnelles et variées qui, tissées les unes
avec les autres, forment la grande Histoire qui peu à peu se substitue au discours
historique traditionnel. En s’emparant de cette histoire brute, auteurs et lecteurs se
réapproprient leur passé. Ils ne s’en remettent plus seulement à l’État et aux
institutions publiques comme l’école pour le connaître. Ils souhaitent lire des histoires
plurielles et portent une attention particulière à la vérité du « je » qui prend place dans
un espace saturé où le témoignage carcéral acquiert un statut d’autorité de plus en plus
prégnant.

https://journals.openedition.org/ateliers/9062#tocto2n5 8/11
20/07/2020 L’écriture de soi, et ses modalités de constitution en archives

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Notes
1 Compte rendu d’activités disponible sur le site de l’IER : http://www.ier.ma/article.php3?
id_article=1477, consulté le 28/04/2010.
2 Ces questionnements sont apparus lors d’un séjour à Casablanca et à Rabat en 2006-2007
(réalisé dans le cadre d’une recherche doctorale d’ethnologie soutenue en octobre 2011 sous le
https://journals.openedition.org/ateliers/9062#tocto2n5 9/11
20/07/2020 L’écriture de soi, et ses modalités de constitution en archives
titre : Fabriquer le Coran au Maroc. Une ethnographie) à la suite d’un stage réalisé aux éditions
Tarik où j’ai pu interroger un certain nombre d’auteurs. Parallèlement à ces entretiens, ma
présence permanente sur le terrain m’a permis de rencontrer un certain nombre d’éditeurs, de
lecteurs et de participer au Salon international de l’édition de Casablanca, espace propice à
l’observation des répercussions et des enjeux sociaux, culturels et politiques des livres de
témoignages carcéraux.
3 Christine Daure-Serfaty est l’épouse d’Abraham Serfaty, célèbre opposant politique marocain
forcé à l’exil par Hassan II et réinstallé au Maroc depuis l’arrivée au pouvoir de Mohammed VI
qui fit de son retour une des priorités de son début de règne.
4 Makhzen est le terme utilisé pour parler de l’État Marocain : « Le mot “Makhzen” est un
substantif du mot arabe qui a pris une signification politique au fil des siècles. Usité dans la
Tunisie du XIXe siècle pour désigner l’État beylical, il est passé dans la science politique
contemporaine comme le concept définissant l’État marocain. Ce mot signifie littéralement
“magasin” (d’où vient le terme français) et par extension, le Trésor, ou le fisc, symbole de la
puissance temporelle du calife chérifien, qui est seul à même de prélever l’impôt et le butin lors
des conquêtes. C’est avec le développement de l’administration à partir du XVIIe siècle […] que le
Makhzen en est peu à peu venu à désigner l’ensemble de l’appareil d’État marocain » (VERMEREN,
2001 : 18).
5 Le Sahara occidental est un territoire du nord-ouest de l’Afrique, bordé par le Maroc au nord,
l’Algérie au nord-est, la Mauritanie à l’est et au sud, tandis que sa côte ouest donne sur
l’Atlantique. Territoire non autonome selon l’ONU, cette ancienne colonie espagnole n’a toujours
pas trouvé de statut définitif sur le plan juridique, plus de trente ans après le départ des
Espagnols en 1976. Le territoire est revendiqué à la fois par le Maroc et par la République arabe
sahraouie démocratique (RASD), fondée par le Front Polisario en 1976. Ce dernier mouvement,
soutenu militairement, financièrement et diplomatiquement par l’Algérie, a pour objectif
l’indépendance totale du Sahara occidental. Depuis le cessez-le-feu de 1991, le Maroc contrôle et
administre environ 80 % du territoire, tandis que le Front Polisario contrôle 20 % de ce même
territoire que le Maroc maintient derrière une longue ceinture de sécurité.
6 Charles Péguy cité par HARTOG, 2000.
7 La liste des livres carcéraux d’expression arabe est disponible sur le site de l’IER :
http://www.ier.ma/article.php3?id_article=278, consulté le 06/09/2011.
8 http://www.ier.ma/article.php3?id_article=1273, consulté le 29/04/2010.
9 « L’Instance a organisé sept auditions publiques dans six régions du pays à l’intention de
victimes des graves violations du passé en vue de les rétablir dans leur dignité et de les
réhabiliter, de faire partager leurs souffrances, de soulager les séquelles psychologiques qu’elles
ont endurées et de préserver la mémoire collective. Ces auditions publiques dont certaines ont été
transmises en direct par les médias audiovisuels publics ont joué un rôle pédagogique important
en direction des responsables, de l’opinion publique, de la société et des nouvelles générations, et
constitué un moment de grande intensité sur la voie de l’équité et de la réconciliation. Pour la
première fois, il a été donné aux victimes de faire entendre leur voix à partir d’une tribune
publique officielle et de faire écouter leurs témoignages qui ont constitué autant de messages
permettant de faire prendre conscience de la gravité des violations passées et des souffrances
auxquelles elles ont donné lieu. Cela a permis de mettre l’accent sur la nécessité que toutes les
volontés, celles de l’État et celle de la société, se conjuguent pour prémunir le pays contre toute
répétition de ces pratiques. Ainsi, la première et la seconde séance, organisées à Rabat les 21 et
22 décembre 2004, et auxquelles ont pris part des victimes représentant différentes générations,
groupes et régions ont esquissé “un récit national” au sujet des violations de droits de l’Homme.
Elles ont également contribué au rayonnement de l’expérience marocaine et à la réaffirmation de
l’engagement résolu du Maroc sur la voie de la démocratie et de la modernité. »
http://www.ier.ma/article.php3?id_article=1496, consulté le 07/09/2011.
10 Sur ce point, cf. KABBOUSS, ALI et EL YAZAMI, 2004. L’ouvrage réunit tous les écrits et
témoignages archivés par l’IER. Sur le site de l’Instance, ils sont répertoriés dans la rubrique
« documentation ».
11 Citation issue d’une interview menée par le journaliste Jaouad MDIDECH (2004).
12 Citation issue d’une interview menée par le journaliste Abdellatif KININI (2005). Comme
indiqué plus haut, le premier colloque organisé par l’IER à Rabat intitulé « Écrits de la détention
politique », évoquait déjà ces questions (http://www.ier.ma/article.php3?id_article=1290,
consulté le 07/09/2011).
13 Sur cette mutation du récit carcéral, cf. HATIMI, 2004 ; MEROUAZI, 2004 ; BOUAZIZ, 2004 et
AJLAOUI, 2004.
14 Tandis que d’autres ont préféré prendre la parole lors des auditions publiques des victimes
organisées par l’IER, retransmises à la télévision et à la radio d’État.
15 Mais l’opposition oralité/écriture n’est pas si tranchée qu’il y paraît. Patrick Williams le
montre bien à propos des écrits produits par les Tsiganes qui mêlent oralité et écriture. À ce sujet,
il cite Anne-Marie Chartier qui déclare lors d’un séminaire auquel il a assisté : « Il convient de
sortir d’un amalgame entre culture de l’oralité et analphabétisme, entre culture de l’écrit et usage
de l’écrit, de la lecture et de l’écriture. Il existe des formes de prise de parole qui sont de structure
écrite et des usages de l’écriture parfaitement compatibles avec des formes culturelles d’oralité. »

https://journals.openedition.org/ateliers/9062#tocto2n5 10/11
20/07/2020 L’écriture de soi, et ses modalités de constitution en archives
Ainsi, l’oralité et l’écriture ont toujours partie liée l’une avec l’autre, passer de la première à la
seconde ne procède jamais d’une totale mutation, il s’agit de modes de narration souvent
intégrés. Sur ce point, cf. WILLIAMS, 1997.

Table des illustrations


Légende ill. 1 à 4 — Exemples de couverture des éditions Tarik
URL http://journals.openedition.org/ateliers/docannexe/image/9062/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 119k

Pour citer cet article


Référence électronique
Anouk Cohen, « L’écriture de soi, et ses modalités de constitution en archives », Ateliers
d'anthropologie [En ligne], 36 | 2012, mis en ligne le 14 mai 2012, consulté le 20 juillet 2020.
URL : http://journals.openedition.org/ateliers/9062 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ateliers.9062

Auteur
Anouk Cohen
Mellon Visiting Scholar, Department of Anthropology, University of Chicago ; Docteur, Laboratoire
d’ethnologie et de sociologie comparative (LESC), université Paris Ouest Nanterre la Défense/CNRS
anouk[point]cohen[at]wanadoo[point]fr

Droits d’auteur

Ateliers d'anthropologie – Revue éditée par le Laboratoire d'ethnologie et de sociologie


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https://journals.openedition.org/ateliers/9062#tocto2n5 11/11

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