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MAGAZINE #5
‘‘Shining’’
par Rafik Djoumi
Shining T
out le monde ou presque s’accorde à
considérer que la carrière de Stanley
Kubrick est divisée en deux grandes parties
l’origine divinatoire), des règles contaminées,
voire perverties par l’irrationalité des passions
humaines.
Avant le langage qui ont pour axe 2001, l’Odyssée de l’espace ; les
films conçus avant 2001 semblant appartenir
à une certaine norme du grand Cinéma tandis
RE-VISION
texte par Rafik Djoumi
que les films suivants n’appartiendraient qu’au Shining, on l’aura compris, s’inscrit pleinement
monde de Kubrick seul. dans cette démarche d’initiation du spectateur.
Mais contrairement aux films précédents qui
C’est peut-être dans la façon de communier transcendaient de façon évidente leur sujet initial
avec son public que l’on peut distinguer ce (2001 est évidemment « plus » qu’un film de
changement de paradigme. En effet, les films S.F., Barry Lyndon est « plus » qu’un drame en
d’avant 2001 sont les films d’un cinéaste qui costume – même si hélas de nombreux critiques
cherche à communiquer une réflexion et/ou n’ont pas voulu le voir à leurs sorties), Shining
un ressenti et à aller vers son public. Les films reste avant tout considéré, encore de nos jours,
suivants, quant à eux, semblent fonctionner simplement comme un film d’horreur, comme un
sur un principe initiatique où c’est cette fois le exercice autour du genre et de ses codes. En cela,
spectateur qui doit avancer vers l’œuvre, mû par il demeure peut-être le plus mystérieux des films
une attraction presque hypnotique. Dès lors, il n’a de Kubrick puisque son vrai propos, sa véritable
plus affaire à des films « qui veulent dire quelque ambition, fonctionne à des niveaux souterrains
chose », mais à des objets à Mystères (au sens qui ne s’éclairent que lorsque le spectateur a
culturel du terme) qui invitent au mouvement, à décidé de les décrypter activement.
la marche de l’initié.
Ici, pas de sentiment de flottement quasi religieux
2001, l’Odyssée de l’espace est ainsi une à la 2001 ; pas de scènes-chocs à la Orange
œuvre hermétique, pétrie de philosophie mécanique ; pas de beauté visuelle terrassante à la
néoplatonicienne, et qui fonctionne selon le Barry Lyndon. Shining se présente sous une forme
mode opératoire de cette école de pensée, à visuelle qu’on serait presque tenté de considérer
savoir l’alchimie (le monolithe n’étant rien moins comme terne. Les contrastes sont un peu trop
qu’une pierre philosophale). Orange mécanique durs ; le point un peu trop net ; ses couleurs et ses
fonctionne sur un principe de contre-initiation, en éclairages apparaissent de prime abord comme
une série rituelle de viols et de sacrifices humains simplement fonctionnels. Par bien des aspects,
Accueilli avec une grande circonspection à sa sortie, le propres à invoquer le Mal sous tous ses visages, l’image peut faire penser à du « rendu vidéo » tant
film Shining est devenu, en VHS et surtout en DVD, le film de l’individuel à l’institutionnel. Barry Lyndon, elle évacue les divers artifices que permet le grain
de Kubrick le plus revu et le plus commenté, donnant lieu qui tourne sur les restes du projet inachevé de du film. Nous sommes ici en présence de cette
Napoléon, enchaîne ses évènements sur les règles sensation d’objectivité, de non-discrimination,
à une abondante exégèse « sauvage » aux thématiques rationnelles et rigoureuses du jeu de cartes ou que l’image vidéo a eue dès le départ auprès du
multiples et en apparence contradictoires. Ce destin n’est du jeu d’échecs (dont on oublie trop souvent public. Et ce terme, « vidéo », est d’autant plus
peut-être pas étranger aux intentions de son auteur.
imaginant qu’on le découvre en salle à sa sortie, l’exégèse du film et constater que chacune de à faire Lorsqu’on le découvre une toute première
ne peut être que problématique. Sous son
apparence d’ultra-objectivité et de « normalité »,
ces « erreurs » fonctionne en tant qu’indice, à la
fois vis-à-vis de l’histoire première du film, mais Kubrick ?’’ fois, Shining se révèle à nous comme étant
essentiellement un film de décors. Sans le
le film ne fait que distiller au spectateur un également sur un plan plus mystérieux. Certains moindre doute, l’architecture est ici déterminante
sentiment d’anomalie constant. Quelque chose dessins sur les murs de la chambre de Danny pour comprendre ce que le cinéaste cherchait à
cloche et j’ignore ce que c’est. Cela débute ont disparu ; le poste de télévision fonctionne exprimer.
par les angles trop déformants de ses scènes sans être branché au secteur ; ce livre à grand
aériennes d’ouverture, tout sauf bucoliques. La format dont Jack semble s’inspirer pour son La scène devenue la plus célèbre est celle où
sonorité lourdement synthétique de sa musique. travail n’est pas à la bonne place d’un plan à la caméra, montée sur steadycam, suit le jeune
La direction d’acteurs qui sonne « faux ». Mais l’autre ; la célèbre phrase typo « All work and no Danny à bord de sa voiture à pédales dans les
surtout, cette normalité trop appuyée nous play makes Jack a dull boy » contient un certain longs couloirs du rez-de-chaussée de l’hôtel. La
affecte dès le début avec des éléments visuels nombre de fautes de frappe qui ne semblent pas durée excessivement longue du plan, la rythmique
qui ne nous sont pas « visibles » et notamment procéder de l’étourderie, etc. Des décennies plus imposée par la bande-son qui alterne le fracas des