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GÉNÉALOGIE & HISTOIRE

Famille SERVERA depuis 1229

Itinéraire des SERVERA


en 8 siècles d’histoire

Par Michel Aimonetti

En bas de gauche à droite: Yvonne, Renée, Arlette, Lucie, Rosette (épouse d'Édouard), en haut de gauche à
droite: Raymond (compagnon d'Yvonne), Armand (époux de Lucie), Madeleine (épouse de Vincent), Edouard,
Alfred (époux de Renée), Vincent Llilio, Victor (époux de Arlette), le 11/06/1978 à Pau (64)
- Photo prise par Bernard Pardo -
2
3

INTRODUCTION

En ce jour de juin 1978, les 4 filles et 2 garçons élevés par Elise et Vincent Servera se
retrouvaient, sourires aux lèvres, pour un mariage familial. Ils ont grandi dans le
contexte de vie du 20ième siècle, qui les a confrontés aux 2 guerres mondiales, à
celle d’Algérie, à l’exil et toutes les vicissitudes d’un monde nouveau, pas forcément
accueillant et bienveillant... En 2023 (soit 45 ans après cette photo), on peut évaluer
à 80 le nombre d’arrière-petits-enfants de cette fratrie ! Même si les liens entre
grands-parents et petits enfants se sont étoffés dans certains domaines, combien de
ces descendants connaissent l’histoire de leurs ancêtres, au-delà de 2 ou 3
générations ? Il est vrai que le nom de Servera n’est maintenant porté que par les
enfants de la seule lignée d’Édouard, mais l’ADN des Servera se retrouve quand
même dans tous ces descendants de Vincent et Élise. De plus, le parcours des Servera
a beaucoup de similitudes avec celui des Llilio, des Pardo, des Castellanos, des
German et des Sanchez (du nom de Vincent et des époux des filles Servera), car il
correspond à des trajectoires communes liées au contexte politique, social et
économique du 19ème et 20ème siècles en Europe. Mais nous verrons toutefois qu’à
travers la grande Histoire, il y a des histoires de vies singulières, parfois
douloureuses, parfois héroïques et personnellement elles m’ont souvent émues. Le
devoir de mémoire étant encore plus nécessaire dans un monde aux changements
profonds et rapides, ces quelques pages permettront, je l’espère, de poser quelques
repères au-delà même des origines pieds-noirs, afin de permettre de mieux orienter,
si cela est possible, notre avenir.
4

Le fil conducteur et l’objectif


Il ne serait pas possible et surtout il ne serait pas compréhensible, dans le cadre de
ce document, d’étudier toutes les branches d’une famille. Le choix de cette
présentation est clair: il s’agit “seulement” de remonter le temps pour suivre
l’itinéraire parcouru par les ancêtres Servera, du plus loin possible jusqu’à
aujourd’hui. C’est donc une démarche descendante, basée sur la seule lignée Servera,
surtout paternelle, qui sera notre fil conducteur. Les collatéraux de la fratrie seront
parfois indiqués, mais la génération prise en compte sera essentiellement limitée au
parent Servera, fil conducteur de la branche.

Comme il est très difficile de retrouver les preuves détaillées de tous ces ancêtres,
surtout après plusieurs siècles, c’est la notion d’itinéraire qui prévaut, sans se perdre
dans trop de précisions qui relèvent davantage d’un travail généalogique étoffé.
Celui-ci sera donné par ailleurs (car il existe), mais le premier objectif reste de tracer
le cheminement d’une lignée sur plusieurs siècles. Cependant, chaque fois que ce
sera judicieux, les informations précises seront données et les faits seront
prioritaires. Les données disponibles étant souvent limitées à l'état civil (naissance,
mariage, décès), réduire une vie à si peu d' éléments serait inacceptable. C’est
pourquoi l’éclairage historique du contexte sera d’une aide précieuse.
L’interprétation des faits ainsi que les ressentis sont parfois énoncés mais cela reste
rare et ils sont clairement présentés comme des éléments d’hypothèses et non pas
comme la sûre réalité.

Pour ceux qui souhaitent une lecture plus rapide, sans s'attarder sur les contextes,
lisez les pages 16 et 19 à 23 qui traitent de l’arbre généalogique. Vous aurez le loisir
de revenir plus tard sur les parties dédiées aux contextes.
5

SERVERA

ETYMOLOGIE, SIGNIFICATION ET ORIGINES DU NOM

Servera1 est un nom d'origine catalane, dérivé de “serva”, c’est à dire sorbier en
français et Servera en catalan2. Sur le plan botanique, c’est le nom du “sorbus
domestica”.3 Espèce d'origine méditerranéenne, il vivait à l'origine sur tout le
pourtour du bassin. Il fut répandu au temps de l'Empire romain jusque dans le reste
de l'Europe. Il est particulièrement présent en Catalogne car c’est un arbre fruitier
très rustique, il résiste à toutes sortes de conditions météorologiques défavorables,
telles que le froid et la chaleur extrême, ou la sécheresse.
Photo d’un sorbier

Implantation du sorbier autour de la Méditerranée

En Espagne, comme dans beaucoup de pays européens, les noms de famille sont
apparus vers le 12ème siècle, quand les populations ont augmenté au point qu’il

1
https://dcvb.iec.cat/results.asp?word=Servera
2
voir https://www.catalunyaplants.com/cat/la-servera-arbre-fruiter-molt-rustic/
3
https://jardinage.ooreka.fr/astuce/voir/458773/fruit-sorbier#:~:text=Les%20fruits%20de%20cet%20arbre,on%20les%20nomme
%20parfois%20poirillons. où vous découvrez que, comme le vin, le fruit du “Servera”se bonifie avec le temps et il se magnifie
après un peu de temps de mûrissement !
6

fallait pouvoir distinguer les individus qui portaient le même prénom. Les noms de
famille, ou “apellidos”, étaient souvent basés sur le prénom d’un parent ( Martinez
c'est-à-dire fils de Martin, Fernandez, etc,...), un emplacement géographique (le nom
de leur ville ou pays d’origine), un métier, un sobriquet ou une caractéristique
physique particulière. À l’époque, ceux qui ont pris le nom de Servera avaient
peut-être cet arbre caractéristique près de leur maison.
Le blason de la ville Son Servera4 au nord-est de l’île de Majorque, 12000 habitants,
intègre le dessin particulièrement harmonieux du sorbier.

Il y a une autre ville catalane dont le nom se rapproche de Servera, qui a la même
prononciation mais qui s’écrit différemment: c’est Cervera5 , 9400 habitants, dans la
province de Lérida. Il ne faut pas les confondre car l’origine de ce nom avec un “ C ”
est issue du latin “cervaria”, désignant un lieu aux cervidés. Bien que catalan, ce
nom ne vient donc sûrement pas du même lieu d’origine.

Son blason ci-dessus confirme sa signification liée aux cerfs.

4
voir https://www.wikiwand.com/ca/Son_Servera
5
Il existe une autre approche, différente mais compatible avec celle-ci, voir
https://almirantecervera.com/articulos/origen-e-historia-del-apellido-cervera
7

La ville de Cervera del Maestre, 600 habitants, située dans le pays


Valencien, a un blason qui est également illustré par 2 cerfs de part
et d’autre d’une tour.

Il existe encore une autre ville, Cervera de los montes, dans la province de Tolède,
avec 500 habitants. Au Moyen Âge, ce lieu était une épaisse zone boisée de chênes
verts et de genévriers, où l'on trouvait du gros gibier, notamment des cerfs.
Et pour finir cet inventaire des villes pouvant être à l’origine du nom Servera, il faut
citer la ville de Cerbère (Cervera en catalan), 1600 habitants, située à la frontière
franco-espagnole près de la mer méditerranée. Elle est indiquée au premier siècle
comme étant la limite de la Gaule6. Son nom a probablement la même origine, mais
certains linguistes lui donnent une autre étymologie. Écartant un lieu fréquenté par
les cerfs, hypothèse pour eux peu plausible et compte tenu de l'ancienneté du nom,
ils lui supposent une origine pré-latine, et le rattachent à la racine
pré-indo-européenne kar, ker (= rocher), suivie de -erri (= lieu, racine ibéro-basque).
Donc, un lieu rocheux, ce qui convient parfaitement au site de cette ville, mais aussi
aux autres localités portant des noms similaires.
Il faut noter qu’il y a eu certainement des passages d’un nom à l’autre, car ils se
prononcent de la même façon, et le changement du “ C ” en “ S “ (et inversement)
est certainement le résultat d'erreurs de transcription quand on est passé de l’oral à
l’écrit. D’ailleurs le linguiste majorquin contemporain Gabriel Bibiloni considère que
Servera a été une erreur de transcription et qu’il faudrait le corriger en Cervera.7
On retrouve couramment ce même genre de variations du nom de famille lors de
migration dans un pays ou une région qui parle et qui écrit une autre langue.
En avançant dans l’histoire des Servera nous aurons d’autres informations sur cette
transformation.
Dans tous les cas, l’origine étymologique du nom montre bien le secteur
géographique où se trouve le berceau de la famille SERVERA et nous débuterons
donc l’itinéraire en Catalogne par son histoire jusqu’au 13ème siècle.

6
voir https://es.wikipedia.org/wiki/Cerb%C3%A8re
7
voir https://www.migjorn.cat/historic/20101122.478.php et https://bibiloni.cat/textos/antropotoponimia.htm mais faire disparaitre
Servera serait une erreur historique car ce nom est étroitement associé au repeuplement de Majorque.
8

I- La Catalogne, de la préhistoire aux Romains


La Catalogne a une histoire riche qui remonte à la préhistoire. Les premières traces
humaines dans la région datent du Paléolithique supérieur, avec des peuples
préhistoriques chassant et cueillant le long de la côte méditerranéenne. Au cours de
l'Âge du Bronze, des cultures telles que les Ibériens ont émergé, créant des sociétés
agricoles et des établissements fortifiés.
Vers le VIe siècle av. J.-C., les Phéniciens et les Grecs ont établi des comptoirs
commerciaux le long du littoral, marquant le début des contacts avec les cultures
méditerranéennes. Par la suite, les Romains ont conquis la Catalogne au IIe siècle av.
J.-C., l'intégrant à l'Hispanie romaine. Cette période a vu le développement de
centres urbains importants tels que Tarraco (Tarragone) et des avancées dans
l'agriculture et le commerce.
L'histoire de la Catalogne jusqu'à la période pré-romaine est caractérisée par
l'émergence de cultures locales, les influences méditerranéennes et l'interaction avec
divers peuples. Cette histoire a posé les bases de l'identité et de l'évolution
ultérieures de la Catalogne.

II- La Catalogne, des Romains à Charlemagne


Après le déclin de l'Empire romain, la Catalogne fut envahie par divers peuples
germaniques, tels que les Wisigoths au 5e siècle, qui établirent leur règne dans la
péninsule ibérique. Plus tard, au 8e siècle, les Arabes musulmans envahirent la
région, et la Catalogne devint une partie du Califat omeyyade de Cordoue.
Cependant, avec la progression de la Reconquista au début du 9e siècle, les Francs
menés par Charlemagne envahirent la Catalogne depuis le nord. Ils réussirent à
étendre leur influence sur la région et établirent la Marche d'Espagne, un territoire
frontalier sous leur contrôle. Au fil du temps, cette marche évolua pour devenir la
Catalogne médiévale, avec ses propres institutions et traditions.
C'est ainsi que la Catalogne passa d'une région peuplée par des tribus pré-romaines à
une entité médiévale en prise avec les influences des cultures romaines,
germaniques et musulmanes, avant d’évoluer sous l'influence franque et de
développer son propre caractère et identité au fil des siècles8.

8
Dans l’ADN des espagnols et donc des Servera d’aujourd’hui, il reste forcément des traces de ces différents peuples ibériens,
phéniciens, grecs, romains, wisigoths, maures et français…
9

III- La Catalogne, de Charlemagne à la conquête des


Baléares
Entre l'époque de Charlemagne et la conquête des Baléares, l'histoire de la Catalogne
est marquée par son développement en tant que territoire distinct sous la
domination des comtes catalans. Au IXe siècle, le comté de Barcelone devient le
centre du pouvoir, Wilfred le Velu étant l'un des premiers comtes influents. La
Catalogne prospère économiquement grâce à son commerce maritime, développant
des liens commerciaux avec le reste de la Méditerranée.
Pendant le XIe siècle, la Catalogne étend progressivement son influence sur d'autres
territoires voisins, notamment le Roussillon et la Cerdagne. Le comte Ramon
Berenguer IV épouse la reine Pétronille d'Aragon, unissant ainsi les deux comtés et
posant les bases de la future Couronne d'Aragon.
Au cours du XIIe siècle, la Catalogne participe activement à la Reconquista,
contribuant à la prise de Baléares aux musulmans qui s’y étaient installés en 903
après les Romains, les Vandales et les Byzantins. En 1229, le roi Jacques Ier d'Aragon
(en catalan Jaume el Primero), dit Le Conquérant, également comte de Barcelone et
de Montpellier, conquiert l'île de Majorque, suivie par l'île d'Ibiza en 1235 et
Minorque en 1287, avec une armée composée de catalans, d'aragonais et de
montpelliérains.
Cette période marque l'expansion du territoire catalan et le renforcement de la
Couronne d'Aragon en tant que puissance maritime et commerciale de premier plan
en Méditerranée occidentale. La Catalogne jouera un rôle essentiel dans l'essor de la
puissance aragonaise et participera activement aux entreprises de la Couronne dans
la région méditerranéenne.

IV- Le repeuplement des Baléares


Après la conquête de Majorque en 1229 par le roi Jacques Ier d'Aragon, le processus
de repeuplement de l'île a été soigneusement organisé pour consolider la présence
catalane et aragonaise. Voici comment s'est déroulé le repeuplement de Majorque
après sa conquête :
1. Division des terres : Après la conquête, les terres de Majorque ont été divisées en
lots pour les nobles, les chevaliers et les colons qui avaient participé à la campagne
militaire. Ces lots étaient attribués en fonction du rang et des services rendus
pendant la conquête.
10

2. Répartition des privilèges : Les nouveaux colons se voyaient accorder divers


privilèges pour les inciter à s'établir sur l'île. Cela comprenait des exemptions
fiscales, des droits commerciaux et des avantages fonciers pour encourager
l'installation.
3. Promotion de l'immigration : Pour encourager l'immigration vers Majorque, des
campagnes de recrutement ont été menées dans les territoires voisins, notamment
en Catalogne et en Aragon. Des colons ont été attirés par la perspective de posséder
des terres et de participer au développement économique de l'île.
4. Construction de villages : Les nouveaux colons ont commencé à construire des
villages et des villes sur l'île. Ces établissements étaient généralement organisés
autour d'une église et d'un centre administratif, et ils devenaient progressivement
des centres de vie économique et sociale.
5. Intégration des cultures : Les colons catalans et aragonais ont apporté leurs
coutumes, leur langue et leur mode de vie à Majorque. Cependant, ils ont également
coexisté avec la population musulmane déjà présente sur l'île. Certains musulmans
ont été autorisés à rester en échange de la reconnaissance de la souveraineté
chrétienne.
6. Développement économique : La nouvelle population a encouragé le
développement économique de l'île, en mettant en place des infrastructures
agricoles, commerciales et industrielles. L'agriculture, la pêche, le commerce
maritime et la production artisanale ont prospéré.
7. Administration locale : Une administration locale a été établie pour gérer les
affaires civiles et administratives de l'île. Les colons ont également contribué à la
mise en place d'institutions juridiques et gouvernementales.
Le processus de repeuplement de Majorque a été un facteur clé dans la
transformation de l'île en une société chrétienne et catalane, marquant le début de
son intégration dans la Couronne d'Aragon et le développement de son identité
propre.

Que dit l’histoire sur les personnes qui ont fait partie de
ce repeuplement ?
En 1229, après la conquête de l'île, le territoire de Majorque a été divisé en 2 parties.
Le roi Jacques 1er s'est réservé la quasi-totalité de l’île. Et il a offert le reste à ses
alliés. Un chevalier catalan du nom de Jaume Cervera a reçu du roi Jacques 1er
11

d’Aragon des terres dans le comté du Llevant (nord-est), en récompense de son aide
dans la reconquête de Majorque.9
Entre les années 1230 et 1300, on trouve deux grands propriétaires terriens dans
cette région : les Ferri et les Cervera. Le domaine fut mentionné pour la première
fois en 1354 sous le nom de Benicanella. Grâce à une série d'alliances familiales, ce
domaine est transmis de génération en génération jusqu'à ce qu'il soit divisé entre
deux frères Servera en 1475 (l'orthographe du nom a changé vers cette époque). Une
partie du terrain s'appelait Son Frai Garí, tandis que l'autre s'appelait Ca l'Hereu. Ces
terres se trouvaient sur le village d’Artà (terminologie arabe Yartan), au nord-est de
l’île. En 1666, Son Frai Garí (qui appartenait à Sebastià Servera) a été vendu aux
enchères par le Conseil de Majorque (Real
Audiencia de Mallorca) et acheté par
l'Université d'Artà, tandis que la possession
de Ca l'Hereu, qui appartenait à Salvador
Servera, a été distribuée en héritage à ses
enfants. La Constitution de Cadix de 1812
stipulait que seules les communes de plus de
1000 habitants pouvaient être constituées en
villages, ce qui fut le cas en 1824 sous le nom
de Son Servera (qui signifie “Propriété des Servera”). On dit que les fondateurs de la
ville ont tous changé leur nom de famille en Servera et aujourd'hui, de nombreuses
personnes dans la ville portent ce nom de famille. Il faut mentionner que le malheur
a frappé Son Servera en 1820, quand la peste bubonique a tué en 8 mois 1040
habitants sur les 1684 habitants de la ville ! 10
On constate dans cet historique détaillé du repeuplement de Majorque que le nom
du chevalier catalan recevant en 1230 des terres offertes par le roi d’Aragon et de
Catalogne s’appelait Cervera et 250 ans plus tard, ses descendants se nomment
Servera. Cette variante paraît spécifique seulement à Majorque et s’est fortement
répandue puisque les habitants de Son Servera auraient adopté massivement ce
nom. Cela permet aujourd'hui d’identifier d’un côté les Cervera originaires de
Catalogne, sans ancêtres ayant vécu dans les Baléares et d’un autre les Servera qui
sont des descendants de catalans ayant repeuplé les Baléares.

9
voir https://viagallica.com/baleares/ville_son_servera.htm et https://de.wikipedia.org/wiki/Son_Servera
10
voir https://www.cairn.info/revue-annales-de-demographie-historique-2017-2-page-125.htm?ref=doi
12

V- Crise économique à Majorque en 1600


Au début du 17e siècle, plusieurs facteurs ont conduit certains descendants des
Catalans qui avaient repeuplé Majorque au 13e siècle à quitter l'île. Ces facteurs
comprennent des éléments économiques, sociaux et politiques :
1. Pressions économiques : Au fil des siècles, l'économie de Majorque a connu des
fluctuations. Elle reposait surtout sur la spécialisation céréalière (au détriment de
l’élevage) et un puissant secteur manufacturier, spécialisé dans l'exportation de
tissus de qualité moyenne. Celui-ci bénéficiait de privilèges que la couronne
catalano-aragonaise avait accordés aux draps majorquins pour leurs possessions en
Italie. Mais la production céréalière a brusquement chuté, le prix du blé s’est envolé.
Le commerce des tissus a souffert de la perte de son monopole sur les marchés du
sud de l'Italie, d’une politique commerciale et fiscale défavorable au développement
de la confection insulaire de draps. Toutes ces mutations du commerce
méditerranéen et une concurrence accrue ont entrainé une crise manufacturière
importante. De plus, l’achat de blé s’effectuant avec le sud de l’Italie en contrepartie
des tissus vendus, cela a aggravé la crise économique..
2. Surpopulation et manque de terres : Au fil des générations, la population de
Majorque a augmenté, ce qui a entraîné une pression croissante sur les ressources
naturelles et les terres agricoles. Afin d’augmenter la productivité de leurs terres,
beaucoup de grosses propriétés s’agrandissaient en achetant ou reprenant des
terrains aux petits cultivateurs, qui n’avaient plus de quoi nourrir leur famille. La
situation fut aggravée par une succession de mauvaises récoltes, qui atteint son
apogée en 1613. Ces Majorquins ont sûrement ressenti un manque d'opportunités
pour l'expansion économique et la propriété foncière, ce qui les a poussés à chercher
de nouvelles terres à exploiter.
3. Instabilité politique : La période du début du 17e siècle a été marquée par des
changements politiques et des conflits au sein de la Couronne d'Aragon et de
l'Espagne. Ces perturbations politiques peuvent avoir incité certaines familles à
chercher des endroits plus calmes et stables pour établir leurs foyers et leurs
activités agricoles.
4. Facteurs sociaux et culturels : L'île était sous la domination de l'Espagne, qui
imposait des règles et des restrictions aux Catalans et à leur culture. Certains
Catalans pouvaient chercher à échapper à ces contraintes en émigrant vers une
région où ils pourraient avoir plus de liberté et d'autonomie. Les évolutions
culturelles et sociales au fil des siècles ont également joué un rôle. Les familles
13

pouvaient être attirées par les opportunités d'établir de nouvelles communautés


dans la région d'Alicante, où elles pourraient contribuer à la croissance économique
et à la consolidation culturelle.
En somme, la décision des descendants des Catalans de quitter Majorque pour
s'installer dans la région d'Alicante au début du 17e siècle a été influencée par un
mélange de facteurs économiques, sociaux et politiques qui ont façonné leurs
perspectives et leurs choix en matière de migration et d'établissement.

VI- Expulsion des Morisques et repeuplement de la


Marina Alta (Valencia)
À la suite de la Reconquista, marquée par la prise de Grenade en 1492, des accords
avaient été signés qui permettaient aux Maures de conserver leurs pratiques et leurs
coutumes. Mais dès 1502 des édits de conversion abrogent ces accords et ils sont
contraints de se convertir au catholicisme. Une grande partie de la population
musulmane quitte l'Espagne, d’autres choisissent de rester sur place et ces
musulmans espagnols, obligés d’embrasser la foi catholique, sont alors appelés les
Morisques. Cela dure un siècle, jusqu’à l’instauration du système de l’Inquisition.
Comme beaucoup étaient accusés de plus ou moins garder secrètes leur ancienne
langue, leur religion et leurs coutumes, ils sont expulsés par le roi Philippe III entre
1609 et 1612 à la suite de plusieurs révoltes11.
Mais cette expulsion posa rapidement un autre problème : qui travaillerait la terre?
Qui paierait les impôts? Comme l'a décrit Antoni Furió12, l’expulsion des morisques
signifiait la perte de près d'un tiers de la population du Royaume de Valence (environ
400 000 personnes). Une perte démographique de cette ampleur devait entraîner une
diminution brutale des revenus du trésor royal et, surtout, des revenus perçus par les
seigneurs féodaux qui possédaient des manoirs habités majoritairement - ou
entièrement - par des Maures. Ainsi, tant pour l'un que pour l'autre, il était urgent de
procéder au repeuplement des terres abandonnées. Une tâche qui a commencé
presque en même temps que l'expulsion, mais qui s'est heurtée à la tendance à la
stagnation de la population du Royaume de Valence. Cet état de fait a empêché son
redressement démographique et, par conséquent, l'occupation de tous les territoires
précédemment habités par les Maures.

11
http://ceredi.labos.univ-rouen.fr/public/?l-expulsion-des-morisques-de.html
12
Antoni FURIÓ: Història del País Valencià., València. 1995, 311.
14

Il n'est donc pas surprenant que les chrétiens du pays valencien aient préféré
s'installer dans les basses terres et dans les vergers proches de la côte, où ils
pouvaient obtenir des terres avec des rendements acceptables. Dans les zones
montagneuses, moins adaptées à l'agriculture à petite échelle, et surpeuplées
jusqu'au moment de l'expulsion, l'insuffisance de population a finalement été
comblée principalement par l'afflux de personnes provenant de l'extérieur du
Royaume.
La comarque de Marina Alta (ensemble de communes situées au-dessus d’Alicante)
était très touchée, pratiquement inhabitée. Les propriétaires terriens et les seigneurs
féodaux étaient très préoccupés par la situation. Le vice-roi du royaume de
Majorque, Joan Vilaragut, était d'origine valencienne et il était au courant de ce
problème. Il savait qu’à Majorque, c'est le contraire qui s'était produit, la population
avait beaucoup augmenté et les terres à cultiver étaient peu nombreuses. C’est ainsi
que différentes expéditions ont été organisées et des familles entières des villages de
Santa Margalida, Pollença, Artà, Manacor, Alaró, Llucmajor et Puigpunyent ont
répondu favorablement aux offres de repeuplement des seigneurs valenciens et se
sont installées dans la région montagneuse de la Marina Alta, à Tárbena, Xalo, Vall
d'Ebo, la Vall de Laguart et les villages environnants.13

Plusieurs villes ont été repeuplées avec les contributions des habitants de diverses
villes majorquines: par exemple, à Tárbena se sont installés des majorquins des
villages, de Santa Margalida, Manacor, Artà et Pollença. Il y avait aussi ceux qui
venaient principalement d'une localité : la plupart des réinstallés de Llíber étaient de
Llucmajor ; ceux de Xaló, de Santa Margalida; ceux de la Vall de Gallinera, Andratx;
ceux de la Vall de Laguart, d'Artà et Manacor, et ceux de la Vall de Seta de Manacor14.

13
voir https://manacor.org/sites/cilma_manacor/files/files_cilma/231474.pdf
14
COSTA (1977; 1978,1983)
15

L'établissement a été réalisé par le biais de chartes de population, dans lesquelles les
maisons et les terres étaient réparties entre les réinstallés. À de nombreuses
reprises, les bénéficiaires de ces terres, souvent des agriculteurs de Valence ou
d'autres origines, les ont ensuite abandonnées et ont été remplacées par des
Majorquins.

La présence de colons majorquins n'était pas exclusive à la Marina Alta. Mais nous
avons choisi le secteur de la Marina Alta car c’est dans ces villages que nous allons
retrouver les ancêtres des Servera qui font l’objet de cette chronique.
Après l’expulsion des Morisques, Don Carlos de Borja, ou Borgia, duc de Gandia,
propriétaire de la vallée de Vall de Laguar, a accordé par acte du 14 juin 1611, la
concession du village à 27 familles de colons de Majorque15. Parmi ces 27 chefs de
familles de Majorque, tous agriculteurs, natifs de l’île de Majorque, on retrouve les
premiers ancêtres Servera installés dans cette région. Plus exactement, il s’agit de
Mateo Ballester, qui deviendra le beau-père de Rafael Servera y Servera. Ces 27
majorquins sont les véritables patriarches des générations futures qui rempliront la
nouvelle histoire de cette vallée.
Mateo Ballester est né à Arta (Majorque) en 1570. Il a épousé Juana Orpi, née en
1572 dans le même village. Quand ils décident de quitter l’île, ils ont 4 enfants entre
2 et 15 ans et veulent sûrement leur assurer un meilleur avenir. La famille s'agrandit
de 3 nouveaux enfants. Le 21 avril 1624, leur fille Maria Anna Ballester y Orpi , née
en 1608 à Arta, épouse à Laguar Rafael Servera y Servera. Lui aussi est né à Arta,
en 1605, leurs parents se connaissaient sans doute. Ses parents, Salvador et Juana
Servera, sont nés également tous les deux à Artà en 1575. Ils portent le même nom
paternel de naissance, ce qui était courant dans cette région où les Servera
représentaient une grande partie de la population, sans être forcément de la même
famille.

15
voir https://gw.geneanet.org/lu777?lang=fr&n=pons&oc=0&p=jean+baptiste
16

Après près de 4 siècles d’installation à l’île Majorque, ils sont les premiers de la
lignée à être nés à Majorque et à décéder au Royaume de Valence.16
Rafael Servera y Servera (1605-1648) et Maria Anna ont eu 9 enfants, dont 3
garçons.
Leur fils Salvador Servera y Ballester17 (1631-1707), épouse en 1666 Juana Vaquer
y Volta et ils s’installent au village d’Orba où naissent 8 enfants, dont 6 garçons.
Leur fils Pedro Servera y Vaquer (1686-?) épouse à Orba en 1715 Maria Peña y
Suñer. Ils ont 6 enfants dont 4 garçons.
Leur fils Joaquin Servera y Peña (1728-?) épouse en 1751 Maria Ana Soler y
Torrens. Ils ont 7 enfants dont 3 garçons.
Leur fils Joaquin Servera y Soler (1752-1828) épouse à Laguar en 1780 Josefa
Borras y Moll. Ils ont 4 enfants dont 2 garçons.
Leur fils Vicente Servera y Borras (1780-1846), briquetier, épouse à El Verger vers
1812 Josefa Gilabert y Caselles.
Ils ont 6 enfants nés à Orba, dont Antonio et Pascual Servera y Gilabert (1827-?).
Avec son père devenu veuf et au moins un frère, Pascual émigre en Algérie vers 1845,
environ 230 ans après que son ancêtre Salvador soit arrivé dans la Marina
Alta.
Donc, 7 générations de cette branche Servera ont vécu dans la Marina Alta.
Le contexte de l’Espagne va nous éclairer sur les raisons de ce départ.

VII - L'Espagne au 19ème siècle


De tous temps et nous le voyons encore aujourd’hui, le choix d’émigrer est très
souvent motivé par un besoin de survivre à une instabilité politique (conflits,
guerres, régimes autoritaires ou instables, sources de violence, d'oppression ou
d'incertitude politique), à des persécutions et discriminations religieuses, ethniques
ou culturelles, ou pour échapper à la pauvreté, au chômage ou à des conditions de
vie difficiles.
Quelle était donc la situation de l’Espagne au milieu du 19ème siècle qui a conduit
les ancêtres Servera à quitter leur patrie pour s’installer en Afrique du Nord ?
Le pays s’était enrichi du XVe au XVIIIe siècle mais décline depuis la perte de ses
colonies tout au long du XIXe siècle.

16
voir cette généalogie détaillée:
https://gw.geneanet.org/pedreguerxalo?lang=fr&n=servera&nz=perez+martinez&oc=0&p=salvador&pz=juan+ramon&type=tree
17
Ce n’est que dans les années 1800 que l’utilisation des doubles noms de famille est devenue courante, quand une loi est
sortie sur le sujet. Les parents devaient dès lors donner le nom de famille paternel et maternel aux enfants. Traditionnellement
le premier nom est souvent le premier du père suivi du premier de la mère, parfois séparés par “et” (en espagnol: y; en catalan:
i), bien que ce ne soit plus aussi courant qu’auparavant.
https://www.equinoxmagazine.fr/2022/01/02/noms-de-famille-en-espagne/#:~:text=Mais%20ce%20n%27est%20que,qui%20po
rtaient%20le%20m%C3%AAme%20nom .
17

L’agriculture était en déclin, les rendements étaient souvent faibles à cause du


morcellement des terres. Près de 70 % de la population espagnole vivait dans des
zones rurales, ce qui créait une pression sur les ressources agricoles et limitait les
opportunités d'emploi. Toutefois, les Servera n’étaient plus des agriculteurs mais des
briquetiers depuis plusieurs générations.
L'industrialisation de l'Espagne à cette époque était relativement en retard par
rapport à d'autres pays européens.
L'Espagne a aussi connu des périodes d'instabilité politique, de conflits internes et de
changements fréquents de gouvernement à cette époque. Cela a eu des
répercussions négatives sur la confiance des investisseurs et sur l'économie en
général.
L'émigration était une tendance importante à cette époque. Entre la fin du XIXe
siècle et le début du XXe siècle, des millions d'Espagnols ont émigré principalement
vers les Amériques.
L’Algérie étant devenue une colonie française, il était nécessaire de la peupler. Les
français étant peu enclins à émigrer, le gouvernement français a encouragé les
espagnols à s’y installer. L’éducation étant devenue laïque et gratuite pour tous, en
France et en Algérie, apporter une meilleure éducation à leurs enfants a rendu
l’émigration plus attractive.
Des agences de recrutement ont joué un rôle clé en organisant et en facilitant
l'émigration des Espagnols vers l'Algérie. Elles ont informé les candidats des
opportunités disponibles et les ont aidés dans les démarches administratives.
Il est important de noter que l'émigration vers l'Algérie n'a pas toujours été un succès
pour tous les migrants. Certains sont retournés en Espagne après avoir rencontré
des difficultés économiques ou des défis d'adaptation en Algérie. La proximité entre
la région de Valence et celle d’Oranie permettait un retour définitif plus facile qu’une
émigration lointaine. Après trois décennies, les retours au pays sont extrêmement
rares.

VIII - L'arrivée et l’installation en Algérie


Les historiens ont identifié trois grandes périodes dans l’histoire de l’arrivée des
Espagnols en Oranie, du point de vue des flux migratoires et du processus
d’intégration-assimilation:
- 1830-1856: “l’ère des aventuriers” concerne quelques milliers de personnes.
- 1856-1906: “le temps des défricheurs et des agriculteurs”
- 1906-1920: “le temps des naturalisés”
18

Grâce au travail, au service militaire (et la guerre), à l’école, aux mariages mixtes et à
la naturalisation automatique, le processus d’intégration-acculturation-assimilation
des espagnols s’est réalisé en 2 générations (50 ans)18.
Nous allons maintenant faire un zoom sur l’émigration des Espagnols de la
région d’Alicante et plus particulièrement de la Marina Alta vers l’Oranie afin
de suivre le parcours des ancêtres Servera, ainsi que le contexte économique et
social.
Les Espagnols les plus pauvres se retrouvent à Elche, Monovar, Aspe, Novelda et
Altea. En 1845, la mairie de Elche informe l'Intendance provinciale que la sécheresse
que connaît la commune a déterminé une émigration de plus de 500 familles.
On sait que l’histoire de la ville d’Oran est marquée par une longue période de
présence espagnole, pratiquement de 1505 à 1790. Ceci explique qu’après la
parenthèse ottomane, les Espagnols s’y soient rendus plus nombreux qu’ailleurs en
Algérie après la prise d’Oran en 1830.
Les ports d'Alicante, d'Almeria et de Santa Pola représentent les principaux ports
d'embarquement vers l'Oranie, avec Valence dans les années 1860. La plupart des
migrants partent en famille. Entre 1830 et 1860, le transport des passagers et
marchandises entre l'Espagne et l'Oranie s'effectue irrégulièrement sur des bateaux
de petit tonnage. Le commerce illégal de contrebande, qui se fait par Mers el-Kebir
principalement, est entièrement aux mains des Espagnols. Quant aux migrants, la
balancelle utilisée est un moyen bien commode pour une traversée de quelques
heures. Pourtant, dès 1846, quelques
initiatives personnelles créent une ligne
régulière entre Oran et Valence. La
balancelle, cependant, reste très appréciée
et apparaît souvent comme la contrepartie
"clandestine" du navire. Et durant les années
1830-1860 les Espagnols qui arrivent sans
passeport représentent une fraction
considérable des arrivées à Oran.
Et pourtant, la vie en Oranie n’était pas des plus facile. Suite au déclin de l'empire
ottoman, la France prend le contrôle de l'Algérie en 1830, déclenchant des batailles
contre Abd-El-Kader, l'armée marocaine et les Berbères jusqu'en 1870. En 1847, des
Français, Espagnols, Maltais, Italiens, Suisses et Allemands affluent à Oran. Une

18
voir le livre “Espagnol en Oranie: histoire d'une migration, 1830-1914” de Jean-Jacques Jordi - 1996 - Editions Jacques
Gandini à Nice
19

épidémie de choléra en 1849 (et entre 1861 et 1872) ainsi que d'autres crises
climatiques, sanitaires, famines et épidémies réduisent la population locale.
L'annexion de l'Alsace-Lorraine par l'Allemagne en 1870 entraîne un nouvel exode de
population vers l'Algérie. Le nombre de colons triple entre 1872 et 1914. Oran
devient la ville la plus européenne d’Algérie avec une forte présence d’origine
espagnole, soit 65% de sa population en 1948.
Quand Pascual Servera y Gilabert prend sa décision d’émigrer en Oranie, la
sécheresse de 1846 dans la région d'Alicante était si forte et les conditions de vie
devenues si difficiles que même le capitaine général de Valence en 1849 écrivait: "la
situation est si dure qu'ils ont la triste alternative de mourir de faim avec leur
familles ou d’émigrer vers les côtes africaines voisines »19. Le niveau de vie était l'un
des plus bas du pays, avec peu de travail possible. Les régions un peu plus prospères
de la province comme Alcoy, avec une industrie naissante, ou le travail dans le port
d'Alicante, ne pouvaient absorber tous les travailleurs. Ainsi, on peut dater
l'émigration d'Alicante vers l'Algérie au début de la colonisation française. C’est à
partir de 1845 que l'émigration d'Alicante vers l'Algérie atteint son plein
développement. Les premiers émigrants appartenaient aux vergers d'Alicante, puis
se sont ensuite étendus à la terre ferme, comme Muchamiel, San Juan, Benimagrell,
Santa Faz, Villafranqueza20.
Son père, Vicente, n’a pas 60 ans quand il décède en octobre 1846 à Oran. Puis en
juin 1850, c’est à Mers-el-Kébir (à 7 kms d’Oran) que Pascal, briquetier, épouse
Joséphine Yvanez y Silvestre, originaire d’Altea, à 33 kms d’Orba. Leurs trois
premiers enfants naissent dans cette ville: Vincent 1854-1857, Joséphine 1856-1857,
Sébastien 1858-1914. Les deux derniers naissent à Nemours (Ghazaouet), qui se
trouve à 180 kms au sud-ouest d’Oran, sur la côte méditerranéenne, près de la
frontière avec le Maroc : Vicenta 1863-? et Gabriel 1866-1919. Sébastien et Gabriel
deviendront briquetiers.
Cette génération est devenue la cible de la politique d’assimilation fondée sur le
droit du sol laquelle trouva son aboutissement dans la loi du 26 juin 1889. Elle
instaurait la naturalisation automatique des enfants d’étrangers nés sur le sol
national - ce qui, depuis le décret du 5 mai 1848, incluait l’Algérie - et y résidant à
leur majorité, à moins qu’ils ne le refusent explicitement dans l’année. Un double
droit du sol était même consacré, puisque la deuxième génération étrangère née en
France était déclarée française dès sa naissance.

19
VILAR RAMÍREZ, Juan Bautista, (1982), Los alicantinos en la Argelia Francesa, Alicante, Anales de la Universidad de Alicante,
Colección de Historia Contemporánea. Page 23
20
BONMATÍ ANTÓN, José Fermín (1988), La emigración alicantina a Argelia, Alicante, Universidad de Alicante. Page 45
20

La fiche militaire de Sébastien Servera21 est intéressante à ce titre. Il est de la classe


de mobilisation de 1880 et c’est probablement avant cette période qu’il a été
convoqué pour le conseil de révision qui l’a déclaré apte. Mais comme il est absent à
l’appel de sa classe de mobilisation en août 1881 au 1er régiment de Zouaves, il est
déclaré insoumis, ce qui peut entraîner une peine extrêmement lourde par le Conseil
de Guerre. Il faudra 10 ans à l’administration militaire pour décider d’un non lieu car
Sébastien Servera avait satisfait aux obligations militaires en Espagne. Étant sujet
espagnol, il avait sûrement une option pour effectuer son service en Espagne ou en
France. Si cette erreur administrative est déplorable, elle offre l’avantage d’offrir des
informations intéressantes sur sa fiche militaire qui n’aurait pas existé sans cette
erreur.
On sait que Sébastien est né à Nemours (Ghazaouet). Quand sa fiche militaire est
établie vers 1880, il habite toujours à Ghazaouet. Puis il a dû partir en Espagne le
temps de son service militaire. Ensuite, on ne sait pas grand chose de sa vie, sauf
qu’il était briquetier. Sa fiche indique qu’en 1891, il habite Nedromah (à 20 km de
Ghazaouet), en 1892 il réside à Marnia (30 km au sud de Nedroma), et 1899 il habite
à Noisy les bains (Aïn Nouissy, à 250 km au nord ouest de Marnia et 70 km à l’ouest
d’Oran) . Pour finir, sa fiche indique qu’en 1904 il réside à L’Hillil, à 35 km du
précédent domicile. C’est cohérent avec un entrefilet nécrologique du journal L’écho
d’Oran du 26 mars 1914 qui mentionne que Servera Sébastien, briquetier, est décédé
à L’Hillil.
On ne trouve pas de mention de mariage et de naissance, ce qui laisse penser qu’il
est resté célibataire.
Les photographies étaient rares à l’époque mais grâce à sa fiche qui donne une
description de son physique, on peut imaginer à quoi il ressemblait: cheveux
châtains foncés, yeux noirs, visage ovale, menton rond, front large, nez et bouche
moyens. Il mesure 1,76m alors que la moyenne des espagnols en 1880 est 1,63m22.
Pour confirmer que la stature des Servera est loin des clichés sur les espagnols et les
méditerranéens en général, les fiches militaires des 2 neveux de ce Sébastien ( les fils
de son frère Gabriel) indiquent 1,75m pour Vincent (né en 1894), mari de Elise
Segura et 1,77 m pour son frère Sébastien (né en 1897).

21
http://anom.archivesnationales.culture.gouv.fr/regmatmil/osd.php?clef=Servera-S%C3%A9bastien-1880-122-Alg%C3%A9rie-Oran
-1858-12-11-Mers+el+K%C3%A9bir-Oran-
22
L'accroissement de la stature en France de 1880 à 1960 ; comparaison avec les pays d'Europe occidentale (article de
M.-C Chamla) - https://www.persee.fr/doc/bmsap_0037-8984_1964_num_6_2_1275
21

Dernière information importante: le chiffre 2 indiqué pour le niveau d’instruction


signifie qu’il sait lire et écrire, alors que la génération précédente déclarait ne pas
savoir signer… L’école gratuite et obligatoire pour tous a porté ses fruits.
Nous avons un peu plus d'informations sur la vie de Gabriel, dernier enfant de
Pascual. Il est né le 25 mai 1866 à Nemours (Ghazaouet). Il a 20 ans quand sa mère
décède à Blida, près d’Alger. Son père Pascual est toujours vivant et présent à son
mariage avec Josefa Lucia Martinez y Llovador à Nemours le 28 mai 1892. Elle a 20
ans et lui a 26 ans. À l’âge de 10 ans, elle a perdu sa mère (originaire de la région
d’Alicante) et 5 ans plus tard, c’est son père (originaire aussi d’Alicante) qui meurt.
Ils auront 3 enfants, l'aîné est né à Nemours, tandis que les deux suivants sont nés à
Oran: Vincent, Pascal (1894-1956); Sébastien, Gabriel (1897-1958) et Joséphine
(1898?-1956?). On remarque que les prénoms donnés aux garçons sont ceux du
grand-père, du père, du frère de Gabriel et le sien. Pour la fille, Joséphine est à la fois
celui de sa femme, de sa mère et de sa grand-mère… Ce sera une des dernières fois
où la tradition de reprendre les prénoms des parents et grands-parents est
appliquée.
Malheureusement le 5 décembre 1899, son épouse Josefa, qui n’a que 27 ans, décède
à Mostaganem. Gabriel se retrouve seul avec 3 enfants en bas âge (5 ans, 2 ans, 1
an). La mémoire familiale ne semble pas avoir transmis d’informations sur la
manière dont ces 3 enfants ont pu être pris en charge. L’état civil mentionne
seulement que Gabriel, 8 ans plus tard, s’est remarié en juillet 1907 à Marnia avec
Maria de la Asuncion Días.
Le parcours de Gabriel, et aussi de ses trois enfants, a été le suivant: né (1866) puis
marié (1892) à Nemours où naît son premier fils (1894) , puis Oran où naissent les
deux autres (1897 et 1898), Mostaganem où décède sa femme (1899), puis Marnia oú
il épouse Maria Dias (1907). Pour finir, il s'installe à L’Hillil avec sa famille, où il
décède le 5 mai 1919. Une photo de son fils Vincent avec deux autres camarades,
datant certainement de 1912 ou 1913, a été identifiée comme étant prise à L’Hillil
car le patron boulanger est un certain Monsieur Cano, bien connu à L’Hillil à cette
époque. Pourquoi cette ville ? Probablement parce que son frère y demeurait déjà
depuis 1904, comme briquetier chez Lacotte, gros propriétaire dans cette ville.
Puis la première guerre mondiale est déclarée. Les émigrés espagnols naturalisés
français sont des citoyens à part entière et avec patriotisme ils s’engagent pour
combattre l’ennemi allemand et ses alliés.
Vincent a 20 ans en 1914 et il est incorporé le 18 octobre au 2ème régiment de
Zouaves. Il combattra les allemands en France ( blessé le 6/6/1915 à la bataille de
22

Tracy-le-Mont ), dans l’Armée Française d’ Orient (notamment en Serbie, Grèce et


Albanie) et à nouveau en France (seconde bataille de la Marne) où il est très
grièvement blessé à Château-Thierry le 18/7/1918. Au titre de ses actions, il a reçu
des distinctions honorifiques: la médaille militaire (dite “médaille des braves”) et
Croix de Guerre 1914-1918 avec palme. Puis le titre de Chevalier de la Légion
d’Honneur lui a été décerné en reconnaissance des actes de bravoure qu’il a réalisés
comme soldat au 6ème régiment de Tirailleurs Algériens.
La vie de Vincent va faire l'objet d'un document séparé car, outre son enfance
difficile et son rôle de père de famille nombreuse, son parcours héroïque durant la
première guerre mondiale est relativement bien documenté. Sa biographie pourra
donc être source d'inspiration à plus d’un titre.
Rentré à L’Hillil en 1919, amputé de la cuisse droite, Vincent apprend un nouveau
métier et devient cordonnier. C’est tout un symbole, pour une famille qui s’est
construite, a été blessée, s’est relevée et aide les autres à marcher…
C’est de retour à L’Hillil qu’il rencontre Elise Segura, elle aussi victime de la Grande
Guerre puisqu’elle se retrouve seule avec un fils, Vincent Llilio, pupille de la Nation,
car son père, engagé volontaire, est mort pour la France en 1918. Elle était aussi
orpheline de mère depuis l’âge de 7 ans. Ensemble, ils vont construire une famille de
4 filles et un garçon:
- Lucie (1921-2013) qui épouse Armand PARDO (1920-1998) et ont trois
enfants: Richard, Geneviève et Bernard.
- Arlette (1923-2005) qui épouse Victor CASTELLANOS (1921-1998) et ont eu
5 enfants: Guy, Luc, Yves, Simone et Edmée.
- Édouard (1925-2004) qui épouse Rosette PEREZ ( ?- ) et ont eu 5 enfants:
François, Claude, Lucien, Thierry, Simone.
- Renée (1928- ) qui épouse Alfred GERMAN (1924-2002) et ont eu 4 enfants:
Denis, Ghislaine, Chantal et Marcel.
- Yvonne (1932-2013) qui épouse Jean SANCHEZ (1927-1999) et ont eu 5
enfants: Jean-Yves, Bernard, Gérald, Lydie et Pascale.
Et bien sûr Vincent Llilio (1913-1993) qui épouse Madeleine MONTOYA
(1916-2015). Ils ont eu 5 enfants: Colette, Serge, Gérard, Élise et Vincent.
Une grande partie de ces 26 petits-enfants de Vincent et Elise Servera est encore en
vie et beaucoup sont à leur tour grands-parents, voire arrière-grands-parents. Ils
sont répartis aux 4 extrémités de la France, de l’Europe et même du Monde, avec des
mélanges d’origines intéressants. Ainsi va la vie !
23

Une dernière branche Servera reste à présenter: celle de la fratrie de Vincent


(Sébastien et Joséphine). Le décès de leur maman Josefa alors qu’ils étaient enfants,
puis celui de leur papa Gabriel en 1919, ainsi que la Grande Guerre, les ont séparés
géographiquement. On ne retrouve pas beaucoup de traces de Joséphine, mais on
sait qu’elle s’est mariée en 1950 à Sidi Slimane (Maroc) avec Vincent Brotons. Il
décède en 1954 et elle aussi, peu de temps après, sans aucun enfant.
Mais il y a une ville d’Algérie que Vincent et Sébastien avaient en commun. C’est
L’Hillil où habitait Sébastien en 1916, où est née sa fille Albertine le 29/6/1920, où
est décédé leur père Gabriel le 5/4/1919, où s’est marié Vincent le 24/05/1920 et où
sont nés 5 de ses enfants de 1921 à 1928.
Le second enfant de Sébastien, Pascal, naît le 1/11/1924 à Tiaret, à 120 km au
sud-est de L’Hillil. Puis Sébastien est embauché en décembre 1927 comme chauffeur
à la Compagnie des Tramways et Autobus (C.T.A.) de Casablanca. Sa fiche militaire
ajoute machiniste à sa profession et Sébastien travaillera dans cette compagnie
jusqu’à son départ en France. Mais sa vie a été très douloureuse. Son fils Pascal est
mobilisé au Régiment des Tirailleurs Marocains engagé dans la Campagne d'Italie et
la Bataille du Monte Cassino, au sein du Corps expéditionnaire français du maréchal
Juin. Le régiment subit de très lourdes pertes pendant la bataille du Garigliano en
Italie en mai 1944. Pascal meurt au combat le 22 mai, dans sa vingtième année. Sa
mère, née Marie Joséphine Galland, mourra 10 ans plus tard.
La famille aura payé un lourd tribut à servir et défendre leur pays, la France.

Nous sommes dans les années 50 et la Métropole se reconstruit tandis que les
colonies françaises d'Afrique du Nord vivent des tensions puis des événements de
plus en plus graves.
De la lignée des Servera, il en reste 2 et leurs descendants.
À L'Hillil (Algérie), Vincent avec sa femme et leurs 6 fils et filles, tous mariés ayant
eux-mêmes des enfants (certains sont déjà installés en métropole.
À Casablanca (Maroc), Sébastien, veuf accompagné de sa fille Albertine, son gendre
Joachim Seldran et leurs enfants.
Après 130 ans au nord du continent africain, une nouvelle migration se prépare, et
à la différence des autres, elle n'est pas choisie…
24

IX - Le contexte du départ d’Algérie


L'abandon de l'Algérie par la France dans les années 1950-1960 se situe dans le
contexte de la guerre d'indépendance algérienne, qui a été marquée par des tensions
croissantes entre les populations autochtones, les colons et les habitants français.
Les raisons comprennent des revendications nationalistes algériennes, les coûts
financiers et humains de la guerre, ainsi que la pression internationale pour mettre
fin au colonialisme. L'accord d'Évian en 1962 a finalement conduit à l'indépendance
de l'Algérie et les derniers français d’Algérie doivent fuir leur pays pour venir en
France métropolitaine23. C’est le récit des historiens, certes simplifié, mais il y a
encore des témoins dans la famille Servera qui sauront, mieux que ces quelques
phrases, comment ils ont vécu ces années et ce départ forcé.
Avant le paroxysme de la guerre, Victor Castellanos et Arlette, fille ainée de Vincent
et Élise, s’installent dans le sud-ouest de la France, à Estang, probablement suite à
des opportunités de travail. Vaillament, Victor crée et développe une entreprise de
meubles qu’il fait prospérer.
Les familles dont les membres habitaient relativement près les uns des autres en
Algérie se retrouvent disséminées aux 4 coins de l’Hexagone. Souvent, un frère, une
sœur ou un cousin déjà installé sur le territoire sert de point d'accueil. Chez les
Servera, Arlette et Victor Castellanos sont des hôtes accueillants pour toute la
famille élargie. Leur maison dans le village gersois de Estang est une halte bénéfique
pour plusieurs avant de partir au Havre, au Creusot ou ailleurs. Les grands-parents
Vincent et Élise étaient installés près de chez Arlette et Victor depuis plusieurs
mois. Puis le 21 août 1957, le papa Servera décède à l'hôpital de Mont de Marsan, des
conséquences de ses blessures de guerre. Élise meurt en 1963 d’un accident.
Armand Pardo et Lucie habitent dans diverses villes, au gré des emplois et des
opportunités: Angoulême, Pau, Tarbes, Perpignan, Saint-Cyprien.
Edouard Servera et Rosette trouvent leur nid à Béziers, ainsi que Vincent Llilio et
Madeleine.
Alfred German et Renée vivent plusieurs années au Creusot puis au Pays Basque.
Jean Sanchez et Yvonne s’installent au Havre puis viennent aussi au Pays Basque.

Aujourd’hui, en 2023, les blessures ne sont sûrement pas refermées pour ceux qui
sont vivants et ont connu le “rapatriement”. Et les générations suivantes de leurs

23
En 1962, sur les 900 000 Pieds-noirs qui débarquent en France, 400 000 sont Espagnols ou descendants d’Espagnols.
25

enfants, petits-enfants ont un regard distancié sur leurs ancêtres pieds-noirs.


Pourtant les livres et les reportages ne manquent pas mais l’expérience des parents,
voire des grands-parents, résiste peu à l’usure du temps.
Certes, les descendants sont nombreux après 4 ou 5 générations et Vincent et Élise
seraient fiers d'avoir généré une telle progéniture, plus de 80 "héritiers". Le niveau
social de la plupart des petits enfants et arrières petits enfants a augmenté d'un ou
plusieurs crans par rapport à leurs ancêtres agriculteurs ou petits artisans. Beaucoup
ont réalisé le rêve ancestral de "faire construire" et de devenir propriétaire. Sans
doute que la valeur travail transmise a porté ses fruits, la qualité et le niveau de vie
sont meilleurs, les maladies sont mieux soignées.
Plus largement, ces migrations de la Catalogne à Majorque, de Majorque à la région
de Valencia, de Valencia à l’Afrique du Nord et de l’Afrique du Nord à la France n’ont
pas été faciles et même si il y a des périodes de bonheur, ces différentes migrations
ont souvent représenté une grande souffrance pour ceux qui les ont vécues. Mais
une fois le traumatisme absorbé, la résilience ancestrale a permis de participer au
progrès de la société et de laisser la preuve d'une capacité d'adaptation remarquable.
Les capacités d'adaptation héritées des ancêtres pourront offrir aux descendants
Servera une vie humainement plus riche et plus épanouissante. J'espère qu'ils
sauront se souvenir des chemins par lesquels sont passés leurs ancêtres et que cette
connaissance les aidera dans leur vie.

X - Réflexion sur cette saga des Servera


Ma réflexion sur cette fresque historique familiale m'amène à considérer que ce sont
4 verbes d'actions qui ont caractérisé ces différentes générations de Servera:
repeupler, s’adapter, s'intégrer et repartir ! Ils n’avaient certainement pas vocation à
suivre cette démarche mais les circonstances en ont voulu ainsi. Et si cela a persisté
pendant 8 siècles, probablement que c’est maintenant inscrit dans les gênes de la
descendance. Regardons rapidement comment ces 4 actions ont été vécues:

- Repeupler: les Servera ont participé aux missions de repeuplement de


Majorque, du royaume de Valencia, de l’Algérie française puis de la France
d’après guerre. Et ces repeuplement ont fortement dynamisé l'économie des
pays d’installation. Certes, les conditions de vie n’ont pas toujours été
favorables car les épidémies et les famines faisaient beaucoup de victimes.
26

Mais ce repeuplement a permis de traverser les siècles et laisser aujourd’hui


une nombreuse descendance, fruit d’une sélection naturelle favorable.
- S'adapter: le climat et la situation de Majorque et de la Marina Alta ne
présentaient pas trop de difficultés pour des catalans. La langue majorquine
est une extension du catalan et le valencien, que parlait encore Vincent
Servera, est aussi très proche. L’adaptation au français en Algérie fut plus
difficile mais rapidement intégré malgré une vie quotidienne entre valenciens
qui étaient majoritaires en Oranie. Lorsque la population française d’Algérie
arrive en France, elle parle la même langue, a les mêmes bases scolaires, la
même idée de la patrie, et cela pourrait laisser croire que l'adaptation est très
simple. Mais le choc du départ, le sentiment profond de trahison et
d'abandon, la perte des repères familiaux, tout cela a constitué un frein au
processus d'adaptation. De plus, l'accueil d'une partie de la population locale
était plutôt glacial, voire avec des mouvements de rejets. Il a fallu déployer
beaucoup d'efforts pour survivre dans un premier temps au climat (surtout
pour ceux qui étaient mutés dans le Nord), pour la recherche de logement et
de travail, et repartir à zéro pour construire un réseau social et amical. C'est
un point fort, quasi génétique, des populations migrantes et nous savons
combien les Servera ont été de grands nomades obligés de s'adapter.
- S'installer: après l'adaptation arrive le temps de l'installation, tant matérielle
que morale. La greffe a pris quand le retour en arrière n'est presque plus
possible. Les plus gros obstacles ont été franchis et il faut maintenant assurer
l'avenir de la famille. L'installation passe par l'intégration, l'assimilation,
l'insertion ou inclusion, ces termes qui véhiculent des nuances subtiles et
intéressantes. Les Servera, agriculteurs probablement à Majorque, briquetiers
en pays Valencien, artisans et employés en Algérie, avaient trouvé leur place
dans la cité. S’ils n’étaient pas devenus propriétaires, ils avaient un statut
professionnel et social stable. Rentrés en France, 60 années et 2 générations
après, l'intégration s’est réalisée par la disparition progressive des accents, du
vocabulaire et expressions et par les mariages avec des conjoints locaux,
rarement avec des pieds-noirs. Il n'y a pas vraiment eu de communautarisme
"rapatrié" et la diversité de la société française n'ayant fait qu'augmenter,
l'intégration des pieds noirs a finalement été réussie. Cette intégration est à
prendre comme un avantage car elle procède aussi d'un enrichissement
mutuel et d'un apport certain à la société française. Les parcours en
Catalogne, Baléares, royaume de Valencia et Algérie font partie du patrimoine
27

génétique, culturel, psychologique, physique que chaque membre de la


famille Servera a reçu, a développé et transmis à ses propres enfants. La part
de chacune de ces étapes chez les descendants d'Elise et Vincent est à
rechercher, identifier, valoriser, comme un héritage immatériel précieux. Puis
la nouvelle part, attachée au présent et au futur en France, viendra compléter
et enrichir le patchwork de notre héritage. C'est ce que j’ai souhaité
développer à travers ce document destiné aux générations actuelles et à venir.
- Repartir: à ces 3 époques du passé de la famille Servera, il est facile de
constater que le cycle a débouché sur un autre départ, une autre migration,
volontaire ou forcée. Mais comment deviner maintenant quand et où sera la
prochaine migration massive des descendants des Servera. Aujourd'hui, il y a
déjà des arrières petits enfants d'Elise et Vincent dans d'autres pays que la
France. Ce sont des expatriés (et pas rapatriés) volontaires. Quand on entend
certains visionnaires voulant créer une colonie humaine sur Mars, on se croit
en plein film de science-fiction. Mais peut-être que nous n'aurons pas le
choix...et les Servera seront peut-être du voyage !

Pour finir avec un clin d'œil, cette entreprise24 vue à Majorque, distributeur de produits
alimentaires, a un logo qui résume bien le cheminement des Servera :

toujours en mouvement !

24
https://grupo.distribucionesservera.com/
28

ELISE VINCENT LUCIE ARLETTE

VINCENT EDOUARD RENÉE YVONNE

Photo prise en 1933 devant la cordonnerie et logement familial, 42 avenue Aristid Briand, quartier Choupot à Oran (colorisée)
29

Postface

Retracer 8 siècles (de 1229 à 2023) de cheminement d’une lignée des SERVERA était
un défi osé mais important pour moi. Car regarder dans le passé permet de mieux se
connaître soi-même et de voir plus loin dans le futur. Un dicton chinois dit
qu’oublier ses ancêtres, c’est être un ruisseau sans source, un arbre sans racines.
Mon plus grand souhait est d’avoir apporté un peu d’eau au moulin de la belle
histoire familiale Servera en faisant cette longue fresque historique.

Ce modeste livret n’est ni exhaustif, ni parfait et il y a certainement des points à


discuter, voire à corriger: ce serait précieux et utile de me le dire pour l’améliorer.
N'étant pas de la famille directe et n'ayant pas vécu cette histoire familiale de
l'intérieur, je ne suis pas légitime pour la décrire. Mais cela fait presque un
demi-siècle que je questionne et que je fais des recherches sur la généalogie de mes
beaux-parents Renée Servera et Alfred German. Et le temps passant, je ressens
aujourd’hui la nécessité d'accomplir un devoir de transmission envers les nouvelles
générations.

Ce livret n'aurait pas été possible sans le travail précurseur de Vincent Lillio et
surtout sans l'aide efficace récente de Richard Pardo grâce à son réseau important
sur la région d’Alicante, notamment l’apport fantastique de Francisco Caravaca,
historien de Orba rencontré par Richard en 2021. Les cousinades organisées à Estang
en septembre 2011 et à Gruissan en mai 2013 avaient déjà renforcé ce désir de
retrouver et de présenter ces racines.

Toutefois, il existe encore de meilleures mémoires de la vie familiale Servera et je


pense que les petits-enfants de Vincent et Elise, notamment ceux qui ont vécu en
Algérie, pourront sans hésitation partager leurs connaissances et compléter voire
corriger cet écrit. L'avantage principal de ce document est surtout d'exister, car les
paroles s'en vont mais les écrits restent. Et j'espère que les vrais acteurs de cette saga
Servera sauront saisir cette occasion pour laisser aux jeunes et aux futures
générations la mémoire et l'enseignement positifs de leurs ancêtres afin de
développer une vie familiale épanouie et fière d'appartenir à cette digne lignée. Mon
plus grand espoir est que les informations de cette saga et de ce livret se
transmettent de génération en génération !
30

Résumé du cheminement de 90 générations de Servera !

Avant 1230 : probablement en Catalogne depuis l’antiquité, les


ancêtres Cervera ont subi plus ou moins les différentes influences des
cultures des peuples qui ont occupé cette région (les ibères, les
phéniciens, les grecs, les romains, les wisigoths et les maures) durant les
nombreux siècles et la soixantaine de générations successives…

1230 à 1615 : installés au Nord-est de l’Île de Majorque pendant 385


années, les quinze générations successives de Servera ont vécu dans
cette île et ont créé et transmis la culture majorquine.

1615 à 1845 : transplantés dans la région de Marina Alta, Valencia,


Espagne, les 7 générations successives de Servera ont vécu là 230
années et ont développé un amalgame entre leurs racines catalanes,
majorquines et valenciennes.

1845 à 1960 : dans la région d’Oran d’une Algérie devenue française, 5


générations et 115 années ont produit la culture pied-noir, résultante
d’un mélange original et fructueux de plusieurs civilisations
méditerranéennes.

Depuis 1960 : depuis l’arrivée en Métropole des six enfants de Vincent


et Elise et de la fille de Sébastien (le frère de Vincent), plus de 60 ans se
sont écoulés et la descendance Servera s’est prolongée de 3 à 4
générations nouvelles.

Le voile sur les origines a été partiellement levé, l’itinéraire


a été retracé, maintenant l’avenir reste à écrire par chacun de
ces descendants !
31

SOMMAIRE

Introduction page 3

Le fil conducteur et l’objectif page 4

Servera: Étymologie, Signification et Origines du nom page 5

I-La Catalogne, de la préhistoire aux Romains page 8

II-La Catalogne, des Romains à Charlemagne page 8

III-La Catalogne, de Charlemagne à la conquête des Baléares page 9

IV-Le repeuplement des Baléares page 9

V- Crise économique à Majorque en 1600 page 12

VI- Expulsion des Morisques et repeuplement de la Marina Alta page 13

VII- L’Espagne au 19ème siècle page 16

VIII- L’arrivée et l’installation en Algérie page 17

IX- Le contexte du départ d’Algérie page 24

X- Réflexions sur cette saga des Servera page 25

Postface page 29

Résumé du cheminement de 90 générations Servera page 30


32

À NOTER POUR LA SUITE

Pour toute remarque, idée, suggestion, n’hésitez pas à m’adresser un mail à


michel.aimonetti@gmail.com

NB Un livret sur la vie de Vincent Servera est à l’étude ainsi qu'un autre sur la
branche Segura.

Pour plus de détails sur la généalogie des Servera, il y a geneanet.org où vous pouvez
ouvrir un compte gratuit vous permettant de consulter cette généalogie détaillée et
remonter l'arbre à partir de Chantal German pour la branche Servera. De même,
vous trouverez sur filae.com la même généalogie plus complète, avec accès à
certains documents familiaux historiques.

Version 2023.09A

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