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JEAN LALIBERTÉ

LES
POLITIQUE MINISTRES ADAPTATION FINS
PAYS DEVELOPPES

DEBAT PIEGESCITOYENS COMMISSIONS


ROUAGES COMPORTEMENTS
CONSIDERATIONS
MODELE QUEBECOIS

CULTMAIN
RES
BUREAUCRATIE ORGANISATIONS SCIENCE POLITIQUE

SOCIETEMEFIANCE
PERCEPTION NEGATIVE POLITIQUE PARTISANE
POUVOIR
MINISTERES
FONCTION PUBLIQUE

DECISIONS MYTHE DIPLOME

REINGENIERIE
URE

DECISION INCOMPÉTENTS
CHANGEMENT INDIVIDUS
APPAREIL GOUVERNEMENTAL
MAITRE REALITE
HAUTS FONCTIONNAIRES

REGNE

PONGANISA
ECONOMIQUES

CONTROVERSE
ETAT
DEMOCRATIE PAIX
TABOUS

INTERETS
ADMINISTRATIFS

IRRATIONALITE
COMPROMIS
ARENE POLITIQUE

TIENCONCILIATION
OR
SECRETS
JEUX

PARTIS TAXES

SABTIONNE
REGLES

ABSTRACTIONS
ENIGMATIQUE
DEFAUTS
RIVALITE
INSTRUMENTS

I
COALITIONS

LITLELSE
ENTITE RISQUES TALENTS
FONCTIONNEMENT
COMPROMIS ART
BICEPHALE
LENTEUR
OBSERVATEUR
COMPÉTITION GOUVERNEMENT

GRANDES ORIENTATIONS INOPERANTS TRIBUNAUX CLANS INSTRUITS

ETABLISSEMENTS
LOIS
MALV POPU
PREMIER MINISTRE GESTION

ORGANIGRAMMES
SOUS-MINISTRE
TRANSPARENCE
INTERVENTION ENJEU
SOCIETES

COMPLEXE CARRIERE CONSEIL DU TRESOR NORMES


MESURES FISCALES
PARAPUBLIC

EDUCATION IMPOTS LUCIDES ASSURANCE TENDANCES


ENTITE
ETATIQUES
MISSION
LITIGES
SYNDICATS
ASSEMBLEE NATIONALE
DEVELOPPEMENT

ERSA LATION
TERRITOIRE
EMPLOYEURS
CONSOMMATEURS

IMMIGRANTS

RETRAITE
VIRAGE
TRAVAILLEURS
INSTITUTIONS
PREDOMINANTE

ADMINISTRATEURS
TECHNOCRATIQUE
SERVICES
INCITATIFS
DROITS
TACHES
TIONS
D'ETAT

PARLEMENTAIRES
DECENTRALISEE
SOLIDAIRES
PERIPUBLIC
ELUS

SECTEUR
BESOINS LOURDEUR
CLIENT CONTRAINTES
DECODER
OMBRES

CONTRIBUABLE
JUSTICE

EGALITE SCANDALES
FINANCES
JURISTES

BUDGETS CLIENTELE
PATRONS CONFIANCE
HARMONIE
EPARGNE

CENTRALE REPUTATION
ARGENT

AUTORISATION
COMMISSIONS
MACHINE INTEGRITE
ERREURS DELAIS CABINET
ACTEURS REGISTRE COUTS INTERVENANTS VULNERABLE INTENTIONS
PARLEMENT

FLEXIBILITE STRUCTURES
LIGN

ORGANISMES
DECISIONGOUVERNEMENT

COORDONNER
SURVEILLES RIGUEUR
COMENPJEUX

SUBVENTIONS ORIENTATIONS
CONVENTIONSSECRETAIRES

INFORMELLES
COMMUNICATIONS
DECLARATIONS
DIRECTEURS GENERAUX

DECISIONS

PROGRAMMES
GAL

GRANDES ORIENTATIONS
BIEPNROMOTIONS
CADRE LE E

DIRECTIVES NEUTRALITE
HIERARCHIES TENSIONS

LITIGES FONCTIONS
ANDIT

INTERETS
CLIENT
PARTIS
E DETIMENTE

ENTITE SECURITE
ORIENTER CLANS
AR

GAGNANTS
CATEGORISE DEPENDANCE
CRITIQUES MECONNUE
PAR

COMM

CAMP DIRIGEANTS
COMM

OPPOSITION SPECIALISTES
RESPECT MEFIANCE INFLUENCER
PARLEMENT
TI

AUTONOMIE
EQUIPE

POLITISES
RESEAUX

POSITIONS RIGIDIFIE SECTEUR


RIVALITES CONTROLE LENTEUR BUDGETS
TACTIQUES ADVERSAIRES
DURABLE DELAIS TAXES
UN

CONSTATS
CONTROLE REELECTION
CONSEIL GROUPES
MANDAT BLAME REVENUS VALEURS CHEF PERSONNEL PROCEDURES

POLITIQUE, BUREAUCRATIE ET JEUX DE POUVOIR

SEPTENTRION
les fonctionnaires
À Ginette
Pour ses conseils, son appui,
sa présence et son amour

Pour communiquer avec l’auteur :


jeanlaliberte@ymail.com
Jean Laliberté

LES
POLITIQUE MINISTRES ADAPTATION FINS
PAYS DEVELOPPES

DEBAT PIEGESCITOYENS COMMISSIONS


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MODELE QUEBECOIS

CULTMAIN
RES
BUREAUCRATIE ORGANISATIONS SCIENCE POLITIQUE

SOCIETEMEFIANCE
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POUVOIR
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FONCTION PUBLIQUE

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REINGENIERIE
URE

DECISION INCOMPÉTENTS
CHANGEMENT INDIVIDUS
APPAREIL GOUVERNEMENTAL
MAITRE REALITE
HAUTS FONCTIONNAIRES

REGNE

PONGANISA
ECONOMIQUES

CONTROVERSE
ETAT
DEMOCRATIE PAIX
TABOUS

INTERETS
ADMINISTRATIFS

IRRATIONALITE
COMPROMIS
ARENE POLITIQUE

TIENCONCILIATION
OR
SECRETS
JEUX

PARTIS TAXES

SABTIONNE
REGLES

ABSTRACTIONS
ENIGMATIQUE
DEFAUTS
RIVALITE
INSTRUMENTS

I
COALITIONS

LITLELSE
ENTITE RISQUES TALENTS
FONCTIONNEMENT
COMPROMIS ART
BICEPHALE
LENTEUR
OBSERVATEUR
COMPÉTITION GOUVERNEMENT

GRANDES ORIENTATIONS INOPERANTS TRIBUNAUX CLANS INSTRUITS

ETABLISSEMENTS
LOIS
MALV POPU
PREMIER MINISTRE GESTION

ORGANIGRAMMES
SOUS-MINISTRE
TRANSPARENCE
INTERVENTION ENJEU
SOCIETES D'ETAT

COMPLEXE CARRIERE CONSEIL DU TRESOR NORMES


MESURES FISCALES
PARAPUBLIC

EDUCATION IMPOTS LUCIDES ASSURANCE TENDANCES


ENTITE
ETATIQUES
MISSION
LITIGES
SYNDICATS
ASSEMBLEE NATIONALE
DEVELOPPEMENT

ERSA LATION
TERRITOIRE
EMPLOYEURS
CONSOMMATEURS

IMMIGRANTS

RETRAITE
VIRAGE
TRAVAILLEURS
INSTITUTIONS
PREDOMINANTE

ADMINISTRATEURS
TECHNOCRATIQUE
SERVICES
INCITATIFS
DROITS
TACHES
TIONS
PARLEMENTAIRES
DECENTRALISEE
SOLIDAIRES
PERIPUBLIC
ELUS

SECTEUR
BESOINS LOURDEUR
CLIENT CONTRAINTES
DECODER
OMBRES

CONTRIBUABLE
JUSTICE

EGALITE SCANDALES
FINANCES
JURISTES

BUDGETS CLIENTELE
PATRONS CONFIANCE
HARMONIE
EPARGNE

CENTRALE REPUTATION
ARGENT

AUTORISATION
COMMISSIONS
MACHINE INTEGRITE
ERREURS DELAIS CABINET
ACTEURS REGISTRE COUTS INTERVENANTS VULNERABLE INTENTIONS
PARLEMENT

FLEXIBILITE STRUCTURES
LIGN

ORGANISMES
DECISIONGOUVERNEMENT

COORDONNER
SURVEILLES RIGUEUR
COMENPJEUX

SUBVENTIONS ORIENTATIONS
CONVENTIONSSECRETAIRES

INFORMELLES
COMMUNICATIONS
DECLARATIONS
DIRECTEURS GENERAUX

DECISIONS

PROGRAMMES
GAL

GRANDES ORIENTATIONS
BIEPNROMOTIONS
CADRENLDEITE

DIRECTIVES NEUTRALITE
HIERARCHIES TENSIONS

LITIGES FONCTIONS
INTERETS
CLIENT
PARTIS
E DETIMENTE

ENTITE SECURITE
ORIENTER CLANS
AR

GAGNANTS
CATEGORISE DEPENDANCE
A

CRITIQUES MECONNUE
PAR

COMM

CAMP DIRIGEANTS
COMM

OPPOSITION SPECIALISTES
RESPECT MEFIANCE INFLUENCER
PARLEMENT
TI

AUTONOMIE
EQUIPE

POLITISES
RESEAUX

POSITIONS RIGIDIFIE SECTEUR


RIVALITES CONTROLE LENTEUR BUDGETS
TACTIQUES ADVERSAIRES
DURABLE DELAIS TAXES
UN

CONSTATS
CONTROLE REELECTION
CONSEIL GROUPES
MANDAT BLAME REVENUS VALEURS CHEF PERSONNEL PROCEDURES

POLITIQUE, BUREAUCRATIE ET JEUX DE POUVOIR

septentrion
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H4N 1S2

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Bibliothèque et Archives Distribution du Nouveau Monde
nationales du Québec, 2009 30, rue Gay-Lussac
ISBN : 978-2-89448-568-2 75005 Paris

Membre de l’Association nationale des éditeurs de livres


Introduction

T out le monde connaît la fonction publique, mais peu


de gens savent comment elle fonctionne. Même ceux
qui y travaillent depuis longtemps constatent des choses
qui les laissent perplexes. La plupart des fonctionnaires
qui gravitent autour des ministres et de leur entourage
apprennent rapidement à connaître les règles du jeu et à
s’y adapter. Paradoxalement, une des premières règles du
jeu est que ces règles ne doivent pas être divulguées. La
raison est évidente : la fonction publique est une organi-
sation politique qui fonctionne suivant des règles politi-
ques, mais la politique n’est pas perçue comme une base
légitime pour la prise de décisions. Il faut donc laisser
croire que les faits et gestes des intervenants sont toujours
basés sur des critères économiques, administratifs, ou
scientifiques, et non sur des considérations politiques.
Ce mythe, soigneusement entretenu par les politiciens
et les hauts fonctionnaires, soulève une grande difficulté :
les explications emberlificotées qui sont fournies et les
contradictions observées font qu’il est difficile de com-
prendre la dynamique de l’organisation. L’impression
persiste que l’irrationalité règne en maître, alors que l’ex-
plication est tout simplement que la rationalité politique
l’emporte constamment sur la rationalité économique.
 s LES FONCTIONNAIRES

La politique, malgré la perception négative que les


citoyens en ont, est pourtant essentielle au bon fonction-
nement de la société. Elle contribue au maintien de la paix
sociale en permettant d’échafauder les compromis néces-
saires à la conciliation d’intérêts divergents qui s’affrontent
constamment. Il s’agit d’observer la situation catastro-
phique dans laquelle se retrouvent les pays dont les sys-
tèmes politiques sont inopérants pour constater la bonne
fortune que nous avons de vivre dans une société capable
de régler ses problèmes autrement que par la violence et
les conflits armés.
Plusieurs affirment que tout irait mieux sans politiciens
et sans politique partisane. Or, il est évidemment impos-
sible de faire fonctionner une démocratie sans partis
politiques. Ceux-ci sont, en effet, des instruments indis-
pensables pour forger des coalitions et élaborer les com-
promis nécessaires au bon fonctionnement de la société.
Malgré leurs défauts, nos systèmes politiques et adminis-
tratifs fonctionnent relativement bien, mais leurs rouages
demeurent mystérieux pour la plupart des gens.
Cet ouvrage vise à décortiquer ces rouages. Il cherche,
entre autres, à répondre aux questions suivantes :
s #OMMENT SE CONCILIENT LE POLITIQUE ET LADMINISTRATIF
au sein de l’appareil gouvernemental ?
s %N QUOI LA BUREAUCRATIE GOUVERNEMENTALE SE
démarque-t-elle des bureaucraties présentes dans les
grandes entreprises privées ?
s #OMMENT LES POLITICIENS PER½OIVENT ILS LES FONCTION-
naires ?
s 1UATTENDENT LES MINISTRES DE LA FONCTION
publique ?
INTRODUCTION s 

s 0OURQUOI LES FONCTIONNAIRES PROTÞGENT ILS SI FAROU-


chement leur territoire ?
s 0OUR QUELLE RAISON LE NIVEAU DE M£FIANCE EST IL
si élevé ?
s 0OURQUOI DES GENS R£PUT£S INCOMP£TENTS RE½OIVENT
ils des promotions ?
s 1UEST CE QUI FAIT QUE LE RYTHME DE PRISE DE D£CISION
soit d’une telle lenteur ?
s #OMMENT SEXPLIQUE LA SI FORTE RIVALIT£ ENTRE LES
individus et entre les unités administratives ?
s 0OURQUOI LE CHANGEMENT AU SEIN DE LORGANISATION
est-il si difficile ?
Ceux qui pratiquent l’art de la politique ne tiennent
pas à l’expliquer et ceux qui écrivent sur le sujet sont le
plus souvent des universitaires ou des philosophes qui ne
savent rien du vécu des bureaucraties gouvernementales.
Comme l’affirme le dicton bien connu : Ceux qui savent ne
parlent pas et ceux qui parlent ne savent pas. Beaucoup de
gens ont intérêt à maintenir le vaste écran de fumée qui
dissimule leurs intérêts et leurs motivations, ce qui leur
permet de manœuvrer à leur guise pour arriver à leurs
fins. Toute révélation à ce sujet est de nature à donner des
munitions aux adversaires.
Le présent livre n’a aucune prétention scientifique. Il
offre le témoignage d’un observateur qui a travaillé toute
sa vie dans les fonctions publiques fédérale et québécoise.
L’auteur expose le résultat de ses observations et de ses
constats. Il ne craint pas de s’attaquer aux tabous et aux
mythes. Il est possible que ceux qui pensent qu’on doit
cacher ces choses-là en seront offusqués. L’auteur fait
cependant le pari que la connaissance est préférable à
l’ignorance.
 s LES FONCTIONNAIRES

L’entreprise n’est toutefois pas sans risques, car tout ce


qui est controversé devient politique. Comme cet ouvrage
ne manquera pas de soulever la controverse, il se retrou-
vera nécessairement dans l’arène politique, exposé par le
fait même aux attaques et au discrédit.
La première partie du livre, « les secrets de la fonction
publique », fournit une description inédite de la fonction
publique et de son fonctionnement. Elle explique le côté
énigmatique de cette entité méconnue et lève le voile sur
l’élément essentiel qui permet de décoder la réalité,
c’est-à-dire le caractère bicéphale, à la fois politique et
administratif, de l’institution. Divers aspects sont analysés
les uns après les autres et leur fonctionnement est décor-
tiqué pour expliquer comment leur imbrication en
permet, malgré tout, un fonctionnement relativement
ordonné.
La deuxième partie, « les jeux politiques des fonction-
naires », dévoile les attitudes et les comportements des
fonctionnaires qui participent à la compétition bureaucra-
tique ou qui sont entraînés malgré eux dans le jeu politique
au cœur de la culture organisationnelle. Elle présente les
règles du jeu, les stratégies des gagnants, les talents qu’il
importe de maîtriser, les tactiques qui sont utilisées et les
pièges qu’il leur faut éviter.
L’objet du livre est de scruter la réalité complexe de la
fonction publique et de fournir les éléments permettant
de comprendre les jeux politiques et administratifs.
L’ouvrage intéressera d’abord ceux qui travaillent dans la
fonction publique ou qui y ont œuvré au cours de leur
carrière, mais certainement aussi ceux qui traitent avec
elle, c’est-à-dire la presque totalité des citoyens.
Partie I
Les secrets
de la fonction publique
Chapitre 1
Le secteur public
et la fonction publique

P our la majorité des gens, l’État, le gouvernement et


la fonction publique sont des abstractions. Ils savent
intuitivement et constatent quotidiennement que le sec-
teur public prend énormément de place dans leur vie,
mais ils ne sauraient trop définir exactement les mots État,
Parlement, gouvernement, administration publique,
secteur parapublic et secteur péripublic.
Ajoutons à cet état de situation qu’au niveau canadien
existe un gouvernement fédéral, au niveau des provinces
et des territoires existent des gouvernements provinciaux
et territoriaux et au niveau local existent des municipalités
et des commissions scolaires. Chaque niveau ayant des
responsabilités qui se chevauchent, on comprend qu’il soit
pratiquement nécessaire de détenir un diplôme de science
politique pour s’y retrouver.
Au Canada et au Québec, comme dans tous les pays
développés, le secteur public a acquis une importance
considérable, quoique pour des raisons différentes. En ce
qui concerne les États-Unis, par exemple, ce sont les
LE SECTEUR PUBLIC ET LA FONCTION PUBLIQUE s 

exigences de défense nationale et de sécurité qui ont le


plus contribué à élargir le secteur public.
On constate qu’au Québec plusieurs groupes ont
adopté une véritable culture de dépendance de l’État et
font preuve envers ce dernier d’une sorte de confiance
inconditionnelle. Cette attitude est sans doute due en
partie au fait que le contrôle total qu’ont les Québécois
francophones de leur État provincial offre une protection
par rapport à un univers anglo-saxon menaçant. Une large
frange de la population croit que l’État peut être mis à
contribution dans la résolution de presque tous les pro-
blèmes. Ce qu’on a appelé « modèle québécois » a acquis
une importance mythique aux yeux de plusieurs, bien que
ce « modèle » soit de plus en plus contesté, particulière-
ment de la part de ceux qui paient la plus grande partie
des impôts et des taxes et qui considèrent qu’ils sont loin
d’en avoir pour leur argent. Le débat sur cet enjeu est bien
engagé entre ceux qu’on a appelés « les lucides et les
solidaires ».
À peu près tous les groupes sociaux demandent des
choses à l’État, même des membres d’entités qui, en
principe, sont plutôt contre l’intervention étatique, par
exemple, les entreprises. La liste de ce que les gens exigent
du gouvernement est longue :
s MAINTENIR LA PAIX SOCIALE 
s ASSURER LA D£FENSE DU TERRITOIRE ET LA S£CURIT£
PUBLIQUE 
s PROMOUVOIR LE D£VELOPPEMENT £CONOMIQUE 
s FOURNIR DES SERVICES PUBLICS COURS DE JUSTICE ROUTES
£LECTRICIT£ ETC 
s PRENDRE EN CHARGE L£DUCATION ET LA FORMATION
PROFESSIONNELLE 
 s LES FONCTIONNAIRES

s PROMOUVOIR LA SANT£ PUBLIQUE 


s FOURNIR DES SOINS ET DES M£DICAMENTS AUX MALADES 
s FAVORISER LA BONNE ALIMENTATION ET LUTTER CONTRE
LOB£SIT£ 
s ENRAYER LA CRIMINALIT£ 
s REDISTRIBUER LES REVENUS ET £LIMINER LA PAUVRET£ 
s ENCOURAGER LA NATALIT£ 
s D£FENDRE LA LANGUE FRAN½AISE ET PROMOUVOIR LA CULTURE
QU£B£COISE 
s INT£GRER LES IMMIGRANTS 
s FAVORISER L£GALIT£ ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES 
s PROT£GER LENVIRONNEMENT ET ASSURER UN D£VELOPPEMENT
DURABLE 
s MAINTENIR LHARMONIE ENTRE LES EMPLOYEURS ET LES
SYNDICATS 
s ETC
Pour répondre à tous ces besoins, les gouvernements
se sont donné une panoplie d’institutions qui emploient
des milliers de personnes. Uniquement en ce qui concerne
le gouvernement québécois, mentionnons :
s LES MINISTÞRES ET LES ORGANISMES 
s LE R£SEAU DE L£DUCATION NIVEAUX PRIMAIRE ET SECON-
DAIRE C£GEPS UNIVERSIT£S 
s LE R£SEAU DE LA SANT£ AGENCES DE LA SANT£ ET DES SER-
vices sociaux, hôpitaux, centres d’hébergement,
ETC 
s LE R£SEAU DE GARDERIES 
s LES TRIBUNAUX ADMINISTRATIFS CIVILS ET CRIMINELS 
s LES SOCI£T£S D›TAT ET LES ENTREPRISES DU GOUVERNE-
ment.
Ces institutions ne représentent cependant que
quelques-uns des moyens d’intervention dont dispose le
LE SECTEUR PUBLIC ET LA FONCTION PUBLIQUE s 

gouvernement. Ce dernier subventionne un grand


nombre d’organismes sans but lucratif et fournit divers
incitatifs et allocations monétaires aux individus et aux
entreprises. Grâce aux lois et aux règlements, il régente
une bonne partie de la vie des citoyens en prescrivant aussi
bien la vitesse permise sur les routes que les endroits où
il est défendu de fumer, sans parler des conditions d’hy-
giène dans les restaurants et des caractéristiques des sièges
pour enfants dans les véhicules, pour n’en mentionner
que quelques-uns. Au moyen de mesures fiscales, il
influence entre autres la façon dont les entrepreneurs
investissent leur argent, le niveau d’épargne des travailleurs
en vue de leur retraite, de même que l’achat de biens par
les consommateurs.

La fonction publique
Parmi toutes les institutions de l’État, il en est une qui a
beaucoup d’importance et d’influence parce qu’elle
occupe une position centrale et prédominante : il s’agit
de la fonction publique. Cette dernière est cependant mal
connue. Certains la confondent avec le gouvernement ou
l’administration publique. Les politiciens aiment la pré-
senter comme une organisation de services. Même ceux
qui y travaillent la connaissent mal parce que les politiciens
veulent prendre toute la place et que les patrons adminis-
tratifs préfèrent travailler dans l’ombre.
La fonction publique est l’instrument privilégié dont
disposent les élus pour diriger l’État. C’est la machine
indispensable aux ministres pour planifier et programmer
l’action gouvernementale, élaborer et effectuer le suivi
des budgets, percevoir les taxes et les impôts, ainsi que
 s LES FONCTIONNAIRES

pour orienter et contrôler toutes les institutions qui


relèvent d’eux. Grâce à la fonction publique, les ministres
ont la main haute sur les ministères et les organismes, la
police et les forces armées, les réseaux de l’éducation et
de la santé, les commissions scolaires, les sociétés d’État,
les entreprises du gouvernement et même les municipa-
lités. C’est la fonction publique qui appuie le gouverne-
ment dans la direction et le contrôle de l’ensemble de
l’appareil gouvernemental.
La fonction publique n’est pas un organisme, mais une
entité qui regroupe les personnes nommées et rémunérées
en vertu de la Loi sur la fonction publique. Ces personnes
sont désignées sous le nom de fonctionnaires. Elles béné-
ficient d’un statut spécial et d’avantages particuliers
conférés par la loi. L’utilisation du terme « fonctionnaire »
pour désigner toute autre personne à l’emploi du gouver-
nement est fautive.
Il importe de noter que toutes les personnes à l’emploi
des ministères ne sont pas des fonctionnaires. Le ministre
et les membres de son cabinet, bien qu’ils soient rémunérés
par le ministère dont ils font partie, ne sont évidemment
pas des fonctionnaires. Il en est ainsi des aumôniers des
prisons et des pénitenciers, des juges, des policiers, des
militaires et de diverses autres catégories de personnel.
Les employés d’un certain nombre d’organismes
publics font partie de la fonction publique, mais ce n’est
pas le cas de la majorité des organismes. Dans le passé, le
personnel des organisations ayant une vocation adminis-
trative plutôt que commerciale faisait presque automati-
quement partie de la fonction publique. Depuis les années
1980 cependant, le personnel de la plupart des nouveaux
organismes créés par le gouvernement n’a pas été assujetti
LE SECTEUR PUBLIC ET LA FONCTION PUBLIQUE s 

à la fonction publique de façon à assurer une plus grande


flexibilité, les règles de la fonction publique étant jugées
trop lourdes.
Lorsque le gouvernement veut établir une certaine
distance entre le politique et l’administration de certaines
activités, il crée un organisme qu’il dote d’un conseil
d’administration ou, s’il s’agit d’une activité commerciale,
une entreprise parfois appelée société d’État. Il donne
ainsi l’indication qu’il s’abstiendra d’intervenir dans la
gestion quotidienne de cette institution et que sa
responsabilité se limitera aux grandes orientations. Les
règles politiques étant fort élastiques, cela n’empêche
cependant pas les partis d’opposition de mettre le ministre
responsable sur la sellette lorsque des malversations sont
alléguées ou que des erreurs sont commises.
Bien que des organismes particuliers aient été créés
pour administrer les grands programmes comme les
rentes de retraite, l’assurance maladie et l’assurance
automobile, la gestion de la plupart des programmes et
services est effectuée par les ministères. L’intervention de
plus en plus grande de l’État a amené les gouvernements
successifs à confier plus de tâches à ces derniers. Ils sont
donc responsables d’un ensemble très varié d’activités.
Leur tâche principale demeure cependant de soutenir
le gouvernement dans l’élaboration des politiques
publiques et le contrôle des activités étatiques. Par
conséquent, l’acquisition, la conservation et l’utilisation
des connaissances comptent parmi les activités
primordiales des fonctionnaires. Le savoir est, en effet,
une ressource précieuse pour conseiller les ministres,
prévoir les tendances, anticiper les problèmes et résoudre
les crises.
 s LES FONCTIONNAIRES

Contrairement à ce que prétendent les politiciens, la


proportion de fonctionnaires chargés de la prestation de
programmes et de services à la population est relativement
faible. Les tâches reliées aux missions de base de l’État
telles que la perception des impôts, la justice, la sécurité
publique et la gestion de l’économie accaparent une
bonne partie des fonctionnaires. Par contre, les grandes
missions sociales reliées à l’éducation et à la santé sont la
responsabilité d’institutions qui ne font pas partie de la
fonction publique. La prestation des principaux services
publics est ainsi décentralisée dans un grand nombre
d’établissements.
Les fonctionnaires sont chargés de tâches qui ne consti-
tuent pas des services directs à la population, entre autres
dans les domaines des transports, des ressources natu-
relles, de l’environnement et des affaires internationales.
Par ailleurs, l’appareil central du gouvernement composé
du ministère du Conseil exécutif (ministère du premier
ministre), du Conseil du trésor, du ministère des Finances
et du ministère des Services gouvernementaux emploient
aussi un bon nombre de fonctionnaires.
Dans les ministères dits « à clientèle » tels que l’Agricul-
ture, la Culture, le Développement économique, l’Emploi
et la Solidarité sociale, l’Immigration et le Tourisme, une
bonne partie des fonctionnaires sont affectés à des
fonctions telles que la planification et le contrôle, l’élabo-
ration des politiques, l’ébauche des lois et des règlements,
de même que les services administratifs (gestion du
personnel, gestion financière et du matériel, informatique
et communications). La lourdeur des règles administratives
fait que, comparativement aux entreprises privées de taille
comparable, deux ou trois fois plus de personnes sont
LE SECTEUR PUBLIC ET LA FONCTION PUBLIQUE s 

nécessaires pour s’acquitter des tâches reliées à l’adminis-


tration interne.
L’administration publique fonctionne dans le contexte
d’un État de droit, ce qui signifie que tous ses gestes doivent
être autorisés par une loi ou un règlement. Il s’agit d’une
sérieuse contrainte car, étant donné que le contexte et les
besoins évoluent, le cadre légal doit être continuellement
adapté ou modifié. Toutes les décisions sont susceptibles
d’être contestées et soumises à l’attention du Protecteur
du citoyen, d’un tribunal administratif et même des tribu-
naux civils. Comme des centaines et parfois des milliers de
fonctionnaires sont appelés à administrer les mêmes lois et
règlements, il est nécessaire d’encadrer leurs décisions au
moyen de normes, de règles, de procédures et de diverses
directives administratives pour en assurer la légalité, l’équité
et la transparence. Étant donné que les règles ne peuvent
tenir compte de toutes les circonstances, l’intervention de
juristes et de divers spécialistes est souvent requise pour
étudier les cas litigieux, ce qui accroît les délais et les coûts.
C’est ce qui fait que le fonctionnement de l’appareil de
l’État est si lourd.
C’est pourquoi l’image que certains se font du
fonctionnaire comme d’une personne chargée de répondre
aux clients derrière un comptoir est mal fondée, la plupart
des fonctionnaires n’ayant pas l’occasion de s’adresser
régulièrement aux citoyens.

Grandeurs et misères de la fonction publique


Les observateurs les mieux informés reconnaissent que
la fonction publique canadienne et la fonction publique
québécoise sont des organisations professionnelles et non
 s LES FONCTIONNAIRES

partisanes dont les membres sont instruits, bien formés


et généralement compétents et intègres. Cependant,
dénigrer la fonction publique est pratiquement devenu
un sport national. Mais, bien que les gens soient très
critiques envers l’institution, ils sont nettement plus
positifs lorsqu’on leur demande d’évaluer leurs récentes
interactions avec des fonctionnaires avec qui ils ont eu à
traiter en personne ou au téléphone, car la très grande
majorité des clients se disent alors satisfaits.
Une des raisons de la médiocre réputation de la fonction
publique tient aux fonctionnaires eux-mêmes. En effet,
alors que les employés sont habituellement les meilleurs
ambassadeurs des entreprises dont ils font partie, un bon
nombre de fonctionnaires ne se gênent pas pour critiquer
la complexité et la lourdeur de l’administration publique,
de même que la mauvaise utilisation qui est parfois faite
de son personnel et de l’argent public. De plus, certains
scandales très médiatisés, comme le programme des
commandites et le registre des armes à feu, ont été
considérés comme des preuves de malversation et
d’incompétence, bien qu’ils aient un caractère anecdo-
tique et soient loin de constituer des vitrines.
Le fait est que la fonction publique est une institution
mal connue et difficile à évaluer objectivement. Les
chapitres suivants en présentent diverses facettes afin d’en
assurer une meilleure compréhension.
Chapitre 2
Le politique et l’administratif

L a complexité et le caractère énigmatique de la


fonction publique ressortent lorsqu’on pose des
questions telles que « qui est le client ? » et « qui est le
patron ? » L’explication de l’énigme est que la fonction
publique est une entité bicéphale constituée de deux réalités
concurrentes, le politique et l’administratif. Il s’agit d’un
trait fondamental permettant d’expliquer l’organisation et
le fonctionnement de l’appareil de l’État.

Qui est le client ?


Dans le cas d’une entreprise privée, la question ne se pose
même pas : le client est celui qui paie et qui contrôle la
relation. Il peut décider d’acheter ou non le produit ou le
service et a le choix du fournisseur. Le client du secteur
public est désigné sous plusieurs vocables : usager, admi-
nistré, bénéficiaire, contribuable, citoyen… Parfois, c’est
lui qui a une attente à combler, par exemple une informa-
tion à obtenir, mais il n’a pas le choix du fournisseur. Dans
d’autres cas, il est forcé de se procurer le bien ou le service
offert, par exemple un permis ou une autorisation. Il
arrive aussi qu’il se trouve dans une situation de fournisseur
 s LES FONCTIONNAIRES

plutôt que de client, entre autres lorsqu’il s’agit de payer


ses impôts.
Au début des années 2000, les ministères et les orga-
nismes québécois ont entrepris de se donner des déclara-
tions de services aux citoyens. L’objectif était de confirmer
un virage clientèle et de garantir un certain niveau de
service aux clients. On retrouve dans ces déclarations de
services des énoncés tels que « répondre à un courriel dans
un délai de 48 heures », « donner suite à une demande
d’aide financière dans un délai de dix jours ouvrables après
la réception des documents requis » et « répondre à un
appel téléphonique en dedans de trois minutes 80 % du
temps ». Les cibles sont conçues de façon à être respectées
dans la grande majorité des cas. Grâce à ces déclarations
de services, l’administration publique se donne l’image
d’une organisation au service des citoyens.
Cependant, contrairement à l’image projetée et à la
vision édulcorée que même les fonctionnaires aiment
croire, la vocation première de la fonction publique n’est
pas de fournir des services, mais d’appuyer le gouverne-
ment dans la conduite des affaires de l’État.

Qui est le patron ?


Le patron d’un ministère est sans contredit le ministre.
Dans le contexte constitutionnel et légal du Canada et du
Québec, le budget d’un ministère est attribué par le
Parlement au ministre et ce dernier en est imputable. Il
se doit de répondre à la Chambre des communes ou à
l’Assemblée nationale de toutes les décisions et de tous
les gestes de son ministère. Il est seul autorisé à signer les
mémoires au Conseil des ministres et au Conseil du trésor.
LE POLITIQUE ET LADMINISTRATIF s 

Il est vrai, par ailleurs, que le ministre n’a pas toutes les
attributions d’un véritable patron : il ne nomme aucun
des fonctionnaires et ne peut pas les démettre.
Il est symptomatique cependant que personne ne dise
clairement aux fonctionnaires que le ministre est le patron.
Ainsi, on leur laisse croire que le sous-ministre est le chef
du ministère, alors que son titre même indique qu’il n’en
est que le « sous-chef ». Au niveau fédéral, l’article 126 de
la Loi sur l’emploi dans la fonction publique affirme que
« le greffier du Conseil privé et secrétaire du Cabinet est
le chef de la fonction publique ». La réalité cependant est
que le gouvernement, en particulier le premier ministre,
est le véritable chef de la fonction publique : ce dernier,
en effet, nomme le greffier et chacun des sous-ministres
et peut les destituer à son gré. Comme nous le verrons
plus loin, les désirs du premier ministre sont considérés
comme des ordres par le personnel de la fonction
publique.

Caractère bicéphale de la fonction publique


Selon la conception du philosophe Montesquieu, l’État
comprend trois pouvoirs : le législatif, l’exécutif et le
judiciaire. Selon celle du politologue Gérard Bergeron, il
en comprend plutôt quatre : en plus du législatif et du
judiciaire, il mentionne l’exécutif et l’administratif. La
distinction entre ces deux derniers pouvoirs illustre le
caractère fondamental de l’administration publique : cette
dernière a une composante politique et une composante
administrative.
Au sens strict, la fonction publique regroupe unique-
ment des fonctionnaires et ne constitue pas en tant que
 s LES FONCTIONNAIRES

telle une organisation. Cependant, selon l’acceptation


courante, fonction publique désigne l’appareil adminis-
tratif de l’État, ce qu’on appelle à Ottawa « la machinerie
du gouvernement ». Cet appareil administratif est une
organisation qui relève des élus, qui est dirigée par des
ministres et qui est donc au service du politique. En même
temps, il s’agit d’une organisation bureaucratique qui
jouit d’une certaine indépendance par rapport au gouver-
nement. Elle possède en quelque sorte une direction à
deux têtes. C’est cette ambivalence qui en fait une orga-
nisation si difficile à jauger.
La fonction publique est une organisation hybride et
quelque peu bâtarde. Son caractère bicéphale en fait une
institution dont le fonctionnement est souvent chaotique
étant donné les tensions constantes entre le politique et
l’administratif.

Comparaison avec d’autres pays


Aux États-Unis, le personnel de la strate administrative
supérieure, soit environ 3 000 fonctionnaires, est nommé
par le président. Lorsqu’une nouvelle administration est
mise en place après l’élection d’un nouveau président, la
grande majorité de ces personnes sont remplacées, parti-
culièrement lorsque le nouvel élu appartient à une for-
mation politique différente. Dans le contexte d’un régime
présidentiel, la séparation entre l’exécutif et l’administratif
est donc beaucoup moins importante que sous un régime
parlementaire de type britannique comme celui de
Québec et d’Ottawa.
En France, la plupart des hauts fonctionnaires sont
issus de l’École nationale d’administration (ENA), une
LE POLITIQUE ET LADMINISTRATIF s 

institution créée par de Gaulle en 1945. C’est le rang de


sortie de l’ENA qui détermine les fonctionnaires qui
accèdent aux « grands corps », c’est-à-dire aux plus hautes
fonctions de l’administration. Ces personnes se considè-
rent au service de l’État ou du bien commun, plutôt qu’au
service du gouvernement. Ils partagent une valeur cen-
trale appelée « le sens de l’État » qui fait du service public
une véritable vocation.
La fonction publique française a développé une vision
du rôle des fonctionnaires qui conditionne le comporte-
ment des administrateurs. Ces derniers constituent une
élite bureaucratique qui incarne la continuité de l’État et
qui représente un important élément de stabilité dans la
conduite des affaires gouvernementales. Cette caractéris-
tique s’est avérée particulièrement avantageuse sous la
IVe République alors que les gouvernements changeaient
pratiquement tous les six mois.
Le caractère technocratique de l’administration française
est toutefois atténué par diverses institutions, par exemple
le fait que, dans la plupart des ministères, il n’y a pas de
sous-ministre ou de sous-chef en tête de l’organisation. En
pratique, les directeurs généraux des ministères relèvent
du directeur de cabinet du ministre, ce qui permet d’assurer
la direction politique des activités administratives.
Au Canada et au Québec, on est à mi-chemin entre la
situation de nos voisins du Sud et celle de la France : notre
fonction publique « de carrière » est plus permanente que
celle des États-Unis, mais est plus dépendante de l’autorité
politique que celle de la France. Bien qu’elle ne soit pas
partisane, elle est assujettie au pouvoir politique, car les
plus hauts fonctionnaires sont nommés par le gouverne-
ment et peuvent être relevés de leurs fonctions en tout
 s LES FONCTIONNAIRES

temps. Au niveau fédéral, seuls les sous-ministres sont


nommés politiquement. Au Québec, les sous-ministres
associés et les sous-ministres adjoints sont aussi nommés
par le gouvernement. Sur cette base, on pourrait affirmer
que la fonction publique québécoise est plus politisée que
la fonction publique fédérale.

Deux catégories d’intervenants


Les deux catégories d’intervenants qui assurent la direction
et le fonctionnement de l’appareil administratif, les
dirigeants politiques et les hauts fonctionnaires, doivent
travailler ensemble, mais ils ont les uns envers les autres
une certaine méfiance. Pour se valoriser, les parlemen-
taires se désigneront comme des élus et les fonctionnaires
COMME DES SERVITEURS DE L›TAT  PLUS P£JORATIVEMENT ILS
se qualifieront de politiciens et de bureaucrates. Ces deux
catégories de personnes ont des valeurs, des objectifs et
des modes de fonctionnement différents.
Pour comprendre le caractère tout à fait particulier
d’une organisation dirigée par deux groupes aussi hété-
rogènes, on peut comparer avec la situation d’une entre-
prise privée. Les sociétés de grande taille ont un conseil
d’administration qui représente les actionnaires et qui
comprend généralement un certain nombre de gestion-
naires. Les membres du conseil d’administration et les
gestionnaires se donnent des objectifs communs et ten-
dent à partager des valeurs communes.
Il en va différemment pour l’administration publique.
Les dirigeants politiques ont des objectifs et des priorités
qu’ils ne partagent pas avec les fonctionnaires et ces der-
niers ont des intérêts qui leur sont propres. Les tensions
LE POLITIQUE ET LADMINISTRATIF s 

entre les deux groupes sont constantes. Les politiciens


n’hésitent pas à blâmer les fonctionnaires pour ce qui va
mal, une situation tout à fait impensable dans une entre-
prise, car on imagine mal des dirigeants s’en prenant
publiquement à leurs employés.

Mission et mode de fonctionnement


Les dirigeants politiques doivent se faire élire et cherchent
naturellement à conserver le pouvoir. Il leur faut consti-
tuer une coalition et la maintenir pour assurer leur réé-
lection. Pour ce faire, ils doivent courtiser les électeurs
qui les soutiennent en proposant un programme politique
et en posant des gestes jugés bénéfiques. Ils œuvrent sur
une scène où toutes leurs actions sont épiées et où les
partis d’opposition cherchent à les faire trébucher.
Les fonctionnaires, par ailleurs, sont tenus de respecter
les règles d’équité, de justice et de non-partisannerie. Ils
doivent traiter tous les citoyens également, quelle que soit
leur affiliation politique.
Le fonctionnement du système politique dans le
contexte parlementaire a une influence considérable sur
les activités de l’administration publique. Lors des périodes
de questions à la Chambre des communes et à l’Assemblée
nationale, de même que lors des commissions parlemen-
taires, les ministres doivent répondre aux questions de
leurs adversaires sur les faits et gestes des fonctionnaires.
Ces derniers sont souvent pris à partie, alors que c’est le
ministre qui est la véritable cible. En vertu du principe de
la responsabilité ministérielle, en effet, le ministre est
responsable de toutes les décisions prises et de tous les
gestes de son ministère. Les fonctionnaires doivent donc
 s LES FONCTIONNAIRES

non seulement s’assurer de respecter les règles, mais aussi


prendre les moyens de se défendre contre les critiques
potentielles et éviter de mettre leur ministre dans
l’embarras.
La mission de la fonction publique est d’appuyer les
élus dans la direction et le contrôle des institutions publi-
ques, d’administrer les programmes et les services et
d’offrir des conseils en matière de politiques publiques.
En ce qui concerne la fonction conseil, il y a souvent
absence de convergence entre, d’une part, les orientations
découlant du savoir scientifique et des connaissances
acquises objectivement et, d’autre part, les contraintes et
les impératifs partisans. Selon la conception traditionnelle
de la fonction publique, les fonctionnaires n’ont pas à
prendre en compte les considérations partisanes. Leur
tâche est de faire leur travail conformément à la loi,
d’anticiper les défis et d’offrir les meilleurs conseils possi-
bles au gouvernement en place, peu importe sa couleur
politique. Les ministres, cependant, aimeraient bien que
les fonctionnaires laissent tomber leur neutralité politique
et fassent preuve de créativité et d’initiative pour les aider
à mettre en œuvre leur programme politique.
Il importe de souligner que l’horizon dans lequel se
situent les dirigeants politiques est bien différent de celui
des fonctionnaires. Les ministres se voient forcés de
réaliser leur programme à l’intérieur de leur mandat qui
est d’environ quatre ans, mais qui peut être beaucoup plus
court lorsque le gouvernement est minoritaire. La fonc-
tion publique ne partage pas cette contrainte, d’autant
plus que les problèmes auxquels l’État fait face peuvent
difficilement être solutionnés à court terme.
LE POLITIQUE ET LADMINISTRATIF s 

En ce qui concerne l’élaboration des politiques publi-


ques, les préjugés des politiciens et des fonctionnaires sont
bien ancrés. Ces derniers soupçonnent les élus de vouloir
avantager leurs amis à l’encontre de l’intérêt général, alors
que les politiciens croient que l’approche des fonction-
naires est technocratique et ne tient pas compte de
l’opinion des gens.
Au Royaume-Uni et en Nouvelle-Zélande, deux pays
qui partagent avec le Canada et le Québec le modèle
constitutionnel de type Westminster, des efforts ont été
faits pour séparer l’administration des programmes de
l’élaboration des politiques. On a créé au sein de la
fonction publique des agences de services (Executive
Agencies) auxquelles on a accordé une large autonomie
afin de favoriser une plus grande efficacité administrative.
Pour l’élaboration des politiques, on a diversifié les sources
auxquelles les ministres ont recours pour les guider dans
la conception des programmes et le choix des modes de
mise en œuvre, par exemple les organismes de recherche,
les groupes de réflexion, les fondations et les universités.

Les clans politiques et la bureaucratie


Dans un ministère, le ministre et ses conseillers politiques
cohabitent avec les fonctionnaires. Ils partagent la respon-
sabilité de s’assurer de répondre aux besoins de la popu-
lation et de voir à la bonne marche de l’appareil de l’État.
Cependant, ces deux groupes ont des mentalités et des
modes de fonctionnement situés aux antipodes les uns
des autres.
Les ministres et leur entourage sont membres d’un
parti politique. Le fait de mener des luttes constantes
 s LES FONCTIONNAIRES

contre leurs adversaires et de s’engager ensemble dans des


campagnes électorales renforce leur sentiment d’appar-
tenance et leur esprit d’équipe. Ils développent une atti-
tude selon laquelle tous ceux qui ne sont pas avec eux sont
contre eux. Ils constituent un clan au sein duquel il peut
certes y avoir des rivalités, mais dont l’objectif commun
permet de rallier tout le monde lorsqu’il y a une bataille
à mener. Les structures sont légères et les communications
faciles entre tous les membres. On ne s’embarrasse pas
d’organigrammes et de descriptions de tâches. Les hiérar-
chies sont informelles, mais reconnues par tous.
Face au clan politique, on ne saurait trouver organisa-
tion plus dissemblable que la bureaucratie gouvernemen-
tale. Au sein de cette dernière, tout est rigidifié, catégorisé
et compartimenté. Les communications doivent respecter
les lignes hiérarchiques et sont donc plus formelles et plus
lentes. Face aux politiciens, la fonction publique est
consciente de sa pérennité. Les élus ne font que passer,
alors que les fonctionnaires demeurent et, qui plus est,
sont assurés de leur emploi. Ces derniers parlent du
« gouvernement actuel » et doivent être toujours prêts à
en accueillir un nouveau. L’expression anglaise est encore
plus éloquente : goverment of the day. Le caractère
temporaire d’un gouvernement ne pourrait pas être
exposé de façon plus directe !
Par contre, les élus se réclament d’une légitimité
démocratique qu’à leurs yeux les fonctionnaires n’ont pas.
Ils estiment avoir le droit d’orienter l’administration
publique comme bon leur semble et de prendre les déci-
sions qu’ils estiment les meilleures. Étant élus, ils se sen-
tent investis d’une mission : ils ont un programme à réa-
liser, des électeurs à satisfaire et des militants à
LE POLITIQUE ET LADMINISTRATIF s 

récompenser. Ils sont intimement convaincus que leur


parti est plus apte, mieux préparé et mieux qualifié pour
diriger l’État que ne le sont les partis adverses. De plus, il
est dans l’ordre des choses que ceux qui ont le pouvoir en
profitent plus que leurs adversaires qui ont été défaits aux
élections. Ceux qui déplorent que les luttes politiques ne
constituent pas le meilleur moyen de réaliser le bien
commun devraient se remémorer Churchill qui disait que
« la démocratie est la pire forme de gouvernement, si ce n’est
toutes les autres formes tentées au cours de l’histoire ».
La fonction publique bénéficie d’une situation bien
particulière. Elle incarne la pérennité de l’État et assure
la continuité des services. Elle s’appuie sur la prédomi-
nance de la loi. Comme les lois sont votées par le
Parlement qui, selon l’ordre constitutionnel, est supérieur
au gouvernement, la fonction publique peut considérer
qu’elle jouit d’une certaine indépendance par rapport au
gouvernement. Elle se voit justifiée de promouvoir sa
propre interprétation de la loi et de défendre sa conception
du bien commun face aux politiciens. Il en résulte donc
une tension constante entre le gouvernement et la fonc-
tion publique.
#HAPITRE 
Les acteurs politiques

L es politiciens ont une mentalité et des réflexes aux


antipodes de ceux des fonctionnaires. La logique
politique, en effet, est diamétralement opposée à la
logique administrative axée sur le respect des règles et la
constance, aussi bien qu’à la logique économique qui vise
l’efficacité et l’efficience, qu’à la logique scientifique
fondée sur le savoir.
L’objectif des politiciens étant de se faire élire, tous
leurs gestes convergent habituellement dans cette direc-
tion. La politique, en effet, est l’art d’obtenir la confiance
et l’appui des électeurs. C’est de faire en sorte de concevoir
les choses et de les présenter de façon à épouser le point
de vue des personnes qu’on désire influencer. Pour com-
prendre l’attitude politique, il est utile de considérer les
attitudes qui ne le sont pas, attitudes décrites dans le
langage populaire comme courageuses, inflexibles ou
malhabiles :
s LATTITUDE COURAGEUSE  CELLE DU POLITICIEN QUI VA Í
LENCONTRE DE LOPINION PUBLIQUE 
s ATTITUDE INmEXIBLE  ADOPTION DE POSITIONS JUG£ES
INSENSIBLES ET TECHNOCRATIQUES 
LES ACTEURS POLITIQUES s 

s ATTITUDE MALHABILE  QUI M£CONTENTE LES GENS SOIT


que les décisions sont mal à propos ou mal
présentées.

L’exercice du pouvoir politique


L’exercice du pouvoir politique dans le contexte des
traditions parlementaires britanniques repose sur un
certain nombre de conventions non écrites qui constituent
des règles qu’aucun politicien ne peut transgresser sans
se créer de sérieux problèmes. Une de ces conventions est
la solidarité ministérielle.
La politique s’exerce dans un contexte d’affrontement :
les moindres gestes du parti au pouvoir sont surveillés et
le plus souvent critiqués par les partis d’opposition.
Chacun dénonce les positions et les intentions des autres.
Tout comme dans un match sportif, il est important pour
chaque parti, particulièrement celui qui est au pouvoir,
de maintenir un esprit d’équipe pour donner le moins de
prise possible à l’adversaire.
La solidarité ministérielle est la règle selon laquelle un
ministre doit soutenir toute décision prise au conseil des
ministres ou démissionner. Cette règle est plus exigeante
qu’on le croit généralement, car elle implique que toute
décision controversée devant être prise par un ministre
soit discutée avec le premier ministre avant d’être arrêtée.
Ce dernier décide si elle doit être soumise au conseil des
ministres. Un ministre, cependant, peut ne pas se rendre
compte qu’une décision qu’il s’apprête à prendre est
politique, c’est-à-dire controversée, ou peut estimer que
la décision lui appartient, même si elle risque de soulever
un débat. Il s’expose alors à voir sa décision renversée par
 s LES FONCTIONNAIRES

le premier ministre, ce qui peut avoir pour effet de miner


son autorité et sa crédibilité.
Les politiciens œuvrent dans une arène remplie de
joueurs aux intérêts divergents. La prise de décisions dans
un tel contexte est un exercice ardu et plein de pièges.

Grille de décisions des politiciens


La grille de décisions utilisée par les élus est essentielle-
ment politique. Les considérations de rigueur administra-
tive, d’efficacité, d’efficience et de rentabilité économique
sont secondaires. Avant toute décision, plusieurs questions
doivent être considérées. Mentionnons les suivantes :
s CETTE D£CISION SIMPOSE T ELLE ET EST ELLE DE NATURE Í
favoriser la réélection du gouvernement ?
s EST CE LE BON MOMENT POUR PRENDRE CETTE D£CISION
s QUI A LE PLUS Í GAGNER ET QUI A LE PLUS Í PERDRE
s DANS QUEL CAMP SE TROUVENT CES GAGNANTS ET CES PER-
dants : parmi les partisans ou parmi les adversaires ?
s Í QUEL MOMENT SERONT VISIBLES LES B£N£lCES ET LES
inconvénients ?
s COMMENT LA D£CISION RISQUE T ELLE DãTRE PER½UE PAR
les divers intervenants : les personnes et les groupes
concernés, les médias et le public, les partisans et
bailleurs de fonds, etc. ?
s EST IL POSSIBLE DIMPUTER LA RESPONSABILIT£ OU LE BLºME
aux adversaires ?
s LE SUJET EN QUESTION FAIT IL PARTIE DES PR£OCCUPATIONS
vite oubliées ou des enjeux marquants dont les gens
se rappelleront longtemps ?
s QUELS SONT LES RISQUES ET COMMENT PEUT ON LES
atténuer ?
LES ACTEURS POLITIQUES s 

Les stratégies sont toujours complexes, car il faut tenir


compte d’événements extérieurs qui peuvent modifier les
perceptions des gens et, surtout, prendre en considération
le facteur temps, car tout doit être pensé en fonction des
prochaines élections. Pour mener le jeu, un chef d’or-
chestre fort et expérimenté est indispensable : il s’agit du
premier ministre.

Rôle proéminent du premier ministre


Le premier ministre occupe une position prédominante
au sein du gouvernement. Il concentre dans ses mains
énormément de pouvoirs. En tant que chef du parti
gouvernemental, il contrôle le caucus des députés et, par
l’entremise de ce dernier, la Chambre des communes ou
l’Assemblée nationale, particulièrement lorsque son parti
est majoritaire. En tant que chef du gouvernement, il
nomme les ministres et les hauts fonctionnaires et peut
LES DESTITUER  IL ORIENTE LES POLITIQUES PUBLIQUES ET PEUT
s’ingérer dans tous les aspects de l’activité gouvernemen-
tale et même, grâce à son pouvoir d’influence, dans toutes
les questions d’ordre public. Il a donc pratiquement autant
de pouvoir qu’un dictateur, mais l’obligation de se faire
réélire pour continuer à gouverner limite grandement
l’exercice de ce pouvoir.
Le premier ministre est au centre de plusieurs réseaux
de contacts qui lui permettent d’être extrêmement bien
informé et d’influer directement et indirectement sur un
nombre considérable d’événements. Par exemple, des
membres de son cabinet politique sont attitrés à chacun
des ministères et lui font régulièrement rapport ou infor-
ment son chef de cabinet. Une règle non écrite est qu’on
 s LES FONCTIONNAIRES

ne cache rien au premier ministre. Cependant, pour le


mettre à l’abri des attaques, personne, sauf un cercle très
restreint de conseillers, ne doit être au courant de ce qu’il
connaît. Pour cette raison, l’information sensible est
communiquée verbalement afin de ne laisser aucune
trace. Cette pratique, appelée en anglais plausible deniabi-
lity (ignorance vraisemblable), permet au premier
ministre, lorsque son gouvernement est mêlé à des mal-
versations, de nier avoir été mis au courant. Si la faute
reprochée est grave et peut être prouvée, une autre per-
sonne que lui pourra être forcée de démissionner, par
exemple son chef de cabinet, un ministre ou un haut
fonctionnaire.
Le premier ministre préside le Conseil des ministres,
aussi appelé Cabinet à Ottawa et Conseil exécutif à
Québec. Il s’agit de l’organe décisionnel du gouvernement.
Deux types de décisions relèvent du Conseil des ministres :
les décisions politiques et les décrets. Les premières ont un
caractère informel et concernent tout ce qui a trait aux
ORIENTATIONS ET AUX LIGNES DE CONDUITE  LES DEUXIÞMES
découlent des exigences de l’État de droit et ont le plus
souvent un caractère légal ou administratif. À chacune des
réunions du Conseil des ministres, les décrets soumis pour
ratification sont tellement nombreux que les ministres n’en
prennent souvent pas connaissance. C’est pourquoi, sauf
pour ceux qui revêtent une importance politique, les
décrets sont approuvés de façon routinière. La même
pratique est d’ailleurs suivie au Conseil du trésor.
La coutume veut qu’aucun vote ne soit pris au Conseil
des ministres. Les décisions se prennent à la majorité, mais,
comme disait Winston Churchill, « la majorité est formée
de tout groupe de ministres qui comprend le premier
LES ACTEURS POLITIQUES s 

ministre ». Sous cet angle, la position du premier ministre


s’apparente plus à celle du président d’une république qu’à
celle du président d’un conseil d’administration.

Les nominations
Parmi tous les sujets soumis au Conseil des ministres, il
en est un qui retient l’attention plus que les autres : il s’agit
des nominations des hauts fonctionnaires et des membres
des conseils d’administration des organismes publics.
Plusieurs centaines de postes sont pourvus par décret
gouvernemental. Certaines personnes sont nommées à
VIE PAR EXEMPLE LES JUGES  DAUTRES SONT NOMM£ES POUR
une période plus ou moins longue, le plus souvent cinq
OU DIX ANS  LES AUTRES FONT LOBJET DE NOMINATIONS i AU BON
plaisir de Sa Majesté », c’est-à-dire pour une durée non
précisée et sont révocables à tout moment.
Aucun type de décisions ne traduit mieux l’exercice du
pouvoir que les nominations. Comme nous l’avons men-
tionné plus haut, la plupart des décisions du Conseil des
ministres sont d’ordre technique et ne présentent pas
beaucoup d’intérêt pour les politiciens. Il en va tout
autrement des nominations qui sont le domaine du
pouvoir par excellence.
Comme tout ce qui a trait aux décisions importantes,
c’est le premier ministre qui a la main haute sur les
nominations. Ses conseillers politiques contrôlent étroi-
tement tout le processus et les ministres sont les principaux
intervenants. Beaucoup d’intérêts sont en jeu. Les nomi-
nations sont le domaine où le lobby est le plus actif et où
le plus de pressions s’exercent. Leur importance est
énorme, car les personnes nommées par décret sont celles
 s LES FONCTIONNAIRES

qui, dans les faits, gèrent les activités gouvernementales.


Les personnes choisies sont redevables de leur nomination
au premier ministre ou au ministre qui les a pistonnées.
Elles ont donc un devoir de loyauté envers ce protec-
teur.
Plusieurs enjeux se rattachent aux nominations. La
carrière des gens se joue, des services rendus se paient,
des défis mettant en jeu la crédibilité du gouvernement
doivent être relevés. Parfois, un jeu de chaises musicales
doit être orchestré pour concilier les intérêts des uns et
des autres. Il y a des jeux de coulisse, des alliances qui se
créent et se défont. C’est le terrain de la lutte politique
par excellence. Bien que le premier ministre soit le meneur
de jeu, les ministres font des nominations une de leurs
préoccupations premières. Car il ne faut pas perdre de vue
que les ministres sont des acteurs politiques très
énergiques.

Rôle des ministres


Certains ministres aiment se décrire comme des gestion-
naires et se dire soucieux du bon fonctionnement de leur
ministère. Mais cette image est inexacte, car, bien qu’ils
soient en charge d’un ministère et d’un nombre plus ou
moins grand d’organismes, leur rôle est essentiellement
politique. Ils sont élus comme députés et siègent au
0ARLEMENT  ILS SONT MEMBRES DU #ONSEIL DES MINISTRES ET
DE DIVERS COMIT£S MINIST£RIELS  ILS PEUVENT SE VOIR CONlER
LA RESPONSABILIT£ POLITIQUE DUNE R£GION  ILS DOIVENT PARTI-
ciper aux activités du parti politique, entre autres la col-
LECTE DES FONDS £LECTORAUX  ILS DOIVENT MAINTENIR DES
contacts avec la clientèle de leur ministère et négocier
LES ACTEURS POLITIQUES s 

DIVERS DOSSIERS AVEC LEURS COLLÞGUES  ILS DOIVENT AU SURCRO¦T


se soucier de leur réélection. Bref, ce sont des personnes
très occupées dont le temps est la principale ressource,
une ressource qui doit être utilisée judicieusement de
façon à atteindre les objectifs les plus importants : leur
réélection, la réélection de leur gouvernement et la
progression de leur carrière.
Bien sûr, la tâche de chef d’un ministère est la plus
prenante. Le ministre doit approuver toutes les décisions
importantes et signer les mémoires adressés au Conseil des
ministres et au Conseil du trésor. La règle de la responsabilité
ministérielle fait en sorte qu’il doit répondre devant l’As-
semblée nationale ou la Chambre des communes de toutes
les décisions prises par son ministère, ce qui lui impose de
se tenir informé d’une foule de sujets dont certains sont
d’ordre purement administratif. La façon dont il arrive à se
tirer d’affaires au cours de la période de questions et à se
sortir des crises découlant des enjeux soulevés par les
journaux et la télévision fait plus pour bâtir sa réputation
de compétence et de fermeté que toutes les responsabilités
administratives dont il a la charge.
Son défi le plus exigeant, cependant, est d’utiliser les
ressources de son ministère pour favoriser ses électeurs
et les individus, groupes et entreprises de la région dont
il est responsable. La tradition démocratique établit qu’un
ministre doit travailler pour son comté et sa région : ce
type de favoritisme est non seulement une obligation,
mais une vertu. Les gens sont souvent portés à juger de
l’efficacité d’un ministre par les faveurs qu’il peut obtenir
pour ses commettants.
Un autre critère d’efficacité est l’accroissement des
ressources qu’il peut décrocher au bénéfice de son
 s LES FONCTIONNAIRES

ministère. Plus de ressources humaines et financières


signifie que plus de services pourront être fournis aux
clientèles et plus de faveurs octroyées aux électeurs. Cela
explique que tous les ministres, à l’exception peut-être du
ministre des Finances et du président du Conseil du trésor,
sont dépensiers. Certains critiques de l’action de l’État
prétendent que rien n’est plus excitant et gratifiant que
de dépenser l’argent des autres, car l’essence du pouvoir
est d’utiliser les ressources à sa disposition pour gagner
l’appui des citoyens. La contrepartie, cependant, est que
le gouvernement, en tant que responsable des finances
publiques, doit justifier auprès des électeurs le niveau
élevé de taxes, d’impôts et de tarifs nécessaire au fonction-
nement de l’État.

Partage du pouvoir
Les élus et les fonctionnaires doivent travailler ensemble
et, par conséquent, partager le pouvoir. Rappelons que le
pouvoir est la capacité d’acquérir et d’utiliser des res-
sources pour obtenir l’appui d’individus ou de groupes,
ou faire en sorte que ces derniers se soumettent. Les
ressources utilisées peuvent être tangibles, par exemple
l’argent, les biens et les services, ou intangibles, telles que
les aptitudes permettant d’encourager ou d’intimider les
autres. Il importe de noter que le pouvoir est largement
subjectif, car, pour qu’elles aient une emprise sur
quelqu’un, les faveurs offertes doivent être convoitées et
les menaces proférées doivent être redoutées.
Ce ne sont donc pas seulement les ressources dont les
ministres et les fonctionnaires disposent chacun de leur côté
qui leur confèrent du pouvoir, mais la capacité que
LES ACTEURS POLITIQUES s 

possèdent l’une et l’autre partie d’utiliser ces ressources


efficacement. Les ministres ont le pouvoir de décision, mais
les fonctionnaires détiennent les connaissances et l’expé-
rience de la chose publique. Il est certain que les ministres
qui ont peu d’envergure se retrouvent rapidement sous la
coupe des fonctionnaires. On dit de ces ministres qu’ils se
font les porte-parole de leur ministère.
Les ministres plus brillants et plus tenaces savent
cependant s’entourer de conseillers politiques aguerris et
faire appel à des experts externes pour obtenir des points
de vue différents de ceux de leurs fonctionnaires. Ils
insistent pour que ces derniers leur soumettent un éven-
tail de solutions parmi lesquelles ils pourront choisir celles
qui correspondent le mieux à leurs intérêts.
Nombreux sont les cas où les solutions technocratiques
fondées sur des recherches scientifiques sembleraient
devoir s’imposer aux yeux des personnes les mieux infor-
mées. Malgré toute leur bonne volonté, les politiciens ne
peuvent le plus souvent choisir de telles solutions, car il
leur faudrait changer l’opinion publique et leur rôle n’est
pas de faire de l’éducation populaire. Ils ne disposent
d’ailleurs pas des instruments leur permettant de le faire,
même s’ils avaient le temps et le goût pour entreprendre
une telle tâche. Ils doivent donc jouer le jeu avec les cartes
qu’ils ont en main. Ils sont forcés de réagir en fonction du
court terme, des prochaines élections, même s’ils trouve-
raient souvent souhaitable de retenir des considérations
à plus long terme. Le lointain avenir ne peut pas être leur
préoccupation première. Comme le disent les anglo-
phones, leur devise est The future will take care of itself,
l’avenir se débrouillera bien tout seul !
 s LES FONCTIONNAIRES

Lorsque les ministres font des consultations publiques,


ce n’est souvent que pour mieux vendre les solutions
qu’ils ont déjà retenues. Ils sont d’ailleurs plus enclins à
entreprendre des consultations lorsqu’ils constatent une
baisse de confiance à leur égard.
La vision des électeurs est influencée par l’habileté du
ministre et de son entourage à orchestrer des communi-
cations efficaces. Tout comme un bon avocat peut faire
acquitter un accusé que tous disent coupables, une bonne
équipe de communication peut présenter de façon positive
une situation que d’autres pourraient qualifier de
désastreuse.
C’est par ses talents de communicateur que le ministre
peut s’imposer. Il doit savoir simplifier les enjeux et parler
le langage des gens. Il n’a d’ailleurs très souvent que trente
secondes au bulletin de nouvelles télévisé pour expliquer
son point de vue et convaincre les électeurs.
Les pratiques de communication des politiciens sont
aux antipodes de celles des fonctionnaires. Alors que ces
derniers aiment présenter des faits, les communicateurs
politiques jouent sur les images, les symboles et les
anecdotes (story telling). Ils attaquent les adversaires plutôt
que de répondre à leurs arguments. Ils savent qu’il est plus
facile d’agir sur les perceptions que sur les résultats.
Envahis comme ils le sont par l’information, les citoyens
se rappellent peu des événements et des faits, mais les
perceptions découlant des images et des symboles ont un
effet durable.
Les impératifs du jeu démocratique s’imposent à tous
les acteurs, y compris les fonctionnaires. Ces derniers ne
peuvent en faire abstraction.
Chapitre 4
Les acteurs administratifs

C omme il a été établi plus haut, bien que la branche


exécutive de l’État soit formée d’élus et de fonction-
naires, ces deux groupes sont loin d’être sur la même
longueur d’ondes. Les fonctionnaires partagent une vision,
des objectifs et des attitudes qui leur sont propres.

Vision et objectifs divergents


Étant donné que les fonctionnaires consacrent temps et
efforts à amasser des connaissances, il est facile pour eux
de s’imaginer qu’ils savent mieux que les ministres ce qui
est avantageux pour la société. Plusieurs partagent une
conception du bien commun assez répandue dans la
population selon laquelle un intérêt général existe au-delà
des partis politiques et des groupes de pression.
Selon cette conception, la connaissance du contexte
économique et social ainsi que des besoins de la société,
conjugués avec le savoir scientifique, permet de définir ce
qui est juste, c’est-à-dire bénéfique pour l’ensemble des
citoyens. Une telle vision ne résiste cependant pas à
l’analyse. En effet, la société est extrêmement diversifiée,
 s LES FONCTIONNAIRES

et il y a pratiquement autant de définitions de l’intérêt


général qu’il y a de citoyens.
Les clivages entre les individus sont nombreux.
Mentionnons, à titre d’exemple, les suivants :
s HOMMES ET FEMMES 
s JEUNES ET VIEUX 
s R£SIDENTS DE LA M£TROPOLE ET DES R£GIONS 
s URBAINS ET RURAUX 
s BANLIEUSARDS ET HABITANTS DES CENTRES VILLES 
s FAVORIS£S ET D£FAVORIS£S 
s EMPLOYEURS ET EMPLOY£S 
s FRANCOPHONES ANGLOPHONES ET ALLOPHONES 
s INSTRUITS ET ILLETTR£S 
s PROPRI£TAIRES ET LOCATAIRES 
s SALARI£S ET TRAVAILLEURS AUTONOMES 
s PARENTS ET PERSONNES SANS ENFANTS 
s ETC
Chaque personne profite différemment des interven-
tions publiques ou en est pénalisée. Par exemple, une
nouvelle route facilitera les déplacements de certains,
mais générera bruit et pollution pour ceux qui demeurent
à proximité. Plus généralement, les contribuables paient
un lourd tribut pour les services publics et en bénéficient
très inégalement. Si chacun des citoyens pouvait faire des
choix à la carte, il opterait uniquement pour les services
dont il retire profit et déciderait de payer le moins de taxes
et d’impôts possible.
Il n’existe pas de modèle parfait pour décider des biens
et des services qui doivent être du domaine public et du
niveau de financement qui doit leur être accordé. Même
le « gros bon sens » n’est pas un critère, car en démocratie
la majorité a toujours raison, même dans les cas d’absurdité
LES ACTEURS ADMINISTRATIFS s 

flagrante, par exemple les lois américaines sur les armes


à feu.
Les gens répugnent à se faire imposer des solutions
dont ils ne veulent pas et s’opposeraient farouchement à
ce que les décisions soient prises par des fonctionnaires,
même les plus éclairés et compétents.
Comme tout le monde, les fonctionnaires ont d’ailleurs
la tendance bien compréhensible de défendre les services
qu’ils administrent et de prendre parti pour leurs clien-
tèles. Ils se feront les ardents défenseurs et propagandistes
des programmes de protection de la jeunesse, d’égalité
des femmes, de soutien aux arts et aux lettres, de déve-
loppement international, de protection de l’environne-
ment, etc. Certains clients comme les autochtones et les
assistés sociaux suscitent un zèle surprenant parmi ceux
qui travaillent auprès d’eux. Les ministres préféreraient
que les fonctionnaires fassent montre de plus d’objectivité,
particulièrement quand il est question de sabrer dans les
programmes. Ils détestent particulièrement ceux qui
s’arrogent la mission de défendre à tout prix des pro-
grammes ou des clientèles. Ces personnes sont traitées
dérisoirement de « missionnaires ».

Tension entre les fonctionnaires et les ministres


Les ministres sont les patrons de la fonction publique,
mais ils sont aussi dépendants des fonctionnaires. Étant
donné que l’État intervient dans de multiples secteurs,
l’administration publique est devenue extrêmement
complexe. Dans la plupart de ces domaines, les ministres
sont des néophytes et doivent se reposer sur les connais-
sances et l’expérience des fonctionnaires.
 s LES FONCTIONNAIRES

En certaines matières, les élus abandonnent totalement


leurs responsabilités au profit d’administrateurs indépen-
dants. C’est le cas, par exemple, de la politique monétaire
qui est confiée à la Banque du Canada, une institution
tout à fait indépendante du gouvernement. Dans d’autres
domaines, la complexité technique est telle que les minis-
tres préfèrent ne pas s’en mêler. La gestion de la dette qui
implique des transactions portant sur des centaines de
milliards de dollars est un de ces domaines réservés aux
spécialistes, en l’occurrence ceux du ministère des
Finances.
Il s’agit cependant là d’exceptions, car les ministres
aiment être perçus comme des leaders et des dirigeants.
Ils veulent se mettre en évidence, annoncer les bonnes
nouvelles et contrôler toutes les interventions publiques.
Un fonctionnaire qui s’affiche publiquement usurpe la
place du ministre. Les fonctionnaires doivent demeurer
anonymes et en retrait, sauf pour répondre à des questions
techniques ou pour traiter de dossiers pouvant être
embarrassants pour le ministre.
Le ministre est le principal porte-parole du ministère.
Les fonctionnaires doivent donc le tenir parfaitement
informé de toutes les questions susceptibles d’être soule-
vées par les partis d’opposition ou les représentants des
médias. Par exemple, lors de catastrophes ou de situations
d’urgence où les services de sécurité civile sont concernés,
il est impératif que le ministre soit mis au courant au fur
et à mesure du déroulement des événements. Certains
prétendent qu’il est aussi important pour les fonction-
naires d’informer le ministre que de porter secours aux
gens. Les lignes de communication avec le ministre, et
LES ACTEURS ADMINISTRATIFS s 

dans certains cas avec le premier ministre, doivent


demeurer ouvertes en tout temps.
Tous ceux qui travaillent dans l’appareil administratif
doivent être conscients de la démarcation entre le politique
et l’administratif. L’information à caractère technique sur
les programmes et les services déjà annoncés est clairement
administrative. Tout ce qui est controversé ou susceptible
de le devenir est politique. La ligne est donc bien floue entre
l’administratif et le politique. La règle de conduite la plus
importante est d’éviter tout embarras au ministre. Le
fonctionnaire qui enfreint cette règle, volontairement ou
non, risque de voir la progression de sa carrière marquer
un temps d’arrêt ou être carrément compromise.
Les préoccupations des élus et celles des fonctionnaires
sont bien différentes. Les ministres œuvrent dans une arène
publique où tout est communication. Il importe avant tout
que les électeurs soient satisfaits. Dans ce contexte, la
perception est la réalité et les faits ont une importance
relative. Les fonctionnaires, par contre, travaillent dans
l’ombre et doivent s’assurer que tous les gestes qu’ils posent
sont autorisés par la loi et conformes aux procédures
administratives en vigueur. Ces gestes doivent être
documentés pour permettre le contrôle et résister aux
vérifications, de façon à protéger le ministre en lui évitant
les situations embarrassantes. La conciliation de ces deux
impératifs contradictoires est un défi constant.
Une autre réalité qui oppose les fonctionnaires et les
élus est la vitesse d’exécution. Les ministres rêvent de
résultats immédiats. Devant tout problème, ils aimeraient
pouvoir annoncer rapidement des solutions.
L’administration publique s’est toutefois donné un rythme
de fonctionnement auquel elle n’aime pas déroger. Ce
 s LES FONCTIONNAIRES

rythme peut être jugé lent et même léthargique, mais il


répond à des critères de prudence et de régularité, car
toute dérogation entraîne des risques et la fonction
publique est réfractaire aux risques. Cette dernière consi-
dère qu’elle doit agir de façon professionnelle, c’est-à-dire
effectuer les analyses qui s’imposent, procéder à des
consultations, rédiger des rapports, obtenir des autorisa-
tions, etc. Ce mode de fonctionnement est intégré à la
culture de l’organisation. La formule qui pourrait le
mieux la décrire est « hâte-toi lentement ».
Les ministres sont facilement portés à accuser la fonc-
tion publique de bloquer ou, à tout le moins, d’entraver
leurs initiatives. On l’accuse d’être centrée sur elle-même,
d’être insensible aux désirs des politiciens et aux attentes
des citoyens, d’être trop indépendante, sclérosée et inef-
ficace. Tant les ministres que leur personnel politique
perçoivent la fonction publique comme une organisation
insensible.

Les cabinets ministériels


Les membres du cabinet du ministre sont des employés
à part entière du ministère même si, comme nous l’avons
mentionné plus haut, ils ne font pas partie de la fonction
publique. Ils sont embauchés par le ministre et doivent
lui offrir une totale loyauté. Ils n’ont évidemment pas la
sécurité d’emploi, mais ceux qui ont le plus d’ancienneté
et les meilleurs états de service peuvent toutefois compter
sur l’appui du parti politique auquel ils appartiennent
lorsque, pour une raison ou pour une autre, ils doivent se
trouver un autre emploi.
LES ACTEURS ADMINISTRATIFS s 

Le chef de cabinet occupe une position prééminente,


car il est autorisé à parler au nom du ministre. Les instruc-
tions et les avis qu’il donne aux fonctionnaires ont donc
autant de poids que ceux du ministre lui-même. Parmi les
autres membres du cabinet, certains peuvent avoir beau-
coup d’influence sur les activités du ministère, entre
autres les attachés politiques et l’attaché de presse. Ce
dernier travaille étroitement avec la Direction des com-
munications du ministère et intervient parfois dans les
activités quotidiennes de cette unité administrative.
Étant donné qu’ils sont au service direct du ministre,
les membres du cabinet se sentent quelquefois investis
d’une mission et cherchent à s’ingérer dans les affaires du
ministère. Les règles qui régissent les rapports entre les
membres du cabinet et les fonctionnaires sont informelles.
Elles sont plus strictes au sein du gouvernement fédéral
qu’au sein du gouvernement québécois. Dans l’adminis-
tration fédérale, les membres de l’entourage du ministre
doivent obligatoirement passer par le sous-ministre en
titre ou un sous-ministre adjoint pour toute demande, y
compris la recherche d’information. Les fonctionnaires
fédéraux reçoivent la directive que, lorsqu’un membre du
cabinet s’adresse directement à eux, ils doivent répondre :
« Je prends note de votre demande et je la transmets à mon
supérieur ».
Au sein de l’administration québécoise, les règles sont
beaucoup moins claires. Il arrive fréquemment que les
membres du cabinet communiquent directement avec les
fonctionnaires, particulièrement les cadres et les profes-
sionnels. Plusieurs sous-ministres acceptent cette situation,
particulièrement lorsqu’ils sont très proches du parti au
pouvoir. D’autres essaient d’imposer des lignes de
 s LES FONCTIONNAIRES

communication plus formelles, mais ne réussissent pas


toujours parce que la culture organisationnelle est d’une
grande tolérance en cette matière.
Les relations entre les fonctionnaires et les membres
des cabinets ne sont cependant pas toujours affables, car
les préjugés sont tenaces. Les fonctionnaires considèrent
que les membres du cabinet sont pour la plupart ignorants
et peu expérimentés, alors que ces derniers croient que
les fonctionnaires sont indolents et procéduriers. Le fait
que les membres des cabinets soient habituellement
moins bien payés que les fonctionnaires et qu’ils ne
bénéficient pas de leurs multiples avantages sociaux ali-
mente encore les partis pris.

Deux catégories de fonctionnaires


Les ministres et leurs conseillers travaillent de près avec un
petit nombre de fonctionnaires qui incluent bien sûr les
sous-ministres et sous-ministres adjoints, mais aussi des
cadres responsables de programmes qui retiennent leur
attention et des professionnels chargés de monter des
dossiers complexes, par exemple en vue des commissions
parlementaires ou d’activités de communication avec divers
publics. Ces personnes ont un visage humain, mais tous les
autres fonctionnaires se perdent dans la masse et ne sont,
pour les ministres et les membres des cabinets, que des
bureaucrates anonymes.
Les ministres ont habituellement confiance aux per-
sonnes avec lesquelles ils traitent de façon quotidienne,
ne serait-ce que parce qu’ils écartent rapidement toutes
celles qui ne sont pas suffisamment dévouées. Les cas
d’exception sont les hauts fonctionnaires nommés par le
LES ACTEURS ADMINISTRATIFS s 

premier ministre avec le mandat officieux de surveiller le


ministre et diverses autres personnes qui ne peuvent être
facilement évincées à cause de leur réputation, de leur
compétence technique ou de protecteurs influents. Les
ministres et leur entourage seront élogieux envers les
personnes qu’ils connaissent personnellement, mais
tiendront généralement des propos peu flatteurs envers
la masse des fonctionnaires.
Les hauts fonctionnaires et les employés qui côtoient
régulièrement les ministres et les conseillers politiques
apprennent rapidement le jeu politique et peuvent trouver
excitant de participer aux jeux de pouvoir. Plusieurs en
retirent une grande satisfaction et s’y consacrent totale-
ment sans compter les heures. Pour ces derniers, l’enga-
gement dans les stratégies politiques est une source de
motivation, en plus de présenter des défis hors du
commun.
Un grand nombre de fonctionnaires préfèrent cependant
vivre à l’abri du monde politique. Ils apprennent par les
journaux ce qui s’y passe, mais s’en tiennent loin. Cela leur
est d’autant plus facile que le ministère pour lequel ils tra-
vaillent leur est présenté comme une organisation indépen-
dante soumise à ses règles propres. Pour eux, être fonction-
naire est un emploi comme un autre. Personne ne leur dit
que le ministre est le patron. Comme une grande partie
des citoyens, ils peuvent avoir de ce dernier l’image négative
qui est souvent véhiculée dans les médias.
La masse des fonctionnaires peut agir en faisant abstrac-
tion du fait que les ministères sont des organisations
essentiellement politiques, mais ceux qui travaillent sous
la direction immédiate des ministres comprennent que leur
situation exige d’eux des attitudes bien particulières.
 s LES FONCTIONNAIRES

Les hauts fonctionnaires


La plupart des fonctionnaires de la base aiment faire leur
travail sans aucune interférence politique. Les sous-minis-
tres et sous-ministres adjoints, par contre, préfèrent tra-
vailler sous le leadership de ministres forts. En effet,
contrairement à ce que plusieurs pensent, il n’y a que des
inconvénients à travailler avec un ministre qui a peu
d’influence dans son parti politique, qui n’a pas la confiance
du premier ministre, qui est peu connu du public ou qui
n’a pas d’idées. Un ministre faible, en effet, est incapable
de soutirer des ressources additionnelles et de faire avancer
les dossiers. Sous son leadership, le ministère ne peut que
faire du sur place ou s’affaiblir.
Les façons de voir des hauts fonctionnaires ressemblent
peu à celles des administrateurs du secteur privé. Alors
que ces derniers mesurent leur influence par rapport au
chiffre d’affaires qu’ils contrôlent, au nombre d’employés
sous leur direction ou à leur rémunération annuelle, le
critère utilisé par les sous-ministres et les sous-ministres
adjoints est la proximité d’un ministre influent. Il est plus
prestigieux, par exemple, de travailler avec un ministre
chargé d’élaborer une politique importante, même si
l’effectif du ministère est restreint, que de diriger un
organisme ayant un budget de plusieurs centaines de
millions de dollars et des milliers d’employés.
Comme le sous-ministre est nommé par le premier
ministre, sa loyauté est d’abord envers ce dernier, par
conséquent envers le gouvernement. Son principal rôle
est de servir son ministre et d’agir comme son conseiller
en matière de politiques ministérielles. Sa performance
est jugée par son habileté à bien faire paraître le ministre.
LES ACTEURS ADMINISTRATIFS s 

Dans son langage imagé, l’ex-premier ministre Jean


Chrétien donnait la consigne suivante aux sous-ministres :
i 6OUS FAITES £QUIPE AVEC VOTRE MINISTRE  SIL COULE VOUS
coulez avec lui ! » Pour être efficace, le sous-ministre doit
d’abord gagner la confiance de son ministre. Il doit
connaître ses préoccupations, ses attentes et ses objectifs.
Il doit s’appliquer à formuler ses remarques et ses recom-
mandations en se conformant à la pensée du ministre. En
d’autres termes, il doit parler le langage du ministre s’il
veut être entendu et écouté. Pour conserver la confiance
de ce dernier, il doit l’informer de tout ce qui est essentiel
pour lui de connaître lorsqu’il traite avec le premier
ministre, ses collègues, les parlementaires et les représen-
tants de ses clientèles. Cependant, comme le ministre
dispose de peu de temps, le tenir informé même des
choses importantes est un véritable défi. Certains sous-
ministres utilisent la tactique de faire en sorte que l’ordre
du jour des réunions avec le ministre contienne tous les
sujets qui devraient être abordés, même si les chances de
pouvoir traiter de tous les points sont minimes. De cette
façon cependant, le ministre ne peut pas se plaindre qu’on
lui cache des informations.
Comme la première responsabilité du sous-ministre est
de servir son ministre, la gestion du ministère passe en
second. Les tâches administratives sont omniprésentes,
mais les impératifs politiques prédominent en tout temps.
Plusieurs réformateurs ont déploré, tant à Québec qu’à
Ottawa, que la gestion ne reçoive pas, de la part des
sous-ministres, toute l’attention qu’exigent des organisa-
tions aussi importantes et complexes que les ministères.
Des propositions ont été faites pour que les sous-ministres
rendent des comptes au Conseil du trésor et au Parlement.
 s LES FONCTIONNAIRES

Les velléités de réformes ont toujours achoppé cependant


sur les impératifs politiques : le sous-ministre répond
d’abord et avant tout à son ministre et doit tout mettre
en œuvre pour protéger ce dernier. Le contexte d’affron-
tement permanent entre le parti au pouvoir et les partis
d’opposition ne laisse pas beaucoup d’espace à un examen
objectif de la gestion.
La Loi fédérale sur l’imputabilité adoptée à la suite de
la Commission d’enquête sur le programme de comman-
dites et les activités publicitaires (commission Gomery) a
introduit de nouvelles règles concernant la responsabilité
du sous-ministre. Ce dernier est désigné comme « agent
imputable » (accounting officer) obligé de rendre des
comptes indépendamment de son ministre, ce qui forma-
lise les rapports avec ce dernier en cas de conflit.
Par ailleurs, des propositions ont été faites dans le but
de subdiviser le poste de sous-ministre en deux fonctions
distinctes : conseiller principal du ministre et administra-
teur du ministère. Il s’agit de l’approche utilisée dans les
grandes entreprises qui ont un chef de la direction et un
chef de l’exploitation. Ceux qui sont familiers avec le
fonctionnement des institutions politiques croient cepen-
dant que le modèle de gouvernance des entreprises est
inapproprié pour un ministère.
Le peu de temps que peuvent consacrer les sous-
ministres aux problèmes de gestion est compensé en
bonne partie par l’importance et l’omniprésence des
services administratifs dans les ministères. En effet, alors
que, dans les entreprises, deux à cinq pour cent de l’effectif
est affecté aux tâches administratives internes, ce sont deux
à trois fois plus de fonctionnaires qui sont chargés de
l’administration du personnel, des ressources financières,
LES ACTEURS ADMINISTRATIFS s 

des ressources matérielles, des communications et des


relations publiques.
Les sous-ministres ne sont pas uniquement conseillers
de leur ministre respectif. Comme groupe, ils sont
considérés comme une ressource pour le gouvernement
dans son ensemble. C’est ainsi qu’ils sont appelés à parti-
ciper à des groupes de réflexion, des comités consultatifs,
et diverses équipes de travail. Ils contribuent, entre autres,
à la préparation du programme législatif du gouverne-
ment, du Discours inaugural et du Discours sur le
budget.
La personne chargée de coordonner le travail des
sous-ministres en tant que ressources stratégiques pour
le gouvernement est le greffier du Conseil privé (Ottawa)
ou le secrétaire général du gouvernement (Québec). Ce
haut fonctionnaire est le sous-ministre du premier
ministre. Une de ses principales responsabilités est d’aider
ce dernier à conserver la cohésion du Conseil des minis-
tres. Le maintien de la solidarité ministérielle suppose que
les ministres ont la possibilité de se faire entendre sur
toutes les questions litigieuses et que le premier ministre
dispose d’un forum pour recueillir toute l’information lui
permettant de faire les arbitrages nécessaires. C’est
pourquoi la préparation de l’ordre du jour de la réunion
du Conseil des ministres est une de ses tâches les plus
importantes.
Le greffier (ou secrétaire général) est, avec le chef de
Cabinet du premier ministre, la personne sur laquelle
s’appuie le chef du gouvernement pour résoudre les
conflits entre les ministres et élaborer des compromis qui
permettent au Conseil des ministres de fonctionner har-
monieusement.
 s LES FONCTIONNAIRES

Un des principaux critères d’efficacité de ce haut fonc-


tionnaire est sa capacité de résoudre les problèmes et de
gérer les crises inhérentes au contexte politique. Certains
qualifient ce haut fonctionnaire de « pompier en chef ».
Lorsqu’il parvient à tirer le gouvernement d’embarras, il
ajoute des plumes à son chapeau.
En tant que premier fonctionnaire de l’État, il a aussi
la responsabilité de s’assurer que la fonction publique est
entièrement au service du gouvernement et se plie aux
orientations fixées par le Conseil des ministres. À cet effet,
il réunit régulièrement l’ensemble des sous-ministres pour
leur transmettre les consignes du gouvernement.
Une autre de ses tâches importantes est de rencontrer
individuellement les sous-ministres qui ont des conflits avec
leur ministre, ce qui peut se produire, par exemple, à cause
de difficultés à concilier les décisions de ce dernier avec les
volontés du premier ministre. Il s’agit là de sujets délicats
dont le premier ministre n’aime pas se mêler personnelle-
ment. Le greffier ou le secrétaire général peut faire en sorte
de régler les problèmes en évitant les affrontements entre
un ministre et le chef du gouvernement.
Le fonctionnement d’un gouvernement est éminem-
ment politique. Cependant, un gouvernement est aussi
un imposant appareil administratif dans lequel travaillent
des milliers de fonctionnaires. La réalité de ceux qui
occupent les milliers de postes au sein de l’administration
est bien différente de celle des hauts fonctionnaires.

Les employés de la fonction publique


Alors que les ministres et les hauts fonctionnaires décrivent
souvent leur travail comme une vocation, les fonctionnaires
LES ACTEURS ADMINISTRATIFS s 

de la base considèrent pour la plupart qu’il s’agit d’un


emploi comme un autre. Les premiers, en effet, ont un
salaire modeste par rapport à ce qui est payé dans le sec-
teur privé pour des responsabilités comparables. La
modicité de ce salaire serait encore plus évidente si l’on
tenait compte de la rémunération horaire.
Par contre, la majorité des fonctionnaires ont des
salaires qui se comparent à ceux du secteur privé. Ils sont
même plus élevés que ceux qui sont payés au sein de la
petite et moyenne entreprise. Ils jouissent d’avantages
sociaux enviables, les plus prisés étant la sécurité d’emploi
et le régime de retraite. Leur semaine de travail, qui est
de 35 heures au Québec et de 37 heures et demie au
fédéral, est plus courte que celle de la majorité des contri-
buables salariés.
Être fonctionnaire comporte toutefois un côté sombre :
celui de faire carrière dans une organisation névrosée et
paranoïaque, c’est-à-dire où règnent l’incompréhension,
la méfiance et la crainte. Cette situation découle du fait
que les décisions prises aux hauts échelons le sont à partir
de considérations politiques et que ces décisions semblent
incompréhensibles aux personnes formées pour décider
à partir de critères administratifs, économiques ou
scientifiques.
Les fonctionnaires se rendent compte tous les jours
qu’un monde sépare l’administratif du politique. Ils
apprennent le plus souvent par les journaux ce qui se passe
dans la fonction publique et même dans le ministère où
ils travaillent. Même si le ministre est leur grand patron,
la perception qu’ils en ont à travers les médias est celle
d’un personnage inaccessible qui fait partie d’un autre
monde que le leur. Sur un plan philosophique, ils peuvent
 s LES FONCTIONNAIRES

concevoir que les ministères sont des structures politiques,


mais tout dans leur formation et leurs valeurs personnelles
les amène à privilégier les approches administratives.
Pour les politiciens, il semble toutefois normal et tout
à fait rationnel que les décisions gouvernementales visent
à satisfaire les alliés du parti au pouvoir et à permettre à
ce dernier d’être réélu : c’est le fondement même du
processus démocratique. La logique politique n’est cepen-
dant pas perçue comme légitime par les fonctionnaires,
ni par l’opinion publique. Les politiciens et les hauts
fonctionnaires doivent donc justifier leurs décisions en
utilisant des arguments objectifs. La contradiction entre
les paroles et les gestes ne peut passer inaperçue aux yeux
de bien des fonctionnaires. Il en découle de l’incompré-
hension, de la méfiance et des attitudes soupçonneuses.
Les fonctionnaires constatent que les décisions qui sont
prises quotidiennement sont souvent pour eux déconcer-
tantes, ambiguës et incohérentes. Il est facile dans un tel
contexte de prêter de mauvaises intentions, d’imputer
erreurs et faux pas, ainsi que de distribuer les blâmes. Les
valeurs véhiculées sont nombreuses et complexes. Les
parties concernées peuvent les utiliser comme des critères
contradictoires pour condamner tout geste fait de bonne
foi. Par exemple, l’équité, en imposant la prise en compte
de circonstances particulières, peut s’opposer à la justice
qui découle de l’interprétation rigoureuse de la loi.
On reproche aux fonctionnaires de ne prendre aucun
risque et de ne pas innover. Mais ceux qui prennent le
risque de changer quoi que ce soit ne reçoivent générale-
ment aucune récompense en retour et, s’ils font des
erreurs, ils risquent d’être accusés d’incompétence, de
désobéissance ou de déloyauté.
LES ACTEURS ADMINISTRATIFS s 

Les coups peuvent venir de partout, car l’administration


publique fonctionne dans une maison de verre. Chacun
peut être pris à partie par divers intervenants qui devien-
nent autant d’adversaires. Non seulement les partis
d’opposition et les médias sont-ils à l’affût, mais plusieurs
institutions ont le mandat de débusquer les fautes qui
peuvent être commises, entre autres, pour ce qui est du
Québec, le Vérificateur général et le Protecteur du citoyen.
Au niveau canadien, la Loi fédérale sur l’imputabilité
adoptée en décembre 2006 a créé deux nouvelles institu-
tions chargées de jouer le jeu de « chien de garde » :
s LE $IRECTEUR PARLEMENTAIRE DU BUDGET CHARG£ DE
fournir aux députés des analyses objectives sur l’état
des finances du pays, les tendances de l’économie et
le coût des propositions à l’étude à la Chambre des
COMMUNES ET AU 3£NAT 
s LE 6£RIFICATEUR DE LAPPROVISIONNEMENT CHARG£
d’assurer une surveillance additionnelle du processus
de passation des marchés publics.
Cette même loi a aussi renforcé le rôle de trois autres
institutions.
s LE #OMMISSAIRE AU LOBBYING QUI SE VOIT CONlER DES
pouvoirs étendus pour mener des enquêtes et faire
RESPECTER LES RÞGLES 
s LE #OMMISSAIRE Í L£THIQUE Í QUI UNE NOUVELLE ,OI
sur les conflits d’intérêts confère de nouvelles
RESPONSABILIT£S 
s LE #OMMISSAIRE IND£PENDANT Í LINT£GRIT£ DU SECTEUR
public chargé, en vertu de la Loi sur la protection
des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensi-
bles, de mettre à l’abri des représailles les fonction-
naires qui dénoncent des actes condamnables.
 s LES FONCTIONNAIRES

Plusieurs ont reproché au gouvernement conservateur


de M. Harper de vouloir en faire trop et d’apporter au
système administratif des modifications dont il est impos-
sible de prévoir les conséquences. Comme le dit le pro-
verbe l’enfer est pavé de bonnes intentions. Certains pensent
que les nouveaux chiens de garde renforceront l’attitude
généralisée de paranoïa qui existe déjà dans la fonction
publique.
On déplore que tout le monde se méfie des autres et
que tous craignent comme la peste les conséquences des
décisions qui sont prises. Dans un contexte de crainte
exacerbée, les fonctionnaires comprennent que la ligne
de conduite la plus prudente est de refiler les décisions à
l’échelon supérieur. Une autre tactique est de créer des
groupes de travail et des comités pour diluer la responsa-
bilité. On peut aussi éviter bien des problèmes en laissant
traîner les choses, car le temps clarifie les enjeux et
modifie les problématiques.
Un bon nombre de fonctionnaires n’acceptent pas de
gaîté de cœur de vivre dans une organisation névrosée et
paranoïaque. Plusieurs aimeraient quitter pour un autre
emploi, mais ils se voient pris au piège. En effet, les
excellentes conditions de travail, la sécurité d’emploi et
le régime de retraite façonnent une cage dorée d’où il est
angoissant de s’extraire.
Quelques-uns décident de jouer le jeu politique. Ceux
qui apprennent à connaître les règles du jeu et arrivent à
les accepter peuvent trouver de l’intérêt et même du plaisir
à participer aux luttes politiques. La difficulté, cependant,
est que, lorsque le parti politique au pouvoir perd ses
élections, le fonctionnaire engagé est « tabletté », c’est-à-dire
mis sur le carreau ou relégué à des fonctions inférieures.
LES ACTEURS ADMINISTRATIFS s 

D’autres prennent le parti de lutter contre le système.


Ils s’engagent dans l’action syndicale et font valoir toutes
sortes de revendications en s’efforçant de mobiliser leurs
collègues les plus mécontents. Une autre avenue est la
dénonciation. Cette voie est cependant remplie de périls,
car les fonctionnaires prêtent un serment de discrétion et
ont une obligation de réserve qui leur interdit toute action
d’éclat sur la place publique.
De nombreux fonctionnaires ressentent un malaise à
travailler dans la fonction publique et arrivent mal à
appréhender ce qui se passe autour d’eux. Cette incom-
préhension s’exprime par des expressions telles que « c’est
complètement fou » ou « ça n’a aucun bon sens ». Le
problème provient du fait que la fonction publique est
une organisation dysfonctionnelle.
#HAPITRE 
Une organisation dysfonctionnelle

L a fonction publique est une institution dysfonction-


nelle, car il s’agit d’une organisation bancale et
excessivement bureaucratique.

Organisation bancale
C’est le partage d’objectifs communs qui fait que des gens
se regroupent pour travailler au sein d’une même
organisation. Que l’organisation soit publique ou privée,
avec ou sans but lucratif, les objectifs généraux sont les
éléments qui lui permettent d’agir comme un ensemble
et les bases guidant la prise des décisions.
Le fait de s’engager à atteindre des objectifs est une
source importante de satisfaction pour les membres d’une
organisation. Les progrès faits dans la poursuite de ces
objectifs constituent un encouragement pour les individus
et les motivent à continuer. Par contre, si des objectifs qui
ont nécessité beaucoup d’efforts sont soudainement
abandonnés, comme cela se produit souvent après un
changement de gouvernement, de ministre ou de sous-
ministre, il en résulte un sentiment de frustration chez les
fonctionnaires concernés. Ces derniers sont beaucoup
UNE ORGANISATION DYSFONCTIONNELLE s 

moins portés par la suite à opter pour le même niveau


d’engagement.
Au sein de la fonction publique, la machine adminis-
trative ne partage pas nécessairement les objectifs des élus.
Elle dispose en effet d’un niveau considérable d’autonomie
qui lui permet de poursuivre ses propres objectifs qui, à
l’occasion, peuvent être diamétralement opposés. Par
exemple, devant la volonté du gouvernement de réduire
les dépenses administratives, les fonctionnaires peuvent
tout mettre en œuvre pour conserver le statu quo.
Les fonctionnaires acceptent naturellement les objectifs
qui découlent des lois. Il en va tout autrement des politi-
ciens qui, une fois au pouvoir, se voient contraints d’ap-
pliquer des lois qu’ils ont combattues lorsqu’ils étaient
dans l’opposition. Le gouvernement ne peut certes pas
aller à l’encontre des volontés du Parlement traduites dans
des lois, mais les ministres peuvent chercher à interpréter
ces dernières dans le sens de leurs intérêts. Dans un
contexte aussi mouvant, les fonctionnaires sont en mesure
d’entraver les volontés de leurs maîtres politiques.
L’indépendance de la fonction publique est une consé-
quence des mesures prises au début du siècle dernier pour
contrecarrer le patronage politique. Il fut un temps où,
après leur élection, les gouvernements remplaçaient
systématiquement les fonctionnaires par des partisans qui
n’avaient pas nécessairement toutes les qualifications
requises. Pour mettre fin à ces abus, les Parlements ont
instauré la règle de sélection des employés par concours
et ont accordé la sécurité d’emploi aux fonctionnaires.
Ces deux innovations ont permis la mise en place d’un
régime de carrière dont la définition est cependant diffé-
rente selon qu’on adopte le point de vue de la direction
 s LES FONCTIONNAIRES

ou celui des syndicats. Pour la direction, le régime de


carrière permet une progression des fonctionnaires qua-
lifiés dans l’échelle hiérarchique sans intervention des
politiciens. Pour les syndicats, il signifie une progression
salariale sans entrave. La catégorie des professionnels du
gouvernement du Québec est le groupe de fonctionnaires
qui a réussi à donner au concept de carrière la définition
la plus avantageuse, soit celle d’un avancement constant
vers le sommet de l’échelle salariale de l’ensemble des
membres du groupe. Les emplois équivalents dans la
fonction publique fédérale font l’objet d’une classification
différente qui fait en sorte que leur rémunération est plus
conforme à celle qui est versée dans le secteur privé.
La machine administrative a son rythme propre et se
contente facilement du statu quo, alors que les politiciens
vivent dans un monde rempli de défis, d’incertitudes,
d’attentes, d’affrontements, d’événements imprévisibles
et d’occasions à saisir ou à manquer. Les fonctionnaires
croient qu’ils devraient avoir le soutien constant de leurs
dirigeants politiques, mais ces derniers ne se gênent pas
pour les critiquer et les blâmer pour les difficultés
rencontrées.
La situation est encore plus complexe du fait que les
fonctionnaires sont aussi des électeurs et peuvent donc
participer à la sélection de leurs patrons politiques à la fois
par leur vote et par l’influence qu’ils détiennent sur leur
famille et leur entourage. Une obligation limite toutefois
leur liberté d’expression : il s’agit du devoir de réserve, un
concept mal défini, mais qui fait peser une menace constante
sur ceux qui s’engagent dans le débat politique.
D’autres contraintes pèsent sur le travail des fonction-
naires. La gratuité de plusieurs services offerts fait que la
UNE ORGANISATION DYSFONCTIONNELLE s 

demande est énorme et impossible à satisfaire. En même


temps, il est impératif de respecter les budgets autorisés.
On se retrouve donc avec le paradoxe suivant : alors que,
dans le secteur privé, un plus grand nombre de clients
signifie un plus gros chiffre d’affaires et plus de profits,
dans le secteur public la conséquence d’un accroissement
de la demande est souvent pernicieuse. Au lieu d’être
bénéfique pour l’organisation, un plus grand nombre de
clients risque d’entraîner une détérioration du service et
du mécontentement car, règle générale, les ressources
nécessaires pour fournir le service ne suivent pas l’aug-
mentation de la demande. Cette situation ne peut qu’avoir
un effet négatif sur le moral des employés.

Une organisation bureaucratique


Une autre source de malaise pour les employés de la
fonction publique est le caractère excessivement bureau-
cratique de l’institution. Un bon nombre d’organisations
publiques et privées sont fondées sur le modèle bureau-
cratique, mais le problème de la fonction publique est que
les traits bureaucratiques s’y trouvent exacerbés.
Les caractéristiques des bureaucraties ont été décrites
par le philosophe Max Weber au début du siècle dernier.
Ce sont les suivantes : système hiérarchique, spécialisation
des tâches et nombreuses règles. Dans la fonction
publique, la hiérarchie est lourde, la spécialisation des
tâches est rigoureuse et les règles sont multiples, ce qui
en fait une bureaucratie étouffante.
Cette bureaucratie est aussi fortement orientée sur
elle-même, tournée vers ses propres processus et ses
exigences de fonctionnement, peu soucieuse des clients
 s LES FONCTIONNAIRES

et désireuse de la plus grande autonomie possible par


rapport aux dirigeants politiques. Des loustics affirment
que cette organisation met tellement d’efforts dans la
gestion de ses ressources et la conduite de ses opérations
internes que, si on l’isolait sur une île déserte, elle pourrait
continuer de fonctionner comme si de rien n’était !
Son premier réflexe est d’accroître ses ressources, de
prendre toujours plus d’ampleur. Tous les principaux
intervenants sont d’ailleurs gagnants à ce jeu. Les ministres
et les hauts dirigeants ont plus de pouvoir, les simples
travailleurs, plus de chance d’avancement et les syndicats,
plus de revenus provenant des cotisations de leurs
membres.

Système hiérarchique lourd


Dans les ministères qui ont un grand nombre d’employés,
il n’est pas rare de compter sept ou huit niveaux de gestion.
Une telle organisation à l’allure parfois totémique répond
à plusieurs impératifs. Le plus important est de fournir
des instruments de pouvoir aux dirigeants. En effet, toutes
les personnes qui occupent des postes de gestionnaires
SONT REDEVABLES Í CEUX QUI LES ONT NOMM£ES ELLES TIENNENT
à conserver ce poste le plus souvent chèrement acquis et,
pour la plupart, à recevoir de l’avancement. Elles sont
donc fortement incitées à transmettre à leurs subalternes
les ordres reçus d’en haut, à faire exécuter les volontés des
supérieurs et à transmettre à ces derniers les informations
susceptibles de leur être utiles.
Les organigrammes ont une très grande importance.
Pour un fonctionnaire, avoir son nom sur l’organigramme
est un symbole de réussite. Plus il est haut dans la
UNE ORGANISATION DYSFONCTIONNELLE s 

pyramide, plus grand est le succès. Les fonctionnaires font


référence constamment à l’organigramme, car il contient
une foule de renseignements sur les rôles des cadres et les
lignes de communication à respecter.
Les bureaucraties exigent un profond respect de la
hiérarchie. Toute insoumission sera immédiatement
réprimée. Les critiques à l’encontre de l’autorité ne
peuvent qu’attirer des ennuis à ceux qui les profèrent.
Toutes les personnes qui occupent des postes dans la
hiérarchie partagent un fort esprit de corps. Ils ont travaillé
dur pour obtenir ces postes et veulent à tout prix maintenir
leur statut. Une attaque contre l’un d’entre eux sera
considérée comme un défi adressé à tous les autres.
Tel qu’il a été établi antérieurement, la capacité de
procéder à des nominations est un des pouvoirs les plus
importants dont disposent les autorités politiques. Les
dirigeants administratifs disposent du même pouvoir en
ce qui concerne les postes de la structure bureaucratique.
C’est la raison pour laquelle un des premiers gestes d’un
sous-ministre nommé en tête d’un ministère est d’effec-
tuer une réorganisation afin de pouvoir désigner les per-
sonnes qui occuperont les postes d’encadrement. Grâce
aux nominations effectuées, il pourra asseoir son pouvoir
sur l’ensemble du ministère.
Certains peuvent prétendre que les sous-ministres et
les autres dirigeants ne peuvent pas désigner les personnes
de leur choix aux postes de gestionnaires parce que
l’obligation de tenir des concours limite leur pouvoir.
Toutes sortes de stratégies, trucs et astuces ont cependant
été développés pour contourner les règles de dotation et,
bien que ces dernières imposent des contraintes, il est
relativement aisé pour une personne habile et expérimentée
 s LES FONCTIONNAIRES

d’arriver à ses fins. C’est d’autant plus facile que, pour les
nominations aux postes de gestionnaires, l’accent n’est
pas mis sur les compétences techniques, ce qui offre plus
de place à l’arbitraire. Le dirigeant peut ainsi faire préva-
loir les critères de loyauté plutôt que ceux qui sont reliés
à l’expertise.
C’est ce qui explique que des personnes qui ont une
réputation d’incompétence sont parfois promues à des
postes supérieurs. Elles possèdent, en effet, une qualité
indispensable : la loyauté. Étant donné que les dirigeants
sont exposés à toutes sortes de risques, tant politiques
qu’administratifs, ils éprouvent le besoin de s’entourer de
personnes en qui ils ont confiance. Comme il n’est pas
toujours possible de trouver des gens à la fois compétents
et loyaux, la fiabilité l’emporte sur la compétence.
En plus de l’intérêt que représente pour un dirigeant le
fait de s’entourer de nombreux cadres en qui il a confiance,
il existe d’autres raisons d’édifier de lourdes structures
administratives. On peut justifier ainsi l’accroissement des
ressources de l’organisation. Le truc est de multiplier les
unités administratives et de gonfler le niveau d’effectif
nécessaire dans chacune d’elles. On arrive ainsi à construire
des structures pyramidales qui ont en plus le mérite de jus-
tifier des postes élevés pour les gestionnaires supérieurs.
Bien que des structures administratives lourdes
consolident le pouvoir et le statut des dirigeants, elles
complexifient grandement les communications et sont
une source d’inefficacité. La circulation rapide de l’infor-
mation est une clé de succès dans toutes les organisations,
mais la multiplication des niveaux hiérarchiques a un effet
négatif en instaurant des règles quasi protocolaires pour
UNE ORGANISATION DYSFONCTIONNELLE s 

le cheminement de l’information. Ces contraintes artifi-


cielles entraînent des délais et de la distorsion.
Un observateur a désigné sous le nom de « phénomène
du U » une des conséquences les plus fréquentes du long
cheminement de l’information suivant la ligne hiérar-
chique : une demande émanant d’un sous-ministre est
transmise dans la machine administrative jusqu’à ceux qui
sont appelés à effectuer le travail demandé. La demande
est interprétée et clarifiée aux divers échelons et le travail
effectué peut subir des modifications lorsqu’il remonte de
l’autre côté du « U » pour être réacheminé vers le sous-
ministre. Souvent, ce dernier constate que le produit qu’on
lui remet n’est pas celui qu’il a demandé : il voulait un
cheval et on lui livre un chameau !
Le poids de la hiérarchie génère, au surplus, une men-
talité de dépendance. Les employés attendent que leur
supérieur leur indique ce qu’il faut faire et se gardent bien
de prendre des initiatives. L’accent mis sur l’autorité
engendre un sentiment d’impuissance. La forte spécialisation
des tâches et les règles qui sont le propre de la bureaucratie
accroissent encore l’inefficacité des bureaucraties.

Spécialisation des tâches


La spécialisation des tâches dans un gouvernement
commence au niveau des ministères eux-mêmes. Chaque
ministère a un domaine d’action particulier et bien
délimité. À titre d’illustration, mentionnons, en matière
économique, l’Agriculture, les Ressources naturelles,
l’Environnement, le Développement économique, le
4OURISME ET LES 4RANSPORTS  EN MATIÞRE SOCIALE LA 3ANT£
l’Éducation, l’Emploi et la Solidarité sociale, la Famille,
 s LES FONCTIONNAIRES

les Aînés et l’Immigration. Les domaines d’intervention


de ces ministères se chevauchent, ce qui ne les empêche
pas de travailler isolément les uns des autres. Chaque
ministère protège jalousement son territoire. Le ministre
participe d’ailleurs activement à ce travail défensif et est
en compétition avec ses collègues pour acquérir de nou-
velles responsabilités susceptibles de lui donner une plus
grande visibilité.
La spécialisation des tâches se poursuit au sein de
chaque ministère et organisme. Dans l’administration
publique, on parle de « silos » : les diverses activités sont
attribuées à des unités administratives distinctes qui
agissent isolément les unes des autres. Chaque groupe
crée son propre silo à l’intérieur d’un plus gros silo. Cette
attitude est conforme à la pratique des bureaucrates qui
est de se limiter strictement aux responsabilités qui leur
sont officiellement attribuées et d’éviter de mettre leur
nez dans les affaires des autres. Le meilleur moyen, en
effet, de prévenir les empiétements est de rester soi-même
dans sa cour.
Personne n’est valorisé ou récompensé pour développer
une vue d’ensemble ou pour éviter que des choses ne
tombent entre deux chaises. Chaque unité administrative
défend âprement ses platebandes. Cette attitude est telle-
ment bien ancrée qu’elle est considérée comme normale.
La coopération, la coordination, le maillage et la synergie
ne viennent pas naturellement, même si on en émaille
son discours pour satisfaire à la rectitude politique. Dans
les faits, tous sont conscients qu’il s’agit d’un jeu de
pouvoir et que les règles de la partie s’imposent à tous.
Chacun défend ses positions, car personne n’aime être le
perdant.
UNE ORGANISATION DYSFONCTIONNELLE s 

Il y a quelques années, le Conseil du trésor québécois


avait demandé que, pour simplifier les démarches des
citoyens, l’émission de la carte d’assurance maladie et celle
du permis de conduire soient intégrées, entre autres en
utilisant la même photographie. Les organismes
concernés, la Régie de l’assurance maladie et la Société
de l’assurance automobile, avaient jugé, après analyse,
que ce n’était pas possible. Un ordre formel du gouverne-
ment a été nécessaire pour obliger les fonctionnaires à
obtempérer et à jumeler leurs processus. Cet exemple est
symptomatique de la résistance farouche des administra-
tions publiques à s’engager dans des projets communs.
La spécialisation des tâches a cependant un certain
nombre d’avantages. Le temps d’apprentissage est réduit
PUISQUE LE TRAVAIL EST D£COUP£ EN £L£MENTS SIMPLES  LES
individus sont facilement remplaçables, car ils ne sont que
DE SIMPLES ROUAGES DANS LA MACHINE  LA COORDINATION
requise pour harmoniser les tâches exige l’intervention
des supérieurs, ce qui accentue le pouvoir de ces
derniers.
Les inconvénients, cependant, sont nombreux, le
principal étant que les citoyens doivent frapper à plusieurs
portes pour se procurer les biens et services dont ils ont
besoin. Par exemple, un entrepreneur qui désire ouvrir
un restaurant devra obtenir une dizaine de permis prove-
nant d’autant d’organismes publics.
Les bureaucraties semblent incapables de trouver des
solutions au problème de la coordination des services et
encore moins de leur intégration. Au niveau fédéral, le
gouvernement a créé les conseils fédéraux régionaux pour
travailler à la coordination des actions du gouvernement
fédéral au niveau des provinces. Ces conseils sont définis
 s LES FONCTIONNAIRES

comme des instruments informels d’échange d’informa-


tion et d’établissement de relations personnelles entre les
organismes. Ils ont un caractère bénévole et ne possèdent
aucun pouvoir. Ils ont démontré leur utilité en ce qui
concerne la prestation de services internes partagés, mais
sont impuissants à intervenir lorsqu’il s’agit de problèmes
plus larges concernant, par exemple, les sans-abri, le
développement durable ou les affaires autochtones.
Les nombreuses règles connues et méconnues aux-
quelles doivent se conformer les fonctionnaires dans tous
les aspects de leurs activités ajoutent un niveau additionnel
de complexité à la bureaucratie.

Les règles
Les règles découlent du fait que nous vivons dans un État
de droit : tous les gestes de l’État doivent être autorisés
par une loi. Si une administration publique intervient sans
que son action soit clairement appuyée par une loi, tout
citoyen peut obtenir d’un tribunal que cette intervention
soit déclarée nulle.
Les lois sont précisées par des règlements qui ont une
valeur légale et qui, par conséquent, peuvent servir de
base aux jugements de cour. Pour s’assurer que les lois et
les règlements sont appliqués de la même façon par les
centaines ou les milliers de fonctionnaires qui sont chargés
de leur exécution, des règles d’interprétation sont
élaborées. Il s’agit des directives, procédures, normes et
autres instructions souvent compilées dans des manuels
d’interprétation. Avec le temps, les règles ont tendance à
être de plus en plus nombreuses et détaillées pour couvrir
les diverses situations qui se présentent, de même que les
UNE ORGANISATION DYSFONCTIONNELLE s 

cas d’exception. De plus, il arrive que des pratiques


administratives non codifiées en viennent à s’imposer avec
le temps en réaction à diverses situations. Elles constituent
des coutumes ou des traditions qui ont autant d’impor-
tance que les règles écrites.
L’abondance des règles est particulièrement remar-
quable en matière de gestion financière et de gestion des
ressources humaines. Leur raison d’être est d’éviter les
malversations. Il s’agit de mécanismes de protection
visant avant tout à mettre le gouvernement à l’abri des
accusations d’arbitraire, de patronage et de corruption.
Elles ont aussi pour objet d’encadrer les décisions des
fonctionnaires afin d’éviter les écarts de conduite.
Les règles ne peuvent cependant pas prévoir toutes les
circonstances et leur application rigide peut parfois
entraîner des iniquités ou aller carrément à l’encontre du
bon sens. La tendance naturelle des bureaucrates est
cependant d’appliquer les règles en toutes circonstances,
d’abord parce que ces règles sont considérées comme
légitimes du fait même de leur existence, ensuite parce
qu’ils risquent des sanctions s’ils y dérogent. De plus,
aucun reproche n’est adressé aux fonctionnaires lorsque
la norme du bon sens est transgressée, car l’application
de la règle est une justification en soi et n’exige pas que
les conséquences soient prises en ligne de compte.
L’administration des règles n’est aucunement reliée
aux impératifs d’efficacité et d’efficience. Les objectifs
poursuivis sont la légalité, l’uniformité, la rigueur, la
régularité et la constance. Le fait que les règles empêchent
de faire face aux situations nouvelles et aux circonstances
imprévisibles et qu’elles font obstacle à l’innovation ne
sont pas des considérations importantes. Il importe
 s LES FONCTIONNAIRES

d’abord pour les bureaucrates de se mettre à l’abri des


réprimandes et des sanctions. Si l’application des règles
entraîne des retards et des coûts, personne ne s’en soucie,
car ce sont les contribuables qui paient et ceux-ci n’ont
pas droit de parole. De plus, toutes les bêtises sont possi-
bles, car l’organisation peut difficilement faire faillite.

Conséquences des lourdeurs de la bureaucratie


Avec sa hiérarchie, sa spécialisation des tâches et ses
règles, la bureaucratie a une influence profonde sur les
personnes qui y travaillent. Les gens ne naissent pas
bureaucrates, ils le deviennent ! La bureaucratie suscite
une situation de dépendance, conditionne les comporte-
ments et génère une façon de penser particulière. Elle fait
des fonctionnaires de simples rouages d’une machine et
tend à les dépouiller de leurs caractéristiques humaines
telles que l’autonomie, l’imagination, l’enthousiasme, la
fierté et même l’estime de soi. En les obligeant à appliquer
les règles machinalement, elle mine leur sens critique, les
rend apathiques et indolents. Plus leur comportement est
routinier, plus ils deviennent insouciants, nonchalants,
résignés et improductifs.
En début de carrière, un bon nombre de fonctionnaires
tolèrent difficilement les travers de la bureaucratie. Ils
aspirent à un encadrement de travail qui laisse place à
LAUTONOMIE ET Í LINITIATIVE  ILS VEULENT PARTICIPER Í DES
PROJETS STIMULANTS  ILS ONT LE GOœT DE SASSOCIER Í UNE
£QUIPE DYNAMIQUE  ILS AIMERAIENT PARTICIPER Í LA PRISE DE
décisions et ils se réjouiraient de bénéficier d’une rétroac-
tion sur leur travail. Ils comprennent vite cependant que
ces vœux ne peuvent pas se réaliser et n’ont d’autre choix
UNE ORGANISATION DYSFONCTIONNELLE s 

que de se résigner car, comme on l’a vu plus haut, ils


deviennent vite prisonniers de la sécurité d’emploi, des
conditions de travail et du régime de retraite.
Les ministères et les organismes, de même que les
unités administratives qui les composent, sont des bureau-
craties plus ou moins typiques, tout comme les individus
sont des bureaucrates à des degrés divers. Par exemple,
une organisation nouvellement créée sera moins bureau-
cratique qu’une vieille institution. Un petit organisme
sera habituellement moins bureaucratique qu’un grand
ministère.
Il est cependant un trait que partagent toutes les bureau-
CRATIES GOUVERNEMENTALES ELLES ACCORDENT PLUS DIMPOR-
tance aux processus à suivre qu’aux résultats à obtenir. Les
fonctionnaires doivent non seulement respecter la loi et les
règlements, mais aussi faire en sorte que tous les citoyens
soient traités également. Cette règle est l’antithèse de
l’approche adoptée par les entreprises privées pour fidéliser
leur clientèle. Appelée « gestion des relations avec les clien-
tèles », cette technique consiste à moduler les services
offerts aux clients selon la valeur que ceux-ci représentent
pour l’entreprise. Par exemple, les meilleurs clients pour-
ront, en appelant un numéro spécial qui leur est réservé,
recevoir une réponse plus rapide au téléphone. Alors que
les entreprises se préoccupent avant tout de maximiser le
chiffre d’affaires et les profits, la fonction publique se soucie
d’abord d’égalité de traitement et d’impartialité, ce qui la
conduit le plus souvent à se contenter de la norme du plus
petit commun dénominateur.
Il est difficile pour la fonction publique de demander à
ses membres de se mobiliser en vue d’atteindre ses objec-
tifs parce que ces derniers changent constamment. Si les
 s LES FONCTIONNAIRES

fonctionnaires s’engageaient et en arrivaient à mettre tout


leur cœur à relever les défis proposés, ils se trouveraient
amèrement déçus lorsque les cibles proposées finiraient
par s’estomper. C’est pourquoi on leur demande d’être
des mercenaires, pas des missionnaires.
Certaines organisations privées comme les banques et
les compagnies d’assurance possèdent certaines caracté-
ristiques des bureaucraties. La fonction publique est
cependant dotée d’une particularité significative qui la
distingue fondamentalement de ces autres bureaucraties :
celle d’être un monopole. Contrairement aux entreprises
privées, elle n’a pas à faire d’effort pour retenir ou accroître
sa clientèle. Elle est donc privée du principal atout des
entreprises, de la particularité qui assure leur dynamisme,
de ce moteur de l’innovation qu’est la concurrence. Par
conséquent, accroître la productivité et améliorer conti-
nuellement les services ne font pas partie de ses préoccu-
pations. Comme elle a une très faible tolérance au risque,
les incitations au statu quo, le maintien des traditions et
l’aversion au changement sont des attitudes bien
ancrées.
L’immobilisme administratif se conjugue avec le
conservatisme politique pour faire en sorte que des pro-
grammes qui ont perdu leur raison d’être continuent
d’exister. Si les décisions devaient être prises aujourd’hui,
on peut se demander, par exemple, si un office de protec-
tion du consommateur serait créé, si un système de gestion
de l’offre pour le lait, la volaille et les œufs serait mis sur
pied et si l’enseignement serait gratuit dans les cégeps.
Même lorsque les fonctionnaires veulent changer des
choses qui ont perdu leur raison d’être, ils butent à des
impératifs politiques. Tous ceux qui bénéficient des faveurs
UNE ORGANISATION DYSFONCTIONNELLE s 

de l’État tiennent à les conserver envers et contre tous. Ils


sont prêts à les défendre bec et ongles, ce qui fait qu’il est
très difficile d’enlever des privilèges déjà concédés, même
si leur justification est chimérique.
Les bureaucraties se méfient de tous les changements,
même dans un contexte où le secteur privé innove conti-
nuellement. Les meilleures entreprises se définissent
comme des organisations apprenantes, c’est-à-dire des
entités qui cherchent à tirer le meilleur parti possible de
l’expérience et des connaissances de leurs employés pour
améliorer la qualité de leurs produits et services, ainsi que
leur productivité. Elles encouragent leurs employés à
utiliser leurs talents, leur intelligence et leur créativité
pour atteindre les objectifs de l’organisation. Elles sont
constamment à l’affût d’innovations permettant de réduire
leurs coûts de production afin d’accroître leurs profits.
Elles se targuent d’être des organisations agiles, capables
d’apporter rapidement des changements à leurs façons
de faire afin de s’adapter aux circonstances nouvelles. Les
bureaucraties gouvernementales, par contre, n’ont aucune
de ces prétentions. Lorsqu’elles subissent des pressions
pour modifier leurs façons de faire, elles se contentent de
travailler sur les apparences et évitent de toucher à l’es-
sentiel.
Voudraient-elles dynamiser leurs employés que la tâche
serait pratiquement impossible, car les bureaucraties ne
disposent que de peu de leviers d’intervention.

Leviers d’intervention
Les entreprises privées, surtout celles qui ne sont pas
syndiquées, disposent d’une panoplie de moyens pour
 s LES FONCTIONNAIRES

moduler les comportements des individus dans le sens


des orientations de l’organisation. Les moyens de gratifier
les employés sont nombreux : augmentations de salaire,
bonis au rendement et récompenses diverses tels que
voyages ou cadeaux. Le refus d’accorder ces privilèges
devient, par le fait même, un châtiment. La sanction
ultime est le renvoi.
La fonction publique n’a pratiquement aucun de ces
moyens, hormis les faveurs qui ne peuvent être accordés
qu’avec parcimonie, telles que les avancements d’échelon
et les promotions. Les bonis accordés à certaines catégo-
ries d’employés sont minimes et ne sont souvent pas
perçus comme étant distribués de façon équitable. Dans
les faits, tous sont traités sur le même pied et les gestion-
naires ne sont pas en mesure de récompenser les employés
les plus productifs ni de punir les tire-au-flanc. Le renvoi
est une sanction extrêmement rare.
Une des règles dont l’influence sur les leviers d’inter-
vention s’avère prééminente est la sécurité d’emploi. Ce
privilège qui est l’apanage des fonctionnaires a été institué
pour mettre fin au patronage politique dans l’emploi, mais
a eu pour effet pervers de transformer un emploi dans la
fonction publique en un emploi à vie. Au Québec en
particulier, il est devenu pratiquement impossible de
renvoyer un fonctionnaire, même lorsque ses services ne
sont plus requis. La mondialisation ayant rendu la plupart
des emplois du secteur privé de plus en plus précaires, la
sécurité d’emploi est maintenant perçue comme un pri-
vilège abusif. Il s’agit d’une règle qui a été dénaturée avec
les années : alors qu’elle a été instituée pour protéger
l’administration publique contre le patronage, elle est
devenue une protection absolue pour les employés. Ces
UNE ORGANISATION DYSFONCTIONNELLE s 

derniers se voient comme inamovibles et à l’abri des


interventions de la direction.
Dans ce contexte, les fonctionnaires sont en mesure de
choisir eux-mêmes le niveau d’effort à fournir. Ils peuvent
former entre eux des alliances leur permettant de définir
une position commune face aux supérieurs. Ces derniers
disposent de peu de moyens pour amener les employés à
modifier ce choix de groupe. Lorsqu’une telle position est
établie, elle s’impose presque automatiquement aux
nouveaux employés et tous en viennent à considérer ce
niveau d’effort comme normal et immuable.
C’est toutefois un mythe que tous les fonctionnaires
travaillent peu. Ils doivent, en plus de leurs tâches nor-
males, consacrer beaucoup d’efforts à se protéger, à
couvrir leurs actions et à justifier leurs gestes. Il ne s’agit
que de comprendre le fonctionnement de l’organisation
pour se rendre compte qu’un poste de fonctionnaire est
loin d’être une sinécure.
Chapitre 6
Une maison de verre

L a fonction publique est exposée à la vue de tous,


comme si elle était dans une maison de verre. Ses
membres peuvent facilement développer une mentalité
d’assiégés et doivent mettre en œuvre toutes sortes de
tactiques pour rester maîtres de la situation.

Une organisation vulnérable


Des dizaines de milliards de dollars sont administrés par
la fonction publique. Cet argent n’appartient en réalité à
personne, sinon à une entité virtuelle qui est l’État. Les
élus et les fonctionnaires en sont responsables, mais le
scepticisme est grand quant à la qualité de leur adminis-
tration. Quand autant d’argent circule, la perspective des
gens peut être facilement faussée. Une pièce de 1 ¢ sera le
plus souvent dédaignée par celui qui gagne 1 000 $ par
semaine. L’équivalent de ce 1 ¢ pour un administrateur
qui dispose d’un milliard de dollars est 10 000 $ ! Pour ceux
qui manipulent les fonds publics, les tentations sont
grandes. La preuve en est que, dans certains pays, la
corruption est endémique.
UNE MAISON DE VERRE s 

Les risques de malversation se situent d’abord du côté


des élus, car ce sont eux qui tiennent les cordons de la
bourse. Au Canada et au Québec, les lois sur le financement
des partis politiques ont fait beaucoup pour assainir la
situation, mais le danger demeure, car les contributeurs
politiques sont passés maîtres dans l’art de contourner
les lois.
Une réalité avec laquelle il faut composer en démocratie
est que les plus riches sont en mesure, par leurs contribu-
tions aux partis politiques, d’influencer les décisions en
leur faveur. La loi interdit « d’acheter » les décisions,
c’est-à-dire de donner une somme d’argent en retour
d’une faveur politique, ce qui serait l’équivalent d’un
pot-de-vin. Mais les contributions politiques garantissent
un accès direct aux politiciens, permettant d’influencer
les décisions. Il s’agit, en fait, d’une hypocrisie érigée en
système : même s’il n’y a pas de versement d’argent en
retour immédiat d’une faveur, tout le monde sait qu’en
réalité la corrélation entre les deux est forte.
Les fonctionnaires sont volontairement ou involontai-
rement complices des tractations des politiciens. L’appât
du gain les menace eux aussi et, pour les quelques cas de
corruption mis à jour de temps à autre, on peut croire
qu’un certain nombre ne sont jamais détectés.
Les règles et les outils de contrôle, les codes d’éthique
et les nouvelles mesures, telles que le registre des lob-
byistes, constituent des moyens de limiter les malversa-
tions, mais sont loin d’être des garanties absolues.
D’ailleurs, la multiplication des règles entraîne un para-
doxe : comme elles sont trop nombreuses et souvent
encombrantes, les individus les contournent ou n’en
tiennent pas compte au nom du bon sens et de l’efficacité,
 s LES FONCTIONNAIRES

ce qui fait que les dérogations en viennent à être tolérées,


sinon acceptées. Dans les faits, les autorités excusent les
manquements commis de bonne foi, sauf s’ils en viennent
à être connus publiquement. Les fonctionnaires peuvent
prendre une certaine distance avec les règles, mais n’ont
pas le droit de se faire prendre.
Les fraudes ne constituent cependant pas le principal
risque en ce qui concerne l’administration de l’argent
public. Comme cela se produit fréquemment dans les
grandes administrations, les erreurs, bévues, manquements
et autres cas de mauvaise administration foisonnent. Tous
se rappellent de projets de construction marqués par des
dépassements de coûts, de systèmes informatiques
abandonnés en cours de route, de sommes dues qu’on a
omis de recouvrer et de bien d’autres exemples ayant fait
l’objet de débats publics. C’est pour tenter de minimiser
de telles erreurs administratives que des mécanismes de
vérification et de surveillance ont été institués.

Les chiens de garde


L’organisme de contrôle et de surveillance le mieux connu
est le Vérificateur général. C’est le rapport que ce dernier
dépose chaque année au Parlement qui lui donne une si
grande visibilité. Ses responsabilités vont bien au-delà de la
vérification financière, car il effectue aussi des examens axés
sur l’optimisation des ressources qui portent en anglais le
nom plus évocateur de value for money. La portée de tels
examens est toutefois limitée par l’obligation qui est faite
au Vérificateur de se limiter à la critique de l’exécution des
politiques sans remettre en cause les politiques gouverne-
mentales elles-mêmes. Par exemple, en matière de langues
UNE MAISON DE VERRE s 

officielles au niveau fédéral, plusieurs observateurs ont


déploré que beaucoup d’argent soit consacré à enseigner
le français à des fonctionnaires anglophones qui utilisent
très rarement leur langue seconde. Le Vérificateur ne peut
cependant pas remettre en cause le programme de
bilinguisme, mais doit s’en tenir à des commentaires sur
l’efficacité de l’enseignement.
En plus du Vérificateur général, des vérificateurs
internes travaillent aussi au sein des ministères et des
organismes et, au Québec, le Contrôleur des finances, une
entité du ministère des Finances, effectue aussi des véri-
fications qui s’apparentent à celles du Vérificateur général.
Le principal avantage du travail effectué par les agents du
Contrôleur des finances est de constituer pour le ministre
des Finances une abondante source d’information. C’est
l’existence d’une telle ressource qui faisait dire au ministre
des Finances du Québec que, contrairement à son homo-
logue fédéral, il n’aurait pas pu être tenu dans l’ignorance
d’un scandale comme celui des commandites.
En ce qui concerne la qualité des services aux citoyens,
le chien de garde mis en place par le gouvernement du
Québec, à l’exemple de plusieurs autres provinces, est le
Protecteur du citoyen. Le rôle de ce dernier est particu-
lièrement perturbateur pour la machine administrative,
car, en se fondant sur des notions de justice naturelle et
d’équité, il remet parfois en cause l’application rigide des
règles bureaucratiques. L’exemple suivant illustre l’ap-
proche préconisée par le Protecteur. Le gouvernement
avait consenti au groupe de citoyens appelé « les orphelins
de Duplessis » des sommes d’argent visant à accroître le
bien-être de ces personnes approchant pour la plupart de
la fin de leur vie. Les agents du Curateur public qui
 s LES FONCTIONNAIRES

administrent ces sommes pour des personnes dépendantes


ont estimé que l’argent devait servir d’abord à rembourser
les dettes de ces dernières. Le Protecteur, par contre, a
jugé qu’il ne s’agissait pas là d’une priorité et que l’argent
devait être utilisé pour agrémenter la vie des personnes.
De telles disparités de valeurs ne peuvent que laisser les
fonctionnaires perplexes.
Les rapports produits par le Vérificateur général et le
Protecteur du citoyen sont utilisés par les commissions
parlementaires pour passer les ministères au crible. Au
Québec, une de ces commissions parlementaires a même
le pouvoir de convoquer les sous-ministres pour les
interroger sur leur gestion administrative. Ces interven-
tions soulèvent tout le problème de l’imputabilité des
fonctionnaires.

Imputabilité et responsabilité
L’imputabilité est l’obligation de rendre des comptes.
Cette obligation est plus contraignante que la responsa-
bilité qui est le devoir de s’acquitter d’une tâche et de
répondre au besoin de son exécution. Par exemple, les
parents sont responsables d’éduquer leurs enfants, mais
ne sont pas imputables, car ils n’ont de comptes à rendre
à personne.
La reddition de comptes est, dans son sens premier, un
concept de nature financière. Elle implique le dépôt d’un
rapport. C’est ainsi que le gouvernement dépose des états
financiers périodiques et un rapport financier annuel. Les
ministères et les organismes produisent aussi des rapports
annuels d’activité. Peu de gens, cependant, considèrent
que ces rapports sont satisfaisants. On reproche aux
UNE MAISON DE VERRE s 

rapports financiers de cacher l’état réel des finances


publiques, par exemple en utilisant des méthodes
comptables visant à camoufler les déficits (au Québec) ou
à minimiser les surplus (au niveau fédéral). Quant aux
rapports annuels, on leur reproche leurs longs délais de
publication, ainsi que leur contenu insipide et ennuyeux.
La publication de ces rapports passe totalement inaperçue
et on se plaît à dire qu’ils ont beaucoup plus de lecteurs
avant leur publication qu’après, étant donné que les
fonctionnaires de plusieurs niveaux hiérarchiques doivent
en valider le contenu avant qu’ils ne soient rendus
publics.
Pour une véritable imputabilité de la fonction publique,
il faudrait que des objectifs soient fixés, que des indicateurs
de rendement soient définis et que les résultats soient
rendus publics. Il est plus facile pour les entreprises privées
que pour le secteur public de remplir ces conditions, car
les sociétés produisent assidûment à l’intention de leurs
actionnaires une information périodique sur le chiffre
d’affaires et les profits réalisés. Comme nous le verrons
plus loin, la mesure des résultats est un véritable casse-tête
pour la fonction publique, d’autant plus qu’il est à peu
près impossible de distinguer les résultats qui relèvent du
politique de ceux qui se rattachent à la machine
administrative.
Malgré tout, plusieurs tentatives ont été faites pour
améliorer la qualité des rapports annuels. Cependant,
lorsque les parlementaires, qui sont les premiers lecteurs
visés par ces rapports, sont consultés au sujet du type
d’information qu’on devrait y retrouver, ils répondent
qu’ils aimeraient y voir uniquement ce qui ne fonctionne
pas bien. Il s’agit évidemment là d’une information
 s LES FONCTIONNAIRES

qu’aucun ministère ne veut inclure dans son rapport. La


transparence, en effet, ne se rend pas jusque-là !
Au cours des dernières années, le concept d’imputabi-
lité a pris un sens très large et est devenu synonyme
d’éthique et de transparence. C’est ainsi que le gouverne-
ment Harper a fait adopter par le Parlement la Loi fédérale
sur l’imputabilité qui prévoit une foule de mesures visant
à accroître la responsabilisation, la transparence et la
surveillance des activités gouvernementales.

Lois sur l’accès à l’information


Les gouvernements démocratiques ont une obligation de
transparence. Pour concrétiser leur ouverture, ils ont
adopté des lois sur l’accès à l’information qui établissent
que tout document produit par l’administration publique
peut être consulté sur demande par un citoyen, sauf s’il
est couvert par une exception définie dans la loi. Les
exceptions sont bien délimitées et ne concernent qu’une
partie relativement restreinte des documents produits par
les fonctionnaires. Elles ont trait, par exemple, à la pro-
tection des renseignements personnels, aux secrets
industriels, à l’administration de la justice et aux recom-
mandations et aux avis faits à un ministre ou à un comité
de ministres.
Les lois sur l’accès à l’information vont à l’encontre
d’une tradition de secret fortement ancrée dans la fonction
publique. Cette tradition veut que tout document qui
n’est pas spécifiquement élaboré en vue d’être rendu
public soit considéré confidentiel. Même si les lois sur
l’accès à l’information existent depuis plusieurs dizaines
d’années, la tradition du secret se perpétue.
UNE MAISON DE VERRE s 

Les fonctionnaires ont mis au point un ensemble de


stratégies et de tactiques pour se mettre à l’abri des exi-
gences de transparence imposées par la loi. Il importe
cependant de souligner que ces comportements sont
dictés par l’impératif de protéger le ministre plus encore
que par le désir de se mettre eux-mêmes à l’abri. Les
fonctionnaires, en effet, n’ont pas à se faire élire, ni à se
défendre sur la place publique. Les ministres, par contre,
sont assiégés par l’opposition et par les médias. Les
documents publics représentent autant de munitions
utilisables par les adversaires pour attaquer les élus.
Lorsqu’il s’agit d’appliquer la Loi sur l’accès aux docu-
ments des organismes publics et sur la protection des
renseignements personnels, les ministres sont les alliés
tacites des fonctionnaires, car ils aiment bien que la seule
information rendue publique soit celle qu’ils ont eux-
mêmes autorisée.
Les législateurs, adoptant une vision quelque peu
hypocrite de l’intérêt public et conscients des obstacles à
surmonter pour vaincre les réticences de l’administration,
ont cherché à colmater les diverses échappatoires suscep-
tibles de contrecarrer l’application de la loi. Par exemple,
ils ont prévu que les ministères doivent établir et tenir à
jour une liste de classement de leurs documents de façon
à en permettre le repérage. Ils ont aussi stipulé que l’accès
à un document ne peut être refusé pour la seule raison
qu’il contient quelques renseignements non autorisés.
Lorsque les renseignements visés par les exceptions à la
loi ne constituent pas la substance du document, le
ministère doit simplement les extraire avant de donner
satisfaction au demandeur.
 s LES FONCTIONNAIRES

Malgré le soin apporté à la rédaction des lois sur l’accès


à l’information, la fonction publique offre une résistance
acharnée à la divulgation des renseignements avec, il faut
bien le dire, la complicité des ministres et de leur entou-
rage. La première ligne de défense est d’éviter d’écrire
toute information sensible, ce qui écarte les risques. Une
tactique largement répandue est de qualifier les textes de
« document de travail ». Comme la loi prévoit que les
ébauches et les brouillons sont confidentiels, on le
conserve ainsi à l’abri. On peut aussi, dans bien des cas,
nier l’existence du document demandé ou en refuser tout
simplement l’accès en utilisant un prétexte quelconque.
Dans ce dernier cas, le demandeur peut en appeler à un
tribunal administratif, mais les délais d’appel retardent la
divulgation du document, ce qui peut faire en sorte que
l’intérêt pour ce dernier s’émousse avec le temps.
Les lois sur l’accès à l’information ont quelques effets
pervers. Ainsi, l’administration se prive parfois de produire
certains documents par crainte qu’ils soient rendus
publics. C’est le cas, par exemple, de post-mortem d’évé-
nements et d’évaluations de programmes. Il s’agit d’exer-
cices qui pourraient s’avérer fort utiles pour améliorer le
fonctionnement des organisations, mais qui, forcément,
donnent lieu à des critiques négatives qui pourraient
s’avérer dommageables si elles étaient dévoilées. Aucun
ministère ne veut voir ses problèmes de fonctionnement
étalés sur la place publique.
#HAPITRE 
Le fonctionnement du système

L a machine administrative et ses maîtres politiques


constituent un système où règne une tension
constante, les intérêts et les objectifs des uns et des autres
étant en perpétuelle opposition.

Dynamique entre fonctionnaires et élus


La plupart des ministres nouvellement nommés
connaissent peu les affaires de leur ministère. Ils doivent
donc compter sur leurs sous-ministres pour les soutenir,
particulièrement lorsqu’il s’agit de questions complexes
et techniques. Travailler avec des patrons néophytes n’est
cependant pas une tâche facile, particulièrement lorsqu’il
faut traiter avec des interlocuteurs externes. Dans ces
circonstances, le sous-ministre ne peut pas contredire son
ministre lorsqu’il se trompe, mais il ne peut pas non plus
le laisser se fourvoyer. Il doit, avec tact et diplomatie,
« clarifier » les paroles du ministre, tout en s’assurant que
ce dernier conserve sa prestance de chef.
Le sous-ministre et les sous-ministres adjoints sont
d’abord les conseillers du ministre avant d’être les admi-
nistrateurs du ministère. C’est la raison pour laquelle,
 s LES FONCTIONNAIRES

dans plusieurs ministères, les bureaux des sous-ministres


sont regroupés dans ce qu’on désigne comme la suite
sous-ministérielle. Cette suite, située à proximité des
bureaux du ministre, est un symbole concret du fait que
la haute direction du ministère est au service du
politique.
Lorsque le ministre veut lancer des projets ou prendre
des décisions visant à satisfaire ses clientèles, la tâche du
sous-ministre est de l’épauler. Mais ce dernier a le devoir
de le mettre en garde au sujet des embûches qu’il peut
rencontrer et lui éviter les faux pas. Si le ministre se met
dans l’embarras, le sous-ministre pourra se voir reprocher
de ne pas avoir assez fortement fait valoir les écueils
potentiels. Ce dernier ne doit surtout pas proclamer : « Je
vous l’avais bien dit ! » Il se placerait alors dans la situation
d’avoir tort d’avoir raison, ce qui est une faute impardon-
nable parce qu’elle est perçue comme un véritable manque
de loyauté.
Les idées du ministre peuvent être perçues comme
inappropriées par les fonctionnaires, mais il est illégitime
pour ces derniers de chercher à les contrecarrer. Deux
attitudes sont possibles : exposer les difficultés ou se taire.
Si les inconvénients ne risquent d’être découverts qu’à
moyen ou à long terme, plusieurs fonctionnaires pren-
dront le parti de se taire. D’autres se feront les avocats du
diable même s’ils savent qu’ils ne seront pas écoutés. La
deuxième partie de ce livre expose les stratégies et les
tactiques des fonctionnaires, de même que les raisons qui
les motivent.
Lorsque les ministres débattent ensemble de sujets
litigieux, les fonctionnaires doivent les écouter sans
intervenir. Le mode de fonctionnement des élus est, en
LE FONCTIONNEMENT DU SYSTÞME s 

effet, tout autre que celui des fonctionnaires. Alors que


ces derniers recherchent d’abord les compromis, les
politiciens cherchent à gagner des batailles. Ce n’est que
lorsque les ministres se retrouvent dans une impasse et
sont disposés à faire des concessions que les fonctionnaires
peuvent faire leurs suggestions avec une chance de
succès.
Lorsque les politiciens veulent explorer un projet ou
une idée publiquement, ils lancent des ballons d’essai. Les
fonctionnaires se voient souvent mobilisés à ce jeu, car
l’exercice est alors sans risque pour les politiciens. Les
intentions qui ne passent pas la rampe sont présentées
comme des idées de bureaucrates.
Il appartient d’ailleurs à la fonction publique d’explorer
diverses possibilités, d’effectuer des recherches et de faire
des suggestions. Les hauts fonctionnaires et diverses
équipes des services de planification et de recherche des
ministères sont activement concernés dans le processus
d’élaboration des politiques.

L’élaboration des politiques publiques


Étant donné que le champ d’action de l’État est illimité,
les politiciens peuvent se préoccuper d’un nombre presque
infini de sujets. Le choix des priorités est quelque peu
mystérieux. Les politologues américains ont inventé le
concept de « poubelle » (garbage can) pour expliquer le
processus de prise de décision. Suivant cette théorie, les
choix politiques ont un caractère aléatoire. Les politiciens
sont placés devant une multitude d’objets susceptibles de
retenir l’attention des gouvernements. Certaines idées
font l’objet d’un lobby actif de la part de certains groupes,
 s LES FONCTIONNAIRES

d’autres sont le dada de certains individus influents,


d’autres encore ont été discutées puis abandonnées au
cours des années. Un certain nombre font partie des
problèmes non résolus et peut être insolubles, tel le
financement des soins de santé ou le développement
régional. Pour les politiciens, toutes ces idées se retrouvent
dans un gigantesque panier à rebuts virtuel dans lequel
ils peuvent piger et décider de travailler afin de gagner la
faveur des électeurs. C’est ainsi, par exemple, que le projet
de garderies publiques a été retenu par le gouvernement
Bouchard en 1996 et que diverses idées visant à accroître
la responsabilisation et l’imputabilité des élus ont été
inscrites dans une loi par le gouvernement Harper
en 2006.
Lorsqu’un sujet se retrouve dans le programme d’un
ministre, le travail d’élaboration de politique commence.
Il faut trouver une façon attrayante de présenter le
problème, si possible sous un angle nouveau. Il faut
examiner la situation, élaborer les solutions possibles et
proposer des choix. Dans la plupart des cas, il est néces-
saire de trouver du financement.
Le ministre peut créer un groupe d’étude ou une
commission d’enquête. Il peut commander l’élaboration
d’un « livre vert », un document qui présente des options
sans indiquer de préférence, ou un « livre blanc » qui
indique la position du gouvernement. Il peut aussi pré-
senter un projet de loi qui sera étudié par une commission
parlementaire.
Des observateurs de la scène politique ont proposé que
les gouvernements adoptent un processus ouvert et
favorisent la participation de tous les groupes et citoyens
intéressés à l’élaboration des politiques. Trois arguments
LE FONCTIONNEMENT DU SYSTÞME s 

sont invoqués en faveur de cette approche : les citoyens


sont plus instruits, mieux informés et capables d’apporter
UNE CONTRIBUTION AU PROCESSUS  IL EXISTE PLUSIEURS GROUPES
de recherche universitaires et autres, groupes de réflexion
(think tanks) et groupes d’intérêt dotés de bureaux d’étude
ET DANALYSE QUI SONT EN MESURE DE PARTICIPER Í LA R£mEXION
enfin, les technologies de l’information peuvent être mises
à contribution pour faciliter la consultation et la recherche
de consensus.
Cette approche, bien qu’elle soit attrayante, a tout de
même un gros inconvénient : elle limite considérablement
le pouvoir du ministre et du gouvernement de faire des
choix au profit des groupes qui les appuient et les soutien-
nent financièrement. L’objectif poursuivi, en effet, n’est
pas de mettre en œuvre les meilleures solutions possibles,
mais de favoriser la réélection du gouvernement.
Les fonctionnaires jouent un rôle déterminant dans
l’élaboration des politiques. Ils appuient le ministre dans la
mise en œuvre du processus, que ce dernier fasse appel à
une large participation ou qu’il s’en tienne à la rédaction
d’une loi. Ils interviennent aussi sur le fond, tant pour la
collecte des données et l’analyse, que l’élaboration des
options et des solutions. Dans plusieurs domaines d’activité,
l’élaboration des politiques est une tâche extrêmement
complexe et difficile. Par exemple, en matière de fiscalité,
des mesures peuvent avoir des conséquences perverses qui
viennent contrecarrer les bénéfices attendus. Le cas du seuil
de revenus permettant de bénéficier des programmes
gratuits illustre bien le problème : la famille dont le revenu
dépasse 31 000 $ ou 32 000 $ perd de nombreux avantages,
ce qui fait qu’elle se retrouve plus pauvre que si elle n’avait
pas bénéficié d’une augmentation de ses revenus. Malgré
 s LES FONCTIONNAIRES

tout, le ministre peut décider d’avoir recours à des groupes


externes et choisir dans certains cas de ne pas tenir compte
des avis des fonctionnaires. Il arrive qu’au grand dam des
fonctionnaires les gouvernements décident d’avantager de
petits groupes de personnes au détriment de l’ensemble
des contribuables. Un cas patent est celui des subventions
aux alumineries dont les coûts annuels représentent plu-
sieurs fois la masse salariale de l’ensemble des entreprises
subventionnées. Les individus qui doivent leur emploi à ces
subventions constituent cependant une clientèle assurée
pour le parti politique qui leur a consenti pareille faveur.
La façon dont sont élaborées les politiques pose un
sérieux problème : chaque ministre étant responsable d’un
domaine d’activité particulier, le problème de l’intégration
des diverses mesures gouvernementales pose des défis de
taille. Les organismes centraux et les comités interminis-
tériels s’affairent à minimiser les incohérences et les
contradictions qui peuvent être décelées, mais le problème
demeure, car sa source est la volonté des ministres d’ac-
croître leurs pouvoirs et de faire leur marque. La machine
administrative ne fait pas le poids devant de telles consi-
dérations.
Deux écoles de pensée s’affrontent en ce qui a trait à
l’attitude que doivent avoir les fonctionnaires en matière
d’élaboration des politiques. L’école traditionnelle prétend
que les fonctionnaires doivent adopter une attitude tout à
fait apolitique et faire abstraction de toute considération
partisane. Ils ne devraient être influencés que par des faits
et des données objectives. Une vision plus moderne soutient
que la fonction publique doit être à l’écoute de l’opinion
publique et ne peut adopter un point de vue rigidement
technocratique. Qui plus est, étant donné que le rôle des
LE FONCTIONNEMENT DU SYSTÞME s 

fonctionnaires est de conseiller le ministre, ceux-ci doivent


se soucier de ce qui préoccupe le ministre et inclure dans
leurs analyses les positions contenues dans la plateforme
du parti politique, de même que les opinions et les intérêts
des individus et des groupes qui soutiennent le parti poli-
tique au pouvoir.
La fonction publique, faut-il le souligner une fois de
plus, est une entité à caractère politique, car elle doit
adopter des lignes de conduite conformes aux volontés
des autorités démocratiquement élues.

Une machine administrative


orientée politiquement
Plusieurs se demandent si la fonction publique est aussi
efficace qu’une entreprise, mais il s’agit d’un faux pro-
blème, car elle n’est pas conçue, ni organisée, ni dirigée à
des fins d’efficacité. C’est particulièrement évident
lorsqu’on considère la prestation des biens et services.
Plusieurs services sont gratuits et, même lorsqu’ils font
l’objet d’une tarification, celle-ci ne couvre souvent pas
les dépenses encourues. Ce qui est fourni au client est
donc une source de dépenses au lieu d’être une source de
revenus. C’est ce qui fait que, lorsque les employés sont
en grève, le gouvernement économise de l’argent, alors
qu’une entreprise en grève en perd bien évidemment.
Puisque les ministères doivent respecter leurs budgets de
dépenses, ils sont parfois forcés de réduire les services.
Pour le gouvernement, les mécanismes qui remplacent le
marché sont le rationnement et la liste d’attente.
Les coûts de production ne constituent pas une variable
importante. Les fonctionnaires n’ont pas à s’en soucier
 s LES FONCTIONNAIRES

étant donné que les budgets sont établis annuellement


d’une façon plutôt routinière. Dans la plupart des cas, les
ministères font tout à fait abstraction du coût de revient
des biens et services offerts. De temps à autre, cependant,
des analyses sont effectuées pour étudier la possibilité de
confier certaines tâches au secteur privé. Ces analyses sont
difficiles à réaliser étant donné l’insuffisance des données
disponibles et les modes de fonctionnement des adminis-
trations publiques. Un exemple, parmi bien d’autres,
illustre le problème.
Au ministère des Travaux publics fédéral, il y a quelques
années, un sous-ministre provenant du secteur privé a
demandé que soit effectuée une comparaison entre les
coûts de l’élaboration de plans et devis par les fonction-
naires du ministère et les frais facturés par des firmes
externes d’architectes. Les chiffres produits par les services
administratifs semblaient démontrer qu’il était vraiment
plus économique de faire effectuer les travaux à l’interne.
En examinant la situation de plus près, le sous-ministre
s’est rendu compte que ses architectes veillaient à ce que
leur carnet de commandes soit toujours bien rempli, ce
qui n’était pas très difficile étant donné que les services
étaient rendus gratuitement aux ministères clients. Un
des effets de la gratuité était que beaucoup de travaux
n’étaient pas prioritaires et demeuraient dans les cartons.
En faisant la part des choses, il ressortait que les travaux
réellement nécessaires effectués par les fonctionnaires
coûtaient plus cher que s’ils avaient été exécutés par le
secteur privé.
Les coûts administratifs ne sont pas une considération
impérieuse pour la fonction publique. Contrairement à
l’entreprise privée où toute économie se répercute sur les
LE FONCTIONNEMENT DU SYSTÞME s 

profits, les incitations à réduire les coûts sont beaucoup


moindres dans le secteur public. Les objectifs étant
politiques, l’intendance doit suivre, peu importe les coûts.
Les citoyens peuvent le constater facilement dans le cas
d’activités fortement médiatisées telles que les
commissions d’enquête publiques. Les dépenses se
chiffrent dans les millions de dollars et personne n’en est
tenu responsable.
Le respect des principes de fonctionnement et des
règles est, pour la fonction publique, une obligation
beaucoup plus contraignante que les réductions de coûts.
Par exemple, en ce qui concerne les marchés publics, les
principes de concurrence et de choix du plus bas soumis-
sionnaire sont sacrés, même si les pratiques adoptées
entraînent souvent des coûts plus élevés. Les entreprises
privées cherchent habituellement à établir des liens de
confiance avec leurs fournisseurs. Ces derniers en vien-
nent à connaître les besoins de leurs clients et établissent
une relation fondée sur la maxime du gagnant-gagnant.
Dans le secteur public, les règles ne permettent pas de
construire de tels partenariats et d’en arriver à une
synergie génératrice de qualité et d’efficacité. La relation
s’établit au cas par cas, les parties sont méfiantes, cher-
chent à se protéger et adoptent des attitudes paranoïaques.
Parfois, même s’il existe des doutes sur les capacités du
fournisseur de respecter son contrat, les fonctionnaires se
sentent obligés de retenir les services du plus bas soumis-
sionnaire. Lorsque les choses tournent mal, on impute
simplement la faute aux règles.
Les ministères font souvent exécuter des travaux presque
identiques, chacun de leur côté, par les firmes de conseillers
externes. Le paradoxe est qu’ils n’échangent pas d’infor-
 s LES FONCTIONNAIRES

mation entre eux, mais qu’au sein des firmes tout est mis
en œuvre pour que les conseillers aient accès aux travaux
de leurs collègues afin de s’en inspirer. Ce qui est fait pour
un ministère client pourra donc être utilisé pour réaliser
un mandat donné par un autre ministère. La mise en
commun des connaissances s’avère payante pour une boîte
externe, mais les ministères n’ont pas la même motivation
pour investir dans la gestion du savoir. Au contraire, quand
on se situe dans une dynamique de pouvoir plutôt que de
profit, l’information constitue une ressource qu’il importe
de conserver plutôt que de partager.
Les connaissances les plus valorisées au sein de la
fonction publique sont la tradition, les pratiques éprou-
vées et les façons de faire routinières. On se contente de
faire les choses comme elles ont toujours été faites parce
qu’on évite ainsi les erreurs et que, de toute façon, il n’y
a aucune incitation à changer.

La résistance au changement
On pourrait croire que les fonctionnaires n’ont pas peur du
changement étant donné qu’ils ont la sécurité d’emploi. Le
paradoxe est que tout le monde craint le changement. Bien
sûr, d’un certain point de vue, le changement est constant :
les gouvernements changent, les ministres changent, les
hauts fonctionnaires changent. Mais il s’agit d’un jeu de
chaises musicales plutôt que de véritables changements.
Les changements que les gens craignent le plus sont ceux
qui modifient les relations que les individus ont entre eux
et avec leurs clients. L’introduction des nouvelles techno-
logies a, dans un certain nombre de cas, apporté des
modifications de ce type et, par conséquent, de véritables
LE FONCTIONNEMENT DU SYSTÞME s 

changements. Par exemple, au cours des dernières années,


le travail des secrétaires a été radicalement transformé. Plus
récemment, à la Société de l’assurance automobile, des
employés munis d’appareils électroniques portables
rencontrent les accidentés de la route dans leur chambre
d’hôpital pour recueillir les informations visant à accélérer
le versement des indemnités.
Les gouvernements, les ministres et les hauts fonction-
naires parlent constamment de changement. Chacun veut
donner l’impression d’être une personne d’action et
souhaite laisser sa marque. Les choses les plus faciles à
changer sont les organigrammes, les discours et les
mesures sur papier. Les véritables changements sont
toutefois très difficiles à apporter, car les résistances sont
colossales. D’un certain point de vue, il est heureux qu’il
existe des remparts contre l’affairisme inconsidéré, car si
tous les dirigeants pouvaient agir à leur guise, la situation
serait proprement infernale. Comme nous l’avons men-
tionné plus haut, la facilité avec laquelle on peut dépenser
l’argent des autres et l’impossibilité pour l’organisation
de faire faillite créent des conditions où tout devient
possible, même les pires extravagances.
Les véritables changements prennent des mois, sinon
des années, à se concrétiser. Peu d’acteurs dans le système
sont assez longtemps en place pour les entreprendre et
les mener à terme. Encore faudrait-il qu’ils aient la déter-
mination et la persévérance nécessaires, ce qui est loin
d’être acquis. Plusieurs changements sont cependant
entrepris, mais abandonnés en cours de route. Par consé-
quent, les fonctionnaires déjà sceptiques devant les vel-
léités de changement deviennent franchement cyniques
à la suite d’échecs répétés.
 s LES FONCTIONNAIRES

Bien sûr, peu de gens s’opposeront ouvertement aux


changements. Les tactiques de résistance sont plus sour-
noises et plus ingénieuses que cela. On effectue des
études, on prépare des plans, on fait des présentations,
mais on se garde bien de passer à l’action. On marque le
progrès non pas à l’aide des réalisations concrètes, mais
en complétant les étapes sur une longue feuille de route.
L’idée est de se hâter, mais de se hâter lentement ! On crée
des groupes de travail, on effectue des consultations, on
parle de gestion du changement, on étudie les risques, on
prépare la transition, on se crée des problèmes artificiels,
on invente des barrières et l’on attend que le promoteur
du changement quitte son poste ou voie son intérêt
s’estomper.
Les tactiques de résistance au changement les plus
efficaces sont souvent les plus insidieuses. On adoptera le
discours, on acceptera les nouveaux symboles, on modi-
fiera ses écrits, mais on ne transformera aucune des pra-
tiques. Un exemple illustre bien cette stratégie. Un
ministre responsable des politiques de main-d’œuvre à
Ottawa a imaginé que les centres de main-d’œuvre pou-
vaient faire beaucoup plus que de jouer un rôle d’inter-
médiaires entre les demandeurs d’emplois et les
employeurs : ils pouvaient adopter une attitude proactive,
par exemple en s’informant des besoins futurs des entre-
prises, en intervenant auprès des maisons d’enseignement
pour que les programmes de formation soient adaptés
aux besoins et en coordonnant l’action des institutions et
des groupes qui participent au fonctionnement du marché
de la main-d’œuvre. Un tel changement s’avérait cepen-
dant un véritable défi pour les gestionnaires des centres
de main-d’œuvre. Contrairement à ce qu’on aurait pu
LE FONCTIONNEMENT DU SYSTÞME s 

s’attendre, la réaction de ces derniers n’a pas été de


s’opposer au changement, mais d’affirmer qu’ils étaient
tout à fait d’accord. Comme le disait l’un d’entre eux :
i #EST UNE TºCHE QUE JEFFECTUE QUOTIDIENNEMENT EN EFFET
je rencontre des hommes d’affaires tous les jours quand
j’arrête prendre mon café au restaurant et lors des réunions
avec les membres des clubs sociaux dont je fais partie ! »
Il est bien difficile d’effectuer des changements sans
risquer de faire des erreurs. Le fait est que, dans le contexte
politique dans lequel agit la fonction publique, la tolérance
à l’erreur est extrêmement minime. Les bons coups ne
sont pas récompensés, mais les erreurs sont punies. Tout
le monde tente donc de se protéger. Peu de gens sont prêts
à prendre des décisions. On se cache derrière des comités
ou l’on renvoie les décisions vers les autorités supérieures.
On prépare de nombreuses études et on les fait cheminer
dans la structure hiérarchique. L’approbation de ces
documents est considérée comme un signe de progrès
dans la réalisation d’un projet, même si rien de concret
en découle. Ces activités sur papier font que certains
fonctionnaires travaillent très fort, même si l’organisation
souffre d’inertie.
La fonction publique est passée maître des réalisations
sur papier. Il en est ainsi, par exemple, des plans stratégi-
ques que les ministères sont tenus par la loi de présenter
au Parlement. C’est d’abord aux sociétés d’État qu’on a
demandé d’effectuer une planification stratégique. Une
telle exigence est compréhensible dans le cas d’entreprises
possédant un large degré d’autonomie par rapport au
gouvernement. Appliquée aux ministères, la commande
est loufoque. Les ministères, en effet, n’ont d’autre choix
que d’agir en réaction à l’opinion publique. Les plans
 s LES FONCTIONNAIRES

stratégiques ne peuvent être que des documents verbeux


qui ne révèlent rien de neuf. On en confie souvent la
rédaction à des équipes de fonctionnaires travaillant de
façon isolée à produire des documents dans un langage
ampoulé et nébuleux que tous les lecteurs trouveront
ennuyeux et rébarbatif. Ceux qui veulent connaître les
intentions du gouvernement savent que ce n’est pas dans
les plans stratégiques des ministères qu’ils peuvent les
trouver : le calendrier législatif et le discours sur le budget
sont beaucoup plus révélateurs à cet égard. Ces docu-
ments, contrairement aux plans stratégiques, sont rédigés
sous la direction des élus eux-mêmes et contiennent les
véritables plans du gouvernement. Face à des politiciens
qui veulent plaire à leurs électeurs et qui s’efforcent de
tenir leurs promesses, la fonction publique procède avec
sa propre dynamique découlant d’un système de récom-
penses et de punitions particulier.

Système de récompenses et de punitions


Pour comprendre une organisation, il faut décortiquer
son système de récompenses et de sanctions, car c’est ce
qui fait agir les gens, qui les motive à se comporter d’une
certaine façon. L’obtention des récompenses est syno-
NYME DE SUCCÞS  CEST LE CRITÞRE DE R£USSITE DANS LORGANI-
sation. Les sanctions provoquent l’embarras et constituent
une tache dans le dossier de celui qui les mérite.
Il existe une intense compétition entre les membres
d’une organisation pour obtenir les récompenses les plus
convoitées. Dans la fonction publique, il s’agit des pro-
motions et des moyens qui facilitent leur obtention, par
exemple les avancements accélérés d’échelons et les
LE FONCTIONNEMENT DU SYSTÞME s 

évaluations de rendement élogieux. C’est pourquoi un


cadre ambitieux préférera une notation de rendement
exceptionnelle à un bonus en argent. Les promotions, en
effet, permettent d’obtenir du pouvoir, une ressource
particulièrement convoitée dans une organisation de
nature politique. Elles sont accompagnées, bien sûr, d’une
augmentation de salaire, mais il ne s’agit pas là de la
motivation essentielle.
Officiellement, tous les fonctionnaires diront qu’ils
préfèrent un bonus en argent ou une augmentation de
salaire à un titre d’emploi plus prestigieux et à une place
plus élevée dans l’organigramme du ministère, mais, s’ils
avaient le choix, l’immense majorité d’entre eux délaisse-
raient l’argent pour obtenir la promotion.
En ce qui concerne les punitions, la fonction publique
a la caractéristique de disposer d’un système particulière-
ment anémique. Dans l’entreprise privée, l’objectif visé
est la productivité et l’on met en œuvre des moyens de se
défaire des employés improductifs. La fonction publique,
par contre, possède une grande tolérance pour les
employés insatisfaisants. Les tire-au-flanc ne risquent pas
grand-chose, car le renvoi est une mesure tout à fait
exceptionnelle. Dans les faits, le régime de punitions
n’existe qu’en matière disciplinaire : les insultes aux supé-
rieurs, les fraudes et le harcèlement sexuel ne sont pas
tolérés. Les règles administratives pour prévenir les mal-
versations sont extrêmement développées et soutenues
par un appareil complexe.
Chapitre 8
Les pratiques
administratives internes

L e fonctionnement interne de la machine adminis-


trative est d’une grande lourdeur et coûte excessive-
ment cher. Un imposant appareil administratif a été mis
en place pour la gestion du personnel, des finances, des
approvisionnements, du matériel et des locaux, ainsi que
de l’informatique. La fonction publique dispose d’une
double structure : parallèlement aux services chargés des
opérations, il y a ceux qui sont dédiés exclusivement à la
gestion administrative interne. Ces derniers sont
chapeautés au niveau gouvernemental par le Conseil du
trésor qui est le premier responsable de l’élaboration des
règles administratives. Au niveau des ministères et des
organismes, la responsabilité d’assurer le respect des
règles appartient le plus souvent à une direction générale
de l’administration.
Ce vaste appareillage découle d’objectifs politiques
astreignants. Les gouvernements tiennent à se prémunir
contre toute allégation de malversation et de mauvaise
administration. Ils tiennent à ce que les décisions adminis-
tratives soient perçues comme transparentes, rigoureuses,
LES PRATIQUES ADMINISTRATIVES INTERNES s 

correctes et équitables. Personne ne veut être pris en défaut.


Étant donné la méfiance des citoyens et des médias à l’égard
de la politique, toute allégation de malhonnêteté est spon-
tanément crédible et contribue à miner la crédibilité du
gouvernement. Les scandales constituent le risque politique
le plus dangereux et peuvent avoir des conséquences
énormes. Face à un tel niveau de risque, les coûts ne
représentent pas une préoccupation importante. En cette
matière, comme l’énonce le dicton anglais Money is no
object !, l’argent ne compte pas. Les règles sont faites pour
assurer la probité, pas pour promouvoir l’efficacité
administrative.
Chaque fois qu’une fraude est découverte ou qu’une
grave erreur administrative est détectée, la tendance des
gouvernements est d’ajouter de nouvelles règles et de
nouveaux contrôles. Les contraintes que ceux-ci imposent
à la fonction publique en viennent à être perçues comme
excessives et il se produit alors un phénomène qui s’appa-
rente au travail au noir. En effet, lorsque le taux d’imposition
des revenus est vu comme inacceptable, les travailleurs se
sentent parfaitement justifiés de se mettre à l’abri de l’impôt.
De la même façon, les fonctionnaires inventent toutes
sortes de façons de contourner les règles.
C’est surtout en matière de gestion du personnel et de
gestion financière que les règles sont les plus lourdes.

Gestion du personnel
Dans la fonction publique, la gestion du personnel est
désignée sous le terme « gestion des ressources humaines ».
Alors que certaines entreprises font des efforts remarqua-
bles pour démontrer que leur personnel constitue leur
 s LES FONCTIONNAIRES

plus grande richesse et vont même jusqu’à désigner la


direction de la gestion du personnel sous le nom de
« services aux membres », l’utilisation des mots « ressources
humaines » propage l’idée que les employés ne sont que
des moyens à la disposition de la machine administrative,
tout comme les véhicules, les meubles et les édifices.
L’emploi de ce vocabulaire ravale les employés au rang
des ressources matérielles et véhicule un matérialisme
froid tout à fait conforme à la mentalité bureaucratique.
D’un point de vue légal, cependant, les fonctionnaires
sont plus que des ressources à la disposition du gouver-
nement. La loi leur reconnaît un statut particulier et leur
confère plusieurs privilèges, dont la sécurité d’emploi. Ces
privilèges accordés par des lois deviennent par le fait
même des droits et sont extrêmement difficiles à modifier.
Dans ce contexte, la gestion des ressources humaines
consiste en grande partie à appliquer la loi, les règlements
et les règles qui en découlent.
Les entreprises, n’ayant pas le choix étant donné
qu’elles fonctionnent dans un contexte de concurrence,
sont forcées d’être performantes et doivent axer leurs
pratiques de gestion du personnel sur l’efficacité. Elles
consacrent donc beaucoup d’efforts à créer un environ-
nement de travail positif, à motiver les employés à amé-
liorer leur rendement, à se donner des pratiques de
reconnaissance, à améliorer le climat de travail et le moral
des employés, à promouvoir les valeurs organisationnelles
et à fidéliser les employés pour minimiser le roulement.
Par contre, l’objectif principal de la fonction publique
en matière de gestion du personnel est de mettre les
employés à l’abri des interventions politiques et du favo-
ritisme. Le système fait des fonctionnaires des individus
LES PRATIQUES ADMINISTRATIVES INTERNES s 

particulièrement choyés par leur employeur. Ils comptent


aussi parmi les travailleurs ayant les meilleures conditions
de travail, n’étant dépassés à ce chapitre que par les
employés des grandes villes et de certaines sociétés
d’État.
Les gains les plus importants ont été acquis dans les
années 1970, il y a donc plus de trente ans. Ces conditions
ne correspondent plus à la situation qui prévaut mainte-
nant dans les entreprises privées soumises à la concurrence
internationale. Dans certaines entreprises manufactu-
rières, les employés sont maintenant appelés à renoncer
à des avantages acquis afin d’éviter des fermetures
d’usines. On peut croire que le fossé qui sépare les
conditions de travail accordées dans le secteur privé de
celles qui sont consenties dans la fonction publique ira en
s’élargissant. Le salaire et les conditions de travail exercent
une forte attraction sur les chercheurs d’emplois. Le
nombre de candidats aux concours est d’ailleurs le
meilleur indicateur de la compétitivité de la fonction
publique sur le marché de l’emploi. Si celle-ci en venait à
éprouver des problèmes de recrutement, on saurait que
ses conditions de travail sont redevenues adéquates et
convenables.

La sélection du personnel
L’aspect le plus stratégique de la gestion du personnel est
le processus de sélection, tant pour l’entrée en emploi que
pour les promotions subséquentes. Il s’agit d’une activité
fortement réglementée, car les gouvernements veulent
éviter le favoritisme, garantir l’équité et, en même temps,
assurer la représentativité de divers groupes tels que les
 s LES FONCTIONNAIRES

membres des communautés culturelles et les personnes


handicapées.
La règle de base de la sélection est le principe du mérite
qui se traduit par la pratique des concours. Les candidats
doivent passer divers tests ou examens pour être choisis.
Au Québec, les mêmes exigences sont imposées, qu’il
s’agisse d’employés réguliers (permanents) ou occasion-
nels. Les tests sont cependant un moyen bien approximatif
et inadéquat pour établir la compétence d’une personne,
car la plupart des qualités requises pour effectuer un
emploi ne peuvent être mesurées objectivement. La
véritable évaluation de l’aptitude à effectuer un travail
s’effectue en cours d’emploi. L’utilisation de tests a
toutefois un aspect pervers, car les gestionnaires leur
accordent trop de crédit et hésitent pour cette raison à
renvoyer un nouvel employé. Alors que la norme dans
l’entreprise est d’au moins 4 % d’erreurs lors de la sélection
initiale, dans la fonction publique le nombre de personnes
renvoyées au cours de la période de stage est infime.
Dans le cas des concours de promotion, deux attitudes
sont possibles : suivre les règles des concours dans toute
leur rigueur ou trafiquer les règles pour nommer les
personnes désirées. L’observance des règles permet certes
d’éviter le favoritisme, mais elle conduit aussi à sélec-
tionner les personnes qui ont les plus grandes habiletés
dans les tests et les entrevues devant les comités de
sélection. Il ne s’agit pas nécessairement des meilleurs
candidats. Au surplus, les tests ne permettent pas de
détecter les alcooliques, les joueurs compulsifs et les
personnes qui ont des troubles de comportement.
Étant donné que le processus de sélection est perçu par
les employés comme une activité à caractère légal,
LES PRATIQUES ADMINISTRATIVES INTERNES s 

plusieurs s’imaginent que tout se joue à l’occasion des


concours et que la performance en emploi ne compte pas.
Il s’agit donc d’offrir une bonne prestation lors des tests
et de réussir l’examen oral pour obtenir une promotion.
Quand on considère les choses sous l’angle de l’application
de la loi, le « gros bon sens » ne compte pas. Après tout,
ne dit-on pas que la justice est aveugle ?
La plupart des observateurs s’entendent cependant
pour dire que, dans au moins les trois quarts des cas, les
gagnants des concours de promotion sont choisis à
l’avance. La grande majorité des gestionnaires, en effet,
ne veulent pas prendre le risque de se fier à un concours
pour pourvoir un poste qui exige compétence et loyauté.
Si le choix doit être effectué entre des personnes qu’ils
connaissent, ils sont persuadés que leur jugement est
supérieur aux résultats des concours. S’ils doivent choisir
parmi des personnes qu’ils ne connaissent pas, ils préfèrent
effectuer eux-mêmes la sélection en se fiant aux recom-
mandations de leurs collègues et amis, plutôt que de se
soumettre aux résultats découlant de tests et d’examens
qu’ils considèrent décevants. Il est bien sûr nécessaire de
se plier aux formalités d’un concours pour concrétiser
leur choix, mais toutes sortes de trucs ont été élaborés
pour s’assurer d’obtenir le résultat voulu, un des plus
retors étant de refiler à l’avance au candidat choisi la liste
des questions d’examen.
L’obligation de tenir des concours de promotion
impose des contraintes importantes à la fonction publique :
elle dicte la règle du cas par cas communément appelée
« un trou, une cheville » et complique grandement la
préparation de la relève. Alors que les entreprises consa-
crent des efforts à la planification de la main-d’œuvre de
 s LES FONCTIONNAIRES

façon, par exemple, à prévoir le remplacement des


employés qui partent à la retraite, la fonction publique,
prisonnière de ses règles, se contente de pourvoir les
postes au fur et à mesure qu’ils deviennent vacants.
Plusieurs autres pratiques de gestion du personnel sont
axées sur l’observance de règles bureaucratiques plus que
sur les besoins de l’organisation. C’est le cas de l’évalua-
tion du rendement des employés.

L’évaluation du rendement
Le règlement prévoit que l’employé doit recevoir de son
supérieur une évaluation annuelle de son rendement au
travail. C’est le plus souvent la seule rétroaction dont
bénéficie le fonctionnaire sur son rendement. Cette
culture fondée sur la réglementation va à l’encontre des
meilleures pratiques de l’entreprise qui établissent que
l’employé doit recevoir une rétroaction fréquente, infor-
melle et personnalisée visant à encourager l’individu à
poursuivre ses efforts, ainsi qu’à corriger au fur et à
mesure ce qui ne fonctionne pas correctement. Dans ce
contexte, l’évaluation annuelle n’est qu’une récapitulation
de ce qui a été dit auparavant et a pour caractéristique
principale de ne comporter aucune surprise. Par consé-
quent, contrairement au type d’évaluation annuelle
effectuée dans la fonction publique, une telle récapitula-
tion n’est pas un moment stressant et n’entraîne aucune
méfiance entre le supérieur et le subalterne.
Il est évident que, lorsque le gestionnaire et l’employé
ne discutent de performance qu’une fois par année, le
climat est nécessairement tendu. Il s’agit d’une expérience
pénible pour les deux parties en cause. Pour que cet
LES PRATIQUES ADMINISTRATIVES INTERNES s 

exercice obligé soit le moins angoissant possible, la ten-


dance est le plus souvent de ne faire que des évaluations
de complaisance. Le gestionnaire n’a d’ailleurs aucun
intérêt à écrire quoi que ce soit de négatif dans son rapport
d’évaluation du rendement. En effet, si un employé ne
donne pas satisfaction, le meilleur moyen de s’en défaire
est de l’inciter à muter dans un autre service ou un autre
ministère. Une mauvaise notation peut constituer un
obstacle à une mutation, car toute remarque négative
constitue un signal d’alarme pour le gestionnaire cherchant
à embaucher un nouvel employé. La prudence dicte donc
de n’inscrire dans la fiche que des éléments positifs.
Dans le cas d’un certain nombre de corps d’emploi, la
distribution de bonis annuels est liée à l’évaluation du
rendement. Pour contrer la tendance des gestionnaires à
accorder des bonis à tous les employés dans le but de
maintenir l’harmonie et d’éviter toute doléance, les règles
dictent des quotas, par exemple, pas plus de 25 % de nota-
tions « A » ou « B ». Dans ce contexte, un bon nombre
d’employés doivent se contenter d’une notation « C », même
s’ils ont l’impression d’avoir fourni un excellent rendement.
Les jeunes finissants universitaires, en particulier, réagissent
très mal à une note « C », car à l’université une telle note est
jugée carrément médiocre par les meilleurs étudiants
habitués à se mériter des « A » et des « B ».
En ce qui concerne l’attribution des bonis au rende-
ment, les employés s’attendent à ce que le processus soit
objectif et équitable. Cependant, ce qui est valorisé par le
personnel n’est pas ce qui retient d’abord l’attention des
gestionnaires. Les employés attachent beaucoup d’impor-
tance aux efforts consentis. À leurs yeux, ceux qui ne
comptent pas leurs heures et qui mettent toute leur
 s LES FONCTIONNAIRES

énergie dans leur travail sont plus méritoires que ceux qui
sont moins laborieux. Les supérieurs, cependant, valori-
sent d’abord la loyauté et l’appui donné à leurs objectifs
personnels. Personne ne fait évidemment état des vrais
critères utilisés pour distribuer les bonis, car les critères
politiques ne sont pas jugés décents ni avouables. La
plupart des employés nagent donc dans la confusion par
rapport au processus utilisé, ce qui alimente la méfiance,
le cynisme et la paranoïa.
La culture organisationnelle de la fonction publique
complique singulièrement la tâche des gestionnaires
lorsqu’il s’agit de se défaire d’employés incompétents.
Étant donné que le système est axé sur la protection des
fonctionnaires contre le favoritisme et les interventions
politiques, il est extrêmement difficile de renvoyer un
employé dont la performance est insatisfaisante une fois
qu’il a terminé sa période de stage et acquis sa perma-
nence. Il est, dans ce cas, assez facile pour un individu
d’utiliser la réglementation et les conventions collectives
pour y trouver les trucs et astuces permettant de faire
échec aux intentions de son supérieur. Les employés, en
effet, disposent de bien plus de privilèges que de devoirs.
Ils n’ont pas à s’efforcer de maintenir leurs compétences
ou à prendre les mesures nécessaires pour conserver leur
emploi au cas où leur poste viendrait à disparaître.
L’employeur a toutes les obligations : former l’employé
durant ses heures de travail et en lui payant des heures
supplémentaires si cette formation l’exige, lui trouver un
autre travail de même niveau lorsque son poste est aboli
par manque de travail ou à la suite de changements
technologiques, continuer à lui payer un salaire à ne rien
faire s’il ne peut être déménagé, etc.
LES PRATIQUES ADMINISTRATIVES INTERNES s 

En fait, il est si difficile de se défaire d’un employé jugé


insatisfaisant que les gestionnaires préfèrent les mettre
sur une voie d’évitement, en faire un « tabletté » comme
on dit communément. Tous les tablettés ne sont pas des
incompétents, loin de là. Plusieurs sont simplement
tombés en disgrâce parce qu’ils n’ont pas respecté les
critères de loyauté et d’appui inconditionnel à leur supé-
rieur. Dans ces cas, il arrive souvent que l’employé ignore
ce qui a conduit à sa déchéance, car il s’agit de règles non
écrites dont personne ne parle ouvertement.
La pratique du « tablettage » n’est pas inconnue dans
les entreprises, mais, comme elle coûte cher, elle est
réservée aux gestionnaires supérieurs alors que, dans la
fonction publique, on retrouve des tablettés à tous les
niveaux. Personne ne sait combien d’employés improduc-
tifs la bureaucratie gouvernementale peut ainsi camoufler
dans ses rangs. Un jour, dans un contexte très informel,
une question à cet effet a été posée à un haut fonctionnaire
d’un organisme central dédié à la gestion du personnel.
Sa réponse, en toute franchise a été : « Les tablettés, ce
SONT COMME LES RATS  QUAND TU EN VOIS UN ½A VEUT DIRE
qu’il y en a dix ! »

Les relations de travail


Les relations de travail sont un autre domaine pour lequel
on peut constater que le contexte politique fausse le
fonctionnement d’institutions et de pratiques, telles que
la syndicalisation, les négociations collectives et les grèves
qui ont été empruntés au secteur privé. Dans les entre-
prises, les négociations collectives constituent un rapport
de force de nature économique entre l’employeur et le
 s LES FONCTIONNAIRES

syndicat. Ce dernier essaie d’obtenir le maximum d’avan-


tages pour ses membres, compte tenu de la capacité de
payer de l’entreprise. Si les exigences sont déraisonnables,
l’entreprise risque de fermer ou de faire faillite.
Un gouvernement ne peut évidemment pas mettre la clé
dans la porte, ni faire faillite. Les employés de la fonction
publique ne risquent pas non plus de rester en grève bien
longtemps lorsqu’ils décident d’accentuer les moyens de
pression, car le gouvernement est un monopole dont per-
sonne ne peut prendre la relève. Les conflits de travail sont
donc essentiellement politiques, chacune des parties tentant
de convaincre l’opinion publique que sa position est la plus
raisonnable. Lorsqu’il dispose de l’appui du public, le gou-
vernement peut mettre fin unilatéralement à une grève en
déposant une loi au Parlement. Comme des sanctions
sévères sont généralement attachées au non-respect de la
loi, le syndicat perd tout son pouvoir de négociation.
Les fonctionnaires ne sont pas d’ardents militants
syndicaux, bien qu’il y ait quelques exceptions, les plus
illustres étant les syndicats des employés du ministère des
Postes avant la création d’une société d’État. Pour des
raisons politiques, il est arrivé que le gouvernement
québécois favorise la création de fronts communs des
travailleurs du secteur public, de façon à leur donner un
plus grand rapport de forces. Une telle stratégie était
évidemment aux antipodes de celle des employeurs du
secteur privé qui font tout ce qui est possible pour éviter
la syndicalisation de leurs employés et restreindre leur
pouvoir de négociation. Les objectifs du gouvernement
en matière de négociations collectives se situent à un autre
niveau. Les impératifs politiques dictent de gagner la
faveur des fonctionnaires et des autres travailleurs du
LES PRATIQUES ADMINISTRATIVES INTERNES s 

secteur public, ainsi que d’établir des liens étroits avec les
dirigeants syndicaux. Bien que cette stratégie ait eu des
conséquences budgétaires déplorables, les retombées
électorales se sont souvent avérées très positives.
Les gouvernements camouflent volontairement bien
des avantages concédés aux employés. Par exemple, par
l’octroi de primes dans toutes sortes de circonstances. Ces
dernières sont très nombreuses et tout le monde, sauf
bien sûr ceux qui en bénéficient, ignorent leur existence.
Grâce aux primes et aux heures supplémentaires, certains
employés arrivent à accroître considérablement leur
revenu.
Les nombreux congés accordés aux employés consti-
tuent aussi des avantages considérables que le public
ignore. En plus de quatre ou cinq semaines de vacances
et d’une douzaine de journées de congés de maladie, les
conventions collectives des fonctionnaires prévoient des
congés pour toutes sortes de raisons : congés parentaux,
congés sociaux, etc. Le système de paie contient des
centaines de codes pour catégoriser tous ces congés. Il
existe même un congé pour le don de sang à la Croix-
Rouge ! De nombreuses journées sont aussi consacrées à
la formation chaque année.
Lorsque les ministères doivent établir des plans de
travail pour prévoir l’utilisation du temps des employés
dans divers projets, ils calculent que la prestation effective
de travail d’un fonctionnaire est de 180 jours par année,
alors que le nombre de jours effectivement payés est de
261. Peu d’entreprises privées pourraient demeurer en
affaires si elles avaient de telles charges à supporter.
Les conditions de travail à peu près sans égales de la
fonction publique entraînent certains effets insolites. Par
 s LES FONCTIONNAIRES

exemple, les jeunes femmes qui ont un diplôme de comp-


table et qui sont désireuses d’avoir des enfants ont décou-
vert que l’emploi idéal pour elles se trouve au Bureau du
Vérificateur général (BVG). Elles y bénéficient de tous les
avantages sociaux concevables concernant la période de
grossesse et les premiers mois suivant l’accouchement,
de même que de conditions de travail idéales pour
concilier la famille et le travail : heures de travail flexibles,
beaucoup de congés sociaux et aucune obligation de faire
des heures supplémentaires. De plus, contrairement aux
cabinets privés de comptables qui font face à des périodes
intenses de travail à la fin et au début de l’année financière,
la charge de travail du Vérificateur général est à peu près
égale tout au long de l’année. Bien sûr, le travail du BVG
est loin d’être passionnant, mais, il sera toujours temps
pour les plus ambitieuses de changer d’emploi quand les
enfants auront grandi. Pour le Vérificateur général, le fait
d’avoir un personnel composé en grande partie de jeunes
femmes en âge d’avoir des enfants représente une charge
sociale très élevée, mais comme le Bureau ne peut pas
faire faillite et que son efficacité est non mesurable, per-
sonne ne s’en soucie.
La gestion du personnel n’est pas le seul domaine pour
lequel les impératifs politiques l’emportent sur les consi-
dérations économiques. La gestion financière en est une
autre.

Gestion financière
De nombreux spécialistes de la gestion financière, parti-
culièrement ceux qui proviennent du secteur privé, ont
rêvé d’une situation où les budgets de l’État seraient
LES PRATIQUES ADMINISTRATIVES INTERNES s 

établis sur la base de critères objectifs pour maximiser les


retombées positives des dépenses gouvernementales ainsi
que le retour sur les investissements. Par exemple, les
concepteurs du Système de planification, programmation
et budgétisation (PPBS) des années 1970 croyaient qu’il
serait possible de mesurer l’efficacité des programmes et
de moduler les augmentations et les diminutions de crédits
budgétaires sur la base de la performance constatée.
Il s’agissait bien sûr d’une utopie et le PPBS a été
abandonné après quelques années de tentatives infruc-
tueuses. La préparation du budget de l’État est une
opération qui n’a rien à voir avec l’efficacité administrative.
Les décisions sont prises à la suite de luttes frénétiques
entre les ministres et suivant les arbitrages du ministre des
Finances et du premier ministre.
Le budget annuel comprend deux parties bien distinctes
et reliées l’une à l’autre pour la forme seulement : le
Discours sur le budget qui prévoit les revenus et établit
globalement le niveau de dépenses, et les crédits budgé-
taires qui répartissent les dépenses de l’État par ministère,
chacun des ministres se voyant allouer un budget que,
théoriquement, il ne doit pas dépasser. Les documents
budgétaires déposés au Parlement avant le début de
l’année financière ne traduisent que des intentions, car ils
sont fréquemment modifiés en cours d’année. Ils visent
essentiellement à susciter la faveur du public. Mais ils sont
parfois si éloignés de la réalité qu’ils en deviennent des
œuvres de fiction.
Lors des périodes de décroissance ou de faible crois-
sance économique, les revenus de l’État subissent un
contrecoup et il s’avère parfois nécessaire de réduire les
dépenses. Il faut alors le faire de façon à minimiser les
 s LES FONCTIONNAIRES

réactions négatives des électeurs. Il ne saurait être ques-


tion de réduire les programmes que les spécialistes
considèrent périmés ou peu efficaces, mais uniquement
de sabrer dans les dépenses qui recueillent le moins
d’appui populaire ou d’effectuer des « compressions
horizontales », c’est-à-dire de réduire toutes les dépenses
également de façon à ce que l’effet soit le moins visible
possible. Il est d’ailleurs plus facile de dissimuler une
diminution de la qualité des services que l’abolition
complète d’un programme.
Une façon très visible de réduire les dépenses adminis-
tratives est d’abolir des organismes gouvernementaux.
Même si de telles décisions frappent l’opinion publique,
leur influence réelle sur le budget de l’État est minime,
car les responsabilités des organismes abolis sont la plupart
du temps transférées à des ministères ou à d’autres orga-
nismes. De plus, la volonté gouvernementale de réduire
le nombre d’organismes est toujours passagère, car la
propension à créer des structures est très fortement
ancrée dans les mœurs politiques. La création d’orga-
nismes est une démonstration tangible que le gouverne-
ment a décidé de s’occuper d’un problème. C’est un signe
concret qu’il a la solution à cœur, peu importe si, par la
suite, les objectifs visés sont atteints ou non : les appa-
rences sont en faveur du gouvernement.
Les ministres font d’énormes efforts pour éviter que
leurs budgets ne soient réduits, car, du point de vue des
clientèles, l’efficacité et le prestige d’un ministre sont
fonction de sa capacité d’accroître les ressources destinées
aux programmes dont il est responsable. Dans ce but,
toutes les stratégies sont utilisées, y compris la mobilisation
LES PRATIQUES ADMINISTRATIVES INTERNES s 

subreptice des groupes de pression pour influencer le


Conseil des ministres.
Quand il s’agit de dépenser l’argent des autres, ce n’est
pas la rationalité économique qui prime, mais plutôt la
rationalité politique ou administrative.

Un contexte de rationalité politique


et administrative
Les politiciens utilisent l’argent public dans le but de se
faire réélire, tandis que les fonctionnaires le font dans un
contexte de règles à observer, lesquelles peuvent bien sûr
être transgressées pourvu que les risques de se faire
prendre soient minimes.
La situation financière d’un gouvernement est artifi-
cielle étant donné qu’il n’y a absolument aucune relation
entre les revenus et les dépenses. Dans une entreprise,
plus on accroît le nombre de produits et services offerts,
plus les revenus et, on l’espère, les profits augmentent.
Pour un gouvernement, c’est le contraire : plus on offre
de produits et de services, plus les coûts sont élevés et plus
les possibilités de déficits s’accroissent. La tarification des
services modifie cette situation dans un certain nombre
de cas, mais les tarifs sont le plus souvent une taxe déguisée
puisqu’ils ne sont pas établis en fonction du coût de
prestation des services, mais visent le plus souvent à
accroître les revenus de l’État.
Certaines dépenses obéissent à des contraintes tout à
fait particulières qui ne peuvent exister qu’au sein d’un
gouvernement. Il en est ainsi de l’administration du ser-
vice de la dette qui constitue un poste de dépenses très
important, soit environ 35 milliards de dollars au niveau
 s LES FONCTIONNAIRES

fédéral et 7 milliards au niveau provincial québécois. La


contrainte principale en ce qui concerne le financement de
la dette est de limiter les fluctuations de ce poste de
dépenses. En effet, puisque plusieurs emprunts sont
contractés sur le marché international et que les taux de
change et les taux d’intérêt varient considérablement
d’année en année, les sommes à consacrer au service de la
dette pourraient mettre en péril l’équilibre budgétaire,
surtout dans le cas du Québec. Plutôt que de chercher à
financer la dette au coût le plus bas possible, il est nécessaire
d’utiliser divers mécanismes pour maintenir le service de
la dette dans une fourchette établie à l’avance et éviter ainsi
de compromettre l’équilibre des finances publiques.
D’autres comportements sont propres aux fonction-
naires, comme celui de dépenser tout le budget de fonc-
tionnement accordé pour l’année, quitte à faire des
dépenses pas toujours justifiées avant la fin de l’année
financière. Les fonctionnaires craignent, en effet, que, si
des montants sont périmés, le budget de l’année suivante
sera réduit. Les contraintes d’un budget annuel établi par
une loi sont énormes. Il faut surtout éviter de dépasser le
budget alloué et il est nécessaire de faire des provisions
au cas où des dépenses imprévues surviendraient ou pour
faire face aux compressions budgétaires en cours d’année.
De multiples stratégies, parfois illégales, sont utilisées
pour accroître la marge de manœuvre, par exemple celle
qui consiste à payer à l’avance des fournisseurs pour des
biens et services qui ne seront fournis qu’au cours de
l’année suivante.
Les gouvernements aimeraient bien réduire leurs coûts
administratifs, mais cette volonté n’est pas partagée par
les fonctionnaires, car le contrôle des coûts est une
LES PRATIQUES ADMINISTRATIVES INTERNES s 

discipline exigeante qui demande des efforts soutenus. La


fonction publique n’a tout simplement pas la motivation
pour entreprendre pareille tâche qui requiert une grande
ténacité et beaucoup de persévérance. Les techniques de
contrôle des coûts sont pourtant largement utilisées avec
succès dans les entreprises privées. Elles exigent l’identi-
fication de tous les aspects qui ont des répercussions sur
les coûts (drivers of costs), des indicateurs précis pour
mesurer ces derniers et un travail patient de recherche de
toutes les variables qui font fluctuer les coûts. Pour qu’un
tel travail soit exécuté, un leadership constant serait requis
de la part de la haute direction, mais cette dernière est,
comme on l’a vu, préoccupée beaucoup plus par des
facteurs politiques que par des exigences administratives.
Cependant, ce qui limite surtout la capacité des fonc-
tionnaires d’effectuer une gestion plus stricte de l’appareil
gouvernemental, ainsi que des programmes et services,
est l’incapacité de mesurer le rendement.
#HAPITRE 
La mesure du rendement

U n dicton bien connu énonce que « on ne peut


améliorer que ce que l’on peut mesurer ». Comment
savoir, en effet, si une situation s’améliore ou se détériore
s’il est impossible d’en mesurer les variations ? Dans le
secteur privé, l’accroissement de la productivité passe par
les outils de mesure et on ne ménage pas les efforts en ce
sens.
La mesure du rendement exige d’abord que l’on défi-
nisse les objectifs visés, c’est-à-dire les résultats recherchés.
Pour l’entreprise, cette exigence va de soi mais, dans le
secteur public, la situation est plus confuse et les pro-
blèmes sont nombreux.

La définition des objectifs


Dans un monde idéal, on pourrait prétendre que l’objectif
du gouvernement est d’accroître ce que certains ont
appelé « le bonheur national brut » ou, pour être un peu
plus réalistes, le bien-être de la population. Le problème,
cependant, est qu’il est beaucoup plus difficile de définir
le bien-être que de calculer le produit national brut (PNB)
ou la richesse collective. D’ailleurs, personne ne prendrait
LA MESURE DU RENDEMENT s 

au sérieux un gouvernement qui proposerait des objectifs


aussi généraux. Au surcroît, il semble que les gens soient
de plus en plus cyniques par rapport à la capacité des
gouvernements de créer un futur meilleur.
Les objectifs énoncés par les gouvernements sont donc
rattachés à des initiatives nouvelles ou à des programmes
en voie d’être implantés. Ces objectifs formels sont la
plupart du temps formulés en termes généraux et ne sont
pas mesurables. Ils sont parfois contradictoires, par
exemple lorsqu’on propose de protéger l’environnement
et de promouvoir le développement durable tout en
accélérant l’expansion économique.
Plusieurs programmes ont des objectifs explicites et
des objectifs cachés. Quelques exemples illustrent cette
réalité : le programme d’exonération financière pour les
services d’aide domestique vise officiellement le maintien
à domicile des personnes handicapées ou âgées et a pour
OBJECTIF CACH£ DE CONTRER LE TRAVAIL AU NOIR  LES PRO-
grammes d’assurance agricole trouvent leur justification
dans la nécessité de protéger le revenu des agriculteurs
contre les aléas climatiques, mais constituent essentielle-
MENT DES SUBVENTIONS D£GUIS£ES  LE PROGRAMME DE GAR-
deries subventionnées a été établi pour aider les familles
mais a été efficace surtout en ce qu’il a permis d’améliorer
considérablement le salaire et les avantages sociaux des
éducatrices, un objectif partagé par certains membres du
GOUVERNEMENT ET LEURS ALLI£S SYNDICAUX  LE PROGRAMME
des commandites, dont la réputation n’est plus à faire,
visait à accroître la visibilité du gouvernement fédéral, à
subventionner des événements populaires et à constituer
une source de financement occulte pour le parti au pou-
voir à cette époque.
 s LES FONCTIONNAIRES

Les divers groupes, institutions et individus concernés


par un programme gouvernemental peuvent avoir des
visions bien différentes des objectifs visés ou des résultats
anticipés. Par exemple, un programme de formation
professionnelle offert à des chômeurs peut être présenté
officiellement comme un moyen de combler les besoins
du marché du travail et de réduire le taux de chômage.
Pour les commissions scolaires, les enseignants et les
bénéficiaires, le programme peut représenter essentielle-
ment une source de revenus. Dans cette hypothèse, peu
importe si le programme de formation permet ou non
aux bénéficiaires d’accéder à un emploi, il sera jugé
positivement par tous les intervenants concernés. C’est
ce qui explique que des programmes de formation à
l’entrepreneuriat ont pu s’avérer très populaires et être
offerts pendant des années, même s’ils étaient tout à fait
inefficaces du point de vue de la création d’entreprises.
Les exemples mentionnés plus haut permettent de
comprendre pourquoi les gouvernements ne sont pas très
chauds à l’idée d’évaluer les résultats des programmes.
La mesure des résultats présente, tant du point de vue
politique que du point de vue administratif, une problé-
matique complexe.

La problématique politique
de la mesure des résultats
La mesure des résultats est un concept à la mode. Il est
difficile d’être contre l’idée d’évaluer les retombées des
actions des gouvernements, d’autant plus que des milliards
de dollars sont puisés dans les poches des contribuables
LA MESURE DU RENDEMENT s 

afin d’assurer les services publics. Il est normal que les


gens veuillent savoir s’ils en ont pour leur argent.
Même si les gouvernements ne s’opposent pas ouver-
tement à l’idée de mesurer les résultats, ils savent qu’ils
n’ont rien à gagner à faire des efforts en ce sens. Leur
crédibilité, en effet, est si faible que tout résultat positif
est immédiatement mis en doute. Par contre, tous les
aspects négatifs soulevés par les partis d’opposition ou les
groupes d’intérêt sont immédiatement véhiculés par les
médias et reçoivent beaucoup d’attention. C’est ainsi que,
si un rapport d’évaluation contient dix éléments positifs
et un point critique, ce dernier sera mis en exergue et les
dix autres seront passés sous silence.
Il est parfois arrivé que des ministres, portés par leur
enthousiasme, se fixent publiquement des objectifs à
atteindre, par exemple en matière de création d’emplois,
de réduction des temps d’attente dans les salles d’urgence
des hôpitaux, d’ouverture de chambres dans les centres
d’accueil pour personnes âgées ou de places dans les gar-
deries subventionnées. Ils ont vite compris, cependant,
qu’ils étaient constamment talonnés par leurs adversaires
et la presse sur les progrès accomplis et que, s’ils ne parve-
naient pas à atteindre leurs objectifs, ils devaient en payer
un prix politique élevé. C’est pourquoi les élus hésitent
énormément à faire des promesses chiffrées. Les seules
qu’ils se laissent aller à faire concernent les sommes d’argent
qu’ils affirment « investir » dans diverses activités. Les poli-
ticiens parlent « d’investissement », parce que ce mot a une
connotation plus positive que « dépense » ou, comme le
diraient les cyniques, que « gaspillage ». Les budgets
consacrés à l’atteinte de divers objectifs deviennent ainsi les
critères de mesure des résultats. Avec un tel critère, ils ne
 s LES FONCTIONNAIRES

peuvent évidemment pas se tromper : des résultats positifs


sont notés du simple fait que l’argent a été dépensé !
Les gouvernements aimeraient bien disposer de critères
permettant de mesurer uniquement le rendement de la
fonction publique de façon à dissocier les décisions dont
ils sont responsables des actions des fonctionnaires. Une
telle approche leur permettrait de faire porter par la
machine administrative le poids des erreurs et de l’ineffi-
cacité souvent constatées dans la prestation des services.
La règle de la responsabilité ministérielle ne leur permet
cependant pas de le faire, car, dans notre régime politique,
le ministre doit assumer la responsabilité de tout ce qui
se fait dans son ministère.

La problématique administrative
de la mesure des résultats
D’un point de vue administratif, l’évaluation du rende-
ment est une activité pleine d’embûches. Il va sans dire
que personne n’aime qu’on critique son rendement et les
fonctionnaires ne font pas exception. Ceux qui sont
soumis à des évaluations tiennent à se voir attribuer des
notes favorables et réagissent négativement aux jugements
défavorables. Par conséquent, personne ne ménage ses
efforts pour que les résultats soient positifs. Par ailleurs,
les syndicats s’opposent systématiquement à ce que la
performance individuelle de leurs membres soit mesurée,
même s’ils acceptent plus volontiers les évaluations qui
portent sur le rendement des unités administratives et des
gestionnaires. Certaines tentatives pour mesurer le ren-
dement de certains groupes d’employés se sont avérées
politiquement catastrophiques, par exemple lorsqu’il s’est
LA MESURE DU RENDEMENT s 

agi de fixer aux policiers des quotas mensuels de contra-


ventions à émettre ou d’exiger des vérificateurs de l’impôt
qu’ils atteignent certains résultats financiers.
Depuis plus de trente ans, à la suite de l’implantation
de la gestion par objectifs puis de la gestion par résultats,
la fonction publique s’est vue obliger de mettre en œuvre
divers systèmes de mesure du rendement. Force est de
constater que tous ces efforts n’ont pas donné de résultats
très probants. Les raisons de ces échecs sont nombreux.
Le secteur public ne dispose pas, comme le privé, de
mesures globales de rendement du type part de marché,
profits et rendements sur le capital investi. Les objectifs
poursuivis étant le plus souvent nébuleux, il est impossible
de mesurer jusqu’à quel point ils ont été atteints.
Lorsqu’on examine chacun des programmes, il s’avère
très difficile de mesurer les résultats finaux (outcomes). On
se contente donc de mesurer les extrants (outputs), ce qui
permet de produire une foule de chiffres, de noircir des
pages entières de rapports, sans que les parlementaires ou
le public ne sachent à quoi s’en tenir sur la valeur du
programme. Par exemple, s’agissant de cours de forma-
tion professionnelle, on peut calculer le nombre de parti-
cipants, le nombre de sessions, le degré de réussite aux
examens et le nombre de personnes ayant décroché un
emploi dans leur domaine de spécialisation. Les vrais
critères de succès, cependant, sont le nombre et le pour-
centage de finissants qui ont vraiment fait carrière dans
leur spécialité et ne se sont pas contentés d’expérimenter
diverses possibilités aux frais des contribuables.
Pour se mettre à l’abri des critiques, la fonction publique
a systématiquement recours à la tactique consistant à
produire des tonnes d’information que personne n’est en
 s LES FONCTIONNAIRES

mesure de déchiffrer, d’interpréter et de comprendre.


L’administration publique donne ainsi une image de
transparence, mais dans les faits elle se camoufle derrière
la surabondance, la prolifération et le foisonnement.
Dans certains cas, il existe pourtant d’excellents indi-
cateurs susceptibles de fournir une information concise
et exacte permettant d’apprécier le rendement de l’État
dans certains domaines d’activité. Par exemple, en matière
d’entretien des routes, les ingénieurs ont mis au point des
indicateurs de la qualité des routes, mesurant entre autres
le niveau de confort et le degré de dégradation des chaus-
sées. On a vite cessé de publier de telles informations
quand on a réalisé que les résultats étaient de plus en plus
négatifs année après année. Comme on l’a maintes fois
souligné précédemment, les gouvernements ne peuvent
se permettre de fournir à leurs adversaires la corde pour
se pendre.
Plusieurs domaines d’activité gouvernementale sont
véritablement complexes et il est objectivement difficile
de départager les responsabilités. En matière de sécurité
routière, domaine particulièrement névralgique parce que
les accidents représentent un fardeau considérable pour
le système hospitalier et surtout parce que des centaines
de vies sont en jeu, il s’avère presque impossible de
mesurer les retombées de chacune des mesures prises
pour réduire le nombre de blessés et de morts sur les
routes : surveillance policière, campagnes de prévention
(vitesse et alcool), examen mécanique des véhicules,
qualité des routes, signalisation routière, information sur
l’état des routes en hiver et les travaux routiers,
amélioration technique des véhicules, équipements de
sécurité passive dans les automobiles, etc.
LA MESURE DU RENDEMENT s 

L’évaluation de programmes
Plusieurs intervenants, dont des universitaires, des instituts
de recherche et divers groupes d’intérêt, consacrent des
efforts importants à l’évaluation des programmes gou-
vernementaux. Malgré l’existence de lois sur l’accès à
l’information, la plus grande difficulté réside dans la col-
lecte des données nécessaires à une telle évaluation. Cette
tâche est particulièrement difficile lorsqu’il s’agit d’exa-
miner les effets d’ensemble des diverses mesures gouver-
nementales. Par exemple, pris un à un, chaque règlement
imposé aux entreprises peut sembler raisonnable, mais
l’effet cumulatif de tels règlements peut avoir pour consé-
quence d’imposer un lourd fardeau qui entrave la création
d’entreprises et mine leur compétitivité.
Lorsque des évaluations de programmes effectuées par
des intervenants externes sont rendues publiques, leurs
résultats sont souvent mis de côté parce que les problèmes
sont complexes et que ni les parlementaires, ni les médias,
ni le public n’ont les connaissances et l’intérêt requis pour
les analyser. Le plus souvent, seuls quelques aspects
retiennent l’attention et font l’objet d’un débat partisan.
L’opinion publique n’en sort pas très éclairée sur les
véritables résultats des interventions publiques.
Parfois, il n’existe pas de consensus sur la philosophie ou
les valeurs qui guident l’intervention de l’État. Il s’avère
alors impossible de s’entendre sur les critères qui devraient
être employés pour mesurer le succès ou l’échec. Il en est
ainsi, par exemple, en matière de justice criminelle. Certains
mettent l’accent sur la répression du crime et la punition
DES COUPABLES PLUS LE NOMBRE DE CONTREVENANTS INCARC£R£S
est élevé et plus les peines d’emprisonnement sont longues,
 s LES FONCTIONNAIRES

plus le système de justice est alors jugé efficace. D’autres


privilégient la réhabilitation des criminels et estiment que
la sécurité du public est mieux assurée par des mesures
visant à réintégrer les fautifs le plus vite possible dans la
société. Le taux de récidive devient dans ce cas un meilleur
indicateur.
Le public peut aussi avoir des critères bien différents de
ceux des scientifiques pour mesurer le rendement de
l’État. Il est bien connu, par exemple, que le taux de
résolution des crimes est une mesure qui ne retient pas
l’attention des gens lorsqu’il s’agit de juger du travail
policier parce qu’elle est trop abstraite. La visibilité de la
police grâce aux patrouilles en voiture ou à pied est un
critère beaucoup plus populaire parce que les gens se
sentent rassurés par une telle présence.
Étant donné la façon dont travaillent les médias, les
évaluations de programmes les plus rigoureuses ne pour-
ront jamais obtenir autant de visibilité et avoir autant
d’influence que les événements anecdotiques rapportés
quotidiennement par la presse et la télévision. Le meilleur
programme de réhabilitation des criminels pourra être
torpillé par l’exemple d’un crime sordide commis par un
récidiviste. Un programme d’incitation au travail pour les
assistés sociaux pourra être remis en question à la suite
de l’histoire pathétique d’une jeune mère de famille forcée
de délaisser ses enfants pour aller travailler. Un service de
protection de la jeunesse pourra voir ses succès ignorés
après un seul exemple malheureux habilement mis en
exergue.
L’évaluation de programme et la mesure des résultats
sont des domaines chargés de risques. Ils peuvent entraîner
bien des effets pervers.
LA MESURE DU RENDEMENT s 

Les effets pervers de la mesure des résultats


La mesure des résultats recèle un piège considérable : celui
du détournement d’objectifs. Les gens, en effet, ont une
tendance naturelle à consacrer leurs efforts à produire ce
qui est mesuré et à considérer le reste comme secondaire,
même si ce n’est pas le cas. Par exemple, comme il est
plus facile de mesurer la quantité que la qualité, les indi-
vidus seront portés à produire plus de biens et de services,
quitte à sacrifier la qualité.
On a observé des cas où les fonctionnaires étaient
incités à travailler essentiellement pour afficher des chiffres
attrayants. À une certaine époque, les employés des
centres de main-d’œuvre avaient reçu la consigne d’ac-
croître à tout prix les données sur le nombre de placements
en emploi. Certains bureaux avaient ainsi axé leurs acti-
vités sur le placement à court terme de travailleurs,
usurpant ainsi le rôle des petites annonces des journaux
plutôt que de se consacrer à leur vocation première qui
est d’aider les personnes qui vivent des difficultés sur le
marché du travail.
De la même façon, les préposés du service au téléphone
d’un centre de dépannage informatique avaient adopté la
pratique de transmettre immédiatement les problèmes à
des techniciens qui devaient se rendre sur place au lieu de
chercher à solutionner le problème avec l’usager. Cette
pratique avait pour conséquence d’augmenter le nombre
de cas pris en charge, ce qui indiquait un meilleur rende-
ment des employés. L’inconvénient était évidemment que
le service coûtait beaucoup plus cher.
Un des cas les plus classiques du détournement d’ob-
jectifs est celui du décompte des Viêtcongs tués au cours
 s LES FONCTIONNAIRES

de la guerre du Vietnam. En mettant l’accent sur le


nombre de soldats ennemis tués, l’armée américaine
voulait donner l’impression qu’elle était en voie de gagner
la guerre. Comme le Vietnam du Nord avait une capacité
surprenante de remplacer immédiatement les soldats tués
au combat, le cours de la guerre demeurait inchangé et
l’infiltration d’armes et de munitions vers le sud s’accen-
tuait, ce qui a mené à la débâcle.
Un second effet pervers de la mesure des résultats est
la manipulation des chiffres. Il est parfaitement normal,
en effet, que les gens essaient de présenter leurs résultats
sous le meilleur angle possible. Pourquoi dire que le verre
est à moitié vide quand on peut affirmer qu’il est à moitié
plein ?
C’est ainsi que, pour afficher un meilleur rendement,
les responsables des prévisions d’encaisse du gouverne-
ment démontreront que leurs prévisions sont pratique-
ment exactes pour 18 des 22 jours ouvrables du mois,
négligeant de dire que la très grande partie des sommes
sont encaissées durant les derniers jours du mois qui sont
les plus imprévisibles. Pour démontrer le succès d’un
programme de formation à la recherche d’emploi, on dira
que le nombre de participants a été de 50 alors que, dans
les faits, les dix mêmes personnes ont assisté à cinq ses-
sions chacune. Un préposé à l’achat de marchandises
gonflera le chiffre de ses commandes en ne mettant qu’un
article par bon d’achat plutôt que plusieurs articles sur un
même bordereau de commande. Le succès d’un pro-
gramme de création d’entreprises sera basé non pas sur
le nombre total d’entreprises à la fin de la période de
référence, mais sur le nombre d’entreprises nouvellement
LA MESURE DU RENDEMENT s 

créées, en négligeant le fait que le programme a entraîné


la faillite d’entreprises existantes.
Lorsque les enjeux sont élevés, le risque est plus grand
que des individus recourent à la tricherie pour afficher
une performance. Des cas célèbres comme ceux de
WorldCom, Enron et Nortel démontrent que la duperie
a parfois cours dans le secteur privé, pourtant soumis à
plusieurs vérifications. Si de telles fraudes peuvent se
produire alors que les conséquences sont énormes, il est
facile d’imaginer qu’on puisse parfois recourir aux trom-
peries dans la fonction publique, d’autant plus qu’elles ne
portent pas à conséquence.
Pour augmenter le score obtenu par les élèves aux
examens normalisés, un professeur peut faire en sorte que
les individus les plus faibles s’absentent de la classe lors
des examens. Des policiers, pour accroître le taux de
résolution des crimes, peuvent imputer à un criminel déjà
condamné des crimes qu’il n’a pas commis, sachant que
les procureurs ne jugeront pas utile de pousser plus loin
les poursuites. La palme de l’inventivité revient à ce
directeur d’un centre de main-d’œuvre qui, pour accroître
artificiellement les statistiques de placement de son
bureau, prenait le train le dimanche soir avec les bûche-
rons se dirigeant en forêt et distribuait à ces derniers des
formulaires à remettre aux gérants des chantiers qui les
embauchaient. Le lundi matin, un préposé du centre de
main-d’œuvre appelait chacune des compagnies fores-
tières et prenait note de tous les individus qui avaient ainsi
été « placés » par les bons soins du centre de main-d’œuvre,
ce qui produisait des statistiques de placement absolument
sensationnelles.
 s LES FONCTIONNAIRES

Ces anecdotes illustrent des cas d’exception, car la


grande majorité des fonctionnaires ne se prêtent pas à de
pareilles combines, sachant qu’ils ont plus à perdre qu’à
gagner à de tels jeux. Même si la tromperie n’est pas érigée
en système, il n’en reste pas moins que tout ne tourne pas
rond dans la fonction publique. C’est la raison pour
laquelle de multiples projets de réforme administrative
ont été entrepris.
Chapitre 10
Les réformes administratives

P eu de gens sont satisfaits de la bureaucratie gouver-


nementale. C’est pourquoi les tentatives de réforme
ont été très nombreuses. Nous examinerons d’abord les
raisons qui motivent les réformes, puis les contraintes
auxquelles font face leurs initiateurs. Nous traiterons des
problèmes que pose la mise en œuvre des réformes, des
utopies véhiculées et des pistes de solutions.

Les raisons qui motivent les réformes


Lorsqu’un politicien parle de réforme administrative, il
prend automatiquement ses distances avec la machine
gouvernementale et attire l’attention sur les défauts de
cette dernière, tout en se dissociant du problème. Il se
donne une image de réformateur, ce qui ne peut que lui
attirer la sympathie du public. Parfois, un projet de
réforme permettra de détourner l’attention d’autres
problèmes politiques et une telle diversion peut s’avérer
profitable pour l’ensemble du gouvernement étant donné
qu’elle peut être étirée sur une assez longue période.
Plusieurs projets de réforme sont aussi entrepris par
les hauts fonctionnaires. Ces derniers cherchent le plus
 s LES FONCTIONNAIRES

souvent à augmenter l’efficacité de la machine adminis-


trative et, ce faisant, à accroître leur pouvoir. C’est le cas,
entre autres, avec l’implantation des technologies de
l’information qui permettent à l’administration d’élargir
ses moyens d’action, par exemple dans la collecte des taxes
et des impôts et dans l’administration des régimes
d’assurances et autres programmes gouvernementaux.
Au niveau fédéral, une des motivations importantes
des hauts fonctionnaires pour entreprendre des réformes
est le désir de bien paraître dans les forums internationaux
tels que l’Organisation de coopération et de développe-
ment économiques (OCDE), les Nations unies ou le
Commonwealth. Les hauts fonctionnaires fédéraux et des
provinces sont aussi invités par des pays moins développés
à participer à des projets d’amélioration de leurs institu-
tions publiques, ce qui leur permet de se mettre en valeur,
de bâtir leur réputation et de renforcer leur statut.
La raison la plus fréquemment évoquée pour lancer
des projets de réforme est la problématique des finances
publiques. Avec les années, les gouvernements ont édifié
des bureaucraties qu’ils n’ont plus les moyens de se payer.
Les crises financières donnent aux gouvernements
l’occasion de créer le consensus nécessaire pour effectuer
des virages marqués, car plus les sacrifices demandés aux
fonctionnaires sont importants, plus les politiciens ont
besoin de l’appui de l’opinion publique. Les embûches
auxquels doivent faire face les réformateurs sont, en effet,
considérables.
LES R£FORMES ADMINISTRATIVES s 

Les contraintes
Il n’existe pas de modèle éprouvé qui pourrait servir de
base à une réforme du gouvernement. De multiples
tentatives ont été faites pour améliorer le fonctionnement
des fonctions publiques, mais toutes sont controversées.
Les divers groupes concernés ont tous leur vision propre
des problèmes à résoudre et des solutions à appliquer.
Certains voient le gouvernement et sa fonction publique
comme un holding, c’est-à-dire une organisation qui doit
laisser beaucoup de flexibilité à ses composantes. D’autres
le voient comme une entreprise bien intégrée qui doit
fonctionner comme une entité indivisible. Chose certaine,
il n’est pas facile de modifier une partie de l’édifice sans
toucher aux autres.
L’organisation du gouvernement repose sur trois fon-
dements : l’idéologie, c’est-à-dire la vision qu’ont les divers
intervenants des objectifs du système, de son environne-
MENT ET DE SON AVENIR  LES STRUCTURES SOIT LES R¯LES ET
responsabilités des uns et des autres, ainsi que les rapports
QUILS ONT ENTRE EUX  ET LA TECHNOLOGIE CEST Í DIRE LEN-
semble des outils et des techniques que les membres de
l’organisation utilisent. Pour qu’une réforme soit réussie,
il faudrait que les modifications apportées soient cohé-
rentes et puissent s’imbriquer les unes dans les autres de
façon au moins aussi harmonieuses que celle qui existe
dans la situation de départ. Il s’agit d’un défi colossal dans
le cas d’une organisation aussi complexe que celle d’un
gouvernement. C’est pour cette raison que les réformes
donnent rarement les résultats souhaités et engendrent
plutôt des problèmes insoupçonnés.
 s LES FONCTIONNAIRES

Certains prétendent qu’il est impossible de réformer la


fonction publique en la considérant comme un tout et en
appliquant des mesures globales. Selon eux, il faut plutôt
se donner des objectifs modestes et expérimenter une
foule de solutions afin de découvrir celles qui donnent des
résultats positifs. Une telle approche a pour avantage de
ne pas exiger trop d’efforts et de temps, car les ressources
et la persévérance sont ce que les gouvernements ont le
moins. Dans le secteur privé, une entreprise peut consacrer
beaucoup d’argent pour réaliser une restructuration et
considérera cette transformation comme un investisse-
ment susceptible de rapporter beaucoup de dividendes
dans les années futures. Les gouvernements ne suivent
pas du tout cette logique : ils veulent des résultats immé-
diats et insistent pour que les réformes se réalisent à
coût nul.
D’ailleurs, une des principales raisons qu’ont les gou-
vernements d’entreprendre des réformes est une situation
budgétaire difficile. Étant donné que les changements
suscitent beaucoup de résistance, surtout de la part des
fonctionnaires et de leurs syndicats, mais aussi de la part
de certaines clientèles, la volonté de réforme ne peut
provenir que de motifs impératifs. Une impasse budgétaire
fournit une justification assez facile à expliquer.
Des réformes sont aussi entreprises après des scandales
qui amènent les médias et l’opinion publique à réclamer
des changements. De multiples propositions sont alors
soumises par les fonctionnaires, des instituts d’étude et
divers groupes de pression. Dans l’analyse de ces propo-
sitions, les ministres se posent essentiellement deux
questions : est-ce que les élus risquent de perdre du pou-
voir ? Et : est-ce que les fonctionnaires en gagneront ?
LES R£FORMES ADMINISTRATIVES s 

Aucun gouvernement ne sacrifiera du pouvoir à moins


d’être convaincu d’en retirer une rentabilité électorale
certaine. Les considérations de rigueur et d’efficacité sont
marginales. N’est pris en compte que l’effet des réformes
sur l’opinion publique. De plus, l’important n’est pas
tellement de réussir la réforme que d’en assurer la plus
grande visibilité possible. À cause de cet état d’esprit, bien
des réformes sont abandonnées en cours de route, car il
est difficile de maintenir l’intérêt des électeurs pour des
questions administratives. Mener à bien des projets de
réformes pose bien d’autres problèmes encore.

Problèmes soulevés
par les réformes administratives
Étant donné que les lois sont le fondement de toutes les
actions de l’administration publique, bien des élus pensent
qu’il s’agit de changer les lois et les règlements pour
effectuer des réformes. Cette approche est particulière-
ment attrayante pour les législateurs puisqu’ils maîtrisent
entièrement le processus : commission parlementaire,
amendements au projet de loi et mise en œuvre des
articles de la loi selon le calendrier établi par le gouverne-
ment. La prépondérance de la loi est cependant une
illusion car, en matière administrative, les sanctions sont
le plus souvent inexistantes ou non appliquées. La mise
en œuvre des dispositions de la loi dépend de la bonne
volonté des fonctionnaires. L’adage de ces derniers dans
le cas de dérogations aux règles est : « Est-ce que ça conduit
en prison ? » Bien des lois de nature administrative demeu-
rent lettre morte ou sombrent dans l’oubli sans consé-
quence aucune.
 s LES FONCTIONNAIRES

Les réformes qui ont le plus de chances de succès sont


celles qui découlent d’une évolution de la théorie admi-
nistrative et qui finissent par faire l’objet d’un consensus
international. On l’a observé avec les normes relatives à
la comptabilité gouvernementale et les règles concernant
la présentation des états financiers. C’est aussi le cas avec
la « nouvelle gestion publique - NGP » (New Public
Management).
Ce qui a été appelé « nouvelle gestion publique » est un
ensemble de pratiques visant à introduire dans l’adminis-
tration publique les façons de faire du secteur privé. Les
moyens employés par les divers gouvernements dont les
réformes ont été inspirées par la NGP diffèrent, mais ils
ont en commun la recherche d’efficacité par l’adoption
de méthodes propres aux entreprises : accent sur la satis-
faction de la clientèle, indicateurs de résultats, mesure du
rendement, réductions de personnel, compression des
structures hiérarchiques, décentralisation des responsabi-
lités et restructuration. La mesure ultime inspirée de la
NGP est la privatisation.
Une des idées qui a inspiré le plus grand nombre de
gouvernements est celle de séparer l’élaboration des
politiques de la prestation des services. Selon cette
approche, l’élaboration des politiques est confiée à une
petite équipe qui travaille étroitement avec le ministre,
alors que la prestation des services est confiée à des
« agences », c’est-à-dire à de nouvelles entités administra-
tives qui peuvent se voir conférer un fort niveau d’auto-
nomie. Cette forme d’organisation, en place dans certains
pays depuis plus de vingt ans, ne fait pas l’unanimité. La
critique la plus sévère est que les agences, obéissant à des
impératifs d’efficacité et de rigueur administrative, sont
LES R£FORMES ADMINISTRATIVES s 

insensibles aux besoins changeants de la clientèle et en


viennent à poursuivre des objectifs qui répondent à leurs
impératifs propres plutôt qu’aux attentes des clients.
Plusieurs ont cru possible de promouvoir une plus
grande efficacité administrative en laissant plus de lati-
tudes aux gestionnaires en contrepartie d’une imputabilité
accrue. Le contexte dans lequel évolue la fonction
publique a vite transformé cette vision en chimère : on
s’est rendu compte que les résultats sont difficilement
mesurables et que, peu importe l’autonomie formelle
accordée aux agences, les ministres trouvent les moyens
d’intervenir lorsque la situation politique l’exige. De plus,
les agences ne font qu’empirer le problème de l’intégra-
tion des politiques publiques et de la coordination des
programmes gouvernementaux.
Certains réformateurs ont rêvé de la création au sein
du gouvernement d’un véritable conseil de gestion auquel
les sous-ministres devraient rendre compte. Cette idée fut
proposée, entre autres, dans le rapport Lambert soumis
au gouvernement fédéral en 1979 et dans le Rapport sur
le renouvellement de la fonction publique soumis au
gouvernement du Québec (Rapport Arpin) en 1985. Les
promoteurs de cette idée croyaient que la création d’un
comité de ministres préoccupés principalement d’efficacité
administrative et ayant autorité sur les sous-ministres
permettrait de réduire les coûts et d’accroître la produc-
tivité. Les ministres et les sous-ministres ont vite conclu,
cependant, qu’une telle forme d’organisation donnerait
beaucoup de pouvoir aux fonctionnaires rattachés au
Conseil de gestion et que la règle de la responsabilité
ministérielle serait bafouée. Aucun sous-ministre ne
voulait avoir de comptes à rendre à qui que ce soit d’autre
 s LES FONCTIONNAIRES

que son ministre, et aucun ministre ne voulait céder de


pouvoir à une nouvelle entité. Dans le contexte des tra-
ditions du régime parlementaire de type britannique, des
réformes de cette nature sont vouées à l’échec.
Les gouvernements qui s’engagent dans des réformes
administratives pour rétablir l’équilibre des finances
publiques font le plus souvent fausse route. Un bon
nombre de réformes administratives, qu’il s’agisse d’abo-
lition d’organismes ou de restructuration, n’arrivent à
réduire les coûts de fonctionnement de l’appareil admi-
nistratif que de façon marginale, bien qu’il s’agisse d’ac-
tions très visibles et possiblement rentables sur le plan
électoral. Les mesures qui ont le plus de succès sur le plan
budgétaire ne sont pas les projets d’envergure visant la
transformation de la fonction publique, mais des appro-
ches qualifiées de « bêtes et méchantes » telles que la
réduction arbitraire des budgets des ministères de 10 %
ou 20 % ou, comme l’a fait le gouvernement du Québec,
la décision de ne remplacer qu’un employé sur deux qui
part à la retraite. Ces mesures ont l’avantage d’avoir un
effet facile à calculer et de donner des résultats immédiats.
De plus, elles sont à l’abri des gestes d’opposition et des
manœuvres dilatoires de la part des fonctionnaires
opposés aux intentions gouvernementales.
La difficulté de réaliser des réformes d’envergure au
sein des fonctions publiques n’empêche pas un bon
nombre d’intervenants de rechercher et de proposer
toutes sortes de solutions qui, à l’analyse, se révèlent
utopiques.
LES R£FORMES ADMINISTRATIVES s 

Visions utopiques
Le régime parlementaire britannique qui est le nôtre est
le résultat d’une longue évolution commencée au XIIIe
siècle. Malgré certains de ses aspects archaïques et même
anachroniques, personne ne croit qu’il serait possible de
le changer dans un avenir prévisible. Il est tout aussi dif-
ficile de changer les institutions administratives qui
accompagnent ce régime politique, car les institutions
politiques et administratives sont bien imbriquées les unes
dans les autres, de telle façon qu’elles se complètent et se
renforcent mutuellement.
Ces institutions ont aussi une autre caractéristique :
elles nous distinguent de notre voisin américain et contri-
buent à forger l’identité canadienne et québécoise. Au
Québec, l’État provincial est même devenu une compo-
sante essentielle de la culture et un instrument d’action
privilégié de la nation québécoise. C’est pourquoi toute
velléité d’affaiblir d’une quelconque façon cet instrument
est vue par certains comme une véritable trahison.
Il n’en reste pas moins que le fonctionnement de l’État,
tant au Canada qu’au Québec, comporte des faiblesses
évidentes. On observe un manque de vision à long terme
qui fait que certains problèmes comme le vieillissement
de la population, l’endettement public et la dégradation
de l’environnement ne reçoivent pas l’attention qu’ils
mériteraient. Il y a aussi un manque évident de cohérence
entre les politiques et les programmes qui, établis à
diverses époques pour combler de besoins particuliers, se
chevauchent et s’opposent parfois. Plusieurs déplorent
que, souvent, les gouvernements font fi des évidences
scientifiques, comme dans le cas de la surpêche des
 s LES FONCTIONNAIRES

poissons de l’Atlantique, de même que des réalités


économiques et administratives, comme dans le cas des
subventions au développement régional et des sommes
insuffisantes consacrées à l’entretien des routes. Enfin, la
machinerie administrative est devenue beaucoup trop
lourde et coûteuse, étant donné l’effet de sédimentation
causé par une pléthore de lois, de règlements et de
conventions collectives. Elle constitue un fardeau consi-
dérable pour l’économie et une pierre d’achoppement
pour les générations futures.
Pour solutionner le problème de manque de vision à
long terme, certains rêvent de l’instauration d’un régime
présidentiel dans lequel un chef d’État élu pour dix ou
douze ans serait en mesure d’imposer un programme
pouvant être mis en œuvre avec détermination et persé-
vérance. Mais une démocratie active exigerait la présence
d’un Parlement efficace qui pourrait, à tout moment,
contrecarrer l’action du président, comme on le voit si
bien aux États-Unis.
L’absence de cohérence entre les programmes et les
politiques pourrait, selon certains, être solutionné en
transformant l’organisation du gouvernement.
L’organisation traditionnelle du gouvernement est fondée
sur une structure par fonction ou par clientèle : finances,
affaires internationales, transports, agriculture, industrie,
etc. On pourrait concevoir une structure axée sur les
processus : planification et élaboration des politiques, mise
en œuvre des programmes, suivi et contrôle des résultats.
Outre que la division des responsabilités entre les ministres
poserait problème, une telle structure serait perçue
comme beaucoup trop conceptuelle et bureaucratique
par la population.
LES R£FORMES ADMINISTRATIVES s 

En ce qui concerne l’aveuglement volontaire des


gouvernements devant les constats des scientifiques, des
économistes et des fonctionnaires, un grand nombre de
gens rêvent d’une situation où les décisions seraient prises
par des professionnels sur la base de faits constatés objec-
tivement plutôt que des perceptions de l’électeur moyen.
C’est ainsi que plusieurs ont proposé que le système de
santé soit dirigé par des personnes qualifiées plutôt que
par des politiciens. Cette idée n’est pas nouvelle puisque,
dans l’Antiquité, le philosophe Platon avait proposé une
république de Sages. Il est peu probable, cependant,
qu’une dictature de scientifiques soit plus acceptable pour
la population qu’une dictature militaire.
Le problème de l’ampleur et des coûts de la bureau-
cratie gouvernementale a inspiré une foule de solutions
aux observateurs de la scène politique et administrative.
Le consensus semble se diriger en cette matière vers le
démantèlement du monopole gouvernemental et le
renforcement de la société civile. À l’exception des syndi-
cats qui tiennent mordicus au monopole étatique, la
plupart des observateurs croient que la meilleure façon
d’accroître la qualité et l’efficacité des services publics est
d’introduire un certain niveau de concurrence. La plupart
des services publics, en effet, peuvent être fournis aussi
bien par des entreprises privées, des coopératives et des
organisations sans but lucratif que par des fonctionnaires.
De plus, pour certains types de services, les municipalités
s’avèrent plus efficaces que les gouvernements provincial
et fédéral.
Tous se rendent compte aussi qu’avec une population
plus instruite, l’accroissement des groupes de recherche
tant universitaires que privés et Internet, la société civile,
 s LES FONCTIONNAIRES

c’est-à-dire l’ensemble des intervenants sur la scène poli-


tique, économique et sociale, est devenue beaucoup plus
active. Certains prétendent que la prolifération des fon-
dations privées pourrait assurer le financement d’une
expertise non gouvernementale et constituer une contre-
partie aux pouvoirs publics de façon à susciter une
démocratie plus active.

Conclusion
La première partie de cet ouvrage avait pour but d’exa-
miner la nature de la fonction publique. Il ne s’agit
cependant que d’une partie de la réalité, car les compor-
tements des divers intervenants au sein de cette institution
permettent d’en comprendre le fonctionnement. C’est le
sujet de la deuxième partie du livre.
Partie II
Les jeux politiques
des fonctionnaires
 s LES FONCTIONNAIRES

Les caractéristiques et le fonctionnement de l’appareil


public ont été exposés dans la première partie du livre. Il
n’est sans doute pas inutile de faire ici un sommaire des
principaux constats :
s L›TAT PREND £NORM£MENT DE PLACE DANS LES SOCI£T£S
CANADIENNE ET QU£B£COISE  ON LUI DEMANDE DE
SOCCUPER DÍ PEU PRÞS TOUS LES PROBLÞMES 
s POUR SOUTENIR LACTION GOUVERNEMENTALE UNE PANO-
plie d’institutions administratives et d’organismes
DE SERVICES SONT N£CESSAIRES 
s LA FONCTION PUBLIQUE OCCUPE UNE PLACE CENTRALE DANS
l’administration de l’État, car sa tâche principale est
de soutenir les ministres dans l’élaboration des
POLITIQUES ET LE CONTR¯LE DES ACTIVIT£S £TATIQUES 
s LADMINISTRATION PUBLIQUE A UNE COMPOSANTE POLI-
TIQUE ET UNE COMPOSANTE ADMINISTRATIVE CE CARACTÞRE
bicéphale en fait une institution dont le fonctionne-
MENT EST SOUVENT CHAOTIQUE 
s LES POLITICIENS ET LES BUREAUCRATES ONT DES VALEURS
des objectifs et des modes de fonctionnement diffé-
rents et les tensions entre ces deux groupes sont
CONSTANTES 
s AU SEIN DUN MINISTÞRE LE MINISTRE ET SON ENTOURAGE
politique constituent une sorte de clan qui fonc-
tionne de façon plutôt informelle face à une bureau-
cratie où tout est rigidifié, catégorisé et comparti-
MENT£ 
s LES POLITICIENS UTILISENT UNE GRILLE DE D£CISIONS DANS
laquelle les considérations de rigueur administrative,
d’efficacité, d’efficience et de rentabilité économique
SONT SECONDAIRES 
LES JEUX POLITIQUES DES FONCTIONNAIRES s 

s LE PREMIER MINISTRE OCCUPE UNE POSITION PR£DOMI-


nante au sein du gouvernement et concentre dans
SES MAINS £NORM£MENT DE POUVOIRS 
s UN MINISTRE DOIT SE PR£OCCUPER AVANT TOUT DE SA
réélection et de celle du gouvernement auquel il
APPARTIENT  SON D£l EST DUTILISER LES RESSOURCES DE
son ministère pour favoriser ses électeurs et la région
DONT IL EST POLITIQUEMENT RESPONSABLE 
s LES FONCTIONNAIRES DOIVENT DEMEURER ANONYMES ET
RESTER DANS LOMBRE  TOUT FONCTIONNAIRE QUI SAFlCHE
PUBLIQUEMENT USURPE LA PLACE DE SON MINISTRE 
s UN SOUS MINISTRE EST DABORD UN CONSEILLER DU MINISTRE
AVANT DãTRE LE PRINCIPAL ADMINISTRATEUR DU MINISTÞRE
s POUR LA MAJORIT£ DES FONCTIONNAIRES UN POSTE DANS
LA FONCTION PUBLIQUE EST UN EMPLOI COMME UN AUTRE 
cependant, étant donné que les décisions sont
souvent prises sur la base de critères politiques, elles
sont incompréhensibles pour eux et il en résulte un
CLIMAT DE M£lANCE ET DE CRAINTE 
s LA FONCTION PUBLIQUE TRAVAILLE DANS UNE MAISON DE
VERRE  SES FAITS ET GESTES SONT SURVEILL£S PAR DIVERSES
INSTITUTIONS QUI SONT AUTANT DE CHIENS DE GARDE  LA
SUSPICION EST G£N£RALIS£E 
s CEST UNE ORGANISATION BANCALE PARCE QUE LES IMP£-
ratifs politiques interfèrent souvent avec le travail
des fonctionnaires qui est d’appliquer les lois et les
RÞGLEMENTS 
s CEST AUSSI UNE ORGANISATION QUI POSSÞDE DES TRAITS
bureaucratiques fortement ancrés : un système
hiérarchique lourd, une spécialisation poussée des
TºCHES ET DES RÞGLES EXCESSIVEMENT NOMBREUSES 
s LE FAIT QUE LADMINISTRATION PUBLIQUE SOIT EN SITUATION
de monopole ne fait qu’exacerber son caractère
 s LES FONCTIONNAIRES

bureaucratique, ce qui explique sa piètre productivité,


sa faible tolérance au risque et son aversion au
CHANGEMENT  ELLE EST PRIV£E DE LATTRIBUT ESSENTIEL
QUI FAIT LA FORCE DU SECTEUR PRIV£ LA CONCURRENCE 
s LES EXIGENCES DE TRANSPARENCE DE RESPONSABILIT£ ET
DIMPUTABILIT£ SONT CONTRAIGNANTES  LEUR MISE EN
“UVRE RENCONTRE BEAUCOUP DOBSTACLES 
s LES FONCTIONNAIRES JOUENT UN R¯LE D£TERMINANT DANS
l’élaboration des politiques publiques, mais bien
DAUTRES INmUENCES SONT Í L“UVRE  LES M£CANISMES
pour assurer l’intégration et la cohérence des poli-
TIQUES SONT PEU EFlCACES 
s LEFlCACIT£ LA PRODUCTIVIT£ ET LA R£DUCTION DES COœTS
ne sont pas pour la fonction publique des préoccu-
PATIONS IMPORTANTES  CETTE DERNIÞRE EST PLUT¯T AX£E
SUR LA CONFORMIT£ LA R£GULARIT£ ET LA CONTINUIT£  DE
PLUS LA R£SISTANCE AU CHANGEMENT EST £NORME 
s LE FONCTIONNEMENT INTERNE DE LA MACHINE ADMINIS-
trative est d’une grande lourdeur et coûte excessi-
VEMENT CHER  LA GESTION DU PERSONNEL ET LA GESTION
financière sont soumises à des contraintes considé-
RABLES  LES SYSTÞMES DE R£COMPENSES ET DE PUNITIONS
Y SONT D£lCIENTS 
s IL EST TRÞS DIFlCILE DE MESURER LE RENDEMENT DU SECTEUR
public parce que les objectifs ne sont pas formulés
de façon mesurable et qu’ils sont souvent incohé-
RENTS ET PARFOIS MãME CONTRADICTOIRES  DE PLUS
l’évaluation des résultats telle qu’on la pratique
entraîne des effets pervers qui nuisent au bon fonc-
TIONNEMENT DE LADMINISTRATION 
s LES TENTATIVES DE R£FORMES DE LADMINISTRATION PUBLIQUE
ont été fort nombreuses et plus ou moins réussies,
LES JEUX POLITIQUES DES FONCTIONNAIRES s 

CERTAINES SAV£RANT DES £CHECS mAGRANTS LES SOLUTIONS


proposées sont pour la plupart utopiques, car elles ne
tiennent pas compte des impératifs propres aux insti-
tutions et aux processus politiques.
Les caractéristiques et les modes de fonctionnement
énoncés plus haut se sont traduits par une culture organi-
sationnelle qui fait de la fonction publique une organisation
singulière. Les comportements des fonctionnaires sont
fortement influencés par cette culture organisationnelle.
Les jeux politiques y sont beaucoup plus répandus que dans
les autres organisations. Dans la fonction publique, les
gagnants sont ceux qui maîtrisent ces jeux politiques.
Les comportements politiques, qu’à défaut d’un
meilleur terme on appelle ici « la micropolitique », sont le
sujet de la présente partie du livre. Pour comprendre ce
qui se passe dans la fonction publique, il faut déchiffrer
les jeux politiques. Ces derniers constituent les clés de
décodage du comportement des divers acteurs.
Le premier chapitre expose ce qui caractérise la micro-
politique dans la fonction publique. Les chapitres suivants
portent sur les règles observées, les stratégies adoptées, les
talents développés, les tactiques utilisées et les pièges évités
par ceux qui obtiennent du succès dans leur carrière.
Il s’agit là de matières qui ne sont pas enseignées dans les
cégeps et les universités. On évite aussi d’en parler dans le
monde du travail, car ces sujets sont considérés comme
tabous, un peu comme les pratiques sexuelles déviantes: on
sait qu’elles existent, mais il n’est pas convenable d’en traiter.
Toutefois, pour expliquer le fonctionnement de la
fonction publique, il est important de savoir comment s’y
jouent les jeux politiques. Il sera ainsi possible de distin-
guer les mythes de la réalité.
Chapitre 11
La micropolitique

L a micropolitique fait référence aux actions qui visent


la promotion des intérêts d’un individu ou d’un
groupe plutôt que l’atteinte des objectifs de l’organisation.
Il s’agit de comportements tels que gagner des faveurs,
obtenir des appuis, établir des coalitions, nuire aux adver-
saires, etc. Il importe de souligner que la micropolitique
n’est pas une affaire strictement individuelle, car des
groupes, des associations telles que des syndicats, des
unités administratives et diverses factions sont aussi
impliqués dans les jeux politiques.
Les anglophones ont forgé les mots office politics pour
caractériser les luttes de pouvoir au sein des organisations.
Ils ont aussi inventé plusieurs expressions pour dépeindre
cette réalité : corporate game, cubicle warfare, workplace
politics, bureaucratic struggle, internal politics, gamesmanship,
political maneuvering, organisational politics, office politicking,
power plays, etc. La langue française n’est pas aussi proli-
fique en cette matière. Même le mot « politique » possède
deux significations bien différentes qui correspondent aux
termes anglais policy – orientations ou lignes directrices
– et politics – jeux politiques ou partisans.
LA MICROPOLITIQUE s 

La micropolitique n’est pas un phénomène que l’on


rencontre uniquement dans la fonction publique. Elle
existe dans toutes les organisations, qu’il s’agisse d’entre-
prises privées, d’organisations sans but lucratif ou d’ins-
titutions gouvernementales. Le degré de politisation est
cependant extrêmement variable d’une organisation à une
autre.

Degré de politisation
En simplifiant quelque peu, on peut dire que ce qui dis-
tingue les gestes politiques des actions à caractère écono-
mique est qu’ils sont posés en vue d’obtenir des appuis
ou du pouvoir plutôt que pour faire de l’argent. Ainsi, un
consommateur qui encourage d’un commerçant local,
même si ce dernier vend plus cher qu’une grande surface,
pose un geste politique. Il en est de même d’une compagnie
qui offre un soutien financier aux sports ou à la culture,
ainsi que d’associations qui prônent l’achat chez nous.
Plusieurs facteurs font qu’une organisation est plus
exposée qu’une autre aux jeux politiques :
s LA TAILLE  LES ORGANISATIONS COMPTANT UN GRAND
nombre d’employés ou de membres, par rapport à
CELLES QUI EN ONT PEU 
s LES MULTIPLES EMPLACEMENTS LEXISTENCE DE PLUSIEURS
établissements dans des lieux géographiques diffé-
RENTS 
s LES NIVEAUX HI£RARCHIQUES UNE HI£RARCHIE PYRAMIDALE
PAR RAPPORT Í UNE STRUCTURE L£GÞRE 
s L£LOIGNEMENT DE LA DIRECTION  LORSQUE LES AUTORIT£S
SONT PHYSIQUEMENT £LOIGN£ES DES TRAVAILLEURS 
 s LES FONCTIONNAIRES

s LHISTORIQUE  LES ORGANISATIONS QUI ONT UNE HISTOIRE


DES HABITUDES ET DES TRADITIONS BIEN ANCR£ES 
s UNE SITUATION DE MONOPOLE  LES ORGANISATIONS QUI
n’ont pas de concurrents et, par conséquent, qui ne
font pas face à des menaces extérieures, sont mieux
placées pour tolérer les luttes et les dissensions
INTERNES 
s LA COMP£TITION POUR LES RESSOURCES  LA LUTTE POUR
l’obtention des ressources est une trame de fond des
JEUX POLITIQUES 
s LES CONmITS DE VALEURS  COEXISTENCE DE PLUSIEURS
FACTIONS QUI PARTAGENT DES VALEURS DIFF£RENTES 
s LES RÞGLES PL£THORIQUES  EXISTENCE DE NOMBREUX
manuels de règles qui fournissent aux individus la
possibilité de les interpréter à leur guise ou d’en
INVENTER DE NOUVELLES 
s LA CULTURE DE SOUMISSION  CULTURE ORGANISATIONNELLE
qui encourage la soumission plutôt que l’autonomie,
LINITIATIVE ET LA CR£ATIVIT£ 
s LES M£CANISMES DIMPUTABILIT£ D£FICIENTS  FAIBLE
responsabilisation, possibilité de se retrancher
derrière des comités pour éviter d’avoir à répondre
DE SES ACTIONS ET DE SES D£CISIONS 
s LA FR£QUENCE DES CHANGEMENTS  MODIlCATIONS FR£-
quentes des structures, roulement du personnel de
DIRECTION ET CHANGEMENTS DE PRIORIT£S 
s LES OBJECTIFS AMBIGUS  DES OBJECTIFS MAL D£lNIS PEU
cohérents ou même contradictoires laissent
beaucoup de latitude aux gens pour les interpréter
de la façon qui convient le mieux à leurs intérêts
PERSONNELS 
LA MICROPOLITIQUE s 

s LES R£SULTATS NON MESURABLES DIFlCULT£ DE MESURER LES


R£SULTATS OBTENUS OU CRITÞRES D£VALUATION SUBJECTIFS 
s LA CHARGE DE TRAVAIL PEU EXIGEANTE  EXIGENCES DE
production peu élevées, rythme de travail décon-
tracté, peu de pression à l’ouvrage et, par consé-
QUENT PLUS DE TEMPS POUR LES JEUX POLITIQUES 
s L£VALUATION D£lCIENTE DU RENDEMENT DES INDIVIDUS 
les standards de performance sont inexistants et
l’évaluation du rendement est sporadique ou
inexistante.
L’application de ces facteurs pourrait permettre d’éta-
blir un classement des divers types d’organisations selon
l’importance de la micropolitique dans leur fonctionne-
ment. Ainsi, il est facile d’imaginer qu’à une extrémité du
spectre on puisse retrouver une petite entreprise spécia-
lisée dans un domaine de haute technologie, employant
des travailleurs jeunes et instruits, misant sur l’innovation
et cherchant à s’implanter dans un marché très concur-
rentiel. À l’autre extrême, les champions de la micropoli-
tique sont évidemment les grandes bureaucraties gouver-
nementales. En tête du palmarès, se situeraient sans doute
la fonction publique fédérale et les fonctions publiques
des grandes provinces canadiennes.

La praxis de la micropolitique
Toutes les organisations offrent à leurs membres certains
avantages, privilèges ou bénéfices qui sont fortement
convoités et font l’objet d’une intense compétition. Dans
les entreprises privées, ces récompenses sont le plus
souvent des revenus accrus ou des moyens pour les
 s LES FONCTIONNAIRES

obtenir, par exemple un plus large territoire de vente ou


les comptes des clients les plus fortunés.
La fonction publique ne peut pas offrir d’avantages
financiers appréciables. Les récompenses convoitées sont
le pouvoir et l’avancement de carrière. Le pouvoir se
traduit par l’influence auprès des autorités et l’accès aux
MINISTRES  LAVANCEMENT DE CARRIÞRE COMPREND LAUGMEN-
tation des responsabilités et les promotions.
Les employés qui partagent l’éthique traditionnelle du
travail pensent que le travail bien fait comporte sa propre
récompense et que leur labeur sera ultimement récom-
pensé. Ils croient que ce qui compte est de travailler fort
et d’acquérir de nouvelles habiletés. Pour eux, le système
du mérite reconnaît la compétence et les efforts.
Dans les faits, cependant, le fonctionnaire qui accomplit
efficacement tout ce qu’on lui demande et qui ne dit pas
un mot plus haut que l’autre constatera que sa contribu-
tion passe inaperçue. Ceux qui réussissent sont ceux qui
ont compris et intégré la culture organisationnelle de la
fonction publique et qui s’adonnent à la micropolitique.
Pour obtenir les récompenses offertes par la fonction
publique, en effet, le fonctionnaire doit être compétent
en matière de jeux politiques. Il doit connaître les règles,
comprendre les stratégies à adopter, développer les talents
requis, adopter les bonnes tactiques et savoir éviter les
pièges.
C’est plus compliqué qu’il ne paraît, car il doit faire de
la politique tout en cachant son jeu. Il doit prétendre qu’il
travaille toujours en fonction des objectifs de l’organisa-
tion, même s’il poursuit d’abord ses intérêts personnels.
Tout ce qu’il fait doit sembler équitable, civilisé, décent,
transparent et démocratique. Il doit faire semblant de
LA MICROPOLITIQUE s 

respecter les bonnes manières, mais en réalité être sans


pitié. La cour du roi Louis XIV présentait le même
paradoxe : derrière ce qui pouvait sembler le comble du
raffinement, ce qu’on pouvait y observer était en réalité
un monde d’émotions négatives fait d’envie, de cupidité,
de jalousie et de haine.
À moins d’être une personne très douée ou d’avoir un
excellent mentor, l’apprentissage de la micropolitique
peut être long et ardu. Ceux qui n’arrivent pas à acquérir
les attitudes et à assimiler les comportements qui sont
attendus d’eux ne peuvent espérer progresser dans la
carrière. Les sociologues expliquent ce phénomène en
utilisant l’exemple des médecins : si ces derniers doivent
faire de si longs stages sous la supervision de patrons
chevronnés, c’est qu’en plus d’accroître leurs habiletés
techniques ils doivent acquérir une façon particulière de
penser et de faire, en d’autres termes développer une
mentalité de médecin.

Les acteurs de la micropolitique


Ce ne sont pas tous les fonctionnaires qui s’engagent dans
la compétition bureaucratique. Beaucoup d’individus ne
veulent pas jouer le jeu politique par principe ou parce
qu’ils ne veulent pas batailler. Car il s’agit bel et bien d’une
bataille qui fait des gagnants et des perdants. Celui qui a
le désir de gagner doit adopter les stratégies et les tactiques
nécessaires pour sortir vainqueur. Les plus compétitifs
croient que le monde se partage en deux catégories : ceux
qui utilisent toutes les méthodes possibles pour défendre
leurs intérêts et ceux qui se laissent avoir au nom de
généreux principes.
 s LES FONCTIONNAIRES

Plusieurs personnes refusent de s’engager dans le jeu


politique parce qu’elles n’ont pas l’esprit de compétition
ou parce qu’elles croient ne pas avoir les talents requis.
Un certain nombre se consacrent entièrement à leurs
activités de travail et ne portent aucune attention aux jeux
de pouvoir qui se déroulent tous les jours autour d’elles.
Parmi ces personnes, il y en a qui désirent avant tout avoir
du plaisir au travail. Certaines sont insouciantes, naïves
et crédules. Elles peuvent être facilement manipulées.
Un bon nombre de fonctionnaires, dépités par ce qui
se passe, considèrent leur emploi comme un simple
gagne-pain, font le minimum requis et se consacrent à un
passe-temps qui comble leurs besoins de réalisation per-
sonnelle et d’accomplissement.
Plusieurs participent à la compétition pendant un
certain temps, puis s’en retirent après avoir subi des
échecs. Certains parmi eux se campent dans le rôle de
victime et s’y complaisent. D’autres abandonnent le jeu
quelques années avant la retraite, soit parce qu’ils sont
désabusés, soit qu’ils n’ont pas l’énergie nécessaire pour
continuer.
Ceux qui s’engagent dans le match de la micropolitique
n’ont pas tous les mêmes motivations et n’y mettent pas
tous la même énergie. On peut classer les participants en
quatre catégories :
s LES DILETTANTES  ILS ENTRENT DANS LE JEU PLUS POUR SE
DIVERTIR QUE POUR ATTEINDRE DES OBJECTIFS EXIGEANTS 
les efforts qu’ils y mettent varient d’une période à
LAUTRE  CE SONT LES PLUS SUSCEPTIBLES DE D£CROCHER
APRÞS UNE S£RIE D£CHECS 
s LES CONSCIENCIEUX ILS SE lXENT DES BALISES Í RESPECTER
POUR EUX TOUS LES COUPS NE SONT PAS PERMIS  ILS SONT
LA MICROPOLITIQUE s 

du genre à ne pas servir de mise en échec à leur


ADVERSAIRE AU HOCKEY PARCE QUIL SAGIT DUN AMI 
s LES MAGOUILLEURS  CE SONT DES CARRI£RISTES DES ARRI-
VISTES ET DES COMBINARDS ILS SONT ASTUCIEUX ROUBLARDS
ET INTRIGANTS  ILS TIENNENT POUR ACQUIS QUE LEURS
adversaires ont moins de scrupules et d’éthique
QUEUX  DANS LEUR ESPRIT LES BONNES STRAT£GIES ET
tactiques sont celles qui sont efficaces et non celles
QUI R£PONDENT Í DES CRITÞRES DE MORALIT£ 
s LES MISSIONNAIRES IL SAGIT DUNE CLASSE Í PART  SILS
utilisent la micropolitique, ce n’est pas tant pour
D£FENDRE LEURS INT£RãTS QUE POUR SERVIR UN ID£AL  ILS
s’engagent entièrement pour une cause, par exemple
la défense des femmes, des autochtones ou de l’envi-
RONNEMENT CERTAINS METTENT DE LAVANT UNE ID£OLOGIE
par exemple la social-démocratie ou la participation
du privé dans les services gouvernementaux.
Il serait intéressant de savoir comment l’ensemble des
fonctionnaires se distribue entre ces catégories, mais on
ne dispose d’aucun résultat de sondage à ce sujet. On peut
supposer que les fonctionnaires en situation de gestion,
qu’ils soient chefs d’équipe, cadres ou dirigeants, de même
que les personnes qui aspirent à ces postes, constituent la
majorité des consciencieux et des magouilleurs. Les
missionnaires, par ailleurs, ne se retrouvent sans doute
que parmi les agents supérieurs d’administration au
niveau fédéral et parmi les professionnels au Québec.
Les chapitres suivants expliquent comment se joue la
micropolitique dans la fonction publique. L’objectif visé
n’est pas de dénoncer le jeu politique, ni de prêcher les
bonnes et les mauvaises façons de le pratiquer, mais
uniquement d’en démystifier le fonctionnement.
Chapitre 12
Les règles à respecter

L es personnes qui se lancent dans l’arène partisane


et décident de militer au sein d’un parti politique se
voient attribuer un mentor qui se charge de leur apprendre
les règles. Les partis politiques accompagnent leurs
membres et les rappellent à l’ordre rapidement lorsque
leurs comportements ne sont pas jugés adéquats. C’est ce
qui fait que la plupart des politiciens qui transgressent les
règles le font en connaissance de cause.
Il en va tout autrement des nouveaux fonctionnaires.
Personne ne donne à ces derniers les bonnes recettes pour
progresser dans leur carrière et obtenir des promotions.
Les plus futés se dénichent un mentor capable de les
instruire et de les guider. D’autres observent ce qui se
passe autour d’eux et réussissent à décoder les normes en
vigueur. La plupart, cependant, se contentent des lieux
communs officiels, par exemple l’affirmation du principe
du mérite selon lequel les promotions sont fonction des
habiletés démontrées et du bon travail effectué. Par
conséquent, plusieurs ne sont pas conscients des règles
de la micropolitique et se disent surpris lorsque leur
carrière ne progresse pas ou régresse.
LES RÞGLES Í RESPECTER s 

Les règles les plus cruciales dans la fonction publique


sont présentées ici sous trois rubriques : être loyal au
patron, devenir l’entrepreneur de sa propre carrière et se
conformer à la culture de l’organisation.

Être loyal au patron


Le grand patron du ministère est le ministre. Ses désirs
sont des ordres. Ceux qui osent contredire le ministre se
font vite rappeler que ce dernier a toute la légitimité pour
prendre des décisions. On leur dira, par exemple : « Si vous
voulez mousser vos idées, faites-vous élire ! » Contrecarrer
les visées du ministre est le moyen le plus direct pour être
mis au rancart.
À l’exception du sous-ministre en titre, tous les
employés d’un ministère ont un patron qui est lui-même
fonctionnaire. C’est envers ce patron que l’employé doit
faire preuve de loyauté.
La loyauté est une perception. Elle ne se mesure pas,
mais elle se constate. Comme elle est de nature subjective,
il s’avère long et difficile de l’établir avec certaines per-
sonnes et elle peut être détruite rapidement. Lorsqu’elle
n’est pas instituée fermement, de simples erreurs peuvent
être perçues comme des exemples de déloyauté.
Plusieurs croient que la loyauté est un concept passif
et qu’elle exige simplement de ne rien faire qui va à
l’encontre des intérêts du patron et de l’organisation. Mais
c’est, au contraire, un concept actif : elle exige que des
gestes soient faits pour empêcher le patron de faire des
faux pas, pour le prévenir des dangers, pour le mettre en
garde contre ses adversaires et pour lui éviter des erreurs
coûteuses.
 s LES FONCTIONNAIRES

Les comportements souhaités

Les bonnes relations avec le patron sont la clé du succès


dans la fonction publique. Le patron est celui qui attribue
les mandats, qui fournit l’occasion aux employés de se
mettre en valeur et qui les aide à progresser dans la car-
rière. Les résultats qu’un individu peut obtenir par son
travail sont secondaires par rapport à sa capacité d’être
dans les bonnes grâces du patron. Car avoir une bonne
évaluation du rendement a peu à voir avec le travail réel
et tout à voir avec la capacité de l’employé de gérer les
attentes et les perceptions de son patron. S’il réussit à le
mettre en valeur, à lui faciliter la vie, à le tirer d’embarras
et à lui rendre des services, il sera considéré comme un
excellent employé. En d’autres termes, ce qui compte, ce
n’est pas seulement le travail, c’est surtout de mettre
l’accent sur ce qui fait le succès du patron, de faire en sorte
que ce dernier paraisse bien.
Les dirigeants s’attendent à ce que l’employé soutienne
son patron et respecte ses directives. Ils n’acceptent pas
l’insubordination. Ils considèrent que, si l’employé ne
peut maintenir de bonnes relations avec son patron, il ne
peut pas non plus le faire avec l’équipe dont il fait partie,
avec le reste de l’organisation et avec les partenaires.
Les façons les plus importantes de se comporter avec
le patron sont de l’écouter, de prendre en note ce qu’il dit,
de lui demander des conseils et de les suivre, de se montrer
déférent à son égard et de lui démontrer qu’il constitue
la priorité en évitant de le faire attendre. Certains diront
qu’il s’agit de soumission et d’asservissement. Le fait est,
cependant, que la première condition pour gagner au jeu
politique dans la fonction publique est de considérer que
LES RÞGLES Í RESPECTER s 

le patron est le décideur ultime et qu’il faut se plier à ses


désirs et l’appuyer dans ses stratégies. Il importe pour les
employés de démontrer qu’ils ont à cœur le succès du
patron et, au lieu de mettre l’accent sur les problèmes,
de s’efforcer de trouver des solutions. En établissant de
bonnes relations avec son supérieur, l’employé obtient le
soutien requis, tout en se voyant conférer plus de latitude.
Le secret pour les subalternes est de faire en sorte que le
patron soit à l’aise avec eux et ait confiance.
Les personnes politiquement habiles font tout ce qu’il
faut pour être dans les bonnes grâces de leur patron, en
laissant de côté ce qui est bien ou mal, vrai ou faux,
efficace ou inefficace, utile ou inutile, pertinent ou non
pertinent. Autrement dit, ils oublient leurs valeurs, leurs
idées et leurs préférences et s’organisent pour plaire au
patron. Certains vont jusqu’à imiter son style, utiliser ses
expressions et copier son comportement. Ils prennent en
charge ce qu’il n’aime pas faire, partagent avec lui le crédit
de leurs réalisations, le défendent lorsqu’il est attaqué par
d’autres, font son éloge devant les autorités et le compli-
mentent. Pour des observateurs indépendants, ces com-
portements peuvent ressembler à de la basse flatterie,
mais les personnes habiles aux jeux politiques savent que
la flatterie fonctionne parce qu’elle fait appel à l’ego des
personnes.

Les comportements à éviter

L’attitude politique vis-à-vis du patron est évidemment


fort différente de l’éthique du travail enseignée à l’école.
Elle exige un changement de perspective de la part de
l’employé : ce dernier doit mettre l’accent sur ce qui fait
 s LES FONCTIONNAIRES

le succès du patron et non sur les critères objectifs du


travail bien fait.
S’opposer au patron sous prétexte de bien faire son
travail est une stratégie perdante parce que les dirigeants
prennent toujours parti pour le patron. C’est la façon dont
les choses fonctionnent dans l’administration gouverne-
mentale. Les gestionnaires sont choisis non pas d’abord
pour leurs habiletés ou leurs talents exceptionnels, mais
parce qu’ils ont démontré qu’ils soutiennent la haute
direction et qu’ils peuvent fournir une contribution positive
à l’atteinte des objectifs de ceux qui les nomment. L’employé
qui prend parti contre le patron, pour quelque raison que
ce soit, même si cette raison est objectivement valide, a déjà
perdu la partie : l’organisation ne le soutiendra jamais.
Si ça ne marche pas avec un patron, il faut changer de
service. Essayer de se liguer avec d’autres employés contre
le patron est une stratégie perdante. Même si les autres
embarquaient dans cette aventure, les chances de succès
seraient nulles, car la hiérarchie se doit de toujours
appuyer les gestionnaires, ne serait-ce que pour éviter de
donner du pouvoir aux employés qui risqueraient de
continuer d’utiliser les mêmes tactiques dans l’avenir.
Les patrons qui sont contestés par leurs employés se
sentent embarrassés et humiliés. Ils ne le pardonneront
jamais. Les personnes qui ne soutiennent pas le patron ou
qui ne sont simplement pas amicales seront les premières
à subir son ressentiment, qu’il s’agisse de l’attribution des
tâches les moins intéressantes ou de la mise en disponibi-
lité pour manque de travail. Celles qui pensent que les
décisions se prennent de manière équitable et que les
capacités et les habiletés sont ce qui importe se trompent
grandement.
LES RÞGLES Í RESPECTER s 

Les patrons ont tendance à penser que les employés


qui ne leur sont pas dévoués sont contre eux. Ils sont
prompts à considérer comme des signes de déloyauté le
fait d’émettre des critiques à leur endroit, de souligner
que certaines positions prises par l’unité administrative
sont mal fondées ou que les services rendus par cette
dernière ne sont pas adéquats.
Ils veulent être les premiers à être informés de tous les
sujets qui ont de l’importance pour eux ou pour leur unité
administrative. Rien ne leur déplaît plus que de ne pas
savoir ce qui se passe et d’être pris par surprise. L’employé
qui cache une information ou qui omet simplement de
communiquer un renseignement dont le patron entendra
ensuite parler par un supérieur, un collègue ou un client
sera vertement blâmé. Car il n’y a rien de plus embarrassant
pour un patron que d’admettre qu’il ne savait pas, qu’il ne
maîtrisait pas la situation et de passer pour quelqu’un qui
n’est pas au courant de ce qui se passe dans son service.
Lors d’une réunion, l’employé doit éviter de donner
une information que n’a pas le patron. Dans un tel cas, ce
dernier considérera que son subalterne le met devant un
fait accompli ou cherche à monopoliser le débat. Au lieu
de le remercier, il lui adressera des reproches.
Une autre faute à éviter est de prendre le crédit à la
place du patron. Ce dernier considère que l’employé fait
partie d’une équipe et que le crédit doit revenir au chef
d’équipe, peu importe qui a fait le travail. Après tout,
lorsque des erreurs sont commises, c’est le gestionnaire
qui doit les assumer. Ce qui vaut pour les erreurs vaut
aussi pour les bons coups.
Le patron ne doit jamais être amené à croire que
l’employé veut prendre sa place. C’est l’interprétation
 s LES FONCTIONNAIRES

qu’il fera de situations où un individu répond à une


question au lieu d’en laisser l’initiative au patron ou s’il
passe par-dessus la tête de ce dernier pour aller voir le
supérieur hiérarchique.
Prendre le parti d’un collègue contre le patron, même
lorsqu’une injustice flagrante a été commise, est un
moyen sûr pour l’employé de nuire à sa carrière, car le
patron en conclura que, puisque ce dernier n’est pas de
son côté, il est contre lui.
L’employé doit résister à la tentation de donner des
conseils au patron. Les risques de se mettre les pieds dans
les plats sont alors très grands. Si le patron a besoin de
l’avis de son subalterne, il le demandera. Même alors,
l’employé doit être prudent dans ses réponses, car le
patron peut être en train de le tester pour savoir où va sa
vraie loyauté et pour connaître ses sentiments envers les
autres membres de l’équipe ou de la haute direction. Le
subalterne doit éviter de contredire le patron avec des
faits, mais toujours lui laisser une porte de sortie pour
éviter de lui faire perdre la face. Il ne doit pas non plus lui
dire, à la suite d’une erreur, « je vous l’avais bien dit ! », car
ce serait vu comme une façon de le discréditer et une telle
attitude créerait des ressentiments tenaces.
De la même façon, les commérages doivent être évités.
Si l’employé colporte des ragots sur ses collègues ou sur
un patron antérieur, le patron actuel croira qu’il peut en
raconter aussi sur son compte. Le fait de révéler des
secrets suscitera les mêmes appréhensions.
La loyauté au patron est une règle de base pour le
fonctionnaire qui veut avancer dans sa carrière. Une autre
est de devenir l’entrepreneur de sa propre carrière.
LES RÞGLES Í RESPECTER s 

Devenir l’entrepreneur de sa propre carrière


Le fonctionnaire politiquement astucieux apprend vite à
ne pas tenir compte du discours officiel qui proclame que
pour obtenir des promotions il suffit de s’en remettre au
système du mérite et de se consacrer tout entier à son
travail pour devenir le meilleur. Tout ce qui est accompli
dans l’ombre n’aide aucunement à progresser dans la
carrière. Besogner sans se préoccuper du jeu politique est
la meilleure façon de passer inaperçu. Pire encore, les
bonnes intentions de se consacrer entièrement à son
travail peuvent être interprétées négativement : on dira
d’une personne qui est trop préoccupée par son travail
qu’elle est antisociale, froide, réservée, indépendante et
mauvaise communicatrice.
Ceux qui veulent avancer doivent consacrer beaucoup
de temps et d’efforts à se faire connaître et apprécier de
leurs supérieurs. Ils doivent être dans les bonnes grâces
des autorités afin d’obtenir les mandats qui leur permet-
tent de se mettre en valeur, de rencontrer les dirigeants
du ministère et de faire parler d’eux. Il leur faut aussi se
préoccuper de mettre leurs réalisations en valeur autant
que de les mener à bien. Un bon réseau est un outil
indispensable pour ce faire et pour faire progresser sa
carrière.

Le réseautage

Personne ne peut jouer le jeu politique tout seul : la res-


source la plus utile pour avancer est un réseau d’amis et
de connaissances. Les fonctionnaires qui sont préoccupés
uniquement par le travail n’ont pas le temps de constituer
 s LES FONCTIONNAIRES

un réseau de contacts. Ils cherchent plutôt à impressionner


leur patron avec la somme de travail qu’ils sont capables
d’accomplir. Mais, souvent, le patron ne les remarque
même pas. Une croyance répandue dans l’administration
publique est que ce n’est pas ce qu’un individu connaît
qui détermine le succès de sa carrière, mais les personnes
qu’il connaît.
Le terme networking est souvent utilisé pour désigner
l’activité consistant à bâtir des relations professionnelles.
Certains ont proposé « réseautage » pour traduire ce
concept. Il s’agit de tous les efforts que fait une personne
pour se rapprocher de l’entourage des personnes influentes
et obtenir l’appui de ces dernières pour progresser dans
la carrière.
La plupart des gens qui ne se préoccupent pas de
réseautage sont mal à l’aise avec ce concept, car ils voient
cette activité comme une perte de temps, un obstacle à la
productivité et de la flagornerie. S’ils ont le choix entre
socialiser à l’heure du dîner ou travailler, ils préfèrent
travailler. Ceux qui veulent de l’avancement doivent
consacrer du temps à établir des relations avec les per-
sonnes influentes. Ils n’hésitent pas à s’asseoir à la même
table que les dirigeants, mais ne négligent pas non plus de
socialiser avec les secrétaires et les adjoints, car ceux-ci
peuvent avoir beaucoup d’influence sur les patrons.
Le réseautage permet d’établir des relations sociales et
de forger des liens de confiance qui peuvent avoir une
influence déterminante sur le déroulement d’une carrière.
Celui qui possède un réseau peut, à tout moment, se
tourner vers un membre de ce réseau pour avoir de l’infor-
mation, obtenir un conseil, dénicher des occasions, analyser
les risques et même pour faire exécuter une partie de son
LES RÞGLES Í RESPECTER s 

TRAVAIL 5N R£SEAU OUVRE BEAUCOUP DE PORTES  POUR CELUI


qui sait s’en servir, c’est un outil à nul autre pareil.
Le réseau fait toute la différence entre une personne
isolée et une personne branchée. Il exige sans doute de
l’énergie pour le constituer et le maintenir, mais il permet
par ailleurs de gagner beaucoup de temps. Devant toute
situation problématique, il fournit les moyens de connaître
l’environnement, de situer les acteurs, de se positionner
de façon favorable, d’éviter les pièges et de prévenir les
coups. Grâce à l’information recueillie, une personne peut
savoir si un projet qui lui est offert présente des occasions
d’avancement ou si c’est un casse-gueule. Elle est en
mesure d’obtenir les renseignements nécessaires pour
étudier diverses options et choisir la meilleure.
Un réseau permet aussi de compter sur les connais-
sances des autres pour trouver l’information indispensable
à l’accomplissement de son travail. Au lieu de chercher
soi-même le savoir utile parmi l’énorme quantité d’infor-
mation disponible, on s’adresse aux personnes qui possè-
dent l’information ou qui savent où la trouver. Si la per-
sonne à qui l’on s’adresse n’a pas la réponse, elle saura
indiquer un autre contact qui l’aura.
Apprendre à utiliser efficacement son réseau est une
habileté essentielle pour ceux qui veulent jouer le jeu
politique. Cette habileté s’acquiert en observant les plus
expérimentés et en apprenant d’eux.

Faire valoir ses réalisations

Un autre avantage de disposer d’un bon réseau de contacts


professionnels est de fournir des occasions de faire valoir
ses réalisations. Car ce n’est pas la valeur objective du
 s LES FONCTIONNAIRES

travail accompli qui importe, mais la perception favorable


que les autres peuvent en avoir.
Dans la fonction publique, attendre que les supérieurs
se rendent compte du bon travail réalisé est une attitude
politiquement naïve. Il importe de faire une promotion
active des contributions apportées à l’organisation. Les
fonctionnaires astucieux savent que, si ce qu’ils font n’est
pas visible par un supérieur, ça ne rapporte rien. Par
exemple, si les bénéfices ne peuvent se révéler qu’à long
terme, c’est de l’énergie gaspillée. Comme les patrons ont
bien des chats à fouetter et que de nombreux autres
collègues veulent se faire valoir, il est illusoire de penser
que les efforts seront appréciés à leur juste valeur.
Le fonctionnaire habile voit cependant à faire connaître
ses réalisations de façon subtile, car une approche inélé-
gante en cette matière serait contreproductive. Il conserve
une copie de tous les documents qui font état de ses
contributions, qu’il s’agisse de lettres, de notes ou de
rapports, et tient un journal de toutes les tâches de nature
non routinière qu’il a exécutées, de même que des pro-
blèmes auxquels il a travaillé. Il fait aussi la liste des
compétences acquises, par exemple en informatique, en
négociation ou en sélection de personnel. Il tient un
dossier de tous les témoignages d’appréciation de son
travail, tels que notations de rendement, lettres de remer-
ciement, notes d’appréciation des clients et prix remis par
des associations professionnelles. Au moment opportun,
il utilise cette documentation pour faire bonne impression
sur ses supérieurs.
Ceux et celles qui veulent progresser dans leur carrière
doivent apprendre à connaître et à respecter aussi d’autres
règles dictées par la culture de l’organisation.
LES RÞGLES Í RESPECTER s 

Se conformer à la culture de l’organisation


Comme la première partie de cet ouvrage l’a démontré, la
fonction publique a une culture organisationnelle bien
ancrée. Ceux qui ne se conforment pas aux règles qui
découlent de cette culture le font à leurs risques et périls.

Anonymat des fonctionnaires

Les ministères sont des organisations politiques et leur


objectif ultime est de mettre le ministre en vedette et de
le faire bien paraître. Si ce dernier se retrouve dans une
situation embarrassante, toutes les ressources du ministère
doivent être utilisées pour lui permettre de s’en sortir.
En règle générale, le ministre doit occuper seul le
devant de la scène et obtenir tout le crédit pour les bons
coups. Tout haut fonctionnaire qui intervient publiquement
risque de porter ombrage à son ministre. Les seules
exceptions sont les cas où il s’agit d’annoncer une
mauvaise nouvelle ou d’assumer le blâme pour une erreur
ou une bévue. Les fonctionnaires constituent alors de
commodes boucs émissaires. Lorsque la responsabilité
politique du ministre est mise en cause, une excellente
façon de détourner l’attention du public est de pointer du
doigt les procédures ou les façons de faire administratives
et, par conséquent, de faire porter le blâme par la machine
administrative.

L’information en tant que ressource

Dans la fonction publique, le pouvoir tient en grande


partie à l’information dont on dispose. Celui pour qui les
 s LES FONCTIONNAIRES

jeux politiques sont importants sait que l’information est


une ressource précieuse et cherche constamment à en
recueillir. Les documents, les courriels, les discussions de
corridor, les confidences, les commérages, etc., sont tous
des éléments constituant les pièces d’un casse-tête lui
permettant d’expliciter ses soupçons, ses questions et
ses idées.
L’information est vue comme une monnaie d’échange
et les fonctionnaires politiquement habiles insistent sur la
réciprocité. La donner sans contrepartie s’apparente pour
eux à du gaspillage. Ils ne fournissent aucune information
sur-le-champ. Pour montrer que l’information a un prix,
ils disent aux collègues ou aux subalternes qui la deman-
dent qu’ils vont y penser, qu’ils doivent chercher et leur
laissent entendre que c’est compliqué. Les demandeurs
sont ainsi amenés à croire qu’une faveur importante leur
est faite et qu’ils ont contracté une dette. Par ailleurs, ces
mêmes intrigants pratiquent l’art de soutirer de l’infor-
mation stratégique en faisant croire à leur interlocuteur
que c’est anodin, par exemple savoir d’une secrétaire qui
le patron rencontre, sur quel dossier il travaille et quel est
le contenu de son agenda.
L’accès à l’information est le nerf de la guerre. Les
documents qui traînent sur un photocopieur ou sur un
télécopieur peuvent révéler bien des choses. Parfois, une
information anodine recoupée avec d’autres informations
glanées ici et là peut fournir des indices appréciables. Une
personne qui se montre un peu curieuse peut découvrir
bien des choses en s’ouvrant les yeux. Certains individus
n’ont aucune hésitation à espionner les autres et ne font
preuve d’aucune retenue à cet égard. Ils n’hésitent pas,
par exemple, à examiner ce qu’il y a sur le bureau d’un
LES RÞGLES Í RESPECTER s 

collègue, à accéder aux courriels et à fouiller dans les


paniers à rebuts pour y trouver des renseignements utiles.
C’est pourquoi une règle essentielle est de protéger soi-
gneusement l’information qu’on possède.
Comme l’information n’a une valeur que si elle est
exacte, elle doit être vérifiée avant d’être transmise. Si une
personne répète un renseignement qui se révèle faux, c’est
comme si elle-même avait menti.
L’information transmise confidentiellement doit être
rigoureusement préservée. Une des pires réputations
qu’un individu peut avoir est celle de ne pas respecter un
secret. Celui qui hérite d’une telle réputation n’obtiendra
plus d’information confidentielle, sauf les potins que des
personnes mal intentionnées veulent qu’elle répète.

Séparation du travail et de la vie personnelle

Une règle essentielle pour ceux qui veulent progresser est


de dissocier le travail de la vie personnelle. Les carriéristes
laissent de côté leurs propres idées et mettent un masque
de fonctionnaire en entrant au bureau. Ils ne parlent pas
de leurs désirs profonds et ne font pas connaître leurs
sentiments. En tout temps, ils se montrent politiquement
corrects en ne remettant jamais en question les articles
du credo de l’organisation, par exemple que tous tra-
vaillent pour le bien commun et que les promotions sont
accordées au mérite. Celui qui ose contester ces croyances
fondamentales sera accusé de déloyauté.
Ils évitent de discuter de sujets controversés et de
s’engager dans des débats d’idées avec le patron ou les
collègues. De même, ils se gardent de faire des confidences,
 s LES FONCTIONNAIRES

car celles-ci risquent d’être utilisées contre ceux qui se


laissent aller à les faire.
Il est bien vu de parler d’ouverture, d’honnêteté,
d’engagement, de synergie, mais les fonctionnaires savent
que la haute direction garde l’information essentielle pour
elle et que les gens disent une chose à la cafétéria et une
autre dans les réunions. La plus grande prudence s’impose,
car les individus sont tous, à un moment ou à un autre,
en concurrence les uns avec les autres. Il n’y a pas d’amitié
qui vaille lorsque les emplois, les promotions et le pouvoir
entrent en ligne de compte.

Observance des règles administratives

Le fonctionnement du gouvernement est basé sur le


principe de l’État de droit ou de primauté du droit selon
lequel l’État et l’ensemble de son administration doivent
travailler suivant les balises définies par la loi et les règle-
ments. La formule « Nul n’est au-dessus de la loi » traduit
bien ce principe.
Les lois et les règlements sont explicités par de nom-
breuses normes, procédures, directives et pratiques
administratives visant à guider l’action des fonctionnaires.
Bien que ces règles n’aient pas la même valeur légale que
les lois et les règlements, celui qui les transgresse s’expose
à des pénalités.
Les fonctionnaires sont conscients qu’il vaut mieux
contourner les règles que les transgresser directement. Il
est souvent possible, par exemple, d’exploiter des failles
ou d’en interpréter la lettre d’une façon qui en contredit
l’esprit. Parfois, l’abondance même des règles permet de
LES RÞGLES Í RESPECTER s 

détecter des contradictions dont les fonctionnaires


peuvent tirer parti pour atteindre leurs fins.
Lorsque des règles doivent être transgressées pour
atteindre des objectifs fixés par le ministre ou les autorités
du ministère, le fonctionnaire prudent s’assure d’obtenir
l’aval de son supérieur immédiat et veille à couvrir ses
traces pour ne pas se faire prendre. Il refuse cependant de
poser des gestes susceptibles d’être sanctionnés par un
tribunal. La formule consacrée est : « Est-ce qu’on peut
aller en prison avec ça ? » Si la réponse est positive, tout
fonctionnaire avisé s’abstiendra.
Avec le passage du temps et l’évolution des choses, bien
des règles deviennent périmées, inapplicables ou carré-
ment absurdes. Les fonctionnaires perspicaces ont mieux
à faire, cependant, que d’essayer de les changer, car ils
savent qu’une telle entreprise est longue, difficile et semée
d’embûches. La plupart du temps, il s’avère plus pratique
de s’y plier que d’entreprendre de les modifier. Comme
on l’a vu plus haut, les règles peuvent aussi être
contournées et il arrive même qu’une fois tombées en
désuétude il soit possible de ne plus en tenir compte sans
que personne ne s’en formalise.

Le code vestimentaire

Toute organisation a un code vestimentaire et le fait de


comprendre et de respecter ce code est une indication
claire que les gens comprennent quelle est leur place dans
l’organisation. Dans une organisation aussi hiérarchisée
que la fonction publique, il est particulièrement important
de se conformer à ce code.
 s LES FONCTIONNAIRES

Les cravates fleuries et les jupes courtes ne sont pas de


mise dans une organisation qui se veut traditionnelle. La
fantaisie n’a pas sa place. Si le patron passe une remarque
à un employé au sujet de sa tenue vestimentaire, il faut
que ce commentaire soit pris au sérieux. Une telle
remarque doit être interprétée comme l’expression d’une
volonté de l’organisation de voir l’individu s’intégrer au
groupe et faire partie de l’équipe.
La personne qui porte des vêtements plus chics que
ceux de son patron sera perçue comme insubordonnée.
Cette règle est exprimée de façon très succincte en anglais :
don’t outdress the boss ! Celle qui la transgresse démontre
qu’elle ne respecte pas sa place dans la hiérarchie. En
s’habillant de la façon dont l’organisation s’attend, c’est-
à-dire de façon conservatrice, les gens sont acceptés plus
facilement, on considère qu’ils font partie de l’équipe et
on a tendance à leur faire confiance. Ils ne risquent pas
d’être considérés comme des rebelles ou des mal-
adaptés.
Le seul fait de connaître les règles et de s’y conformer
ne peut cependant pas assurer le succès d’une carrière.
Encore faut-il des stratégies gagnantes.
#HAPITRE 
Les stratégies mises en œuvre

T ravailler dans une organisation très politisée exige


l’élaboration et la mise en œuvre de stratégies bien
adaptées. Il importe d’abord d’être soutenu et guidé par
des personnes expérimentées. Il faut ensuite se fixer des
objectifs ambitieux, mais réalistes. Il est nécessaire de
développer de bons réflexes politiques et, enfin, de savoir
jouer gagnant.

Soutien de personnes expérimentées


Savoir choisir son patron est une des stratégies les plus
importantes. Il s’agit là du meilleur investissement qu’un
fonctionnaire ambitieux puisse faire à moyen ou à long
terme. Une des approches gagnantes est de trouver une
personne talentueuse qui pratique bien le jeu politique et
qui a de bonnes chances d’avancement. En se montrant
dévoué envers un tel patron, l’employé établit une relation
de confiance et peut espérer avancer avec lui. Il s’agit
évidemment d’un calcul qui exige une analyse objective
de la situation. Mais un tel choix ne peut pas être unique-
ment rationnel. Il importe de choisir une personne qui
inspire confiance et avec laquelle il est agréable de
 s LES FONCTIONNAIRES

travailler, car une relation de confiance ne peut être feinte


et tout simulacre serait vite démasqué.
Une autre stratégie gagnante est de dénicher un
mentor, c’est-à-dire une personne qui agit comme guide
et comme promoteur. Il est évidemment nécessaire de
créer avec cette personne des liens d’amitié et de s’assurer
avec elle d’une réelle réciprocité de services, par exemple
en lui fournissant de l’information ou en effectuant
diverses tâches en retour de ses conseils. Un mentor est
nécessairement influent et capable d’obtenir pour son
protégé des affectations prometteuses ou même une
promotion. Il peut aussi aider à enrichir les connaissances
et à développer des habiletés essentielles pour pro-
gresser.
Un bon mentor aidera une personne ambitieuse à sortir
de l’ombre et à faire d’elle une étoile. Il pourra, par exemple,
lui indiquer les façons de se faire connaître, d’impressionner
les autorités supérieures et de faire en sorte que les gens
influents reconnaissent son nom. Les moyens utilisés
peuvent inclure la désignation au sein de comités ou
d’équipes de travail, la participation à des projets importants
ou l’occasion de faire des présentations ou de prononcer
des conférences devant divers auditoires.

Objectifs ambitieux et réalistes


Les fonctionnaires ambitieux et doués devinent vite que
progresser dans la carrière n’est pas une affaire de dilet-
tante. La concurrence est vive et il faut s’attaquer à la
tâche avec ardeur et persévérance.
Celui qui se fie au hasard et à la chance et qui saute sur
la première occasion venue risque de vivre bien des
LES STRAT£GIES MISES EN “UVRE s 

déceptions. S’il choisit un emploi pour faire plaisir à


quelqu’un ou parce que, sur le coup, il semble amusant,
il constatera vite qu’il tourne en rond. La personne avisée,
au contraire, se fixera des objectifs clairs, les explicitera
en sous-objectifs précis et définira des cibles à atteindre.
Bien sûr, tous ces plans seront flexibles et devront être
adaptés aux circonstances pour tenir compte des situations
imprévues. Mais ils fourniront des balises pour éviter
d’agir de façon précipitée, ainsi que pour guider les tacti-
ques et les comportements. Ils constitueront des critères
pour mesurer le progrès réalisé et le degré de succès.
L’élaboration d’un plan de carrière n’est pas une tâche
à prendre à la légère. Elle exige de comprendre les us et
coutumes de la fonction publique, de savoir où se situe le
pouvoir, de bien identifier ceux qui le détiennent et de
découvrir ce qui marche et ce qui ne marche pas. Il faut
examiner les aspects positifs et les obstacles qui ont un
effet potentiel sur les objectifs fixés. Il faut poser des
questions telles que : qui occupe le poste convoité ? Depuis
combien de temps l’occupe-t-il ? Comment a-t-il fait pour
l’obtenir ? Est-il susceptible de prendre sa retraite prochai-
nement ? Qui d’autre pourrait essayer d’accéder à ce
poste ? Qui pourrait mettre les bâtons dans les roues ?
Comment peut-on contrer cette opposition ? Y a-t-il un
emploi qui pourrait servir de tremplin à celui qui est
convoité ? Est-ce que la technologie ou des savoirs parti-
culiers constituent des facteurs importants ? Comment
ceux-ci peuvent-ils être exploités de façon avantageuse ?
Il existe une ligne de conduite qui doit être rigoureu-
sement respectée : le secret le plus total doit entourer les
objectifs et les plans de carrière. Ils ne doivent être révélés
à personne. Les programmes de développement personnel,
 s LES FONCTIONNAIRES

pour autant qu’ils existent, ne devraient contenir que des


énoncés triviaux. Ni la direction des ressources humaines
ni le patron ne doivent connaître les intentions réelles du
fonctionnaire astucieux, car il y a trop de risques que ses
adversaires en soient informés.
Les personnes ambitieuses se méfient des postes pré-
sentés comme « intéressants » mais qui n’assurent que de
faibles chances d’avancement. Les mouvements latéraux
qui ne font qu’offrir la possibilité de faire le même travail
dans une autre organisation doivent être évités. Les
changements doivent avoir pour but de progresser vers
l’atteinte des buts fixés.
Certains fonctionnaires pourront être tentés de s’en-
gager politiquement pour favoriser leurs objectifs de
carrière, soit en acceptant un emploi dans un cabinet
ministériel, soit en participant activement à une campagne
électorale. Il y a une vingtaine d’années, cette avenue
n’était pas possible, car les lois interdisaient aux fonction-
naires toute activité politique. Les chartes des droits de la
personne ont toutefois obligé les gouvernements à enlever
ces dispositions et les fonctionnaires ne sont plus tenus
qu’à une obligation de réserve d’ailleurs mal définie, ce
qui leur laisse toute latitude pour s’engager dans des
activités partisanes.
Cette voie, bien qu’elle offre des chances de promotions
rapides, est toutefois pleine de périls, car, lorsque le parti
politique pour lequel le fonctionnaire s’est engagé est
défait aux élections, l’ambitieux risque fort d’être mis sur
une voie d’évitement. Comme on dit en langage popu-
laire, il est « marqué politiquement ». Il suscite la méfiance
parmi les adversaires. Ceux-ci seront très peu enclins à lui
confier des postes importants et à favoriser sa progression
LES STRAT£GIES MISES EN “UVRE s 

de carrière, même s’il a par ailleurs démontré des talents


exceptionnels.
Les postes les plus prometteurs sont généralement
ceux qui, au sein de la fonction publique, sont reliés à des
projets très visibles, font partie des priorités du gouver-
nement, offrent la possibilité de côtoyer les hauts diri-
geants ou permettent de brasser d’importantes sommes
d’argent. Les emplois relatifs à la gestion de programmes
(line) offrent de meilleures chances d’avancement que les
emplois dans les services-conseils (staff). Ces derniers
confèrent peu de pouvoir et permettent rarement d’ac-
céder aux postes supérieurs. On constate que très peu de
personnes parviennent au sommet de la pyramide s’ils
proviennent des domaines des approvisionnements, du
personnel ou des systèmes d’information.
Dans la fonction publique, la spécialisation n’est pas la
meilleure stratégie pour obtenir de l’avancement. La
façon la plus facile d’accroître son expérience est de
changer d’emploi. Le fait d’avoir plusieurs habiletés est
très valorisé. Même s’ils ne possèdent pas les compétences
nécessaires pour exercer l’emploi convoité, les carriéristes
n’hésitent pas à le solliciter, car ils sont confiants de
pouvoir apprendre en le faisant. Sous cet aspect, les
hommes sont par nature plus enclins à prendre des risques
que les femmes qui, de leur côté, font souvent preuve de
moins de confiance en elles-mêmes.
La progression de carrière est problématique parce
qu’il s’agit d’un processus qui s’étend sur une longue
période de temps. Les plus sages savent qu’il importe, de
temps à autre, de faire le point, idéalement avec l’aide d’un
mentor. Un tel examen se doit d’être pragmatique, d’éva-
luer la situation sans passion, ni émotion et de considérer
 s LES FONCTIONNAIRES

tous les faits, de même que la marge de manœuvre dis-


ponible. Les forces et les faiblesses doivent être examinées
et le plan de carrière de même que les options possibles
doivent être revus. Un tel exercice est d’autant plus pro-
fitable que les objectifs ont été précisés au point de
départ.
Ceux qui sont habiles politiquement peuvent évaluer
les facteurs et les joueurs en présence. L’acquisition de
réflexes politiques est essentielle dans une organisation
aussi politisée que la fonction publique.

Acquisition de réflexes politiques


Un bon nombre de fonctionnaires, inspirés par l’idéologie
dominante, se plaisent à penser que tous les acteurs de
l’appareil gouvernemental travaillent en fonction du bien
commun. Les plus lucides observent cependant que ceux
qui ont l’esprit de compétition sont guidés non par des
critères objectifs, mais par des considérations politiques.

Savoir où se situe le pouvoir

Bien que l’administration publique soit une organisation


fortement structurée, le pouvoir n’appartient pas néces-
sairement, ni exclusivement à ceux qui occupent les postes
élevés. Les critères suivants peuvent être utilisés pour
évaluer le pouvoir détenu par une personne :
s IMPORTANCE DES RESSOURCES TANGIBLES ET INTANGIBLES
SOUS SA GOUVERNE 
s CARACTÞRE DISCR£TIONNAIRE DE LEUR UTILISATION 
s NOMBRE DE PERSONNES AVEC QUI LE POUVOIR EST PARTAG£
s HABILET£ DANS LEXERCICE DU POUVOIR
LES STRAT£GIES MISES EN “UVRE s 

Certaines personnes qui détiennent de l’autorité for-


melle n’exercent pas beaucoup de pouvoir, soit par choix,
soit par manque d’habileté. D’autres, dont le nom ne se
trouve pas dans l’organigramme du ministère, ont par
contre beaucoup de pouvoir. Il peut s’agir, par exemple,
d’adjoints ou de conseillers. L’art du pouvoir repose sur
la capacité d’utiliser les ressources dont on dispose pour
amener les gens à agir selon sa volonté. L’expertise ou
les connaissances qu’une personne possède, de même que
les renseignements qu’elle est en mesure d’acquérir grâce
à son réseau constituent dans la fonction publique des
ressources de premier ordre. Plus ces informations sont
stratégiques ou difficiles à obtenir, plus elles confèrent de
pouvoir.
Un individu peut aussi acquérir du pouvoir grâce aux
alliances qu’il établit avec d’autres personnes influentes.
En faisant état des contacts qu’il possède et en se compor-
tant comme une personne influente, un intrigant peut
donner l’impression qu’il a beaucoup de pouvoir et, de ce
fait, réussir à s’imposer.
Les plus astucieux font en sorte de toujours se retrouver
du côté des gagnants. Ils soutiennent le point de vue de
ceux qu’ils savent bien branchés politiquement. Ils ne se
demandent pas si une idée est la meilleure ou si une
position est justifiée de façon économique ou scientifique,
mais prennent systématiquement partie pour ceux qui
semblent devoir l’emporter dans le débat.
Ils savent aussi reconnaître les adversaires et ne faire
aucun geste qui pourrait être interprété comme un
manque de loyauté envers leurs amis. Par exemple, un
individu peut être perçu comme l’allié d’une personne
simplement parce qu’il défend le projet de cette dernière.
 s LES FONCTIONNAIRES

Avant de donner son appui à ce qui semble une bonne


idée, le roublard se demande toujours comment son
intervention sera interprétée. Il ne fait jamais de gestes
gratuits, mais vise toujours à obtenir quelque chose en
retour de son appui. Il analyse constamment les choses
sous l’angle politique.

Analyser les choses sous l’angle politique

Ceux qui sortent gagnants du jeu politique sont ceux qui


en connaissent les règles et qui ont développé une façon
de voir stratégique. Ils utilisent, entre autres, une grille
d’analyse politique pour examiner toute situation
nouvelle :
s 1UELS INT£RãTS SONT EN CAUSE ET QUELLES PERSONNES
sont susceptibles d’être concernées ?
s 1UI SONT LES ALLI£S ET QUI SONT LES ADVERSAIRES 
s #OMMENT LES CHOSES PEUVENT ELLES ãTRE PR£SENT£ES
pour maximiser les appuis et minimiser les réactions
négatives ?
s 1UI POURRAIT CONTRIBUER AU PROJET ET COMMENT
peut-on les convaincre de participer ?
s 1UELS PEUVENT ãTRE LES PROCHAINS MOUVEMENTS SUR
l’échiquier et comment risquent-ils d’être perçus ?
Le carriériste analyse tout dans la perspective des
objectifs visés, c’est-à-dire d’une promotion future. Pour
chaque geste qu’il fait, chaque décision qu’il prend, chaque
projet auquel il participe, il se demande :
s 1UEL EN EST LEFFET SUR MON PLAN DE CARRIÞRE 
s 2ISQUE T IL DE POSER PROBLÞME AU PATRON OU AU
supérieur hiérarchique ?
LES STRAT£GIES MISES EN “UVRE s 

s #OMMENT SERA T IL INTERPR£T£ PAR MES AMIS ET MES


rivaux ?
s 1UEST CE QUI SE PASSERA SI JE NE FAIS RIEN 
s 5N ADVERSAIRE RISQUE T IL DE PROlTER DE MES EFFORTS 
s %ST IL POSSIBLE DOBTENIR QUELQUE CHOSE EN RETOUR DE
mon engagement ?
s %ST CE QUE LE JEU EN VAUT LA CHANDELLE 
Lorsqu’il entend une rumeur, le clairvoyant attache
moins d’attention au contenu qu’aux circonstances qui
l’entourent :
s $E QUI PROVIENT LA RUMEUR 
s %ST CE QUE CETTE PERSONNE LA INVENT£E ET POUR-
quoi ?
s $E QUI SERT ELLE LES INT£RãTS 
Les rumeurs font partie des jeux politiques et peuvent
s’avérer très révélatrices des intentions des uns et des
autres. Certains cherchent à nuire à leurs adversaires.
D’autres répandent des rumeurs sur leur propre compte
afin de se mettre en évidence, par exemple en faisant
circuler leur nom pour une promotion.
Dans ses relations interpersonnelles, le joueur avisé est
toujours sur ses gardes. Il cherche, entre autres, à connaître
les intentions de son interlocuteur :
s 0OUR QUELLE RAISON DIT IL CELA 
s $E QUELLE PERSONNE SOUTIENT IL LES ID£ES 
s $E QUEL R£SEAU DALLIANCES FAIT IL PARTIE 
s #HERCHE T IL Í ME PI£GER 
s 6EUT IL ME SOUTIRER DES INFORMATIONS 
Les adeptes des jeux politiques apprennent à décoder
les situations et à deviner les guerres de pouvoir. Ils
choisissent soigneusement leurs batailles et n’affrontent
aucun adversaire à moins d’avoir d’excellentes chances de
 s LES FONCTIONNAIRES

gagner. Ils font en sorte d’utiliser le pouvoir à leur


avantage.

Utiliser le pouvoir

La personne habile aux jeux politiques ne présente jamais


une idée ou un projet avant d’avoir préparé le terrain. Elle
discute avec chacun des individus ou des représentants
des groupes concernés afin de connaître leurs positions
et de savoir comment ils vont réagir. Elle tente d’obtenir
leur accord en faisant valoir ce que ça peut leur rapporter,
en leur promettant un appui pour un de leurs projets ou
en faisant miroiter une faveur future.
La technique de l’échange de faveurs (IOU - I owe you,
comme disent les anglophones) est un des outils essentiels
des joueurs politiques. Elle découle de la règle du
donnant-donnant selon laquelle une certaine forme de
réciprocité doit être observée dans toutes les relations
humaines. Les plus retors tiennent une comptabilité
serrée des faveurs consenties et de celles qui leur sont dues
en retour. Certains en prennent note pour être certains
de ne rien oublier.
L’échange de faveurs doit cependant respecter une
certaine informalité et les retours d’ascenseur ne doivent
pas être sollicités ouvertement. Si un individu a besoin de
l’aide d’une personne qu’il sait être en dette envers lui, il
ne sert à rien de lui rappeler ce qu’il a fait pour elle, car
elle trouverait une façon de l’ignorer. Il lui faut plutôt
mettre l’accent sur ce que la collaboration demandée peut
continuer à rapporter à cette personne et cette dernière
répondra avec enthousiasme quand elle verra qu’elle peut
gagner quelque chose.
LES STRAT£GIES MISES EN “UVRE s 

Une autre règle concernant les faveurs est qu’il faut


savoir donner avant de demander. Donner peut prendre
plusieurs formes : une information, une admission hon-
nête, un acte généreux ou un cadeau. Les personnes
habiles savent qu’il faut demander le moins de faveurs
possible, surtout aux supérieurs. Ces derniers trouvent
ennuyeux de refuser une faveur et en seront irrités.
Les plus perspicaces savent qu’il ne faut jamais solliciter
de faveur pour une autre personne. Les gens considèrent
qu’il est normal pour un individu de défendre ses intérêts
et ne lui reprocheront pas de le faire. Cependant, on
blâmera celui qui intervient pour quelqu’un d’autre et on
lui prêtera toutes sortes d’intentions. La règle d’or est de
se mêler de ses affaires.
Les stratégies et les tactiques des acteurs politiques
sont souvent complexes et sinueuses, mais leur efficacité
se mesure aux résultats obtenus. Il importe cependant de
distinguer entre le court et le long terme : une tactique
peut permettre de l’emporter sur un adversaire, mais, si
la méthode employée est jugée malhonnête, les effets à
moyen et long terme seront négatifs. Lorsqu’il est néces-
saire d’avoir des relations suivies avec d’autres personnes,
il est essentiel de préserver sa réputation.
Les plus perfides réussissent cependant à utiliser la
manipulation tout en dissimulant habilement leurs gestes.
La manipulation est une forme déloyale d’influence parce
que les promesses faites sont équivoques ou fausses et que
celui qui les énonce n’a pas l’intention de les respecter. Le
manipulateur joue sur les cordes sensibles ou l’inconscient
des gens. Il mise sur les faiblesses ou les sentiments pro-
fonds des individus, par exemple l’insécurité et la peur, et
utilise les aspects qui les rendent vulnérables comme des
 s LES FONCTIONNAIRES

leviers pour les amener à se plier à ses volontés. Il est


d’une grande habileté pour découvrir les failles que les
personnes ont dans leur armure, défaillances que ces
dernières révèlent inconsciemment par des réactions
furtives, des paroles échappées ou de petits gestes. Les
victimes ne prennent pas conscience des tactiques utili-
sées, car les cordes sur lesquelles joue le manipulateur
sont profondément enfouies.
La manipulation n’est que l’une des techniques mal-
honnêtes utilisées par les adeptes des jeux politiques. Une
autre est l’utilisation de doubles standards.

Recourir aux doubles standards


Les discussions sur les valeurs et l’éthique prennent
beaucoup de place dans la fonction publique. Les valeurs
sont des principes d’action qui guident les façons de se
comporter et d’effectuer son travail. C’est ainsi que la
justice, l’intégrité et le respect de la loi, pour n’en men-
tionner que quelques-unes, sont présentés comme des
valeurs fondamentales.
L’éthique désigne les règles morales qui régissent la
conduite des individus. Elle s’apparente à la déontologie
qui est l’ensemble des devoirs d’un membre d’une profes-
sion. C’est ainsi qu’on parle de code d’éthique ou de code
de déontologie pour signifier les principes moraux qui
devraient inspirer les comportements des fonction-
naires.
Pour les adeptes des jeux politiques, les valeurs et
l’éthique ne sont cependant que des principes que l’on
proclame sans qu’on se sente obligé de les appliquer. À
l’image de la vertu, on en parle beaucoup, mais on ne
LES STRAT£GIES MISES EN “UVRE s 

met pas toujours en pratique ce qu’on dit. La franchise


et la transparence sont de belles qualités, mais ne sont
pas nécessairement celles qui aident à l’emporter sur les
adversaires. La devise des combinards est : Good guys
finish last, phrase qu’on peut traduire par « les honnêtes
hommes sont toujours perdants ». Pour eux, s’imposer
des règles morales est l’équivalent d’aller à la guerre en
gentleman.
Les lignes de conduite des fonctionnaires qui jouent le
jeu politique sont dictées par l’approche appelée « gestion
des risques » : avant de poser tout geste, d’entreprendre
toute action ou de prendre toute décision, on effectue une
analyse de risques. Peu importe ce que l’on fait, l’impor-
tant est de ne pas se faire prendre.
Un risque est la possibilité qu’un événement défavo-
rable se produise et ait des conséquences non voulues. Le
risque comporte donc deux facettes : le degré de proba-
bilité et l’ampleur des conséquences. Une analyse des
risques repose, entre autres, sur les questions suivantes :
s 1UELS SONT LES GAINS POSSIBLES  ,E JEU EN VAUT IL LA
chandelle ?
s 1UELS RISQUES PEUVENT EN D£COULER Í COURT COMME
à long terme ?
s ,E DEGR£ DE RISQUE EST IL RAISONNABLE £TANT DONN£ LES
conséquences possibles ?
s ,ES CONS£QUENCES PEUVENT ELLES ãTRE PR£JUDICIABLES
à la carrière ?
s %ST IL POSSIBLE DATT£NUER CES CONS£QUENCES EN
prétextant l’ignorance ou l’erreur de bonne foi ?
À la suite d’une telle analyse, la décision repose sur le
degré de tolérance aux risques du joueur concerné.
Souvent, comme on le constate en matière de placements
 s LES FONCTIONNAIRES

financiers, l’ampleur des gains possibles est fonction du


degré de risques qu’un investisseur est prêt à accepter.
Celui qui ne veut accepter aucun risque bénéficiera
nécessairement de taux d’intérêt très faibles. Par contre,
celui qui prend trop de risques pourra tout perdre.
Contrairement aux valeurs et à l’éthique qui constituent
des règles rigides et absolues, la gestion des risques est un
domaine exigeant beaucoup de jugement, d’habileté et
de doigté. Le combinard qui veut jouer gagnant doit
savoir évaluer la situation et être prêt à tolérer un certain
niveau de risques. Il doit aussi posséder ou développer
plusieurs autres talents.
Chapitre 14
Les talents à développer

F aire de la politique partisane, réussir à se faire élire


et conserver le pouvoir sont des activités qui font
appel à beaucoup de qualités. La micropolitique est sans
doute moins exigeante, car elle ne se pratique pas sur la
scène publique, mais elle n’en demeure pas moins une
activité pleine d’embûches. Les fonctionnaires qui veulent
monter dans l’échelle hiérarchique doivent jouer le jeu
politique et, pour réussir à ce jeu, ils doivent développer
des talents particuliers.

Un apprentissage continu
Savoir comment se comporter pour être accepté dans une
institution comme la fonction publique et, plus encore,
découvrir les comportements gagnants nécessite pour la
plupart des individus un long apprentissage. Car personne
ne dit clairement ce qui est attendu et les reproches sont
le plus souvent transmis à mots couverts. Une des qualités
essentielles à acquérir est donc de décoder correctement
les messages et d’en tirer des enseignements.
La principale difficulté réside dans le fait que, dans
toute conversation, il y a deux niveaux de langage : un
 s LES FONCTIONNAIRES

échange de renseignements ou d’idées et la création ou


le renforcement de relations entre les individus. Derrière
le niveau objectif constitué de mots et de phrases, il y a
le niveau subjectif par lequel les gens cherchent à se
positionner les uns par rapport aux autres. Ces deux
niveaux de langage existent bien sûr dans toutes les
organisations, mais comme la fonction publique est l’une
des plus politisées, et qu’on y accorde une grande impor-
tance aux relations humaines, l’imbrication des deux
niveaux est encore plus forte qu’ailleurs.
Lorsqu’un patron formule une demande à un subal-
terne, ce dernier doit comprendre qu’il ne s’agit pas d’une
requête laissée à son bon vouloir, mais bien d’un ordre.
De la même façon, lorsqu’il fait des observations à
l’occasion d’une évaluation de rendement annuelle, il
s’agit bel et bien de critiques et de reproches. L’employé
doit savoir décoder ces paroles ambiguës et ces remarques
subtiles, car, à défaut de le faire, il se retrouvera en
difficulté.
C’est cependant lors des réunions que le double niveau
de langage est le plus évident. Derrière les interventions
de chacun, on peut discerner les amitiés qui s’expriment
ou les antagonismes qui se révèlent, les objectifs des uns
et des autres qui sont attaqués ou défendus, des camps
qui se forment ou s’affirment et des coalitions qui se
renforcent ou s’effritent. Les plus perspicaces décodent
ces jeux de coulisse, mais les naïfs n’en sont pas conscients,
car ils ne s’attachent qu’au contenu des interventions.
Il est très fréquent que les gestes ne suivent pas les
paroles. Tout comme les politiciens qui dissocient les
discours et les actions comme s’il s’agissait de deux univers
parallèles, les fonctionnaires ont tendance à proclamer les
LES TALENTS Í D£VELOPPER s 

idées présentement à la mode, mais font en sorte que rien


ne change. Ils parleront, par exemple, de la nécessité d’un
service personnalisé, mais insisteront pour que tous les
CLIENTS SOIENT TRAIT£S £GALEMENT  ILS SOULIGNERONT LA N£CES-
sité de sang neuf dans la fonction publique, mais ne feront
QUE DES NOMINATIONS Í LINTERNE  ILS DIRONT QUIL FAUT
mettre l’accent sur les résultats, mais exigeront le respect
de toutes les procédures et de toutes les règles. Les
fonctionnaires ne doivent donc pas se fier aux discours, ni
à ceux des politiciens ni à ceux des gestionnaires, pour
savoir ce qui est attendu d’eux : ils doivent apprendre à
observer les gestes et à imiter les actions, car les modèles
de comportement à suivre ne sont pas ceux qui sont
proclamés, mais ceux qui sont mis en pratique.
Un des apprentissages les plus difficiles est l’à propos,
le bon moment, ce que les anglophones appellent le
timing. Toutes les demandes que reçoivent les fonction-
naires dans le cadre de leur travail sont supposément
urgentes. Elles peuvent être plus ou moins nombreuses
et exiger des efforts variables. Savoir fixer les bonnes
priorités est un art que seuls les plus habiles et les plus
perspicaces arrivent à maîtriser. Une des astuces est de ne
jamais fixer d’échéance en fonction du temps requis pour
terminer la tâche demandée, mais plutôt en fonction des
attentes du patron, des circonstances ou des risques
impliqués. Le temps est plus souvent un allié qu’un
adversaire du fonctionnaire politiquement habile : il
permet à des éléments nouveaux de faire surface, il donne
l’occasion de regarder les choses sous d’autres angles, il
fait ressortir de nouveaux enjeux et il permet aux divers
acteurs d’évoluer et de changer d’idée. Compte tenu du
fait que tous tiennent pour acquis que la fonction publique
 s LES FONCTIONNAIRES

agit avec lenteur et que les délais sont nécessairement


longs, il n’est habituellement pas nécessaire de brûler les
étapes. Une bonne analyse du contexte, des intervenants
concernés et des positions respectives des alliés et des
adversaires s’impose avant de fixer les dates cibles pour
chaque étape d’un travail. Il faut, bien sûr, donner l’im-
pression d’agir rapidement, mais la meilleure ligne de
conduite est souvent, comme on l’a vu plus haut, dictée
par la devise « hâte-toi lentement ».
Bien d’autres talents sont nécessaires pour réussir.
Parmi les plus importants, on retrouve les habiletés en
matière de relations interpersonnelles.

Les relations interpersonnelles


Celui qui veut jouer le jeu politique a intérêt à connaître
beaucoup de monde. Les plus habiles utilisent tous les
filons possibles pour rencontrer des gens et se constituer
un réseau de contacts : leur famille et celle de leur conjoint,
les consœurs et confrères de collège et d’université, les
anciens professeurs, les collègues de travail, les voisins,
les membres de leurs équipes sportives, les parents des
amis de leurs enfants, les membres d’associations et de
groupes bénévoles dont ils font partie, etc. Ils savent
gagner la confiance des gens en échangeant de l’informa-
tion et en révélant des choses, toujours positives, sur
eux-mêmes.
Dans les relations humaines, un talent en particulier
transcende tous les autres : les aptitudes en matière de
communication. Ceux qui tirent le mieux leur épingle du
jeu sont ceux qui ont les meilleurs talents de communi-
cation. Pour avancer, il est essentiel de savoir communiquer.
LES TALENTS Í D£VELOPPER s 

Il est très fréquent que des employés moins qualifiés


passent devant des individus qui ont beaucoup plus de
compétences simplement parce qu’ils sont de meilleurs
communicateurs.
La communication est une discipline complexe. Elle
exige qu’on porte attention à deux facettes : l’émission et
la réception du message. Les messages émis ne sont jamais
reçus de la même façon par les divers récepteurs parce
qu’ils ne sont pas constitués seulement de mots et de
phrases : ils sont enrobés d’une certaine intonation,
modulés selon un certain rythme, prononcés avec un
certain débit et peuvent être interprétés de différentes
façons. Plus encore, ils sont accompagnés d’un ensemble
de signes non verbaux qui, selon les spécialistes du
domaine, représentent plus de la moitié de la communi-
cation. Le langage non verbal est un thème stratégique
qui sera traité plus loin.
Établir de bonnes relations et se rendre intéressant est
un art. Il faut être un bon auditeur et se montrer captivé
par ce que les autres ont à dire. Il est capital d’aborder les
sujets qui intéressent son interlocuteur, qu’il s’agisse de
son expérience de travail, de ses passe-temps, des sports,
des voyages ou du cinéma. La meilleure façon de se rap-
procher d’une personne est de lui apporter une plus-value
sous la forme d’informations intéressantes pour elle et de
faire état de personnes qu’elle connaît et dont elle aime
parler, par exemple son conjoint, ses enfants ou ses
amis.
Se faire connaître sans passer pour quelqu’un imbu de
lui-même et sans se vanter fait partie des talents indispen-
sables. Révéler des choses sur soi-même risque d’être mal
interprété. Il faut procéder graduellement sous peine
 s LES FONCTIONNAIRES

d’inquiéter l’interlocuteur qui pourrait se demander où


l’on veut en venir, si on le prend pour un appui moral ou
si on veut l’utiliser. Il importe surtout de ne rien confier
qui pourrait surprendre ou inquiéter.
Dans le contexte du travail, les gens apprennent d’abord
à socialiser avec leurs collègues et leur patron et se sentent
ensuite à l’aise de le faire avec les hauts dirigeants. Les
plus astucieux savent qu’il est plus rentable d’utiliser son
temps à établir des contacts qu’à se confiner à son bureau
pour travailler. Ils arrivent tôt aux réunions pour parler
aux participants et restent après les rencontres pour
continuer leurs conversations. Ils fréquentent la salle de
café et la cafétéria, participent aux activités sociales et
sportives, prennent le temps d’arrêter pour parler aux
gens à leur bureau et s’arrangent pour voyager avec des
collègues.
Tout en se faisant connaître, ces activités permettent
de recueillir de l’information et d’être au courant des
rumeurs. Cette sorte d’information ne se retrouve ni dans
les documents officiels, ni dans les livres, ni dans Internet.
Elle est la plus stratégique, car c’est elle qui peut le mieux
aider à atteindre ses objectifs. Les individus les plus futés
arrivent à accumuler discrètement de l’information sans
acquérir la réputation de commère. Ils jouent sur le fait
que les gens se plaisent à partager l’information confiden-
tielle afin de créer des liens de camaraderie. C’est une
façon de dire : « Je vous fais confiance, vous êtes mon
ami. »
La façon de réagir à une information confidentielle ou
à une rumeur est cruciale pour l’image que le fonction-
naire ambitieux donne du lui-même. Ce dernier évite de
porter des jugements et formule ses réactions sous forme
LES TALENTS Í D£VELOPPER s 

de questions. Il adopte la ligne de conduite qui est de ne


rien dire qui ne pourrait être répété intégralement devant
le patron.
Les personnes qui fournissent des renseignements
exigent habituellement de recevoir de l’information en
retour. Les plus habiles répètent les nouvelles que la
plupart des gens connaissent déjà et conservent les scoops
pour eux-mêmes. Car celui qui confie des secrets à
quelqu’un donne la preuve qu’il n’est pas digne de
confiance. On se méfie de ceux qui parlent trop. La dis-
crétion est une des qualités les plus valorisées dans l’ad-
ministration publique.
Les individus les plus perspicaces misent sur les rela-
tions qui sont le plus utiles pour leur avancement de
carrière. Ce sont ces personnes dont ils cultivent l’amitié,
qu’ils trouvent le moyen d’aider et à qui ils fournissent
des faveurs. Demander conseil s’avère un excellent moyen
de leur témoigner la confiance qu’ils ont en elles. Les plus
rusés évitent cependant de leur demander directement de
l’aide, car il est plus astucieux de faire état de ses besoins
et d’attendre qu’elles offrent elles-mêmes leur soutien. Il
ne faut surtout pas les placer dans la situation d’avoir à
dire non.
Toutes sortes de moyens peuvent être utilisés pour
conserver le contact avec les personnes susceptibles de
contribuer à l’atteinte des objectifs de carrière : les appeler
pour les féliciter d’une promotion ou d’une réussite,
souligner leur anniversaire de naissance, expédier de
l’information intéressante par courriel, prendre de leurs
nouvelles après une maladie, un accident ou un voyage,
leur donner un magazine ou leur prêter un livre, etc. Le
retour sur l’investissement est proportionnel aux efforts
 s LES FONCTIONNAIRES

consentis. Les fonctionnaires habiles pensent à donner


avant de recevoir et recherchent toutes les occasions
d’aider. Ainsi, quand le besoin se fait sentir, ces personnes
se montrent reconnaissantes.
Les relations interpersonnelles prennent de nom-
breuses formes. Une d’entre elles est la négociation. Les
meilleurs dans la pratique de l’art de la négociation
réussissent à atteindre leurs objectifs mieux que les autres
et à sortir gagnants des jeux politiques.

La négociation
La plupart des gens se veulent accommodants et
s’empressent d’accepter la première offre qui leur est
présentée. Les plus perspicaces adoptent une attitude de
négociateur en toutes circonstances et avec tout le monde :
patrons, employés, collègues, clients et fournisseurs. Ils
obtiennent toujours plus parce qu’ils demandent plus. Ils
se disent que tout est négociable et n’acceptent jamais un
non comme réponse. Pour eux, « non » est simplement
une tactique de négociation. Ils s’efforcent de garder les
communications ouvertes et reviennent à la charge au
moment propice.
Ce qui démarque ceux qui pensent et agissent en
négociateurs est qu’ils ont une vision claire de ce qu’ils
veulent et prennent un grand soin à définir clairement
leurs objectifs. Ils ne se contentent pas de réagir aux
propositions de leurs interlocuteurs : ils prennent l’initia-
tive et contrôlent le dialogue.
Le fait est que les personnes qui consacrent du temps
et des efforts à définir des attentes élevées et à élaborer
des buts exigeants font preuve de plus de détermination
LES TALENTS Í D£VELOPPER s 

que les autres et surclassent leurs compétiteurs. Elles


comprennent l’importance de bien préparer chacune de
leurs négociations, ce qui implique :
s DE RECUEILLIR DE LINFORMATION SUR LA SITUATION LE
CONTEXTE LES ENJEUX ET LES PROBLÞMES 
s DE SINFORMER SUR LEURS INTERLOCUTEURS LEURS OBJECTIFS
LEUR MENTALIT£ LEURS TACTIQUES 
s DANALYSER LES FORCES EN PR£SENCE DE CONNA¦TRE LES
pouvoirs et les faiblesses de leurs adversaires et leurs
PROPRES ATOUTS 
s DIMAGINER CE QUIL EST POSSIBLE DE FAIRE POUR REN-
forcer leur position de négociation et diminuer celle
DE LAUTRE PARTIE 
s DE BIEN PR£PARER LEUR PREMIÞRE OFFRE ET D£VELOPPER
des arguments pour en justifier chacun des élé-
MENTS 
s D£TABLIR UN PLAN DE N£GOCIATION COMPRENANT LE QUI
le quoi, le où et le comment de façon à gagner un
avantage tactique, par exemple en amenant l’adver-
saire sur leur terrain.
Le bon négociateur ne s’appuie pas sur des trucs et des
astuces pour marquer des points, mais plutôt sur une
bonne communication. Il pose des questions, demande à
l’interlocuteur d’expliquer clairement ses positions et
déploie toutes les techniques de l’écoute active : refor-
muler ce que dit l’interlocuteur afin de vérifier sa com-
préhension, l’inviter à répéter s’il y a la moindre ambiguïté
ou incertitude et faire un sommaire de la discussion. Il
n’hésite pas à demander le point de vue de son adversaire
sur la façon de résoudre un problème. Même si les solu-
tions proposées ne sont pas acceptables, l’interlocuteur
sera mieux disposé du seul fait d’avoir été consulté.
 s LES FONCTIONNAIRES

L’habileté à percevoir la situation comme la voit l’ad-


versaire, aussi difficile que ça puisse être, est un des talents
les plus impressionnants d’un négociateur chevronné. Ce
dernier doit, pour ce faire, être capable d’attendre d’avoir
compris le point de vue de l’autre avant de porter un
jugement. Son expérience lui enseigne qu’il peut obtenir
plus en découvrant ce que son adversaire recherche
vraiment qu’en utilisant une argumentation brillante pour
faire valoir ses propres positions.
Le bon négociateur n’hésite pas à formuler des
demandes fermes au point de départ et ne se montre pas
immédiatement ouvert aux compromis. Ouvrir la porte
à son adversaire est un aveu de faiblesse et ce dernier ne
pourrait qu’en abuser. Celui qui est perçu comme étant
sur la défensive sera bousculé sans merci. Les gestes
audacieux, par contre, donnent une impression de force
et impressionnent les interlocuteurs.
Au cours de la négociation, il faut bien sûr faire des
compromis. L’habile négociateur sait que, s’il doit se
montrer inflexible sur les points qu’il considère les plus
importants, il doit faire des concessions sur les autres.
Mais il insiste sur le respect de la règle de réciprocité :
toute concession doit être suivie par une ouverture équi-
valente de la part de l’adversaire, ce qui ne l’empêche pas
de maximiser l’importance de ses propres concessions et
de minimiser la valeur de celles de l’opposant.
Choisir le bon moment pour présenter de nouvelles
propositions est parfois plus conséquent encore que la
substance des offres ou des concessions. Par exemple,
lors des sommets socioéconomiques de la fin des années
1990, le premier ministre Bouchard laissait monter les
attentes et, lorsque tous les participants voyaient que le
LES TALENTS Í D£VELOPPER s 

gouvernement était incapable de les satisfaire toutes et en


arrivaient à penser que le sommet serait un désastre, il
sortait une grosse carte de son jeu et ralliait tout le monde
en misant sur le fait que personne ne veut se voir respon-
sable d’un échec. En tant que négociateur expert, il savait
qu’avoir utilisé cette carte plus tôt aurait été un simple
coup d’épée dans l’eau. Au moment propice cependant,
le geste s’avérait être la clé du succès.
Une tactique favorite des négociateurs est l’intimida-
tion. Les plus chevronnés ne se laissent pas prendre à ce
jeu, car ils savent qu’il ne s’agit que d’une tactique de
négociation : ils décodent que ce n’est pas l’adversaire qui
est intimidant, mais que ce sont ses comportements qui
se veulent déconcertants. Si l’autre partie utilise des tac-
tiques déloyales, le négociateur expérimenté les dénonce
aussitôt. Toute attitude inacceptable qui n’est pas relevée
est une forme d’exploitation et ne peut qu’engendrer de
l’agressivité, de la rancœur et une rupture de la commu-
nication.
Pour avoir du succès, les négociateurs doivent faire
preuve de beaucoup de patience et de contrôle de soi. Ils
ne doivent jamais donner l’impression qu’ils sont pressés.
Ils doivent aussi être à l’aise avec le silence, être attentifs
au langage corporel de l’adversaire et utiliser eux-mêmes
le non-verbal.

Le langage non verbal


Les gens gèrent assez bien leur discours, mais le langage
non verbal est beaucoup plus difficile à maîtriser. Les
gestes du corps transmettent en effet, sans qu’on s’en
rende compte, des informations qu’on cherche à
 s LES FONCTIONNAIRES

dissimuler. Qu’il s’agisse du positionnement des mains et


des pieds, du déplacement des bras et des jambes, de la
posture du thorax ou du mouvement de la tête, du visage
et des yeux, chaque geste a une fonction d’adaptation,
d’expression ou de défense au niveau tant conscient
qu’inconscient. Alors que le canal verbal transmet d’abord
de l’information, les canaux non verbaux transmettent
des attitudes et des émotions. Ceux qui sont en mesure
de saisir la signification de ces gestes disposent d’un
avantage énorme dans la communication.
Les individus sont rarement conscients de leur posture
et de leurs gestes. Le non-verbal véhicule souvent des
messages différents de ceux que transmet la voix. Le
langage corporel peut être décodé consciemment ou
inconsciemment par les interlocuteurs et peut avoir
beaucoup plus d’influence que la parole, car le non-verbal
est énormément plus révélateur de la réalité que les mots.
Ceux qui sont capables de faire ce décodage ont un pas
d’avance sur les autres. Par contre, ceux qui choisissent
d’ignorer le langage non verbal se privent de la plus
grande partie de la communication. De nombreux
ouvrages ont été publiés sur le sujet et, même si les divers
auteurs ne s’accordent pas sur tous les points, il n’en existe
pas moins des consensus sur un bon nombre d’aspects.

Interprétation des gestes

On peut savoir qu’une personne raconte un mensonge si


elle se touche ou se frotte le nez. Chez les enfants, le geste
est plus flagrant : ils se mettent les deux mains sur la
bouche quand ils mentent. Les adolescents se frottent
légèrement le tour de la bouche. Chez l’adulte, se toucher
LES TALENTS Í D£VELOPPER s 

le nez est une version déguisée de se cacher la bouche. De


la même façon, se frotter le lobe de l’oreille est pour
l’adulte un geste qui s’apparente à ceux des enfants qui
mettent les deux mains sur leurs oreilles pour ne pas
entendre les réprimandes de leurs parents. C’est le geste
de ceux qui estiment qu’ils en ont assez entendu.
Une personne qui parle en toute franchise ouvre les
bras et montre la paume de ses mains. Au contraire, celle
qui croise les bras ou les jambes démontre une attitude
négative ou défensive. Croiser à la fois les bras et les
jambes indique qu’on s’est retiré de la conversation. Les
mains croisées sont un geste de frustration et la hauteur
à laquelle on tient les mains croisées témoigne de la
profondeur du sentiment négatif : une personne qui tient
les mains croisées en s’appuyant sur les coudes sera plus
difficile à convaincre que celle dont les mains reposent sur
une table. Celle qui balaie la table pour enlever la poussière
imaginaire manifeste son rejet de l’information présentée
et son désir d’ignorer les messages qui sont en contradic-
tion avec ce qu’elle pense. Ce même geste de balayage
effectué sur les vêtements exprime la volonté de faire fi
des arguments de son interlocuteur.
Dans le même ordre d’idées, passer une main ou les
deux sur le haut des cuisses de façon répétitive montre le
manque d’intérêt envers l’interlocuteur et le désir de le
voir déguerpir rapidement. Les mains portées au visage
signifient que des pensées négatives passent par l’esprit.
Il peut s’agir d’appréhensions, d’incertitudes ou de décep-
tions. Le sourcil que l’on gratte avec le bout de l’index est
aussi un signe de doute.
Pour éviter de croiser les bras et d’afficher ainsi une
attitude hostile, les gens s’en tiennent parfois à des gestes
 s LES FONCTIONNAIRES

moins évidents, par exemple toucher son bracelet de


montre ou, dans le cas d’une femme, serrer son sac à main
sur sa poitrine. Tenir un verre de vin à deux mains permet
aussi à une personne nerveuse de créer une barrière moins
évidente que croiser les bras.
Un individu qui garde les mains dans ses poches tout
en s’expliquant trahit qu’il a quelque chose à cacher. Celui
qui tient une jambe repliée à deux mains indique qu’il
tient absolument à ses positions et ne veut pas en déroger.
Se frotter le cou est un signe d’incertitude ou de frustra-
tion. Ce geste est décrit par les anglophones comme un
pain in the neck gesture !
Les attitudes agressives s’affichent de plusieurs façons,
par exemple en serrant les poings. Celui qui, les bras dans
le dos, agrippe son poignet avec l’autre main exhibe une
tentative de contrôle de soi, comme s’il voulait s’empêcher
de frapper son interlocuteur. Plus haut est placée la main
qui agrippe, plus la colère est grande. La personne qui se
tient debout avec les mains sur les hanches communique
aussi une attitude d’agressivité. Il s’agit d’une posture de
domination, un signe de défi aux individus qui empiètent
sur son territoire.
Tout autant que les attitudes négatives, les sentiments
positifs s’expriment aussi par des gestes. Ainsi, les deux
mains reliées par le bout des doigts en forme de pyramide
sont un signe de confiance en soi et, parfois, le geste
d’arrogance de celui qui sait tout. Si une personne faisant
ce geste touche aussi sa bouche après avoir posé une
question, on peut être sûr qu’elle connaît la réponse et
tente uniquement de mesurer les connaissances de son
interlocuteur.
LES TALENTS Í D£VELOPPER s 

Placer les mains dans le dos est aussi un signe de


confiance en soi et quelquefois de supériorité. Ce geste,
en exposant l’estomac, le cœur et la gorge, révèle une
attitude d’assurance et d’aplomb. Les mains croisées
derrière la tête dénotent qu’une personne se sent
confiante, supérieure ou dominante. Ce signe indique
aussi que la personne revendique la propriété de son
territoire.
Plusieurs gestes sont associés à la prise de décision.
Celui qui sait les décoder peut déceler qu’une décision
négative est sur le point d’être rendue et intervenir pour
éviter que cette décision soit verbalisée et se donner ainsi
le temps de faire valoir d’autres arguments. Il s’agit d’un
avantage tactique considérable. Ainsi, une personne assise
qui met un pied devant l’autre et pose les mains sur les
cuisses indique qu’elle est prête à prendre une décision.
Il en est de même pour quelqu’un qui se frotte le menton.
Si ces gestes sont suivis par le croisement des bras ou des
jambes, c’est signe que la décision sera négative. Par
contre, des gestes comme ouvrir les bras et montrer les
paumes de la main indiquent que la décision sera positive.
Celui qui enlève et remet continuellement ses lunettes,
ou qui les nettoie, signifie qu’il a besoin de plus de temps
pour prendre une décision. La personne qui, au cours
d’une conversation, remet ses lunettes exprime son désir
de considérer les faits de nouveau.
Dans un contexte social, le langage non verbal s’avère
extrêmement révélateur. Ainsi, deux personnes en discus-
sion face à face peuvent tourner la tête vers un troisième
individu pour enregistrer sa présence, mais, si elles ne
bougent pas le corps, c’est que le nouveau venu n’est pas
invité à se joindre à elles. De la même façon, si, au cours
 s LES FONCTIONNAIRES

d’un échange entre trois personnes, deux d’entre elles se


tournent pour se faire face, c’est qu’elles veulent exclure
la troisième. C’est le signe pour cette personne de quitter
si elle veut éviter l’embarras.
Si une personne a la tête tournée vers son interlocuteur
mais que son corps se trouve dans un angle de 45°, c’est
qu’elle désire fuir l’échange verbal. C’est seulement si le
corps est tourné vers l’interlocuteur qu’une conversation
significative pourra avoir lieu. Pendant qu’une personne
parle, si elle tourne son torse ou ses pieds vers la sortie
tout en continuant de regarder son interlocuteur, c’est
qu’elle a décidé de mettre fin à la conversation.
Savoir placer les gens autour d’une table est primordial
pour obtenir leur coopération. La position à 90° au bout
d’une table rectangulaire est l’arrangement normal pour
une discussion décontractée. Cependant, s’asseoir du
même côté de la table que son interlocuteur est la position
la plus stratégique pour présenter un dossier et le faire
accepter. La difficulté est toutefois de prendre cette place
sans donner l’impression à l’autre personne d’envahir son
territoire. On peut contourner cette difficulté en faisant
asseoir un allié de l’autre côté de la table, ce qui permet
« d’être du même bord » que son interlocuteur sans
paraître s’imposer.
Par contre, s’asseoir en face d’un interlocuteur crée une
atmosphère de compétition et place cette personne sur la
défensive. La table devient une barrière entre les deux
parties. Il s’agit cependant d’une façon pour un supérieur
d’affirmer son autorité face à un subalterne. Si l’objectif
est d’obtenir le point de vue ou de gagner la coopération
d’une personne, il est cependant toujours préférable de
mettre son interlocuteur à l’aise et d’éviter de le défier.
LES TALENTS Í D£VELOPPER s 

Sachant que leurs comportements peuvent être décodés


et que leurs gestes peuvent les trahir, plusieurs personnes
font des efforts conscients pour camoufler leurs agisse-
ments et supprimer les gestes les plus évidents. Il s’avère
cependant beaucoup plus difficile de camoufler les signes
transmis par les yeux. Le regard peut livrer des signaux
très révélateurs sans qu’on le sache. Par exemple, les
pupilles agissent de façon tout à fait indépendante de la
volonté : des phénomènes, des personnes ou des objets
qui présentent de l’intérêt ou suscitent une attirance
entraînent une dilatation, alors que l’apathie, le désinté-
ressement et l’hostilité les amènent à se contracter. C’est
ce qui fait qu’on ne peut trouver de meilleur porte-parole
des sentiments que le regard. Les yeux qui s’entreferment
COMME POUR lLTRER LINFORMATION INDIQUENT LA M£lANCE 
un regard par-dessus les lunettes signifie que l’interlocu-
teur est loin d’être convaincu et dénote même que ce
JUGEMENT EST IRR£VOCABLE  DES YEUX SANS CESSE EN MOUVE-
ment qui vagabondent dans tous les sens traduisent un
manque d’engagement personnel, de l’inconfort ou de
l’indifférence.
Ce qu’on appelle le charisme est largement un produit
du langage non verbal. Il s’agit d’un ensemble de postures
et de gestes qui visent à transmettre un message humain
ou amical. Les meilleurs politiciens arrivent à projeter les
émotions avec leur corps et se soucient moins de ce qu’ils
disent que de la façon de le dire. Ainsi, l’ancien premier
ministre Jean Chrétien transmettait à travers ses gestes et
ses mouvements une image bon enfant, terre à terre, fils
du peuple. Il avait une connaissance étonnante du voca-
bulaire propre au langage gestuel.
 s LES FONCTIONNAIRES

Plus une personne est haut placée dans l’échelle socioé-


conomique, moins elle bouge et gesticule. L’économie de
mouvements confère un air présidentiel aux chefs d’État
et de gouvernement. Le pape en impose à ses interlocu-
teurs en faisant des mouvements très lents. Pour illustrer
l’extrême opposé, mentionnons l’exemple des adolescents
qui, en effectuant beaucoup de mouvements qui n’ont
aucune signification particulière, révèlent leur immaturité,
contrairement aux personnes mûres qui exécutent des
gestes dans des buts précis.

L’utilisation du langage non verbal

La connaissance qu’une personne a du langage non verbal


est un atout essentiel dans ses relations avec les autres. La
capacité d’interpréter les signaux des autres et de prendre
conscience de ses propres gestes permet à un individu de
fonctionner plus efficacement. En observant son propre
langage non verbal, une personne peut décoder ce qu’elle
ressent et se rendre compte de la façon dont les autres la
perçoivent. Les plus roublards peuvent aussi utiliser le
langage non verbal pour manipuler les autres.
Lorsqu’on dit qu’une personne est intuitive, on fait
référence à sa capacité de lire les indices non verbaux pour
les comparer aux messages verbaux. Par exemple, en
observant ses interlocuteurs, une personne peut savoir
s’ils sont intéressés par ce qu’elle dit ou s’ils sont scepti-
ques. Les femmes sont généralement plus intuitives que
les hommes. Elles ont un œil plus exercé pour observer
les petits détails. L’intuition est particulièrement obser-
vable chez les mères qui ne peuvent compter sur la parole
pour établir une communication avec leur bébé. Certains
LES TALENTS Í D£VELOPPER s 

prétendent même que ces dernières acquièrent de cette


façon un formidable entraînement qui peut ensuite leur
servir en toutes circonstances.
La personne qui voit son interlocuteur se croiser les
bras ou balancer une jambe pendant qu’elle parle a besoin
de réagir immédiatement pour amener ce dernier à être
plus réceptif. Il ne servirait à rien de continuer dans la
même ligne de pensée. Tant que l’auditeur adopte des
gestes négatifs, il demeure fermé à toute influence. Il faut
faire en sorte qu’il adopte des gestes positifs si l’on veut
qu’il fasse preuve d’ouverture. Le fait de décroiser les bras
et les jambes rend une personne plus ouverte à la com-
munication. Une façon d’y parvenir est de se pencher vers
elle les paumes de main ouvertes et lui dire : « Je vois que
vous avez une question. » Ou bien : « Qu’est-ce que vous
en pensez ? » En prenant ainsi une position d’écoute, on
peut arriver à modifier les attitudes.
Une façon pour une personne de démontrer son accord
avec une autre est d’adopter la même posture qu’elle.
Cette technique est appelée « l’effet miroir ». Copier les
gestes d’une personne est une façon de lui dire qu’on
l’apprécie. Ce faisant, on la met à l’aise et on la rend
réceptive. Tout en empruntant cette position, on peut, en
tournant le torse directement vers son interlocuteur, lui
signifier qu’on veut une réponse franche à une question.
On peut donner plus d’efficacité à cette demande en fixant
le triangle formé par les yeux et le front de la personne
tout en limitant le plus possible les mouvements du visage
et les autres gestes. L’intonation de la voix peut encore
renforcer la pression exercée sur l’interlocuteur, par
exemple si on lui dit d’un ton décidé : « Es-tu sûr de ce que
tu dis ? » Par ailleurs, si l’on veut diminuer la pression, on
 s LES FONCTIONNAIRES

place le torse à angle droit avec l’interlocuteur. Ce dernier


se sent alors plus libre de s’exprimer comme il le désire
sans se sentir intimidé.
Certains apprennent à utiliser les gestes pour tromper.
Par exemple, comme les paumes de la main sont associées
à la franchise, les plus retors ouvrent les mains et sourient
tout en mentant. Mais des gestes plus subtils peuvent les
trahir, comme un sourcil relevé, une contraction du coin
de la bouche ou le rétrécissement des pupilles. Ces micro
gestes sont plus difficiles à maîtriser que les mouvements
des bras et des mains et les plus observateurs peuvent les
détecter et déjouer ainsi la manipulation.
Les gestes de manipulation font aussi partie des tech-
niques des adeptes des jeux politiques. Par exemple, un
patron qui veut intimider un subalterne envahit son
espace. Le fait de se pencher au-dessus du bureau de
l’employé désarçonne ce dernier et le rend nerveux et mal
à l’aise. S’appuyer sur le cadre de porte du bureau d’un
interlocuteur tout comme prendre sa chaise représentent
aussi des intrusions du territoire de cette personne et
constituent des techniques d’intimidation.
La communication non verbale prend autant sinon plus
de place que le langage dans les relations humaines. Elle
est omniprésente. Il importe donc d’être attentif aux
messages que les gens envoient par leur posture et leurs
gestes. Ceux qui s’impliquent dans les jeux politiques sont
conscients que leurs gestes peuvent les trahir et sont donc
toujours sur leur garde.
LES TALENTS Í D£VELOPPER s 

La maîtrise de soi
Dans un monde de compétition, un des impératifs est de
ne jamais laisser l’émotif prendre le dessus sur le rationnel
et de conserver en tout temps la plus grande maîtrise de
soi. Les gestes faits sous le coup de l’émotion ou motivés
par la colère ou la vengeance sont rarement les plus
judicieux. Ceux qui jouent pour gagner ne perdent jamais
leurs intérêts de vue et agissent par calcul.
Toute situation comporte habituellement une part de
rationnel et une part d’émotif. Plus la part d’émotif est
grande, plus la situation est épineuse. Il devient alors
difficile de discuter, de s’expliquer et de négocier. C’est
pourquoi apprendre à maîtriser ses émotions est une des
habiletés les plus importantes qu’un fonctionnaire peut
acquérir pour assurer le succès de sa carrière.
Les émotions ont la particularité de suivre une spirale
pouvant rapidement devenir difficiles à maîtriser. Elles
entraînent les gens dans des attaques personnelles qui ne
produisent jamais rien de bon et qui peuvent laisser des
cicatrices profondes. Elles mettent les gens sur la défensive
et rendent les échanges très difficiles.
La première règle de conduite dans toute situation
tendue est de ne pas s’engager dans les échanges émotifs
et d’éviter de personnaliser les problèmes. Celui qui reste
calme alors que les autres se mettent en colère possède
un avantage tactique indéniable, car il est en mesure de
tirer les ficelles. Le fait de laisser les gens exprimer leurs
frustrations et leurs émotions est parfois suffisant pour
lénifier une situation. Ça permet de faire sortir la pression
de la marmite et de créer les conditions pour que les
 s LES FONCTIONNAIRES

protagonistes puissent échanger entre eux et trouver des


solutions.
Certains savent utiliser la colère de façon stratégique
pour passer un message. Il s’agit cependant d’une tactique
pleine d’embûches, car, bien que des employés puissent
être intimidés par la colère d’un supérieur, ce dernier
risque de perdre le respect de ses subalternes. Les gens
hésitent à faire confiance à une personne qui a peu de
maîtrise d’elle-même.
Celui qui contrôle ses émotions et sait gérer les conflits
d’une manière professionnelle est en position de pouvoir.
En conservant son calme alors que les autres se fâchent,
il peut rester maître de la situation. Au contraire, celui qui
exprime ses sentiments révèle son talon d’Achille et
s’expose à ce que les autres en profitent pour mettre ses
nerfs à vif et lui faire perdre contenance.
Les plus habiles aux jeux politiques ne baissent jamais
la garde. Ils font attention à tout ce qu’ils disent, car ils
savent qu’il y a toujours quelqu’un qui est prêt à répéter
leurs paroles au patron pour prouver sa loyauté et gagner
des points. Il y a toujours un risque d’être cité hors
contexte et de voir ses réflexions rapportées de la façon
la plus négative possible. La sinistre réalité d’un monde
politisé à l’extrême est que les fonctionnaires ont dans leur
entourage des espions et des agents doubles toujours à
l’affût de l’information et capables de la transmettre aux
adversaires. Les plus habiles arrivent à piéger les espions
en leur donnant de fausses informations afin de lancer les
rivaux sur de mauvaises pistes.
Dans tel contexte, quand une personne demande de
l’information, il est prudent de rechercher la raison pour
laquelle elle veut la connaître et de s’interroger sur les
LES TALENTS Í D£VELOPPER s 

individus à qui elle est susceptible de la répéter. Si la


personne a la réputation de déformer l’information ou de
présenter des renseignements biaisés ou tronqués, la
réponse doit être fournie sous forme écrite. Il est d’ailleurs
toujours risqué de fournir de l’information verbalement.
Les plus prudents confirment toujours par note ou par
courriel de façon à conserver une trace. Même si la per-
sonne fait partie de son camp, elle peut toujours se ranger
plus tard avec les adversaires et essayer alors de tendre des
pièges.
Comme la fonction publique est une organisation qui
ne pardonne pas les erreurs, les plus habiles sont à l’affût
de tout ce qui est dit sur leur compte. Si on leur rapporte
quelque chose qu’ils auraient dit et qui peut les mettre
dans l’embarras, ils réagissent immédiatement et se
mettent en mode de gestion des dommages. Jamais ils ne
prennent un tel incident à la légère. Ils s’efforcent de
rectifier les faits et de dissiper immédiatement les malen-
tendus.
Il ne s’agit là que d’une des tactiques utilisées par ceux
qui veulent s’assurer de gagner aux jeux politiques. Ces
derniers doivent déployer bien d’autres tactiques pour
s’assurer de mettre en œuvre leurs stratégies et d’atteindre
leurs objectifs.
#HAPITRE 
Les tactiques utilisées

L es tactiques utilisées dans les jeux politiques sont


aussi nombreuses qu’il y a de joueurs et de situations
différentes. Il serait utopique d’essayer de les recenser
toutes. Certaines, cependant, sont plus répandues que
d’autres et ce sont elles qui font l’objet du présent
chapitre.

Soigner son image personnelle


Dans un monde politique, l’image est la réalité.
Contrairement à ce que dit le proverbe, « c’est l’habit qui
fait le moine » ! Même si la fonction publique n’a pas de
code vestimentaire formel, les dirigeants regardent la
façon dont l’employé s’habille comme une indication de
ce qu’il est comme personne : s’il est habillé de façon
négligée, on pensera qu’il est une personne débraillée.
Plus conservatrice est son apparence, plus on le percevra
comme un penseur solide et une personne de confiance.
Un individu flamboyant risquera de ne pas être pris au
sérieux et d’être marginalisé.
Une tactique gagnante est de copier le style des per-
sonnes qui occupent des postes plus élevés. Ceux qui
LES TACTIQUES UTILIS£ES s 

tiennent à se démarquer ne doivent le faire qu’avec un


seul objet, soit un bijou, des chaussures tendance, un sac
à main ou une mallette. Les femmes, en particulier, doi-
vent éviter certains pièges, entre autres ceux de sembler
trop jeune ou trop sexy. Elles attireront bien sûr l’atten-
tion, mais pour les mauvaises raisons. Elles sèmeront le
doute parmi les gestionnaires et ne seront pas considérées
pour les postes plus élevés qui commandent le pouvoir et
le respect.
Il existe aussi des pièges pour les hommes. Ces derniers
doivent s’assurer d’avoir des vêtements bien repassés, car
une tenue échevelée donne une image échevelée. Ils
doivent consacrer le temps et l’énergie nécessaires pour
faire coïncider leur apparence avec le message qu’ils
veulent transmettre. Qu’ils en soient conscients ou non,
leur apparence est constamment jugée par les supérieurs,
bien que ce genre de choses ne soit pas discuté
ouvertement.
Les fonctionnaires doivent aussi être conscients de ce
qu’ils placent sur leur pupitre et sur les murs de leur
bureau, car ces détails lancent des messages sur ce qui est
important pour eux. Le bureau ne doit pas être transformé
en salon. Il ne doit surtout pas y avoir de jouets, ni d’objets
de collection, car ceux-ci risquent d’influencer les juge-
ments sur les préoccupations et le niveau de maturité des
personnes. Une bonne façon de procéder est d’observer
le genre de choses que le patron, ou mieux encore le
supérieur hiérarchique, a dans son bureau et de s’en ins-
pirer. Les livres qui sont dans la bibliothèque doivent être
choisis avec soin et doivent renforcer l’image à trans-
mettre. Les autres livres doivent être cachés dans les
tiroirs.
 s LES FONCTIONNAIRES

Les fonctionnaires astucieux laissent des dossiers sur


leur pupitre et utilisent la plus grande partie de l’espace
disponible pour montrer qu’ils ont beaucoup de travail.
Ils les rangent cependant le soir pour indiquer qu’ils sont
organisés et au-dessus de leurs affaires. Ils savent qu’un
bureau encombré donne l’impression d’un esprit désor-
donné et qu’un bureau trop à l’ordre peut dénoter que
l’employé n’est pas très occupé.
Pour projeter une image d’une personne entièrement
dédiée à son travail, les plus ambitieux n’hésitent pas à
sacrifier leur vie personnelle et à passer de très nombreuses
heures au bureau, car une telle abnégation impressionne
les patrons et les collègues. Ils s’arrangent, bien sûr, pour
que tout le monde le sache, même si leur productivité
n’est pas nécessairement fonction des heures passées dans
les lieux de travail.
Comme les résultats ne sont pas mesurables, les plus
rusés font valoir leur performance en mettant l’accent sur
leur charge de travail élevée, leurs heures supplémentaires
et le nombre de problèmes qui leur sont confiés de façon
à donner l’impression qu’ils sont très occupés. Ils comp-
tent sur le fait que la perception que les autres ont de leurs
efforts et de leurs succès est plus importante que les faits
eux-mêmes.
Les roublards ont l’art de présenter le travail des autres
comme s’il s’agissait du leur. Une autre de leurs tactiques
est de faire en sorte de recevoir une copie de tout ce qui
se fait et, en prenant connaissance des efforts de tous, de
donner l’impression de tout connaître. Ils utilisent de
nouveaux mots et de nouveaux concepts et semblent être
des employés extraordinaires aux yeux de leurs supérieurs.
Ils n’hésitent pas à consacrer beaucoup de temps à
LES TACTIQUES UTILIS£ES s 

promouvoir leurs réalisations réelles ou imaginaires, alors


que la plupart des autres se contentent de faire conscien-
cieusement leur travail. Ces derniers passent alors pour
des gens qui ne sont chargés que de tâches faciles et
routinières.
Parmi les activités les plus rentables pour les carrié-
ristes, on retrouve celles de construire et d’utiliser leur
réseau de contacts.

Construire et utiliser un réseau de contacts


Celui qui décide de jouer le jeu politique sérieusement
adopte une approche systématique pour se construire un
réseau. Il multiplie les occasions de faire de nouvelles
connaissances, cible les personnes dont il lui semble pri-
mordial de se faire connaître et recherche les meilleurs
moyens de les aborder. Il vise ensuite à obtenir le plus de
renseignements possible sur ces contacts, tant en ce qui
concerne le travail, que la famille et les passe-temps. Ces
informations lui sont d’une aide précieuse pour se rap-
procher de ces personnes, avoir à leur égard des attentions
personnalisées et renforcer les liens.
Comme cela peut représenter une somme abondante
d’informations, l’adepte de la micropolitique ne se fie pas
simplement à sa mémoire, mais enregistre ces renseigne-
ments à l’aide d’un ordinateur de poche ou d’un autre
outil électronique et les met continuellement à jour. Il
consigne aussi tous ses suivis, qu’il s’agisse d’appels télé-
phoniques, de courriels, de notes ou de rencontres per-
sonnelles. Il analyse les résultats de ces diverses commu-
nications et évalue les tactiques qui fonctionnent le mieux.
Il prend soin de noter tout ce que ses contacts font pour
 s LES FONCTIONNAIRES

lui et ce qu’il fait pour eux, par exemple fournir de l’in-


formation, présenter une autre personne ou accorder des
faveurs. Lorsqu’il a réussi à consolider ses relations, il
n’hésite pas à solliciter des conseils ou de l’aide tout en
s’assurant qu’il y ait réciprocité, car les deux parties doi-
vent toujours trouver leur bénéfice dans l’échange.
Un des plus grands avantages d’un réseau est de donner
la possibilité de procéder par intermédiaires. Par
exemple :
s CONNA¦TRE LA POSITION DU PATRON SUR UN ENJEU EN
s’adressant à l’adjoint de ce dernier, ce qui permet
DADAPTER SES INTERVENTIONS EN CONS£QUENCE 
s DEMANDER LOPINION DES AUTRES PAR PERSONNE INTER-
posée de façon à cacher ses propres intentions et
faire en sorte d’identifier les adversaires avant qu’un
PROJET NE SOIT D£VOIL£ 
s SOLLICITER UNE FAVEUR SANS RISQUER DE SE FAIRE DIRE NON
et sans contracter de dette si la faveur est
ACCORD£E 
s LANCER LES ADVERSAIRES SUR DE FAUSSES PISTES ET LES
amener ainsi à révéler leurs positions et à accroître
leur vulnérabilité.
La joute bureaucratique est un sport d’équipe. Il est
bien difficile d’affronter les adversaires sans avoir d’alliés.
Le bon opérateur politique crée des alliances avec les
personnes qui ont du pouvoir et cherche à s’insérer dans
les coalitions gagnantes. La coalition dominante dans un
ministère est habituellement composée d’un noyau dur
de fonctionnaires qui ont de l’ancienneté dans l’organisa-
tion, d’associés qui sont un peu plus distants et de nou-
veaux membres. Pour être accepté parmi ces derniers, il
faut établir de bonnes relations avec plusieurs adhérents
LES TACTIQUES UTILIS£ES s 

de la coalition et éviter toute parole et tout geste pouvant


être perçu comme négatif par les membres du noyau
dur.
Si une personne est rejetée par la coalition, l’arriviste
s’en éloigne aussitôt pour éviter d’être considéré comme
un adversaire. Il ne prend pas le risque d’être associé à
l’opposition simplement parce qu’il veut conserver de
bonnes relations avec cette personne ou la soutenir dans
son épreuve. Toute action pouvant être interprétée
comme une prise de position à l’encontre de la coalition
doit être évitée, car ce ne sont pas les gestes objectifs qui
sont importants, mais l’interprétation qui risque d’en être
faite.
Certains membres du noyau dur n’ont pas leur nom
dans l’organigramme officiel du ministère. Ce sont cepen-
dant des personnes proches du pouvoir et qui détiennent
beaucoup d’information. Les fonctionnaires rusés peuvent
apprendre beaucoup de choses d’elles en les côtoyant
autour de la machine à café, à la cafétéria ou dans les
activités sociales. Ils font en sorte de découvrir qui est leur
conjoint, qui sont leurs amis et les membres de leur
parenté, avec qui ils font du covoiturage, avec qui elles
échangent de l’information et de qui elles apprennent les
rumeurs. L’analyse de ces liens permet d’ouvrir des voies
de communication et d’avoir accès à l’information
stratégique.

Acquérir et utiliser l’information


Les gens ne communiquent pas facilement l’information
qu’ils possèdent. Ils font souvent de longs détours pour
transmettre ce qu’ils ont à dire et révèlent rarement le
 s LES FONCTIONNAIRES

fond de leur pensée. Ils ont plusieurs versions des faits et


modulent leurs remarques selon l’interlocuteur auquel ils
s’adressent. Même s’ils disent la vérité, ils la présentent
de manière à la faire percevoir d’une certaine façon.
Certains mentent tout en utilisant des mots qui leur
laissent une porte de sortie afin d’expliquer que ce n’est
pas ce qu’ils voulaient dire. Même de bons amis peuvent
parfois induire leur interlocuteur en erreur parce qu’ils
cherchent à lui faire plaisir ou veulent éviter de le
contredire.
Il est donc souvent nécessaire d’utiliser des moyens
indirects pour obtenir l’information qu’on désire. Une des
tactiques couramment utilisée est de faire poser les ques-
tions par une personne avec qui l’interlocuteur se sent en
confiance. Par exemple, lorsqu’un gestionnaire veut
recueillir de l’information sur une personne qu’il désire
recruter, il n’obtiendra généralement que des renseigne-
ments vagues et peu utiles en s’adressant à un informateur
qu’il ne connaît pas. Par contre, si les questions sont
posées par une personne qui a établi des liens de confiance
avec l’informateur, il sera plus facile d’obtenir la vérité.
Les plus rusés utilisent toutes sortes de trucs pour
savoir ce que pensent réellement leurs interlocuteurs :
s POSER DES QUESTIONS LOUFOQUES POUR LES FAIRE
R£AGIR 
s AFlRMER DES FAUSSET£S POUR V£RIlER LEURS R£ACTIONS 
s FAIRE DES ALL£GATIONS Í LENCONTRE DUNE PERSONNE
POUR VOIR SI LINTERLOCUTEUR PRENDRA SA D£FENSE 
s PR£SENTER UNE HYPOTHÞSE COMME UN FAIT AV£R£ POUR
tester si elle sera confirmée ou démentie.
Une autre tactique des roublards est de mentionner des
faits qu’ils connaissent en laissant entendre qu’ils en savent
LES TACTIQUES UTILIS£ES s 

beaucoup plus afin d’amener l’interlocuteur à parler sans


se méfier. À défaut d’obtenir une réponse directe, le lan-
gage non verbal pourra dévoiler la réponse.
Lorsqu’ils réussissent à obtenir des informations sen-
sibles, les plus rusés contrôlent étroitement l’usage qui
est fait de cette information. Ils ne la révèlent que lorsque
cela est nécessaire et seulement à des gens en qui ils ont
une grande confiance. Pour s’assurer de la discrétion de
leur interlocuteur, ils recourent à la technique du test qui
consiste à confier un secret à quelqu’un et à vérifier
ensuite s’il y a eu des fuites.
L’information obtenue permet de faire des liens avec
les renseignements que l’on possède déjà et de découvrir
ainsi d’autres secrets. Elle permet aussi de peaufiner ses
stratégies et de mieux atteindre ses objectifs. Le fait d’être
« dans le coup » aide à poser les bonnes questions et laisse
supposer aux interlocuteurs que celui qui les pose est en
relation avec les gens importants dans le ministère et est
au courant de réalités que les autres ignorent. Cette
information contribue aussi à soutenir ses initiatives et à
défendre ses idées et ses projets.
Certains sont passés maîtres dans l’utilisation des
communications informelles. Il existe dans les organisa-
TIONS DE MULTIPLES R£SEAUX INFORMELS  CES R£SEAUX SONT LA
plupart du temps chapeautés par ceux qui ne détiennent
pas d’autorité formelle, mais qui ont accès au pouvoir, par
exemple les adjoints des sous-ministres et des cadres
supérieurs. Les personnes astucieuses savent tirer bénéfice
de ces réseaux dont plusieurs participants sont inexpéri-
mentés, naïfs ou victimes. La caractéristique la plus
avantageuse des réseaux informels est que l’information
y circule beaucoup plus rapidement que l’information
 s LES FONCTIONNAIRES

officielle et qu’en plus elle n’est pas filtrée. Pour le com-


binard qui veut vendre ses projets, il s’agit là d’une res-
source avantageuse.

Vendre ses projets


Avant de soulever une idée controversée, de discuter d’un
point qui a des répercussions considérables ou de proposer
un nouveau projet, l’habile manœuvrier prépare soigneu-
sement le terrain. Il établit une liste des personnes
concernées et clarifie les objectifs à atteindre avec chacune
de ces personnes. Il les rencontre ensuite individuellement
dans un contexte informel pour engager le dialogue. Ces
rencontres sont indispensables pour sensibiliser les inter-
locuteurs, car les gens n’aiment pas les surprises quand
un enjeu les affecte. Elles sont aussi très utiles pour déceler
les points de friction et élaborer de nouveaux arguments.
Notons en passant que, lorsque ce même intrigant est
lui-même objet de lobbying de la part d’un collègue, loin
de fermer la porte, il se demande aussitôt ce qu’il pourrait
exiger en retour de son appui. Car celui qui exerce la
sollicitation se met en état de dépendance, ce qui fait que
son interlocuteur est bien placé pour énoncer ses
conditions.
Celui qui a une idée ou un projet à vendre doit savoir
utiliser le temps en sa faveur. Il est parfois sage de prendre
son temps et de laisser évoluer les choses. Jouer avec le
temps est un des aspects les plus déterminants des tacti-
ques bureaucratiques. La règle fondamentale est qu’il ne
faut jamais agir avec précipitation. Poser des gestes sous
l’inspiration du moment est rarement de bonne guerre.
Il vaut mieux se donner le temps de réfléchir, de consulter
LES TACTIQUES UTILIS£ES s 

et de bâtir une solide coalition. Pour faire traîner les


choses sans risque d’être critiqués, les plus astucieux
confient des mandats à d’autres personnes, créent des
groupes de travail ou forment un comité dont les mem-
bres sont difficiles à réunir. En laissant la situation évoluer,
ils se donnent la possibilité de choisir le meilleur moment
pour agir.
Il y a cependant des circonstances où il faut agir vite
car tout délai peut s’avérer désastreux. C’est le cas lors des
situations de crise.

Gestion de crise
Quand une personne qui joue le jeu politique est impli-
quée dans un scandale, a commis une erreur ou s’est mis
les pieds dans les plats, elle se met immédiatement en
mode « gestion de crise ». Sa réputation étant en jeu, elle
ne prend rien à la légère. Tout atermoiement est exclu.
Elle effectue d’abord une analyse objective de la situation :
quels faits sont connus ? Quels autres faits sont susceptibles
d’être révélés ? Quelle est la part du vrai et du faux ?
Quelles conséquences sont à prévoir ?
Elle utilise ensuite toutes les tactiques d’un avocat : nier
avec véhémence ce qui est faux, rechercher les circons-
tances atténuantes pour ce qu’elle ne peut pas nier, relever
des précédents, utiliser la contre-attaque, mobiliser ses
alliés et trouver un bouc émissaire.
Il importe surtout pour le carriériste d’éviter d’être
blâmé. Toute erreur laisse une marque dans son dossier.
Cela ne peut que nuire. En évitant de reconnaître qu’on
a fait une erreur, on évite d’avoir à s’excuser. Les amis
s’empresseront d’oublier l’incident et les adversaires
 s LES FONCTIONNAIRES

hésiteront avant d’attacher le grelot, de peur de se voir


accusés à leur tour.
Le fonctionnaire lucide cherchera à tirer des leçons des
épisodes négatifs. Il est essentiel de revenir sur ce qui s’est
passé : qui était impliqué ? Qu’est-ce qui était recherché ?
Quelles actions ou quelles paroles ont provoqué les
réactions indésirables ? Quelles en ont été les consé-
quences ? Il n’est pas pertinent de se dire qu’il faut
apprendre de ses erreurs, car il importe plutôt d’avoir
conscience des comportements qui doivent être modifiés
pour éviter que la même situation ne se répète. C’est par
la réflexion, l’analyse et la pratique de nouveaux compor-
tements que les erreurs pourront être évitées. Les plus
lucides pratiqueront les nouvelles façons de faire avec un
coach pour obtenir une rétroaction sur le contenu de leur
message, le ton, la sincérité et le non-verbal.
Dans la fonction publique, les erreurs sont cependant
imputées le plus souvent à l’organisation plutôt qu’à un
individu étant donné la difficulté de situer les responsabi-
lités de chacun. Lorsqu’un gestionnaire doit défendre son
organisation, la gestion de crise implique les étapes sui-
vantes :
s ANALYSER LA SITUATION 
s R£V£LER RAPIDEMENT AU PUBLIC CE QUI SEST PASS£ 
s SE MONTRER SCANDALIS£ ET EXPRIMER DES REGRETS DE
FA½ON Í COUPER COURT AUX CRITIQUES 
s CERNER LE PROBLÞME ET LISOLER DU RESTE DE LORGA
nisation en le présentant comme un incident
PARTICULIER 
s £LABORER UN PLAN DACTION ET RALLIER TOUT LE MONDE
AUTOUR DE CE PLAN 
s R£PARER LES D£GºTS 
LES TACTIQUES UTILIS£ES s 

s ANNONCER DES ACTIONS PARTICULIÞRES QUI SERONT ENCLEN-


CH£ES POUR REM£DIER AU PROBLÞME 
s DURCIR LES RÞGLEMENTS INSTITUER DE NOUVELLES RÞGLES
ET PROMETTRE UN SUIVI RIGOUREUX 
s D£TOURNER LATTENTION AVEC DE NOUVELLES INITIATIVES ET
miser sur le fait que les gens passent vite à autre
chose.
En plus de la gestion de crise, les plus habiles aux jeux
politiques ont recours à bien d’autres tactiques. Quelques-
unes d’entre elles sont présentées dans les sections qui
suivent sous les rubriques « patron », « employés » et
« collègues ».

Tactiques avec le patron


Comme on l’a vu dans un chapitre précédent, le carriériste
ne s’oppose jamais aux projets du patron, encore moins
si ce dernier est un ministre. Lorsqu’il est nécessaire de
faire des mises en garde, les objections sont énoncées sous
forme d’interrogation plutôt que d’affirmation. Une autre
tactique est d’exposer ses réserves comme des arguments
pouvant être utilisés par les adversaires, par exemple en
préfaçant ses remarques par une phrase telle que : « cer-
tains pourraient dire que… » Pour se montrer positif et
présenter les choses de façon constructive, le fonctionnaire
astucieux fait valoir les arguments qui pourraient être
invoqués pour contrer de telles objections.
Un fonctionnaire lucide ne tient jamais pour acquis que
son patron lui dira clairement ce qu’il veut ou ce qu’il
n’aime pas. Les gens ont peur de l’affrontement et se
contentent le plus souvent de passer des messages indi-
rects. Certains gestionnaires emploient des tactiques
 s LES FONCTIONNAIRES

tortueuses telles que déplacer l’employé insatisfaisant vers


un autre emploi, le mettre sur une voie d’évitement ou
lui faire la vie dure pour l’amener à muter dans un autre
ministère. Le subalterne qui veut éviter un tel sort doit
être très attentif aux remarques de son patron et déployer
toutes les tactiques de l’écoute active pour encourager ce
dernier à exprimer ce qu’il a derrière la tête. Si le patron
perçoit de la contrariété ou de la résistance de la part de
l’employé, il se refermera comme une huître. La seule
chance du subalterne de ne pas être pris au dépourvu est
de considérer toutes les remarques de son patron comme
des conseils à suivre plutôt que comme des reproches qui
commandent une riposte.
Les arrivistes considèrent que leur patron est leur
premier client. La valeur « service à la clientèle » tellement
clamée dans la fonction publique n’est pour eux qu’un
slogan creux. Il leur importe surtout que le patron sache
ce qu’ils font pour les administrés. Une tactique efficace
est de demander au client d’écrire ses commentaires ou,
mieux encore, d’en faire état de vive voix au patron. Toute
activité ou tout geste qui n’apporte rien de concret dans
leur relation avec le patron est considéré comme inutile.
Par contre, tout ce qui retient l’attention du supérieur est
considéré prioritaire, car c’est ce qui risque d’avoir le plus
d’importance dans l’évaluation du rendement. Déplaire
aux clients a peu de conséquences, car le fonctionnaire
roublard s’assurera qu’un tel comportement joue en sa
faveur en se posant en défenseur de la loi et des
règlements.
Les employés avisés savent que se baser sur leur
description d’emploi pour déterminer ce qu’ils doivent
faire ou ne pas faire n’est pas une bonne idée. Ils cherchent
LES TACTIQUES UTILIS£ES s 

plutôt à profiter de toutes les occasions pour entreprendre


des actions qui vont dans le sens désiré par le patron et
qui leur permettent de se faire valoir. Ils se demandent
constamment ce qu’ils ont à gagner ou à perdre dans
chacune des circonstances et agissent en conséquence.

Tactiques avec les employés


Les adeptes des jeux politiques savent que, pour gagner
des batailles dans une bureaucratie, il faut être bien
entouré. Le carriériste se préoccupe donc en tout premier
lieu de se constituer une équipe qui soit la plus large
possible et qui deviendra son fief, sa base de pouvoir. Il
met en œuvre divers moyens pour instaurer un sentiment
d’appartenance au sein de cette équipe afin de mieux
asseoir son autorité et d’amener tout le monde à accepter
des objectifs communs.
L’adhésion à un groupe répond d’ailleurs à un désir
profond des individus qui cherchent naturellement à
s’identifier à un clan et en retirent un sentiment de sécu-
rité. Dans les sociétés primitives, l’appartenance à une
tribu était une question de survie mais, dans les bureau-
craties, cette tendance à former des clans conduit à la
fragmentation des organisations et à la création de silos
qui constituent des barrières artificielles et qui entraînent
des divisions, des antagonismes et des conflits. Cette
situation se traduit dans le langage courant par le « nous »,
les autres étant tous des adversaires.
Le gestionnaire politiquement habile utilise les luttes
bureaucratiques à son avantage pour grimper dans la
hiérarchie et gagner plus de pouvoir. Son défi cependant
est de maintenir l’unité de son équipe et de se faire obéir.
 s LES FONCTIONNAIRES

Il doit éviter que des subalternes prennent trop de place


et en viennent à représenter une menace. Il les met en
compétition les uns avec les autres pour mieux conserver
son autorité. Il fait en sorte qu’aucun d’eux ne se croie
indispensable. Il camoufle soigneusement ses objectifs
politiques et fournit l’information au compte-gouttes.
Une des tactiques utilisées est de garder tous les mem-
bres de l’équipe sur la défensive en se montrant imprévi-
sible. La plupart des gens sont routiniers et ont un besoin
inné de sécurité. Le fait de voir les autres se conduire de
manière prévisible leur donne un sentiment de contrôle.
Quand ils savent à l’avance comment une personne se
comportera en telle ou telle circonstance, ils peuvent
calculer les gestes à faire pour obtenir la réaction désirée.
Par contre, si un patron se montre imprévisible, il désar-
çonnera facilement ses subalternes, les intimidera et
conservera ainsi l’initiative. Les gens n’arriveront pas à
comprendre les motifs derrière les gestes et n’oseront pas
entreprendre quoi que ce soit à l’encontre du patron.
Si un employé prend trop de place, le supérieur retors
n’hésite pas à lui mettre les bâtons dans les roues ou à faire
traîner les choses en ne prenant pas de décision. Après
avoir paralysé son action durant quelques mois, il peut,
par exemple, organiser une réunion avec les cadres supé-
rieurs, relancer le projet et en confier la responsabilité à
quelqu’un d’autre. Il s’affirme ainsi comme le véritable
meneur de jeu.
D’autres tactiques peuvent aussi être utilisées pour se
débarrasser d’un subalterne encombrant, une des plus
tordues étant d’accorder une promotion à un poste pour
lequel il ne possède pas les qualifications et de le démettre
ensuite pour incompétence. Il est plus courant toutefois
LES TACTIQUES UTILIS£ES s 

de créer un emploi bidon et de « tabletter » l’individu qui


pose problème.
Les patrons les plus roublards utilisent toutes sortes de
moyens pour manipuler les employés. Ils jouent entre
autres sur l’espoir en profitant de la tendance qu’ont les
gens à penser que les choses auxquelles ils croient forte-
ment vont arriver. L’espoir est un désir accompagné
d’attente qui se traduit par une croyance irrationnelle en
un résultat positif. L’espoir est ainsi plus fort que la
mémoire, ce qui permet au manipulateur de perpétuer
son manège et de faire miroiter des promesses non tenues
en misant sur la crédulité des gens.
Une autre tactique est de faire croire à l’employé que
toute réponse favorable à une demande est une faveur
importante, même lorsqu’il s’agit d’un bénéfice prévu par
un règlement ou une convention collective. Le patron
rusé ne donne jamais rien sur-le-champ. Il prend son
temps, prétend qu’il s’agit de quelque chose de compliqué,
que les ressources sont limitées, etc. Il vise à convaincre
le subalterne que rien ne lui est dû et que ce dernier doit
être redevable au supérieur de tout ce qu’il obtient. Par
contre, s’il sait à l’avance qu’une faveur demandée sera
refusée par les services administratifs parce qu’elle est
contraire à la réglementation, il peut l’accorder et laisser
au « système » le soin de rejeter la demande. Il fait ainsi
croire à l’employé qu’il prend partie pour lui et qu’il n’est
pour rien dans sa déconfiture.
Il importe enfin de signaler un aspect de la relation
entre patrons et subalternes qui s’avère particulièrement
énigmatique : il s’agit de la reconnaissance du travail
bien fait.
 s LES FONCTIONNAIRES

La reconnaissance

Un des plus puissants facteurs de motivation pour les


employés est la reconnaissance au travail. Plusieurs son-
dages effectués au sein de la fonction publique l’ont
d’ailleurs démontré. La reconnaissance satisfait les besoins
HUMAINS DãTRE ENTENDU APPR£CI£ ET RECONNU ELLE REHAUSSE
l’estime de soi. Les employés qui voient leur contribution
reconnue en retirent de la fierté et du plaisir à travailler. Ils
sont aussi incités à améliorer leurs compétences, à mieux
assumer leurs responsabilités et à devenir plus productifs.
L’absence de reconnaissance au travail est cependant
une des critiques les plus répandues des fonctionnaires. Il
convient de se demander pourquoi les gestionnaires de la
fonction publique sont si avares de témoignages de recon-
naissance envers leurs subalternes. Soulignons à ce propos
que, pour pallier cette carence, le Conseil du trésor fédéral
a élaboré une politique de reconnaissance visant à expli-
citer les bonnes pratiques en cette matière. Des ministères
et des organismes québécois se sont aussi dotés de politi-
ques de reconnaissance.
La prescription de règles en matière de reconnaissance
conduit toutefois à des façons bureaucratiques de remer-
cier les employés pour leurs efforts, par exemple l’envoi
d’une lettre type à tous les participants d’un projet réussi
ou la remise d’un cadeau après 25 années de service. Ce
type de témoignage tend à être perçu de façon cynique
par les employés et a peu d’effet mobilisateur sur eux.
Les témoignages de reconnaissance personnalisés et
authentiques sont les plus efficaces. Ce sont ceux qui font
référence à une contribution particulière et marquante et
qui sont transmis de vive voix, au moyen d’une note
LES TACTIQUES UTILIS£ES s 

manuscrite, ou effectués en public. Ce sont aussi les plus


rares. Peu de fonctionnaires peuvent se targuer d’en avoir
reçu plusieurs au cours de leur carrière.
La reconnaissance, en effet, correspond plus aux agis-
sements des leaders qu’à ceux des bureaucrates. Il a été
amplement démontré plus haut que les pratiques de
gestion d’une bureaucratie sont orientées vers le contrôle
plus que vers la motivation des employés.
Deux raisons en particulier peuvent expliquer les
réticences des gestionnaires de la fonction publique à offrir
des témoignages de reconnaissance personnalisés : d’une
part, reconnaître un travail particulièrement bien fait
exige une certaine dose d’humilité, car les gens sont
naturellement portés à juger la contribution des autres
PAR RAPPORT Í CE QUILS CROIENT ãTRE CAPABLES DE FAIRE  IL LEUR
faut donc s’avouer que le travail de leur subalterne est au
moins aussi bon que ce qu’ils auraient eux-mêmes pu
ACCOMPLIR  DAUTRE PART LES PATRONS PEUVENT CRAINDRE
qu’un témoignage de reconnaissance ne se traduise aux
yeux de l’employé comme une dette et veulent éviter de
se sentir redevables à un subalterne.
Cette deuxième raison permet d’expliquer pourquoi
un gestionnaire qui quitte son emploi, soit pour occuper
un autre poste, soit pour prendre sa retraite, se montre
moins réticent à distribuer des témoignages de reconnais-
sance aux employés qu’il laisse derrière lui.

Tactiques avec les collègues


Une des tactiques les plus fructueuses dans la fonction
publique est de demeurer en bons termes avec tous ses
collègues et d’éviter de se faire des ennemis. Les efforts
 s LES FONCTIONNAIRES

requis pour ce faire ne sont pas astreignants : saluer


chacun des collègues tous les jours, ne serait-ce qu’en
disant « bonjour », « comment ça va ? », « as-tu passé une
BONNE lN DE SEMAINE  w  ALLER D¦NER AVEC EUX  PRENDRE PART
AUX ACTIVIT£S SOCIALES ET SPORTIVES ORGANIS£ES PAR LE BUREAU 
SI UN COLLÞGUE EST Í LH¯PITAL LUI ENVOYER UNE CARTE  SI
quelqu’un a besoin d’aller chercher sa voiture au garage,
OFFRIR DE LY AMENER  Í LOCCASION DUNE R£UNION SI UN
goûter n’est pas offert à la pause-café, apporter les beignes,
les muffins et les fruits. Toutes ces petites attentions ne
coûtent pas cher et rapportent gros.
Il est important de sourire. Ceux qui ne le font pas
passent pour des individus sournois ou hostiles et les gens
se méfient d’eux. D’autres peuvent croire qu’ils sont gênés
et sont portés à les bousculer ou à leur conférer une
réputation de personnes antipathiques.
Le fonctionnaire perspicace qui a des problèmes avec
un collègue s’adresse directement à la personne concernée
au lieu de s’en plaindre aux autres, au patron ou à la
direction du personnel. Il explique calmement ce qui ne
va pas et de quelle façon il en est affecté. La pire chose à
faire est de demeurer passif, d’endurer ou d’exprimer ses
sentiments de façon négative. Il arrive, en effet, que l’autre
personne ne soit pas consciente du problème et de l’in-
fluence que celui-ci peut avoir sur les autres. La situation
peut habituellement être corrigée sans trop de difficultés
si l’on a pris garde de la laisser s’envenimer.
La nature compétitive du travail dans la fonction publique
ne se prête pas à l’établissement de relations d’amitié. Les
fonctionnaires clairvoyants considèrent préférable de
conserver une certaine distance avec leurs collègues. Ils
évitent de partager avec eux leurs objectifs, leurs sentiments
LES TACTIQUES UTILIS£ES s 

et leurs opinions sur des sujets sensibles, car ces informations


peuvent être utilisées à leur encontre. Certains voient le
monde du travail comme un endroit pour se faire des amis.
Mais les amitiés survivent rarement aux aléas des mouve-
ments dans la hiérarchie. La dure réalité est que les amis
d’aujourd’hui deviennent facilement les adversaires de
demain lorsque la carrière est en jeu. Ces faux amis n’hési-
teront pas à utiliser les confidences qui leur ont été faites
pour torpiller ceux qui sont devenus des adversaires.
Certaines personnes sont comme des livres ouverts.
Elles disent ce qu’elles ressentent et émettent des opinions
toutes les fois qu’elles en ont l’occasion. Elles pensent qu’en
étant honnêtes elles pourront disposer favorablement les
gens à leur égard. Mais une telle honnêteté peut tout aussi
bien offenser les autres. Il est beaucoup plus prudent de dire
aux gens ce qu’ils veulent entendre que d’exprimer des
jugements susceptibles de les contrarier. Les plus rusés en
disent le moins possible, ce qui amène leurs interlocuteurs
à combler les silences et à faire toutes sortes de commen-
taires qui révèlent des informations significatives sur eux-
mêmes et qui dévoilent leur vulnérabilité.
Lorsqu’un fonctionnaire demande à un collègue de
participer à un projet, ce dernier s’interroge naturellement
sur ce qu’il peut retirer de cette contribution. Dans une telle
circonstance, plusieurs tactiques peuvent être utilisées :
s LAPPROCHE MINIMALE FAIRE LE MINIMUM DEFFORTS SOIT
TOUT JUSTE LE N£CESSAIRE POUR £VITER LA R£PROBATION
s LA POUDRE AUX YEUX  FAIRE SEMBLANT DE COLLABORER
MAIS RESTER INACTIF 
s LE R¯LE DE SOUTIEN  £VITER DACCEPTER DES RESPONSABI-
lités et laisser aux autres le soin de prendre le projet
SUR LEURS £PAULES 
 s LES FONCTIONNAIRES

s LOPPORTUNISME  ATTENDRE AVANT DE PARTICIPER POUR


VOIR SI LE PROJET VA R£USSIR OU NON  SIL R£USSIT EN
PRENDRE LE CR£DIT  SIL £CHOUE SEN D£GAGER LE PLUS
vite possible.
Pour combattre un projet qui leur est défavorable, les
plus retors camouflent leur opposition et font semblant
de le soutenir tout en ajoutant des éléments qui le rendent
trop lourd, trop coûteux et déstabilisant. Ils réussissent
ainsi à couler le projet tout en faisant mine de l’appuyer.
Une autre tactique déviante utilisée par les combinards
à l’encontre d’un adversaire est d’éviter de s’opposer à une
décision qu’ils savent erronée et de laisser aller les choses
jusqu’à l’éclatement, ce qui leur permet alors de pointer
le coupable. Ainsi, au lieu de ne remporter qu’une petite
victoire en contestant une mauvaise décision, ils rempor-
tent une bataille stratégique en coulant l’adversaire ainsi
pris au piège.
La tactique du bouc émissaire est un autre moyen
utilisé par les roublards pour se donner le beau rôle et se
sortir d’un mauvais pas. Dans une situation où un projet
commence à mal tourner, le tacticien s’emploie à
convaincre un collègue naïf d’accepter la responsabilité
du groupe ou du processus qui est le plus critique au
succès du projet. Pour ce faire, il lui fait miroiter la chance
d’acquérir une expérience exceptionnelle ou des possibi-
lités d’avancement. Il attend alors que le projet déraille
complètement et, saisissant le moment où un rapport
d’avancement doit être présenté, il lui fait porter le cha-
peau et lui attribue tout le blâme.
Il ne s’agit là que l’un des nombreux traquenards aux-
quels sont exposés les fonctionnaires. Ces derniers doivent
être vigilants pour éviter de nombreux autres pièges.
Chapitre 16
Les pièges à éviter

P lus une organisation est politisée, plus les pièges


sont nombreux. Certains de ces pièges sont reliés à
l’éducation reçue et aux modèles de comportements
appris. Plusieurs découlent de la culture organisationnelle
particulière de la fonction publique. D’autres émanent des
techniques et des outils utilisés dans l’administration.

Modèles de comportement appris à l’université


Un bon nombre de fonctionnaires, en particulier ceux qui
se destinent aux postes supérieurs, sont passés par le cégep
ou l’université. Certains comportements appris au cours
des études supérieures ne s’appliquent pas dans le monde
du travail et sont même contre-indiqués.
Les étudiants n’ont pas à courtiser les professeurs, à
socialiser avec leurs confrères ni à développer leurs talents
sociaux. Avoir la parole facile n’aide pas à réussir les exa-
mens. La loyauté n’est pas une qualité importante. Poser
des questions, par contre, est une façon de démontrer son
intérêt et son dynamisme.
Les professeurs aiment qu’on leur pose des questions
difficiles. Soulever des questions est la chose la plus
 s LES FONCTIONNAIRES

naturelle du monde au cégep et à l’université. Mais poser


des questions à un patron est synonyme de dresser des
obstacles. Celui qui le fait est perçu comme faisant partie
du problème au lieu d’être à la recherche de solutions. On
dira de lui qu’il n’a pas l’esprit d’équipe. À cause des
comportements appris à l’école, les gens ne voient pas
l’effet que produisent leurs questions. Ils peuvent facile-
ment s’aliéner leurs supérieurs. Poser des questions
auxquelles le patron n’a pas la réponse sera interprété
comme un geste d’insubordination, car ce dernier pensera
qu’on veut le piéger. Dans l’administration, il faut au
contraire poser des questions permettant au patron de se
mettre en valeur et de mieux expliquer ses idées. Se faire
l’avocat du diable est vu comme une contestation de
l’autorité.
Les débats à l’université visent à approfondir les connais-
sances et à rechercher la vérité. Ce sont des exercices rhé-
toriques où aucun intérêt n’est en jeu. Les étudiants peuvent
faire étalage de leur savoir et afficher leur brillance intellec-
tuelle. L’important est de faire une bonne performance
devant toute la classe et de gagner le débat. Dans le contexte
du travail, cependant, défendre une idée est interprété
comme une prise de position en faveur d’un groupe contre
un autre groupe. Critiquer un point de vue est perçu
comme une attaque contre celui qui défend cette façon de
voir. Dans la fonction publique, contrairement à l’université,
on valorise le consensus et la conformité. Il est important
de se retrouver dans le bon camp et d’y être accepté.
L’université a entre autres pour mission la recherche
et la diffusion des connaissances. Les professeurs doivent
publier des livres et des articles dans les revues scientifi-
ques. L’information y est vue comme un bien qui doit être
LES PIÞGES Í £VITER s 

partagé par le plus de gens possible. Elle a, en effet, la


particularité de ne pas perdre sa valeur même si elle est
distribuée à beaucoup de monde. Dans l’administration,
au contraire, l’information est une source de pouvoir. Elle
est utilisée comme monnaie d’échange et elle a d’autant
plus de valeur que peu de gens y ont accès.
Un bon travail à l’école se mesure grâce à des critères
établis d’avance. Dans le monde du travail, donner les
bonnes réponses ne suffit pas. Le processus d’évaluation
est beaucoup plus subjectif. Les étudiants habitués de se
voir attribuer des « A » ou des « B+ » à l’université sont
vexés, insultés et humiliés d’avoir un « C » lors de leur
première notation de rendement, alors qu’ils sont
convaincus d’avoir consacré autant sinon plus d’efforts à
leur travail qu’ils l’avaient fait pour leurs études. Comme
on l’a vu dans la première partie de l’ouvrage, les « A » et
les « B » sont contingentés dans la fonction publique et
sont accordés de façon très parcimonieuse.

Gagner en argumentant
Un autre comportement appris à l’école et qui n’a pas sa
place dans la fonction publique, ni d’ailleurs dans le
monde du travail en général, est de rechercher une victoire
à coups d’arguments. Gagner en argumentant n’est pas
une bonne stratégie, parce que ça provoque du ressenti-
ment et de la rancœur chez l’interlocuteur. Les gens
n’aiment pas les personnes qui ont l’air de tout savoir ou
qui veulent les impressionner. Il vaut mieux utiliser des
voies indirectes que d’affronter ses interlocuteurs.
Le problème quand on gagne en argumentant est
qu’on ne peut pas être certain de la façon dont les autres
 s LES FONCTIONNAIRES

vont réagir. Même si, sur le coup, les gens se disent


d’accord avec les arguments présentés, ils auront tendance
à revenir à leurs propres opinions parce qu’ils s’y sentent
à l’aise. De plus, les mots sont souvent interprétés suivant
les humeurs et les sentiments d’insécurité de l’interlocu-
teur. Une parole peut offenser les autres sans qu’on s’en
rende compte.
Les gens ont tendance à comprendre ce qui fait leur
affaire, entre autres ce qui confirme leurs préjugés. Si les
affirmations qui sont faites vont à l’encontre de leurs
pensées profondes, ils passent outre et ne sont nullement
ébranlés dans leurs convictions.
Au lieu d’essayer de gagner une joute oratoire, les
fonctionnaires perspicaces présentent des faits plutôt que
des opinions. En faisant état de renseignements provenant
de sources objectives et de circonstances hors de la volonté
des personnes concernées, ils laissent leurs interlocuteurs
tirer leurs propres conclusions au lieu d’en faire une
question personnelle et de donner l’impression qu’ils
veulent que les autres se rangent à leur propre opinion.
Ils peuvent aussi faire valoir ce qui est dans l’intérêt de
leurs interlocuteurs et leur exposer ce qu’ils peuvent gagner.
Une autre tactique est de semer des idées et de faire en sorte
que le temps travaille pour eux en laissant les gens évoluer
sans qu’ils s’en aperçoivent. Car, si le temps peut faire
comprendre aux gens que la voie choisie est la meilleure,
ils ne perdent pas leur temps à argumenter.

Faire des suggestions sans en avoir le droit


Certains pensent qu’ils peuvent se montrer dynamiques,
enthousiastes et faire bonne impression en présentant de
LES PIÞGES Í £VITER s 

nombreuses suggestions à leur patron. Mais de telles


suggestions faites avant que ne soit établi un lien de
confiance seront plutôt perçues comme des menaces.
L’employé qui veut démontrer son intelligence et prouver
sa valeur en donnant des conseils ne fera qu’indisposer
son supérieur.
Il doit d’abord démontrer du respect et de l’appréciation
pour les choses qui ont été faites avant lui et attendre
qu’on lui demande précisément de travailler à leur amé-
lioration avant de formuler des suggestions. Les patrons
sont responsables d’élaborer et de maintenir les systèmes
et les pratiques et n’apprécient pas qu’on critique leur
travail. L’individu qui se risque à le faire pourra être vu
comme un fauteur de troubles.
Pour gagner le droit de faire des suggestions, l’employé
doit démontrer de l’estime pour les personnes clés au sein
de l’organisation et de la considération pour les politiques
en place. Il ne doit pas penser que le patron est préoccupé
par les améliorations à apporter. Dans la fonction publique,
on a tendance à appliquer le précepte « si ça marche,
n’essayez pas de le réparer » (If it isn’t broken, don’t fix it).
Même lorsque le patron se rend compte qu’il y a un
problème et qu’il doit s’en occuper, ça ne veut pas dire
qu’il accueillera positivement les suggestions des employés.
Comme la plupart des gens aux prises avec des difficultés
dont la solution n’est pas évidente, il exigera d’abord que
les personnes qui le conseillent écoutent ce qu’il a à dire,
comprennent bien les problèmes et lui donnent le temps
de réfléchir aux solutions possibles dans un contexte
sécurisant. Les suggestions doivent suivre l’établissement
du lien de confiance et non le précéder.
 s LES FONCTIONNAIRES

Se montrer plus brillant que le patron


Une erreur commune pour un jeune fonctionnaire est de
penser qu’en déployant ses talents il gagnera l’affection
de son supérieur. Dans une organisation axée sur le
pouvoir, se montrer plus brillant que le patron est la pire
bévue qu’on puisse faire. Ce dernier pourra feindre
d’apprécier, mais, à la première occasion, il remplacera
l’employé impudent par un autre moins menaçant.
La plupart des gens souffrent d’insécurité et, lorsqu’un
individu se montre trop intelligent, il suscite du ressenti-
ment et de l’envie, ainsi que bien d’autres manifestations
d’insécurité. Le fonctionnaire habile fera en sorte que son
patron puisse se croire plus brillant qu’il ne l’est en réalité
et il en sera récompensé. En faisant appel aux connais-
sances et à l’expertise de ce dernier, il lui démontrera à la
fois son respect et son admiration. Même lorsqu’il aura
réussi à gagner l’affection de son supérieur, le roublard ne
tiendra pas son statut pour acquis et continuera à le flatter,
à lui demander conseil et à faire semblant que toutes les
bonnes idées viennent de lui.
Une forme commune d’insubordination est de ne pas
laisser le dernier mot à son patron. Certains employés ne
voient même pas qu’il s’agit d’un manque de respect, car
ils ne comprennent pas l’importance du concept du der-
nier mot. Concéder le dernier mot indique que l’employé
respecte la position du patron et est à l’aise avec sa propre
place dans la hiérarchie. Pour ces raisons, il laisse son
supérieur dominer la discussion et lui donne le soin de
conclure. Insister pour avoir le dernier mot est un défi à
l’autorité et indique une lutte de pouvoir dont il est bien
rare que le subalterne sorte gagnant.
LES PIÞGES Í £VITER s 

Déposer un grief
Le dépôt d’un grief est une autre forme de contestation
de l’autorité. Même si le grief est fondé, le fait qu’il soit
déposé officiellement est perçu comme une attaque
contre l’organisation. Il en est de même des appels après
un concours de promotion et des plaintes de harcèlement
ou autres. Même si le droit de loger des griefs, des appels
et des plaintes est inscrit dans les lois et les règlements et
que l’exercice de ce droit est tout à fait légitime, l’employé
qui y a recours est marqué au fer rouge. Il est considéré
comme un lépreux, qu’il ait raison ou non. La méfiance
demeurera très longtemps.
Les autorités sont bien conscientes que certaines déci-
sions ne font pas l’affaire de tout le monde et que certains
comportements des gestionnaires peuvent laisser à désirer.
Elles s’attendent toutefois à ce que les employés fassent
part de leurs récriminations d’abord à leur patron puis, au
besoin, à leur supérieur hiérarchique. La façon normale de
régler de tels problèmes est de les traiter confidentiellement,
de les analyser posément et de leur apporter une solution
dans l’intérêt à la fois de l’organisation et des individus
concernés. Avoir recours à des procédures officielles et à
des écrits témoigne d’un manque de confiance envers
l’autorité et est vu comme un défi. Il s’agit d’une remise en
question de la relation employeur-employé et d’une
démonstration que le plaignant se considère plus important
que l’organisation. Une telle contestation de la part d’un
employé est considérée comme encore plus condamnable
si elle risque d’être rendue publique, car, dans ce cas, elle
entache la réputation non seulement de la personne qui est
mise en cause par la plainte, mais de toute l’organisation.
 s LES FONCTIONNAIRES

Il arrive que certains employés aillent plus loin et


fomentent le dépôt d’un grief collectif. Un tel geste est
perçu comme rien de moins que de la mutinerie. En
réaction à une telle attaque, les gestionnaires opposent
invariablement un front commun. Les autorités appuient
fermement le membre de la direction qui fait l’objet d’une
telle contestation pour éviter de donner du pouvoir aux
employés. Car, si ces derniers avaient gain de cause ou
semblaient simplement déstabiliser momentanément
l’organisation, ils pourraient être tentés d’utiliser à
nouveau leur pouvoir et la hiérarchie risquerait d’être
affaiblie.

S’appuyer sur les employés


Étant donné le degré de politisation de la fonction
publique, les relations entre les patrons et les employés
sont guidées par des considérations d’ordre politique. Les
théories de gestion préconisent la mobilisation et la
collaboration des employés en vue d’atteindre les objectifs
de l’organisation. Dans le secteur privé, ces théories sont
plus faciles à mettre en œuvre parce qu’on ne fait pas face
au problème propre à l’administration publique qui est
celui de la dichotomie entre les objectifs officiels et les
objectifs cachés.
Les entreprises performantes sont celles qui soutirent
un maximum de performance de la part de leurs employés.
Elles réussissent à le faire en les associant à la définition
de la mission, de la vision et des objectifs de l’organisation,
en les informant des bons et moins bons coups de
l’entreprise, en les tenant au courant du cheminement des
LES PIÞGES Í £VITER s 

projets et de l’évolution des dossiers et, enfin, en étant à


l’écoute des employés.
Lorsque les objectifs sont politiques, l’organisation est
incapable de faire montre de la même ouverture pour
deux raisons : d’abord, parce que de tels objectifs sont
perçus comme illégitimes de la part des employés et, par
CONS£QUENT NE PEUVENT ENTRA¦NER LADH£SION  ENSUITE
parce qu’il est essentiel que ces objectifs demeurent
confidentiels pour éviter de fournir des munitions à
l’adversaire. Les risques d’indiscrétions, en effet, s’accrois-
sent exponentiellement avec le nombre d’individus qui
partagent un secret.
Les gestionnaires de la fonction publique n’ont pas
tendance à miser sur la participation des employés.
Comme ils ne sont pas récompensés pour la performance
de leur équipe, ils n’ont pas à se soucier de productivité,
mais uniquement du respect des règles. Toute tentative
de mobilisation peut facilement se retourner contre eux
s’ils ne peuvent pas compter sur la complicité de la totalité
des membres de l’équipe. Il suffit d’un seul dissident pour
que des « enveloppes brunes », comme on le dit dans le
jargon, se mettent à circuler.
Ce ne sont pas seulement les patrons qui doivent se
méfier des employés. Ces derniers doivent aussi se méfier
de leurs propres collègues. Le fonctionnaire ambitieux
doit éviter de s’associer aux personnes qui n’ont pas la
faveur des patrons, en particulier celles qui ne semblent
pas loyales ou dont le nom est associé à des échecs ou des
faux pas. Seuls les naïfs croient qu’ils peuvent impunément
s’entourer des gens qu’ils apprécient. Les patrons ont une
façon particulière de voir les relations sociales de leurs
employés : pour eux, ces fréquentations sont des alliances.
 s LES FONCTIONNAIRES

Si un individu est vu en compagnie d’un fauteur de


troubles, il passera lui aussi pour un agitateur.
Les fonctionnaires peu expérimentés qui commencent
dans un nouvel emploi font souvent l’erreur d’utiliser un
pair comme guide en ce qui concerne les politiques de
l’organisation et comme expert en matière de contenus.
Cette approche fait en sorte d’attribuer un ascendant à ce
collègue et de placer le requérant en position d’infériorité.
Lorsque, après un certain temps, ce dernier n’a plus
besoin de cette relation d’aide et veut rétablir le statut de
pair, celui qui se prend pour le mentor refuse souvent de
modifier la relation et réagit négativement aux tentatives
effectuées dans ce sens. Il peut riposter en attaquant son
ancien allié, en contrecarrant ses projets, en critiquant ses
façons de faire, en s’appropriant ses idées et en faisant en
sorte de miner sa confiance en lui. La façon d’éviter une
telle situation est de s’appuyer sur le plus grand nombre
possible de collègues plutôt que sur un seul.

Humilier un adversaire
Quelle que soit la façon de réagir avec un collègue dont
les comportements se sont avérés inconvenants ou qui
s’est transformé en adversaire, il ne faut jamais l’humilier.
Il importe de toujours lui permettre de sauver la face, sans
quoi il deviendra un ennemi pour toujours et portera une
haine tenace à son rival.
Il s’agit là d’une règle absolue, valable aussi bien dans
la fonction publique que partout ailleurs : il faut laisser à
l’adversaire une porte de sortie, même s’il faut pour cela
se faire violence, car les gens humiliés font passer leurs
émotions avant leur raison et sont prêts à tout pour se
LES PIÞGES Í £VITER s 

venger. Ils deviennent irrationnels et ont recours à des


gestes disproportionnés qui, dans les cas extrêmes, vont
jusqu’à l’agression physique. Si l’on ne donne pas à l’ad-
versaire la chance de sauver la face, il se retournera vers
son opposant comme s’il n’avait rien à perdre. Il importe
donc d’éviter de blesser les gens, particulièrement en
présence des autres. Il n’y a pas de cause plus profonde
pour la vengeance qu’une dignité blessée et un statut
entaché.
De la même façon, il faut à tout prix éviter les sar-
casmes. Le prix à payer pour un tel écart dépasse de
beaucoup la satisfaction momentanée qui peut en être
retirée.

Écarts de conduite
Les employés sont constamment observés par leurs
supérieurs et tout écart de conduite est relevé et noté. Les
engueulades et les débordements émotifs sont particuliè-
rement mal vus. À l’exemple des politiciens, les fonction-
naires les plus perspicaces créent un mur entre ce qu’ils
sont personnellement et leur moi professionnel, de façon
à demeurer toujours rationnels. Quand ils quittent la
maison, ils endossent leurs habits de travail et jouent la
partition qui leur est demandée. Tout comme leurs
patrons, les ministres, ils se disent que les ennuis qu’ils
ont et les critiques qu’ils reçoivent ne concernent pas leur
ego, mais seulement leur identité professionnelle. Les
contrariétés sont ainsi considérées de façon détachée et
deviennent beaucoup plus faciles à accepter. Cette
approche leur permet d’éviter d’extérioriser leurs émo-
tions, ce qui serait inévitablement mal perçu.
 s LES FONCTIONNAIRES

Émettre des critiques, exprimer des doléances et faire


état d’opinions négatives sont vus comme autant d’écarts
de conduite. Lorsqu’une personne parle de ce qu’elle
n’aime pas, le seul fait de l’exprimer publiquement en
augmente les répercussions, d’autant plus que les paroles
peuvent sembler plus négatives que ne le sont les senti-
ments réels. Alors que le fonctionnaire qui s’exprime ainsi
peut croire qu’il ne fait qu’exprimer une opinion, le fait
qu’il s’épanche devant ses collègues amène ses supérieurs
à le percevoir comme une influence négative. On ne lui
dira pas de se taire pour ne pas être accusé de brimer son
droit de parole, mais on lui en fera subir les conséquences
d’une façon ou d’une autre.
Un autre comportement à risque est de raconter des
ragots. Peu importe les sujets de potinage, les patrons
n’aiment pas les commérages, point à la ligne. On ne fait
pas confiance aux individus qui commèrent. Si un fonc-
tionnaire est perçu comme source de potins, son statut
dépérira. Les gens craindront que ce dernier colporte
aussi des bobards sur eux. Personne ne dira que le com-
mérage représente un risque, mais l’individu identifié
comme moulin à rumeurs se verra écarté et, souvent, ne
saura même pas pourquoi.
Celui qui se voit accoler une étiquette de commère a
intérêt à se distancer le plus possible du groupe qui
échange de telles informations. Il ne doit pas se laisser voir
en compagnie de ces personnes, même s’il ne fait
qu’écouter et ne parle pas. Sa seule présence fait croire
aux patrons qu’il est d’accord avec ces comportements et
qu’on ne peut pas lui faire confiance.
Pour celui qui veut avancer dans la carrière, rien n’est
plus important que de protéger sa réputation. Les
LES PIÞGES Í £VITER s 

fonctionnaires sont tenus à des standards de probité très


élevés et la moindre incartade en cette matière peut
s’avérer dommageable. Voler du matériel de bureau,
tricher sur les comptes de dépenses ou accepter des
cadeaux de fournisseurs sont des comportements qui
peuvent paraître anodins, car les sommes en jeu sont
insignifiantes par rapport au budget d’un ministère.
Compte tenu cependant des scandales qui ont terni
l’image des gouvernements ces dernières années, il n’y a
pas de péché véniel en ce qui concerne les questions
d’intégrité. Plusieurs bons coups ne parviendront pas à
faire oublier une seule erreur en cette matière.

S’ouvrir au patron
Certains pièges sont plus subtils que d’autres. Faire des
confidences au patron est un de ceux-là. L’employé ne
doit jamais perdre de vue que son supérieur n’est pas un
confident et qu’il a la responsabilité d’évaluer son rende-
ment. En confiant ses sentiments et ses pensées profondes
au patron, il y a un risque de faire surgir dans l’esprit de
ce dernier des impressions négatives et de lui donner une
fausse image de ce qui se passe en réalité. Il faut éviter
d’introduire de la confusion en exprimant des sentiments
qui n’ont rien à voir avec les comportements réels. Le
fonctionnaire avisé fait en sorte que son supérieur ait
toujours la meilleure impression possible de ses capacités
et de ses habitudes de travail. Si une personne se laisse
aller à dire quelque chose qui est contraire à l’image
qu’elle veut projeter, son patron se méfiera d’elle. Même
si elle a eu une mauvaise journée au bureau, la minute où
elle entre dans le bureau de son supérieur elle doit mettre
 s LES FONCTIONNAIRES

un sourire sur son visage et démontrer la plus grande


confiance en elle.
Parce qu’ils passent de nombreuses heures au bureau,
certains fonctionnaires ne font plus la différence entre leur
vie personnelle et leur vie au travail. Ils ne se rendent pas
compte que l’information qu’ils donnent sur leur vie
privée peut affecter leur carrière. Bien des patrons pensent
qu’ils ne peuvent pas confier un mandat important à celui
qui a beaucoup de problèmes personnels. Plus encore, ils
sont nombreux à croire que, si une personne est incapable
de gérer sa vie personnelle, elle ne pourra pas gérer un
projet.
Si un patron confie à un subalterne des informations
personnelles, ce dernier doit résister à la tentation de faire
la même chose. Les seules exceptions concernent les
événements qui ont une influence positive, par exemple
l’obtention d’un certificat d’études, l’attribution d’un prix,
une invitation à prononcer une conférence, de même que
tout événement de nature à renforcer l’image profession-
nelle qui doit être projetée.
Il est bien vu dans la fonction publique de dire que
l’organisation soutient les employés qui ont des problèmes
personnels. Les patrons écouteront ces derniers, mais ce
sera pour mieux les juger et les écarter si les risques sont
considérés trop élevés. C’est pourquoi les fonctionnaires
clairvoyants en disent le moins possible et ne révèlent que
ce qui est absolument nécessaire pour le bon fonctionne-
ment de l’organisation. Par exemple, en cas de maladie,
ils se contentent d’informer le patron de la durée de
l’absence et des conséquences possibles sur les échéan-
ciers. Ils adoptent la même attitude en ce qui concerne
toute une variété de situations qui peuvent avoir une
LES PIÞGES Í £VITER s 

influence sur le travail : grossesse, adoption d’un enfant,


achat d’une maison, divorce, etc.
Un discours à la mode est celui de la conciliation
travail-famille. Les gestionnaires publics se targuent de
soutenir la vie de famille et de laisser croire qu’il est
possible de prendre du temps pour s’occuper des enfants,
mais il y a souvent un fossé entre la parole et les actes.
Des jugements secrets sont passés sur ceux qui font passer
leur vie familiale avant le travail. Ces personnes risquent
d’être laissées de côté pour des mandats exigeants ou des
projets importants. La plupart des patrons peuvent se
montrer flexibles, mais chacun a ses limites que les
employés doivent connaître et s’assurer de ne pas
franchir.

Le piège des courriels


Un des pièges dont les gens se soucient le moins est le
courriel. Ce dernier est perçu comme un message
éphémère qui ne porte pas à conséquence. Il peut bien
sûr être effacé aussitôt après avoir été lu, mais il peut aussi
être imprimé, partagé et distribué. On a même vu des
courriels être affichés sur des babillards par des individus
malveillants dans le but de nuire à leur expéditeur.
Les organisations prennent de façon routinière des
copies de sécurité de tous leurs fichiers électroniques, y
compris les courriels. Ces derniers sont donc conservés
pendant de longues périodes. Ils sont traités comme
n’importe quel autre document électronique et devien-
nent la propriété de l’organisation aussitôt qu’ils sont
saisis par le système. Il ne s’agit donc pas de communica-
tions privées : les courriels appartiennent à l’organisation
 s LES FONCTIONNAIRES

et rien n’empêche les autorités d’avoir accès à ces docu-


ments et d’en prendre connaissance. Par exemple, un
patron peut demander au service de l’informatique de lui
fournir copie de tous les courriels expédiés ou reçus par
un de ses employés au cours de la dernière année. On peut
croire que de telles demandes ne sont pas fréquentes, ne
serait-ce parce que le volume de correspondance peut être
titanesque, mais il est facile d’imaginer que le patron qui
prendrait le temps de lire tous ces courriels pourrait y
trouver une source importante d’informations de nature
personnelle autant que professionnelle.
Le courriel est un moyen de communication plein
d’embûches. Les gens écrivent parfois des choses qu’ils ne
diraient jamais s’ils avaient leur interlocuteur en face
d’eux. Un message peut aussi être mal interprété parce
qu’on ne peut pas y mettre le ton et les inflexions, ni les
accompagner du langage corporel propre aux échanges
en tête-à-tête. Un message bénin pour son expéditeur peut
ainsi être vu comme une accusation ou une menace par
celui qui le reçoit. Si des explications sont nécessaires et
que l’auteur n’est pas en mesure d’apporter des éclaircis-
sements, le lien de confiance entre les deux personnes
peut être détruit.
Les courriels peuvent facilement être expédiés par
inadvertance aux mauvaises personnes. Aussitôt qu’un
courriel a été expédié, on ne peut plus le rattraper. Ce
type d’erreur se produit tous les jours et peut s’avérer
extrêmement embarrassant.
Il est impossible de retirer ou de nuancer ce qui est écrit
dans un courriel comme on peut le faire dans une conver-
sation en personne. On ne peut pas non plus voir la
réaction de la personne qui reçoit le message et corriger
LES PIÞGES Í £VITER s 

le tir. Le destinataire peut aussi citer hors contexte ce qui


est écrit et embarrasser l’expéditeur. Pour éviter les pro-
blèmes, la meilleure règle de conduite est de ne traiter
que de faits et jamais d’enjeux. Les fonctionnaires pru-
dents se gardent d’émettre des opinions et encore moins
des plaintes par courriel. Les plus expérimentés font
comme si leurs courriels pouvaient être lus par tous les
membres de l’organisation et n’écrivent rien qui porte à
controverse.
Le fonctionnaire astucieux se méfie non seulement des
courriels qu’il envoie, mais aussi de ceux qu’il reçoit. S’il
lui arrive d’être le destinataire, même par inadvertance,
d’un message négatif ou incendiaire, il le détruit immé-
diatement et écrit à la personne qui l’a expédiée pour lui
enjoindre de ne plus envoyer de tels messages. Il prend
soin de mettre en copie tous les destinataires du courriel
fautif. De cette façon, il s’assure que personne ne puisse
supposer qu’il est d’accord avec le contenu du message
répréhensible.
C’est en étant constamment sur leurs gardes et en ne
prenant rien à la légère que les fonctionnaires doués pour
les jeux politiques parviennent à s’élever dans l’échelle
hiérarchique et à faire un succès de leur carrière.
Conclusion

E ntre le mythe d’une fonction publique entièrement


dévouée à l’intérêt général et la réalité d’une organi-
sation inféodée à la micropolitique, il y a un énorme fossé.
La fonction publique est cependant une institution indis-
pensable.
Comme on l’a vu, il est utopique de songer à la
réformer en profondeur, car ses fondements reposent sur
le régime démocratique lui-même dominé par la politique
partisane. Quant à extraire la micropolitique de l’organi-
sation, aussi bien rêver à une transformation de la nature
humaine !
L’option vers laquelle il convient de se tourner est la
diversification des modes de prestation des services publics
en mettant à contribution les groupes communautaires,
les organismes sans but lucratif, les fondations, les entre-
prises, les municipalités, bref toutes les institutions de la
société. Partout où il est possible d’introduire la concur-
rence, il faut s’efforcer de le faire. On pourrait ainsi
réduire la taille de la fonction publique, faisant de celle-ci
un moindre mal.
Depuis plusieurs années les gouvernements ont associé
les organismes sans but lucratif et les groupes commu-
nautaires à la livraison de divers services tels que le soutien
CONCLUSION s 

à la recherche d’emploi, la surveillance des personnes en


libération conditionnelle et l’intégration des immigrants.
Ils ont soutenu la création de coopératives pour le loge-
ment social, encouragé les clubs de motoneigistes à
effectuer la patrouille des sentiers de motoneige et amené
divers groupes à participer aux interventions en matière
de sécurité civile. Des municipalités ont confié l’entretien
des patinoires extérieures à des associations de quartier
et obtenu le concours de multiples associations à l’orga-
nisation des loisirs, la gestion des bibliothèques et divers
autres services.
Les nouvelles formes les plus prometteuses de presta-
tion des services publics concernent les partenariats
public-privé (PPP) que les Britanniques appellent Private
Finance Initiatives (PFI contracts). Il s’agit d’un mode de
financement par lequel un gouvernement fait appel à des
prestataires privés pour financer et gérer des équipements
publics. Un cas typique de PPP consiste pour une firme
privée à construire un hôpital public dont elle gérera
ensuite les activités non médicales. De tels partenariats
ont été utilisés avec succès, entre autres pour la construc-
tion et l’entretien d’autoroutes et d’aires de service
d’autoroutes, le transport en commun et la gestion de
l’eau.
L’impartition est une forme de PPP. On l’appelle aussi
externalisation (outsourcing) ou gestion déléguée.
L’impartition comprend la prise en charge, l’exploitation,
la gestion continue et l’amélioration de fonctions entières
de l’organisation, par exemple l’informatique, la paie ou
la comptabilité. Elle peut inclure un transfert d’éléments
d’actif et de personnel. Le client se concentre sur la
définition des résultats à atteindre, laissant au fournisseur
 s LES FONCTIONNAIRES

externe la responsabilité de les livrer. Déjà largement


répandue dans les entreprises, l’impartition est de plus en
plus utilisée par les gouvernements.
Services Nouveau-Brunswick (SNB) est un exemple
particulièrement intéressant de PPP. Cet organisme géré
conjointement par le gouvernement du Nouveau-
Brunswick et une entreprise privée de haute technologie
a été créée en vue de fournir plus de 200 services de
première ligne aux citoyens de la province. Le réseau de
services compte 39 bureaux, un centre d’appels et un
centre de services en ligne (www.snb.ca). Parmi les ser-
vices offerts, on retrouve la distribution de divers permis,
l’immatriculation des véhicules, les registres des biens
mobiliers et immobiliers, l’évaluation foncière, le réseau
géodésique et la cartographie topographique, le registre
des entreprises et divers autres services aux citoyens et
aux entreprises.
Le Québec, pour sa part, n’a pas encore conclu beau-
coup de partenariats public-privé, mais on peut tout de
même mentionner le Système électronique d’appels
d’offres (SEAO). Ce système a été implanté en 2004 dans
le but de remplacer les systèmes « Publication électronique
d’appel d’offres gouvernementaux au Canada (MERX) »
et « Appel d’offres et projet de construction (CIEC) » pour
le Québec. Notons en passant que le gouvernement
québécois ne s’est jamais vanté de cette réalisation qui
d’ailleurs fonctionne très bien.
Des gouvernements ont aussi privatisé complètement
certains services publics, soit en les confiant à des organi-
sations sans but lucratif, soit en les transférant à des
entreprises. Mentionnons, dans le cas du gouvernement
fédéral, les services de contrôle de la circulation aérienne
CONCLUSION s 

maintenant exploités par Nav Canada, une société sans


but lucratif, de même que de nombreux ports et aéroports
dont la gestion a été confiée à des organismes municipaux
ou privés.
Le gouvernement ontarien a confié à Teranet, une
entreprise privée, l’enregistrement des transactions
immobilières et la tenue du registre foncier. Le gouver-
nement albertain, pour sa part, a favorisé la création
d’entreprises appelées Registry Agents afin de prendre en
charge divers services tels que l’immatriculation des
véhicules, les tests de conduite automobile, l’attribution
des permis de conduire et la tenue de divers registres
gouvernementaux, dont le registre des entreprises et tous
les actes administratifs reliés à ce registre, par exemple
l’immatriculation et la dissolution d’entreprises.
Toutes sortes de solutions peuvent être utilisées par les
gouvernements pour réduire le coût des programmes
publics et améliorer la qualité du service aux citoyens et
aux entreprises. Ces solutions passent par l’innovation,
l’expérimentation et les projets pilotes. Il importe avant
tout de ne pas craindre de sortir des sentiers battus et de
ne pas se laisser paralyser par les réactions négatives des
syndicats.
Table des matières

Introduction 7

Partie I
Les secrets de la fonction publique 11

Chapitre 1
Le secteur public et la fonction publique 12
La fonction publique 15
Grandeurs et misères de la fonction publique 20

Chapitre 2
Le politique et l’administratif 21
Qui est le client ? 21
Qui est le patron ? 22
Caractère bicéphale de la fonction publique 23
Comparaison avec d’autres pays 24
Deux catégories d’intervenants 26
Mission et mode de fonctionnement 27
Les clans politiques et la bureaucratie 29

Chapitre 
Les acteurs politiques 32
L’exercice du pouvoir politique 33
Grille de décisions des politiciens 34
Rôle proéminent du premier ministre 35
Les nominations 37
Rôle des ministres 38
Partage du pouvoir 40

Chapitre 4
Les acteurs administratifs 43
Vision et objectifs divergents 43
Tension entre les fonctionnaires et les ministres 45
Les cabinets ministériels 48
Deux catégories de fonctionnaires 50
Les hauts fonctionnaires 52
Les employés de la fonction publique 56

Chapitre 
Une organisation dysfonctionnelle 62
Organisation bancale 62
Une organisation bureaucratique 65
Système hiérarchique lourd 66
Spécialisation des tâches 69
Les règles 72
Conséquences des lourdeurs de la bureaucratie 74
Leviers d’intervention 77

Chapitre 6
Une maison de verre 80
Une organisation vulnérable 80
Les chiens de garde 82
Imputabilité et responsabilité 84
Lois sur l’accès à l’information 86
Chapitre 
Le fonctionnement du système 89
Dynamique entre fonctionnaires et élus 89
L’élaboration des politiques publiques 91
Une machine administrative orientée politiquement 95
La résistance au changement 98
Système de récompenses et de punitions 102

Chapitre 8
Les pratiques administratives internes 104
Gestion du personnel 105
La sélection du personnel 107
L’évaluation du rendement 110
Les relations de travail 113
Gestion financière 116
Un contexte de rationalité politique et administrative 119

Chapitre 
La mesure du rendement 122
La définition des objectifs 122
La problématique politique de la mesure des résultats 124
La problématique administrative de la mesure
des résultats 126
L’évaluation de programmes 129
Les effets pervers de la mesure des résultats 131

Chapitre 10
Les réformes administratives 135
Les raisons qui motivent les réformes 135
Les contraintes 137
Problèmes soulevés par les réformes
administratives 139
Visions utopiques 143
Conclusion 146

Partie II
Les jeux politiques des fonctionnaires 147

Chapitre 11
La micropolitique 152
Degré de politisation 153
La praxis de la micropolitique 155
Les acteurs de la micropolitique 157

Chapitre 12
Les règles à respecter 160
Être loyal au patron 161
Les comportements souhaités 162
Les comportements à éviter 163
Devenir l’entrepreneur de sa propre carrière 167
Le réseautage 167
Faire valoir ses réalisations 169
Se conformer à la culture de l’organisation 171
Anonymat des fonctionnaires 171
L’information en tant que ressource 171
Séparation du travail et de la vie personnelle 173
Observance des règles administratives 174
Le code vestimentaire 175

Chapitre 1
Les stratégies mises en œuvre 177
Soutien de personnes expérimentées 177
Objectifs ambitieux et réalistes 178
Acquisition de réflexes politiques 182
Savoir où se situe le pouvoir 182
Analyser les choses sous l’angle politique 184
Utiliser le pouvoir 186
Recourir aux doubles standards 188

Chapitre 14
Les talents à développer 191
Un apprentissage continu 191
Les relations interpersonnelles 194
La négociation 198
Le langage non verbal 201
Interprétation des gestes 202
L’utilisation du langage non verbal 208
La maîtrise de soi 211

Chapitre 1
Les tactiques utilisées 214
Soigner son image personnelle 214
Construire et utiliser un réseau de contacts 217
Acquérir et utiliser l’information 219
Vendre ses projets 222
Gestion de crise 223
Tactiques avec le patron 225
Tactiques avec les employés 227
La reconnaissance 230
Tactiques avec les collègues 231

Chapitre 16
Les pièges à éviter 235
Modèles de comportement appris à l’université 235
Gagner en argumentant 237
Faire des suggestions sans en avoir le droit 238
Se montrer plus brillant que le patron 240
Déposer un grief 241
S’appuyer sur les employés 242
Humilier un adversaire 244
Écarts de conduite 245
S’ouvrir au patron 247
Le piège des courriels 249

Conclusion 252
CET OUVRAGE EST COMPOS£ EN DANTE CORPS  
selon une maquette réalisée par josée lalancette
ET ACHEV£ DIMPRIMER EN F£VRIER 
sur les presses de l’imprimerie marquis
à cap-saint-ignace
pour le compte de gilles herman
éditeur à l’enseigne du septentrion

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