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Bob Dylan ?

"C'est Shakespeare avec une


guitare Fender"
VIDÉOS. Marc Lambron de l'Académie française explique en
quoi le chanteur mérite le Nobel de littérature qui vient de le
couronner.
Propos recueillis par Valérie Marin la Meslée
Publié le 13/10/2016 à 17h49, mis à jour le 13/10/2016 à 18h22

Bob Dylan en 1966. Pour Lambron, l'Amérique qu'il dessine est semblable à celle
qu'on trouve chez les grands romanciers © AFP

Temps de lecture : 4 min Ajouter à mes favoris Google News Commenter Partager

Pour la première fois de son histoire, qui débute en 1901,


l'Académie Nobel couronne un musicien du prix Nobel
de littérature. L'annonce divise le monde (ou presque) en
deux : d'un côté, les soupirs de déception, teintés parfois
de mépris, de la part des fans de Philip Roth, de Don DeLillo,
de Joyce Carol Oates, pour ne citer que les écrivains
américains dont les noms circulaient chez les parieurs.
De l'autre, les hurlements de joie de ceux qui voient
enfin un poète des temps modernes reconnu pour sa
plume et son aura. Il fallait ainsi entendre le tonnerre
d'applaudissements qui a suivi l'annonce de la nouvelle,
dans les salons de l'Académie à Stockholm, à 13 heures
pétantes. Pour l'académicien français Marc Lambron, c'est la
joie qui l'emporte sans nul doute. Et si d'aucuns
s'interrogent encore, il donne dans cet entretien de quoi
défendre et illustrer ce Dylan, ce « Walt Whitman du XXe
siècle ».

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Le Point.fr : Des « littéraires » s'étonnent : un chanteur


Nobel de littérature ?

Marc Lambron : Pour le monde littéraire, le fait que Dylan


soit un musicien est un moins. Alors que c'est un plus !
En plus de la poésie, il y a la musique. Bob Dylan et
Leonard Cohen valent autant sans musique, comme
poètes, dans le sillage de ceux de la Beat generation, d'un
Ginsberg, d'un Kerouac. Dylan ajoute à sa poésie ce
véhicule qu'est la musique. C'est un grand artiste de
synthèse qui réunit l'ancienne poésie anglo-saxonne dans
la tradition récitée. Il y a eu Shakespeare, William Blake,
Walt Whitman... Je tiens Dylan pour le Walt Whitman du
XXe siècle.

De grands écrivains américains auraient pu prétendre à ce prix. Comment comparer

Roth et Dylan par exemple ?

Comme Philip Roth, Thomas Pynchon, même Norman


Mailer et encore Fitzgerald, Dylan raconte l'histoire
américaine en étant lui-même un héros américain.
Musicien folk au départ, une musique, rurale, de petits
Blancs pauvres, il mêle à sa musique un son noir, et celle
de Nashville, des cow-boys… Au final, il dessine une
cartographie de l'Amérique comme on la trouve chez les
grands romanciers, en explorateur de couleurs, de
gammes. À partir des années 70, il électrifie sa guitare,
devient un rocker, baladin suprême du XXe siècle. La
musique rock est ce qui l'a rendu de plus en plus
populaire. À ceux qui s'étonnent qu'on couronne un
chanteur, je dirais que Dylan, c'est Shakespeare avec une
guitare Fender.

Dans quel champ littéraire le situerez-vous ?

Il a été influencé par le surréalisme européen, sans nul


doute, comme avant lui la Beat generation. « Highway
61 », notamment, contient des dérives verbales
hallucinées, portées par sa musique.
Dylan est une anthologie vivante : il représente à la fois
l'image antique du poète grec, le Dichter allemand, une
sorte de prophétisme poétique. C'est un prophète blanc,
juif, né dans le Minnesota, et qui a englobé toutes les
couleurs musicales. Qui mieux que lui a pu exprimer aux
yeux du monde ce que peut être le roman d'une nation ?
Il est ce romancier poète auteur d'un roman fragmentaire
qui passe par des textes courts de chansons, quoique qu'il
soit aussi l'inventeur de la chanson longue (12 minutes
!).

Quelle est son influence « littéraire » dans le monde de la musique ?


Considérable dans le monde de la pop et du rock. Quand
on écoute les paroles des chansons de Chuck Berry, Elvis
Presley, ou les Beatles des débuts, cela ne vole pas très
haut. Dylan est le premier à pratiquer l'écriture dite
« song writing », à incarner le « song writer ». Il a donné
des leçons de littérature aux teenagers des années 60, il a
influencé les suivantes et élevé le niveau général. À un
certain stade, le temps des années avec Joan Baez, il a eu
le sentiment d'être instrumentalisé en tant que « protest
singer » et s'est assez vite sorti de cette image de
chanteur politique.

Si vous deviez conseiller trois de ses chansons ?

« Like a Rolling Stone » sur laquelle des livres entiers


ont été écrits ! « Blowing in the Wind » qui marque la période
engagée des premières années 60. Et aussi « Desolation Row »
qui date de 1966, promenade de la désolation qui montre
l'influence surréaliste dans la pop américaine. Amusant,
enfin, il reprend Frank Sinatra sur son dernier disque.

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