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Directeur : Henri Dieuzeide

Rédacteur en chef : Zaghloul Morsy


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et la culture, 7 , place de Fontenoy, 75700 Paris, France.
Imprimerie des Presses Universitaires de France, V e n d ô m e .
© Unesco 1980
revue trimestrielle de l'éducation Unesco

Sommaire L a réussite et l'échec scolaires T. Neville Postlethwaite 273

Positions/Controverses
Les institutions internationales et la politique de l'éducation
Martin Carnoy 291

Pièces pour un dossier :


L'éducation en Europe (2)
L'évolution prévisible de l'école en U R S S M . N . Skatkine et
E . G. Kostiachkine 313
Objectifs de l'éducation dans les années quatre-vingts JohnEggleston 322
L'interdisciplinarité : les rêves et la réalité Erich Jantsch 333
Méthodes d'apprentissage accéléré des langues vivantes en U R S S
Mira Vaisbourd 344
Sélectionner les enseignants Gilbert de Landsheere 350
Contribution de l'éducation des adultes à l'édification
de P « université sociale » en Italie Paolo Federighi 357
Enseignement, recherche et production en Europe de l'Est
Cristofor I. Simionescu 364
L a coopération entre l'école et la famille en République
démocratique allemande Hans Senf 372

Tendances et cas
A u service d'une collectivité dispersée Kathleen Forsythe 379

Revue de publications
Freinet aujourd'hui — Comptes rendus 387

I S S N 0304-3045
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qui yfigurentn'impliquent de la part d u Secrétariat de l'Unesco aucune prise:
de position quant au statut juridique des pays, territoires, villes ou zones,
ou de leurs autorités, ni quant au tracé de leurs frontières ou limites.
T . Neville Postlethwaite

La réussite et l'échec scolaires

T . Neville A l'évidence, l'école joue u n rôle dans les différentes formes de


Postlethwaite réussite que connaissent les élèves, que ce soit sur le plan social,
(Royaume- Uni).
Professeur d'éducation affectif, physique ou autre. C'est toutefois la réussite scolaire o u
comparée à cognitive qui suscite le plus grand intérêt auprès d u public et qui
l'Université de
a fait principalement l'objet des travaux de recherche. C'est pour-
Hambourg, en
République fédérale quoi, dans le présent article, l'accent sera mis sur la réussite des
d'Allemagne. Directeur élèves dans les disciplines cognitives.
exécutif de
l'Association L a principale préoccupation pratique tant des éducateurs que des
internationale pour parents est de chercher à comprendre pourquoi certains enfants
l'évaluation du réussissent bien à l'école alors que d'autres connaissent des échecs.
rendement scolaire
(IEA). Domaine de S'il s'avère possible de répondre à cette question, on peut espérer
spécialité : recherche que des mesures pourront être prises pour accroître le nombre
pédagogique d'enfants qui atteignent u n niveau élevé de réussite. U n e telle a m é -
internationale centrée
sur le rendement lioration d u rendement scolaire devrait contribuer non seulement au
scolaire, bien-être d u pays et à la productivité, mais également atténuer la
particulièrement détresse personnelle des élèves qui sont considérés c o m m e étant des
les facteurs scolaires ratés, tant par e u x - m ê m e s que par les autres.
liés à la réussite.
Je citerai certains des résultats principaux des études effectuées au
cours des dernières années aussi bien dans des pays développés que
dans des pays en développement. J'en résumerai ensuite les conclu-
sions sous la forme de cinq principes qui peuvent aider les éducateurs
à améliorer les niveaux de rendement scolaire dans les pays en
développement c o m m e dans les pays développés.
Avant d'examiner l'influence de l'environnement et des facteurs
sociaux sur le rendement scolaire, il importe de reconnaître que,
chaque fois que nous parlons de rendement faible o u élevé, nous
formulons une comparaison. L a question se pose, alors, de savoir par
rapport à quel critère nous parlons de rendement « faible » o u
« élevé » ? Est-ce que nous comparons les élèves à d'autres élèves d u

273

Perspectives, vol. X , n° 3, 1980


T. Neville Postlethwaite

m ê m e âge et de la m ê m e ville ? O u de la m ê m e classe ? O u du m ê m e


pays? O u bien les comparons-nous à des élèves d'autres pays?
L'importance de ce point ressort clairement des données reproduites
dans le diagramme i qui résume les résultats d'un test de mathéma-
tiques administré en 1964 à des élèves de huit classes de niveaux
différents dans douze pays développés. E n ordonnée, figure le total
des points obtenus lors du test. C o m m e l'indiquent les courbes à
l'intérieur du graphique, les enfants de certains pays ont obtenu un
nombre de points beaucoup plus important que ceux d'autres pays.
(Étant donné que les programmes de mathématiques enseignées dans
les différents pays sont apparemment identiques à 90 %, on a pu
considérer que le test était équitable pour tous les élèves.) E n
abscisse, on a représenté le niveau professionnel du père des élèves.
Ainsi, le graphique fait apparaître non seulement les différences entre
les pays, mais démontre également que, dans un pays donné, de
façon générale, plus le niveau professionnel du père est élevé, mieux
l'enfant réussit en mathématiques.

44
Angleterre
' ' __ Japon
Israël

Belgique

Tous pays confondus


Allemagne

Pays-Bas
Finlande
France
États-Unis d'Amérique
Australie

Suède

12
1
Niveau inférieur niveau inférieur niveau supérieur niveau supérieur
de premier rang de second rang
Niveau professionnel du père

D I A G R A M M E I. Total des points obtenus au test de mathématiques par rapport au


niveau professionnel du père pour la classe dans laquelle se trouvent la plupart des
enfants de 13 ans dans 12 pays. (Tiré de T . H U S É N (dir. publ.), International study of
achievement in mathematics, vol. 2, p. 208, N e w York, John Wiley & Son Inc., 1967.)

274
La réussite et l'échec scolaires

L e diagramme i indique clairement que les enfants issus des


groupes sociaux les plus modestes au Japon ont obtenu davantage de
points que ceux des groupes sociaux les plus favorisés en Australie,
en Suède et aux États-Unis. Et pourtant les élèves ayant obtenu les
résultats les plus brillants aux États-Unis et les moins élevés au
Japon, par exemple, seraient considérés c o m m e ayant respectivement
réussi ou échoué selon les critères employés habituellement pour
juger de la réussite ou de l'échec. Tous les pays cités dans le dia-
g r a m m e i sont des pays dits « développés ». E n 1970 (Comber et
Keeves, 1973), l'Association internationale pour l'évaluation d u ren-
dement scolaire (IEA) a effectué une étude d u rendement dans les
disciplines scientifiques portant sur dix-neuf pays, dont quatre pays
en développement. L'écart entre les pays en matière de rendement
cognitif scientifique a été encore plus grand que dans le cas des
mathématiques ; l'enfant m o y e n de dix ans au Japon, par exemple,
obtenait u n résultat plus élevé que celui d'un élève de dix-sept ans
en Inde.
Néanmoins, la réussite et l'échec sont normalement vécus c o m m e
des phénomènes internes à u n pays donné et l'on discute beaucoup
des écarts de rendement entre différents groupes socio-économiques,
entre les enfants des villes et ceux des campagnes, entre les garçons
et lesfillesdans certaines disciplines, entre des groupes linguistiques
et ethniques différents.
Sans oublier que les comparaisons s'opèrent toujours par rapport
à une norme, procédons maintenant à l'examen des différents facteurs,
sociaux ou environnementaux, que les travaux de recherche font
apparaître c o m m e étant liés à la réussite ou à l'échec scolaires.

Scolarisation et non-scolarisation

Avant d'étudier les écarts de rendement qui existent à l'intérieur des


pays, il y a lieu de faire observer que, dans bien des pays en dévelop-
pement, une partie importante de la population n'est pas, ou très peu,
scolarisée. C o m m e n t mesurer l'aptitude des enfants à apprendre ce
que l'on enseigne à l'école s'il ne leur est pas possible de fréquenter
une école ? Ils arriveront sans doute à se tirer d'affaire au sein de leur
société, mais d u point de vue de leur pays, ils seront classés c o m m e
des ratés. Étant donné le taux de croissance démographique relative-
ment élevé de certains pays, dont par ailleurs la croissance écono-
mique est relativement faible, il est à prévoir que de plus en plus

275
T. Neville Postlethwaite

d'enfants devront se contenter d'une scolarité assez courte. L e dia-


g r a m m e 2 donne la proportion d'enfants d'un groupe d'âge donné
inscrits à l'école primaire dans plusieurs pays en développement.
C'est là, manifestement, u n problème prioritaire grave auquel les
gouvernements des différents pays doivent apporter une solution.
Des organismes c o m m e I N N O T E C H en Asie du Sud-Est s'efforcent
actuellement de mettre en œuvre des projets novateurs permettant
d'assurer (normalement sous le titre d'éducation non formelle) une
instruction aux enfants qui ont abandonné leurs études après la
première ou la deuxième année. Les parents accorderont de l'impor-
tance à la scolarité (ou à u n programme d'enseignement) dans la
mesure o ù l'une o u l'autre donnent manifestement accès à une
profession jouissant d'un certain prestige. L a perception qu'ils auront
du bien-fondé d'une certaine forme d'enseignement aura une impor-
tance décisive. Les innovations actuellement à l'essai dans différentes
régions du m o n d e devront être suivies avec attention par des orga-
nismes tels que l'Unesco ou la Banque mondiale de façon à évaluer
dans quelles circonstances tel ou tel type d'instruction se révèle
efficace et à pouvoir formuler ultérieurement des recommandations.

Pays développés

Pays à revenu
intermédiaire supérieur
$1 076-2 500

Pays à revenu
intermédiaire m o y e n
$521-1075

Pays à revenu
intermédiaire bas
$265-520
Pays à faible revenu
inférieur à $ 2 6 5

1975

D I A G R A M M E 2. Taux d'inscription dans l'enseignement primaire dans divers pays en


développement. (Source : B A N Q U E M O N D I A L E . Éducation. Politique sectorielle, p. 19.
Washington D . C . , Banque mondiale, 1980.)

276
La réussite et l'échec scolaires

La scolarité réduite

L a proportion d'une classe d'âge poursuivant ses études jusqu'à la


dernière année de l'enseignement secondaire varie de moins de 5 %
dans certains pays en développement à 80 ou 90 % dans certains
pays développés. Cette différence est en partie liée au niveau de
richesse d'un pays, mais dépend également de la façon dont l'État
conçoit l'éducation, sa portée et sa durée. Tous les pays, en fonction
de leurs ressources, doivent sans cesse naviguer entre Charybde et
Scylla — entre une optique de l'éducation fondée sur la prévision des
besoins en main-d'œuvre et la demande d'accès à l'éducation de la
société — lorsqu'il s'agit de déterminer la proportion d'une classe
d'âge intégrée dans le système scolaire. Cependant, le « rendement »
de l'acquis cognitif (la portion du diagramme située en dessous de la
courbe) n'est pas directement lié à la proportion des enfants scola-
risés. L e diagramme 3 indique le « rendement » de l'enseignement
scientifique dans u n certain nombre de pays pour les élèves de la
dernière année de l'enseignement secondaire (Comber et Keeves,
1973, p. 181). O n remarquera que, bien que l'Inde ait uneplus grande
proportion d'une classe d'âge donnée scolarisée, son « rendement »
est inférieur à celui de la Thaïlande, où cette proportion est légère-
ment inférieure.
États-Unis^
70 »

60 g

50 S

Nouvelle-Zélande'
Thaïlande'

D I A G R A M M E 3. « Rendement » en termes du niveau scientifique pour la dernière année


de l'enseignement secondaire.

277
T. Neville Postlethwaite

Différences de niveau intranationales

DIFFÉRENCES DE MILIEU FAMILIAL


ET DIFFÉRENCES A L'ÉCOLE

D e nombreuses études effectuées dans les pays développés d é m o n -


trent la corrélation relativement étroite qui existe entre l'évaluation
des différences du milieu familial et celles de la réussite scolaire. E n
règle générale, u n cinquième (20 %) environ des différences de
réussite scolaire correspond à des différences de milieu familial. L e
milieu familial est normalement évalué en fonction de la profession
et d u niveau d'instruction des parents, mais aussi parfois de la qualité
de la construction du domicile familial, des biens matériels du ménage
ainsi que de l'interaction entre les parents et les enfants au foyer,
surtout en ce qui concerne les questions liées à la scolarité.
Cependant, dans les pays en développement — du moins d'après
les travaux de recherche effectués jusqu'à présent — il n'y a qu'un
rapport très ténu entre le milieu familial et la réussite scolaire. Cela
s'expliquerait dans certains cas, a-t-on p u avancer, par le fait que les
critères d'évaluation du milieu familial employés par les chercheurs
ont été mal choisis ou encore que les différences de « classe » pour ce
qui est de l'aide apportée aux enfants dans leur travail scolaire ne se
sont pas encore cristallisées dans les pays en développement.
Si les différences en matière de réussite scolaire ne s'expliquent pas
toujours par l'appartenance à telle o u telle classe sociale, à quoi
sont-elles dues ? H e y n e m a n (1979) a suggéré que, lorsque le milieu
social implique certaines attitudes (qu'il s'agisse d'ambition, de l'idée
que l'individu se fait de lui-même, de l'autorité qu'il reconnaît, d u
désir de s'instruire, du goût ou de l'absence de goût pour l'éducation),
les enfants venant de milieux plus favorisés auront en général de
meilleurs résultats ; ce ne sera pas nécessairement le cas si ces modes
de pensée ne sont pas inhérents au milieu social. Il en découle que,
si dans les pays développés on pouvait faire en sorte que ce genre
d'attitudes soient également présentes dans les différentes couches
sociales, l'influence des facteurs sociaux sur le rendement scolaire
serait moindre.
Cependant, la réussite ne dépend pas uniquement de ce qui se
passe au sein du foyer mais également de l'environnement de l'enfant
en général et de l'école. L e tableau 1 présente, dans le cas d'enfants
de quatorze ans, u n exemple des données que nous avons pu réunir
à ce jour quant à l'influence relative d u foyer et de l'école sur l'étude

278
La réussite et l'échec scolaires

de certaines matières scolaires. Les données sont tirées de l'étude de


P I E A (Postlethwaite, 1975) :

T A B L E A U I . L'influence d u foyer et de l'école sur la réussite scolaire (en pourcentage)

Scolarité Scolarité
Foyer antérieure actuelle

Sciences 16 6 9
Compréhension de textes 16 10 6
Littérature 15 8 7
Instruction civique 16 11 II
Français (langue étrangère) 15 22 17
Anglais (langue étrangère) 14 20 16

L e tableau 1 présente les moyennes pour plusieurs pays et chaque


chiffre comporte une marge de variation. D a n s l'ensemble, l'influence
du milieu familial sur le rendement scolaire est plus marquée dans les
pays développés que dans les pays en développement. Si l'on addi-
tionne les chiffres concernant la scolarité antérieure et la scolarité
actuelle, il apparaît clairement que le niveau atteint en français et en
anglais est plus étroitement lié aux différences entre établissements
scolaires (c'est-à-dire à la qualité de l'enseignement) que ce n'est le
cas pour les sciences, la compréhension de textes en langue maternelle
et la littérature. Je tiens à souligner cet aspect, car b o n n o m b r e de
travaux parus récemment, surtout aux États-Unis, tendent à prouver
« que ce n'est pas l'école qui fait la différence ». L e tableau 1 montre
que la différence entre établissements scolaires est u n facteur déter-
minant dans le niveau de réussite pour certaines matières scolaires,
alors que pour d'autres matières elle a moins d'influence.

LE MILIEU FAMILIAL

D e toute évidence, les caractéristiques d u foyer telles que « la pro-


fession et le niveau d'instruction d u père » sont des éléments essen-
tiellement figés, auxquels on a recours, faute de mieux, pour évaluer
ce qui se passe au sein du foyer. E n fait, ce sont les processus qui ont
valeur de facteur déterminant. C o m m e l'a écrit B l o o m (1976) : « L e
foyer, tout particulièrement pour l'enfant de deux à dix ans environ,
favorise l'acquisition d u langage, la capacité d'apprendre d'après
l'exemple des adultes, la formation de certaines qualités liées au
besoin de réussite, l'habitude d u travail et l'attention nécessaire aux
tâches qui jouent u n rôle fondamental dans le travail scolaire. »

279
T. Neville Postlethwaite

Il souligne que cette fonction est assurée de façon satisfaisante, grâce


aux relations mutuelles parents-enfants, dans certains foyers, beau-
coup moins bien dans d'autres. C'est donc là u n domaine où, d u
moins dans les pays développés, des efforts pourraient être faits pour
améliorer les résultats scolaires et pour réduire l'écart entre les classes
sociales.
Q u ' e n est-il dans les pays en développement ? L a meilleure étude
nationale sur le rendement de l'éducation dans u n pays en dévelop-
pement est sans doute celle qui a été faite en Indonésie sur les
résultats scolaires en sixième année d'études (Moegiadi et al., 1979).
Cette étude démontre l'existence d'un rapport assez étroit entre la
situation matérielle etfinancièrede la famille et le rendement scolaire
en milieu urbain, mais l'absence d'un tel rapport en milieu rural. O n
peut se demander si l'influence d u milieu familial dans u n pays
devient semblable à celle qui existe en pays développé au fur et à
mesure qu'un pays en développement s'urbanise. O n a considéré
q u ' u n enfant avait u n niveau de vie élevé en Indonésie s'il vivait dans
u n foyer pourvu de courant électrique, de la radio, de la télévision,
d'une voiture ou d'une motocyclette, d'une bicyclette et achetant
régulièrement les journaux. Les enfants appartenant à une famille
nombreuse obtenaient de meilleurs résultats scolaires. Cela concorde
avec d'autres conclusions obtenues pour les pays en développement
où les aînés d'une famille qui sont déjà allés à l'école ou qui s'y
trouvent encore aident leurs cadets à faire leur travail scolaire. E n
Indonésie, on a constaté que plus il y avait de livres à la maison, plus
les résultats de l'enfant étaient bons et que, par ailleurs, plus les
parents s'intéressaient à l'enfant (en l'encourageant à lire, en corri-
geant sa façon de parler, en l'interrogeant sur son travail scolaire et en
réagissant favorablement à u n bon bulletin scolaire), plus son rende-
ment scolaire était élevé. A l'absence d'intérêt des parents correspond
en revanche u n rendement scolaire médiocre. Ces dernières conclu-
sions s'appliquent aussi aux pays développés.

Les facteurs scolaires ayant une influence


sur le rendement

LES EFFETS DU GROUPEMENT PAR APTITUDES

Certains pays ont u n système scolaire sélectif dans lequel les élèves
sont répartis selon leurs aptitudes à u n âge donné entre les établisse-
ments d'enseignement supérieur, les établissements de niveau inter-

280
¡La réussite et l'échec scolaires

médiaire et les écoles secondaires d u premier cycle. C'est générale-


ment le cas en Europe, par exemple. Quelles que soient les raisons de
ce système, il aboutit à creuser l'écart entre les élèves obtenant les
meilleurs résultats (les « bons » ?) et ceux qui réussissent moins bien
(les « ratés » ?). O n pratique souvent la répartition des élèves en
groupes homogènes d'aptitudes à l'intérieur m ê m e des écoles. L à
encore, le résultat est de creuser davantage l'écart entre ceux qui,
au sein d'une m ê m e classe d'âge, réussissent « bien » et ceux qui
Téussissent « moins bien ».

REDOUBLEMENT OU PASSAGE AUTOMATIQUE


EN CLASSE SUPÉRIEURE

Dans les établissements où l'on pratique le redoublement, l'écart se


creuse entre le rendement scolaire des élèves les plus forts et celui des
moins bons. Par contre, là où les élèves peuvent passer automatique-
ment d'une classe à la suivante, l'écart est réduit, non par une baisse
du niveau des meilleurs élèves mais par l'amélioration d u niveau des
plus faibles.

TEMPS IMPARTI ET TEMPS UTILISÉ

L e nombre de jours de classe dans l'année varie selon les pays


entre 120 et 240, et celui des heures par jour de 2 à 7. Si nous multi-
plions ces chiffres par le n o m b r e d'années qu'un enfant passe à
l'école, nous obtenons u n résultat — à savoir le nombre d'heures
d'enseignement qu'un enfant donné reçoit pendant, disons, cinq
années de scolarité — qui varie considérablement selon l'endroit où
vit l'enfant (Passow et al., 1976). Les données dont o n dispose
{ C o m b e r et Keeves, 1973) semblent indiquer que, jusqu'à u n certain
point, plus le nombre d'heures d'enseignement consacrées à une
matière est important, plus le niveau de rendement est élevé. D e
m ê m e , on peut dire qu'à lafinde l'enseignement secondaire plus le
volume de devoirs faits par les élèves et corrigés par le professeur est
important, plus le niveau de rendement sera élevé, quoique des
différences liées aux classes sociales se manifestent dans la progression
d u rendement en fonction d u volume de devoirs faits à la maison.
Étant donné qu'un grand nombre de systèmes scolaires assurent
environ 1 100 heures d'enseignement par an, qu'il y a des limites à ce
que l'enfant peut apprendre dans ce nombre d'heures, que dans
n o m b r e de pays développés on consacre beaucoup de temps à des

281
T. Neville Postlethwaite

activités de loisirs à l'extérieur de l'école, il apparaît souhaitable de


mettre en œuvre d'autres moyens d'apprentissage extrascolaire si l'on
veut parvenir à améliorer le niveau général d u rendement scolaire.
L e temps imparti pour l'enseignement est une chose ; la proportion
de ce temps effectivement consacrée à u n apprentissage véritable par
chaque élève (sous la direction de l'enseignant) en est une autre.
C u m m i n g s (1979) indique qu'au Japon cette proportion est d'en-
viron 90 % de l'heure de classe, tandis que dans la région de Chicago,
aux États-Unis, elle est d'environ 65 %. Il semble bien que le temps
effectivement consacré à u n apprentissage actif influe de façon consi-
dérable non seulement sur le niveau m o y e n de rendement d'une
classe mais également sur l'importance de l'écart entre les « bons »
élèves et les « moins bons ».

LE PROGRAMME

Les études de l'IEA (Postlethwaite, 1975, 1979) effectuées dans plu-


sieurs pays et à différents niveaux de chaque système scolaire ont
montré que « les occasions d'apprendre » (c'est-à-dire la mesure dans
laquelle les élèves ont eu l'occasion de faire leurs certaines des
connaissances que l'éducation est censée leur impartir) constituent
une variable scolaire déterminante dans l'évaluation d u rendement.
M ê m e dans les systèmes d'enseignement centralisés, il existe des
différences entre les écoles (et les classes) à cet égard. Dans les sys-
tèmes décentralisés, les variations sont souvent très importantes.
D ' o ù l'importance des décisions que sont appelés à prendre ceux qui
sont chargés d'élaborer les programmes à l'échelon national dans les
systèmes d'enseignement centralisés, ou, dans les systèmes décen-
tralisés, les organismes responsables des examens, les auteurs des
manuels et les maîtres.

L'ENSEIGNEMENT

D a n s le cadre d u système pédagogique traditionnel, il apparaît que le


rendement des élèves à lafinde la troisième année de scolarité donne
une indication très précise de ce que sera leur rendement sept ou
huit ans plus tard. Ainsi, u n enfant qui se situe, en termes de réussite
scolaire, dans le tiers inférieur de sa classe ou de son groupe d'âge en
troisième année d'études environ se retrouvera dans le dernier tiers
de sa classe ou de son groupe d'âge en neuvième ou en dixième année.
D e s recherches récentes effectuées sur la pédagogie de la maîtrise,

282
La réussite et l'échec scolaires

ainsi que d'autres méthodes d'apprentissage très stimulantes, m o n -


trent que ni l'intelligence, ni les aptitudes, ni les niveaux de rende-
ment antérieurs ne déterminent obligatoirement le niveau d'appren-
tissage, actuel ou futur, de chaque enfant. L'adoption de critères
appropriés, la gradation judicieuse des objectifs d'apprentissage,
l'existence de mécanismes permettant à l'enfant et au maître d'obtenir
une « rétro-information » (feedback), ainsi que de mécanismes de
correction (internes ou extérieurs à l'école) peuvent permettre à la
plupart des enfants d'atteindre u n très haut niveau d'apprentissage.
Les travaux entrepris à ce jour dans ce domaine montrent que,
lorsqu'on leur applique des méthodes relevant de la « pédagogie
de la maîtrise », la grande majorité des enfants parvient à u n haut
niveau d'apprentissage, manifeste de bonnes dispositions à l'égard
de l'apprentissage scolaire et perçoit sa propre capacité d'appren-
tissage de façon positive.
L'exemple le plus frappant de ce genre de travail a été effectué dans
des classes de septième, huitième et neuvième année en Corée d u Sud,
où les niveaux de rendement ont pratiquement doublé dans certaines
matières et où l'écart entre les niveaux de réussite les plus élevés et les
plus faibles a été considérablement réduit grâce à l'amélioration de
ces derniers. L e résultat a été obtenu sans que les objectifs pédago-
giques d u programme traditionnel aient été modifiés. Il faut égale-
ment souligner que le montant des investissements par élève pour les
manuels et pour les fournitures a, par ailleurs, doublé. D'autres
études à petite échelle menées dans plusieurs pays ont donné des
résultats semblables.

LES ÉQUIPEMENTS ET LA RÉPARTITION DES RESSOURCES

Les conclusions que l'on peut tirer des travaux de recherche menés
dans les pays en développement soulignent l'importance primordiale
des équipements scolaires. Il semble qu'il existe une étroite corréla-
tion entre les différences existant dans ce domaine et les écarts de
rendement scolaire constatés entre les enfants des villes et ceux des
campagnes ou entre des groupes ethniques ou linguistiques diffé-
rents lorsque ceux-ci coïncident ( c o m m e cela est souvent le cas) avec
le clivage villes/campagnes. Les enfants dans les grandes écoles
urbaines atteignent u n niveau de rendement plus élevé (n'oublions
pas que, dans cet article, un niveau de rendement élevé est synonyme
de réussite scolaire). Cependant, ce qui caractérise principalement les
grands établissements urbains, c'est le fait qu'ils disposent de chaises

283
T. Neville Postlethwaite

et de tables pour tous les élèves, d'un tableau noir, de manuels, d e


maîtres compétents, d'une bibliothèque dans l'école (et parfois m ê m e
d'une bibliothèque de classe), d'auxiliaires visuels tels que des cartes
mnémoniques, souvent de papier au lieu d'ardoises, d'électricité,,
d'une photocopieuse, etc. Dans une étude faite en Ouganda, il était
également intéressant de constater que l'existence d'une ferme
rattachée à l'école s'accompagnait d'un rendement élevé. Les analyses
statistiques font ressortir à quel point c'est l'existence ou l'absence
de ces éléments qui fait essentiellement la diiférence entre les écoles
à rendement élevé et celles à rendement faible. C'est là une question
de répartition des ressources par les ministères de l'éducation ou par
les ministères dont relèvent les différents types d'écoles.

Des remèdes éventuels


pour réduire l'écart entre les rendements scolaires

Il n'existe, bien entendu, aucune panacée. N o u s disposons de quelques


indications quant à ce qui pourrait être fait, mais il s'agira d'un travail
de longue haleine car, ne l'oublions pas, le progrès exige une planifi-
cation méticuleuse et des efforts soutenus et laborieux. Nulle réforme
ne pourra aboutir sans le soutien des enseignants et des parents.
Toute réforme doit en conséquence être elle-même planifiée de façon
à se dérouler en plusieurs étapes permettant de changer progressive-
ment les attitudes et les comportements des maîtres.
Les données ci-dessus, relatives aux facteurs liés à la réussite ou à
l'échec, sont tirées de nombreuses études faites dans u n grand nombre
de pays. Les facteurs ont été délibérément choisis en fonction de leur
importance et de leur non-rigidité. Il importe aussi de reconnaître
que certains facteurs ont été omis ; ainsi, par exemple, le n o m b r e
d'élèves par classe et les méthodes pédagogiques. L a raison en est que
les travaux de recherche ne permettent pas de tirer à cet égard des
conclusions précises, bien que G a g e (1978) ait fourni une synthèse
claire de ce que nous savons et ignorons de l'influence des méthodes
pédagogiques. Toute sélection et toute interprétation de données
impliquent u n jugement de valeur et une appréciation, et ce qui
suit reflète ceux de l'auteur.
Je m e permettrai de proposer cinq points principaux sur lesquels
peut s'articuler l'amélioration du rendement scolaire. L e premier
point concerne essentiellement les pays en développement, le
deuxième s'adresse surtout aux pays développés et les autres sont

284
La réussite et l'échec scolaires

valables pour tous les pays. L e centre de décision se situe en des


points extrêmement divers des systèmes d'enseignement, selon que
ceux-ci sont plus ou moins centralisés ou décentralisés. Il appartient à
chaque système de décider c o m m e n t procéder. E n fin de compte, ce
que je propose s'exprime en termes de principes. Chaque pays devra
adopter des méthodes adaptées à sa culture scolaire, et tout principe
admet manifestement diverses modalités de mise en œuvre.

SCOLARISATION ET DOTATION
DES ÉTABLISSEMENTS EN MATÉRIEL

Tant que tous les enfants ne pourront aller à l'école, u n écart sub-
sistera entre ceux qui suivent u n certain nombre d'années d'ensei-
gnement et ceux qui n'en ont pas la possibilité. L'écart de rendement
entre le milieu urbain et le milieu rural peut être réduit par la création
d'équipements suffisants dans les écoles rurales. Disposer de livres,
de tables, de lumière électrique et de photocopieuses ainsi que de
maîtres formés en fonction des programmes et des activités qu'ils
devront diriger semblerait être u n strict m i n i m u m , mais dans de
nombreux pays ces conditions ne sont pas réunies.
Par ailleurs, il serait prudent d'éviter le redoublement et le groupe-
ment des élèves selon leurs aptitudes avant les dernières années de
l'enseignement secondaire si l'on veut restreindre les écarts en
matière de rendement scolaire. Malgré la diversité des formes d'en-
seignement pratiquées dans les pays m e m b r e s de l'IEA, il est inté-
ressant de constater qu'il y a peu d'écart entre les résultats des 5 %
d'élèves les plus brillants d'une classe d'âge en dernière année
d'enseignement secondaire, et ce quelle que soit la proportion d'une
classe d'âge qui parvient jusqu'à la fin de l'enseignement secondaire.
L e rendement de la majorité des élèves dépend bien davantage de ce
qui se passe dans la situation pédagogique d'apprentissage.

LE MILIEU FAMILIAL

Les variables de processus liées au milieu familial qui semblent les


plus significatives sont : la façon dont la famille aide l'enfant à
maîtriser sa langue maternelle, à apprendre c o m m e il faut les aspi-
rations que nourrissent les parents pour leurs enfants, la volonté
d'aider l'enfant dans son apprentissage quand il en a le plus besoin, et
l'organisation d u temps et de l'espace familiaux. D a n s les pays
développés, les agents en cause sont en général les parents ; mais pour

285
T. Neville Postlehwaite

les familles d'immigrés dans les pays développés et les familles


élargies dans les pays en développement, il s'agit de la façon dont les
aînés qui ont été scolarisés se comportent vis-à-vis de leurs cadets.
Il serait souhaitable que les divers ministères nationaux de l'édu-
cation entreprennent des études pilotes tendant à établir l'influence
des facteurs cités ci-dessus ainsi que celle d'autres facteurs jugés
importants dans leur pays. Il leur est en effet difficile de prendre des
décisions judicieuses s'ils ne disposent pas d'une bonne base d'infor-
mations résultant de recherches bien faites. Diverses initiatives ont
été prises à ce jour dans ces domaines : cours spéciaux pour les
parents (ou pour les aînés), services de conseillers à domicile, partici-
pation des parents à la vie de l'école pendant de courtes périodes,
production de méthodes et de moyens audiovisuels, ainsi que de
brochures à lire et à discuter aux différents stades de l'évolution
de l'enfant. Cependant, il n'est pas facile d'agir sur ce plan et il
serait souhaitable de procéder à une évaluation plus poussée de
l'innovation.

LE DÉBUT DE LA SCOLARITÉ

D e u x problèmes principaux devront être abordés lorsque l'enfant


entre pour la première fois dans u n établissement scolaire. Première-
ment, les enfants qui entrent à l'école ont, d u fait de leur milieu
familial, des niveaux de développement et de rendement différents,
m ê m e dans des matières scolaires telles que la lecture, l'écriture et
l'arithmétique. Quels sont les procédés existants permettant aux
enseignants de déceler ces différences (écarts) de rendement et
d'employer des mesures correctives permettant à ceux qui éprouvent
des difficultés par rapport à certains objectifs de maîtriser lesdits
objectifs ? Si l'on n'intervient pas à ce stade, tout semble indiquer
que l'écart se creusera avec le temps.
L e deuxième problème est lié au fait que la pratique de l'appren-
tissage scolaire s'acquiert dès le plus jeune âge. N o u s avons déjà
constaté ci-dessus que « le temps consacré à chaque tâche » ou « le
temps consacré à l'apprentissage actif» joue u n rôle déterminant dans
le niveau de rendement global. C u m m i n g s (1979) a décrit le genre de
« conditionnement » qui est pratiqué dans les petites classes de l'en-
seignement primaire au Japon pour s'assurer que chaque élève utilise
au m a x i m u m une portion aussi importante que possible d u temps
imparti pour chaque cours. G a g e et Crawford (1979) ont montré pour
leur part c o m m e n t les enseignants peuvent être formés de façon à

286
La réussite et l'échec scolaires

modifier leur comportement magistral afin d'augmenter le temps


d'apprentissage actif des élèves.
Il convient de souligner que ces deux problèmes sont, en général,
abordés avec intelligence par les enseignants dits « compétents » dans
tous les pays. D o n c , les procédés à utiliser existent d'ores et déjà dans
les pays, mais l'on peut se demander combien d'entre eux ont
effectué des études sur la façon de s'assurer que tous les enseignants
s'attachent systématiquement à les employer.

LE PROGRAMME

N o u s avons déjà souligné l'importance de « l'occasion d'apprendre »,


autrement dit de ce qu'offre le programme. L a sélection des matières
et l'ordre dans lequel elles doivent être introduites ont fait couler
beaucoup d'encre. Il existe bien d'autres moyens encore pour les
responsables des programmes de mieux répondre aux besoins de tous
les enfants. Il n'en reste pas moins, malheureusement, que dans
beaucoup de pays aucun effort systématique n'est fait pour mettre
au point les programmes et les méthodes pédagogiques ou évaluer le
matériel pédagogique en vue de son amélioration. Les pays qui ont
créé des centres nationaux pour les programmes scolaires — qui
absorbent en m o y e n n e 0,5 % d u budget de l'enseignement primaire
et secondaire — semblent réaliser des progrès plus nets. L a révision
du matériel pédagogique au stade expérimental initial jusqu'à ce que
80 % des enfants aient atteint u n certain niveau de rendement
— disons 75 % des objectifs que ce matériel doit leur permettre de
maîtriser — permet de réduire les écarts d'apprentissage entre
groupes et entre individus. Par ailleurs, u n examen des données
d'expérimentation initiales, en vue de faire ressortir les différences de
rendement par rapport à chaque objectif entre les enfants des villes
et ceux des campagnes, entre les garçons et lesfilles(surtout en
mathématiques et en sciences), ainsi qu'entre différents groupes
linguistiques o u ethniques, permet de revoir le matériel pédagogique
(sur le plan de la complexité d u langage ou des exemples employés)
et de contribuer grandement, ce faisant, à réduire ou éliminer les
différences de niveau de rendement entre ces groupes.
O n ne saurait trop insister sur l'importance d'une mise au point
et d'une évaluation systématique des programmes. Il appartient
aux ministères de l'éducation de mettre en place les mécanismes
nécessaires.

287
T. Neville Postlehwaite

L'INSTRUCTION

L a méthode consistant à insister sur le « temps effectivement consacré


à une tâche » se révèle très bénéfique surtout lorsqu'elle est associée à
une information en retour systématique permettant aux élèves et aux
enseignants de savoir quels objectifs, au sein d'une unité d'appren-
tissage, ont été atteints ou non et, d'autre part, à l'emploi de mesures
correctives visant à permettre au plus grand n o m b r e d'enfants
possible d'atteindre les objectifs qu'ils n'ont p u maîtriser initiale-
ment. C e sont là des principes, et chaque pays doit mettre au point les
procédés correspondants en fonction de son propre système d'ensei-
gnement et de sa culture.
Les tests formatifs, les tests de prérequis, ainsi que les matériels de
correction et, parfois, d'enrichissement peuvent être élaborés, dans
certains cas, par des centres de conception des programmes ou par
des groupes d'enseignants. Les items devant figurer dans les tests
centrés sur les objectifs de l'enseignement peuvent être obtenus
auprès de banques d'items nationales ou régionales. D e plus en plus
de pays procèdent actuellement à la création de telles banques. L e
test n'est toutefois qu'une des formules permettant d'obtenir u n e
rétro-information et, dans les pays où les tests ne sont pas employés
ou peu prisés, les enseignants compétents ont mis au point d'autres
moyens d'assurer cette rétro-information en observant attentivement
les fautes commises par les élèves, par exemple. L à encore, ces
techniques pédagogiques demandent à être soigneusement mises au
point et appliquées. L e jour où elles seront employées avec efficacité,
les « ratés », les élèves « à faible rendement » ou les « défavorisés »
seront alors en mesure d'accomplir telle ou telle tâche scolaire aussi
bien que les « élèves brillants » parce qu'on aura créé les conditions
d'apprentissage leur permettant de le faire. C'est là une idée que
beaucoup de gens ont d u mal à saisir avant de connaître les résultats
des expériences faisant appel à la « pédagogie de la maîtrise ».
Former les enseignants à utiliser ces techniques pédagogiques
n'est guère coûteux : quelques heures d'orientation suffisent en
général pour qu'ils en acquièrent le maniement efficace. C e travail
d'orientation peut d'ailleurs être intégré aux stages habituels de recy-
clage des maîtres en exercice.

U n v œ u pour terminer. O n parle beaucoup de l'écart de rendement


entre les enfants des villes et ceux des campagnes, entre les garçons
et lesfilles,entre différents groupes ethniques et linguistiques. Mais

288
La réussite et l'échec scolaires

que savons-nous de l'ampleur et de la nature de ces écarts dans les


différentes disciplines pour les différentes classes ? Certains pays ont
mis en place des mécanismes d'évaluation d u rendement et de la
nature de ces écarts. Beaucoup d'autres ne l'ont pas fait ; ce serait
pourtant fort nécessaire.

Références
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Stockholm, I E A , 1979. Disponible auprès de TIE A , Université de Stockholm,
Stockholm, Suède.

289
Positions/Controverses

Les institutions internationales


et la politique d e l'éducation
Martin Carnoy

Martin Carnoy En 1974, la Banque mondiale publiait l'étude intitulée Éducation.


(États-Unis Politique sectorielle qui exposait la politique que Vinstitution entendait
d'Amérique).
Professeur d'éducation suivre et soutenir dans le domaine de l'éducation. Cette étude, la deuxième
à l'Université de son genre à être publiée par la Banque, devait être largement lue,
de Stanford.
analysée et discutée dès sa publication et bien longtemps après et eut
Domaines de
spécialité : économie une influence considérable sur la réflexion internationale centrée sur les
de l'éducation, problèmes de l'éducation et du développement.
développement
économique, économie
Pour sa part, Perspectives lui avait consacré quatre articles : un
politique. Parmi ses de recension et trois de controverse (vol. V, n° 2,1975, p. 299 et suiv. ;
nombreuses vol. V, n° 4, 1975, p. 485-509; vol. VI, n° 2, 1976, p. 223-236). Ce
publications :
Education as débat, auquel avait bien voulu participer la Banque mondiale, s'était
cultural imperialism; étendu sur près d'une année.
Economie change La Banque vient de publier sa nouvelle étude sectorielle, très attendue,
and educational
reform in C u b a : et qui va guider sa réflexion et son action pour les années à venir. Comme
1955-1974; la précédente, cette publication est un événement d'une grande portée
Education and
internationale et son impact sera à coup sûr considérable.
employment.
L'article qui suit est le premier d'une série que Perspectives compte
consacrer à l'analyse et à la discussion des thèses de la Banque telles
qu'elles sont exposées dans l'étude et, par extension, de leurs répercus-
sions prévisibles ou potentielles sur le monde de l'éducation d'une manière
générale. L'article de Martin Carnoy est critique, comme il fallait s'y
attendre : les lecteurs familiers de ses écrits (voir par exemple Pers-
pectives, vol. VIII, n° 1, 1978, p. 3-20) savent que sa conception des
aspects internationaux de l'éducation diverge très sensiblement de celles
de la Banque mondiale et de la plupart des agences gouvernementales et
non gouvernementales.
Le débat est donc à nouveau ouvert.
LR

29I

Perspectives, vol. X , n° 3, 1980


Martin Carnoy

L'influence des institutions internationales sur la politique de l'édu-


cation des pays à faible revenu est aujourd'hui l'un des aspects les plus
intéressants de l'éducation dans le m o n d e . Depuis le début des
années soixante, on assiste en Asie, en Afrique et en Amérique latine
à des changements particulièrement importants en matière de poli-
tique de l'éducation : développement rapide des enseignements
secondaire et supérieur (conformément, semble-t-il, à l'idée que le
plus grand obstacle au développement économique et social est le
m a n q u e de personnel de niveau m o y e n et supérieur) ; démocratisation
de l'enseignement (création d'un cycle secondaire court obligatoire) ;
utilisation des médias pour suppléer à l'enseignement scolaire trop
onéreux ; éducation extra-scolaire pour les défavorisés laissés en
dehors d u système d'enseignement ; arrêt d u sur-développement de
l'enseignement supérieur (selon le nouveau principe que l'expansion
de l'enseignement supérieur crée des chômeurs diplômés et exerce u n
effet défavorable sur la répartition des revenus) ; enfin, développe-
ment d'un enseignement de base et primaire, et insistance sur les liens
éducation-travail.
C'est dans ce contexte que nous allons analyser la récente étude de
la Banque mondiale relative à sa stratégie de l'éducation dans les pays
à faible revenu et intitulée Éducation. Politique sectorielle (EPS).

O n peut se demander c o m m e n t et pourquoi les institutions inter-


nationales (et les institutions des pays développés qui fournissent
une aide internationale) ont été amenées à s'occuper si activement
d'éducation sur le plan international, et particulièrement à pro-
mouvoir certains types de réformes. D ' u n e part, on nous dit que les
États m e m b r e s ou pays « receveurs » réclament certains types
d'expertise ou de solution à leurs problèmes et que les pays « donateurs »
et les institutions internationales répondent à ces demandes. Par
exemple, pour assurer à peu de frais u n enseignement primaire et
secondaire de haute qualité, on a eu recours, dit-on, aux médias :
radio et télévision éducatives. L a nécessité d'un enseignement rural
approprié a conduit à 1' « invention » ou à la « découverte » de l'édu-
cation extra-scolaire. Ainsi, les institutions ne feraient que répondre
à des demandes de masse traduisant les besoins des sociétés des pays
en développement.
D'autre part, on nous dit que les « donateurs » et les institutions qui
fournissent une assistance technique le font dans un esprit d'entraide ;
en tant qu'experts internationaux, se fondant sur u n certain nombre
d'expériences nationales différentes, ils organisent, par l'intermédiaire

292
Les institutions internationales et la politique de l'éducation

des gouvernements, des réformes dans les pays à faible revenu parce
qu'ils sont plus aptes que les planificateurs nationaux à promouvoir et
évaluer des modifications valables des systèmes d'enseignement. C'est
au niveau international que se situent donc les experts et ils sont
mieux à m ê m e de suggérer des réformes que les politiciens ou les
technocrates nationaux moins bien informés.
Enfin, une troisième interprétation de la situation considère
l'intervention des institutions internationales c o m m e une forme
d'impérialisme culturel qui encourage les bourgeoisies nationale et
internationale intéressées à la production et aux marchés locaux, et
par conséquent aux systèmes d'enseignement en tant que producteurs
de main-d'œuvre instruite, foyers d'idéologies sociales et politiques
particulières et dispensateurs de connaissances.
A m o n avis, chacun de ces points de vue correspond à une vision
différente d u système économique international, de l'État, et de
l'interaction des États. Examinons dans ses grandes lignes chacun de
ces éléments de notre analyse.

Le système international. O n peut considérer, en bref, le système


international de trois façons (très simplifiées) :
a) C'est une libre entreprise, u n système de marché régi par le libre-
échange et la libre circulation des « intrants » (main-d'œuvre,
capital, technologie), quelque peu faussé néanmoins par les res-
trictions à l'immigration, les mesures protectionnistes, etc. Tant
sur le plan national que sur le plan international, la politique
devrait avoir pour objectif de renverser ces barrières et d'assurer
une répartition optimale des ressources grâce au système d u
marché libre : ainsi, le capital se déplacerait vers les économies à
main-d'œuvre faiblement rémunérée (Taïwan, République de
Corée, etc.), élevant le niveau de vie de ces pays ; la main-
d'œuvre émigrerait vers les pays à haut revenu, y réduisant les
coûts de main-d'œuvre et y développant la production ; la techno-
logie et les marchandises s'exporteraient là où il y a des acheteurs,
développant la production et, par le jeu de la concurrence, faisant
baisser les prix pour le consommateur d u produit fini.
b) L e système est dualiste et, de par sa nature m ê m e , élève des
barrières entre pays pauvres et pays riches, principalement parce
que la technologie se trouve entre les mains des pays riches et que
cette technologie est à forte consommation de capital, c'est-à-dire
capable de produire d'énormes quantités de biens sans a u g m e n -
tation notable des effectifs de main-d'œuvre. Ainsi la technologie

293
Martin Camay

des pays à haut revenu, n'ayant qu'une faible capacité de création


d'emplois et de revenus, empêche la main-d'œuvre des pays à
faible revenu de s'intégrer aux secteurs dynamiques de l'économie
internationale, y compris l'industrie agricole. Les différences de
technologie entretiennent une dualité en matière de développe-
ment. Pour la surmonter, il faudrait : transférer aux pays à faible
revenu une technologie simple à forte consommation de main-
d'œuvre, afin de développer la production de manière efficace et
de donner des emplois à u n plus grand nombre de personnes
[voir Small is beautiful (Une société à la mesure de Vhomme) de
Schumacher] ; mettre au point u n système d'enseignement
moderne afin de rattraper le retard technologique, de supprimer
le fossé qui sépare les pays pauvres des pays riches dans le système
international ; transférer des ressources des pays riches vers les
pays pauvres afin d'augmenter directement la production par
l'investissement ; enfin, réduire la croissance démographique
des pays pauvres, afin d'élever le niveau de vie. E n résumé,
dans la théorie de la dualité, le système international sépare
les pays pauvres des pays riches par des barrières technologi-
ques (ou barrières d u savoir) et le remède consiste à réduire
ces barrières.
c) L e système économique international est u n système impérialiste
où les pays riches cherchent à exploiter les ressources et les
marchés des pays pauvres. C e qui paraît être une barrière dans le
modèle b représente u n ensemble de rapports spécifiques et une
division internationale d u travail dans la conception impérialiste.
L e fossé technologique existe d u fait d u processus d'exploitation
par lequel (grâce à la technologie) les monopoles internationaux
des pays industrialisés et riches assignent au capital et au travail
des pays pauvres des rôles dans le système international. Les
systèmes de crédit, et par conséquent l'accès au crédit, sont
contrôlés par les banques des pays industrialisés. Tout compte fait,
à l'intérieur d u système actuel, il est impossible de combler ce
fossé sans transférer le pouvoir des riches aux pauvres ; une autre
solution serait que les pays pauvres réduisent leur dépendance à
l'égard d u système international en se dégageant de l'organisation
de la production et de l'infrastructure qui existe pour l'investisse-
ment et le commerce internationaux.

L'État. Les différents points de vue concernant l'organisation et le


fonctionnement de l'État peuvent se classer (toujours très sommaire-

294
Les institutions internationales et la politique d e l'éducation

m e n t ) en cinq catégories. Trois peuvent être qualifiées d e théories


anglo-saxonnes, et d e u x d e théories marxistes :
a) L'Etat, o u le g o u v e r n e m e n t , a u n rôle « résiduel » : il se charge des
fonctions q u e le m a r c h é n e peut assurer d e façon efficace — la
défense nationale, par exemple — et résulte d ' u n « contrat social »
entre les m e m b r e s d e la société, qui acceptent d'aliéner e n partie
leurs libertés individuelles afin d e protéger leur société et la rendre
« meilleure ». D a n s la conception d e L o c k e , le secteur public
assure l'éducation parce q u e celle-ci d o n n e des bénéfices sociaux
supérieurs à ses bénéfices particuliers ; autrement dit, l'éducation
de la population profite davantage à la société dans son ensemble
qu'à la s o m m e des individus concernés. L e s décisions concernant
l'éducation sont prises par l'ensemble d e la population pour
produire les bénéfices sociaux escomptés par la société.
b) L'État est u n assemblage d e politiciens représentant les intérêts
de divers groupes d e la société ; ces groupes ont des intérêts
différents mais aussi des intérêts c o m m u n s qui les rassemblent
p o u r obtenir l'intervention d e l'État en leur faveur. Cette concep-
tion « pluraliste » m e t l'accent sur le caractère politique des
décisions gouvernementales mais, à long terme, celles-ci repré-
sentent la volonté d e la majorité. E n matière d'éducation, la
majorité de ceux qui sont concernés par la politique d e l'éducation
décident d u type d'enseignement public à assurer.
c) L'État, c'est soit le prolongement d u « leadership » sociétés/
syndicats (secteur é c o n o m i q u e ) dans le secteur politique, soit u n e
bureaucratie technocratique dont les décisions se fondent sur des
critères technocratiques. D a n s les d e u x cas, les décisions politiques
sont entre les mains d ' u n groupe d e leaders, qui s'inspirent soit d e
ce qu'ils croient être l'intérêt d e l'ensemble d e la société (qu'ils
c o m p r e n n e n t m i e u x q u e les masses en raison d e la complexité d e
l'économie et d e la technologie m o d e r n e s e n général), soit d e leur
propre intérêt, soit des deux. Ainsi, la société est planifiée par u n e
technocratie bienveillante (experts devenus leaders e n raison d e
leurs connaissances supérieures). Toutefois, dans cette théorie, la
techno-bureaucratie peut perdre le sens d e ce qui est b o n pour la
société et faire, e n réalité, ce qui est b o n p o u r e l l e - m ê m e .
d) L a première théorie marxiste de l'État présente l'État capitaliste
c o m m e l'expression politique de la puissance économique bour-
geoise : l'État est la dictature de la bourgeoisie. Il est contrôlé par
les détenteurs de capital afin d'assurer les fonctions idéologiques
et répressives indispensables pour perpétuer le capitalisme de

295
Martin Carnoy

génération en génération. L'éducation n'est pas contrôlée par le


« peuple » ou par des experts bienveillants, c o m m e dans la concep-
tion corporatiste, mais directement par les intérêts capitalistes qui
organisent le système à leurs propres fins : création de besoins de
main-d'œuvre pour la maximisation du profit et socialisation de la
main-d'œuvre au sein de la société capitaliste.
e) L'État est l'expression politique de la puissance économique
bourgeoise, mais il reflète aussi le conflit de classes inhérent au
secteur économique. Ainsi, l'État politique est l'objet de conflits
et de compromis, les décisions « politiques » reflétant la lutte
m e n é e par la bourgeoisie pour conserver le contrôle des m é c a -
nismes de reproduction de la société capitaliste. L'enseignement
fait partie de l'appareil étatique destiné à perpétuer les rapports
sociaux de production. Il est l'objet d ' u n conflit entre les
détenteurs d u capital et les classes laborieuses, qui voient dans
l'instruction u n e possibilité d'ascension sociale et de réussite
économique.

L'interaction des États. Ayant à l'esprit ces différentes conceptions d u


système international et de l'État, c o m m e n t allons-nous concevoir
l'interaction des États ? Distinguons quatre possibilités :
a) D a n s leur interaction au sein du système international, les États se
comportent en représentants de leur société — principalement
pour réglementer la circulation des biens et des « intrants » et pour
refléter les ambitions territoriales et autres de la population. Ils
agissent donc essentiellement dans l'intérêt de leur société et
chacun ne répond qu'aux exigences de sa population. Les diffé-
rents États se trouvent sur u n pied d'égalité politique dans le
système international lorsqu'ils confrontent leurs positions sur u n
problème ; c'est la main invisible d u marché qui détermine leur
position et leur puissance économiques respectives.
b) Les États à faible revenu représentent leur société, sont autonomes
à l'intérieur de leurs frontières et cherchent à tenir compte des
besoins de leur population ; mais, dans le système international,
ils se heurtent à des barrières qui les désavantagent par rapport aux
pays industrialisés. Aussi, lorsqu'ils ont affaire à ces pays dans le
cadre d u système, s'efforcent-ils d'obtenir des ressources supplé-
mentaires pour développer leur économie et renverser les barrières
en se dotant d'une infrastructure nationale. L a responsabilité des
gouvernements des pays à faible revenu, dans ce modèle c o m m e
dans le modèle a, est d'utiliser et d'intensifier l'interaction des

296
Les institutions internationales et la politique d e l'éducation

pays industrialisés et de leur pays pour abaisser les barrières


technologiques et culturelles au développement.
c) Les États sont des bureaucraties technocratiques qui planifient le
développement de leur société de la façon la meilleure pour leur
population, bien que celle-ci ne participe pas directement aux
décisions sur ce sujet. L'interaction des États est l'interaction des
technocrates de haut niveau qui planifient le processus d u déve-
loppement mondial. Les désaccords qui peuvent se produire entre
technocrates de différents pays (notamment de pays riches et de
pays pauvres) ne portent que sur la nature de la stratégie optimale
d u développement. D e plus, chaque bureaucratie technocratique
est libre de suivre sa propre stratégie de développement dans son
pays, bien que les pays industrialisés nefinanceraientpas volon-
tiers une stratégie trop ambitieuse dans ses objectifs ou ses moyens.
Les sociétés supranationales participent à cette planification en
tant que principaux investisseurs dans les pays à faible revenu.
d) L e modèle impérialiste correspond seulement aux modèles
marxistes de l'État. N o u s avons donc deux interprétations pos-
sibles. Dans la première, les États capitalistes, qui sont tous des
dictatures de la bourgeoisie, prennent une dimension mondiale.
Grâce au contrôle des investissements au niveau mondial, les
bourgeoisies dominantes (dans les économies industrielles) luttent
entre elles pour la suprématie sur les marchés commerciaux et
financiers ; les bourgeoisies des pays à faible revenu leur sont
assujetties et ont surtout pour rôle de fournir aux capitalistes de la
métropole les ressources exploitables de leurs économies, en
échange d'une part de l'excédent. E n d'autres termes, l'État
— expression politique de la bourgeoisie nationale — a u n rôle
essentiel : perpétuer les conditions qui permettent à la bourgeoisie
de se maintenir au pouvoir pour conserver sa position d'inter-
médiaire (son droit à une part de l'excédent produit par l'écono-
mie). C'est le modèle de dépendance le plus simple : celui que j'ai
étudié dans Education as cultural imperialism, afin d'expliquer la
place de l'éducation dans u n tel modèle de dépendance impérialiste.
D a n s la seconde interprétation, il n'y a pas seulement lutte entre les
bourgeoisies des pays à haut revenu et celles des pays à faible revenu,
représentées par leurs gouvernements respectifs, pour le partage de
l'excédent; il y a lutte à l'intérieur de chaque État—et pas seulement
entre les éléments bourgeois ( c o m m e prévu dans le modèle marxiste
« instrumentaliste » ci-dessus), mais aussi entre les classes dominées
et les classes dominantes. D a n s cette interprétation, si la bourgeoisie

297
Martin Carnoy

nationale domine le gouvernement des pays à faible revenu afin de


perpétuer les conditions qui lui permettent de partager u n excédent
maximal avec la bourgeoisie métropolitaine (qui contrôle le capital,
la technologie et l'accès aux marchés indispensables pour obtenir u n
excédent des pays pauvres), il existe des compétiteurs de taille pour le
contrôle de l'État, capables de modifier les conditions d'obtention de
l'excédent. Il se produit aussi d u côté de la métropole des conflits qui
modifient les conditions dans lesquelles la bourgeoisie métropoli-
taine investit, commerce et intervient dans les pays à faible revenu.
D a n s ce modèle, le rôle de l'éducation est complexe : la bourgeoisie
métropolitaine cherche à préserver les conditions où se perpétuent
les relations de production et la structure de classe qui y est associée ;
elle agit par l'intermédiaire de l'appareil gouvernemental, qui est
l'objet de conflits entre divers groupes — dont la bourgeoisie métro-
politaine et ses alliés les plus directs dans la société considérée.
Ayant ainsi défini les modèles, nous c o m m e n ç o n s à comprendre
l'origine des diverses conceptions d u rôle des organisations inter-
nationales dans l'éducation. D a n s la première interprétation de l'inter-
action des États, l'institution internationale répond aux demandes d u
gouvernement national, qui représente les besoins et les aspirations
de la population. Q u i plus est, l'intervention de l'institution inter-
nationale doit nécessairement contribuer au développement de la
société, et les politiques suggérées peuvent être acceptées ou rejetées
selon la politique de développement d u pays, établie avec la partici-
pation de la population qui est appelée à en bénéficier. L'éducation
intervient dans l'interaction des nations uniquement pour accroître
le capital humain disponible pour la production. Tout ce qui accroît
ce capital de façon efficace est utile pour le pays considéré.
D a n s la deuxième interprétation, les institutions internationales ont
pour rôle de réduire le fossé qui sépare les pays riches des pays
pauvres en fournissant à ces derniers une assistance technique et des
prêts. D a n s ce cas encore, l'intervention dans l'éducation répond à la
d e m a n d e nationale. Les institutions internationales contribuent au
développement de l'éducation en fournissant les services d'experts
que l'État d e m a n d e parce qu'il les estime nécessaires dans le cadre
d'une politique de développement conforme aux besoins exprimés
par la population. L e rôle des institutions internationales est donc
d'aider à renverser les barrières technologiques et culturelles entre
économies riches et économies pauvres ; mais la nature de l'assistance
à fournir et la voie à suivre pour le développement de l'enseignement
sont définies sur le plan national, en fonction des besoins nationaux.

298
Les institutions internationales et la politique d e l'éducation

D a n s la troisième interprétation, les institutions internationales


contribuent à l'internationalisation de la planification y compris celle
de l'éducation. Les décisions concernant les modalités de l'inter-
vention dans l'enseignement national sont prises par des groupes de
technocrates, qui déterminent ensemble les modalités optimales pour
le développement général, dans le cadre de la planification inter-
nationale. Les États respectent ces décisions, partant d u principe
qu'ils ne possèdent pas la capacité technique nécessaire pour procéder
aux réformes requises pour le développement général. D a n s l'en-
semble, la population accepte aussi ces décisions, se rendant compte
qu'elle n'a pas la capacité de jugement nécessaire pour décider ce qui
est le mieux pour le développement économique et social de sociétés
de plus en plus complexes. D a n s ce cas encore, l'interaction accrue
des technocraties de pays à revenu élevé et de pays à revenu faible
doit contribuer au bien-être de leurs populations respectives.
Enfin, dans le quatrième modèle, le rôle des institutions inter-
nationales apparaît lié aux besoins des bourgeoisies de la métropole
et des pays dépendants. D a n s la version « instrumentaliste », les
bourgeoisies nationales sont supposées s'adapter aux conditions
variables de perception des excédents par les capitalistes et les ges-
tionnaires métropolitains. L e rôle des institutions internationales se
rattache donc directement au contrôle qu'exercent les bourgeoisies
des pays industrialisés sur la division internationale d u travail,
laquelle se reflète au niveau national. D a n s la version « structura-
liste », le rôle des institutions internationales est moins clair. D a n s le
contexte de la lutte des classes dans les pays à faible revenu — et
surtout de la lutte entre classes dominantes des économies riches et
des économies pauvres — les institutions internationales peuvent
servir d'intermédiaire pour tenter d'atténuer les contradictions de
la domination métropolitaine et, à cette occasion, pour obtenir
des compromis plus favorables aux intérêts des groupes nationaux
dominants. L e modèle « structuraliste » suppose également une
certaine autonomie des institutions gouvernementales et para-
gouvernementales, laissant aux institutions internationales une cer-
taine « indépendance d'action » en matière de politique de l'éducation
— ce qui risque d'être en contradiction avec u n développement
axé sur la classe dominante dans la métropole et dans les écono-
mies dépendantes. Cette « indépendance d'action » apparaît d'ail-
leurs soumise au contrôle idéologique et structurel des institutions
internationales par les classes dominantes de la métropole capita-
liste, qui influencent directement ou indirectement l'utilisation des

299
Martin Carnoy

connaissances, la technologie, les marchés financiers et la bureau-


cratie internationale.
Lequel des modèles décrits semble le mieux conforme à la réalité ?
Certes, les institutions internationales sont très différentes. Certaines,
c o m m e la Banque mondiale, sont des institutions financières ;
d'autres, c o m m e les Nations Unies et l'OIT qui s'y rattache, sont
surtout des organes d'assistance technique. Les institutions natio-
nales d'aide à l'étranger, c o m m e l'AID (Agency for International
Development), sont aussi des organismes de financement et de prêt,
mais dépendant directement des instances nationales. Enfin, les
fondations, c o m m e Ford et Rockefeller, ne sont responsables q u e
vis-à-vis de conseils d'administration privés. Si le rôle de chaque
institution peut être différent, elles sont généralement considérées
dans les pays industrialisés c o m m e se ramenant à trois modèles :
ou bien le fossé entre pays riches et pays pauvres est réduit
pour répondre aux besoins des populations des pays pauvres (en
d'autres termes, à la suite d'une pression exercée par la population
sur le gouvernement en faveur de certaines réformes éducatives et
répercutée sur l'institution internationale) ; ou bien l'assistance
s'intègre à u n plan de développement établi technocratiquement par
des organismes nationaux et internationaux ; ou bien l'assistance
s'intègre à u n plan de développement établi technocratiquement par
des « experts » nationaux et internationaux. Ces plans font appel à une
interaction plus intense des pays riches et des pays pauvres afin de
réduire par des investissements dans l'éducation le fossé qui les sépare.
D e toute évidence, le premier modèle est à éliminer. D a n s le
contexte international de l'éducation, il n'est guère concevable que les
institutions internationales réagissent directement à des revendica-
tions de masse dans les pays à faible revenu. Pourquoi, dans les
années soixante, aucune de ces institutions ne s'est-elle attachée à
améliorer et à généraliser l'instruction primaire rurale, alors que c'est
précisément à ce niveau que se situaient les besoins de la grande
majorité des familles des pays pauvres ? Et c o m m e n t expliquer qu'à
la fin des années soixante-dix ces institutions essaient d'assurer
une formation de base « peu coûteuse » à orientation agricole, alors
que les familles rurales demandent précisément une instruction
primaire de type urbain qui permettrait à leurs enfants de quitter
les zones rurales ? U n fonctionnaire international peut se déclarer
incapable de répondre aux demandes de la population parce q u e
les institutions internationales doivent, après tout, traiter avec les
gouvernements ; mais cette incapacité implique en fait que les

300
Les institutions internationales et la politique de l'éducation

gouvernements ne reflètent pas les aspirations des masses en matière


d'éducation.
U n e autre explication est plus plausible, au moins d u point de vue
des pays à revenu élevé : il semble bien que les fonctionnaires inter-
nationaux qui travaillent avec les planificateurs de pays pauvres
n'entreprennent et n'appliquent des réformes qu'après avoir reçu le
« feu vert politique » des représentants d u gouvernement. Plus préci-
sément, on peut considérer que les conditions politiques d'un pays à
faible revenu l'amènent à demander et à accepter des réformes (et
leur financement) mises au point par les institutions internationales
et les planificateurs nationaux. E n général, les études de stratégie
— telles que Apprendre à être ou Éducation. Politique sectorielle —
peuvent être considérées c o m m e l'œuvre de technocrates internatio-
naux qui ont pour principal souci d'assurer une répartition efficace des
ressources et de réduire le fossé riches-pauvres, et qui n'accordent
qu'une attention limitée à la division internationale d u travail
imposée par les investisseurs métropolitains (division généralement
défavorable à la masse des travailleurs d u m o n d e ) .

Après cet exposé théorique, nous pouvons examiner le point de vue


de la Banque mondiale sur le problème de l'éducation, tel qu'il est
présenté dans son récent document : Éducation. Politique sectorielle.
C e document puise dans les déclarations politiques précédentes d u
personnel compétent de la Banque, faites dans les années soixante et
au début des années soixante-dix. C e n'est pas u n simple exposé des
types de projets que la Banque se propose definancerà l'avenir, mais
u n résumé de recherches qui donne les raisons pour lesquelles la
Banque souhaitefinancerces projets, et non d'autres. Ainsi Éducation.
Politique sectorielle va bien plus loin que ne le font la plupart des
organismes de prêt dans l'exposé de leur politique. L a Banque a
voulu définir une position cohérente, défendable, qui se fonde sur des
recherches conduites à la fois par le personnel de la Banque et par des
enseignants et sur les observations faites par la Banque elle-même dans
ce domaine, principalement dans le cadre de l'évaluation de ses projets.
L a position de la Banque est bien claire et on voit aussi dans quelle
catégorie d'analyse elle se situe. D a n s la suite de cet article, j'analyserai
la politique de la Banque en matière d'éducation en tant qu'exemple
important de la position dualiste-corporatiste, avec ses implica-
tions pour le changement économique et social dans les pays en
développement.
EPS c o m m e n c e par attribuer trois rôles à l'éducation : à) assurer

301
Martin Carnoy

la préparation et la formation de ressources humaines qualifiées


pour gérer le capital, la technologie, les services et l'administra-
tion dans tous les secteurs de l'économie ; b) faciliter, grâce à
u n personnel formé à cet effet, le renouvellement et le progrès
des connaissances, pures ou appliquées ; c) exercer une fonction
d'éveil des consciences en ce qui concerne l'utilisation de l'énergie,
la régulation des naissances et la protection de l'environnement.
"L'EPS reconnaît explicitement les « limites » d u changement en
matière d'éducation, dans le cadre de structures politiques et sociales
qui ne sont orientées ni vers la diffusion des connaissances ni vers
l'éveil des consciences.
« L'apport de l'éducation est cependant limité par, notamment,
l'ordre économique, le pouvoir politique et la structure sociale en
vigueur. Certes, l'éducation atteint son m a x i m u m d'efficacité lorsque
différents programmes et mesures interdépendants visant à améliorer
la situation économique et sociale agissent simultanément, mais il
ressort de l'expérience acquise par les pays en développement depuis
trente ans qu'en l'absence de réformes sociales délibérées, l'éducation
n'a pas toujours pour effet de maintenir ou de renforcer le statu quo.
A u contraire, l'élargissement de l'éducation provoque et facilite
l'évolution de la situation sociale et politique en donnant aux indi-
vidus par ailleurs désavantagés une certaine mobilité sociale et
économique qui leur permet de renverser les barrières traditionnelles.
U n individu qui comprend les notions de droits et d'actions poli-
tiques peut mobiliser activement les forces de changement, à l'échelon
de la c o m m u n a u t é et d u pays 1 . »
C e point de vue semble rejoindre la version structuraliste d u
modèle marxiste ou radical décrit plus haut : la Banque veut dire que,
de par sa nature, l'éducation peut produire des contradictions dans le
développement « traditionnel » — entendant par là ( c o m m e spécifié
plus loin dans le document) u n développement inégal, ne servant pas
les pauvres, laissant en arrière d'importants secteurs c o m m e l'agri-
culture, etc. Pourquoi donc prêter à la Banque une position dualiste-
corporatiste ? Tout d'abord, si Y EPS avait u n cadre structuraliste,
le reste d u document serait axé sur une politique de l'éducation
visant à donner des outils aux défavorisés pour briser les barrières
traditionnelles ; il étudierait les facteurs de changement de l'éducation
les plus propres à renverser ces barrières. L e rapport devrait donc
analyser le développement traditionnel, le rôle qu'y joue l'éducation
et c o m m e n t elle peut être réformée dans le contexte d'un développe-
ment de « transition » en vue de modifier le processus d u développe-

302
Les institutions internationales et la politique de l'éducation

ment. L'EPS ne fait rien de tel. Ainsi, le rapport laisse sans réponse
(à m o n avis volontairement) certaines questions fondamentales :
pourquoi le développement capitaliste, traditionnel et moins tradi-
tionnel, fondé sur la libre entreprise, laisse-t-il persister, surtout dans
les pays à faible revenu, de graves et croissantes inégalités — qui ont
pour effet d'exclure les pauvres des bénéfices d u développement —
ainsi que la famine, u n taux élevé de mortalité infantile et une crois-
sance démographique galopante en dépit des rapides progrès de
l'instruction et de toutes les réformes entreprises pour moderniser
l'enseignement ? E n fait, le rapport n'aborde m ê m e pas la question
soulevée par Irma A d e l m a n dans l'étude2 sur l'éducation et la
répartition des revenus qu'elle a effectuée pour la Banque. L e
professeur A d e l m a n s'efforce de montrer q u ' u n capitalisme idéalisé,
bien intentionné dans sa politique de développement et de redistri-
bution des revenus, pourrait obtenir u n e répartition égale des
revenus et u n taux de croissance économique plus élevé que celui
d'un groupe d'économies « socialistes » qui fonctionnent actuellement
(y compris la Suède et Israël qui sont plutôt socialisés que socialistes).
A d e l m a n ajoute cependant qu'une société capitaliste idéalisée de ce
genre existe seulement dans ses modèles de simulation et qu'il y a lieu
de se demander pourquoi.
U n e éducation améliorée peut-elle créer u n e telle société ? Peut-
être. Mais, pour convaincre les sceptiques, YEPS devrait pousser
l'analyse bien plus loin. A u lieu de proposer u n e stratégie de l'édu-
cation qui permette une exploitation des contradictions éventuelles,
ou d'étudier le rôle possible de l'éducation dans le maintien de
l'injustice et de l'inégalité (si contradictoire que soit ce rôle), le rapport
ramène les problèmes de l'éducation à cinq insuffisances : a) l'édu-
cation ne se développe pas assez rapidement pour absorber toute
la d e m a n d e et elle n'est pas répartie de façon équitable ; b) les
insuffisances internes maintiennent à la fois le niveau de scolarisation
et la qualité de l'enseignement très au-dessous de ce que les fonds
disponibles pourraient permettre ; c) les insuffisances externes
(marché d u travail/système d'enseignement) empêchent u n grand
n o m b r e de ceux qui quittent l'école de trouver u n emploi approprié ;
d) la gestion d u secteur de l'éducation ne correspond pas à la
complexité et à l'étendue de ce secteur et au rôle qu'on en attend ;
e) les contraintes financières (surtout la répugnance à recourir à
l'impôt) limitent la portée des stratégies d'extension et d'amélioration
de l'enseignement.
E n fin de compte, toutes ces insuffisances peuvent être surmontées

303
Martin Carnoy

grâce à des ressources supplémentaires et à une plus grande efficacité ;


il s'agit surtout de vouloir renverser les barrières traditionnelles,
développer l'éducation et la formation des responsables, améliorer les
techniques de production de personnel qualifié et l'affectation des
ressources à l'intérieur d u secteur de l'éducation. Ces problèmes
résultent, selon le modèle de VEPS, d'un m a n q u e de ressources, de
retards dans la formation des ressources humaines, ou d'une m a u -
vaise affectation des ressources, mais n o n de la nature des relations
qui existent dans la société ou d ' u n conflit de classes où u n groupe
chercherait à en dominer u n autre en utilisant, à côté d'autres insti-
tutions, le système d'enseignement.
Implicitement et explicitement, les problèmes posés par VEPS
peuvent être résolus par l'intervention d'experts et par une meilleure
utilisation d u capital. C'est ce que nous avons appelé le modèle
dualiste-corporatiste.
Il faut dire que, dans le cadre de ce modèle, le document de la
Banque est excellent. Je ne suis pas d'accord sur bien des points,
m ê m e pour des raisons techniques. Par exemple, les modèles de
recherche utilisés pour montrer qu'une meilleure formation des
enseignants se traduit généralement par de meilleurs résultats sco-
laires m e paraissent soulever des difficultés techniques. Mais je pense
que, m ê m e si l'on n'est pas d'accord avec le modèle de développement
de l'enseignement implicite dans VEPS, on doit reconnaître qu'il
existe des insuffisances dans l'enseignement, m ê m e là où il y a eu des
réformes en profondeur d u système économique et social. L a Banque
en identifie u n grand nombre et fait une analyse limitée des amélio-
rations possibles ; l'analyse est limitée parce qu'elle ne tient pas
compte des problèmes que posent nombre des solutions suggérées.
Ainsi, u n m o y e n d'économiser des fonds consisterait à aug-
menter l'effectif des classes ou le nombre d'élèves par enseignant*.
M ê m e si l'on néglige le problème d'espace que l'on peut résoudre
dans la plupart des cas, qui fait les frais des économies réalisées ?
L'enseignant, évidemment. Ayant affaire à une classe plus chargée,
l'enseignant doit fournir plus de travail, corriger plus de copies,
s'intéresser aux problèmes d'un plus grand nombre d'élèves, etc. S'il
exige une rémunération proportionnellement plus élevée, il n'y a plus
d'économies. E n d'autres termes, ce projet — si séduisant d u point
de vue de la Banque — consiste simplement à faire faire davantage de
travail pour u n m ê m e salaire. Ajoutons que la Banque ne recommande
pas cette politique pour l'université, mais pour l'enseignement pri-
maire — alors que les instituteurs sont déjà très mal rémunérés, ont

304
Les institutions internationales et la politique de l'éducation

un statut inférieur et manquent de formation. Ainsi, 1' « efficacité »


consisterait à donner une meilleure formation aux instituteurs, mais
à les payer sensiblement moins par élève. Si u n tel projet voit le jour
dans une société de marché « libre », où la lutte des classes est inhé-
rente au processus de production, il se heurtera probablement à des
difficultés considérables sur le plan politique tout en contribuant à
déconsidérer la profession enseignante et à réduire ses chances
d'attirer des jeunes intelligents et capables.
L e document mentionne constamment l'inégalité inhérente aux
systèmes d'enseignement (par exemple, « Redoublements et aban-
dons sont u n facteur d'inégalité des chances en matière d'éduca-
tion »4) et la Banque se préoccupe maintenant beaucoup d u fait
que ce sont les pauvres qui ont le moins de chances d'accéder à
l'instruction dans la plupart des pays en développement. Néanmoins,
la Banque semble manifester quelque réticence à admettre le caractère
fondamental de cette inégalité dans les sociétés où la division d u
travail est très structurée. Supprimer les redoublements aurait un effet
considérable sur les abandons — c o m m e la Banque le reconnaît —
mais il faudrait alors consacrer aux pauvres beaucoup plus de res-
sources que la plupart des sociétés à domination bourgeoise (en
particulier, les sociétés capitalistes à faible revenu) n'acceptent de le
faire : ouvrir plus d'écoles, former plus d'enseignants, accorder plus
de moyens, à tous les niveaux d u système. M ê m e ainsi — ce que la
Banque ne semble pas d u tout admettre — l'égalité des chances
économiques et sociales ne serait nullement garantie. E n effet,
pendant que l'enseignement se développe, le chômage général peut
augmenter et la répartition des revenus devenir plus inégale. Seul u n
développement considérable de l'enseignement primaire et de l'ensei-
gnement secondaire court aux dépens de l'enseignement supérieur,
associé à une politique de nivellement des salaires des diplômés de
toutes catégories, permettra d'instaurer une plus grande égalité. Quel
type d'économie ou de société entreprendra de développer les ensei-
gnements de base et de limiter l'enseignement supérieur, tout en
réduisant l'écart des salaires ? L e capitalisme idéalisé d'Adelman,
qui n'a jamais existé ? U n e société où les moyens de production sont
socialisés ou d u moins revendiqués par des organisations de travail-
leurs suffisamment puissantes sur le plan politique ?
L e chapitre 5 de VEPS nous suggère quelques réflexions sur
l'enseignement et le travail. Depuis des années, des organisations
internationales c o m m e la Banque et l'Unesco répètent qu'une
meilleure articulation entre le travail et l'école est la clé d'un

305
Martin Carnoy

enseignement plus efficace. L a Banque considère maintenant, à juste


titre, que le problème de l'emploi est beaucoup plus lié au marché du
travail qu'à l'enseignement : « O n peut également créer davantage
d'emplois en préférant, à des systèmes de production à forte intensité
de capital, des systèmes faisant davantage appel à la main-d'œuvre,
en améliorant l'infrastructure rurale, ou en affectant une plus grande
proportion des crédits d u budget de développement national à des
activités créatrices d'emploi 5 . »
Évidemment, VEPS insiste fortement sur 1' « amélioration » de
l'enseignement, grâce à une liaison plus étroite avec le travail ou
m ê m e à l'alternance d u travail et des études. C'est peut-être ici que
l'aspect technocratique du modèle corporatiste est le plus évident : les
rapports entre l'enseignement et le travail sont considérés c o m m e u n
problème d'efficacité pouvant être résolu par une meilleure gestion,
par une meilleure intégration de l'étudiant au m o n d e d u travail qui
est u n m o n d e « neutre » — peut-être à trop forte consommation de
capital, peut-être marqué par de trop fortes différences de revenus
entre emplois ruraux et emplois urbains ou par une trop forte insis-
tance sur le développement urbain, mais dont les insuffisances sont
susceptibles d'une solution technique. L e problème éducation-travail
consisterait donc à faire correspondre plus efficacement l'instruction
ou la formation aux types d'emplois offerts : « D a n s le domaine de la
politique de l'éducation, les principales questions concernant les liens
entre l'éducation et le travail sont celles d u type d'enseignement ou
de formation le mieux adapté à une fin déterminée et des formes
institutionnelles qui peuvent assurer cet enseignement ou cette for-
mation le plus efficacement6. »
O n voit clairement, cependant, que la politique de l'éducation, la
structure d u marché d u travail et les relations sur le marché d u
travail (l'enseignement scolaire et la préparation au travail) sont
totalement séparées — ce qui va à rencontre de la déclaration citée
plus haut, selon laquelle l'éducation est le m o y e n pour les défavorisés
de briser les barrières traditionnelles. Pour qu'ils puissent le faire,
la relation spécifique qui existe entre l'enseignement en tant que
m o y e n de perpétuer les rapports de production, d'une part, et la
division d u travail, d'autre part, doit être reconnue. C e chapitre 5
montre à l'évidence que l'EPS ne la reconnaît pas.
Néanmoins, c o m m e nous l'avons indiqué, une grande partie d u
contenu de YEPS sonne vrai et pourrait certainement être utile aux
pays qui procèdent à une restructuration radicale de leurs relations
économiques et sociales.

306
Les institutions internationales et la politique d e l'éducation

Lorsqu'il existe une volonté de changer la société pour servir la


masse de la population, il se pose encore des problèmes d'efficacité.
Peut-être, après tout, les technocrates sont-ils largement dans le vrai ;
peut-être le modèle dualiste-corporatiste de la Banque mondiale
et d'autres organisations internationales qui soutiennent que les
problèmes d'éducation sont essentiellement d'ordre technologique
— problèmes d'efficacité ou de ressources humaines et matérielles,
pouvant être résolus par des experts travaillant ensemble pour le
bien c o m m u n — est-il plus adéquat qu'un modèle de conflit et de
contradictions, de lutte de classes et de domination de bourgeoisies
nationales et internationales.
Toutefois, pour persuasif que soit ce modèle, je ne peux, quant à
moi, être d'accord avec sa façon explicite et implicite de poser les
problèmes d u développement et de l'éducation. L'idée d'une tech-
nocratie internationale « autonome » et bienfaisante, sans doute trop
bureaucratique mais généralement bien intentionnée et certainement
plus soucieuse d'élever les masses des pays à faible revenu que de
favoriser les investisseurs des pays développés, présente u n certain
attrait pour ceux qui ont d u mal à croire que les institutions inter-
nationales ne sont pas autonomes et que leurs recommandations sont
mises au point par des technocrates dans u n contexte spécifique et
selon des conceptions bien définies de ce qui est possible et de ce qui
est recommandable. Reconnaissons cependant que, dans les pays à
faible revenu, nombreux sont ceux qui estiment que ces institutions
et leurs technocrates sont les agents directs des classes dominantes
des pays industrialisés. Q u i a raison ? J'ai essayé de montrer dans
Limits of educational reform que les technocrates internationaux,
consciemment ou n o n , représentent u n e certaine conception d u
m o n d e et se réclament de modèles d u développement et d'une
image d u système international (voir plus haut) qui les amènent à
faire certaines suggestions plutôt que d'autres. Ces interventions et
les transferts de connaissances sont « intériorisés » dans l'activité des
technocraties à la fois au sein des gouvernements des pays à faible
revenu — qui s'efforcent désespérément de conserver le contrôle des
institutions de production afin de participer à l'exploitation des
excédents — et au sein des institutions internationales qui doivent
servir les classes dominantes des pays industrialisés et celles des pays
à faible revenu. Si le fossé pouvait être comblé en modifiant les rela-
tions entre pays riches et pays pauvres — avec le risque d'une rupture
partielle ou très grave de ces relations afin de modifier la division
internationale d u travail — l'organisation de l'assistance technique et

307
Martin Carnoy

financière changerait considérablement. Mais qui peut envisager que


des institutions internationales proposent des programmes pour
enlever pouvoir et ressources aux riches et les donner aux pauvres, et
mettent au point des systèmes de production non axés sur les besoins
des sociétés supranationales et des bourgeoisies nationales ? S'il peut
y avoir des exemples isolés d'une telle assistance par pays, il est
difficile d'imaginer la Banque mondiale ou l'Unesco procédant ainsi
de façon générale. Pour bien comprendre la façon de travailler de ces
institutions, il conviendrait d'étudier c o m m e n t et pourquoi elles
prennent certaines décisions, qui sont les technocrates qui les mènent
et déterminent leur politique, quelle est la nature de leurs relations
avec les gouvernements des pays en développement et c o m m e n t ces
pays à leur tour prennent leurs décisions concernant le système d'en-
seignement dans le contexte de leurs relations avec les institutions
internationales. Ayant observé depuis la seconde moitié des années
soixante l'action des institutions internationales sur le terrain, je pense
quant à m o i qu'elles ont une idéologie assez bien définie qu'elles
appliquent presque systématiquement aux pays à faible revenu. Les
institutions interviennent dans les conflits qui peuvent se produire
dans ces pays au sujet d u développement, en cherchant à légitimer
— grâce aux concepts d' « expertise » ou de « technologie avancée » —
certains types de réformes à l'échelle mondiale. Ces réformes sont
alors mises au point dans le contexte de la division explicite d u travail
et de l'organisation de la production dans les pays à faible revenu.
Derrière l'expertise, il y a évidemment le financement ou l'accès au
financement qui permettra de réaliser les changements suggérés.

E n conclusion, j'ai tendance à croire que le rôle des institutions


internationales dans la réforme de l'enseignement dans les pays à
faible revenu est d'orienter les changements dans des voies conformes
aux intérêts des bourgeoisies transnationales des pays développés et
des bourgeoisies des pays dépendants e u x - m ê m e s . Les r e c o m m a n -
dations faites et le type de financement rendu disponible pour
l'éducation doivent être conformes à la conception capitaliste trans-
nationale de la division internationale du travail (où se fera la pro-
duction et c o m m e n t ?), mais aussi compatibles avec la conception qu'a
la bourgeoisie nationale de son rôle dans le partage des excédents. Les
deux conceptions sont liées à la lutte pour le pouvoir des classes
dominées dans les pays à faible revenu et aux conditions changeantes
du pouvoir dans les pays industrialisés. Les institutions internatio-
nales réagissent généralement à ces luttes en laissant les arbres leur

308
Les institutions internationales et la politique d e l'éducation

cacher la forêt : elles repoussent à l'arrière-plan la lutte elle-même et


s'efforcent d'orienter les sociétés vers des voies qui ne retirent pas
radicalement le pouvoir aux classes dominantes nationales, alliées des
bourgeoisies métropolitaines. Il s'agit d'une tentative bien particulière
de contrôle d u changement. Les institutions interviennent dans la
lutte et ne restent pas neutres : elles ont une position à défendre et
utilisent pour ce faire l'expertise qu'elles ont définie elles-mêmes (et
des fonds).
Pourtant, en dernière analyse, Éducation. Politique sectorielle a peut-
être raison de dire que les activités éducatives peuvent indirectement
modifier les structures. L a Banque encourage les pays à promouvoir
l'enseignement primaire aux dépens de l'enseignement supérieur, à
investir dans les zones rurales au lieu de se concentrer sur le secteur
moderne, à améliorer la qualité de l'éducation pour les pauvres. Si
cette tendance se poursuit, les pauvres pourraient accroître leurs
possibilités par rapport aux riches et les contradictions qui existent
déjà dans les sociétés se développeraient. L e niveau m o y e n d'instruc-
tion des chômeurs pourrait augmenter rapidement et aussi, peut-être,
le mécontentement face à l'injuste répartition des revenus et des
richesses. L e processus peut durer longtemps, mais l'élévation d u
niveau m o y e n d'instruction des travailleurs permettrait d'organiser
plus efficacement u n changement économique et social radical.
Encourager les pays à faire d'importants investissements dans l'édu-
cation, surtout dans l'enseignement primaire, peut avoir pour effet de
détourner les ressources d'autres projets, qui tendent à accroître
encore les revenus des plus riches. Ainsi, il se peut que la Banque
aide effectivement à susciter le type m ê m e de changement radical que
le modèle dualiste-corporatiste estime inutile, voire préjudiciable au
progrès. M ê m e si des régimes « radicaux » continuent à demander
l'assistance de la Banque mondiale ( c o m m e c'est le cas de la R é p u -
blique socialiste d u Viet N a m , par exemple), ils modifieront aussi la
nature des relations entre les plus importants bailleurs de fonds de la
Banque et les économies d u tiers m o n d e dans u n sens très défavorable
aux supranationales métropolitaines et à u n système international qui
préfère la coopération entre riches et pauvres au risque de conflits
sérieux et peut-être irrémédiables.

309
Martin Carnoy

Notes

i. B A N Q U E M O N D I A L E , Éducation. Politique sectorielle, p. 15, Washington, D . C . , avril 1980.


2. Irma A D E L M A N et Sherman R O B I N S O N , Income distribution in developing countries, Stanford
University Press, 1978.
3. B A N Q U E M O N D I A L E , op. cit., p. 42.
4. Ibid., p. 33.
5. Ibid., p. 47.
6. Ibid., p. 47.

3IO
Pièces pour un dossier

L'éducation en Europe (2)


M . N . Skatkine et E . G . Kostiachkine

L'évolution prévisible de l'école


en U R S S *

L a nouvelle Constitution de l ' U R S S proclame O n sait que le développement de l ' h o m m e est


que l'État se fixe pour objectif « d'étendre les le résultat du processus de ses activités et rela-
possibilités réelles permettant aux citoyens d'ap- tions. Pour assurer le développement harmo-
pliquer leurs énergies créatrices, leurs capacités nieux des enfants, il convient de les faire parti-
et leurs dons et de développer harmonieusement ciper à des activités variées et de les mettre dans
leur personnalité ». C'est cet objectif stratégique des situations relationnelles de plus en plus
qui est à la base de la prévision d u développe- diversifiées et complexes, depuis la salle de classe
ment de tout le système d'éducation nationale. et l'équipe de pionniers jusqu'à l'entrée dans le
Les travaux de prévision à long terme menés m o n d e des relations économiques, profession-
par le Ministère de l'instruction publique et nelles et socio-politiques des adultes. L e genre
l'Académie des sciences pédagogiques concer- d'activités nécessaires pour u n développement
nent tous les types d'établissements d'éducation harmonieux a été déterminé et vérifié par l'ex-
et d'enseignement et tous les aspects de leur périence ; c'est l'apprentissage scolaire, le tra-
activité. L e présent article est consacré aux vail, le jeu, le développement des capacités
recherches entreprises pour une formulation physiques et l'amélioration de la santé, les
des perspectives de développement d u travail activités d'ordre culturel et social. L a pratique
éducatif de l'école. Ces recherches ne sont pas a montré que, pour assurer le développement
encore terminées ; c'est pourquoi les thèses harmonieux de la personnalité, il ne suffit pas
exposées ci-après ne doivent être considérées de se livrer simplement à différents types d'ac-
que c o m m e des éléments préliminaires qui de- tivités : il convient d'en assurer la complémen-
vront encore être précisés, discutés et vérifiés tarité et l'interdépendance et de disposer des
à la lumière de l'expérience. moyens pédagogiques appropriés. Pour qu'une
activité soit productive, il faut que l ' h o m m e
assimile l'expérience accumulée en ce domaine
M . N. Skatkine (URSS). Membre correspondant de par toutes les générations précédentes ; en d'au-
l'Académie des sciences pédagogiques, professeur, chef de tres termes, il faut qu'il acquière les fruits de
secteur à l'Institut de recherche scientifique de pédagogietoute la culture humaine. A u nombre des élé-
générale de l'Académie des sciences pédagogiques.
ments principaux de la culture qui doivent être
E. G. Kostiachkine (URSS). Professeur, chef du
Laboratoire des études prévisionnelles pour l'enseigne-
ment de demain à l'Académie des sciences pédagogiques de
l'URSS. Auteur de très nombreux ouvrages sur les pro- * L e présent article est extrait de Sovietskaya Pedagogika
blèmes de l'école de demain, la formation des cadres péda- (n° 5, 1979) dont nous remercions la rédaction de nous
gogiques, les problèmes scolaires des adolescents difficiles. avoir autorisés à le reproduire.

313

Perspectives, vol. X , n° 3, 1980


M . N . Skatkine et E. G . Kostiachkine

assimilés par les générations montantes, o n mation. L e recours aux programmes de télé-
distingue : a) les connaissances accumulées par vision scolaire est encore loin d'être satisfaisant,
la société sur la nature, les processus de la et l'on ne tient pas compte n o n plus d u relè-
réflexion, la technique et les moyens d'ac- vement du niveau d'instruction des parents.
tion ; b) l'expérience de l'application de certains Lorsqu'ils s'efforcent de prévoir le dévelop-
moyens d'action, se traduisant par les aptitudes pement futur de l'école, les spécialistes de
et les savoir-faire de l'individu qui assimile pédagogie cherchent à remédier à ces insuffi-
cette expérience ; c) l'expérience d'activités de sances. Dans l'école de demain, le plan d'études
création et de recherche en vue de la résolution ne devra plus déterminer uniquement les m a -
des nouveaux problèmes qui se posent à la tières à étudier et le nombre, pour chacune
société ; d) les normes déterminant l'attitude à d'elles, de leçons par semaine. C e sera u n
l'égard d u m o n d e et les relations avec autrui, plan global d'enseignement et d'éducation, pré-
c'est-à-dire le système d'éducation volitive, m o - voyant toutes les formes de travail scolaire et
rale, esthétique et affective. extrascolaire, organiquement combinées. Il est
Construire « le modèle pédagogique, corres- parfaitement évident que la leçon, malgré son
pondant à la c o m m a n d e sociale » pour le jeune caractère universel, ne permet pas de répondre
qui terminera l'école de l'an 2000 consiste à dé- à toutes les tâches complexes de l'enseignement,
finir le niveau nécessaire et réalisable d'assimila- à plus forte raison à celles de l'éducation au
tion des éléments de base de la culture correspon- sens large et d u développement harmonieux
dant aux types d'activités énumérées ci-dessus. de la personnalité. L e décret d u Comité central
Jusqu'à présent, ce sont les plans d'études d u P C U S et du Conseil des ministres de l ' U R S S
et les programmes scolaires qui ont servi à sur l'école (1977) souligne avec précision que
définir pour l'essentiel le volume des connais- la leçon est la forme éprouvée de l'enseigne-
sances qui doivent être obligatoirement assimi- ment, qu'elle développe chez les enfants de
lées et qui ont défini les activités d'éducation et hautes qualités morales et intellectuelles et les
d'apprentissage dans le cadre de la leçon. Cette prépare à la vie et à l'activité productive. Mais
conception du plan d'études n'assure ni la c o m - tout en restant le noyau d u processus d'ensei-
binaison équilibrée des différents types d'acti- gnement, elle doit cependant être de plus en
vités ni les relations indispensables au dévelop- plus largement complétée par des formes extra-
pement harmonieux de la personnalité et à la scolaires de travail pédagogique et éducatif. Il est
réalisation d'une bonne éducation générale et évident que cette manière de mettre en œuvre
polytechnique. C o m m e on l'a souvent indiqué le processus pédagogique n'est possible que dans
dans la presse, la surcharge des programmes et une école de type nouveau, dont le rythme de
des manuels scolaires a entraîné u n accroisse- travail et toute l'organisation sont différents. L a
ment du travail d'apprentissage à l'école et à la pratique et les recherches théoriques ont déjà
maison. Les enfants n'ont donc plus assez de permis de déterminer dans quel sens il convient
temps pour des activités régulières telles que le de s'orienter pour résoudre ce problème : il
travail productif, la gymnastique, le sport, le s'agit d'élaborer u n plan unique et cohérent
tourisme, le chant, la musique, la danse et des tâches d'éducation et d'enseignement englo-
autres activités artistiques. L'école d'aujour- bant et combinant harmonieusement toutes les
d'hui se préoccupe encore trop peu d u déve- formes d'activités scolaires et extrascolaires.
loppement des facultés créatrices, de la prépa- Cette planification se fonde sur le calcul d u
ration au travail et de l'éducation physique et temps total consacré par les enfants, tant à
esthétique, et elle sous-estime les formes extra- l'école qu'à la maison, aux principales formes
scolaires d'éducation, d'enseignement et de for- d'activités prescrites par les maîtres et qui sont

314
L'évolution prévisible de l'école en U R S S

étroitement liées entre elles : activités éduca- L'aspect le plus prometteur, mais aussi le
tives, sociales et politiques, production, arts, plus complexe, de l'organisation d u travail
sports et excursions, etc. A chacun de ces axes d'éducation et d'enseignement dans l'école à
d'activité correspondent des formes d'organisa- « journée complète » est le principe de la pla-
tion spécifiques qui déterminent le rythme de nification globale des activités extrascolaires et
travail de cette école nouvelle. C e plan d'études des leçons prévues par le plan d'études, de
implique tout naturellement l'organisation de manière que toutes ces études et activités consti-
groupes et de classes à journée prolongée. A tuent u n tout organique. Il va de soi que, dans
mesure que l'ensemble d u système scolaire cette planification, le plus important est la
adoptera le rythme de la journée prolongée, puis répartition dans le temps (journée, semaine,
de la « journée complète », son orientation édu- trimestre et année scolaire) des éléments essen-
cative en sera fortement renforcée et appro- tiels d u processus éducatif, à savoir : les leçons,
fondie, sans parler des possibilités de planifi- le travail fait en dehors de l'emploi d u temps
cation des divers autres aspects de la vie des officiel en laboratoire ou en atelier sous la direc-
enfants : repas, promenades, travaux de net- tion d u maître (pour la préparation des devoirs
toyage et d'entretien, etc. L'expression « école à domicile ou pour divers travaux de labora-
à journée complète » n'a pas encore reçu de toire, individuels ou par petits groupes), le
sanction officielle, mais a déjà pénétré non travail en salle d'étude ou dans la bibliothèque
seulement dans le langage scientifique mais de l'école sans la présence d u maître, l'appren-
m ê m e dans la pratique. A la différence des écoles tissage à domicile ou dans une institution extra-
à journée prolongée, les maîtres n'y sont pas scolaire et les diverses formes d'activités d'ap-
rattachés à des classes ou groupes définis. Les prentissage pendant les vacances d'été. Il va
crédits de fonctionnement sont utilisés pour de soi que, pour les enseignants, une telle
rémunérer en temps réel les maîtres utilisés en structure d u processus éducatif conduit à une
dehors des heures scolaires pour l'animation modification sensible de la planification de leur
et l'organisation de groupes variés, de clubs, travail — l'unité de planification étant ici la
d'activités récréatives, de camps de loisirs, etc., discipline enseignée, compte tenu du travail des
qui regroupent les enfants n o n seulement en élèves dans divers ateliers ou clubs relevant de
fonction de leur classe, mais également de leurs cette m ê m e discipline. L e déroulement tradi-
conditions de vie à la maison et de l'heure où tionnel de la leçon se trouve également modifié.
leurs parents rentrent au foyer après le travail. L'essentiel d u travail de contrôle et d u travail
Ainsi l'école à « journée complète » est u n nou- individuel avec chaque élève se fait en dehors
veau type d'école ouvert pendant toute la jour- des heures de classe, ce qui laisse au maître
née et permettant de combiner d'une manière plus de temps, pendant la leçon, à l'explication
cohérente les différents types d'activités souhai- de notions nouvelles, à leur systématisation ; il
tables en liaison avec le plan d'études et les est fait plus largement appel au raisonnement
intérêts individuels des élèves. Sur le plan de la logique et à l'activité de recherche des élèves,
médecine et de l'hygiène, les règles fondamen- aux procédés et modalités de résolution des
tales d'organisation de cette école ont été mises problèmes, et le caractère polytechnique de
au point par l'Institut de recherche scientifique l'enseignement est également renforcé. E n fait,
et de physiologie des enfants et des adolescents tout le temps consacré à la leçon devient u n
de l'Académie des sciences pédagogiques, et temps éducatif et formateur, élaborant la concep-
son organisation pédagogique est due à l'Institut tion du m o n d e des élèves, tandis que les aspects
de recherche scientifique de pédagogie générale techniques et auxiliaires de l'activité éducative
de cette m ê m e académie. ont lieu en dehors de la leçon.

315
M . N . Skatkine et E. G . Kostiachkine

Les recherches entreprises actuellement en scientifique d u m o n d e . Cela suppose qu'on


vue de perfectionner le contenu de l'enseigne- c o m m e n c e par l'étude systématique des divers
ment et d'établir de nouveaux programmes aspects d u mouvement de la matière : la nature
apporteront rapidement des modifications pro- inerte, puis vivante, la société, enfin la pensée.
fondes dans la didactique et l'organisation d u Cette conception analytique de la réalité est
processus d'apprentissage. Mais dès maintenant la mieux servie par u n plan d'études structuré
on peut indiquer les orientations les plus impor- par disciplines. Cependant, cette structure par
tantes de la modernisation des programmes disciplines recèle un danger, celui d u cloisonne-
dans les principales disciplines. D a n s le contenu ment des connaissances : selon les diverses
de l'enseignement, deux parties sont à dis- disciplines, les parties peuvent masquer le tout.
tinguer : la partie c o m m u n e obligatoire et la Pour parer à ce danger, il est indispensable,
partie optionnelle destinée, en fonction du choix dans le contenu de l'éducation, de prévoir la
des élèves, à approfondir leur formation en vue réunion des parties en u n tableau complet et
de l'enseignement supérieur et de l'exercice harmonieux. Cet objectif est atteint grâce à la
d'une activité professionnelle, et dans la per- présence dans le plan d'études de cours de
spective de la formation continue. L a partie synthèse (étude des sociétés, biologie générale)
obligatoire doit être à la fois accessible à l'en- ainsi que de cours de synthèse dans la présen-
semble de la population scolaire et d'un niveau tation des diverses matières, portant sur les
suffisant pour réaliser l'objectif d'un enseigne- relations interdisciplinaires, etc. Pour que s'éla-
ment général et polytechnique. L e plan global bore dans la conscience des élèves une vision
combinant les tâches scolaires et éducatives cohérente d u m o n d e , il est indispensable de
devra évidemment réserver la première place réaliser dans le plan d'études une liaison har-
aux activités d'apprentissage scolaire. A cet monieuse entre les matières scientifiques et les
égard, le problème est de savoir s'il faut matières de sciences humaines. D a n s le contenu
conserver la structure actuelle, où le contenu des diverses disciplines, il est indispensable de
de l'enseignement est réparti par disciplines, ou procéder à u n choix des connaissances et de
s'il faut lui substituer quelque autre structure. savoir-faire qui doivent constituer la base de
A l'étranger, on continue à élever des objections l'éducation générale et polytechnique nécessaire
contre la structure par disciplines et l'on s'ef- à tout être humain, quelle que soit sa profession
force d'en réorienter le contenu autour de future et qu'il ait ou non l'intention de pour-
quelques axes majeurs, thèmes pluridiscipli- suivre des études supérieures. Les élèves qui
naires ou « projets ». Quant à nous, notre expé- souhaiteront entrer dans l'enseignement supé-
rience en ce domaine et nos recherches théori- rieur pourront recevoir à l'école m ê m e la forma-
ques nous ont amenés à la conclusion qu'il tion complémentaire dont ils ont besoin en
serait erroné d'élaborer le plan d'études selon procédant à l'étude plus approfondie des m a -
cette conception. N o u s s o m m e s persuadés qu'à tières à option ou bien en suivant des cours
l'avenir aussi il n'y aura pas de raison de rejeter préparatoires organisés par les établissements
la structure par disciplines, dans la mesure où, d'enseignement supérieur. Ces mesures per-
mieux qu'aucune autre, elle permet la forma- mettront d'enfiniravec la surcharge des pro-
tion d'un système de connaissances et de sa- grammes scolaires, dont la nocivité est bien
voirs scientifiques et d'une vision cohérente d u connue.
monde.
L a structure par disciplines d u plan d'études
U n e des tâches principales de l'enseignement comporte encore u n autre danger : il peut se
général consiste à assurer la formation dans la former dans la conscience des élèves des strates
conscience des élèves d'une vision moderne et de connaissances indépendantes les unes des

316
L'évolution prévisible de l'école en U R S S

autres et qu'ils auront ensuite d u mal à utiliser disciplines existantes par de nouvelles connais-
en tant qu'instruments de cognition et d'action. sances indispensables pour l'éducation générale,
Lorsque l ' h o m m e se heurte à une situation dans la mesure où l'on ne peut pas dire que
faisant problème, il lui faut trouver la meilleure chaque discipline est une copie format réduit
solution possible en se fondant sur ses connais- d'une science mais qu'elle présente u n système
sances acquises. C'est pourquoi il convient que élaboré sur le plan didactique de connaissances
les enfants s'exercent en milieu scolaire à mobi- générales relevant d'un domaine scientifique
liser l'ensemble des connaissances qu'ils ont donné. Les autres moyens d'enrichir le contenu
acquises dans les différentes disciplines. O n a de l'éducation sont les cours à option, les acti-
cherché, autrefois, à résoudre ce problème en vités éducatives extrascolaires, ainsi que la télé-
concevant des programmes qui procédaient à la vision, la radio, le cinéma, le théâtre, la lecture
synthèse des connaissances sur la nature et d'œuvres littéraires, d'ouvrages de vulgarisation
sur la société à partir d'un axe lié au travail scientifique, etc. Chaque élève doit avoir la
productif. Mais cette synthèse était acquise à possibilité d'approfondir ou d'étendre le c h a m p
u n prix trop élevé : l'abandon de l'apprentissage de ses connaissances dans le domaine qui l'in-
systématique d u fondement des sciences. Afin téresse, sciences, arts ou techniques, en utilisant
de ne pas répéter les erreurs d u passé, il convient à cette fin les sources et les moyens d'appren-
de prévoir, dans toutes les formes d'activités tissage appropriés.
extrascolaires, une utilisation cohérente et m u l - L e souci d u renforcement de la fonction
tisectorielle des connaissances et d u savoir-faire éducative et formatrice de l'école doit se traduire
acquis au cours de l'apprentissage systématique également dans les programmes. E n s'inspirant
d u programme des fondements des sciences. des éléments de la culture énumérés plus haut,
Ainsi parviendra-t-on d'une part à effectuer il conviendra de s'assurer que les programmes
la synthèse des aspects pédagogiques posi- comportent pour chaque discipline les points
tifs des deux structures de présentation d u suivants : u n système de connaissances des
contenu des connaissances, la structure par disci- explications et des conclusions contribuant à
plines et la structure pluridisciplinaire, d'autre élaborer une conception d u m o n d e ; des apti-
part à réaliser l'unité des connaissances et tudes et des savoir-faire de trois ordres : ceux
des activités scolaires, de l'enseignement et de portant sur les objets, ceux qui concernent les
l'éducation. processus de l'activité intellectuelle et ceux qui
A u cours des recherches visant à perfection- ont trait à l'organisation correcte d u travail
ner le contenu de l'éducation, il a souvent été d'apprentissage ; et une série de leçons en forme
proposé d'accroître le nombre des disciplines de problèmes concrets à résoudre, afin de déve-
figurant au programme. Cependant, u n accrois- lopper le goût individuel d u savoir et la pensée
sement d u nombre des discplines obligatoires créatrice. Il convient de faire apparaître très
suscite de sérieuses objections : la diversification clairement dans les programmes, et particuliè-
d u programme en serait certainement accrue et rement dans les manuels, les éléments essentiels,
il en résulterait une surcharge supplémentaire. faits, concepts, lois, principes, idées, théories
Ajoutons que l'introduction de nouvelles disci- qui devront être consciemment appris et e m -
plines n'est pas le seul m o y e n ni le meilleur magasinés dans la mémoire, en tant que fonde-
d'enrichir le contenu de l'enseignement. L'ap- ments de l'éducation générale et polytechni-
parition de nouvelles sciences ne doit pas né- que. L a structuration des connaissances autour
cessairement conduire à l'introduction de nou- d'idées scientifiques centrales n o n seulement
velles disciplines dans les plans d'études : il facilite la compréhension et le travail de la
suffit généralement d'enrichir le contenu des mémoire logique, mais permet la formation

317
M . N . Skatkine et E. G . Kostiachkine

d'une conception globale de la réalité, concep- modifier le déroulement de la leçon et les


tion qui n'est pas encombrée de détails inutiles. programmes d'enseignement, mais plutôt à réa-
O r , c'est là un rôle très important de l'enseigne- liser de profonds changements dans les activités
ment général. U n e bonne structure logique des éducatives hors programme et dans le dévelop-
connaissances facilite également, par la suite, pement des formes et des méthodes destinées à
leur utilisation en tant qu'instruments de c o m - enseigner aux élèves c o m m e n t « compléter par
préhension et d'activité créatrice. e u x - m ê m e s leurs connaissances et s'orienter dans
Par ailleurs, les connaissances qui jouent u n la masse des informations scientifiques et poli-
rôle auxiliaire et servent à illustrer, à c o m m e n - tiques » (ibid.). Il faut prévoir à l'intention des
ter, à informer doivent être clairement indiquées élèves, dans chaque discipline, u n large choix
dans les programmes et dans les manuels de connaissances complémentaires pouvant être
c o m m e ne devant pas faire l'objet d'un appren- assimilées sous des formes didactiques et orga-
tissage approfondi. Il faut que les élèves appren- nisationnelles variées : avant tout dans les cours
nent systématiquement à rechercher par eux- à option, dans des groupes spécialisés, par des
m ê m e s les informations nécessaires dans les conférences scientifiques ou par des travaux
divers ouvrages de référence. C e type d'appren- individuels prolongés sur un thème donné (sous
tissage doit être prévu dans les programmes la supervision et avec l'aide d u maître), etc.
de toutes les disciplines. Cela permettra de Dans ces activités, on verra de toute évidence
combattre la tendance des élèves à apprendre s'accroître rapidement le rôle d u travail ac-
tout par cœur, l'important et le secondaire, et compli non seulement dans les bibliothèques et
il en résultera u n gain de temps pour le travail les laboratoires scolaires, mais aussi dans les
de réflexion créatrice. Pour exercer l'activité maisons de pionniers, les clubs de jeunes, les
cognitive des élèves, il convient de mettre au salles de conférences destinées à la jeunesse
point tout u n ensemble d'exercices person- dans les universités, les instituts et autres insti-
nels dans toutes les disciplines. Dans le pro- tutions scientifiques et culturelles. D è s main-
cessus d'enseignement, il convient de lier d'une tenant les élèves peuvent développer leur goût
manière harmonieuse les différentes méthodes d'apprendre grâce aux émissions éducatives ou
d'enseignement : cours explicatifs et illus- de vulgarisation scientifique de la télévision,
tratifs, exercices d'entraînement pour l'acqui- dont l'éventail des thèmes et le sérieux ne ces-
sition définitive d u savoir-faire, enseignement sent de croître. L e travail des élèves dans les
visant à la solution de problèmes, éléments clubs scientifiques de jeunes créés au sein des
d'enseignement programmé. U n e attention entreprises industrielles et surtout agricoles as-
particulière doit être accordée à la liaison sumera u n rôle important. C'est en effet dans
étroite entre l'enseignement et la vie, le travail ce domaine que l'on peut combiner études
et la pratique de la construction d u m o n d e théoriques et travail pratique sérieux, l'acqui-
communiste. sition de l'expérience, la construction de nou-
veaux matériels, les soins à donner aux animaux
A la lumière de la déclaration de L . I. Brejnev et aux plantes. C'est là que s'éveille l'intérêt
au X X V e Congrès d u P C U S selon laquelle « dans pour la science et que s'acquièrent les aptitudes
les conditions actuelles, alors que le volume élémentaires en vue du travail scientifique. Les
des connaissances indispensables à l ' h o m m e animateurs de ces ateliers ou clubs peuvent
s'accroît rapidement, il n'est plus possible de être aussi bien des enseignants que des techni-
se donner c o m m e but essentiel d'apprendre
une s o m m e définie de faits »*, lorsqu'on cher-
che à déterminer ce que doit être l'école de
* Actes du X X V e Congrès du P C U S , Moscou, 1976,
demain, il faut chercher n o n pas tellement à p. 77, en russe.

318
L'évolution prévisible de l'école en U R S S

ciens expérimentés, des ingénieurs, des agro- organiquement avec u n élan émotionnel et u n
nomes, des zootechniciens, etc. sentiment de joie, si dans le processus de re-
Il va de soi que le développement des liens cherche des connaissances et de lutte contre les
entre l'enseignement scolaire et extrascolaire difficultés on introduit u n élément de jeu, ce
ainsi que l'étendue accrue d u contenu, des for- qui est particulièrement possible en dehors des
m e s et des méthodes d'éducation entraîneront heures de classe et dans u n enseignement hors
inévitablement le recours à de nouveaux critères programme, l'efficacité d u travail scolaire s'en
d'évaluation de l'éducation et du développement trouvera fortement accrue, les relations collec-
intellectuel des élèves et à la recherche de formes tives des élèves deviendront plus étroites et l'on
plus souples de contrôle des activités d'appren- verra s'élever le tonus général de leur état
tissage. N o u s entendons par là u n type de physique et psychique. Q u a n d on affirme, à
contrôle et d'évaluation des connaissances qui, juste titre, que l'école doit être pour l'enfant
au lieu de favoriser le formalisme, l'apprentis- une maison de la joie, on songe en général au
sage par cœur, le bachotage, stimulerait au temps libre, aux loisirs, à l'agrément des jeux
contraire la recherche personnelle d u savoir et pendant les récréations et les promenades et à
une attitude dynamique à l'égard de l'appren- d'autres activités intéressantes, mais on oublie
tissage, le sentiment d u devoir d'apprendre. Il curieusement la principale source de joie qui,
faut élaborer pour les maîtres des méthodes pour l'enfant, est la réussite dans ses études.
simples et faciles à utiliser pour diagnostiquer C'est ce succès qu'il faut assurer, et les formes
les divers niveaux de connaissances et d'apti- ludiques donnent à cet égard de très bons résul-
tudes, le degré de développement intellectuel, tats. Les meilleurs exemples d'utilisation de
le développement des facultés créatrices dans les m o m e n t s ludiques nous sont donnés par les
diverses formes d'activité. Il est vraisemblable « grands savants » eux-mêmes, par les contacts
qu'un tel système de contrôle conduira à la que les diplômés en sciences ont avec les enfants
convergence de l'évaluation pédagogique et de notamment à l'occasion de certains séminaires
l'auto-évaluation, accroîtra le rôle pédagogique et par les discussions libres des « jeudis » ou des
de l'évaluation des connaissances, qui deviendra « vendredis » traditionnels organisés par des
pour l'élève une indication de la nécessité de académiciens. Sans exclure, le m o m e n t voulu,
revoir tel sujet ou telle question, pour le maître l'approche la plus sérieuse, les grands savants
un signal l'incitant à adopter une autre approche utilisent volontiers l'humour, créent pour les
à l'égard de cet élève, et pour l'ensemble des enfants une atmosphère détendue, avec des
élèves u n avertissement révélant la présence éléments ludiques ou de compétition lors de la
d'éléments négatifs dans le processus d'ensei- résolution des problèmes les plus difficiles.
gnement. L e resserrement des relations entre
L e développement d'un processus pédago-
les élèves, tout particulièrement dans les acti-
gique axé sur les orientations exposées ci-dessus
vités éducatives hors programme, recèle des
pose nécessairement un certain nombre de pro-
ressources considérables pour accroître leur in-
blèmes extrêmement difficiles à résoudre, ceux
térêt et faciliter le travail d u maître.
des moyens nécessaires pour parvenir au résul-
Pour développer les moyens d'éducation d'or- tat souhaité. N o u s nous arrêterons sur trois de
dre didactique destinés à compléter le processus ces problèmes qui, à notre avis, sont les plus
pédagogique de base, la forme d'activité édu- importants. L e premier est, à n'en pas douter,
cative la plus répandue sera la forme ludique. celui de la formation des maîtres. Ces dernières
Il va de soi que le savoir n'est pas u n jeu ni années, bien des choses ont été réalisées dans
un amusement, mais le résultat d'un travail ce domaine. Cependant, c o m m e le montre l'ana-
sérieux. Néanmoins, si ce travail se combine lyse de l'adaptation au travail scolaire des

319
M . N . Skatkine et E. G . Kostiachkine

enseignants frais émoulus des universités et des E n fin de compte, les instituts pédagogiques et
instituts pédagogiques, ceux-ci continuent tou- les sections pédagogiques des universités doi-
jours à recevoir une formation basée sur le vent en venir à une conception d u travail o ù
schéma traditionnel consistant essentiellement l'on formera des maîtres pour l'avenir, c'est-à-
à apprendre la théorie de leur discipline et la dire en prévoyant ce que sera l'évolution de
manière de conduire une leçon. D a n s le nombre l'école au bout de cinq à dix ans au m i n i m u m ;
d'heures consacrées à leur formation, la partie il leur faut modifier leurs plans d'études et
réservée à l'enseignement psychopédagogique leurs programmes en fonction des tendances et
est manifestement insuffisante. Il n'y a donc pas des perspectives générales et clairement consta-
à s'étonner si les nouveaux enseignants connais- tées de l'adoption par l'école de formes et de
sent m a l la psychologie et la physiologie de méthodes d'enseignement et d'éducation qui,
l'enfant, l'hygiène scolaire, les méthodes de à l'heure actuelle, ne sont pas encore la norme.
travail s'appliquant aux adolescents « difficiles », Pour mener à bien cette tâche, il y a deux aspects
la manière d'organiser les activités extrasco- opérationnels : le premier est une étude systé-
laires, etc. Insuffisante par rapport aux exigences matique et approfondie, par tous les respon-
et aux conditions de l'école actuelle, la formation sables de la formation des maîtres, non seule-
des futurs enseignants est encore plus insuffi- ment de l'expérience des écoles d'avant-garde,
sante par rapport aux perspectives de son évo- mais également des principales orientations de
lution. Les jeunes enseignants ont d u mal à la recherche scientifique expérimentale et leur
organiser une leçon de type élémentaire, à propre participation active à cette recherche
diriger une réunion d'élèves, à aider ceux-ci dans les écoles d'application ; le second est
à réaliser u n journal mural. Alors que durant l'établissement de profils types souples de ce
leur stage pédagogique et pendant leurs pre- que les enseignants devront être dans un proche
mières années d'enseignement ils s'attachent avenir. O n dispose déjà des éléments néces-
à apprendre les techniques élémentaires d'or- saires à l'élaboration de tels profils types, dont
ganisation de leur travail pédagogique, l'école les contours sont définis par les orientations
va rapidement de l'avant, les programmes se prévisibles d u processus éducatif exposées ci-
modifient, l'enseignement et l'éducation par le dessus.
travail s'approfondissent, les cours d'été, les
L e deuxième problème est la nécessité de
rapports avec la famille et avec le milieu de
mettre rapidement au point, à côté des manuels
travail environnant modifient de manière radi-
officiels, des matériels auxiliaires destinés à
cale le rythme et le contenu des activités extra-
développer l'initiative des élèves. Il convient
scolaires de leurs élèves. Pour constater ces
tout particulièrement d'assurer la publication
tendances, il n'est nullement besoin de s'inté-
de recommandations méthodologiques destinées
resser aux prévisions relatives à l'école de
aux élèves pour les aider dans leurs travaux
l'an 2000 : ces modifications se produisent dès
personnels en laboratoire, tâche à laquelle les
aujourd'hui d'une manière massive et définis-
maîtres doivent actuellement consacrer beau-
sent clairement la situation pédagogique de
coup d'énergie et de temps. Et le troisième pro-
l'école des années 1985-1990. L'école accueille
blème, qui est étroitement lié au précédent, est
déjà les enfants à partir de l'âge de six ans,
celui des installations matérielles indispensables
utilise largement et systématiquement les émis-
au processus éducatif, depuis l'équipement des
sions scolaires de télévision, pratique en pro-
laboratoires jusqu'aux conceptions architectu-
fondeur l'orientation professionnelle des élèves
rales modernes en matière d'établissements sco-
à lafind u cycle de huit ans, applique de nou-
laires. Il convient d'élaborer des projets d ' a m é -
velles formes de gestion et d'organisation, etc.
nagement des locaux scolaires en ayant en vue

320
L'évolution prévisible de l'école en U R S S

les perspectives de développement de l'école, années en vue de dégager les perspectives de


d'étudier différentes variantes pour le réaména- développement de l'école d'enseignement géné-
gement ultérieur des lieux d'étude pour diffé- ral et de généraliser l'expérience des écoles
rents types d'établissements, et de rechercher d'avant-garde. Cependant, aucune de ces idées
des modes de coopération entre les écoles d'en- n'a la prétention de se voir en toute certitude
seignement général, les collèges et instituts mise en application à l'échelon national : la vie
professionnels et techniques, les maisons de la elle-même imposera ses modifications, c o m m e
culture, les clubs, etc., en vue de l'utilisation elle le fait quotidiennement à l'égard non seule-
des locaux pour les activités extrascolaires, ment des prévisions à long terme et des calculs
y compris les activités éducatives. Il y a là u n scientifiques, mais également des plans déjà
vaste c h a m p d'activité en perspective, si l'on adoptés et aux normes en vigueur. E n tout état
s'inspire de l'intérêt général pour aborder la de cause, il est un fait incontestable et évident,
question de l'utilisation rationnelle de l'infra- c'est que l'école évolue rapidement, qu'elle n'a
structure matérielle de l'éducation nationale. pas le droit de rester à l'écart d u développement
du pays et d u rythme actuel de la révolution
Les idées exprimées dans cet article se fondent scientifique et technique. Fixer, sur le chemin
sur des travaux théoriques et des recherches de cette évolution, des repères sérieux est le
expérimentales menés depuis de nombreuses devoir de tout groupe de recherche pédagogique.

321
John Eggleston

Objectifs de l'éducation
dans les années quatre-vingts

Les objectifs de l'éducation ont toujours suscité d u commerce. Les théoriciens des programmes
le plus vif intérêt dans tous les systèmes d'en- scolaires, tels que Bloom (1956) avec ses taxo-
seignement. Les écoles et les maîtres ont tou- nomies des objectifs de l'éducation, pensaient
jours ressenti la nécessité de justifier leurs exis- qu'il était possible d'implanter des techniques
tence et les élèves ont toujours eu besoin d'une d'administration c o m m u n e s à tous les types
motivation pour aller en classe et apprendre d'enseignement. Cependant ce mouvement a
leurs leçons. O r , le plus souvent, nous nous pris naissance non pas chez les théoriciens et les
s o m m e s contentés de formuler ces objectifs en analystes de la gestion, mais dans les travaux
termes vagues et d'en recommander la réalisa- beaucoup plus respectés des philosophes de
tion au lieu de la prescrire. N o u s avons soutenu l'éducation, et plus particulièrement de ceux
que l'éducation vise à encourager des vertus qui ont été à l'origine de la renaissance de la
c o m m e l'amour de la vérité, l'intégrité, l'assi- philosophie de l'éducation, l'écartant des plati-
duité ; nous avons cherché à développer la tudes bien intentionnées pour en faire un m o d e
curiosité ou le sens de l'initiative, ou nous nous d'analyse nouveau et rigoureux. Les initiateurs
s o m m e s m ê m e contentés de dire que le but de de ce mouvement furent Phénix aux États-Unis
l'éducation est la liberté. et Hirst en Grande-Bretagne.
Cependant, au cours des années cinquante et
soixante, on a p u constater dans les systèmes
d'éducation du m o n d e entier un intérêt nouveau Genèse de la notion
pour des objectifs beaucoup plus particuliers et d'objectifs de l'éducation
beaucoup plus précis. Cet intérêt s'apparentait
étroitement au mouvement en faveur de la ges- C'est à Hirst qu'on doit la notion de « formes
tion par objectifs dans le m o n d e des affaires et de connaissance ». Celles-ci proviennent selon
lui de la différenciation progressive, dans la
conscience de l ' h o m m e , de sept ou huit sys-
John Eggleston (Royaume-Uni). Professeur de sciences
de l'éducation et chef du Département de l'éducation à
tèmes cognitifs distincts (Hirst, 1975). Elles
l'Université de Keele. Directeur du projet du Départe- peuvent être scientifiques, mathématiques, reli-
ment de l'éducation et des sciences sur la formation gieuses, morales, historiques, sociologiques et
pédagogique relative à l'éducation multiculturelle. Au-esthétiques, consistent en agrégats de notions et
teur d'un grand nombre de livres et d'articles, notam-
de modalités qui leur sont propres et se récla-
ment : T h e ecology of the school / Sociology of the
school curriculum ; Decision making in the classroom ment dans chaque cas de la vérité d'une manière
et School-based curriculum development in Britain. particulière. L a plupart des formes de connais-

322

Perspectives, vol. X , n° 3, 1980


Objectifs de l'éducation dans les années quatre-vingts

sanee possèdent des traits distinctifs fondamen- objectifs étant déterminés par les formes
taux : des concepts essentiels particuliers à cha- de connaissance et par le développement
cune d'entre elles, une structure logique propre ; progressif de l'esprit de l'élève qui leur est
des expressions ou des énoncés qui, du fait des associé.
termes et de la logique de la forme en question, Phénix (1964), dans Realms of meaning ( D o -
peuvent être soumis à l'épreuve de l'expérience ; maines de signification), propose une concep-
des techniques et des méthodes permettant de tion de la connaissance plus « axée sur la per-
sonder l'expérience et de vérifier leurs expres- sonne » que celle de Hirst ; il voit en effet dans
sions particulières. les êtres humains « essentiellement des créatures
Il existe également des domaines de connais- capables de vivre des significations ». L e propre
sance, tant théoriques que pratiques, qui se de l'existence humaine est d'être u n réseau de
distinguent par leur contenu et non par une significations. E n outre, « l'enseignement général
forme d'expression propre. Dans ce contenu, est le processus générateur de significations
ils font appel aux diverses disciplines en fonc- essentielles » (1964, p. 5). Pour Phénix, la nature
tion des besoins et sont donc en quelque sorte de la connaissance découle en partie de la nature
interdisciplinaires. L a géographie, par exemple, de l'esprit humain, et c'est là u n élément
est un domaine d'étude théorique et l'ingénierie important de sa conception de la connaissance.
un domaine pratique. Hirst voit dans l'esprit u n simple instrument
Hirst considère que, malgré les rapports permettant à l'individu de saisir la nature fonda-
qu'ils entretiennent, la religion, la littérature et mentale de la connaissance ; pour Phénix, l'es-
les beaux-arts, en particulier, représentent des prit participe lui-même à l'élaboration de la
formes de connaissance spécifiques. D'après lui, connaissance. Il considère cependant l'esprit
le programme d'études peut être clairement c o m m e « donné », tout c o m m e la connaissance
analysé en fonction des formes et des domaines elle-même, de sorte que finalement ses conclu-
de connaissance et des structures formelles qui sions sont voisines de celles de Hirst*. Il est
les unissent. Hirst ne prône pas pour autant u n certain que l'on trouve chez Phénix l'idée d'un
programme traditionnel par matière ; pour m o n d e réel, objectif, que nous pouvons décou-
Stenhouse, au contraire, il condamne plutôt vrir et expliquer, et auquel nous pouvons
qu'il ne défend la division actuelle en matières donner u n sens (1962, p. 280) : « Il existe u n
(Stenhouse, 1975, p. 20). Cependant Hirst logos de l'être qu'il appartient à la raison de
demande que tout programme restefidèleaux découvrir. L a structure des choses est révélée,
formes de connaissance qui le sous-tendent et non pas inventée, et la recherche a pour tâche
qu'il doit nécessairement inclure. de rendre cette structure accessible à tous par
l'élaboration de concepts et de théories appro-
Hirst soutient également que le propos fon-
priés. L a vérité est riche et variée, mais elle
damental de l'éducation est de développer l'es-
n'est pas arbitraire. L a nature des choses est
prit de façon que l'individu, pour qui l'expé-
donnée, non choisie, et pour la pénétrer
rience n'est intelligible que par les concepts qui
l ' h o m m e doit utiliser les concepts et les
la déterminent et la constituent, puisse distin-
méthodes qui conviennent. C e n'est qu'en
guer progressivement les différentes formes de
connaissance.
L ' u n des principaux éléments de la thèse de
* II est intéressant de noter que ce que dit Phénix de la
Hirst est qu'il est possible de procéder à une cognition a beaucoup plus retenu l'attention des théo-
planification rationnelle du programme d'études riciens du p r o g r a m m e scolaire que ses idées sur la
connaissance ; peut-être parce qu'ils pensent, bien que
par objectifs. Il affirme qu' « il ne peut y avoir d'une manière subjective, que la première est moins
de programme sans objet » (1975, p. 3), les restrictive.

323
John Eggleston

obéissant à la vérité ainsi trouvée qu'il peut à définir et à préciser les objectifs de l'éducation.
apprendre à enseigner. L e projet sur les buts de l'enseignement pri-
» E n résumé, les disciplines authentiques sont maire d u Schools Council d'Angleterre et d u
à la fois des manières d'approcher les divers pays de Galles est l'un des exemples les plus
ordres de réalité et des manières de dévoiler les caractéristiques de cette action. A u cours d'une
voies par lesquelles les individus peuvent par- série de réunions organisées à l'intention de
venir à la vérité dans leur être, ce qui signifie plusieurs centaines d'enseignants, les partici-
simplement que les disciplines sont les seules pants se sont mis d'accord sur soixante-douze
sources possibles d u programme scolaire. » objectifs, dont la g a m m e allait d u particulier le
Pour Phénix, les réseaux de significations fon- plus ponctuel — « l'enfant doit connaître l'or-
damentaux que l'éducateur a pour mission de thographe d'un vocabulaire général de base » —
transmettre mettent en jeu six modes ou do- aux concepts les plus généraux « l'enfant est u n
maines possibles de l'entendement humain : individu qui doit se développer à sa manière ».
« Ces six domaines, la symbolique, l'empirique, L a planification par objectifs a fait l'objet de
l'esthétique, la synnoétique, l'éthique et la stratégies très élaborées. O n a préconisé de
synoptique, représentent 'les fondements de la fonder sur des bases diverses : contenu,
toutes les significations qui s'inscrivent dans concepts, compétences, domaines d'intérêt, pro-
l'expérience humaine'. Ils en sont les fonde- blèmes, etc. D'innombrables enseignants, ad-
ments en ce sens qu'ils recouvrent les catégories ministrateurs et chercheurs y ont investi leur
pures et archétypiques de signification que temps et leur énergie tout au long des années
détermine la qualité de toute expérience de soixante-dix. Il n'est guère douteux que pour
quelque portée pour l ' h o m m e . » bon nombre d'entre eux cette expérience aura
Il existe des différences fondamentales entre eu une grande valeur éducative, les amenant à
Hirst et Phénix, notamment dans leur classifi- mieux percevoir les conséquences de leur travail
cation des « objets de connaissance », dans leur qu'ils ne l'auraient sans doute fait sans cela.
conception d u processus de cognition et dans la Mais au seuil des années quatre-vingts, cet en-
distinction entre le « savoir que » et le « savoir thousiasme montre des signes de fléchissement
c o m m e n t », ainsi que Hirst le montre clairement et la révolution escomptée de l'efficacité interne
dans son chapitre sur les domaines de signifi- et externe de l'éducation est encore loin. N o u s
cation (1975) où il conteste radicalement u n tenterons d'analyser dans le présent article les
certain nombre de domaines de Phénix. Il n'en raisons complexes qui permettent d'expliquer
reste pas moins que l'ouvrage de Phénix, c o m m e ce déclin. Mais il faudra commencer par expli-
celui de Hirst, apporte une justification pré- quer plus en détail les espoirs et les aspirations
cieuse aux partisans d'un modèle d'éducation de ce mouvement.
par objectifs. Les changements sociaux rapides qui se sont
produits dans le m o n d e entier à partir des
années cinquante ont rendu inévitable, dit-on,
Premières expériences la réforme des programmes scolaires et ont fait
comprendre aux enseignants et aux éducateurs
Face à tant d'exactitude et de certitude, ensei- en général qu'il était possible de maîtriser da-
gnants, administrateurs et chercheurs se sont vantage u n processus, auparavant largement
immédiatement mis à dresser avec ardeur des déterminé par la tradition. O n pensait que pour
listes d'objectifs pour tous les types et niveaux y parvenir il fallait commencer par définir et
d'activité scolaire et universitaire. D e s orga- déterminer des objectifs.
nismes internationaux et nationaux ont cherché Depuis les années cinquante, le programme

324
Objectifs de l'éducation dans les années quatre-vingts

de mathématiques a été modifié en raison d'éducation pouvait à elle seule modifier la


de l'essor de l'informatique ; les programmes structure de classe de la société. O n en vint à
scientifiques se sont adaptés à l'ère de la phy- considérer la réforme des programmes, non
sique nucléaire ; l'enseignement des langues a seulement dans leur contenu, mais dans leur
évolué avec l'avènement de nouveaux moyens méthodologie, c o m m e u n m o y e n important
de communication. Mais le changement des d'agir sur la société par le canal de l'éducation.
contenus a ouvert des possibilités de change- Cette conviction fut renforcée d'une manière tout
ment dans la nature d u contrôle social ; le pro- à fait inattendue, après le lancement du premier
cessus d'adaptation met le modèle établi de la satellite artificiel par les Soviétiques : les sociétés
définition, de la diffusion et de l'évaluation des occidentales étant techniquement en retard, il
connaissances, ne serait-ce que momentané- fallaitréformer les programmes scolaires en insis-
ment, à la portée de groupes nouveaux qui ten- tant davantage sur la science et la technologie.
tent de mieux l'harmoniser avec leurs concep- Des deux côtés de l'Atlantique u n certain
tions et leur situation. Dans les écoles privées nombre d'organismes ont travaillé dans ce sens.
expérimentales, les conséquences de la réforme E n Grande-Bretagne, c'est surtout la Fondation
des programmes se sont clairement fait sentir, Nuffield qui a frayé la voie en s'attachant aux
c o m m e Stewart (1972) l'a bien montré. Mais matières scientifiques. S'inspirant largement
m ê m e dans l'enseignement public le rythme des travaux de la Science Masters Association
accéléré de l'évolution technique, économique (qui devait ultérieurement fusionner avec l'As-
et sociale de la seconde moitié d u X X e siècle a sociation of W o m e n Science Teachers pour
des répercussions de plus en plus nettes sur le former l'Association of Science Education), ses
contenu des programmes. recherches inaugurèrent une nouvelle période
L'intérêt général porté à la planification par de rationalisation des programmes scolaires. L a
objectifs, cependant, s'explique surtout par démarche de la Fondation Nuffield consistait à
l'apparition, vers la fin des années cinquante, déterminer et à formuler les objectifs du pro-
de la notion de réforme systématique des pro- g r a m m e , à mettre au point les méthodes qui
grammes, c'est-à-dire de la volonté d'ordonner permettaient le mieux de les atteindre et à
rationnellement une mise à jour des connais- définir les résultats escomptés. Quelque temps
sances, auparavant intermittente et souvent plus tard on y ajouta la notion d'évaluation,
désordonnée. D e s siècles de changements ne processus par lequel le résultat obtenu est
répondant généralement à aucun plan furent comparé aux objectifs initiaux grâce à l'infor-
suivis par « la certitude nouvelle selon laquelle mation fournie en retour, ce qui permet d'ap-
tous les aspects d'un programme peuvent être porter les modifications qui conviennent à l'ana-
planifiés » (Mackenzie, 1964). O n a donné de lyse initiale à entreprendre. Kerr écrivait (1967) :
nombreuses explications de cette réorientation « L e modèle de Nuffield pour l'élaboration des
spectaculaire. L'idée qu'un système social pla- programmes scolaires c o m m e n c e à se généra-
nifié pourrait réduire, sinon supprimer, les liser. D e s équipes d'enseignants de divers
désavantages et les difficultés dus aux inégalités niveaux et de consultants de l'enseignement
sociales et économiques était largement partagée supérieur, secondées par des comités consul-
dans la plupart des sociétés occidentales vers la tatifs, rédigent de nouveaux programmes qui
fin des années cinquante. O n croyait notamment sont expérimentés dans certaines écoles. L e
que des réformes appropriées du système d'en- contenu en est modifié en fonction de la réaction
seignement pourraient aider à changer la société des élèves et des enseignants, et ils font l'objet
dans le sens souhaité ; il était souvent donné à d'une plus large expérimentation avant d'être
entendre que la redistribution des chances publiés. Tout u n matériel didactique est mis

325
John Eggleston

Résultats
Objectifs
du processus
du programme d'acquisition
des connaissances

Les premiers modèles


d'élaboration des programmes
scolaires.

en circulation : livres du maître, textes pour les thropologie. Parlett et Hamilton (1972) écrivent :
ouvrages de référence destinés aux élèves, notes « L'évaluation indicative relève d'un paradigme
de laboratoire et textes de base ; appareillages de recherche 'anthropologique'. Il ne s'agit plus
et équipements modernes ; films, graphiques et de mesurer des 'produits de l'éducation' mais
maquettes ; instruments d'évaluation des résul- de soumettre l'ensemble d u programme à une
tats... Si les objectifs d'un programme d'études analyse approfondie, d'en examiner la raison
particulier ont été définis et décrits en termes d'être et l'évolution, le fonctionnement, les
fonctionnels et concis, il est facile de déterminer résultats et les difficultés auxquelles il se heurte.
les aspects qu'il est souhaitable d'évaluer et de L'innovation n'est pas étudiée isolément, mais
choisir alors l'instrument ou la technique appro- dans l'environnement scolaire ou 'milieu d'ap-
priés à chaque tâche. Il est probable que l'on prentissage'... L'observation, les entretiens avec
tentera de vérifier le réalisme des objectifs, la les participants (élèves, enseignants, adminis-
pertinence d u contenu et les méthodes utilisées trateurs et autres), questionnaires, analyse des
pour l'enseigner, les besoins des élèves et les documents et informations de base sont utilisés
résultats qu'ils obtiennent, et l'efficacité de la conjointement pour donner des 'indications'
formation, préalable et en cours d'emploi, de sur les problèmes, les questions et les éléments
l'enseignant. » significatifs du programme. »
Les premiers modèles, dans leur forme la plus L'élaboration des programme scolaires au
simple, ressemblaient à la figure ci-dessus. Leur m o y e n de modèles d'objectifs et de processus
point faible est d'avoir été en grande partie et les techniques d'évaluation qui s'y rattachent
conçus pour les matières scientifiques. Ils avaient sont depuis la fin des années cinquante parmi
par conséquent une orientation « scientifique » qui les grands domaines de croissance d u secteur
conduisait leurs auteurs à isoler des caractéris- de l'éducation. L'étude de nouveaux pro-
tiques telles que les « aspects mesurables d u grammes scolaires a porté sur la quasi-totalité
comportement ». Ces modèles d'objectifs ne des matières enseignées dans toutes les écoles à
convenaient pas aux matières qui font une plus tous les groupes d'âge et s'est étendue aux
large place à l'expression et on a établi pour ces universités et à la plupart des autres établisse-
dernières des modèles de processus, axés davan- ments d'enseignement. U n e armée de spécia-
tage sur l'expérience de l'apprentissage que sur listes des programmes scolaires a été recrutée ;
son résultat final. Liée à ces modèles de pro- des techniques de plus en plus perfectionnées
cessus, est apparue la notion d'évaluation indi- ont été conçues et des bibliothèques entières
cative, inspirée de modèles empruntés à l'an- traitent de ce sujet. D e nouveaux organismes

326
Objectifs de l'éducation dans les années quatre-vingts

spécialisés dans la promotion de l'élaboration (c'est-à-dire de déterminer ce que les élèves


des programmes par objectifs ont proliféré des seront capables de faire) ou existe-t-il d'autres
deux côtés de l'Atlantique. moyens d'assumer sa responsabilité ? Elliott
Jusqu'à présent nous avons relevé ce qui Eisner, entre autres, a souligné qu'en pro-
apparaît c o m m e u n enchaînement que rien ne grammant par objectifs, l'enseignant prétend
peut arrêter et qui est m ê m e inévitable. O r implicitement prédire quelle sera la 'réponse'
pourquoi les écoles des années quatre-vingts ne des élèves au 'stimulus' d'une leçon. Il soutient
pratiquent-elles pas une planification ration- que les objectifs ne conviennent qu'aux aspects
nelle et objective donnant à l'apprentissage de de l'apprentissage dans lesquels le rôle de
tous les enfants u n caractère efficace et pré- l'élève se limite à reproduire ce qu'on lui
visible ? Simplement parce que la vie scolaire présente, et que d'autres méthodes s'imposent
instaure des rapports humains qui s'inscrivent lorsqu'on attend de l'élève qu'il participe acti-
dans une situation sociale complexe dont les vement à ce processus. L a création artistique,
variables échappent totalement aux enseignants la narration ou l'autobiographie ne peuvent pas
et aux administrateurs de l'enseignement. Il être jugées uniquement par rapport à des
nous faut maintenant examiner en détail objectifs préétablis ; leur valeur doit être appré-
c o m m e n t ces facteurs sociaux ont atteint la ciée rétrospectivement d'après des principes
confiance dans la planification par objectifs. appropriés à ce que l'élève a voulu faire. »

Complexité de l'apprentissage Valeurs et objectifs

L a difficulté la plus fondamentale tient peut- Parler des valeurs, c'est admettre d'emblée que
être au fait que les objectifs de l'éducation, quel chaque professeur vient dans sa classe avec les
que soit le soin avec lequel ils sont formulés, siennes, sur lesquelles il se fonde pour inter-
ne peuvent embrasser la complexité d'un acte préter tout ce qui s'y fait. Sans système de
d'apprentissage, aussi simple soit-il. C'est ce valeurs bien articulé, il pourrait m ê m e difficile-
qu'a bien vu Barnes (1980) : « Il est certaine- ment prétendre être enseignant. L'idée du maî-
ment plus facile d'exprimer, sous la forme d'un tre moralement neutre est erronée et illusoire.
objectif d'ordre comportemental, l'emmagasi- L'enfant apporte lui aussi des valeurs et des
nage d'une information que sa compréhension, interprétations qui lui viennent de sa famille
et il est certainement plus facile d'exprimer une et d u groupe auquel il appartient. D e s auteurs
compétence simple qu'une compétence plus c o m m e Willis (1977) montrent dans leurs études
complexe qui exige de l'élève u n jugement sur les adolescents de la classe ouvrière n o n
impliquant un choix. Mais surtout il est difficile, seulement à quel point leurs valeurs divergent
sinon impossible, de saisir sous forme d'ob- totalement des valeurs officielles de l'école,
jectifs les valeurs et les principes qui sous- mais c o m m e n t ces valeurs enrichissent beau-
tendent les méthodes de présentation d'un coup plus leur vie scolaire que s'ils n'étaient en
enseignant et son attitude face à la réaction des contact qu'avec celles de l'enseignant. W e b b
élèves. C e qui est ici en question, c'est la l'a bien expliqué (1962) : « Q u e deviendrait le
manière dont les enseignants peuvent le mieux garçon qui accepterait les normes que son
assumer la responsabilité de leurs propres professeur tente de lui imposer ? Il serait soi-
actes, réfléchir sur les principes qui les régissent gné, ordonné, poli et servile. Avec l'arithmé-
et les communiquent aux autres. L e meilleur tique et la langue qu'il a assimilées à l'école, et
m o y e n d'y parvenir est-il defixerdes objectifs après avoir subi une formation complémentaire,

327
John Eggleston

il pourra devenir u n employé méticuleux, sou- de valeurs ne peut pas s'exprimer sous forme
tenu par une routine déjà établie, acceptant d'objectifs de comportement, mais elles peu-
pieusement sa condition. O u , s'il a u n métier vent être considérées c o m m e principes de m é -
manuel, nous pouvons l'imaginer plus tard thodes. Leur importance est considérable, étant
saisissant une gamelle bien récurée, payant à donné qu'elles jouent u n rôle prépondérant au
contrecœur ses cotisations syndicales, car le m o m e n t où les enseignants décident de ce qu'ils
patron, étant u n Monsieur, sait ce qu'il fait. feront réellement et de ce qu'ils demanderont
Pour en arriver là, il faut être réellement coupé à leurs élèves de faire pendant la leçon. »
des pressions qu'exercent sur lui la classe so-
ciale et la bande, ce qui heureusement est
rarement le cas des élèves de « Black School » Le programme occulte
car ces deux types d'individus sont de plus en
plus menacés par le chômage à mesure que la E n dehors des valeurs propres aux enseignants
mécanisation progresse et que le travail se vide et aux élèves et de ce que les uns et les autres
de son contenu. » attendent de l'école, le modèle rationnel d'ob-
L à encore Barnes résume bien la question : jectifs est détourné et déformé par l'important
« Établir u n programme scolaire n'est pas une apprentissage « occulte » quifigurerarement
activité neutre ; tous les programmes sont im- sur les listes d'objectifs, mais qui domine une
prégnés de valeurs qui reflètent ce que nous grande partie de l'enseignement scolaire. Voici
souhaitons que deviennent nos élèves, et don- comment Jackson (1968) a défini ce type d'ap-
nent implicitement une image du type de société prentissage : «... programme occulte que chaque
à laquelle ils pourraient appartenir... Certaines élève (et enseignant) doit assimiler s'il veut
de ces valeurs peuvent s'appliquer à l'ensemble réussir. L a vie de la classe a des exigences que
d u programme d'une école ; un directeur d'école l'on peut étudier par comparaison avec le pro-
primaire peut considérer que l'enseignement des g r a m m e coiEcieF, auquel les éducateurs ont
valeurs morales est le but primordial de son toujours prêté le plus d'attention. Sur bien des
établissement ; une école secondaire peut avoir points importants, les deux programmes sont
pour rôle déclaré d'inculquer le sens des res- liés, c o m m e on pouvait s'y attendre. E n fait bon
ponsabilités. D'autres valeurs peuvent s'ex- nombre des récompenses et des punitions qui
primer non pas dans des objectifs mais dans des semblent être octroyées en fonction de la réus-
principes pédagogiques généraux; les ensei- site ou de l'échec scolaires, dépendent davan-
gnants s'occupant de jeunes enfants ou d'élèves tage de l'assimilation du programme occulte. »
moins doués peuvent avoir pour principe de C e programme implique notamment que
leur présenter des notions nouvelles les faisant l'élève apprenne à comprendre d'autres orien-
participer sous forme d'activités pratiques avant tations que celles du programme scolaire officiel,
de leur demander de discuter et de comprendre à satisfaire aux exigences du professeur et à
des idées. Certaines matières peuvent avoir acquérir les connaissances voulues d'une façon
leurs propres valeurs spécifiques : u n maître acceptable aussi bien pour ses camarades que
qui enseigne la lecture peut avoir son opinion pour ses maîtres. Il s'agit éventuellement de
sur le m o m e n t où les enfants sont 'prêts' pour savoir quand la tricherie est tacitement ap-
la méthode phonétique; u n professeur d'une prouvée ou quand des notes constamment ex-
école secondaire peut estimer que pour inté- cellentes appellent une réprobation. L e respect
resser les élèves à la littérature, il faut trouver du programme occulte peut être au moins aussi
le m o y e n de leur faire établir des rapports important pour la suite de la vie scolaire de
entre ce qu'ils lisent et ce qu'ils vivent. C e type l'élève que celui d u programme officiel. L e

328
Objectifs de l'éducation dans les années quatre-vingts

maître peut m ê m e y tenir bien davantage car il Il ressort des recherches conduites par Ship-
se rend compte que sans ce « programme oc- m a n , Bolam et Jenkins (1974) sur la réaction
culte » les élèves s'en tiendront à la lettre de ce suscitée par le Projet d'enseignement intégré
qui leur est demandé, étant dans l'impossibilité de Keele que les enseignants s'intéressaient
de s'aider mutuellement avant de rendre leurs vivement aux perspectives immédiates que ce
devoirs (d'où u n travail de correction extrê- projet offrait pour leur travail quotidien, mais
m e m e n t lourd) ou de se concerter pour trouver très peu à ses objectifs. Voici ce que Jenkins et
les bonnes réponses pendant les séances de Shipman (1976) écrivaient à ce propos : « P e u
travaux pratiques. de directeurs ou de maîtres responsables d'un
Ces exemples illustrent la complexité du rap- enseignement intégré se souvenaient avec pré-
port entre le programme officiel et ses objectifs cision de ce qui les avait amenés à participer
éducatifs d'une part, et le programme occulte au projet. Ils avaient en mémoire des réunions
d'autre part. L e premier peut avoir pour ob- et des circulaires. Mais il ne semble pas qu'un
jectifs essentiels le travail individuel et l'inté- débat ait été instauré entre enseignants et qu'ils
grité ainsi que l'apprentissage des principes des aient pris ensuite la décision raisonnée d'y
mathématiques ou des sciences. Mais ces deux participer. L a plupart des écoles semblent
exigences sont souvent incompatibles. L e pro- avoir accepté passivement l'innovation. Effecti-
g r a m m e occulte reconnaît cette incompatibilité vement, dans cinq établissements, trente-huit
et permet une solution qui maintient les condi- enseignants ont soutenu qu'ils n'y avaient ja-
tions de l'apprentissage au lieu de les entraver. mais pris part, bien qu'ayant reçu leur part
C'est u n fait qui n'a encore été admis claire- normale de conseils, d'inscriptions et de maté-
ment par aucun texte énumérant les objectifs riel éducatif. »
de l'enseignement. Les expériences portant sur les objectifs édu-
catifs se caractérisent aussi par une baisse d'in-
térêt de la part des établissements scolaires.
Politique de l'école L'innovation a des chances de susciter le plus
d'enthousiasme au début. L a perspective d'une
Les premiers partisans des objectifs de l'éduca- source nouvelle et « gratuite » d'idées et m ê m e
tion pensaient que les enseignants adopteraient de ressources destinées à faciliter le travail
la nouvelle technologie avec enthousiasme. U n scolaire est séduisante, particulièrement si le
grand nombre d'auteurs ont montré depuis à projet promet de se centrer sur certains des
quel point ils se trompaient. Hoyle (1969 a secteurs les plus délicats d u programme qui
et b), l'un des premiers qui aient étudié l'adop- risquent de poser des problèmes pour l'école.
tion des objectifs éducatifs dans les écoles, Mais la situation changera probablement avec
dresse de 1' « école novatrice » le profil suivant : le temps. Il se posera inévitablement des pro-
« Pour qu'une innovation introduite dans u n blèmes, peut-être en grand nombre, au m o m e n t
programme améliore réellement une pratique d'appliquer et d'adapter le projet aux méthodes
existante, elle doit être acceptée par l'école et de travail de l'école. Certains aspects satisfai-
s'institutionnaliser totalement. Il ne peut y avoir sants d u programme existant seront éventuel-
de véritable innovation que si les enseignants lement contestés et devront m ê m e être aban-
sont personnellement décidés à en assurer la donnés si le projet doit être suivi intégralement.
réussite, sinon les méthodes et le matériel Il faudra peut-être modifier les horaires et
nouveaux risquent d'être définitivement relé- procéder à d'autres réorganisations. Les m e m -
gués dans des placards ou de n'être utilisés bres d u personnel enseignant les plus engagés
qu'à l'occasion. » dans le projet seront peut-être mutés, c o m m e

329
John Eggleston

cela s'est produit fréquemment dans certaines et sociales. Ces projets, qui ont dominé l'ensei-
écoles d u projet de Keele. Dans certains cas, gnement américain dans les années soixante,
la participation m ê m e de l'enseignant au projet reposaient sur la simple croyance qu'un ensei-
peut favoriser son avancement. Les rempla- gnement sensiblement renforcé pourrait, en re-
çants s'intéresseront sans doute moins au projet levant le niveau des connaissances, compenser
et n'auront en tout cas pas l'ardeur qui animait un environnement socio-économique jugé in-
leurs prédécesseurs au début de l'expérience. férieur. L e rapport Westinghouse sur le projet
Face à des difficultés inévitables, privés de H e a d Start (Cicirellie, 1969) montra cependant
l'encadrement initial, peu disposés à abandon- que ce dernier n'avait eu aucun effet sensible
ner des méthodes anciennes qui ont fait leur durable sur le développement intellectuel et
preuve, les enseignants marginaux ont tendance social des enfants sur lesquels portait l'expé-
à se marginaliser davantage et m ê m e à se désin- rience. Hawkridge (1968) avait déjà constaté
téresser d u projet. A la fin de la journée, la qu'en fait il en allait généralement de m ê m e de
plupart des projets semblent être dans u n état toutes les expériences précédentes. Il semble
de fragmentation. Certains enseignants reste- que, dans le contexte américain, les objectifs
ront trèsfidèlesà quelques idées, méthodes et éducatifs n'ont de valeur que lorsque l'individu
objectifs d u projet ; la plupart d'entre eux en les perçoit et perçoit sa situation sous u n angle
auront adopté certains aspects pour modifier nouveau, et que son identité à l'intérieur de son
plus ou moins leurs pratiques habituelles. Des environnement global a effectivement changé,
ensembles auront été dissociés ; certains conte- c o m m e l'a bien vu Halsey (1972) : « Pour
nus auront été adoptés, d'autres rejetés. Des simplifier notre analyse des programmes a m é -
méthodes faisant partie du projet seront mêlées ricains d'éducation compensatrice, nous pou-
à d'autres. Il en résultera u n mélange d'élé- vons dire que le mouvement est né à la suite de
ments provenant de différents projets, un éven- ce qui ne semblait être qu'un simple problème
tail d'opinions sur son m o d e d'emploi, u n pédagogique : le fait que certains groupes so-
nouveau matériel didactique produit dans l'école ciaux obtenaient des résultats scolaires inférieurs
par intervalles, l'ancien programme étant pro- à la moyenne. Cependant, à mesure que les
gressivement modifié d'une manière tout à fait ramifications de ce problème apparaissaient, il
pragmatique et souvent désordonnée. Pour l'en- a fallu pour le résoudre sortir de plus en plus
seignant qui n'appartient pas à une école expé- du cadre d u système d'enseignement. O n a
rimentale et ne prend connaissance de ces alors été amené à s'interroger sur la nature
projets qu'au m o m e n t où les derniers documents m ê m e de l'organisation sociale et sur les raisons
ou rapports sont enfin publiés, le projet aura pour lesquelles il y aurait un lien entre un statut
probablement des répercussions bien moindres social modeste et de faibles résultats scolaires.
sur son travail quotidien. Il est donc clair que le problème a peu de
chances d'être résolu par des moyens purement
éducatifs. Des efforts ont été faits dans ce sens :
on cherchait d'abord à modifier l'expérience
Facteurs sociaux de l'enfant dans l'environnement scolaire clas-
sique, pour ensuite élargir la portée de l'ensei-
Il y aurait beaucoup à dire sur la façon complexe gnement à d'autres secteurs de son expérience.
dont les facteurs sociaux modifient ou m ê m e O n considère aujourd'hui que les mauvais résul-
inversent les objectifs éducatifs. Les exemples tats scolaires ne font que traduire une série
les plus frappants nous sont fournis par les de disparités sociales et économiques vécues
différents programmes « compensateurs » qui par les catégories défavorisées. L a solution à
visaient à supprimer les inégalités éducatives

330
Objectifs de l'éducation dans les années quatre-vingts

long terme réside dans une politique globale uniquement sur une structure sont insuffisantes ;
dirigée contre ces inégalités politiques, sociales l'être humain et son milieu social sont des
et économiques. » paramètres dont il est également indispensable
de tenir compte.
Face à ces difficultés, faut-il conclure que nous
avons commis une erreur coûteuse, en temps
et en argent, en voulant améliorer nos systèmes
d'enseignement à partir de la notion d'objectifs Références
éducatifs ? Absolument pas. L'analyse appro-
fondie des objectifs nous a amenés à nous faire B A R N E S , D . 1980. Practical curriculum study. London,
une idée beaucoup plus conforme à la réalité Routledge and Kegan Paul.
B L O O M , B . S. ; et al. 1956. Taxonomy of educational
de ce que l'éducation peut accomplir dans nos objectives: I. Cognitive domain. London, Longmans.
sociétés contemporaines. Elle a conduit notre CICIRELLIE, V . G . ; et al. 1969. The impact of head
réflexion sur des voies rarement explorées aupa- start on children's cognitive and affective develop-
ravant. Elle nous a fourni u n nouvel ensemble ment. Washington, Westinghouse Learning Cor-
de stratégies beaucoup plus efficace pour appré- poration. (Multigraphié.)
E S L A N D , G . M . 1971. Teaching and learning as the
cier les nombreuses facettes d u processus d'ac- organisation of knowledge. In : M . F . D . Y O U N G
quisition des connaissances à l'école, c o m m e (dir. publ.), Knowledge and social control. London,
celles qui ont été mises au point par l'Edu- Collier-Macmillan.
cational Testing Service de Princeton (États- H A L S E Y , A . H . 1972. Educational priority. London,
Unis) et l'Assessment of Performance Unit HMSO.
H A W K R I D G E , D . G . ; et al. 1968. A study of selected
du Department of Education and Science de
exemplary programs for the education of disad-
Londres. Et, ce qui est plus important, elle vantaged children. 2 vols. Washington, U S Depart-
nous a permis de mesurer à quel point il est ment of Health, Education and Welfare.
beaucoup plus difficile d'obtenir des résultats H I R S T , P. H . 1975. Knowledge and the curriculum.
dans le domaine de l'éducation que nous ne le London, Routledge and Kegan Paul.
H O Y L E , E . 1969 a. H o w does the curriculum change?
pensions ; il est aujourd'hui plus facile de juger
1. A proposal for enquiries. Journal of curriculum
quand élèves et enseignants échouent. studies, 1.2.
. 1969 b. H o w does the curriculum change?
Par conséquent, les objectifs font maintenant
2. Systems and strategies. Journal of curriculum
partie de l'arsenal stratégique de chaque ensei- studies, 1.3.
gnant. Il apparaît indispensable à l'heure ac- J A C K S O N , P . W . 1968. Life in classrooms. N e w York,
tuelle que tous les enseignants disposent d'un Holtj Rinehard and Winston.
ensemble clair et détaillé d'objectifs. Mais ces J E N K I N S , D . ; S H I P M A N , M . D . 1976. Curriculum: an

derniers ne sont certainement pas considérés interaction. London, O p e n Books.


K E R R , J. F . 1967. The problem of curriculum reform.
c o m m e neutres ; au contraire, ils offrent au Leicester, University Press.
maître u n m o y e n d'atteindre les buts qu'il se M A C K E N Z I E , G . N . 1964. Curricular change. In :
propose professionnellement et personnelle- M . B . M I L E S (dir. publ.). Innovation in education.
ment, dans son enseignement. C o m m e pour la N e w York, Teachers College, Columbia.
technologie moderne de l'éducation, il s'agit M A N Z E R , R . A . 1970. Teachers and politics. Manches-
ter, University Press.
d'un m o y e n et non pas d'unefin.L'erreur d u PARLETT, M . ; H A M I L T O N , D . 1972. Evaluation as
passé n'était pas d'inventer des objectifs mais illumination: a new approach to the study of inno-
de croire qu'ils suffisaient. Dans l'éducation vating programmes. Edinburgh, Centre for Research
c o m m e dans la plupart des autres aspects de in the Educational Sciences. (Multigraphié.)
l'activité humaine, nous comprenons mainte- P H É N I X , P . H . 1962. T h e disciplines as curriculum
content: In : A . H . P A S S O W (dir. publ.), Curriculum
nant que les analyses et les stratégies fondées crossroads. N e w York, Teachers' College Press.

331
John Eggleston

PHENIX, P . H . 1964. Realms of meaning. N e w York, S T E W A R T , W . A . C . 1972. Progressives and radicals in


McGraw-Hill. English education 1750-1970. London, Macmillan.
SHIPMAN, M . D . ; B O L A M , D . ; JENKINS, D . 1974- W E B B , J. 1962. T h e sociology of a school. British
Inside a curriculum project. London, Methuen. journal of sociology, 13.2.
S T E N H O U S E , L . 1975. Introduction to curriculum re- W I L L I S , P . 1977. Learning to labour. London, Saxon
search and development. London, Heinemann. House.

332
Erich Jantsch

L'interdisciplinarité :
les rêves et la réalité

Pourquoi l'interdisciplinarité? de la respiration et de la nutrition et, au m ê m e


titre, tout à la fois subjective et objective. D a n s
L a fragmentation du savoir en secteurs ou dis- cette optique, la démarche rationnelle cesse
ciplines cloisonnés est caractéristique d'une ap- d'être le seul m o d e d'investigation possible,
proche particulière de la réalité, d'un système et la science ne renferme plus la totalité des
spécifique de relations que les êtres humains connaissances qui jouent un rôle dans la culture
nouent avec l'univers qui les entoure. Et c'est occidentale : bien au contraire, une grande part
précisément cette approche qui est au cœur de de la vie quotidienne ainsi que beaucoup des
la science occidentale telle que celle-ci s'est plus prestigieuses réalisations de la culture occi-
constituée jusqu'ici. Rien dans la réalité sen- dentale se trouvent conditionnées par un savoir
sible ne la privilégie aux dépens d'autres, ni ne bien plus vaste. L a science n'est pas davantage
lui confère un droit exclusif à la vérité mais les engagée dans u n processus d'accumulation de
succès technologiques et économiques de la « vérité » qui la ferait tendre asymptotiquement
civilisation occidentale ont amené la science vers la seule et unique réalité « objective ». L a
occidentale à nourrir la prétention d'être plus science, tout c o m m e d'autres formes de la
proche de la vérité que des systèmes de connais- connaissance, est u n système en évolution qui
sance qui sont au centre d'autres cultures et a autant de rapports avec la perspective et la
remportent, à leur manière, tout autant de suc- démarche préférées de ceux qui le formulent
cès. Il importe de bien voir dans la quête d u qu'avec une réalité extérieure.
savoir une forme d'interaction des systèmes L e découpage en disciplines n'est possible
vivants et de leur environnement, interaction qu'au prix de ces rapports vivants entre u n
non moins primordiale que celle, par exemple, système qui assimile des connaissances et son
environnement, ou, si l'on veut, que par l'in-
terruption de son métabolisme mental. L a
science qui opère par disciplines vise plus o u
Erich Jantsch (Autriche). A été tour à tour astronome,
critique musical, administrateur, physicien et ingénieur,
moins u n m o n d e statique ou à l'état stable.
consultant international (auprès de la Direction de la Dans u n tel univers, il est possible de résoudre
science de la technologie et de l'industrie de l'OCDE) les problèmes et de garder les solutions en
et universitaire. Parmi ses ouvrages : Technological réserve pour l'avenir, c o m m e on le fait effecti-
forecasting in perspective, Technological planning vement dans le cas d u progrès technologique ;
and social futures, Design for evolution, Evolution
and consciousness (en collaboration avec C. H . Wad-
mais dans u n m o n d e vivant, rien ne reste
dington) et T h e self-organizing universe. immobile. E n outre, une réalité constituée d'un

333
Perspectives, vol. X , n° 3, 1980
Erich Jantsch

réseau serré d'interconnexions forme u n tout des termes bien définis, que l'on peut ordonner
qu'on ne saurait définir par la s o m m e des disci- selon une hiérarchie de notions.
plines qui en seraient les parties, de m ê m e qu'il
est impossible de réduire aucun système réel PLURI- OU MULTIDISCIPLINARITÉ
à la s o m m e de ses éléments. U n organisme re-
présente des niveaux divers de la réalité : C'est la juxtaposition de disciplines variées,
atomes, molécules anorganiques, macromolé- sans aucune tentative de synthèse. C'est à ce
cules complexes, organites, cellules, systèmes modèle que l'université française s'est arrêtée
cellulaires, etc., dont la description met en jeu après la réforme instituée au lendemain de la
différentes disciplines et différents langages révolte étudiante de 1968. L a pluridisciplinarité
scientifiques ; mais, parmi les nombreux niveaux ainsi comprise recouvre une réforme adminis-
de cette hiérarchie stratifiée, il n'en est aucun trative qui conserve les anciens cadres des disci-
qui, à lui seul, soit capable d'assurer la connais- plines et les contenus traditionnels de la science,
sance complète d u fonctionnement de l'or- cependant que la synthèse est laissée à la dis-
ganisme entier considéré c o m m e u n tout, ou crétion et aux facultés créatrices de l'étudiant.
de l'individu psychophysique : tout système
complexe recouvre de nombreuses strates d'une
INTERDISCIPLINARITÉ
réalité à niveaux multiples.
S'attaquer à l'étude d'une réalité aussi c o m - Il s'agit de la synthèse de deux ou plusieurs
plexe à l'aide de ces fragments de la connais- disciplines instaurant u n nouveau niveau d u
sance que sont les disciplines, c'est vouloir discours (métaniveau) caractérisé par u n nou-
ensevelir la planète sous une épaisse couche de veau langage descriptif et de nouvelles relations
glace pour forer des trous étroits et profonds structurelles. Elle est comparable à la synthèse
dans le sol gelé, au lieu d'observer lefleuvede dialectique des contraires encore que, dans
la vie dans tous ses processus et ses interactions, l'interdisciplinarité, les disciplines ne soient pas
ses dessins instables, ses tourbillons qui nais- nécessairement antinomiques : leur langage et
sent et disparaissent. L'interdisciplinarité est leurs structures sont tout simplement diffé-
une démarche qui tente de faire fondre en partie rents, si bien qu'elles « ne se parlent pas ».
cette glace et de relier les « forages » effectués U n e synthèse de ce genre implique la dynami-
par les disciplines. Elle implique qu'on imprime que qui fait avancer vers u n nouveau niveau.
une certaine dynamique aux structures de la
connaissance.
TRANSDISCIPLINARITÉ

C'est la reconnaissance de l'interdépendance


Définitions de tous les aspects de la réalité. Et étant donné
que cette qualité ne se manifeste qu'au travers
Il règne aujourd'hui une extrême confusion d'interactions, la transdisciplinarité implique
dans l'emploi de termes c o m m e pluri-, intér- une perspective dynamique d'ensemble qui
êt transdisciplinarité, alors m ê m e qu'on a be- transcende la dynamique de la seule synthèse
soin de termes différents pour distinguer des dialectique et corresponde à une tentative pour
degrés différents dans le dépassement d u cloi- appréhender celle de la réalité dans sa tota-
sonnement des disciplines. L a terminologie lité. L a transdisciplinarité peut être considérée
adoptée dans le présent article est structurée c o m m e le point d'aboutissement ultime d'une
selon u n usage largement répandu qui, sensible évolution au terme de laquelle l'interdiscipli-
à ces distinctions, cherche à les désigner par narité aura gagné le système de la science tout

334
L'interdisciplinarité : les rêves et la réalité

entier. C'est un idéal qui ne sera jamais complè- viendraient pour la première fois perceptibles ?
tement à la portée de la science, mais qui peut C'est cette vision transdisciplinaire naissante
orienter de manière décisive le sens de son qui est en passe de devenir, à l'aube des années
évolution. quatre-vingts, la principale force d'entraînement
L'interdisciplinarité, notion intermédiaire au jouant dans le sens de la synthèse interdisci-
sein de cette hiérarchie, est stimulée par diffé- plinaire.
rents facteurs qui peuvent se définir selon la
« poussée » ou la « traction », 1' « impulsion » LE PROCESSUS D'IMPULSION
ou 1' « attraction », qu'ils exercent et qui tend à ET D'ATTRACTION
créer la dynamique requise pour réaliser la INHÉRENT A L'ÉVOLUTION
synthèse interdisciplinaire où trois facteurs au M Ê M E DE LA SCIENCE
moins jouent u n rôle de premier plan : le pro-
cessus d'impulsion et d'attraction inhérent à Il procède de l'apparition de possibilités nou-
l'évolution m ê m e de la science, la force d'at- velles qui, dans leur application, ne se limitent
traction du social et la force d'attraction exercée pas au domaine d'activité scientifique qui les a
par une vision transdisciplinaire. engendrées. A mesure que les concepts et para-
digmes — c'est-à-dire les structures d'interac-
tion de l'esprit humain et du réel — se modifient
Conditions d e réalisation dans u n c h a m p particulier d'investigation, ils
de la synthèse interdisciplinaire s'enchaînent tout naturellement aux concepts
et paradigmes propres à d'autres domaines. Les
D a n s les trois sections qui suivent, on verra possibilités nouvelles de ce genre peuvent naître
à l'aide d'exemples par quels moyens la synthèse soit de l'impulsion de disciplines fécondes en
interdisciplinaire se trouve facilitée. Il paraît direction d'autres champs d'activité scientifique,
être d'une grande importance que nous nous soit de la force d'attraction de concepts et de
trouvions aujourd'hui devant u n changement paradigmes neufs jouant u n rôle de coordina-
d'éclairage imminent. Sans doute le proces- tion des activités menées dans divers secteurs.
sus d'impulsion/attraction inhérent à la science Les possibilités d'interdisciplinarité toujours
a-t-il toujours joué, mais il s'est trouvé ren- croissante qui sont inhérentes à la science sont
forcé et accéléré par la force d'attraction de la les seules que reconnaissent les tenants d'une
technologie, qui est déjà d'ordre social. Sociale science « neutre ». Ainsi, aux yeux des esprits
aussi, mais systématique et plus générale, une étroits d'une partie d u m o n d e universitaire, les
autre sollicitation s'était manifestée avec force différentes forces d'impulsion et d'attraction
à la fin des années soixante et au début des nées de l'évolution fragmentaire de la science
années soixante-dix, mais pour s'évanouir en- sont les seules qui trouvent leur légitimation
suite plus ou moins lorsque les idéaux h u m a - à l'intérieur d ' u n concept fermé de science
nistes associés à l'agitation étudiante c o m m e n - « pure ». Et pourtant, la science fondamentale
cèrent à pâlir, laissant le m o n d e , au moins en a elle aussi été façonnée de manière décisive
apparence, retourner à ses affaires habituelles. par la force d'attraction des sciences appliquées
Qui donc, il y a dix ans, aurait p u penser que et de la technologie.
cette effervescence retomberait si vite ? Mais Il y a, pour les disciplines, de nombreuses
qui, par ailleurs, aurait p u prévoir qu'au cours manières de fusionner ou d'entrer en symbiose
des années soixante-dix, la science elle-même pour suivre de nouvelles voies d'investigation.
avancerait à si grands pas que les fondements D a n s le cas le plus simple, u n e discipline se
scientifiques d'une vision transdisciplinaire de- voit offrir des chances nouvelles grâce à des

335
Erich Jantsch

instruments ou à des procédures rendus pos- complexité biologique et la complexité mentale


sibles par les progrès réalisés dans d'autres se développent de la m ê m e manière.
secteurs. Il est par exemple bien significatif D e u x aspects de l'endosymbiose biologique
qu'en 1979 le prix Nobel de physiologie ou de peuvent également fournir des indications i m -
médecine ait été décerné, en c o m m u n , à u n portantes sur la nature de la synthèse interdisci-
physicien et à u n ingénieur électronicien qui plinaire. L e premier touche au processus de
avaient mis au point la tomographic assistée formation en jeu, qui se déroule toujours selon
par ordinateur, technique médicale qui, dans un hypercycle (c'est-à-dire u n cercle fermé de
ses applications actuelles, se fonde sur des processus de transformation ou de catalyse
travaux encore plus anciens de mathématiques comportant une ou plusieurs phases « motri-
« pures ». ces » d'autocatalyse). D e la sorte, le niveau de
Assez souvent, il ne s'agit pas seulement d'une complexité déjà atteint peut être préservé et
possibilité purement scientifique. Il arrive que les erreurs peuvent être corrigées, mais il ne
le rang social ou le « prestige » d'un domaine peut se produire d'évolution que si les erreurs
d'activité particulier se transmette à celui qui occasionnelles réussissent à s'imposer de m a -
tire parti de ces progrès et peut ainsi profiter nière fortuite pour contraindre le cercle à évo-
des plus grandes facilités de financement qui luer selon u n tracé qui ressemble à une courbe
vont de pair avec ce prestige. L a recherche hélicoïdale ou en spirale de complexité crois-
médicale qui utilise des sources de radiations sante. D e m ê m e , on peut considérer la syn-
ou la recherche agronomique et géologique qui thèse interdisciplinaire c o m m e u n processus
se sert de traceurs radioactifs, par exemple, se cyclique au sein duquel deux ou plusieurs
sont intégrées à la « recherche nucléaire » et à « espèces » de concepts coévoluent, conduisant
son système de financement. M ê m e la science à u n nouveau niveau d'intelligibilité et de
prétendument « neutre » à l'égard de toutes les complexité.
valeurs n'a pas hésité à adopter ce genre de L e second aspect concerne la nature de la
déguisement lorsque les valeurs en cause allaient réalité à niveaux multiples qui se dégage d u
de pair avec des ressources financières. processus. L a fusion n'est jamais totale au sens
Il y a u n m o d e de combinaison qui va beau- où les éléments intervenant initialement dans
coup plus loin mais qui, souvent, est tributaire l'endosymbiose perdraient complètement leur
de l'existence de nouvelles possibilités d'expé- identité. A u contraire, il existe maintenant deux
rimentation, c'est la fusion de concepts et de niveaux d'existence autonome, au lieu d'un
paradigmes telle qu'elle apparaît dans la bio- seul au départ. A u sein, par exemple, d'une
chimie, la biophysique et la biologie moléculaire, cellule eucaryote, donc complexe, les organites
ou parmi les sciences sociales, en économie (c'est-à-dire les procaryotes après leur union
politique, en psychologie sociale et en anthro- par endosymbiose) demeurent en partie auto-
pologie culturelle. U n e telle fusion de concepts nomes et conservent m ê m e leur matériel géné-
est comparable à l'endosymbiose dans la forma- tique propre. J'appelle autonomie stratifiée l'or-
tion des micro-organismes vivants, la symbiose ganisation à niveaux multiples qui se fait jour
des nucleotides et des protéines conduisant à ainsi. Elle caractérise également la synthèse
la formation de cellules primitives dépourvues interdisciplinaire. O n distingue encore le niveau
de noyau (procaryotes), la symbiose des pro- des concepts originels, mais il en apparaît u n
caryotes (appelées ensuite organites) à celle de nouveau, où ils se rejoignent pour former u n
cellules nucléées complexes (eucaryotes) et la nouveau niveau de discours. L'interdisciplina-
symbiose des cellules eucaryotes aboutissant à rité n'implique pas d'ascension vers des ni-
son tour à des organismes pluricellulaires. L a veaux plus élevés, mais l'orchestration d'une

336
L'interdisciplinarité : les rêves et la réalité

hiérarchie de plus en plus riche de niveaux scopiques, de concevoir des usines de génie
semi-autonomes de discours. chimique ou des réacteurs nucléaires extrême-
Attraction et impulsion s'entremêlent inex- ment complexes.
tricablement, c o m m e dans tous les proces- Il est révélateur que de nombreuses innova-
sus d'auto-organisation. Et, de fait, elles sont tions technologiques aient vu le jour sans le
complémentaires. Tout se passe c o m m e si la support d'aucune assise scientifique. Huit se-
dynamique intrinsèque de la science agissait maines seulement avant le premier vol des
de façon à défaire lentement la dissection subie frères Wright en 1903, le célèbre astronome
à travers les disciplines, de m ê m e que l'évolu- Simon N e w c o m b , se fondant sur des calculs
tion en général semble restaurer les symétries faux de sustentation et de traînée, définissait
rompues dans le déploiement de la complexité. l'action de voler c o m m e « l'un des grands types
Mais le processus d'auto-organisation de l'évo- de problèmes dont l ' h o m m e ne viendrait jamais
lution scientifique peut aussi être considéra- à bout ». L a machine à vapeur a été inventée
blement influencé par des forces d'attraction avant m ê m e que ne soient formulés les principes
extérieures, ou à d'autres niveaux, c o m m e on va élémentaires de la thermodynamique. Et la
le voir brièvement dans les deux sections qui construction d u premier télégraphe a précédé
suivent. la formulation de l'équation dite des télégra-
phistes (qui rend compte de la transmission
d'un signal électrique le long d'un fil). Dans
LA FORCE D'ATTRACTION DU SOCIAL
tous ces cas, c'est la technologie qui a stimulé
L'application de la science à desfinstechnolo- le développement de la connaissance scienti-
giques, elles-mêmes subordonnées aux besoins fique en montrant les effets d'une synthèse
de l'être humain, a toujours exercé sur la syn- interdisciplinaire qui n'était pas encore concep-
thèse interdisciplinaire u n puissant effet d'en- tualisée. Mais les progrès scientifiques ainsi faci-
traînement, dont la technologie offre un exemple lités étaient à leur tour nécessaires pour maîtriser
de choix. L a production de l'électricité, pour l'innovation technologique à grande échelle et
ne citer qu'elle, peut faire appel à des domaines pour l'optimiser suivant divers critères.
scientifiques aussi divers que la thermodynami- A u cours des cinquante ou soixante dernières
que, la chimie, la physique nucléaire, l'électro- années, les rapports entre la science et la tech-
magnétisme, la métallurgie, etc. Leur synthèse nologie se sont beaucoup rapprochés du modèle
sous forme de création technologique engendre de la boucle de rétroaction en combinant les
indubitablement un nouveau niveau de descrip- effets d'impulsion et d'attraction dans la syn-
tion et d'axiométrique. D e s relations macro- thèse interdisciplinaire. L a T S F , le Nylon, le
scopiques vérifiées empiriquement c o m m e les transistor et l'énergie nucléaire ne sont devenus
formules de calcul des transferts de chaleur et possibles que par l'intervention conjuguée de
de matière ou celles d'un modèle de réacteur la recherche fondamentale, de la recherche ap-
nucléaire visent, en dernière analyse, les effets pliquée et de la création technologique. Sans
de processus microscopiques infiniment c o m - cette dernière, au demeurant, la force d'impul-
plexes comportant des échanges aux niveaux sion de la recherche scientifique bien souvent
moléculaire, atomique et subatomique, mais qui ne joue pas, c o m m e dans le cas de la technologie
n'apparaissent jamais explicitement. Il se peut des supraconducteurs, où tous les éléments
m ê m e qu'ils échappent dans une large mesure essentiels, y compris la technologie de la liqué-
à l'auteur de la création technologique, qui faction de l'hélium et celle des grands aimants,
néanmoins demeure capable, en s'appuyant seu- étaient connus dès 1935, mais où il a fallu
lement sur une combinaison de relations macro- attendre i960 pour que, pour la première fois,

337
Erich Jantsch

apparaisse une incitation technologique qui les sanctionnées dans les meilleurs délais par des
fasse adopter. Il paraît que le projet d'un missile diplômes garantissant le m a x i m u m possible
qui n'a jamais été construit (le « Navaho »), de profits personnels en période de dépression
avait débouché, dans les années cinquante, sur économique.
des résultats scientifiques plus utiles que toute Sans bruit cependant, et sans éveiller l'atten-
la recherche non orientéefinancéepar le Minis- tion sinon de rares initiés, une vision trans-
tère américain de la défense. disciplinaire bien plus vaste allait faire son
A partir des années soixante, le social a étendu apparition au cours des années soixante-dix,
son c h a m p d'attraction à travers u n effort par- s'organisant autour d'une série de concepts ori-
tant n o n des besoins perçus individuellement ginaux et se manifestant par l'émergence d ' u n
et des technologies correspondantes mais des nouveau paradigme, celui d'auto-organisation.
macrosystèmes de la vie humaine. U n enthou- N'étant plus axée exclusivement sur le niveau
siasme neuf et d'assez brève durée pour l'étude humain en tant que référence ultime, elle est
aussi bien exploratoire que normative d u futur d'une portée véritablement cosmique. A u centre
est d'ailleurs venu intensifier sa force d'entraî- de cette vision d ' u n univers d'interconnexions
nement. L'interdisciplinarité requise pendant dynamiques évoluant c o m m e u n tout, surgit u n
cette phase ne recouvrait pas seulement les nouveau point focal permettant la convergence
interactions des disciplines scientifiques, mais des sciences physiques et sociales, des arts et des
aussi celles de diverses technologies et d'autres lettres, de la philosophie et des connaissances
aspects de la vie socioculturelle. Par comparai- qui transcendent le domaine rationnel, bref,
son avec la phase antérieure d u développement de la totalité des rapports de l ' h o m m e avec le
technologique où l'on avait recherché une syn- monde.
thèse interdisciplinaire de facteurs scientifiques,
technologiques et économiques, l'apport d u so-
LA FORCE D'ATTRACTION
cial et d u culturel devint alors beaucoup plus
DE LA NOUVELLE VISION
vaste, transcendant les considérations purement
TRANSDISCIPLINAIRE*
économiques. Les étudiants voulaient que leurs
études eussent une « utilité », voulant dire par Elle peut, par diverses voies, être u n puis-
là u n lien aisément visible entre la science et la sant facteur de déclenchement de nombreuses
société. Dans maintes universités, on vit appa- synthèses interdisciplinaires particulières. Plus
raître des programmes interdisciplinaires ten- qu'aucune autre, cette démarche insuffle à tout
dant à une synthèse des sciences physiques et le système de la connaissance scientifique une
sociales, de la technologie et m ê m e des disci- dynamique nouvelle et favorise les rapports de
plines littéraires. symbiose en son sein.
A u début des années soixante-dix, on avait Dans les années quarante, la théorie générale
encore l'impression qu'une vision transdisci- des systèmes (dont la paternité revient à Ludwig
plinaire pourrait finalement se dégager de cette von Bertalanffy) et la cybernétique (fondée par
démarche interdisciplinaire généralisée et dyna- Norbert Wiener) avaient pour la première fois
mique. Mais ses contours n'étaient pas encore tenté de parvenir à u n paradigme, fondé scienti-
nettement perceptibles que déjà l'énergie h u - fiquement, qui reliât les fonctions des systèmes
maine qui animait cette démarche faiblit et
parut se dissiper. Avec la fin de la conscription * L'auteur analyse plus en détail les éléments de la nou-
aux États-Unis, puis, u n peu plus tard, le velle vision transdisciplinaire dans l'ouvrage intitulé
dénouement d u conflit vietnamien, les étu- The self organizing universe: scientific and human impli-
cations of the emerging paradigm of evolution (Pergamon
diants revinrent à des études « sérieuses », Press, Oxford and N e w York, 1980).

338
L'interdisciplinarité : les rêves et la réalité

à tous les niveaux, du physique au socioculturel structure spatiale donnée, telle une machine,
en passant par le biologique. Mais ces théories détermine dans une large mesure les processus
privilégiaient encore la structure, l'adaptation qu'elle peut accueillir, le jeu d'interaction de
et l'équilibre dynamique (flux dans u n uni- ces processus peut mener à une évolution ou-
vers en état stable). Aussi permirent-elles de verte des structures. L'accent est alors mis sur
comprendre en profondeur comment des struc- le devenir et, dans les systèmes dynamiques,
tures données peuvent être stabilisées et main- l'être lui-même apparaît c o m m e u n aspect d u
tenues indéfiniment, ce qui présente un intérêt devenir. L a notion m ê m e de système cesse
primordial en technologie, et c'est d'ailleurs d'être liée à une structure spatiale ou spatio-
en ce domaine qu'une systémique spécialisée temporelle spécifique o u à une configuration
a triomphé dans le contrôle de machines changeante de composantes particulières, o u
complexes. Dans les systèmes biologiques et encore à des ensembles de relations internes ou
sociaux, en revanche, ce type de contrôle externes. A u contraire, u n système se présente
— appelé également rétroaction négative — désormais c o m m e u n ensemble de processus
n'est que l'avers de la médaille : aucune struc- cohérents, en évolution et en interaction, se
ture vivante ne pouvant être stabilisée en manifestant temporairement dans des structures
permanence, l'envers de la médaille est la globalement stables qui n'ont rien à voir avec
rétroaction positive, o u déstabilisation avec l'équilibre et la solidité des structures techno-
apparition de formes nouvelles. Pour les fonda- logiques. L a chenille et le papillon, par exemple,
teurs des deux théories en question, réussir une sont deux structures temporairement stabilisées
synthèse totale des deux aspects devait demeurer au sein de l'évolution cohérente d'un seul et
un rêve. m ê m e système. D è s 1947, Conrad Waddington
Les systèmes biologiques et sociaux néces- avait inventé la notion de processus épigéné-
sitent une appréhension de phénomènes tels que tique, utilisation sélective et synchronisée d'in-
Pauto-organisation et l'autorégulation, la cohé- formations génétiques structurellement codées
rence d u comportement dans le temps avec par les processus de la vie, à travers u n jeu
modification de structure, l'individualité, la d'interactions avec l'environnement. C'est là
communication avec l'environnement et la une notion d'une importance capitale dans une
symbiose, la morphogenèse et la liaison spatio- conception de la biologie orientée vers les pro-
temporelle dans l'évolution. O n c o m m e n c e à cessus c o m m e pour l'évolution en général.
progresser dans cette direction grâce à une L a percée décisive a eu lieu en 1967 avec la
compréhension nouvelle de la dynamique des théorie, puis la confirmation empirique, de
systèmes naturels, elle-même précédée, dans les l'existence de structures dites dissipatives dans
années vingt, par la philosophie d u processus les systèmes de réactions chimiques, et avec la
d'Alfred North Whitehead et la découverte de découverte d'un nouveau principe d'organisa-
la notion d'holisme (totalité) dans l'évolution, tion sous-jacent, appelé ordre par fluctuation.
telle qu'elle a été élaborée par Jan Smuts, Les m ê m e s principes fondamentaux d'auto-
général et h o m m e politique d'Afrique d u Sud. organisation ont aussi été appliqués à la dyna-
Pour caractériser cette vue nouvelle en peu de mique des systèmes biologiques, écologiques,
mots, disons qu'elle est orientée vers les pro- sociobiologiques et socioculturels. E n parti-
cessus, par opposition à celles qui mettent l'ac- culier, une vision neuve de l'origine de la vie
cent sur les composantes « solides » des systèmes sur la terre, conçue c o m m e u n stade naturel et
et les structures qui en sont constituées. Ces logique de l'auto-organisation de la matière, est
deux démarches se situent respectivement dans devenue possible, et c'est principalement à
des perspectives asymétriques : tandis qu'une l'Allemand Manfred Eigen, prix Nobel, qu'on

339
Erich Jantsch

doit son élaboration. D ' u n e conception de la vie l'enchaînement qu'ils forment avec d'autres
c o m m e phénomène hautement improbable et processus au sein d'une évolution globale, il y a
peut-être unique dans tout l'univers (ainsi que un sens qui est le sens de la vie. Nous ne sommes
le Français Jacques M o n o d , prix Nobel, le pas les sujets impuissants de l'évolution, nous
proclamait encore au début des années soixante- s o m m e s l'évolution. Touchée, au m ê m e titre
dix), on est passé à la perspective d'une évolu- que d'autres aspects de la vie humaine par ce
tion globale, dont les différents aspects sont liés changement de perspective fondamentale, la
par des dynamiques homologues (c'est-à-dire science cesse d'être détachée de la vie humaine
apparentées de par leurs origines communes). pour contribuer au contraire à sa joie, à son
Et m ê m e le système que l'atmosphère forme sens. Or cette joie et ce sens, qui sont inhérents
avec la biosphère apparaît aujourd'hui c o m m e à la nouvelle vision transdisciplinaire, agissent
un système auto-organisé et autorégulé, le sys- à leur tour c o m m e une puissante force d'entraî-
tème Gaia. nement sur la synthèse interdisciplinaire.
C e nouveau type de science, qui se guide au
premier chef sur des modèles vivants et non plus
mécaniques, stimule le changement, et pas Les cadres institutionnels
seulement dans le domaine scientifique. T h é m a - d e l'interdisciplinarité
tiquement et épistémologiquement, il est en
effet lié aux préoccupations fondamentales é m a - Ce fut peut-être une erreur que d'espérer voir
nant d u m o n d e humain et qui peuvent se l'université axée sur les disciplines réussir à
résumer par des notions c o m m e l'autodétermi- se restructurer très rapidement pour donner
nation, l'auto-organisation et Pautorenouvelle- l'exemple de l'interdisciplinarité. L a structure
ment, la reconnaissance d'une interdépendance de l'université n'est finalement guère que celle
systémique, dans l'espace et dans le temps, de des intérêts et des compétences, des croyances
toutes les dynamiques naturelles, la suprématie et des ambitions de ses enseignants. L'expan-
logique des processus sur les structures spa- sion quantitative très rapide de l'enseignement
tiales, le rôle desfluctuationsqui invalident la supérieur — aux États-Unis, la moitié de la
loi des grands nombres (loi de distribution des population passe aujourd'hui par le « collège » —
moyennes), donnant ainsi sa chance à l'individu a donné naissance à u n prolétariat d'universi-
et à son imagination créatrice, ou encore le taires bornés, hautement spécialisés et apeurés,
caractère ouvert et créatif d'une évolution qui qui se soucient avant tout de leur sécurité dans
jamais, ni dans ses structures qui tour à tour le statu quo et sur qui il ne faut certainement pas
naissent et dépérissent ni dans son aboutisse- compter pour relever le défi de la nouveauté des
ment ultime, n'est prédéterminée. L a science visions et des synthèses. C'est l'enseignement,
est sur le point de reconnaître ces principes et non plus l'acquisition de connaissances, qui
c o m m e des lois générales de la dynamique de la est désormais au cœur des préoccupations de
nature. Appliqués aux êtres humains et à leurs l'université. Et dans la mesure où les pro-
systèmes de vie, ils apparaissent par conséquent grammes sont formulés par des départements
c o m m e les principes d'un m o d e de vie profon- orientés vers les disciplines traditionnelles, cette
dément naturel. L a division dualiste en nature attitude défensive se trouve encore renforcée
et culture qui a toujours hanté l'interprétation par une morale collective de la sécurité qui pres-
occidentale de la réalité peut aujourd'hui être crit des thèmes, voire des méthodes uniformes.
surmontée. Dans le déploiement, dans l'auto- L a situation qui règne à l'université est sen-
transcendance des processus naturels, il y a une siblement différente de celle de la recherche en
joie qui est la joie m ê m e de la vie. Et dans dehors de l'université, et notamment dans l'in-

340
L'interdisciplinarité : les rêves et la réalité

dustrie, où la structure par disciplines ne sert action de la science, de la technologie et de la


souvent que d'ossature administrative : les phy- société. O n a parfois parlé, à propos de cette
siciens relèvent alors de la section de physique, formule, de « deuxième foyer », foyer plutôt
les chimistes de la section de chimie, etc., pour froid en vérité pour des enseignants considérés
les questions administratives et les rémunéra- par leurs collègues c o m m e « traîtres » à leur
tions, mais les unités au sein desquelles ils tra- discipline. Lorsque la force d'entraînement d u
vaillent sont bel et bien des groupes interdisci- social c o m m e n ç a à faiblir, la plupart de ces
plinaires, mis sur pied au fur et à mesure des centres disparurent, tels ceux, pourtant très
besoins pour une durée limitée et structurés en imposants, des universités Columbia et H a r -
fonction des tâches à accomplir. E n revanche, vard. Quelques centres, qui ont survécu o u qui
il a m a n q u é à ce genre de centres de recherches furent créés par la suite, confient à présent
relativement autonomes la composante sociale l'essentiel de leurs travaux à des chargés
qui les aurait entraînés vers la synthèse inter- de recherches vacataires : tel est le cas de
disciplinaire. l'Institut de technologie d u Massachusetts,
Sans doute existe-t-il des départements qui, dont le programme « science, technologie
dans une certaine mesure, adoptent une ap- et société » est financé par des subventions de
proche interdisciplinaire, tels ceux d'écologie ou l'industrie.
de ressources naturelles, de planification urbaine Quant aux programmes éducatifs interdisci-
et régionale, ou de santé publique, mais, dans plinaires, c'est surtout aux niveaux d u premier
l'ensemble, ils ne font rien pour reculer les cycle de l'enseignement supérieur et d u doc-
limites de leur horizon interdisciplinaire. Ils se torat qu'ils ont été instaurés. L a recherche d'une
sont pour la plupart réfugiés sur quelque posi- « utilité » paraissait bien servie par des unités
tion d'équilibre qui décourage toute synthèse d'enseignement centrées sur des thèmes c o m m e
nouvelle, et leur optique demeure généralement celles dites « T h e m e Colleges » des sciences de
celle des années soixante. Quant à la perspective l'environnement, de biologie humaine, des
transdisciplinaire, elle n'a pratiquement nulle études sociales et de la communication créa-
part droit de cité — à une seule et remarquable trice de l'Université du Wisconsin (Green Bay).
exception près : le second Institut de chimie Ces collèges semblaient être les héritiers natu-
physique de l'Université libre de Bruxelles où, rels de la tradition de culture générale des
sous la direction d'Ilya Prigogine, figure cen- « liberal arts colleges » américains. Pour leur
trale de la vision transdisciplinaire naissante, part, les universités européennes, structurées de
des physiciens, des chimistes, des biophysiciens, façon plus ou moins uniforme en fonction des
des biochimistes, des spécialistes d u cerveau, deuxième et troisième cycles, n'avaient pas la
des écologistes, des économistes, des socio- souplesse voulue pour suivre cette voie origi-
logues, des anthropologues et des philosophes nale. Cependant, m ê m e aux États-Unis, la for-
s'emploient en collaboration à poser les fonde- mule n'a pas eu grand succès. Dans la plupart
ments scientifiques de la nouvelle vision. Après des cas, il n'y a jamais eu de programme
des débuts plus ou moins clandestins, cette d'études reposant sur des bases solides. Et
équipe extrêmement originale s'est maintenant surtout, l'entreprise a achoppé sur le m a n q u e
trouvé une assise plus sûre, la liberté qu'une d'enthousiasme des étudiants, qui cessèrent de
société férue d'honneurs accorde au lauréat d'un se préoccuper de 1' « utilité » de leurs études dès
prix Nobel. que la lutte pour les places lucratives reprit ses
droits. L'Université de Californie à Santa Cruz,
A la fin des années soixante, de nombreuses
dont le campus est situé au milieu d'une
universités, aux États-Unis en particulier, ont
immense et splendide forêt et dont les collèges
créé des centres de recherches axés sur l'inter-

341
Erich Jantsch

(structurés par thèmes : étude de l'environne- Graduate School for the Study of M a n , qui
ment, arts, sciences sociales, sciences de la possède des établissements à San Francisco,
nature, etc.), très espacés, favorisent u n contact Londres et Rotterdam. Dans les grandes uni-
étroit avec la nature, a c o m m e n c é à éprouver de versités, c o m m e Berkeley, les programmes de
graves ennuis dès le milieu des années soixante- doctorats interdisciplinaires jouent surtout le
dix : les inscriptions diminuèrent brutalement rôle de « dernière chance » pour les étudiants
et les étudiants sombrèrent dans l'apathie, se dont le sujet de doctorat ne paraît pas recevable
sentant rejetés à l'écart de la vie urbaine et de dans le cadre rigide des départements, n o n
ses attraits. L e collège organisé autour d u parce qu'il est d ' u n caractère interdisciplinaire
thème « L ' h o m m e et son environnement » n'a anormalement accentué, mais parce qu'il se
jamais vraiment trouvé de ligne directrice et il situe hors des sentiers battus de l'étroite routine
propose aujourd'hui u n éventail de cours très universitaire et qu'on redoute qu'il ne dé-
variés : littérature, histoire, philosophie et étude concerte les départements en cause. Malheu-
des questions féminines. Cet échec tient sans reusement, cela aboutit rarement, semble-t-il,
doute en partie à la conception dite « laxiste » à des thèses vraiment neuves o u remarquables
de l'éducation, favorable à l'abolition des à u n titre ou un autre, ce qui, à son tour, ne fait
diplômes et aux études autodirigées. E n tout que renforcer la conviction générale que les
cas, au seuil des années quatre-vingts, les étu- études interdisciplinaires sont « faciles » et
diants assez organisés et assez imaginatifs pour bonnes pour les « fumistes » et ne facilite pas la
profiter de ce genre de possibilité ne sont appa- reconnaissance des diplômes interdisciplinaires,
remment pas monnaie courante. Toutefois, moyennant quoi — nouveau cercle vicieux —
il semble que Santa Cruz soit en passe de sur- les étudiants doués et ambitieux ont tendance à
monter cette crise et attire à nouveau davantage s'en détourner.
d'étudiants que l'interdisciplinarité intéresse.
Sur u n plan très général, il semble que le
A u x yeux des universitaires, ces collèges axés
passage de l'attraction du social à celle du trans-
sur des thèmes ont au moins l'avantage d'offrir
disciplinaire, tel qu'il a été analysé dans les
des perspectives de stabilité d'emploi, tandis
pages qui précèdent, exige des approches nou-
qu'ailleurs (à Berkeley, par exemple, qui dépend
velles qui ne transcendent pas seulement les
de la m ê m e université), la titularisation est
départements d'une université, mais encore
refusée aux enseignants chargés des programmes
l'université elle-même. Il y a là quelque chose
interdisciplinaires d u premier cycle, m o y e n
de parallèle au développement industriel dans
infaillible d'éliminer peu à peu ces programmes
des secteurs où l'interdisciplinarité est très pous-
« sans éclat », puisque tous les enseignants qui
sée c o m m e celui de l'énergie nucléaire, ou encore
ne sont pas titulaires de leur poste doivent
ce qu'on n o m m e en micro-électronique (et qui
obligatoirement partir au bout de sept ans.
est à la pointe de l'actualité) l'intégration à très
A u niveau du doctorat, il y a des programmes grande échelle. Dans ces domaines, il y a plus
interdisciplinaires qui ont d u succès, au moins à attendre de démarches coordonnées et finan-
aux États-Unis, ce sont ceux qui sont au centre cées à l'échelon national que de la concurrence
de l'activité de petits instituts des hautes études entre des sociétés, si gigantesques qu'elles puis-
venus s'insérer dans les « vides » laissés par le sent devenir. Ilya Prigogine, évoqué plus haut
système éducatif général ; c'est le cas, par en sa qualité de directeur de l'institut univer-
exemple, d u Wright Institute de Berkeley sitaire le plus « transdisciplinaire » qui soit
(psychologie sociale clinique et créativité psy- actuellement, a récemment avancé l'idée d'une
chosociale), de l'Union Graduate School de planification et d ' u n financement transnatio-
San Francisco, o u encore de la Synthesis naux — par exemple dans le cadre des c o m m u -

342
L'interdisciplinarité : les rêves et la réalité

nautés européennes — de programmes auto- ne tiendra pas tellement aux processus normaux
nomes de recherches interdisciplinaires. Les de synthèse interdisciplinaire inhérents au pro-
différents projets seraient peut-être encore rat- grès scientifique que l'on voit se frayer lente-
tachés à des universités pour assurer la c o m m u - ment u n chemin dans les structures tradition-
nication avec la communauté universitaire, mais nelles de l'université et de la recherche. Je n e
ils seraient conçus pour évoluer avec souplesse, m'attends pas n o n plus à voir la sollicitation
suivant une succession ininterrompue de projets supplémentaire issue des besoins sociaux, qui a
terminés et de nouveaux projets mis en route. beaucoup perdu de sa vigueur, jouer ici u n rôle
Les chercheurs travailleraient en équipes char- déterminant, encore qu'elle puisse retrouver
gées d'une mission précise et indépendantes de une partie de son influence. Celle qui, à m o n
l'université ; ils auraient tout loisir de passer sens, sera plus importante et plus puissante,
d'un projet à l'autre, d'un endroit à l'autre c'est la force d'attraction quifinirasans doute
— suivant le modèle de la recherche interdisci- par exercer une vision transdisciplinaire nais-
plinaire dans les grands laboratoires n o n uni- sante qui est aussi porteuse d'un sens nouveau
versitaires. Ils formeraient u n corps d ' h o m m e s de la vie humaine et d'une conscience nouvelle
de science authentiquement transnational, ce de l'interconnexion de tous les processus de
qui ne serait sûrement pas une mauvaise chose l'univers. Alors que la sollicitation d u social
dans u n m o n d e qui n'a guère connu jusqu'ici pourrait se matérialiser en partie à l'intérieur
que l'ascension des bureaucraties inter- et trans- des structures universitaires, la consécration de
nationales. cette vision transdisciplinaire passe probable-
ment par des approches institutionnelles nova-
L'idée de l'interdisciplinarité, qui est retombée trices de caractère transnational. Et l'idée d'un
après les quelques années d'enthousiasme o ù corps transnational de scientifiques, affectés au
elle avait joui d'une faveur générale, paraît gré des besoins à des projets interdisciplinaires
néanmoins entrer à présent dans une phase où en constante évolution, paraît particulièrement
riche de promesses.
elle va reprendre son ascension. Cette évolution

343
Mira Vaisbourd

Méthodes d'apprentissage accéléré


des langues vivantes en U R S S

Il est extrêmement difficile d'acquérir une se- les bases de l'étude d'une langue étrangère, en
conde langue c o m m e m o y e n de communication. présupposant u n approfondissement ultérieur.
L a nature et la société créent toutes les condi- Les établissements d'enseignement supérieur
tions nécessaires pour que l'enfant apprenne sa non spécialisés dans l'enseignement des langues
langue maternelle; mais il est impossible de ne donnent en général aux étudiants que les
recréer ces conditions pour l'adulte. rudiments nécessaires pour aborder les ouvrages
L e besoin réel d'utiliser une langue étran- correspondant à leur spécialité. Aussi ceux
gère n'apparaît, en général, que lorsque après qui souhaitent bien connaître une langue étran-
avoir terminé ses études on entre dans la vie gère s'inscrivent-ils à des cours pour adultes
active. Pendant la durée de la scolarité, cette qui appliquent des méthodes d'enseignement
perspective semble lointaine et peu réelle, de accéléré.
sorte que l'étude d'une langue étrangère a tou- Lorsqu'on parle de « méthodes d'enseigne-
jours u n aspect plus o u moins contraignant. ment accéléré », on entend par là non seulement
C'est généralement au cours des études secon- un ensemble de moyens d'enseignement, mais
daires ou supérieures qu'on apprend une langue aussi tout u n contenu, avec son équipement en
étrangère. Cette matière est inscrite au pro- moyens techniques et non techniques, une or-
g r a m m e au m ê m e titre que les autres disciplines, ganisation d u processus pédagogique et le
sans qu'il soit tenu compte des particularités « climat psychologique » qui se crée à cette
de cet apprentissage. Aussi l'étude est-elle trop occasion.
étalée dans le temps, et professeurs et élèves se L'amélioration de l'un de ces facteurs ou de
voient trop rarement, ce qui est en totale contra- leur combinaison doit conduire à une plus
diction avec les lois de formation de l'expérience grande efficacité de chaque unité de temps
linguistique. pédagogique ou, c o m m e on dit aujourd'hui, à
C'est pourquoi, dans le cadre de l'enseigne- rendre l'enseignement plus intensif.
ment secondaire, on ne réussit guère qu'à poser L a spécificité de l'apprentissage des langues
étrangères tient en ceci : a) il convient de faire
entrer dans la mémoire le m a x i m u m d'unités
qui, pour la plupart, se soumettent difficilement
Mira Vaisbourd (URSS). Candidate en sciences péda- à la systématisation; b) il faut pousser la
gogiques, attachée de recherche à l'Institut de recherche connaissance de ces unités jusqu'à en rendre
et d'expérimentation des contenus et méthodes d'ensei-
gnement de l'Académie des sciences pédagogiques de
l'utilisation automatique ; c) il faut que l'utili-
l'URSS. sation de ces unités corresponde non seulement

344
Perspectives, vol. X , n° 3, 1980
Méthodes d'apprentissage accéléré des langues vivantes en U R S S

aux normes linguistiques, mais encore à des à partir de stimuli comportant les signes d'un
besoins précis de communication. fait linguistique ou d'une situation, de règles
Les méthodes d'enseignement accéléré pré- ou instructions linguistiques ou pragmatiques,
voient une concentration d u temps pédagogi- de schémas d'opérations ou d'actions ; cette
que. Les cours ont lieu quotidiennement et à première étape est suivie d'exercices pratiques
raison d'au moins quatre heures par jour ; on où est prévu le passage d u réfèrent à son ex-
évite ainsi les possibilités d'oubli, obstacle prin- pression verbale, puis à l'acte mental.
cipal dans l'étude d'une langue étrangère. O n s'attache particulièrement à planifier le
L'accélération d u processus d'apprentissage processus pédagogique et à combiner correc-
d'une langue peut s'obtenir par deux approches tement les différents modes d'enseignement.
principales. L a première vise une correspon- Avant chaque cours, ou série de cours, on définit
dance plus étroite entre les buts de l'étude d'une une tâche aussi concrète que possible et dont
part et le contenu, les méthodes, l'organisation l'accomplissement sera facile à contrôler.
et l'équipement de l'enseignement d'autre part ; Pour parvenir à une intensification d u pro-
la seconde cherche, par l'organisation de condi- cessus d'apprentissage, on utilise rationnelle-
tions particulières d'enseignement, à tirer le ment différents moyens visuels et techniques.
parti maximal de la personnalité de l'étudiant. Grâce à ces moyens, on crée u n fond situationnel,
Bien que ces deux approches soient interdépen- on économise le temps pédagogique (qui n'est
dantes, chacune a ses particularités et sa sphère plus perdu à donner des explications, à présenter
de développement. les stimuli ou à corriger les fautes), et l'on aug-
A u titre de la première approche sont menées mente la dose de pratique linguistique hors cours.
des recherches tendant à déterminer u n maté- L a large utilisation des moyens techniques
riau linguistique dont le choix, la typologie, le contemporains, tant dans les cours que dans
dosage et la progression reposent sur une étude les périodes préparatoires, a amené certains à
théorique. Dans le choix des unités linguis- définir cette méthode c o m m e audiovisuelle ;
tiques, on exclut tout ce qui n'est pas immédia- pourtant, la ressemblance est surtout extérieure.
tement utilisable dans la pratique linguistique Les méthodes audiovisuelles à l'état pur ne
d'un contingent donné d'étudiants ; les unités sont pas utilisées en Union soviétique pour de
linguistiques sont groupées autour de situations nombreuses raisons, et avant tout parce qu'elles
engendrant des activités langagières typiques de sont basées sur des conceptions qui séparent
tous les jours. Et l'on applique les principes pé- le processus cognitif de la réflexion intellec-
dagogiques selon lesquels on va d u plus simple tuelle, l'acquisition des automatismes n'y pré-
au plus difficile, d u plus élémentaire au plus voyant pas la conceptualisation des mécanismes
complexe, du plus proche au plus éloigné, sur lesquels ils reposent.
après les avoir examinés en fonction des pro- Mais certains éléments, plus ou moins m o d i -
blèmes de la communication. fiés, des méthodes audiovisuelles sont largement
O n s'attache tout particulièrement à faire employés dans le système d'enseignement accé-
correspondre la structure de l'enseignement aux léré des langues étrangères : l'évidence situa-
différentes étapes de l'apprentissage. A partir tionnelle et linguistique créée par l'utilisation
de la théorie, élaborée par les psychologues qui conjuguée de plusieurs moyens techniques au-
travaillent sous la direction de P . Y a . Galpérine diovisuels, la coordination de sources techniques
et selon laquelle les activités intellectuelles se et n o n techniques d'information, le large re-
forment par paliers, une méthode a été mise au cours aux phénomènes de civilisation, la liaison
point qui oriente le processus pédagogique vers organique d u travail en salle de cours et au
la création d'automatismes et d'un savoir-faire laboratoire de langues.

345
Mira Vaisbourd

L e travail individuel des étudiants prévoit pédie. L'étudiant est placé en état hypnagogique
l'emploi d'un manuel et des devoirs écrits ainsi à l'aide d'un appareil pour électro-hypnose
que l'audition d'enregistrements. L a lecture ayant une action rythmique monotone sur le
rapide à haute dose (jusqu'à vingt-cinq pages système nerveux, et c'est alors que sont envoyées
par jour) est le complément obligatoire de ce les informations. E n variant la fréquence des
type d'enseignement. impulsions lumineuses et sonores, il est pos-
L'amélioration de l'efficacité de l'enseigne- sible d'entretenir chez l'étudiant l'intensité et
ment est une chose, mais on recherche aussi une la profondeur de l'inhibition due au sommeil
augmentation du potentiel d'acquisition des qui sont optimales pour lafixationd'informa-
étudiants. O n m è n e des expériences d'appren- tions nouvelles.
tissage soit en situation de sommeil naturel (hyp- L'enseignement en état de sommeil a de
nopédie), soit dans des conditions de rythmo- nombreux partisans, mais plus encore d'adver-
sommeil (rythmopédie), soit par la méthode saires. L'efficacité m ê m e de ce type d'ensei-
consistant à fournir les informations en situation gnement est mise en doute. C o m m e l'hypno-
de relaxation (relaxopédie). pédie est utilisée en combinaison avec d'autres
Ces dernières années, c'est la suggestopédie procédés pédagogiques et c o m m e on est obligé
qui a connu le plus large développement ; d'entraîner intensément les étudiants à entrer
cette méthode prévoit l'utilisation des réserves en situation d'assimilation, il n'est pas possible
du cerveau par hypnose, c'est-à-dire par une d'isoler les résultats imputables à la seule action
action suggestive complexe sur la personnalité exercée sur l'étudiant endormi. L'utilisation de
de l'étudiant. l'action hypnopédique requiert des conditions
Les chercheurs qui travaillent dans ce do- particulières, des locaux spécialement a m é -
maine se fondent sur des observations permet- nagés, et u n régime de vie spécial pour les
tant de conclure que le processus de mémori- étudiants.
sation est facilité et accéléré lorsqu'il y a Mais l'objection la plus importante vient des
diminution du contrôle direct et accroissement médecins qui considèrent qu'une intrusion dans
du rôle des processus inconscients de l'activité les mécanismes d u sommeil peut entraîner leur
nerveuse supérieure. D'après ces chercheurs, détérioration et provoquer des troubles ner-
les résultats d'un enseignement mettant en veux. C'est pourquoi l'hypnopédie n'a pas
œuvre l'hypnopédie s'accroissent de deux à connu u n très grand développement, bien que
deux fois et demie. L e cycle de mémorisation les recherches dans ce domaine présentent u n
comprend un cours ordinaire avec le professeur intérêt réel du point de vue des possibilités
(45 minutes), l'audition du cours lu et sa répé- d'intensification d u processus didactique.
tition à haute voix au lit en situation de pré- E n U R S S , les théories de l'enseignement en
sommeil (15 minutes), la perception du cours état de relaxation, c'est-à-dire en état de relâ-
après entrée en état hypnagogique avec dimi- chement physique et psychique obtenu par la
nution progressive de l'intensité (55 minutes), persuasion, sont beaucoup plus répandues. Dif-
et une nouvelle perception du cours de 20 à férentes expériences ont prouvé que, dans cet
30 minutes avant le réveil avec augmentation état, la mémorisation est meilleure qu'en temps
progressive de l'intensité. U n programme hyp- normal. L a relaxation musculaire et l'entraî-
nopédique complet comporte trente-sept cycles nement autogène permettent de parvenir à u n
de ce type, et il permet d'apprendre au total état de repos physique et psychique, à une sen-
deux mille cinq cents mots, locutions ou m o - sation de chaleur et de lourdeur d u bras droit.
dèles de base. L a perception sensorielle des facteurs étrangers
L a rythmopédie est une variante de l'hypno- à l'information proposée se trouve alors affai-

346
Méthodes d'apprentissage accéléré des langues vivantes en U R S S

blie, le cerveau se libère des inhibitions d'origine la seconde présentation, et pourtant l'effet de
extérieure, les facultés sélectives de l'attention cette seconde présentation est important : la
se développent et celle-ci se concentre entière- mémorisation d u vocabulaire est de 42 %
ment sur l'objet proposé. supérieure en moyenne à celle des groupes
La relaxopédie ne doit pas être considérée apprenant les m ê m e s mots par le procédé
c o m m e une méthode d'enseignement indépen- classique.
dante, mais c o m m e u n maillon utile dans u n Mais, par enseignement accéléré, on sous-
apprentissage par des moyens ordinaires, mail- entend le plus souvent une intensification de
lon qui permet d'accélérer le stockage du maté- l'enseignement par l'utilisation de la suggesto-
riau linguistique, libérant ainsi d u temps pour pédie, dans ses différentes variantes ou formes.
une activité langagière créatrice. Quelles que soient les approches, toutes ces
L a structure proposée pour u n cours re- méthodes ont pour base une action suggestive
laxopédique est la suivante : a) prise de sur les étudiants, action qui a été mise au point
connaissance préliminaire d u vocabulaire nou- par Guéorgui Lozanov, directeur de l'Institut
veau (8-IO minutes) ; b) entrée en état de re- de suggestologie de Bulgarie.
laxation (7-10 minutes) ; c) acquisition relaxo- D e u x principes sont à la base de la sugges-
pédique du nouveau vocabulaire (20-25 mi" topédie* : celui de la gaieté et de la décontrac-
nutes) ; d) sortie de l'état de relaxation et tion, et celui de l'unité « conscient - non cons-
exercices d'actualisation d u vocabulaire nou- cient ». Pendant les cours, on crée u n climat
vellement acquis (5-10 minutes). psychologique spécial, fait de confiance et de
L e volume d u vocabulaire qu'un étudiant gaieté, qui suscite le désir d'apprendre et la foi
peut acquérir en une séance est, en moyenne, en ses possibilités. C e climat est obtenu par le
de cinquante à soixante mots. D'après les don- soutien permanent d u professeur, par le choix
nées que nous possédons, l'efficacité de la re- de couples d'étudiants en fonction de leurs
laxopédie est optimale lorsque le rapport de compatibilités psychologiques, et en laissant les
fréquence entre les cours relaxopédiques et les participants se placer librement dans la salle
cours ordinaires est de u n à cinq. de cours.
L a méthode de la mémorisation non cons- L e processus pédagogique suggestopédique
ciente d'informations a été mise au point à Tbi- tend à rapprocher le plus possible la c o m m u n i -
lissi sous la direction d u professeur B . I. Khat- cation pédagogique de la communication non
chapouridzé. U n disque dans lequel a été pédagogique, à abattre les barrières psycholo-
pratiquée une fente est placé devant l'objectif giques qui font obstacle à la communication
d'un projecteur et tourne à une vitesse de 70 naturelle. O n mobilise des réserves de m é m o -
à 90 tours/minute ; on projette sur u n écran risation jusque-là négligées, les pensées et les
la liste des mots dont l'étude est proposée. Ces sens de l'étudiant sont grands ouverts à l'action
mots et leur traduction sont connus des étu- pédagogique, avec une acuité, une confiance
diants qui, auparavant, ont p u les entendre et et u n intérêt qu'on ne rencontre que chez
les voir projetés normalement. L e groupe d'étu- l'enfant. L'adulte n'est plus gêné, il assume de
diants a répété deux fois chaque m o t et sa plein gré le rôle qui lui est proposé et, dans le
traduction à la suite d u lecteur et a écouté les cadre de ce rôle, il parle et agit sans con-
explications d u professeur sur les particularités trainte et naturellement, employant les unités
de chacun. Chaque liste comprend une tren-
taine de mots.
* Voir l'article de G . Lozanov, « L'enseignement accéléré
L e mouvement rapide d u disque exclut toute et les réserves de l'individu », Perspectives, I X , 4 , 1979,
possibilité d'examen attentif des mots lors de p. 441-453 [LR]-

347
Mira Vaisbourd

linguistiques nouvellement acquises avec la techniciens à l'Institut pédagogique Maurice-


m ê m e liberté que s'il les avait possédées toute Thorez pour l'enseignement des langues étran-
sa vie. gères), on a commencé à introduire dans le
Cependant, tous les aspects de la suggesto- programme des débutants une série de quelques
pédie et leur interprétation méthodologique cours de grammaire comparée (russe-anglais).
sont loin d'être unanimement acceptés. Les ré- O n a de m ê m e rendu obligatoire l'introduction
sultats de cet enseignement eux aussi sont d'un bref cours utilisant la suggestopédie soit
discutés : on critique les incorrections g r a m m a - en début d'études, soit en étape finale. Dans
ticales, l'incapacité des étudiants à créer des certains cas, on remplace la suggestopédie par
phrases par eux-mêmes ou à lire ce qu'ils n'ont des cours faisant appel à la relaxopédie ou à
pas encore employé oralement. la rythmopédie.
Pour qu'ils acquièrent cette compétence, il L'enseignement basé sur la suggestopédie,
leur m a n q u e une composante fort importante : lorsqu'il est employé de façon autonome, l'est
la connaissance des règles d'emploi des diffé- soit c o m m e prélude à l'étude autodidactique
rents modèles linguistiques. Les pédagogues d'une langue, permettant à l'étudiant de pren-
soviétiques relèvent que la pratique orale de dre confiance en ses forces et en la réalité des
ces étudiants ne s'appuie pas suffisamment sur résultats positifs obtenus, soit c o m m e m o y e n
des automatismes, que l'absence totale de tra- de perfectionnement.
vail en dehors des cours les prive de tout travail Pour les travailleurs scientifiques, on pratique
individuel sur la langue. aussi le « bain linguistique », stage de neuf
Pour éliminer ces défauts, les pédagogues jours avec huit à dix heures de cours par jour,
soviétiques ont apporté modifications et c o m - soit avant une conférence à l'étranger, pour
pléments au système pédagogique faisant appel remettre en mémoire ce qui a pu être oublié et
à la suggestopédie. Praticiens et théoriciens pour permettre d'utiliser dans la communica-
s'efforcent maintenant d'unir langage vivant, tion orale les réserves passives accumulées lors
jeu et musique aux éléments de travail linguis- des lectures, soit encore pour donner des bases
tique sans lesquels il est impensable de vouloir orales avant une étude plus approfondie d'une
apprendre une langue. langue étrangère.
U n cours accéléré peut ou bien être autonome L e rôle des méthodes d'enseignement accé-
et se suffire à soi-même, ou bien être une étape léré ne se réduit pas seulement à ce qu'elles
déterminée dans le processus pédagogique. U n peuvent apporter au cercle restreint de per-
cours autonome pour spécialistes diplômés dure sonnes étudiant dans de tels cours : la mise
dix mois (en congé de formation) ou deux ans au point de ces méthodes profite à l'ensei-
(en stage de formation sans congé). L'intensi- gnement des langues étrangères dans son
fication du processus d'apprentissage dans un ensemble.
tel cours est obtenue principalement par le Il est impossible de ne pas être d'accord avec
perfectionnement du processus pédagogique, le professeur A . A . Léontiev lorsqu'il écrit :
par l'utilisation de tout ce qui a été fait de « U n problème dont la solution sera, sans aucun
mieux jusqu'à présent pour améliorer l'ensei- doute, utile à toutes les étapes et dans tous les
gnement des langues vivantes. E n choisissant types d'enseignement est celui de l'introduction
les méthodes d'enseignement, on prend en partout où cela est possible d'éléments suscep-
considération la spécificité du public adulte, son tibles d'intensifier l'enseignement ; il faut tirer
désir de tout comprendre, son refus du travail les conclusions des expériences de ce qu'on
mécanique. C'est pourquoi dernièrement, dans appelle 'l'enseignement accéléré' pour améliorer
certains cours (par exemple ceux destinés aux l'enseignement des langues étrangères à tous les

348
Méthodes d'apprentissage accéléré des langues vivantes en U R S S

niveaux, d u jardin d'enfants au perfectionne- renoncer à toute exclusive dans le choix des
ment de spécialistes diplômés. » moyens pouvant permettre l'intensification, et
Les chercheurs soviétiques dans le domaine intégrer tout ce qu'il y a de valable dans les
de l'enseignement des langues étrangères ont résultats obtenus dans les différentes directions
pour tâche de donner une base théorique à l'en- de recherche en matière d'enseignement des
seignement accéléré. Pour y arriver, il faut langues étrangères.

349
Gilbert de Landsheere

Sélectionner les enseignants

Si sélectionner, c'est choisir les individus qui maints lieux, à la sélection des conducteurs
conviennent le mieux pour remplir une fonction d'autobus qu'à celle des instituteurs, alors que
donnée, c'est aussi et peut-être d'abord, en ce si les premiers peuvent certes mettre la vie de
qui concerne les futurs enseignants, retenir ceux quelques dizaines de passagers en danger, les
qui ne nuiront pas. seconds peuvent, eux, nuire spirituellement à
L a sélection trouve d'autres justifications des milliers d'enfants ?
encore. Tantôt elle s'impose par les faits, Par ailleurs, u n artisan inhabile voit sa clien-
notamment quand le nombre de places à tèle disparaître ; u n mauvais chauffeur est vite
occuper dans les établissements de formation congédié. Mais, dans la plupart des pays d u
est limité. Tantôt elle résulte plus directement m o n d e , u n enseignant est souvent n o m m é à vie
de la volonté de n'ouvrir la profession qu'à des sans que sa qualification effective soit rigoureu-
individus dont les options philosophiques ou sement établie..., et combien de fonctionnaires
politiques plaisent au pouvoir. ainsi n o m m é s seront-ils révoqués pour fautes
Seule la première raison avancée se justifie pédagogiques graves ?
à nos yeux : découvrir les h o m m e s et les Bref, la sélection des enseignants se justifie
femmes susceptibles de rendre les meilleurs amplement. L e tout est d'être capable de la
services aux « apprenants ». L'éducation, clé de réaliser correctement.
l'adaptation de l ' h o m m e à la culture, instrument
de libération, et porte d u savoir et de la sagesse,
n'est-elle pas digne de tous nos soins ? Sélectionner, c'est prédire
O r n'apporte-t-on pas plus de rigueur, en le succès professionnel.
Le m é c a n i s m e de la prédiction

U n e prédiction appelle deux conditions : la


Gilbert de Landsheere (Belgique) est professeur à
connaissance de l'objet à prédire et la connais-
V Université de Liège où il dirige le Laboratoire de péda-
gogie expérimentale et préside l'Institut de psychologie sance des prédicteurs, c'est-à-dire des éléments,
et des sciences de l'éducation. Auteur de nombreux des signes annonciateurs. Lorsqu'on demande à
ouvrages dont les plus récents sont : Introduction à la u n public non averti ce qui est le plus difficile à
recherche en éducation ; Évaluation continue et découvrir, la chose à prédire ou les prédicteurs,
examens. Précis de docimologie ; Définir les objectifs
de l'éducation (en collaboration) ; L a formation des
cette deuxième opération est généralement
enseignants demain ; Dictionnaire de l'évaluation et retenue c o m m e la plus ardue, sinon la seule qui
de la recherche en éducation. appelle vraiment réflexion et recherche.

350

Perspectives, vol. X , n° 3, 1980


Sélectionner les enseignants

Cette réponse est correcte pour les faits à définir aussi de façon opératoire, c'est-à-dire
matériels dont on veut simplement annoncer par des critères précis, directement observables,
la venue : savoir s'il pleut ou non est aisé, mesurables, ce qu'est u n « bon » enseignant.
sinon évident ; par contre, prédire la pluie... Il fut u n temps où l'on jugeait u n enseignant
Mais, à mesure que les phénomènes deviennent suffisamment qualifié s'il avait appris et compris
plus complexes et dynamiques, surtout chez ce qu'il devait enseigner (et éventuellement rien
l ' h o m m e , la difficulté tend à s'inverser : il de- de plus, c o m m e on l'a parfois souhaité pour les
vient plus malaisé de décrire le phénomène de instituteurs d u xixe siècle), et s'il était capable
façon opératoire que de le prédire. Car une fois de transmettre ce savoir, en appliquant des
connus les critères qui permettent de dire que schémas pédagogiques codifiés^ centrés sur la
le phénomène s'est produit, des techniques matière à faire assimiler passivement.
statistiques puissantes permettent d'essayer ra- L a prédiction de pareille capacité est assez
pidement — et sans souci obligé de relation aisée. Il suffit de recruter des candidats d é m o n -
directe de cause à effet — u n grand nombre de trant qu'ils possèdent déjà une bonne partie d u
prédicteurs possibles, jusqu'à ce qu'on en savoir à acquérir et à transmettre, savent l'ex-
trouve d'assez efficaces, dont la collecte ou la primer dans le langage reçu par les autorités
mesure soit aussi économique que possible. L a scolaires, et font preuve de logique deductive,
démarche qui consisterait à essayer n'importe d'ordre et de soin. L a voie de l'examen de
quoi c o m m e prédicteur possible reste cependant sélection est ainsi toute tracée. O n s'assurera,
exceptionnelle : une connaissance théorique d u en outre, que les candidats ne présentent ni
phénomène à prédire met généralement sur la infirmité ni symptômes de maladies physiques
voie des prodromes ; mais, en bien des cas, u n graves...
certain empirisme reste néanmoins inévitable, Cette forme d'épreuves de sélection existe
tant nos connaissances en sciences humaines depuis plus d'un siècle et se porte toujours bien
restent limitées sinon rudimentaires. en maints endroits. Malheureusement, sa vali-
Prenons d'abord u n exemple simple. O n peut dité prédictive réelle est devenue aujourd'hui si
admettre qu'un individu sait lire s'il obtient u n basse qu'un eminent chercheur se demandait
certain score minimal à une batterie de tests récemment si le remplacement de la note
comprenant des questions de déchiffrage, de d'examen d'admission par la pointure des sou-
compréhension... E n ce cas, « savoir lire » cor- liers des candidats changerait grand-chose à
respond à u n critère parfaitement défini. Pour l'affaire...
prédire en combien de temps u n enfant qui Certes, u n examen des connaissances n'est
entre à l'école primaire saura lire si u n institu- pas totalement inutile. O n peut, entre autres,
teur emploie avec compétence une méthode espérer qu'il écartera les déficients mentaux de
donnée, on va essayer c o m m e prédicteurs l'âge la profession d'éducateurs, mais n'est-ce pas u n
exact, la capacité de reproduire certains des- peu court ? Des centaines de recherches d é m o n -
sins... Il n'est pas d u tout certain que ces trent la faiblesse des épreuves de sélection à
prédicteurs représentent les conditions les plus l'entrée des écoles normales ou des institutions
déterminantes ou procèdent des modèles expli- qui les ont remplacées1. A u mieux, elles per-
catifs les plus directs de l'apprentissage de la mettent de prévoir plus ou moins bien le succès
lecture, mais, dans les faits, ils se révèlent dans la formation initiale. Mais de brillantes
efficaces. notes de fin d'études n'annoncent pas de façon
Venons-en maintenant à la prédiction d u quelque peu sûre le succès dans le métier. Pour
« bon enseignant », voire, plus modestement, de ne pas inonder le lecteur de chiffres, nous nous
l'enseignant-qui-ne-nuira-pas. Cela nous oblige bornerons à rappeler les conclusions générales

351
Gilbert de Landsheere

de la riche expérience pratique Scandinave et celui qui suscite chez ses élèves la plus grande
des centaines de recherches qui l'ont ac- quantité d'apprentissages de la meilleure qua-
compagnée 2 . lité. Mais de quels apprentissages s'agit-il ? Ils
Pendant vingt ans (1948-1968), les épreuves peuvent être cognitifs, affectifs o u psycho-
utilisées en Suède ont compris la rédaction moteurs, simples ou complexes, durables o u
d'une dissertation, une épreuve d'éloquence éphémères. O n admet généralement qu'il existe
(tests narratif et descriptif), des activités libres des processus intellectuels plus nobles que
avec des enfants, et des tests collectifs portant d'autres. L'analyse, la synthèse, la résolution de
sur les attitudes envers la profession enseignante. problèmes, la créativité occupent, dans la hié-
L e calcul des corrélations (E. Malmquist, 1956) rarchie des processus intellectuels, une place
entre chacune de ces épreuves et la note de supérieure à la mémoire. O n sait aussi l'impor-
compétence professionnelle à lafindes études tance des attitudes et des valeurs, et beaucoup
pédagogiques révèle une très faible validité d'entre elles ne s'installent et ne se modèlent
prédictive3. ou ne se remodèlent que lentement : conquête
E n Finlande, M . Koskenniemi (1965) a suivi de l'indépendance, tolérance, sens social, curio-
72 enseignants depuis leur sélection en vue de sité d'esprit...
leur formation jusqu'à dix ans après le début de L e professeur n'ambitionne pas de provoquer
leur activité professionnelle. D e nouveau, il ne seul tous ces apprentissages, mais il ne peut pas,
trouve guère de corrélation entre les épreuves de non plus, limiter arbitrairement son action à u n
sélection et la réussite professionnelle. « U n trait seul secteur (qui fut trop souvent celui des
c o m m u n aux enseignants qui réussissaient le connaissances). Certains apprentissages doi-
moins bien était leur m a n q u e de compréhension vent, par ailleurs, se conjuguer : conquérir le
des enfants et leur m a n q u e d'aptitude à struc- savoir et éprouver u n intérêt, u n goût croissant
turer une situation d'enseignement 4 . » pour le domaine que l'on a choisi d'étudier...
A u terme de leur analyse des résultats Fait capital, les maîtres (comme leurs élèves)
Scandinaves, Marklund et Gran concluent : ne sont jamais des êtres neutres, susceptibles
« Il n'existe pas d'aptitude enseignante simple d'être entièrement façonnés par des théories ou
et non équivoque, indépendante de la situation des pratiques pédagogiques ou autres. Ils sont
d'enseignement. Uinaptitude à l'enseignement doués d'une personnalité en partie invariante,
semble plus facile à définir. L a sélection pour et cette personnalité détermine à tel point le
les études conduisant à l'enseignement doit, par style de l'enseignement qu'à partir de nombreux
conséquent, avoir pour objectif principal d'éviter travaux6 on arrive à une typologie. Elle s'établit
les échecs présumés. » grosso modo de la façon suivante :
Type X . S'attache au développement de la per-
sonnalité de l'étudiant, en accordant une
Mais qu'est-ce qu'un grande importance à l'affectif, au social. Suit
« bon » enseignant ? un programme souple, sans trop se soucier
de la matière couverte. Méthode d'enseigne-
Prétendre sélectionner à l'aide d'une épreuve ment sans cérémonie, aussi individualisée
relativement simple dans sa conception, et la que possible. Chaleureux, amical.
m ê m e pour tous les candidats, équivaut à Ant. : distant, égocentrique, réservé.
admettre qu'il existe u n modèle unique d'en- Type Y. Se soucie uniquement de l'intelligence
seignant qualifié, passible de prédiction écono- de ses élèves. S'attache au sujet traité. Suit u n
mique. Rien n'est plus faux. programme détaillé, logique. Fixe des normes
Dans l'abstrait5, le meilleur enseignant est élevées. Exerce des contrôles de connaissances

352
Sélectionner les enseignants

rigoureux. Distant, il ne noue avec les étu- U n e définition opérationnelle


diants que des relations de type professionnel. des modèles-critères
Ant. : inorganisé, négligent.
Type Z. Stimulant, imaginatif. Essaie de provo- Dans le système prédictif que la sélection des
quer l'étincelle qui donnera à u n petit nombre enseignants représente, nous appelons modèles-
d'élèves l'énergie, la liberté et l'art d'exprimer critères ou modèles-cibles des descriptions, en
leur génie créateur. N e se soucie pas étroite- termes de comportements observables, de diffé-
ment de l'intelligence au sens traditionnel. rents types d'enseignants que l'on souhaite
Exerce un contrôle de rigueur variable. Réac- trouver dans les écoles ou que l'on est prêt à y
tions envers les élèves souvent dictées par des admettre. Sans ces cibles précises, la sélection
sentiments personnels. s'opère dans le brouillard.
Ant. : terne, routinier. D e u x difficultés majeures attendent qui-
X , Y et Z se rencontrent rarement à l'état pur ; conque s'attache à la formulation des définitions
il s'agit plutôt de dominantes plus ou moins nécessaires : la multiplicité des modèles pos-
marquées. X , Y et Z peuvent tous être de sibles et les limites graves des modèles définis
« bons » professeurs. Y assure le mieux l'appren- par le biais des performances attendues.
tissage de connaissances ; Z favorise plus la Tous les degrés de la combinaison des
compréhension (Solomon et al., 1964)'. X , Y types X , Y et Z que l'on trouve en chaque per-
et Z négatifs sont-ils nécessairement de mauvais sonne se nuancent encore par les autres carac-
professeurs ? C e n'est m ê m e pas certain, au téristiques de la personnalité des enseignants
moins à certains égards. (y compris leur degré d'adaptation personnelle)
et par la dynamique de la relation enseignant-
enseignes. Il existe donc u n nombre pratique-
Bon professeur pour qui ? ment illimité d'enseignants acceptables, dans la
mesure où, à la limite, chaque situation, chaque
O n n'est pas bon professeur dans l'absolu, mais individu diffère de tous les autres. E n pareil cas,
en fonction de la situation (y compris la matière on ne peut travailler que par grandes approxi-
à enseigner) et des étudiants. Il est exceptionnel mations, en retenant u n nombre aussi petit que
de convenir à tous. Tel professeur se sent sti- possible de modèles généraux à l'intérieur des-
mulé par de vastes auditoires alors que tel autre quels o n conviendra que les nuances indivi-
ne se révèle que dans des petits séminaires de duelles n e représentent pas u n « danger »,
licence. « L a qualité de l'apprentissage que l'on entendons une menace de déviation grave de
pressent dans une situation d'enseignement l'action éducative souhaitée.
donnée est fonction d'une méthode particulière Imaginons u n de ces modèles jugés accep-
employée par un professeur particulier pour des tables.
étudiants particuliers poursuivant u n but par-
ticulier6. » Enseignant à dominante X .
L a conclusion s'impose : il n'existe pas u n Domaine affectif. D ' u n abord aisé. Accueille
type unique et universel de bon enseignant, les élèves avec gentillesse, sans verser dans
mais bien divers types qui, non seulement une familiarité déplacée. Pouvoir d ' e m -
diffèrent d'une culture à l'autre, d'un degré de pathie, d'écoute. Fait confiance, rassure.
développement socio-économique à l'autre, mais Optimiste.
aussi, à l'intérieur de chaque situation cultu- Domaine cognitif. Aptitudes bien équilibrées :
relle, selon les objectifs poursuivis. sens d u concret, se meut sans difficulté
marquée dans le domaine des symboles ;

353
Gilbert de Landsheere

fluidité verbale moyenne ou supérieure, intel- alors que l'investigation porte sur des sujets
ligence sociale au-dessus de la moyenne (apti- dont o n ne connaît (et peut-être ne veut
tudes dans le domaine comportemental, dans connaître, par équité) aucune caractéristique
le modèle de Guilford). Connaît bien la matière d'avance. Par conséquent, tous les modèles-
à enseigner, mais n'en fait pas le centre de cibles et non un seul doivent être considérés.
son action. Accorde moins d'importance au O n imagine la durée et la complexité d'une
contenu objectif qu'aux réactions affectives à épreuve portant à la fois sur les connaissances
son propos. Digresse sur ses expériences vé- (qui restent nécessaires, ne l'oublions pas), sur
cues, sans rapport avec la matière prévue au les caractéristiques cognitives (y compris la
programme. Comportement dans l'évaluation créativité) et affectives. N o u s retrouvons ainsi
des élèves : très subjectif; un certain laxisme. le fossé entre le théoriquement concevable et le
Valorisant. Encourage les élèves en diffi- praticable.
culté.
Première constatation : u n examen de sélection
traditionnel, focalisé sur les connaissances, Le problème de la formation
l'élégance verbale et la résolution de problèmes et donc de la sélection
théoriques n'apportera presque aucun des élé- en fonction
ments relatifs à ce modèle-cible. Et ni une des compétences attendues
interview de quelques minutes ni l'observation
forcément brève du candidat en interaction avec Est-il encore besoin de recommencer la critique
u n enfant ou u n adolescent n'apporteront assez des programmes traditionnels de formation des
d'indications précises pour compléter le tableau. maîtres en trois volets : apprentissage systéma-
D'évidence, pour détecter u n type de person- tique des contenus à enseigner, culture géné-
nalité correspondant au modèle, il faudra re- rale, formation psychologique et pédagogique ?
courir à des techniques c o m m e la discussion de
Selon les époques — notamment en fonction
groupe, les échelles d'attitudes, l'évaluation des
de la qualification des élèves entrant en forma-
intentions comportementales, la technique Q ,
tion — et selon les écoles, les contenus à en-
le différenciateur sémantique...
seigner et eux seuls sont appris (en savoir
Mais deux questions continuent à peser sur autant que devront savoir les futurs élèves) ou,
pareille enquête : les indications ainsi recueillies à l'opposé, les contenus ne sont étudiés qu'au
permettent-elles de prédire à suffisance les niveau le plus avancé (qui peut le plus ne
comportements effectifs d u sujet (c'est sans peut-il pas le moins ?), démarche adoptée par
doute le cas pour les mesures d'intentions beaucoup d'universités pour la formation des
comportementales, mais seule leur validité à professeurs de l'enseignement secondaire, en
court terme semble jusqu'à présent établie) ? particulier.
L a formation initiale des enseignants destinés Tout a été dit et justifié au n o m de la culture
au cycle fondamental c o m m e n c e , selon les pays, générale, y compris la mémorisation des dates
entre quinze et dix-huit ans. Peut-on prévoir, de naissance des grands de ce m o n d e et de leur
à cette période de la vie, le comportement généalogie. Quant à la formation psychologique
affectif d'un adulte en situation pédagogique ? et pédagogique, elle consistait, dans le passé
Par ailleurs, il ne faut pas perdre de vue que — mais il existe encore de beaux exemplaires
nous réfléchissons ici à u n examen de sélection vivants — en l'apprentissage de mémoire de
éventuellement ouvert à u n grand nombre de notions psychologiques (sans relation d é m o n -
candidats. O r l'exemple que nous venons de trée avec l'enseignement et sans traduction en
donner ne concerne qu'un seul modèle-cible, action sur le terrain), en l'étude de théories

354
Sélectionner les enseignants

pédagogiques mieux justifiées par l'ordre social m e s ? O n peut certes introduire la flexibilité,
à défendre ou par les chimères de leurs partisans la créativité, la divergence, ... dans les c o m p é -
que par l'expérimentation, et enfin en assimila- tences attendues, mais on risque de réintroduire
tion de leçons types et de recettes artisanales. ainsi d u flou, là où l'on ne voulait admettre
Ces lignes de conduite préfabriquées sont au- que comportements rigoureusement définis de
jourd'hui condamnées et rejetées par les pro- façon opérationnelle.
fesseurs de pédagogie progressistes, ce qui, dans Bref, ou bien un examen de sélection en fonc-
les cas les moins favorables, laisse les jeunes tion des performances attendues n'aura de vali-
enseignants encore plus démunis qu'avant. dité à peu près assurée que pour une situation
La relation fonctionnelle entre la plupart des pédagogique relativement simple (par exemple,
différentes parties de ce programme et la capa- une campagne d'alphabétisation), envisagée à
cité d'enseigner est loin d'être démontrée, mais court ou, au mieux, à m o y e n terme. O u bien,
faisant apprendre u n peu de tout, on suppose cet examen devra atteindre u n tel taux de
implicitement qu'il se trouvera toujours d'utiles complexité pour répondre à long terme à des
choses dans le fatras et que les autres ne pouvant exigences pédagogiques élevées, que pratique-
de toute façon pas nuire, serviront au moins à ment il nous ramène aux problèmes d'impra-
exercer l'esprit et à former le caractère... ticabilité.
Réagissant contre cet impressionnisme en-
cyclopédique et, spécialement sous l'influence
du behaviorisme, on a tenté, ces derniers temps, Mais alors comment sélectionner ?
d'élaborer les programmes de formation en
fonction directe des compétences et des per- U n e sélection ponctuelle, c'est-à-dire réalisée
formances éducatives attendues, tant dans le en u n temps court, avant le début de la forma-
domaine cognitif que dans le domaine affectif. tion initiale ou par tout autre examen bref,
Cette méthodologie séduit à deux égards. D ' u n e pendant la formation, est u n leurre, sauf s'il
part, elle apporte une garantie pratique ; on est s'agit de vérifier la capacité des candidats à
au moins sûr que les enseignants formés avec s'exprimer selon une norme donnée et à acqué-
succès dans cette perspective pourront ac- rir des connaissances, parce que l'objectif de
complir des actes éducatifs jugés indispensa- l'enseignement est précisément de faire s'ex-
bles. D'autre part, elle évite l'encyclopédisme primer de la m ê m e façon et de faire assimiler
douteux qui vient d'être dénoncé. des connaissances, sans tenir compte ni des
E n théorie au moins, il semble plus facile de projets personnels des maîtres et élèves ni des
concevoir u n examen de sélection si l'on pos- lignes de force de leur personnalité.
sède une idée exacte de ce que les candidats Dans les autres cas, seule une observation
devront faire plus tard. Toutefois, l'élabora- longue, en situation d'enseignement, peut ap-
tion des programmes de formation en fonction porter des éléments de décision. Ils seront
des compétences attendues reste grevée d'une d'abord négatifs, car il est plus aisé de décou-
lourde hypothèque. O n peut d'abord craindre vrir des contre-indications que des qualités
que les compétences énumérées répondent à la assurées. Par exemple, on ne devrait pas auto-
situation d u m o m e n t , mais perdent éventuelle- riser à devenir enseignants des individus qui
ment de leur importance en cas de changement se révèlent incapables de communiquer effica-
économique, politique, culturel. N e crée-t-on cement ou n'ont pas une attitude positive
pas une formation fermée, laissant les futurs vis-à-vis des élèves.
éducateurs dépourvus en cas de situation inat- Pour que le rejet d u circuit de formation des
tendue, imprévue par les auteurs des program- maîtres puisse s'opérer en toute sérénité, m ê m e

355
Gilbert de Landsheere

si le candidat est déjà fort avancé dans son construire la connaissance au lieu de l'imposer
curriculum, il importe qu'il puisse valoriser et, à cettefin,se fonde sur le vécu individuel,
ses acquis dans d'autresfilières,sinon l'usure tant matériel que symbolique, d'autant plus
et la crainte de créer des épaves sociales conti- nombreux sont les modèles acceptables d'édu-
nueront à ouvrir les portes de l'enseignement cateurs et donc les facteurs à considérer dans
à des maîtres qui n'auraient jamais dû les fran- l'évaluation. Mais cela est à la fois... une autre
chir. L e système modulaire inter-filières per- et la m ê m e histoire.
mettra de résoudre ce problème dans un proche
avenir, si la tendance actuelle se confirme.
L a découverte de caractéristiques positives
conduira normalement à une décision favorable,
Notes
mais ne constituera cependant pas une garantie
d'exercice satisfaisant d e la profession. Les i. N o u s aurions p u d'abord rappeler la difficulté qui existe
personnalités changent, les enthousiasmes s'étei- déjà à prédire le succès dans les études supérieures, à
partir des résultats obtenus à la fin de l'enseignement
gnent, les vicissitudes des h o m m e s ont hélas secondaire, ou de tests administrés à l'entrée à l'uni-
souvent leurs échos dans la classe. Dans les versité. Voir à ce propos : I N G E N K A M P , Pädagogische
Diagnostik, Weinheim, Beltz, 1975.
cas les plus graves, il faudrait pouvoir retirer
2. Voir S . M A R K L U N D et B . G R A N , Tendances nouvelles
provisoirement o u définitivement les ensei- dans la formation des enseignants — Suède, p. 69 et suiv.,
gnants en perdition et les reclasser ailleurs. Paris, O C D E , 1974-
3. E . M A L M Q U I S T , « Lämplighetsproven » [L'examen
d'entrée], Pedagogiska Skrifter, Göteborg, 1956, 218.
4. M . KosKENlEMMi, « T h e development of young
elementary school teachers », Acad. Sei. Fenn., Helsinki,
L'évaluation de l'enseignement, I
965, 138, cité par S. M A R K L U N D , op. cit., p . 70.
clé de tout l'édifice 5. L e développement qui suit est emprunté à notre étude :
« L'évaluation des enseignants » dans : M . D E B E S S E et
G . M I A L A R E T , Traité des sciences pédagogiques, V I I ,
Aussi longtemps que l'on n'est pas capable de p. 112-113, Paris, P U F , 1978.
reconnaître avec sûreté u n enseignement de 6. Voir D . G . R Y A N S , Characteristics of teachers, Washing-
bonne qualité ou, plus exactement, les divers ton, American Council on Education, i960 ; B . R O S E N -
S H I N E , Teaching behaviours and student achievement,
enseignements de bonne qualité, le problème de Londres, N F E R , 1971 ; T . N . POSTLETHWAITE, L'édu-
la formation, de la sélection, de la supervision cation des maîtres et l'efficacité des maîtres, Paris, IIPE,
des enseignants restera en porte à faux, faute 1974. (Multigraphié.)
7. D . S O L O M O N et al., « Teacher behaviour and student
de critères clairs. learning », Journal of educational psychology, 1964,
Et plus l'éducation revêt u n caractère plu- 55. P- 23-30.
8. W . J. P O P H A M , « T h e performance test: a n e w approach
raliste, se relativise, tient compte de la person- to the assessment of teaching proficiency », Journal of
nalité et d u projet de chacune des parties, fait teacher education, 1968, 19, p. 216-222.

356
Paolo Federighi

Contribution de l'éducation
des adultes à l'édification
de T « université sociale » en Italie

« L'utopie » pour laquelle il vaut la peine de effet, le pourcentage defilsde travailleurs m a -


travailler, celle d'une « université sociale », sera nuels reste très limité. Ajoutons à cela que
réalisée à l'issue d'une lutte ouverte et pleine- 2,7 % à peine de la population des plus de
ment scientifique, parce que soumise à la criti- vingt-cinq ans achèvent leurs études univer-
que constante des forces en présence. Telle sitaires. Trente-cinq pour cent des étudiants
était, en substance, la conclusion d'un article inscrits quittent à lafinde la première année.
paru dans cette m ê m e revue en 1975 1 . Faute de rénover la fonction de l'université,
Depuis, nous pouvons dire qu'en Italie nous il sera très difficile d'élargir vraiment l'accès
ne s o m m e s pas restés inactifs. L'expérience aux études supérieures. Si l'on veut disposer
menée pendant les neuf ans d'existence du cours de nouvelles ressources humaines et leur ga-
d'éducation des adultes de l'Université de rantir des débouchés, il faut que les études
Florence en est une preuve, encore isolée peut- universitaires soient immédiatement produc-
être, mais significative. tives d u point de vue social, scientifique et
Pour illustrer les orientations suivies en la éducatif. C o m m e les crédits ne peuvent aug-
matière, nous avons pensé qu'il serait b o n menter indéfiniment, il faut chercher les so-
de proposer à la réflexion une expérience qui lutions au niveau de la programmation, de
fut poursuivie sur deux années universitaires, l'organisation générale des études et de l'en-
I seignement. Ces solutions seront novatrices
975/76 et 1976/77. Mais pour bien l'apprécier,
il faut rappeler la situation actuelle de l'univer- dans la mesure o ù , venant des étudiants eux-
sité italienne. m ê m e s , elles contribueront à l'édification d'une
L'Italie a v u , ces dix dernières années, le « université sociale », c'est-à-dire une institution
n o m b r e d'inscriptions à l'université augmenter publique qui, loin d'être repliée sur elle-même,
considérablement : on est passé de 488 352 ins- serait en prise sur la société grâce à ses actions
crits en 1969/70 à 750 000 environ en 1977/78. de recherche et de formation.
Toutefois, ces chiffres ne nous autorisent pas L'expérience évoquée ici est celle d'une re-
encore à parler d' « université populaire ». E n cherche consacrée aux organisations et aux
activités concernant l'éducation des adultes en
Toscane. Au-delà des résultats, ce qui nous
intéresse, c'est la façon dont la recherche a été
Paolo Federighi (Italie). Spécialiste en éducation des conçue, réalisée et exploitée.
adultes. Travaille depuis 1972 à l'Università degli
Studi à Florence. Coauteur avec Filippo M . De Sanctis
de Didattica universitaria.

357
Perspectives, vol. X , n° 3,1980
Paolo Federighi

Le projet de recherche pothèse de travail à développer par les repré-


sentants de l'Assemblée régionale, les étudiants,
Pour tirer le meilleur parti des moyens exis- les principaux organismes à vocation plus ou
tants, et en vue d'instituer u n système public moins éducative.
régional d'éducation des adultes, l'Adminis- L a phase suivante a consisté à mettre au
tration régionale a tenu à recueillir des données point le projet de recherche lors de rencontres
qualitatives et quantitatives précises sur les avec les représentants de la région, des orga-
actions en cours dans ce domaine en Toscane. nisations syndicales des travailleurs et des asso-
C e souci était partagé d'ailleurs par les associa- ciations. Les discussions ont porté sur tous les
tions et les divers organismes privés qui s'in- aspects de la recherche : objectifs, méthodes,
téressent à l'éducation des adultes et que les instruments, dimensions et durée de l'enquête,
changements récents d'ordre économique, social perspectives de travail en découlant.
et culturel, avaient rendus conscients de la Les étudiants inscrits au cours d'éducation
nécessité de repenser leur fonction et leur ac- des adultes ont été largement informés des pos-
tion, inadaptées à leurs nouvelles tâches. U n e sibilités de participer à une expérience en col-
recherche sur les organisations et les activités laboration avec certains organismes sociaux,
d'éducation des adultes devrait donc permettre et invités à voir s'ils pouvaient faire coïncider
de mieux cerner les problèmes et les exigences leurs projets personnels de recherche avec celui
d u changement. Autre élément déterminant qui était en cours d'élaboration. L a proposition
pour le lancement de cette recherche, l'institu- a été acceptée par 306 étudiants, qui se sont
tion, sur le plan national, des conseils scolaires répartis en 43 groupes de travail.
de district chargés notamment d'élaborer une L'intérêt des étudiants s'étant ainsi manifesté,
programmation applicable à toutes les actions on a organisé leur participation directe à l'éla-
d'éducation des adultes, et tenus de l'appliquer boration d u projet. Les représentants de la
dans leur secteur. région leur ont exposé les motivations de leur
L a région toscane ayant décidé de conduire recherche et ont repris avec eux l'examen d u
elle-même l'enquête a estimé qu'un travail de projet. Les rencontres université-organismes
recherche s'imposait d'abord. A u lieu de le sociaux se sont poursuivies pendant environ
confier à des particuliers, ce qui est pratique deux mois ; après quoi on a estimé avoir ras-
courante, l'Administration régionale s'est adres- semblé et défini assez d'éléments pour mettre
sée au cours d'éducation des adultes de l'Uni- au point un projet de travail.
versité de Florence. O n s'est d'abord demandé L a recherche doit refléter la volonté d'inno-
quelle forme devait revêtir dans ce cas, rare en vation conforme à la définition de l'éducation
Italie, la collaboration entre université et col- des adultes en tant que « contrôle social organisé
lectivités locales. O n a décidé de s'orienter, y sur les processus de formation »2. L'objet de
compris sur le plan institutionnel, vers une la recherche, ce sont les adultes e u x - m ê m e s ,
solution conforme à la volonté de renouveler pris c o m m e u n tout, ou encore le « public ».
la fonction de l'université et ses rapports avec L e choix d u public c o m m e epicentre de la
la société, à savoir une convention en règle recherche devrait permettre de mieux cerner
signée par les représentants de la région et par l'objet de l'étude. E n se plaçant dans cette
le recteur de l'Université de Florence. Puis on perspective, on évite que les intentions, les
a examiné les moyens d'atteindre les objectifs motivations ou les intérêts des promoteurs
sociaux et scientifiques de la recherche, et ceux d'initiatives éducatives n e se retrouvent au
qui ont trait à la formation ou à l'organisation cœur de l'enquête ; les activités acquièrent leur
des études. L'université a formulé ensuite l'hy- sens et leur valeur en fonction du public. L a

358
Contribution d e l'éducation des adultes
à l'édification de I' « université sociale » en Italie

recherche doit porter avant tout sur les initia- ce projet de recherche globale a porté sur toutes
tives particulières envisagées d u point de vue les organisations travaillant à l'éducation des
de leur action concrète, des réponses qu'elles adultes en Toscane (on en a dénombré 3 617)
apportent aux besoins de développement d u et sur toutes les expériences éducatives en cours
public, lequel est à m ê m e de les contrôler. dans cette zone.
Ainsi fondée sur u n sujet collectif, n'importe A u x termes d'une classification très poussée,
quelle expérience éducative peut être étudiée et les organismes d'éducation des adultes dési-
le c h a m p de l'enquête ne se limite donc pas à gnent les organisations, institutions, associations
l'éducation scolaire ou extrascolaire. L'analyse culturelles et civiques, ou groupes divers, privés
s'étend à toutes les activités scolaires ou non, ou publics, qui assurent l'instruction, la forma-
publiques ou privées, se rapportant plus ou tion professionnelle et toutes les actions cultu-
moins directement à la formation des adultes. relles en général. Les expériences éducatives
L'enquête elle-même va ainsi devenir u n visent toutes les actions formatives conduites
cadre où la communication, explicitement ou en faveur des adultes, aux trois niveaux précités,
non, favorise l'apprentissage en instruisant, mais sur u n territoire et dans u n laps de temps
aussi en informant, en divertissant. Quant à la déterminés, avec valeur d'échantillon.
recherche, elle va approfondir la valeur péda- Enfin, le projet de recherche, mis au point
gogique de ses procédés, de ses options et de ses collectivement, a été soumis au jugement des
méthodes. étudiants et des organismes sociaux intéressés.
L'étude n'est donc pas limitée aux formes U n e fois obtenue l'approbation générale, on a
traditionnelles (gestion publique ou privée) de choisi les modalités de la collecte des données,
l'éducation des adultes. Pour mettre en lumière en s'assurant des possibilités concrètes corres-
les courants novateurs, en dégager l'essentiel, pondant aux diverses situations qui constituent
les capter à desfinsauto-éducatives, on a voulu la réalité toscane.
recueillir le m a x i m u m d'informations grâce à
un échantillonnage beaucoup plus large et di-
versifié qu'à l'ordinaire et, en m ê m e temps, Organisation de la recherche
délimiter le c h a m p de l'étude, qui a englobé
les organismes et toutes les initiatives encoura- L a tâche est alors répartie entre des groupes de
gées par le m o u v e m e n t associatif démocratique. travail décentralisés dans les districts scolaires
L a recherche a ainsi couvert l'ensemble des respectifs. Chaque groupe a indiqué les districts
organismes responsables et des expériences scolaires qu'il allait prendre en charge, en fonc-
d'éducation des adultes (du moins celles qui tion des lieux de résidence de ses m e m b r e s .
s'en réclamaient) orientées vers l'instruction, la Ont été ainsi couverts les 52 districts que compte
formation professionnelle (recyclage), les acti- la région de Toscane. Pour que les étudiants
vités culturelles. E n revanche, sont exclues les plus défavorisés puissent participer à l'étude,
activités qui s'adressent aux jeunes de moins on a mis l'université à leur portée. L a recherche
de dix-huit ans, les activités scolaires et univer- entreprise exigeait d'ailleurs que les lieux de
sitaires, celles qui sont directement organisées rencontre et de travail soient ceux des associa-
par les partis, les syndicats ou l'Église, ainsi tions culturelles, des Maisons d u peuple et des
que les activités sportives ou celles, plus c o m - bibliothèques locales, d'où le choix des petits
merciales, des secteurs « culturel » et « récréa- groupes de travail décentralisés, en contact
tif ». Mais sont incluses toutes les activités à direct avec les domaines de la recherche. Cette
but lucratif des secteurs de la « formation » formule permettait aux étudiants qui travaillent
et de la « formation professionnelle ». E n fait, et à ceux qui n'habitaient pas des localités

359
Paolo Federighi

proches de l'université de travailler chez eux groupe de travail. Il s'agissait de socialiser les
pendant leur temps libre, et en fonction des objectifs scientifiques et éducatifs de l'étude
horaires établis, cas par cas, par les groupes ; projetée et d'analyser les réalités locales en liai-
elle leur donnait aussi l'occasion de se consa- son avec les responsables. A ce titre, l'accès des
crer à une activité créatrice, visant à transformer groupes de travail a été en fait ouvert aux non-
la société (et l'université par la m ê m e occasion), étudiants ; le plan d'action a pris en compte
en partant des conditions m ê m e s de leur travail les particularités et les possibilités locales, cas
et des difficultés qu'ils allaient rencontrer. Mais par cas (organisation de réunions publiques,
le choix d'une recherche décentralisée ne se de rencontres...) ; enfin, u n répertoire des or-
ramène pas à une simple facilité d'ordre logis- ganismes de chaque district et des expériences
tique offerte aux étudiants habitant loin, ni ne en cours ou prévues a été établi. A cette occa-
consiste en une répétition banale des études sion, les étudiants ont pris connaissance des
traditionnelles, où seuls changeraient les lieux caractéristiques propres aux organismes et aux
de travail. E n effet, la décentralisation est à la expériences voués à l'éducation des adultes.
base d'une transformation des finalités sociales Chaque groupe de travail a établi ensuite u n
de l'étude. projet de fiche analytique où apparaîtraient les
L a décentralisation permet aux étudiants de aspects les plus significatifs de chacun des cas
contribuer, tant que durera l'expérience, au examinés. O n a pour cela sollicité le concours
développement des mécanismes engagés par la des non-étudiants, en leur demandant si, à
recherche et de veiller à ce que, dans chacun leur avis, ces premières ébauches de fiches
des 52 districts, celle-ci suscite une réflexion analytiques permettaient de mettre en lumière
et inspire la future programmation en matière et de recueillir les renseignements voulus pour
d'éducation des adultes. répondre aux besoins de transformation des
Les activités de travail et de recherche des organismes et des activités d'éducation des
différents groupes d'étudiants seront constam- adultes.
ment décentralisées par rapport à l'université, A l'université, on a examiné les projets de
au contact direct des problèmes réels de l'édu- fiches analytiques établis par les groupes de
cation des adultes, interrompu seulement par travail et mis au point les deux fiches destinées
des réunions de contrôle périodiques, organi- à l'enquête et concernant respectivement les
sées au siège de l'université pour évoquer les « organismes d'éducation des adultes » et les
difficultés rencontrées en cours de route. « expériences éducatives ». L a première tient
compte des éléments suivants : situation de
l'organisme dans l'espace ( c o m m u n e , quartier)
Instruments de collecte et dans le temps (date de création) ; statut
et d'analyse des données (public ou privé) ; buts et fonctions ; moyens
de financement; m o d e de gestion; présence
U n e fois définis les études et le projet de re- d'agents culturels, bénévoles ou n o n ; public
cherche, il a fallu mettre au point les instru- concerné et ses caractéristiques ; siège social
ments nécessaires à l'inventaire des organisa- et équipements ; actions menées.
tions et des expériences d'éducation des adultes. L a deuxièmeficheconsacrée aux « expériences
L à aussi a été maintenue la cohésion des rap- éducatives » prend en considération les points
ports entre la pédagogie et la recherche. suivants : lieu et durée de l'expérience ; motiva-
Les étudiants sont entrés en contact avec les tions ; financement ; public ; objectifs ; les agents
organismes d'éducation des adultes opérant éducateurs ; siège social ; gestion ; méthodes,
dans les districts scolaires attribués à chaque techniques, instruments de travail utilisés.

360
Contribution de l'éducation des adultes
à l'édification d e I' « université sociale » en Italie

Après mise au point des instruments de adultes, telle qu'elle se présente dans chaque
l'enquête, le programme d'analyse et de codi- district scolaire.
fication électronique des données globales a A ce stade, l'université (professeurs et étu-
été établi en liaison avec le service de statistique diants) a demandé aux représentants de divers
de la région toscane. organismes, non seulement d'examiner avec
elle les résultats de l'enquête, mais aussi de
participer à l'évaluation globale de l'expérience.
Déroulement de l'enquête Pour que l'université trouve sa nouvelle dimen-
et publication des résultats sion sociale, il faut que l'évaluation, élément de
la réforme globale des études supérieures, soit
Les deux fiches analytiques ont été examinées elle aussi une œuvre collective. C'est pourquoi
et adoptées par les étudiants et les représentants nous avons organisé dans chaque district sco-
des organismes sociaux qui ont participé au laire des séances d'examens dits « sociaux »,
projet de recherche. auxquels furent conviés les responsables des
U n e fois les fiches imprimées, les opérations organismes d'éducation des adultes, des admi-
ont p u commencer. Les crédits mis à la disposi- nistrations locales, de l'école et des syndicats
tion de la recherche (équivalent à 28 000 dollars) de chaque district, ainsi que les représentants
ont servi à rembourser les frais de déplacement, de la région et de l'université.
et parfois de séjour, des étudiants dans diverses A cette occasion, les étudiants ont décrit
localités de la Toscane, ce qui leur a permis de l'expérience accomplie, les méthodes suivies
se confronter aux problèmes sociaux, institu- et les résultats obtenus. Presque partout ces
tionnels et méthodologiques de l'éducation des séances ont permis, pour la première fois, aux
adultes. Ils ont organisé des rencontres avec responsables des organisations d'éducation des
les responsables de tous les organismes opérant adultes de prendre directement contact avec
dans le district scolaire. U s se sont penchés l'université et aussi de rencontrer les représen-
ensemble sur diverses questions : objectifs, tants d'autres organismes travaillant dans le
antécédents, caractéristiques institutionnelles, m ê m e district scolaire, souvent dans des sec-
situation économique, gestion, problèmes liés teurs très voisins. L'enquête a mis en lumière
à la spécificité de l'endroit et aux équipements des problèmes qui, par-delà les différences idéo-
dont ces organisations disposent, problèmes logiques et pédagogiques, rapprochent ceux qui
concernant la formation des agents éducateurs, s'occupent de l'éducation des adultes. O n a
la programmation des activités et la conver- ébauché les premières formules de coordination,
gence entre l'action menée et lesfinalitésde dégagé les premières données objectives et re-
l'organisme. censé les bonnes volontés en vue de program-
A u x dates prévues, les étudiants ont participé m e r l'éducation des adultes dans le cadre d u
aux expériences éducatives organisées dans le district. Mais de ces rencontres naissent aussi
district scolaire. Avec les responsables et par- des propositions concrètes en vue d'une meil-
fois les participants, on a évoqué les caractéris- leure articulation pratique de l'école et de la so-
tiques de l'expérience : public concerné (âge, ciété, compte tenu des problèmes propres à cha-
sexe, statut social, etc.), financement (public que secteur, en l'occurrence le district scolaire.
ou privé), agents, gestions, méthodes, techni- Après ces tables rondes et une fois les données
ques et instruments utilisés, perspectives. mises en ordinateur, on a publié 52 monogra-
Ayant soumis à une première élaboration les phies, une par district, analysant les données
données récoltées, les étudiants ont rédigé u n concernant les organismes et les activités d'édu-
rapport sur la situation de l'éducation des cation des adultes, et proposant u n tableau des

361
Paolo Federighi

infrastructures culturelles (bibliothèques, m u - principe que les étudiants ne représentent pas


sées, cinémas et théâtres) et sportives exis- q u ' e u x - m ê m e s , il faut, pour élaborer une péda-
tant dans chaque district. Les monographies, gogie qualifiée « de masse », combler l'écart
rédigées par l'université, ont été tirées à maintenu entre recherche et pédagogie, entre
13 000 exemplaires et distribuées par la région science et technique ou vulgarisation scienti-
à tous les intéressés, y compris a u niveau fique, ce qui veut dire accroître la part de
international. responsabilité au niveau des choix à faire, des
hypothèses et des démarches de la recherche ;
arracher à leur statut ambigu de privilégiés les
Problèmes soulevés chercheurs, en redéfinissant, socialement par-
par l'organisation des études lant, leur autonomie, d'où la nécessité et
l'urgence d'assurer la formation de masse des
O n ne peut formuler et réaliser u n tel projet chercheurs. Ainsi, l'université « populaire »
qu'en confiant aux étudiants u n rôle moteur et devient u n facteur de changement réel, au sein
un rôle charnière vis-à-vis de la société. Cela de l'institution et de la société. Il y a donc
implique que tout choix, y compris ceux qui d'une part les besoins individuels de formation
touchent à l'organisation des études à l'uni- à satisfaire, d'autre part, la pression sociale
versité, doit tenir compte d'un élément fonda- visant à modifier l'institution, et la réponse à ces
mental, à savoir la nécessité de considérer exigences n'est plus le domaine réservé de
d'emblée le public étudiant c o m m e présence quelques-uns mais devient pratiquement l'af-
(à organiser) de la société dans l'institution uni- faire de tout le m o n d e .
versitaire. D e cette façon, le rapport société- Toutefois, cette démarche n'a pas été sans
université n'est plus un idéal, futur et mythique, problèmes. L a participation des étudiants à des
à atteindre, mais u n problème concret à expériences de ce genre exige d'eux u n surcroît
aiFronter. Arracher l'étudiant au halo d'abstrac- d'effort très net. D'autre part, s'agissant d'une
tion qui l'entoure habituellement est la première activité socialement et immédiatement produc-
chose à faire pour requalifier les études supé- tive, on s'est souvent demandé s'il ne fallait pas
rieures dans le sens d'une université de masse prévoir une sorte de rétribution pour les étu-
hautement qualifiée. diants en question. D a n s le cadre d'une univer-
Il ne suffit donc pas de déplacer notre atten- sité « sociale », on pourrait utiliser différemment
tion des problèmes de l'enseignement à ceux de les fonds actuellement destinés aux étudiants
l'apprentissage. Pour que les étudiants prennent défavorisés et les redistribuer, en tenant compte,
en charge leurs études, il faut qu'ils puissent cette fois-ci, de la productivité sociale des
contrôler leurs propres intérêts et leur insertion études.
sociale, et les faire coïncider tout au long de Enfin, pour tirer parti de toutes les possi-
leurs études. Loin de nous également l'idée bilités, il importe que la société apprenne à
d'associer des étudiants à une recherche de assumer ses relations avec l'université sur le
professeurs. L a recherche doit faire partie d u plan de l'éducation, car « si les études se veulent
quotidien pour les professeurs et pour les critiques, la société — objet de ces études —
étudiants. doit être bien consciente de ses contradictions
O n juge de la nouveauté d'une pratique et résolue à les surmonter, avec l'aide des
c o m m e celle-ci au degré d'intégration qui s'ins- étudiants et des enseignants »3.
taure entre recherche et pédagogie, et n o n aux
thèmes plus ou moins progressistes des cours
ou des séminaires. E n effet, si l'on part d u

362
Contribution de l'éducation des adultes
à l'édification de I' « université sociale » en Italie

Bilan formation ; contradictions entre leurs aspira-


tions et la réalité de leurs actions ; équipements
L a collaboration de l'université et d u public a disponibles et qualité des expériences éduca-
donné des résultats positifs au regard de ce tives ; l'écart qui existe entre l'éducation natu-
qu'escomptaient les conseils scolaires de dis- relle dispensée dans les associations et l'éduca-
trict, de l'Administration régionale et d u m o u - tion volontaire caractérisée par la spécialisation
vement associatif, et en ce qui concerne le des responsables et la transformation des m o d a -
développement de la recherche dans le domaine lités de l'action culturelle.
de l'éducation des adultes et dans la perspective Grâce au contexte dans lequel elle s'est dé-
d'une future université « sociale ». roulée, l'expérience a permis de progresser dans
A u x conseils, la recherche a fourni la base le choix de la méthodologie de la recherche en
théorique d'une programmation fondée sur la matière d'éducation des adultes et a facilité la
participation des intéressés et sur l'utilisation collecte d'informations détaillées sur les acti-
de toutes les ressources humaines et matérielles vités organisées au niveau scolaire o u extra-
disponibles. Elle a constitué également le point scolaire, ou encore de façon spontanée.
de départ de nouvelles recherches et d'actions E n ce qui concerne enfin le cours d'éducation
ultérieures concernant des problèmes parti- des adultes de l'Université de Florence, le
culièrement importants à l'échelon local. Dans contact avec les réalités locales par l'entremise
certains cas, en accord avec les collectivités des petits groupes de travail garantit l'adoption
locales d u district, on a décidé de créer des d'une pédagogie axée sur les besoins de la
centres spécialisés, chargés de préparer la pro- société et des étudiants à venir, en liaison avec
grammation en matière d'éducation des adultes les conseils scolaires de district, les collectivités
et d'organiser la formation des agents socio- locales et les organismes d'éducation des adultes
culturels4. c o m m u n a u x et régionaux.
M ê m e constat pour la région, qui va pou- Pour conclure, cette expérience a démontré
voir faire porter son action sur la réalité d'un qu'il était possible de travailler, m ê m e dans la
m o u v e m e n t d'éducation des adultes qui compte, situation difficile que nous connaissons aujour-
en Toscane, 3 617 organismes d'accueil, pour d'hui, et dans les limites que rencontre l'orga-
la plupart des associations, que fréquentent nisation des études, à l'édification d'une « uni-
150 000 personnes par jour, sur une population versité sociale ».
de 3,5 millions d'habitants. D e ce point de vue,
la recherche leur a apporté les éléments de base
et a contribué à la future mise en place d'un
système public régional d'éducation des adultes.
Pour le mouvement associatif, l'expérience Notes
lui a fait mieux prendre conscience de sa propre 1. Voir Filippo M . D E S A N C T I S , « Pour une université so-
identité, sur le plan qualitatif et quantitatif, et ciale », Perspectives, vol. V , n° 3, 1975.
l'a incité aux processus de programmation 2. Voir Filippo M . D E S A N C T I S , Educazione in età adulta,
p. 291, Florence, 1975.
éducative. Elle a aussi contribué à mettre en 3. Pour u n approfondissement de ces questions, voir
lumière les problèmes c o m m u n s aux associa- Filippo M . D E S A N C T I S et Paolo F E D E R I G H I , Didattica
universitaria, Florence, Clusf, 1977.
tions : productivité formatrice de leurs acti-
4. O n vient d'en créer un à l'initiative des communes de
vités ; capacité de satisfaire aux exigences de la Pistoia et de Pietrasanta.

363
Cristofor I. Simionescu

Enseignement, n
et production en urope de l'Est

A u cours des siècles passés, les universités se développée d'autant plus vite que les universités
sont considérées c o m m e des centres spirituels ont d û répondre à une foule de demandes
soustraits au passage d u temps, allant parfois pressantes dans tous les domaines où des élé-
jusqu'à dédaigner l'actualité, rêvant à un avenir ments nouveaux, efficaces et utiles peuvent être
qui découlerait de modèles conceptuels et n o n apportés.
d'une connaissance des tendances observables U n e étude des facteurs qui ont amené l'uni-
dans leur entourage immédiat et des problèmes versité à concevoir différemment sa mission
que la vie posait. D e nos jours, quel que soit revêtirait, en l'état actuel des choses, u n intérêt
le degré de structuration de la société où existent considérable. Toutefois, cette adaptation à la
et se développent des citadelles d u savoir, situation contemporaine constituant u n phéno-
celles-ci se tournent de plus en plus vers le m è n e général, constaté dans toutes les sociétés
présent pour définir l'orientation de leur expan- que l'on pourrait étudier, il est clair que ses
sion ; elles estiment en effet que l'une de leurs causes sont universelles et indépendantes des
tâches fondamentales consiste à se montrer tout différences entre les cultures et les civilisations,
à la fois pleinement conscientes de fonctionner ou entre les peuples des divers continents.
dans un m o n d e en devenir et attentives à satis- L'insertion de l'université dans les grands
faire ses besoins essentiels. L'université devrait courants sociaux, scientifiques, techniques et
refléter les caractéristiques de son époque et éducatifs d u m o n d e d'aujourd'hui est partout
ouvrir des perspectives pour l'avenir prévisible. perçue c o m m e une nécessité pressante. Il
Cette approche nouvelle et pragmatique s'est convient aussi de signaler que la question d u
rythme et de l'ampleur de cette insertion ne
peut être résolue de manière unilatérale : il ne
suffit pas que l'université ait la volonté de se
Cristofor I. Simionescu (Roumanie). Professeur de transformer et s'efforce de se donner les moyens
chimie organique et macromoléculaire à la Faculté de de répondre aux besoins présents et futurs, il est
technologie chimique de l'Institut polytechnique de Jassy tout aussi important que la société fasse en
(Roumanie) ; vice-président de l'Académie roumaine et
directeur de l'Institut de chimie macromoléculaire
sorte que ses problèmes deviennent accessibles
P. Poni de Jassy. Ancien directeur général de l'ensei- aux universités en éliminant les obstacles qui
gnement supérieur et recteur de l'Institut polytechnique s'y opposent.
de Jassy. Auteur de très nombreuses études dans son
L a progression des universités jusqu'à leurs
domaine de spécialité ainsi que sur l'enseignement supé-
rieur, la recherche scientifique et le développement niveaux présents (que l'on aurait considérée
technologique. il y a u n siècle c o m m e u n déclin) présente, en

364

Perspectives, vol. X , n° 3, 1980


Enseignement, recherche et production en Europe de l'Est

tant que phénomène social ayant de larges dont il a fallu faire preuve pour poursuivre
répercussions sur la collectivité, parallèlement celle-ci ont marqué de leur empreinte ce que
à des caractéristiques dont la validité est géné- l'on pourrait appeler l'orientation de la science,
rale, certains aspects propres aux cultures qui de l'apprentissage et de l'éducation.
leur ont donné naissance, aux zones géogra- L e fait que les économies des pays de l'Europe
phiques qu'elles couvrent et aux traditions dont de l'Est (à l'exception de la République d é m o -
elles ont hérité. cratique allemande et de la République socialiste
N o u s nous efforcerons ci-après de donner u n tchécoslovaque) étaient essentiellement fondées
aperçu de quelques causes primordiales d u sur l'agriculture a peut-être incité à rechercher
renouvellement de l'enseignement supérieur, les fruits matériels d u savoir, l'apparition et la
de la stratégie d'intégration des théories et de croissance rapide d'une économie industrielle
leurs applications pratiques, de ses caractéris- exigeant une application technique de la science,
tiques actuelles et de celles qui seront probable- au meilleur sens de l'expression. D e plus, en
ment les siennes à l'avenir. N o u s limiterons dépit des antiques traditions de certaines uni-
toutefois cette analyse à une région : l'Europe versités créées il y a plusieurs siècles (Prague,
de l'Est. 1384; Olomouc, 1576 i Cracovie, 1 3 6 4 ; W e i -
mar, 1392 ; Halle, 1652, etc.), les changements
de perspectives sociales et de modes de pensée
Les nouveaux rôles de l'université résultant des années de guerre ont eu des réper-
cussions sur l'essence m ê m e de systèmes édu-
Il convient de préciser d'emblée que, dans les catifs plus ou moins acceptés : les programmes
pays d'Europe de l'Est, les conditions maté- traditionnels ont été modifiés afin de former des
rielles et la nécessité de satisfaire les besoins spécialistes capables d'appliquer les connais-
immédiats de la société ont imposé avec plus sances scientifiques à des problèmes purement
de rigueur que dans d'autres régions d u m o n d e technologiques tout en étant conscients des
des transformations irréversibles du fonctionne- luttes et des besoins de la société et prêts à
ment des établissements d'enseignement supé- militer pour la faire progresser, et en ayant donc
rieur. Pendant la période qui a suivi les deux une vue constructive des questions sociales
guerres mondiales (ou, en ce qui concerne d'ordre général.
l'Union des républiques socialistes soviétiques, L a planification d u développement (en fonc-
pendant celle qui a suivi la Révolution d'oc- tion de programme à court, m o y e n ou long
tobre), l'université a d û assumer non seulement terme), qui est une caractéristique fondamen-
le rôle de centre intellectuel mais aussi celui de tale de l'économie des pays socialistes, a eu elle
guide économique et technique. Elle est ainsi aussi des répercussions sur l'éducation, devenue
devenue une source d'idées immédiatement dans cette optique u n instrument d'évolution
appliquées, le bureau d'études où des villes économique et sociale. Les plans ont clairement
nouvelles ont été conçues, le centre de calcul défini les orientations et les rôles des différentes
qui a planifié et animé une économie détruite branches de l'industrie et donc, implicitement,
dans les années précédentes et, chose non moins les moyens spécialisés d'éducation mis à la
importante, la force motrice d u progrès idéo- disposition de l'étudiant sérieux, bénéficiaire
logique et matériel d'une société fondée sur u n direct de l'enseignement. Il en découle que
système politique d'un type entièrement nou- l'accroissement ou la diminution des inscrip-
veau. L'extrême mobilité qui caractérisait, à tions dans une faculté sont déterminés par la
tous les niveaux, ces jeunes sociétés à la re- croissance d u secteur industriel correspondant
cherche de leur propre voie et le dynamisme et de la place qu'il occupe dans la vie de la

365
Cristofor I. Simionescu

collectivité, o u par la demande de biens décennie, pour établir de nouveaux rapports


spécifiques. entre l'enseignement supérieur, la recherche
L a planification à m o y e n ou à long terme scientifique et la production. Tous ces modèles
suppose une connaissance approximative d u reposent sur l'idée que l'éducation, reflétant la
n o m b r e d'unités économiques ayant tel ou tel philosophie d'une société donnée et correspon-
profil déterminé qui sont susceptibles de se dant à son niveau de développement, doit
constituer à l'avenir, d u nombre de cadres apporter sa contribution à la dynamique de la
supérieurs dont elles auront besoin, et des vie sociale et à la solution des problèmes qu'elle
branches auxiliaires avec lesquelles elles auront pose à chacune de ses étapes. Par conséquent,
des rapports d'interdépendance. Cette planifi- l'éducation doit former, dans u n large éventail
cation établit une relation précise entre ce dont de domaines, des spécialistes préparés à exercer
l'économie a besoin et ce que l'éducation peut des activités de création, de reproduction et de
offrir. D a n s les pays considérés ici, ces prévi- gestion, afin que le système économique, cultu-
sions ont conféré mobilité, vitalité et substance rel et sociopolitique puisse fonctionner sans
à l'éducation, tout en la subordonnant à la heurts.
politique nationale. Les modalités pratiques de l'interpénétration
Les besoins croissants des établissements entre l'éducation et la vie, au m o y e n de l'inté-
d'enseignement supérieur en aide financière gration de l'éducation à la recherche et la
peuvent aussi être mentionnés parmi les facteurs production, diffèrent selon les pays, en fonction
qui ont contribué à créer une relation plus des conditions matérielles et des caractéristiques
étroite entre la formation et l'éducation, d'une qui leur sont propres, de leurs traditions et des
part, et les questions matérielles, d'autre part. tendances générales de leur économie et de leur
Il s'agit d'une véritable via regis, grâce à culture. Toutes ces différences se reflètent dans
laquelle la société, tout en poursuivant active- les programmes des établissements d'enseigne-
ment sa propre vie, pénètre dans le recueille- ment primaire, secondaire et supérieur. Malgré
ment des salles de classe, des amphithéâtres et ces différences, ils se caractérisent tous, fonda-
des laboratoires, quittant l'industrie pour faire mentalement, par l'accentuation progressive
des recherches, étudier de nouveaux équipe- des aspects pratiques de l'apprentissage et de
ments, etc., puis revenant à l'industrie avec le l'éducation. Cette évolution est facilement mise
concours de spécialistes qui la font bénéficier en évidence par une brève analyse en ce
d'une technologie nouvelle ou améliorée. qui concerne l'enseignement technique et la
Bref, tous ces facteurs ont orienté l'université formation des ingénieurs, mais elle touche
vers u n processus éducatif ayant u n double également les disciplines sociales et écono-
effet : il forme u n personnel qualifié, capable miques et celles qui étaient considérées aupara-
d'apporter rapidement une contribution aussi vant c o m m e purement théoriques (disciplines
efficace que possible au progrès de la collec- fondamentales).
tivité ; il offre des moyens concrets de rendre Parmi les divers modèles expérimentés dans
l'éducation plus fructueuse. les pays d'Europe de l'Est, celui de l'éducation
intégrée à la recherche et à la production s'est
révélé le plus prometteur. L e principe en est
Le modèle éducation - que l'étudiant sérieux doit d'abord assimiler des
recherche - production concepts théoriques et généraux et acquérir
ainsi une base sur laquelle vient se greffer
C o m m e on le sait, divers modèles ont été une formation approfondie dans u n domaine
élaborés, notamment au cours de la dernière spécialisé et défini ; en m ê m e temps, des

366
Enseignement, recherche et production en Europe de l'Est

connaissances relatives à la recherche scienti- Ces changements ont eu des effets immédiats
fique sont dispensées afin de stimuler l'ap- sur la collectivité, en facilitant l'accès des cadres
titude à la conception créatrice. Cet ensemble des entreprises industrielles à l'enseignement
de notions est ensuite appliqué à des fins supérieur et en faisant bénéficier des milieux
pratiques. traditionnellement ouvriers des éléments cultu-
Les résultats atteints jusqu'à présent grâce à rels de la vie universitaire. Enfin, les « disciplines
ce m o d e d'éducation attestent qu'il permet de pures » ont été associées aux disciplines tech-
former des spécialistes ayant les connaissances niques, les besoins concrets de la production
théoriques et pratiques voulues pour répondre ont été plus clairement compris, et une évolu-
très rapidement, en s'y adaptant, aux besoins de tion des idées des enseignants sur la production
la société. (Les statistiques montrent que la et des industriels sur l'enseignement leur a
période d'adaptation est tout au plus d ' u n an permis de parler u n langage c o m m u n en susci-
pour 80 % des diplômés de l'enseignement tant chez les uns et les autres le désir de faire
supérieur.) Alors qu'ils sont encore à l'école, les face à ces besoins.
jeunes découvrent les exigences pratiques de leur U n enseignement supérieur moderne est
future profession et prennent ainsi conscience nécessaire pour former u n personnel hautement
de son utilité sociale. Cette compréhension de qualifié, qui demeurera efficace dans une société
leur rôle individuel dans le développement de la dynamique où de nouveaux domaines d'acti-
société est u n premier effet de l'amélioration de vité, des technologies nouvelles et des équipe-
l'efficacité d u processus éducatif. ments toujours plus spécialisés apparaîtront
D'autres avantages plus ou moins importants constamment. Afin de former les futures géné-
de ce m o d e d'éducation sont apparus. Dans u n rations de spécialistes, on a modifié les pro-
premier temps, le développement des centres grammes d'enseignement en introduisant cer-
universitaires, en raison de la demande de per- tains groupes de disciplines techniques et
sonnel enseignant, et l'introduction de nouvelles appliquées ou en accroissant le nombre d'heures
disciplines et de nouveaux cours spécialisés dans de cours qui leur sont consacrées et en allon-
les facultés existantes ont rendu nécessaire le geant les périodes affectées à la formation pra-
transfert vers ces centres des installations indus- tique, à la recherche scientifique et à l'élabora-
trielles correspondantes, dans le cadre d ' u n tion de projets.
processus de regroupement de l'industrie et de C o m m e n t l'intégration de l'éducation à la
l'université. Maintenant, ce sont les universités recherche et à la production s'opère-t-elle
qui vont vers les centres industriels, pour for- effectivement ?
mer plus rapidement sur le terrain les effectifs Examinons, par exemple, une période type
scientifiques et techniques nécessaires. D a n s le de cinq ans d'enseignement supérieur. Les deux
cas de la Roumanie, les exemples suivants peu- premières années sont consacrées à l'initiation
vent être cités pour illustrer ce processus : aux disciplines fondamentales qui constitueront
l'Institut des mines de Petrosani, vieux centre la base des études ultérieures. A u cours de cette
minier ; l'Institut d u pétrole et d u gaz de période, les étudiants entrent en contact avec
Ploiesti, ville située dans une importante zone des usines (s'ils sont dans des facultés techni-
pétrolifère ; la Faculté de métallurgie de l'Uni- ques), des archives ou des centres de traduction
versité de Galati, important centre métallur- spécialisés (s'ils étudient les lettres), des insti-
gique ; la Faculté de sylviculture de Brasov, tuts ou des centres de prévision économique o u
ville située dans la montagne, etc. O n pourrait sociologique (s'ils suivent des cours portant sur
mentionner des exemples analogues pour tous ces matières), des salles de dissection (s'il s'agit
les pays d'Europe de l'Est. d'étudiants en médecine), des fermes (lorsqu'ils

367
Cristofor I. Simionescu

sont dans une école d'agronomie). Ces contacts de la santé et des établissements d'enseignement
peuvent s'établir suivant deux calendriers diffé- et contribuer activement à les résoudre, elles
rents : soit u n ou deux jours d'activité par demeurent responsables en permanence d u
semaine, soit trois à quatre semaines de forma- progrès de la science pure et d u savoir en
tion combinée deux fois par an. Cette dernière général. Enfin, certains étudiants des facultés
formule, qui a l'avantage de la continuité, s'est techniques se consacrent, pendant leurs der-
révélée la meilleure. nières années d'études, aux problèmes que pose
Ces travaux pratiques permettent de fami- l'élaboration de projets.
liariser l'étudiant avec sa future profession. Ils U n travail concret et créateur de caractère
sont complétés par une formation sur le terrain. scientifique est effectué pour les examens de fin
D e s tâches limitées leur sont alors confiées sur le d'études. D a n s les facultés techniques, ces tra-
lieu de travail, sous le contrôle direct d'ensei- vaux comprennent deux volets : le premier a
gnants et de spécialistes. C e processus de trait à la recherche proprement dite (fondements
formation à la production est coordonné et théoriques de la question étudiée, expériences
patronné par le ministre de l'éducation et par et conclusions), le second porte sur l'élaboration
le ministère responsable de la branche d'activité d'un processus industriel ou expérimental.
en question (cette double tutelle est actuelle- L a formation aux disciplines techniques
ment généralisée ; m ê m e si les deux ministères comporte une phase d'étude sur le terrain
ont des objectifs différents — formation géné- d'installations industrielles (équipements, m a -
rale et spécialisée, et mise en évidence des chines, ensembles, etc.) suivie d'une phase de
aptitudes sociales d'un individu à des fins travaux et de calculs portant sur des installa-
pratiques — leur collaboration dans le domaine tions ayant u n caractère similaire mais des
de la formation d u personnel ne peut manquer capacités différentes.
d'être bénéfique). E n outre, presque toutes les facultés tech-
Pendant les dernières années d'étude, l'en- niques comprennent des unités de production,
seignement englobe u n n o m b r e croissant de de recherche et de conception, où les étudiants
disciplines spécialisées, apportant ainsi une apprennent et produisent. U n e faculté de tech-
formation dans u n domaine spécifique. Les nologie chimique comporte, par exemple, une
étudiants sont progressivement initiés à la unité de production expérimentale, des réac-
recherche pendant les deux dernières années ; teurs chimiques et de petites chaînes de fabri-
60 à 80 % de ces recherches tentent de résoudre cation qui produisent des biens matériels ; les
des problèmes définis grâce à des contacts entre étudiants sont à la fois les agents et les coordon-
l'université et les unités de production, les nateurs des processus en jeu. Les études
unités culturelles, etc. U n e grande partie de ces technologiques ont lieu dans ces unités, et
recherches sont effectuées dans des établisse- l'introduction de certains processus ou la
ments d'enseignement supérieur au titre de conception de nouveaux matériels (ainsi que
contrats avec des entreprises (50 à 60 % de ces certains éléments de sa mise en œuvre) se font
contrats ont trait à des recherches directement également avec le concours des étudiants.
applicables ; 25 à 30 % à des travaux de déve- L a recherche universitaire doit être considé-
loppement). U n petit nombre d'étudiants — les rée c o m m e ayant des liens étroits avec l'éduca-
meilleurs en général — sont orientés vers la tion. Stimulée par celle-ci, elle doit se mettre
recherche pure. Bien que les universités ne à son service et lui assurer u n haut niveau
puissent pas s'occuper essentiellement de re- scientifique. L'université, qui patronne les re-
cherches pures puisqu'elles doivent s'intéresser cherches pures et appliquées, s'intéresse aux
aux problèmes de l'industrie, de l'agriculture, domaines scientifiques d'avant-garde, assure

368
Enseignement, recherche et production en Europe de l'Est

progressivement et sans heurts une approche traiter de nouveaux problèmes (largement en


unifiée de la théorie et de ses applications et consultant des publications), à leur trouver des
adapte l'éducation aux exigences de la pratique, solutions, à élaborer des stratégies, à obtenir
a ainsi été amenée à développer la recherche les informations nécessaires et à évaluer cha-
interdisciplinaire, à reculer les frontières des cune des options possibles. Étant donné que ces
vieilles disciplines et à ouvrir de nouveaux disciplines facultatives ont certains liens avec
domaines à la connaissance. des disciplines voisines, l'étudiant doit entrer
Dans les pays d'Europe de l'Est, les établis- en contact avec des spécialistes de divers do-
sements d'enseignement supérieur collaborent maines afin d'élucider des questions inconnues
étroitement avec les académies des sciences et ou mal comprises, d'établir u n langage c o m m u n
leurs instituts de recherche, avec les académies et de choisir une méthode lui permettant de
spécialisées et avec les services de recherche de résoudre des problèmes interdisciplinaires ou
l'industrie et des usines. pluridisciplinaires. E n apprenant à travailler en
Quelques exemples montreront l'étendue équipe et, finalement, en devenant le coordonna-
de cette collaboration. E n ce qui concerne teur de celle-ci à l'issue d'un processus de sélec-
l'Union des républiques socialistes soviétiques, tion, l'étudiant acquiert la formation nécessaire
i 200 ooo personnes hautement qualifiées (dont pour être à m ê m e de s'intégrer rapidement dans
environ la moitié sont des spécialistes des ap- un système de production au terme de ses études.
plications techniques de la science et 20 % se L a période d'études, de quatre à cinq ans,
consacrent aux mathématiques, à la physique a pour objet de former des personnes capables
et à la biologie), qui travaillent dans 5 200 ins- de diriger des processus de production, d'orga-
tituts scientifiques, collaborent avec environ niser l'activité productive des entreprises, d'en-
850 établissements d'enseignement supérieur treprendre u n travail de conception et de pren-
que fréquentent plus de 4 800 000 étudiants. dre des décisions, de promouvoir la recherche
Dans la République populaire de Pologne, scientifique et les techniques d'ingénierie. P a -
85 instituts d'enseignement supérieur spécia- rallèlement, des spécialistes ou des techniciens
lisés dans des domaines divers sont en contact sont formés dans des domaines plus restreints
permanent avec les 60 centres de recherche de au m o y e n d'un enseignement plus limité. Les
l'Académie. Dans la République populaire de techniciens de niveau supérieur doivent, par
Bulgarie, les dépenses de recherche représen- exemple, diriger des ateliers, des secteurs ou des
tent 2,5 % d u revenu national et financent processus de production, ou assumer la respon-
135 instituts indépendants, 750 centres univer- sabilité d u développement judicieux d'un flux
sitaires de recherche et 18 universités. technologique. L a formation à ces tâches s'étend
Les nouvelles branches d'activité issues de sur trois ou quatre ans, suivant que les cours
sciences qui sont maintenant traditionnelles exi- ont lieu dans la journée ou le soir. L'enseigne-
gent la formation préliminaire de cadres capa- ment est donné à la fois dans des facultés spé-
bles d'assurer le traitement industriel des pro- cialisées et dans des complexes industriels, mais,
duits de leurs recherches en laboratoire. C'est m ê m e dans ce dernier cas, sous le contrôle
pourquoi la dernière année d'études comprend direct des enseignants de l'université.
des disciplines dites facultatives (constituées Dans le cadre d'un enseignement supérieur
par des domaines de spécialisation limités). intégré, le travail fondé sur la solution de pro-
L'étudiant peut en choisir deux qui sont liées blèmes concrets a progressivement remplacé
à sa future profession. Il se situe ainsi dans u n les études abstraites, et ce dans tous les d o -
environnement technique interdisciplinaire en- maines : ingénierie, médecine, économie, agri-
core incomplètement défini, mais apprend à culture, etc.

369
Cri st of or I. Simionescu

L e modèle roumain d'intégration de l'ensei- amélioré et adapté pour assurer sa validité et sa


gnement à la recherche et à la production s'ap- stabilité dans le temps. Tout en permettant de
plique à toutes les étapes de l'enseignement. trouver une solution aux problèmes qui se
L'éducation doit modeler l'individu, en parti- posent à chaque étape du progrès des sociétés,
culier pendant la période où son esprit est le il suscite des situations nouvelles qui, à leur
plus malléable, orienter ses penchants naturels tour, soulèvent des questions auxquelles il faut
vers l'utile et l'agréable, l'aider à trouver chercher des réponses.
sa place optimale dans la société, selon ses U n e première question a trait à la formation
aptitudes personnelles et les besoins de la future des jeunes générations : celle-ci devrait-
collectivité. elle s'opérer dans u n cadre étroit et strictement
L e processus d'éducation et de formation spécialisé, ou couvrir u n domaine plus large ?
esquissé ici, qui est caractéristique des pays Ces deux options ont leurs aspects positifs et
d'Europe de l'Est et a été confirmé par l'expé- négatifs. C o m m e tout le m o n d e le sait, les effets
rience, pour centré qu'il soit sur des problèmes d'un système éducatif ne se font sentir qu'à
concrets, est très différent d'une activité disci- long terme, généralement à u n m o m e n t où
plinée de production de biens matériels au les mesures correctives qui peuvent être prises
m o y e n de processus, parfois novateurs, mais sont devenues moins efficaces ou m ê m e s inu-
surtout répétitifs. L a recherche scientifique, en tiles. L e processus d'éducation et de formation
tant que facteur constitutif d'un processus d'en- fondé sur le modèle d'intégration exposé ci-
seignement fondé sur l'acquisition de connais- dessus a fait pencher la balance du côté de la
sances théoriques, constitue une passerelle entre formation pratique, avec des effets directs et
l'école et la production, traduit la théorie en favorables sur le progrès des sociétés, mais il a
pratique et influe sur l'élaboration de certains inévitablement limité le nombre des personnes
concepts théoriques à partir de données expé- qui possèdent des connaissances scientifiques et
rimentales concrètes. Elle suscite des questions culturelles encyclopédiques. U n e formation ap-
qui exigent des réponses, élargit les horizons des profondie dans u n domaine spécifique, tout en
étudiants, leur offre les instruments qui leur étant profitable sur le plan social, limite consi-
sont nécessaires pour le proche avenir et leur dérablement le nombre de personnes ayant u n
donne le goût de la découverte. large horizon culturel, dont la formation et le
développement ultérieur devraient être en-
couragés.
Des questions en suspens O n en est toujours à rechercher la meilleure
insertion possible d u système dans le contexte
L a vie moderne suscite et intensifie divers fac- de la formation pratique et on hésite, à cet
teurs qui contribuent au développement d'une égard, entre l'expérience pratique dans les ate-
relation entre la science, l'éducation et la pro- liers des établissements d'enseignement supé-
duction, et entre l'université et l'industrie. C e rieur et des unités de microproduction et l'ex-
processus est constamment renforcé, à chaque périence de la production dans l'industrie. Il
étape, par de nouveaux éléments, dont certains convient de déterminer si l'enseignement tech-
ont u n caractère général, tandis que d'autres nique devrait être partiellement transféré dans
n'entrent en jeu que dans les conditions propres les unités de production de biens matériels ou
à u n pays donné. si certaines de ces unités devraient devenir les
L e modèle d'intégration brièvement exposé « satellites » des établissements d'enseignement
ci-dessus offre des solutions pour le présent ou supérieur.
pour l'avenir : c o m m e tout modèle, il doit être C o m p t e tenu des effets regrettables de l'iso-

370
Enseignement, recherche et production en Europe de l'Est

lement des campus universitaires qui ont leur puisse être que celle de la coexistence et de
vie propre et sont coupés de celle des villes, l'établissement d'un rapport équilibré entre ces
on est amené à se demander si l'intégration diverses lignes de force.
de l'éducation ne devrait pas être protégée de
contingences imprévues c o m m e les effets d'une N o u s avons essayé de décrire et d'analyser le
technologie trop intensive. processus d'intégration de l'éducation à la
Enfin, notre siècle se trouve sans cesse en recherche et à la production dans les pays
présence de variables inconnues, qui résultent d'Europe de l'Est. Mais des efforts sont dé-
de l'évolution constante du m o n d e où nous ployés sous diverses formes dans tous les pays
vivons. Les conquêtes sans précédent de la du m o n d e pour faire en sorte que l'enseigne-
science, de la technologie, de l'informatisation ment supérieur réponde aux demandes crois-
et de l'automatisation ont totalement modifié santes de la société. L e renforcement des n o m -
la relation entre le spécialiste et son domaine breuses variantes d u modèle d'intégration de
d'activité. Dans quelle mesure l'éducation peut- l'éducation à la recherche et à la production
elle prouver sa capacité de se transformer en nécessite des modifications, des réponses aux
s'adaptant à ces conquêtes qui se succèdent problèmes qui se posent, des solutions nouvelles
toujours plus vite ? Quelle devrait être la rela- élaborées grâce à des consultations internatia-
tion entre la recherche pure et la recherche nales plus larges, et notamment l'établissement
appliquée, entre la recherche qui pose les fon- d'orientations fondamentales du développement
dements des techniques futures et celle qui futur de l'éducation à l'échelle mondiale et une
résout les problèmes aigus d'aujourd'hui ? Il meilleure définition du rôle joué par l'éducation
semble que la solution la plus raisonnable ne dans le progrès des sociétés humaines.

371
Hans Senf

La coopération entre l'école


et la famille en République
démocratique allemande

E n République démocratique allemande, l'école Sur ces bases, l'école et la famille atteignent
et la famille sont unies par la c o m m u n e volontéleur but c o m m u n en matière d'éducation avec
de « former et éduquer des h o m m e s et des les moyens, les méthodes et les modes d'orga-
femmes socialistes harmonieusement épanouis nisation qui leur sont propres.
sur tous les plans...1 ». L'école et la famille Lors d u huitième congrès pédagogique de la
atteignent ce but par une coopération étroite République démocratique allemande, M . M a r -
qui est garantie par la Constitution2. Mais si got Honecker, ministre de l'éducation nationale,
elles y parviennent, c'est parce que les intérêts a fait la déclaration suivante : « L a coopération
de la société et de la famille touchant les ques- confiante entre l'école et le foyer, la collaboration
tions et conditions fondamentales de l'éducation étroite des éducateurs et des parents occupent
et de la formation coïncident largement : dans notre société une place de choix. Cette
a) tous les enfants ont le m ê m e droit à une collaboration est en tout cas bénéfique pour le
éducation universelle de qualité. Les établis- développement de l'enfant... N o s enseignants
sements d'enseignement sont ouverts à tous ; et nos éducateurs ont aujourd'hui à leurs côtés
b) l'enseignement obligatoire dure dix ans, tous des parents qui prennent conseil auprès d'eux
les enfants doivent fréquenter l'école secondaire tout en leur demandant beaucoup.
d'enseignement général et polytechnique de dix » D e telles consultations répondent d'ailleurs
classes ; c) tous les jeunes ont le droit et le à u n besoin, car les enseignants ne peuvent ni
devoir d'apprendre u n métier ; d) la possibilité ne doivent se passer de l'expérience, des connais-
de passer d'un degré d'enseignement au degré sances et des capacités des parents prêts à les
immédiatement supérieur jusqu'à l'enseigne- aider activement dans leur tâche. C'est pour-
ment supérieur (universités et grandes écoles) quoi ils sont, pour la plupart, ouverts à toutes
est assurée ; e) la scolarité est gratuite. L'octroi les observations et critiques constructives que
de bourses d'étude et la gratuité d u matériel peuvent leur adresser les parents, soucieux de
d'enseignement sont fonction de la situation l'épanouissement de leurs enfants. Ils souhaitent
sociale des intéressés3. une telle collaboration, caractérisée par une
démarche positive et réaliste, une atmosphère
de camaraderie et une volonté d'aide mutuelle.
Hans Senf (République démocratique allemande). Chef C'est dans cet esprit que notre école, notre corps
du Centre d'information et de documentation pédago- enseignant s'ouvrent à l'opinion publique, se
gique de l'Académie des sciences pédagogiques de la soumettant, c o m m e ne le fait peut-être aucune
République démocratique allemande. Auteur d'articles
sur l'éducation socialiste. autre de nos institutions, aux remarques cri-

372
Perspectives, vol. X , n° 3, 1980
La coopération entre l'école et la famille
en République démocratique allemande

tiques de millions de travailleurs ; ne s'agit-il m o y e n de mieux connaître le cadre de vie de


pas, en l'occurrence, d u bien de nos enfants4 ? » l'enfant. Elle permet à l'enseignant : a) de
L'application d u vaste programme social et renforcer la confiance de la famille envers
politique d u parti socialiste unifié, d u gouver- l'école ; b) de connaître le cadre de vie de l'élève
nement et de la Fédération libre des syndicats et d'appréhender toutes les facettes de sa per-
ouvriers améliore les conditions de vie maté- sonnalité ; c) d'informer en détail les parents,
rielles et culturelles de la famille, qui est ainsi dans leur cadre familier, d u développement
mieux à m ê m e d'assurer le développement phy- de leurs enfants, des progrès accomplis et des
sique, intellectuel et moral des enfants. L'in- problèmes à résoudre, et de connaître leur
troduction de la semaine de travail de cinq opinion, leurs pensées et leurs préoccupations ;
jours, la réduction à quarante heures de la d) de donner aux parents des conseils et des
semaine de travail pour les mères de deux indications pédagogiques ; e) de déterminer en-
enfants et plus, la possibilité offerte aux jeunes fin si l'enfant a besoin de l'aide d'autres édu-
mères de rester chez elles pour élever leur cateurs ou organismes publics. Les entretiens
enfant pendant la première année (à partir d u que l'enseignant accorde aux parents et les
deuxième enfant, elles touchent une indemnité réunions de groupe qu'il organise à leur inten-
les libérant de leur activité professionnelle), tion offrent aussi la possibilité de renforcer les
l'allongement des congés d'au moins trois jours rapports de confiance entre l'école et la famille
ouvrables pour 7,6 millions de travailleurs, et d'assurer la cohérence de l'éducation donnée
l'octroi de crédits aux jeunes mariés et la cons- à l'enfant.
truction et la modernisation de 481 000 loge- Deuxièmement, il s'agit de transmettre aux
ments au cours des trois dernières années sont parents, par la propagande pédagogique, des
autant de mesures qui influent de façon décisive renseignements sur la politique scolaire ainsi
sur la situation des familles. Ajoutons à cela que des connaissances pédagogiques, psycho-
que plus de 60 % des nourrissons sont ac- logiques et autres, et de développer leurs capa-
cueillis dans les crèches et plus de 90 % des cités pédagogiques. L a propagande pédagogique
enfants d'âge préscolaire sont au jardin d'en- est u n maillon essentiel de la coopération entre
fants. Enfin, plus de 80 % des élèves des l'école et le foyer. Elle est fondée sur des d o -
classes 1 à 4 peuvent rester à la garderie. cuments officiels et conforme aux propositions
Mais c'est avant tout à l'école, en tant qu'ins- des représentants élus des parents. Elle s'exerce
titution publique chargée de former et d'édu- principalement lors des assemblées et des sé-
quer la jeunesse, aux éducateurs en tant que minaires de parents d'élèves.
spécialistes ayant reçu la formation appropriée Les assemblées de parents d'élèves remplis-
qu'il incombe d'aider la famille, les jeunes sent trois grandes fonctions. Tout d'abord, elles
parents, à élever leurs enfants, de stimuler la permettent de faire connaître aux parents les
coopération entre l'école et la famille et de objectifs, contenus et méthodes d'éducation de
veiller à ce qu'elle s'exerce avec toute l'efficacité leurs enfants dans l'école, le stade d u dévelop-
voulue. Cette coopération vise essentiellement pement collectif, les résultats des enfants et
trois objectifs. la discipline, ainsi que les questions de politique
Premièrement, l'enseignant doit mieux con- scolaire. U n e telle information est indispensable
naître les conditions de vie familiale et le si l'on veut que l'école et la famille visent à
niveau d'instruction des parents pour pouvoir atteindre le m ê m e but et à résoudre les m ê m e s
mieux comprendre l'enfant, étudier et mettre problèmes en matière d'éducation. E n outre,
au point avec les parents une stratégie éducative elles permettent d'inculquer aux pères et
c o m m u n e . L a visite à domicile est u n bon aux mères les connaissances pédagogiques,

373
Hans Senf

psychologiques, etc., qui sont fondamentales de la situation de la classe et des besoins des
pour l'éducation de leurs enfants. Il est prouvé parents. Par exemple, pour les assemblées de
que les parents qui élèvent leurs enfants sur la parents des élèves des 2 e et 3 e classes, le plan-
base de connaissances scientifiques obtiennent de cadre prévoit les thèmes suivants :
meilleurs résultats que ceux qui suivent leurs L'éducation collective des enfants dans les pe-
impulsions. C'est pourquoi nos enseignants et tites classes ;
nos éducateurs s'efforcent toujours d'informer L a formation politique et morale des élèves
les parents sur certaines particularités d u déve- pendant les premières années de scolarité ;
loppement physique et psychique de l'enfant L'éducation sanitaire des enfants dans la fa-
aux différents âges, sur le rôle des opinions et mille ;
convictions et les modalités de leurs dévelop- L'apprentissage de l'indépendance chez les
pements, sur l'importance que revêt la vie garçons et les filles ;
familiale pour le développement social, affectif L'apprentissage de l'amour d u travail dans la
et intellectuel de Penfant ; ils s'efforcent aussi famille ;
d'aider les parents à appliquer des méthodes L'approche pédagogique de l'organisation des
d'éducation appropriées. loisirs des élèves.
Enfin, les assemblées de parents d'élèves Pour les classes des niveaux m o y e n et supérieur,
visent à assurer entre les parents l'échange de les grands thèmes suivants sont proposés :
données d'expérience sur la base des connais- L e développement physique et psychique de
sances acquises, à élaborer des conceptions l'élève ;
c o m m u n e s sur des problèmes essentiels d'édu- L a préparation de l'adolescent à la vie profes-
cation et à définir u n comportement c o m m u n à sionnelle ;
l'école et dans la famille. L a participation des jeunes à la vie politique de
Grâce à ces assemblées, de nombreux éta- la société socialiste ;
blissements scolaires ont permis aux parents L'éducation sexuelle en tant que partie inté-
d'élèves d'acquérir, pendant la scolarité de leurs grante de la formation de la personne so-
enfants, des connaissances précises importantes cialiste.
pour l'éducation des enfants à la maison et de Pour faciliter la préparation de ces assemblées
s'initier à la pédagogie. axées sur l'éducation familiale, un guide métho-
Ainsi, au cours de la trentaine d'assemblées dologique a été publié en 1975. Il offre pour
auxquelles ils assistent pendant les dix années toutes les classes u n certain nombre de thèmes
de scolarité de leurs enfants, les parents ac- que l'éducateur peut choisir selon la classe et en
quièrent des connaissances pédagogiques et moduler la préparation et l'étude5.
psychologiques de base qui stimulent leur ré- Enfin, le troisième objectif de la coopération
flexion sur l'éducation de leurs enfants et les entre l'école et la famille consiste à appliquer
poussent à étudier par e u x - m ê m e s les questions les connaissances, les capacités et l'expérience
d'éducation. Pour soutenir cet effort des écoles, des parents à la vie scolaire. N o m b r e de pères
l'Académie des sciences pédagogiques a publié et de mères sont prêts et aptes à faire en sorte
il y a quelques années u n « Plan-cadre de pro- que l'éducation de leurs enfants contribue au
pagande pédagogique » qui contient des propo- développement de la collectivité, qu'il s'agisse
sitions relatives au traitement de tel ou tel de la classe ou de l'école.
aspect d u développement physique, psychique C'est surtout dans les activités extrascolaires
et scolaire de l'enfant. Les thèmes proposés qu'ils ont de multiples occasions d'aider les
dans ce plan-cadre n'ont, bien entendu, aucun éducateurs et les enfants. Ils animent des
caractère contraignant : leur choix est fonction groupes de pionniers, assistent les organes di-

374
La coopération entre l'école et la famille
en République démocratique allemande

recteurs des organisations d'enfants et de jeunes, u n père ou une mère sur quatre fait partie d'un
encouragent l'étude de problèmes politiques, organe de représentation des parents — plus
philosophiques et moraux dans les « cercles de de 100 000 dans les conseils et plus de 500 000
jeunes socialistes » ou dans les cercles qui pré- dans les comités.
parent au « brevet d u savoir ». T o u s les représentants élus — soit au conseil
Les parents vont dans les garderies scolaires de l'école, soit au comité de la classe ou du
où ils expliquent aux enfants leur vie profes- jardin d'enfants — en acceptant cette fonc-
sionnelle et sociale et participent à l'organi- tion honorifique, assurent une responsabilité à
sation d'activités collectives intéressantes et l'égard non seulement de leurs propres enfants,
instructives. E s y stimulent ainsi u n travail mais de tous les autres. Il leur incombe d'aider
pédagogique appréciable et veillent e u x - m ê m e s toutes les mères et tous les pères à éduquer leurs
à ce que les enfants fassent leurs devoirs. enfants conformément aux objectifs de l'école
Ils animent ainsi des cours, des groupes et de la société socialistes. Parallèlement, leur
d'études ou des associations sportives. Avec les action au sein des organes représentatifs ap-
enfants, ils effectuent des travaux utiles à la profondit, renforce et élargit sans cesse l'intérêt
société : embellissement d u site scolaire, entre- naturel des parents pour le développement de
tien et agrandissement des jardins d'école, dé- leurs enfants ainsi que leur compréhension et
coration de l'école, entretien d u quartier, etc. leur responsabilité c o m m u n e à l'égard d u dé-
Ils participent aussi à des activités culturelles veloppement de tous les enfants.
et politiques c o m m u n e s . L e décret d u 15 novembre 1966 sur la repré-
Les parents apportent leur appui au travail sentation des parents dans tous les établisse-
des clubs, font des conférences ou des causeries ments d'enseignement général en définit les
sur divers sujets et prêtent leur concours aux grandes orientations et expose les bases de la
« fêtes de l'étude », aux olympiades scolaires, coopération entre les parents et les éducateurs.
aux « foires des meilleurs ouvriers de demain » Il fixe aux conseils de parents quatre tâches
ainsi qu'à la « galerie de l'amitié » (expositions). essentielles, qui valent aussi, en principe, pour
Les représentants élus des parents — conseils les comités : à) soutenir activement le travail
(pour l'école) et comités (pour une classe) de pa- de formation et d'éducation de l'école ; b) favo-
rents d'élèves — jouent u n rôle particulièrement riser l'éducation socialiste des enfants au sein
important dans la coopération entre l'école et de la famille ; c) aider, par une activité intéres-
la famille. Chargés de représenter les intérêts sante et substantielle, la Jeunesse allemande
de tous les parents d'élèves d'une classe ou de libre et l'Organisation des pionniers ; d) col-
l'ensemble de l'école, ils doivent développer et laborer aux forces sociales qui participent à
renforcer la coopération entre la famille et l'éducation des jeunes et des enfants6.
l'école, assurer en permanence l'accord politique Quiconque est élu représentant des parents
et pédagogique des parents et des éducateurs met ses capacités et ses connaissances — la
sur l'éducation des enfants, et veiller à ce que plupart d u temps moyennant une réduction
la formation et l'éducation socialistes des en- volontaire de ses loisirs — au service d u déve-
fants fassent l'objet d'une approche c o m m u n e . loppement de l'éducation des enfants et des
Dans la République démocratique allemande, jeunes à l'école et au sein de la famille. Être
les parents tiennent à participer activement à la représentant des parents, c'est accepter une
solution de ces problèmes sociaux : ils comptent lourde responsabilité sociale, car les décisions
plus de 600 000 représentants élus pour l'en- des conseils et des comités de parents d'élèves
seignement général et plus de 4 0 0 0 0 pour concernent toujours l'ensemble des parents
l'enseignement préscolaire. E n d'autres termes, d'une classe ou d'une école.

375
Hans Senf

D a n s le décret, le Conseil des ministres de la arrive encore que leur action, entreprise dans
République démocratique allemande définit ex- les meilleures intentions, ne vise qu'à améliorer
plicitement la participation aux conseils et aux le travail de formation et d'éducation propre-
comités de parents d'élèves c o m m e u n impor- ment scolaire. O r les représentants des parents
tant travail social bénévole. Il enjoint aux or- ont pour tâche essentielle de renforcer en per-
ganismes d'État, aux entreprises et coopératives manence la confiance mutuelle entre l'école et
socialistes, aux comités d u Front national et à la famille et d'aider les parents dans leur rôle
toutes les organisations sociales de soutenir éducatif en leur donnant la possibilité de mettre
activement et reconnaître publiquement cette à profit les leçons de l'expérience acquise en
activité bénévole que les parents exercent la matière d'éducation familiale.
plupart d u temps durant leur loisir. Bien qu'on puisse supposer qu'aujourd'hui
Pour exploiter toutes les possibilités qu'of- les parents jouissent de conditions bien meil-
frent la famille et les représentants des parents leures que celles des générations passées en ce
pour l'éducation de la jeunesse, il faut que cer- qui concerne l'éducation des enfants, il faut
tains obstacles soient levés. tenir compte d u fait que l'éducation doit ré-
L'intérêt que les parents portent au dévelop- pondre à de plus hautes exigences sociales et
pement scolaire de leurs enfants s'est beaucoup que chaque situation familiale est différente. Les
accru au cours des dernières années. Les mères représentants des parents peuvent faire beau-
et les pères ont découvert par leur propre expé- coup pour que les possibilités éducatives soient
rience la valeur d'une formation complète et ils reconnues et mieux exploitées dans toutes les
considèrent c o m m e u n devoir essentiel d'aider familles. C'est là u n vaste domaine o ù l'on a
leurs enfants dans leurs études. Toutefois, cer- obtenu de nombreux résultats appréciables,
tains parents ont tendance à se polariser sur mais où subsistent encore quelques lacunes.
l'acquisition des connaissances, sur les résultats Si les parents sont plus disposés qu'avant à
scolaires et sur les notes. D e ce fait, ils risquent coopérer avec l'école et à favoriser le développe-
de ne pas prêter assez attention au rôle qui leur ment scolaire des enfants, ils sont aussi plus
est spécifique et dans lequel aucun autre éduca- exigeants quant à la collaboration des éducateurs
teur ne peut tout à fait les remplacer. Cette avec la famille. Ils attendent de l'enseignant
tendance est parfois renforcée par le fait que qu'il porte u n jugement exact sur le dévelop-
certains enseignants ne saisissent pas toujours pement de leur enfant et les aide concrètement
bien les potentialités pédagogiques de la famille à résoudre les problèmes d'éducation. Ces aspi-
et considèrent que le premier devoir des parents rations sont comblées par la grande majorité des
est d'aider les enfants en les faisant travailler à enseignants, qui utilisent à bon escient toutes
la maison. C'est aussi l'une des raisons pour les formes de coopération avec les parents
lesquelles on m e t davantage l'accent sur les (assemblées de parents d'élèves, visites à domi-
tâches et les possibilités spécifiques de la famille cile, entretiens avec la famille, etc.). Mais on
dans l'information d u public, dans les moyens constate encore parfois que le contact entre
de communication de masse, ainsi que dans la l'enseignant et les parents s'affaiblit à mesure
formation et le perfectionnement des maîtres. que s'écoule l'année scolaire : les visites à
N o u s avons déjà dit que l'activité des repré- domicile se font rares et les assemblées de
sentants des parents, surtout dans les comités, parents d'élèves se concentrent sur les questions
connaît depuis quelques années un remarquable scolaires, au détriment de l'aspect familial. D a n s
développement. Ils s'acquittent de leurs fonc- ces conditions, les éducateurs passent à côté de
tions avec une grande conscience de leurs res- belles occasions d'exploiter le potentiel éducatif
ponsabilités et une grande disponibilité. Mais il qui existe objectivement dans la famille, et

376
La coopération entre l'école et la famille
en République démocratique allemande

notamment de développer les capacités pédago- Notes


giques des parents. C'est pourquoi il convient
i. Loi d u 25 février 1965 sur le système unifié d'ensei-
que le chef d'établissement leur donne des gnement socialiste. Journal officiel, partie I, n° 6/1965,
instructions plus strictes et des moyens plus p . 83 (art. 1).
substantiels, et renforce son contrôle. 2. Constitution de la République démocratique allemande
du 7 octobre 1974. Staatsverlag der D D R , Berlin,
E n République démocratique allemande, la P- 33-34 (art. 38, par. 4).
coopération entre l'école et la famille s'est 3. Ibid., p. 27-28 (art. 25).
4. Huitième congrès pédagogique de la République d é m o -
soldée par d'importants succès. Bien que nous cratique allemande, 1978. Procès-verbal. Berlin, Volk
n'ayons pas p u évoquer ici la totalité de son und Wissen Volkseigener Verlag, 1979, p. 105.
contenu et de ses formes (par exemple, acadé- 5. Erna Scharnhorst, Klassenelternversammlungen. Metho-
dische Handreichunger [Les assemblées de parents
mies de parents, émissions télévisées à l'inten- d'élèves — guide méthodologique]. Publié par l'Aca-
tion des parents, etc.), nous avons montré que, démie des sciences pédagogiques de la République
dans u n esprit de coopération confiante et de démocratique allemande, Berlin, Volk u n d Wissen
Volkseigener Verlag, 1975.
compréhension entre l'école et la famille, tout 6. Sozialistische Bildungsrecht [Droit à l'éducation socia-
est mis en œuvre pour le bien de l'enfant, afin liste]. Publié par le Ministère de l'éducation nationale
de lui assurer une formation et une éducation — Staatsverlag der D D R , Berlin, 1968, p. 361-362.

complètes et de le préparer c o m m e il convient à


vivre dans la société socialiste.

377
Tendances et cas

Au service d'une collectivité dispersée

Kathleen Forsythe

L e North Island College est u n petit collège littoral d u m o n d e . Elle est peuplée d'environ
communautaire créé assez récemment pour des- 100 000 habitants mais ne compte aucune
servir le nord de l'île de Vancouver et la région grande ville, la plus importante ne dépassant pas
côtière centrale de la Colombie-Britannique. 20 000 habitants. B o n nombre de collectivités
C o m m e tous les collèges communautaires, ne sont accessibles que par des chemins fores-
il possède ses caractéristiques propres mais, tiers, par hydravion ou par bateau. Elles ne
contrairement à la plupart d'entre eux, il repré- reçoivent pas toutes les émissions de radio et de
sente une innovation considérable dans le do- télévision et certaines n'en reçoivent aucune.
maine de l'enseignement postsecondaire. L e Ces dernières années, la population s'est accrue
North Island College apparaît en effet c o m m e de manière extraordinaire et les principales
le fruit de l'application combinée d u principe industries — bois, mines, pêche et tourisme —
nord-américain d u collège communautaire et sont toujours en plein essor.
de celui, d'inspiration britannique mais répandu E n 1973, u n groupe d'étude fut chargé
dans le m o n d e entier, des études ouvertes. Dans d'examiner et de recommander les mesures à
une telle perspective, l'enseignement est envi- prendre pour étendre à toute la population de
sagé c o m m e u n service offert à la collectivité et la Colombie-Britannique les services que peu-
le collège c o m m e le moyen de l'assurer. Sans vent offrir des collèges communautaires.
rejeter totalement le principe de l'école tradi- C e groupe d'étude ayant constaté le besoin
tionnelle, le North Island College dispense u n et le désir généraux de services d'enseignement
enseignement qui ne s'inscrit plus dans u n dispensés par des collèges communautaires po-
cadre géographique et temporel limité et qui lyvalents, c'est ainsi que le North Island College
offre à tous les membres de la collectivité vit le jour en mai 1975. L e premier conseil
environnante la possibilité de poursuivre leur du collège, qui regroupait quelques-uns des
éducation. membres d u comité consultatif, décida d'adop-
L a région desservie par le collège s'étend sur ter c o m m e lignes directrices les recommanda-
une superficie de 75 000 kilomètres carrés, de tions d u rapport.
Bamfield sur le Barclay Sound au sud, jusqu'au L e dernier paragraphe d u rapport d u comité
petit village indien de Klemtu près de Finlayson consultatif décrivait parfaitement quel devait
Channel, au nord. C'est une région accidentée être le rôle du nouveau collège : « N o u s envisa-
où montagnes et forêts voisinent avec la mer, geons le North Island College c o m m e un établis-
où de nombreux fjords profonds s'avancent loin sement à vocation communautaire, dispensant
à l'intérieur des terres. E n fait, c'est probable- à une clientèle traditionnelle et n o n tradition-
ment une des régions qui possèdent le plus long nelle des services traditionnels et n o n tradi-
tionnels par des moyens pédagogiques n o n
traditionnels. C e collège communautaire ana-
lysera les besoins des collectivités de la région,
Kathleen Forsythe (Canada) est coordonnatrice de
s'efforcera d'y répondre avec l'aide d'autres or-
recherche pour le développement du North Island College
en Colombie-Britannique. ganismes, réévaluera les priorités de programme,

379
Perspectives, vol. X , n° 3, 1980
Tendances et cas

ira à la collectivité, procédera à une nouvelle Participation de la collectivité locale au niveau


affectation des ressources et développera ses de l'administration d u collège et de l'ensei-
services de manière à offrir aux adultes la pos- gnement ;
sibilité de s'instruire toute leur vie durant1. » Politique d'admission libre ;
Tels sont les principes directeurs dont le per- Services d'orientation ;
sonnel d u collège eut pour instruction de s'ins- Programme d'études polyvalent : a) cours de
pirer lors de la création de l'établissement. niveau équivalant à la deuxième année uni-
versitaire ; b) programmes paraprofessionnels
de technologie ; c) programmes d'enseigne-
Le collège communautaire ment professionnel et d'apprentissage d'un
en Colombie-Britannique métier ; d) formation permanente des adultes
comprenant des activités recréatives et cultu-
L e collège communautaire est une institution relles et des cours non sanctionnés par l'octroi
purement nord-américaine. C e n'est ni une d'unités de valeur ; e) enseignement correctif
forme d'enseignement supérieur simplifié ni et formation générale ;
une forme d'enseignement secondaire poussé. Décentralisation des services du collège ;
Il cherche à répondre aux besoins d'instruction Souplesse des emplois du temps ;
de niveau postsecondaire qui ne sont pas assurés Relations avec les organismes de main-d'œuvre,
par les établissements d'enseignement propre- du travail et de l'emploi3.
ment dits. « L e collège communautaire se dis- Pour établir cette liste, Dennison s'est basé sur
tingue par ses principes égalitaires, son souci de sa connaissance des collèges de Colombie-
l'intérêt de la collectivité et son caractère pra- Britannique.
tique. Il applique l'idée que l'enseignement L e North Island College n'a pas tardé à pré-
supérieur universel doit normalement être mis senter les m ê m e s caractéristiques. Toutefois, la
à la disposition de tous ceux qui peuvent en cinquième, la décentralisation des services,
bénéficier et que l'éducation doit être accessible s'applique tout particulièrement à son cas.
à tous grâce à u n système d'admission libre2. » Toujours selon Dennison, « o n a constaté
Dès le début, le North Island College a répondu qu'en Colombie-Britannique une collectivité
à cette conception d u collège communautaire. de 50 000 personnes au moins peut entretenir
L a création des collèges d e Northwest, u n collège, éventuellement réparti sur plusieurs
Northern Lights, East Kootenay et North campus 4 ».
Island en mai 1975, a porté à quatorze le nombre E n 1975, dans toute la région desservie par le
des collèges communautaires en Colombie- nouveau collège, c'était la C o m o x Valley qui
Britannique. Cela faisait dix ans que ce genre de était l'endroit le plus peuplé quoiqu'il n e
collèges existait, le premier ayant été ouvert comptât que 29 000 habitants5. Il est évident
en 1965. A u cours de cette période, ces collèges que, selon le critère susmentionné, aucun col-
avaient eu le temps d'interpréter à leur manière lège traditionnel n'aurait p u subsister dans de
la notion de collège communautaire. telles conditions. L e comité consultatif s'en
Dans The community college concept and its était bien rendu compte et sa recommandation
application topostsecondary education in Australia selon laquelle il fallait éviter de créer un établis-
[La notion de collège communautaire et son sement central et de suivre les pratiques d'en-
application dans l'enseignement postsecondaire seignement traditionnelles signifiait que, tout en
en Australie], John Dennison avait relevé pour présentant les m ê m e s caractéristiques que les
ce genre d'établissement les caractéristiques autres collèges de la province, celui de North
suivantes : Island n'en aurait probablement pas l'appa-

380
Tendances et cas

rence. D e toute évidence, le North Island la direction d'un professeur. C o m m e méthodes


College devrait s'adapter aux circonstances s'il didactiques, on peut citer les différentes sortes
voulait survivre. d'études par soi-même c o m m e l'enseignement
programmé, l'instruction automatisée, l'ensei-
gnement modulaire autocontrôlé et la « pé-
Enseignement ouvert dagogie de la maîtrise » ; les moyens utilisés
peuvent être écrits, parlés, visuels ou tout sim-
« A u cours des dix dernières années, on s'est de plement concrets. L e professeur représente
plus en plus intéressé, dans l'enseignement l'élément humain de l'enseignement. Dans u n
postsecondaire, au système des études 'ouvertes', système d'enseignement ouvert, la technologie
plus souple que celui des études régulières à éducative joue u n rôle de liaison entre les êtres
temps plein. C e système est destiné à faciliter humains et les moyens matériels.
les études à temps partiel, le téléenseignement C'est grâce à l'étendue du mandat générale-
et l'introduction d'innovations dans le pro- ment attribué aux collèges que le North Island
g r a m m e . Il vise à toucher des groupes plus College peut offrir des services qui vont de
vastes d'adultes et à leur permettre de suivre les l'alphabétisation aux cours de niveau univer-
cours qui les intéressent ou d'acquérir de n o u - sitaire et des cours d'intérêt général à ceux de
velles aptitudes et qualifications. Son but est formation professionnelle. C'est grâce à son
d'aplanir les inégalités sociales ou éducation- système d'études ouvertes qu'il peut les offrir
nelles et d'offrir des possibilités que n'offrent aussi bien à l'épouse d u gardien de phare qu'au
pas les établissements d'enseignement supérieur bûcheron sur son train de bois ou aux ouvriers
traditionnels6. » L e système m ê m e des études de l'usine de pâte à papier.
ouvertes s'inscrit dans u n cadre conceptuel qui
dépasse beaucoup celui de l'innovation concer-
nant la façon d'enseigner. Il est né du besoin de Mise en place du système
moderniser l'enseignement qui s'est abondam-
ment fait sentir au cours des années cinquante L a création d'un collège chargé d'appliquer
et soixante. toutes ces idées a débuté en 1975 par la nomi-
L e système des études ouvertes revêt des nation d'un directeur. Toutefois, u n change-
formes multiples. Toutefois, l'une des mieux ment de gouvernement intervenu en Colombie-
réussies et des plus célèbres reste celle de Britannique en décembre de la m ê m e année
l'Open University of Great Britain. Cette uni- compliqua les choses car le nouveau gouverne-
versité, appliquant l'approche systémique, est en ment suspendit temporairement la poursuite
effet si bien organisée que le système des études des travaux pour se donner le temps d'examiner
ouvertes c o m m e n c e maintenant à s'étendre au le statut des quatre nouveaux collèges c o m m u -
m o n d e entier. nautaires. C e n'est qu'en mai 1976 que le
Sur le plan pratique, on peut dire que, dans collège commença vraiment à exister. Durant
un tel système, aucune restriction n'est imposée l'été, le collège n o m m a une équipe d'adminis-
en matière de lieu, de temps, d'admission et de trateurs centraux et une autre d'administra-
méthodes. L'enseignement peut être dispensé teurs locaux pour commencer à traduire l'idée
de différentes manières : dans des centres, au d'études ouvertes dans les faits. L e rôle de
moyen de travaux dirigés par un professeur, par l'équipe centrale était d'acquérir des ressources
la radio ou la télévision, par des unités mobiles utilisables dans toute la région et de mettre en
ou à l'aide de matériel pédagogique. Les élèves place les moyens ou réseaux permettant de les
utilisent les diverses méthodes existantes sous répartir. L e rôle de l'administrateur local était

381
Tendances et cas

primordial puisqu'il consistait à déterminer les un campus. Il dispose de matériel tel que des
besoins locaux et les ressources nécessaires pour magnétoscopes, des bandes vidéo, des mini-
les satisfaire ainsi que les moyens d'enseigne- laboratoires, des terminaux d'ordinateur, d u
ment adaptés à la région qu'il représentait. Cette matériel de dactylographie, etc., destinés à être
structure s'avérait u n bon m o y e n de concilier utilisés dans le cadre de cours « ouverts », animés
une administration centrale forte et le respect par des équipes d'enseignants spéciaux.
des intérêts locaux. Conformément à la recommandation d u co-
Des collèges furent ouverts à Courtenay, mité consultatif prônant le recours à « des cours
Campbell River, Gold River, Zeballos, Alert tout préparés et des unités mobiles », le per-
Bay et Port Hardy. E n août 1976, le district sonnel d u collège a commencé, en 1976, à
scolaire de Port Alberni ayant décidé de se rechercher, acquérir et adopter les éléments qui
joindre au mouvement, un centre d'études y fut pourraient être utilisés seuls par n'importe
créé. E n mai 1978, l'adhésion d u district sco- quelle personne de la région. Ces éléments
laire de Central Coast amena l'ouverture de étaient choisis en fonction de l'utilité qu'ils
centres à Bella Bella, Bella Coola et Ocean Falls. pouvaient présenter pour u n bûcheron au fin
Conformément à la description de Dennison, fond de sa forêt plutôt que de leur aptitude à
ces établissements étaient tous installés dans des attirer u n nombre suffisant d'élèves dans u n
locaux temporaires ou de location c o m m e d'an- plus grand centre. E n se fondant sur ce principe,
ciennes écoles, des centres commerciaux ou des le North Island College se fixe c o m m e but
immeubles de bureaux. Toutefois, il existe une principal de rendre service aux personnes iso-
différence essentielle entre le système d'orga- lées. Pour lui, la distance est aussi bien sociale
nisation décentralisée d u North Island College que géographique et ce qui est bon pour les
et celui des collèges répartis sur plusieurs camps éloignés de bûcherons l'est aussi pour
campus : le premier ne possède en effet pas de les ouvriers des villes qui travaillent en équipe
grand campus central. Les établissements cons- et ne peuvent toujours assister à u n cours
tituant le collège sont essentiellement tous donné à heure fixe.
égaux entre eux. Cela ne veut pas dire qu'ils le Dès le début de la création d u collège, le
sont nécessairement du point de vue des locaux conseil de ce dernier a trouvé qu'il n'avait pas
et des effectifs, mais chacun possède le m ê m e les moyens de dispenser, selon la formule
genre d'administrateur et peut en principe béné- « ouverte », u n enseignement de haute qualité.
ficier des m ê m e s ressources d u collège. L'utili- Il n'a jamais envisagé n o n plus d'adopter le
sation de ces ressources au sein d'une quel- système des cours par correspondance tradi-
conque collectivité dépend, entre autres choses, tionnels. Il décida donc de rechercher ailleurs
de l'importance numérique de cette collectivité. le meilleur matériel didactique et de concentrer
L e centre de Port Alberni (20 000 habitants) est ses efforts sur l'élaboration d'un enseignement
beaucoup plus grand que celui de Zeballos efficace et décentralisé. C'est grâce aux rapports
(300 habitants) mais l'un et l'autre disposent des qu'il avait établis avec l'Université d'Athabasca
m ê m e s ressources. L a notion de centre n'est pas au printemps 1976 que cette idée put être
censée se limiter aux installations matérielles appliquée. Cette université, située à Edmonton
m ê m e s , mais elle pourrait très bien s'appliquer (Alberta), avait été constituée à titre de projet
à la région desservie par ce centre et par toutes pilote de téléenseignement avant de recevoir le
ses annexes dispersées à l'intérieur de cette statut d'université publique canadienne en
région. Voici l'autre caractéristique essentielle décembre 1975. Plus ou moins inspirée d u m o -
du North Island College : chaque centre est dèle de l'Université ouverte, celle d'Athabasca
conçu c o m m e u n centre d'études, non c o m m e reste quand m ê m e centralisée. Les deux nou-

382
Tendances et cas

veaux établissements décidèrent de collaborer U n exemple particulièrement intéressant de


et créèrent de concert ce qu'on pourrait appeler matériel utilisé dans u n tel contexte, et le seul
le statut « d'étudiant double ». du genre, pense-t-on, qui existe en Amérique
U n étudiant d u North Island College jouis- du Nord, c'est celui d'un modèle réduit de
sant d'un tel statut peut s'inscrire à u n cours à bateau de pêche local,flottantdans un récipient
l'Université d'Athabasca en remplissant deux en plexiglas et construit tout spécialement pour
bulletins d'inscription. Il se trouve donc inscrit faire comprendre de manière claire et concrète
dans les deux établissements à la fois. L'uni- aux pêcheurs les principes de la stabilité des
versité lui fournit le contenu des cours et reste bateaux de pêche au cours d'une séance de trois
seule juge pour l'évaluation des résultats. L e ou quatre heures de travaux pratiques. C e
collège assure le soutien logistique sur place en modèle réduit a été conçu pour être facilement
donnant des conseils, en fournissant l'aide d'un transporté par camionnette ou par bateau et ser-
professeur et en mettant à la disposition de vir dans les séances de travaux pratiques organi-
l'étudiant les ressources d u centre telles que la sées dans les villages de pêcheurs les plus reculés.
bibliothèque, le laboratoire, les installations de
téléenseignement ainsi qu'un lieu pour étudier
et la possibilité d'assister à des réunions d u Unités mobiles d'études
groupe. C e genre de collaboration présente de
gros avantages pour les deux établissements. L e résultat peut-être le plus concret, le plus
Pour le collège, c'est le m o y e n d'offrir à ses extraordinaire et le plus satisfaisant de l'appli-
étudiants des cours de niveau universitaire cation du système des études ouvertes par u n
dûment homologués. Pour l'université, c'est u n collège communautaire est l'utilisation des uni-
m o y e n de répartir ses coûts de production sur tés mobiles d'études. L e comité consultatif
un plus grand nombre de personnes et d'aug- avait bien sûr proposé l'emploi de « cours tout
menter ses effectifs sans s'occuper, puisque c'est préparés et d'unités mobiles », mais on peut dire
la tâche d u collège, d u soutien logistique local. que personne n'avait prévu le succès que rem-
L e North Island College ne s'est pas contenté porterait la combinaison des deux.
des cours de l'Université d'Athabasca ; il a Tout a c o m m e n c é en octobre 1977 avec la
aussi cherché à acquérir des cours à distance mise en circulation d'une unité mobile sur la
dispensés par des organismes plus lointains côte ouest de l'île de Vancouver. L e véhicule
c o m m e l'Open University, la B B C et le Coast- avait été conçu tout spécialement à cet effet et
line Community College. Il ne s'en est pas tenu construit pour voyager dans des chemins diffi-
non plus aux cours théoriques traditionnels, ciles à travers la forêt. Il comprenait aussi u n
mais a essayé de diversifier son enseignement espace réservé au logement d u professeur,
dans le domaine d u travail de bureau, de l'édu- conducteur de l'engin, et il était équipé d'un
cation pour le développement et de la vie matériel varié, par exemple, de magnétoscopes,
communautaire. Souplesse et facilité d'accès de postes de télévision, de magnétophones,
sont aussi deux caractéristiques propres aux d'un système de montage audiovisuel, d'un
programmes de formation professionnelle bien projecteur defilmsfixes,d'une machine à écrire
que celle-ci ne se prête pas toujours à l'étude électrique, de microscopes, de matériel de labo-
par soi-même. Cependant, tous ces programmes ratoire, d'accessoires d'expérimentation à domi-
se présentent sous une forme modulaire et cile, d'un terminal d'ordinateur, d'un radio-
comprennent souvent des séances de travaux téléphone, de meubles classeurs, de sièges et de
pratiques, courtes mais intensives, ou des cours chaises. L e professeur emportait avec lui tout
de brève durée, organisés dans toute la région. u n assortiment de matériel d'auto-instruction

383
Tendances et cas

ou de cours tout préparés dans une série de représente le type m ê m e d u nouveau genre
matières telles que l'éducation pour le dévelop- d'enseignant employé au North Island College.
pement jusqu'au niveau de fin de douzième Celui-ci demande à son personnel de bien
année, des cours sur le travail de bureau c o m m e réfléchir sur le rôle d u professeur qui lui appa-
la dactylographie et la sténographie, des cours raît c o m m e une question importante. Quel est le
d'intérêt communautaire c o m m e l'horticulture, rôle joué par la personne humaine dans l'ensei-
des cours de niveau universitaire (première et gnement, spécialement quand celui-ci repose
deuxième année) sur toute une série de matières sur u n système complexe d'auto-instruction ?
telles que l'informatique, le développement de Dans quelle mesure la présence d'une aide
l'enfant et l'écologie, ainsi que des cours essen- locale est-elle indispensable ? C o m m e n t le col-
tiellement pratiques c o m m e l'électronique. Il lège peut-il assurer u n service de direction
était impossible de déterminer quelle allait être d'études qui suppose un personnel enseignant
la demande de la population au début mais allant d u « généraliste » local au professeur spé-
presque tout trouva rapidement preneur. Les cialisé dans une matière ?
élèves venaient seuls mais on sentait souvent L e véhicule se rend à sa destination u n jour
qu'ils étaient prêts à faire d u prosélytisme. E n par semaine. Les élèves viennent sur rendez-
peu de temps, ils furent une bonne cinquan- vous et rencontrent donc chacun leur tour le
taine, suivant u n ou plusieurs des vingt cours professeur. U n tel système s'est révélé des plus
offerts. C o m m e n t une seule personne pouvait- motivants, car le professeur joue u n rôle capital
elle accomplir une telle tâche ? Parce que, dans en matière d'orientation. Sa rencontre hebdo-
un enseignement reposant sur l'emploi de madaire permet aux élèves de trouver leur
matériel d'auto-instruction, le rôle du professeur rythme de travail et d'apprendre peu à peu à
n'est plus le m ê m e . étudier par eux-mêmes.
L e contenu de chaque cours offert par l'unité L'unité mobile apparaît c o m m e une repré-
mobile est transmis par le matériel pédagogique. sentation à l'échelle réduite d u North Island
L a plupart des cours sont fondés sur le principe College. Dans les centres plus importants rat-
de la maîtrise des connaissances et utilisent des tachés au collège, toutes ces activités et d'autres
textes écrits, des bandes enregistrées ou la encore sont à la charge d'autres professeurs qui
télévision. L e professeur responsable de l'unité remplissent toutes sortes de fonctions diffé-
mobile n'a pas à juger le travail des élèves, sauf rentes tant pédagogiques qu'administratives en
dans sa propre discipline. C e sont les autres m ê m e temps qu'ils jouent u n rôle essentiel sur
professeurs disséminés dans la région qui sont le plan humain, rôle de motivation, d'orienta-
chargés de le faire dans les matières qu'ils tion et de catalyse. L e North Island College
enseignent. Il doit par contre faire comprendre essaie de s'intéresser à chaque cas individuel.
aux étudiants ce qu'on attend d'eux et les aider Toutefois, ce microcosme qu'est l'unité m o -
dans leurs études. Il doit fixer l'examen à u n bile présente une caractéristique bien parti-
m o m e n t qui convient à l'élève, surveiller les culière. C e véhicule en forme de camping-car
épreuves, les faire corriger puis les remettre à n'a manifestement rien du campus universitaire.
l'élève. Grâce à l'étroite collaboration qu'il Voyageant par tous les temps, il apporte chaque
entretient avec les autres professeurs, il peut semaine une « présence » qui enlève toute idée
expliquer aux étudiants les appréciations por- de comparaison possible avec une école par
tées sur leur travail. Il prend note de leurs pro- correspondance. C'est lui peut-être qui illustre
blèmes et de leurs idées et sait à qui s'adresser le mieux la tâche que s'est fixée le North Island
en cas de besoin. College : donner à chacun, où qu'il soit et quel
L e professeur responsable d'une unité mobile qu'il soit, la possibilité de s'instruire.

384
Tendances et cas

Résultats système à répondre aux caprices et aux exigences


de la vie contemporaine. Les élèves doivent être
L'efficacité en matière d'éducation est une laissés libres d'entamer et d'arrêter leurs études
question difficile qu'on évite souvent d'aborder. à leur guise.
C'est au contraire un point dont on se préoccupe Maintenir une telle souplesse impose toute-
quotidiennement au North Island College. Dans fois une lourde responsabilité au personnel d u
un système d'études ouvertes, il n'y a guère collège, aux directeurs de centre et à l'ensei-
d'indice matériel de l'efficacité d u collège : les gnant local. Avec un tel système, il ne suffit plus
étudiants restant chez eux, il n'est pas possible de comptabiliser les inscriptions en septembre
de « voir » l'effectif qu'ils constituent. Aussi et les sorties en décembre ou en mai. Les
met-on l'accent sur la progression et la parti- inscriptions sont continues c o m m e le sont les
cipation continues de l'élève et l'enregistrement progrès. Il faut vérifier régulièrement où l'élève
des résultats : notes des devoirs et des examens, en est. Les abandons en cours d'études ne sont
cours suivis et diplômes reçus. pas faciles à mesurer car leurs causes sont aussi
Pour ce qui est de savoir dans quelle mesure diverses que les problèmes humains qui influent
le collège dessert convenablement les collecti- sur la motivation et l'intérêt de l'élève.
vités de la région qui lui est assignée, c o m m e le O n peut dire que les trois premières années
prévoit son mandat, les statistiques de ses d'existence d u North Island College se soldent
effectifs donnent une idée approximative d u par u n succès d u point de vue d u degré de
degré de participation des étudiants et de leur participation et de réussite enregistré au niveau
répartition au sein de la région. de chaque élève et de celui de la participation
L e North Island College, qui s'est ouvert à la de toute la région à u n m o d e d'enseignement
fin de 1975, est encore dans sa phase de crois- jusque-là inexistant. Cela ne veut pas dire que
sance. Le nombre de ses élèves est passé de 324 les problèmes sur le plan de l'enseignement et
en 1975 à 2 327 en 1978. N o n seulement les du fonctionnement du collège sont tous résolus.
effectifs n'accusent aucune tendance à décroître, C e n'est pas ce que le présent article essaie de
mais l'application d u principe des études ou- démontrer. Il ne vise qu'à décrire u n m o y e n
vertes fait que la croissance échappe aux d'offrir des possibilités de s'instruire à u n très
contraintes habituelles de temps, de lieu et de grand nombre de personnes de tout genre.
personnel disponible. Grâce à la souplesse de
son système, le North Island College touche le
vaste marché des adultes désireux de suivre des Notes
cours à temps partiel. 1. Rapport du Comité consultatif régional, p . 62.
2. ROUECHE, John E. ; HERRSCHER, Barton R . ; BABER,
Dans u n système vraiment « ouvert », il n'est George A . , Time as the variable, achievement as the
plus nécessaire de mesurer le succès ou l'échec constant: competency-based instruction in the Community
College, « Horizons Issues », Monograph Series, E R I C ,
de manière purement institutionnelle, c o m m e
19763 P- i-
l'accomplissement d'un semestre de travail. Si 3. D E N N I S O N , John, « The community college concept
les cours sont organisés de façon modulaire et si and its application to post-secondary education in
le principe de la maîtrise des connaissances est Australia », Report to Dr R. T. Fitzgerald, commissioner
(education) and the Commonwealth commission of enquiry
appliqué en m ê m e temps que celui d u rythme into poverty, Richmond, Victoria, 1974.
de progression choisi par l'élève, la réussite peut 4 . Ibid.
5. Regional Index, British Columbia, Ministry of Economic
se mesurer par le nombre d'unités de valeur Development, Province of B C , 1978, p. 479.
octroyées et par le travail et la participation des 6. M A C K E N Z I E , Norman ; POSTGATE, Richmond ; Scu-
élèves à u n m o m e n t donné dans le temps. Elle PHAM, John. Open learning; systems and problems in
post-secondary education, p . 11, T h e Unesco Press,
peut également se mesurer par l'aptitude d u Paris, 1975.

385
Revue de publications

Profils d'éducateurs

Freinet aujourd'hui

Quelle valeur pouvons-nous accorder aujourd'hui à maîtres de jour en jour plus dévalorisés. L a structure
la pensée et à l'œuvre de Célestin Freinet ? Les faits sociale se hiérarchise de plus en plus et le fossé
pourraient, à eux seuls, se charger de répondre. E n s'élargit entre ceux qui pensent et qui dirigent et
effet, Freinet est encore bien vivant si l'on en juge ceux qui consomment et qu'on endort. C o m m e n t
par la persistance et le dynamisme d u m o u v e m e n t une pensée pédagogique née au contact de la nature
qu'il a créé, m ê m e si l'importance numérique des et dans u n univers social restreint pourrait-elle sur-
adhérents, bien que n o n négligeable, demeure dans vivre dans u n univers urbain isolant et uniformisant ?
les limites d'une marginalité certaine. D e m ê m e , les C o m m e n t une pensée pédagogique, nourrie d u tra-
traces bien visibles de la « pédagogie Freinet » dans vail artisanal, pourrait-elle survivre dans l'univers
les textes officiels qui régissent actuellement l'école des écrans, des claviers et d u travail en miettes ? Et
élémentaire française peuvent, en u n sens, témoigner si elle survit, n'est-ce pas au prix d'une transformation
de cette pérennité. Mais il est clair que des textes si profonde qu'il n'en restera plus finalement que le
officiels ne traduisent pas la réalité dans les classes nom ?
et que des indices nouveaux de contestation, voire de Pour mieux en juger rappelons à grands traits les
reflux, peuvent conduire à penser que ces textes apports fondamentaux de la pédagogie Freinet1.
reflètent plus les idées d'il y a quelques années que C'est, en premier lieu et historiquement, l'impri-
les tendances réelles d u m o m e n t présent. Pour s'en merie à l'école et la correspondance interscolaire.
tenir à la France, on constatera en effet que l'héritage Ces deux techniques résument à elles seules toute
de Freinet est quasi inexistant dans l'enseignement une conception originale de l'enseignement de la
secondaire et que les textes et les institutions qui en langue et s'articulent avec l'ensemble d u travail sco-
portaient le plus nettement la marque viennent de laire. L'enseignement traditionnel de la langue est
disparaître avec les récentes réformes des premiers en effet imitation imposée de la langue écrite adulte,
cycles secondaires (suppression des classes dites de réflexion sur cette langue et application par l'exercice
transition et des instructions qui les régissaient). Si des règles ainsi dégagées et apprises. L e génie de
l'on ajoute à ces faits l'apparition récente, ou plutôt Freinet fut de mettre en relief le caractère artificiel
la réapparition de contestations universitaires viru- de cet enseignement et de réintroduire en classe la
lentes, on peut se demander si nous n'assistons pas langue c o m m e m o y e n vivant de communication. Par
au début d'un déclin inéluctable. Et cela d'autant le texte libre et l'expression personnelle orale ou
plus que le m o u v e m e n t lui-même évolue et tend, par écrite, l'enfant communique à ses condisciples ce
effet dialectique, à se radicaliser en épousant les qu'il a envie de dire. L a classe est ainsi transformée
thèmes contestataires de notre temps : écologie, en lieu d'échange, de communication et d'écoute. L a
critique politique de l'État en particulier. communication à distance par la correspondance
interscolaire et le journal de classe introduisent natu-
L a question est donc posée : doctrine historique
rellement le besoin d'un affinement et d'un travail
ou ferment d'avenir ?
sur les énoncés. L'imprimerie motive et concrétise
Cette interrogation paraîtra d'autant plus légitime
ce travail en lui donnant une signification fonction-
que l'œuvre vive de Freinet se situe entre la guerre
nelle. Cette technique exige en effet l'analyse c o m m e
de 1914 et la guerre de 1945, c'est-à-dire à une époque
une nécessité de la communication. L a correspon-
dont les caractères sociologiques apparaissent de plus
dance et le journal conduisent fonctionnellement à
en plus dépassés. Freinet est né en 1896. Il a vécu
l'étude d u milieu de vie c o m m e contenu de la c o m -
dans une France essentiellement rurale, peuplée
munication. L a lecture devient le m o y e n naturel
d'écoles solidement implantées dans leur milieu na-
de cette communication à distance, amorçant le
turel. N o u s vivons aujourd'hui dans u n univers
glissement vers la lecture des textes imprimés et
urbain massé et socialement déstructuré. L a nature
ce, dans tous ses registres, instrumentaux ou
est objet de spectacle ou de désir d'évasion. Les en-
esthétiques. L'expression plastique emprunte les
fants passent plus de temps devant l'écran de télé-
m ê m e s canaux.
vision qu'à l'école. L a télématique s'annonce qui,
selon certains, détrônera tôt o u tard l'école et ses L e second apport est déjà, en u n sens, une théorie

387
Perspectives, vol. X , n° 3, 1980
Revue de publications

générale de l'apprentissage présente dans l'impri- théoriser, Pisomorphisme indispensable entre la pra-
merie et la communication interscolaire. N o u s vou- tique des élèves et celle des maîtres. L e « m o u v e m e n t
lons parler d u « tâtonnement expérimental » qui Freinet » est u n m o u v e m e n t coopératif. C'est la
évoque certes, de façon prioritaire, l'étude de la mise en c o m m u n volontaire des réflexions, des pro-
nature et le travail manuel mais qui explique et ductions, des luttes qui constituent autour de Freinet
justifie la conception de l'ensemble des apprentis- la réalité de son m o u v e m e n t . L a Coopérative d'ensei-
sages y compris ceux de la langue. L'enfant appre- gnement laïc ( C E L ) c o m m e instrument de production
nant, c o m m e l'adulte, ne peut progresser que dans et de diffusion de la documentation et d u matériel
la mesure où la conquête du savoir o u du savoir-faire est la matérialisation de cette réalité sociale. Mais,
suit la voie d'essais et d'erreurs régulés par la cons- ce faisant, Freinet montrait par l'action ce que peut
cience prise des conditions d u succès ou de l'échec. la volonté c o m m u n e des maîtres dans u n système
U n savoir verbal imposé n'est pas u n savoir, pas hiérarchique isolant l'individu face à l'inspection.
plus que la connaissance verbale des règles d'une C'est finalement la constitution d'un autre pouvoir
conduite n'entraîne la maîtrise de cette conduite. pédagogique face au pouvoir officiel qui caractérise
C'est pourquoi le maître ne dira pas le savoir o u ne l'école coopérative d u m o u v e m e n t Freinet, c o m m e ,
se substituera pas à l'élève dans l'action. Il devra dans la classe, le pouvoir est transféré dans la mesure
créer les conditions d'une activité personnelle de du possible, au niveau des élèves. Mais c'est aussi la
l'élève cherchant à résoudre ses propres problèmes, démonstration de la capacité novatrice d'un tel m o u -
qu'il s'agisse de ses étonnements, de ses besoins vement et de son aptitude à créer les conditions d u
pratiques ou de ses besoins de communication. L e progrès en pédagogie. C'est la preuve, par l'action,
besoin de comprendre les textes conduira ainsi l'élève alors que les textes officiels sont incapables de pro-
à essayer le décodage de l'écrit, à organiser les énon- mouvoir l'innovation, que la libre association des
cés par une reconnaissance intuitive des similitudes, praticiens possède u n dynamisme créateur et démul-
à découvrir les correspondances et les différences. tiplicateur.
L e besoin de comprendre les phénomènes naturels Mais de semblables techniques et de semblables
le conduira à émettre des hypothèses et à en chercher institutions ne seraient pas sans la philosophie, ou
la vérification par l'instauration d'expériences et la si l'on veut, la foi qui les anime. L a pédagogie Freinet
discussion avec ses pairs. L e recours à la documen- n'est pas seulement un ensemble de techniques d'en-
tation écrite o u visuelle viendra en appoint fonction- seignement. C o m m e le disait Freinet lui-même, c'est
nel de ces interrogations et l'usage de la bibliothèque u n ensemble de « techniques de vie ». Cette formule
ou de la vidéothèque s'insérera naturellement dans exprime à sa manière l'idée fondamentale d'une
ce m o u v e m e n t vers la connaissance. méfiance à l'égard de tout ce qui est formel (scolas-
L e troisième apport, lieu nécessaire d'exercice tique c o m m e il disait), de tout ce qui est contraint et
d'une telle pédagogie, est l'école coopérative. D e s artificiel, et d'une confiance reconnaissante en la
apprentissages tels qu'ils viennent d'être décrits exi- nature. L e rousseauisme ici n'est pas loin. Mais aussi
gent une école devenue lieu de vie par opposition à la présence d'une sagesse paysanne : celle qui résulte
l'école classique, lieu d'imposition d u savoir. L e du contact permanent avec la nature, qui croit aux
besoin de s'exprimer ne va pas sans l'écoute ; le vertus du travail bien fait, qui se nourrit de la chaleur
besoin de comprendre exige la confrontation des humaine liée aux petites communautés, qui aime
points de vue ; le besoin d'agir exige l'action produc- par-dessus tout la liberté avec une certaine fierté
tive c o m m e situation de son accomplissement. Mais puisée dans la droiture, le dévouement, le sérieux.
ces conditions générales définissent également u n C'est aussi l'amour des enfants, le souci de leur
lieu o ù pourront s'exercer et se développer le sens épanouissement et de leur bonheur. Pour bien c o m -
et la capacité des prises de décisions collégiales et prendre les racines affectives d'une telle pédagogie,
de leur exécution. L a classe coopérative est le ber- il faut avoir vécu quelques jours à l'école de Vence,
ceau de la formation civique dans la mesure o ù les dans ce cadre agreste et ensoleillé, au milieu des
activités qui s'y déroulent découlent des initiatives enfants rieurs vivant demi-nus et barbottant dans
propres aux participants, initiatives devenues objec- l'eau claire d'un bassin rustique, ou encore avoir vécu,
tifs c o m m u n s après discussion, délibération et déci- hors vacances bien sûr, dans les montagnes de Haute-
sion collégiale. Mais la coopérative scolaire n'est pas Provence. C'est là que se sont forgés le caractère de
seulement le privilège des élèves. Elle est également l ' h o m m e et son sens profond de l'authenticité et de
le lieu de rencontre, de formation et d'action des la convivialité. O n est loin des écoles urbaines enfer-
maîtres. mées entre quatre m u r s nus, loin des cours bitumées
où se battent, c o m m e une bande de sauvages enragés,
L e génie de Freinet a été, ici également, de bien les enfants enfin libérés de leur immobilité agitée.
comprendre ou plutôt de bien « vivre », avant de le

388
Revue de publications

L a philosophie Freinet, c'est finalement u n certain (la part d u maître) à learning (la part de l'élève)
romantisme qui croit au « Dieu de la nature ». Bergson ne font que systématiser en u n sens les intuitions
et son « élan vital » ont nourri directement et expli- des praticiens des méthodes actives. L e « tâtonnement
citement Ferrière qui fut, pour Freinet, l'initiateur. expérimental » de Freinet est la forme intuitive la
Cette philosophie implicite s'exprime dans ses prises plus achevée d'une conception née d'une telle pra-
de position concernant l'hygiène et les soins, la nour- tique. O r le « tâtonnement expérimental » dit en
riture, son pacifisme, sa convivialité. Elle se reconnaît termes simples ce que les théories modernes de
explicitement également dans Teilhard de Chardin, l'apprentissage disent de façon plus précise et plus
le Bergson de son temps. élaborée2. Certes, la théorie scientifique n'est pas
Ces techniques de vie et cette philosophie sont-elles liée à des à priori philosophiques, o u , d u moins,
encore valables aujourd'hui o u ne sont-elles plus elle ne se présente pas explicitement c o m m e telle.
qu'une survivance, liées à u n univers rural et artisanal Mais la valeur objective d'une théorie ne dépend
révolu ? N'ont-elles plusfinalementde sens que pour pas des conditions particulières de sa naissance. L a
les nostalgiques d'un état de nature mythique, lieu loi de la chute des corps est valable objectivement,
fantasmatique d'un refus névrotique d'inadaptés ? m ê m e si la conception pythagoricienne d u m o n d e
Il ne m a n q u e pas de bons esprits pour l'affirmer, qui l'a inspirée est u n à priori contestable et n o n
d'autant plus que ces contestataires sont plus ou moins démontré.
anarchistes et volontiers opposants politiques des O r quelle est la situation actuelle de l'écolier
pouvoirs établis. D'autant plus également que la apprenant par rapport à cette conception de l'appren-
société technique sécrète spontanément des tech- tissage ? L'enfant, aujourd'hui, passe plus de temps
niques pédagogiques impositives qui conduisent na- devant l'écran de télévision qu'il n'en passe à l'école,
turellement à renforcer la pédagogie traditionnelle. L'univers urbain abstrait où il vit l'éloigné des expé-
Q u ' o n songe à l'enseignement programmé dont la riences fondamentales qui étaient celles d u petit
vogue revient en force par le canal télématique. paysan d'autrefois. L a culture, l'élevage, la captation
Pourtant, nous nous inscrirons en faux contre de des forces élémentaires de l'eau et d u vent, l'expé-
telles affirmations. N o u s pensons au contraire que rience mécanique élémentaire des machines m u e s
Freinet est plus actuel qu'il ne le fut jamais et que par la force animale et la force humaine, les mesures
c'est précisément cette technologisation de notre vie effectives de longueur, de capacité, de volume et de
quotidienne qui donne son sens à des intuitions poids, les relations marchandes quotidiennes avec
géniales qui, de son temps, pouvaient passer, légi- leur cérémonial, tout cela a disparu. L a civilisation
timement, pour une fantaisie gratuite et inutile. technique a supprimé ce cadre de vie. L'écran de
Voici pourquoi. télévision transforme en spectacle le contact avec la
Quels sont en effet, aujourd'hui, face à la révolution nature et les h o m m e s . Les machines électriques et
démographique et technologique de nos sociétés électroniques donnent u n caractère magique à l'ac-
industrielles, les besoins fondamentaux des élèves et tion productrice : il suffit de presser sur u n bouton
des maîtres ? A quelles conditions le système éducatif pour produire instantanément des effets considéra-
peut-il actuellement encore fonctionner ? bles. L'enfant d'aujourd'hui « c o n s o m m e d u concept »
sans s'en apercevoir. O n n'a pas encore pris u n e
U n des objectifs majeurs traditionnellement confiés
mesure pleine des effets produits par ces transfor-
à l'école est d'instruire, c'est-à-dire d'apporter aux
mations. O n pressent qu'une telle civilisation rend
enfants les connaissances et les savoir-faire intel-
de plus en plus fragile l'existence humaine. O n devine
lectuels nécessaires à la compréhension de notre
également que seuls des spécialistes en tout petit
culture. O r les apports de la psychologie génétique
n o m b r e sont déjà à m ê m e de comprendre cet univers
montrent que la pensée abstraite se construit dialec-
dont la masse profite en une consommation passive
tiquement par la constitution de schemes opératoires
et quasi magique.
nés dans la pensée concrète, elle-même tributaire
des conditions de son exercice : l'action d u corps et L e rôle de l'école n'est-il pas désormais, et de plus
de la main agissant pour produire. L a psychologie en plus, d'offrir à l'enfant ces expériences concrètes
scientifique a approfondi en ce sens les intuitions fondamentales que le milieu naturel disposait autour
des praticiens de l'école active. Montessori et K e r - du petit paysan : cultiver, élever, construire des
schensteiner ont nourri la pensée piagétienne, c o m m e machines simples, toutes activités indispensables à
ils ont, à des titres différents, nourri en son temps l'élaboration des schemes opératoires concrets sur
la pensée de Claparède. L a théorie et la pratique lesquels se construit la pensée conceptuelle abstraite ?
de l'éducation fonctionnelle précèdent, accompagnent O n voit par là naître le paradoxe : Freinet voulait
et suivent la psychologie fonctionnelle de l'appren- introduire la vie à l'école en une époque o ù l'école,
tissage. Les conceptions actuelles opposant teaching à tout prendre, pouvait être ce temple « aux m u r s

389
Revue de publications

nus » dont parle Alain. L e savoir pouvait alors se sa pédagogie populaire de la langue devait être une
construire de façon apparemment abstraite, parce qu'il pédagogie de la communication vraie, c'est-à-dire
s'enracinait naturellement sur l'expérience concrète de l'expression personnelle et de l'écoute.
vécue hors de l'école. Et, certes, le passage n'allait Enfin, les études de psycholinguistique mettent
pas de soi entre l'univers pratique des champs ou de plus en plus l'accent sur les « actes de paroles »
de l'atelier et l'univers intellectuel de l'école. Mais ce et les situations d'énonciation. U n apprentissage
passage était en soi possible puisqu'il s'agissait de véritable de la langue ne peut se faire par la seule
récupérer et de transformer cette expérience pratique imitation formelle de la langue d u récit. Cet appren-
spontanée. L e m o u v e m e n t aujourd'hui est inverse : tissage doit résulter d'un fonctionnement en situation
si l'école doit être u n milieu de vie, c'est parce qu'elle de communication vraie. L a description précise de
doit offrir, en propédeutique, ces expériences de ces situations et des canaux langagiers qui permettent
base que l'enfant ne peut plus faire hors de l'école. d'y répondre constitue aujourd'hui l'essentiel des
Les techniques Freinet sont plus que jamais valables, programmes de langue vivante étrangère5. Ils de-
mais elles ont changé de sens en devenant quasi vraient être également la substance d'un apprentis-
obligatoires. sage premier de la langue maternelle. E n ce sens,
Il en va de m ê m e en ce qui concerne la sociabilité. une pédagogie efficace doit multiplier les situations
L a société contemporaine multiplie les canaux de de communication dans le milieu scolaire et ajuster
communication. L'espace et le temps sont supprimés raffinement des moyens de communication à ces
par le téléphone, la télévision, les avions. Et pourtant diverses situations. Freinet n'avait rien dit d'autre
les h o m m e s , et les enfants, n'ont jamais été autant et ces études techniques précises prolongent ses
isolés. L a vie dans les villes juxtapose les individus. intuitions prophétiques.
Il en résulte des besoins accrus de communication, O n trouvera u n second domaine privilégié dans
la recherche de lieux de rencontre qui soient des les développements récents de la didactique de la
lieux de vie communautaire. L à encore Freinet lecture. L a méthode naturelle de lecture est, avec
montre le chemin. L a classe coopérative est lieu de l'imprimerie à l'école, une des premières inventions
vie. Les enfants s'y plaisent parce qu'ils y vivent pédagogiques de Freinet. Elle conjugue de façon
ensemble des projets c o m m u n s . parfaite les deux axes fondamentaux de la c o m m u n i -
Les études contemporaines de didactique appro- cation et d u tâtonnement expérimental. Pour Freinet,
fondissent et systématisent ces intuitions fondamen- le rapport au texte doit être fonctionnel, c'est-à-dire
tales. N o u s en prendrons trois exemples significatifs, correspondre à u n besoin de communiquer, soit qu'il
bien aptes à montrer la fécondité des deux apports s'agisse de faire connaître à distance ce qui nous
principaux de la pédagogie Freinet : la pédagogie de préoccupe (l'écriture) ou de recevoir ce qu'autrui
la communication et la théorie d u « tâtonnement veut nous communiquer (la lecture). L'apprentissage
expérimental ». de la lecture ne saurait donc commencer par la
Les études contemporaines de la didactique des combinatoire vidée de sens. L e B . A . B A traditionnel
langues se sont développées dans plusieurs directions est à proscrire parce qu'il n'est qu'un exercice formel
qui, chacune, approfondissent les intuitions de la vide de sens. L a lecture, d'autre part, est inséparable
pédagogie Freinet. L a description objective des rap- de l'écriture. Plus encore, l'écriture c o m m e désir de
ports maîtres-élèves dans les échanges verbaux inau- communication à distance précède la lecture. L'écrit
gurée aux États-Unis par Flanders, reprise en Europe prend u n sens d'abord pour celui qui le produit
par D e Landsheere, Bayer et Postic montre que la parce qu'il a quelque chose à dire et l'idée que l'écrit
classe est bien le lieu d'organisation et d'imposition rencontré puisse véhiculer u n sens ne peut venir que
formelle que dénonçait Freinet3. L a prise de parole par transfert de cette intuition première. Pourtant
autonome de l'élève y reste rarissime. L a possibilité la maîtrise de l'écrit, c o m m e m o y e n d'émission et
de créativité langagière y est quasi inexistente. Seules m o y e n de réception, passe en français par la combi-
les classes Freinet échappent à cette manière de faire. natoire. L a langue française est à « double articula-
O r ces descriptions sont d'autant plus graves que les tion ». L'enfant doit donc en découvrir le mécanisme.
études de socio-linguistique ont montré le caractère Mais, chez Freinet, cette découverte ne peut être
ségrégatif d'un tel usage formel d u langage4. L ' a b - imposée par une activité de dressage extérieure au
sence de communication vraie conduit les élèves issus besoin de communiquer. Elle doit venir « naturelle-
des classes ouvrières à une exclusion mentale de fait ment » c o m m e une perception tâtonnée des simili-
d'un univers langagier qui leur est totalement étran- tudes à partir des syntagmes signifiants, par une acti-
ger. D e là les échecs scolaires et les évictions. D e là vité de classement progressivement systématisée.
le fonctionnement antidémocratique de l'école. Ici Freinet retrouve ainsi la méthode Decroly mais en
encore, Freinet a été précurseur dans la mesure où l'immergeant dans le flux de communication qui

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Revue de publications

donne son sens premier à l'écrit. Freinet, dans la prises avec le réel. L a notion bachelardienne d'ob-
m ê m e perspective, a profondément transformé l'acti- stacle épistémologique, liée à la génétique de Piaget
vité de lecture courante, en opposant ce qu'il appelait et de Wallon, conduit à justifier le tâtonnement
de façon imagée « la lecture haschich », celle des expérimental de Freinet dans la construction de la
romans et pis, des morceaux choisis de roman, à la pensée scientifique. Celle-ci ne peut pas être trans-
« lecture travail », celle dont on a besoin pour se mise achevée. Elle doit se construire par rectifications
documenter en vue de la connaissance ou de l'action. successives d'intuitions spontanées. L'expérimenta-
La bibliothèque de travail devient le centre de l'activité tion et la discussion sont les vecteurs de tout progrès.
scolaire et conduit à la production coopérative des L a didactique des sciences ne peut se réduire à la
célèbres B T . monstration par l'observation imposée. Elle passe
Ces innovations sont actuellement au cœur des nécessairement par l'étonnement. Et nous pouvons
préoccupations pédagogiques8. L'importance de la témoigner de ce que notre « pédagogie de l'étonne-
lecture fonctionnelle n'est plus à démontrer. Certes, ment » doit à Freinet.
les techniques de lecture rapide et les apports de la Ces quelques exemples confirment donc l'actualité
psycholinguistique, mettant en relief l'importance de Freinet. C'est tout le m o u v e m e n t pédagogique
du mouvement oculaire vecteur de l'anticipation actuel opposant l'apprentissage de l'élève {learning)
sémantique, ont permis d'approfondir les intuitions à l'activité d'enseignement {teaching) qui prolonge
decrolyennes. Mais l'idée de replacer la lecture, des les intuitions d u fondateur de l'école moderne. Les
l'apprentissage, dans u n flux de communication, progrès de la psychologie de l'apprentissage ont
l'idée également d'utiliser la lecture documentaire permis de mieux fonder une pédagogie « fonction-
dans tous les actes de la vie scolaire, tout cela vient en nelle » inaugurée théoriquement par Claparède et
droite ligne de Freinet. L a preuve en est que les B T D e w e y mais créée concrètement et simultanément
restent actuellement en France les éléments privilé- par Ferrière, Decroly et Freinet.
giés des centres documentaires, là où ils existent. Évoquons enfin u n dernier héritage, et n o n le
L'enseignement scientifique actuel offre u n autre moindre : l'exemple que nous montre l'école moderne
exemple de l'actualité de Freinet7. Cet enseignement de processus de formation permanente efficaces.
a été longtemps dominé en France par la « leçon de L e m o u v e m e n t Freinet est avant tout u n lieu de
chose » importée des États-Unis aux temps lointains vie communautaire organisé autour de projets assu-
des fondateurs de l'école publique (1880). L e posi- m é s démocratiquement en c o m m u n . O r l'enseignant
tivisme latent avait ossifié la technique en privilégiant d'aujourd'hui n'a jamais été aussi isolé. L'instituteur
l'observation et le savoir verbal qu'on prétendait en rural était autrefois doublement encadré. Il l'était
tirer sous forme de résumés synthétiques appris par par son insertion dans la c o m m u n a u t é locale. L e
cœur. maître d'école était aussi secrétaire de mairie. Il
Freinet replace l'observation des faits dans son vivait au milieu des paysans dont il était la plupart
cadre naturel : celui d u besoin de comprendre et d u du temps issu. Par ailleurs, il se pensait c o m m e u n
besoin d'agir. L a science n'est pas pour lui u n corps soldat avancé d u savoir. L'école normale dont il
de doctrine tout fait à enseigner mais u n m o u v e m e n t sortait l'avait formé à cet esprit messianique. L a hié-
vers la connaissance objective qu'il convient d'orga- rarchie l'appuyait dans cette « noble » tâche de diffu-
niser. L e point de départ est l'étonnement et le besoin sion de l'instruction et de la démocratie au peuple
de faire partager à autrui son étonnement. L'effort ignorant. L'instituteur aujourd'hui est u n fonction-
d'explication va suivre dans la discussion et la re- naire anonyme et mal payé. Habitant souvent loin
cherche de preuves expérimentales avec invention de son lieu de travail, il ne vit pas dans le milieu o ù
des dispositifs de preuves. Quant à l'étonnement, il il enseigne. Il connaît peu, o u il ignore, les parents
convient d'en créer les occasions dans l'activité m ê m e de ses élèves souvent plus instruits o u plus fortunés
de l'élève agissant dans le cadre scolaire ou extra- que lui. Quant aux déshérités, il les ignore plus
scolaire. Jardinage, élevage, constructions techniques encore, étant complètement étranger à leur milieu.
offrent des occasions d'étonnement sans cesse renou- Par ailleurs, la hiérarchie est devenue lointaine et
velées qu'il convient de saisir et d'exploiter. L'étude impersonnelle. L e grand n o m b r e des maîtres par
du milieu, fécondé par le texte libre et la correspon- circonscription, la multiplicité des tâches adminis-
dance interscolaire, peut être également la source de tratives éloignent l'inspecteur de ses administrés.
cette activité scientifique. D a n s les pays développés, l'éducation nationale n'est
L a didactique actuelle des sciences, ici encore, plus l'Église d u savoir et delà démocratie. Les ensei-
approfondit ces intuitions. L'épistémologie génétique gnants la voient plutôt c o m m e l'administration hostile
a étudié la genèse des concepts scientifiques et a aux mains de dirigeants politiques malveillants. Bref,
montré le cheminement tâtonnant de la pensée aux l'isolement est pour les maîtres u n problème majeur.

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Revue de publications

O r le m o u v e m e n t Freinet offre l'exemple d'une retrouve facilement le discours classique de la péda-


structure souple et efficace capable de rompre cet gogie de l'effort, d u dépassement de la nature par
isolement et cette impuissance. une imposition de culture, de la méfiance à l'égard
Il offre également u n exemple de ce que peut être de tout ce qui est spontané, d u mépris à l'égard
une institution autonome de formation permanente. de la vie de chaque jour dominée par les instincts
L e défaut des organisations classiques de formation de jouissance et de pouvoir. C'est pourquoi le plus
est d'être impositives et de tenir des discours abstraits grand nombre, dans les pays développés, se can-
éloignés des besoins vécus par les participants. L e tonne dans u n hédonisme sceptique et égoïste, cher-
m o u v e m e n t coopératif de l'école moderne reste au chant dans la consommation et le plaisir immédiat
contraire près des maîtres qui en constituent la trame u n « divertissement » à cette absurdité fondamentale
vivante. Les techniques en sont le sujet d'étude et vécue en sourdine et consciemment refoulée. C'est
l'objet de production. L a coopération en est l'insti- pourquoi également les pays moins développés re-
tution. L'engagement personnel des participants en trouvent facilement les voies de la religion d'État
est le moteur affectif. Toutes ces raisons font d'un qui donne à bon compte u n sens à la vie.
m o u v e m e n t c o m m e le m o u v e m e n t Freinet u n m o - Mais entre ces deux extrêmes, le discours de Freinet
dèle pour les actions de développement, que ce soit peut conserver et conserve une valeur certaine. L a
pour les pays développés, par l'isolement et la dere- conscience prise de cette dereliction et de cette fra-
liction que nous avons décrits, ou pour les pays en gilité peut, en u n certain sens, conduire sinon à une
développement où les conditions matérielles exigent vue optimiste d u devenir humain, d u moins à une
des solutions coopératives comparables. philosophie de la convivialité et d u respect de la
C e n'est d'ailleurs pas là le moindre paradoxe que nature qui s'exprime dans les tendances écologistes
de constater l'ambivalence actuelle de l'héritage. L a contemporaines. N o u s l'avons déjà souligné : la
pédagogie Freinet, née dans u n m o n d e rural et arti- pédagogie Freinet est actuellement liée, de près ou
sanal, est d'emblée transposable dans des conditions de loin, à ces mouvements nés de l'angoisse devant
sociologiques similaires. Mais le dépérissement de la fragilité essentielle de l'humanité. N o u s pensons
l'univers qui l'a vu naître n'en fait pas disparaître personnellement qu'il est faux de voir dans ces
pour autant l'actualité. Bien mieux, la société tech- tendances une fuite irréaliste vers u n paradis perdu.
nique en révèle l'irremplaçable richesse parce que
cette pédagogie est la seule qui soit capable de ré-
pondre aux besoins fondamentaux de l'enfant et de L'humanité prend conscience actuellement de ses
l ' h o m m e que l'univers technique ne parvient plus à limites et d u danger de l'exploitation irraisonnée d u
satisfaire. Et c'est pourquoi il est nécessaire, pour capital naturel et humain au profit de la jouissance
terminer, de s'interroger sur la valeur actuelle de la immédiate liée à la possession et au pouvoir. L'idée
philosophie de Freinet qui, on l'a souligné au début, d'un retour aux sources pour redonner vie aux va-
irrigue et justifie l'ensemble de ses techniques. leurs fondamentales de l'amour d'autrui et de la
Si l'on s'en tient aux intuitions fondamentales, on nature par opposition à celle de l'avoir et d u pouvoir
pourra contester l'actualité d u vitalisme optimiste est probablement aujourd'hui la seule issue philo-
qui constitue la philosophie de Freinet. Cette vue sophique possible à la prise de conscience généralisée
d u m o n d e et de l'existence humaine était liée à la de notrefinitudeet de notre fragilité. Q u e ce retour
mystique d u progrès humain. L a persistance des se fonde ou n o n sur une mystique de la destinée
guerres, la connaissance de la misère humaine gé- humaine, peu importe au fond pour l'orientation
néralisée, surtout le sentiment d'absurdité lié à la politique et pédagogique de chaque jour. Car la
connaissance de la fragilité essentielle de la vie pédagogie des « techniques de vie » est bien la seule
humaine et de l'humanité dans son ensemble perdue qui conviemie à une telle prise de conscience et à
dans u n univers infini et incompréhensible, tout cela u n tel retour aux valeurs fondamentales. Rechercher
domine la conscience contemporaine. L'aventure l'épanouissement individuel dans l'activité de l'enfant
spatiale a rendu présente pour tous la vision s o m m e et dans son expérience de la convivialité, développer
toute désespérée d'un Pascal. Il peut en sortir la le respect de l ' h o m m e et de la nature, rechercher le
recherche d'une foi irrationnelle ou quasi mystique progrès de la connaissance dans la coopération, tout
dans la destinée de l ' h o m m e , mais cette foi, à coup cela s'oppose aujourd'hui c o m m e autrefois à la péda-
sûr, n'est pas celle d u vitalisme et d'un monisme gogie sélective et impositive qui convient à la civi-
prophétique. Elle est plutôt retour en force au dua- lisation d u rendement et de l'exploitation forcenée
lisme, à l'idée d'un autre m o n d e accessible aux
de la nature pour la possession des biens et le pouvoir
initiés.
sur les h o m m e s . Mais ce qui pouvait passer pour
S o m m e toute, une telle philosophie traditionnelle rêverie idéaliste il y a cinquante ans est devenu

392
Revue de publications

aujourd'hui la seule issue possible pour la survie Notes


d'une humanité fragile et précieuse. L e choix, autre-
fois esthétique, est devenu nécessité vitale. Freinet, 1. Georges P I A T O N , La pensée pédagogique de Célestin
plus que jamais, nous indique en pédagogie les voies Freinet, Paris, Privat, 1974.
de la raison et du cœur. 2. B . I N H E L D E R ; H . S I N C L A I R ; M . B O V E L , Apprentissage
Louis L E G R A N D et structures de la connaissance, Paris, P U F , 1974.
3. Marcel FosTic, Observation et formation des enseignants,
Professeur de sciences de l'éducation
Paris, P U F , 1977.
à l'Université Louis-Pasteur, 4. Basil BERNSTEIN, Langage et classes sociales, traduction
Strasbourg (France) française, Paris, Éditions de Minuit, 1975.
5. John Richard S E A R L E , Les actes de langage, Paris,
Hermann, 1972.
6. Apprentissage et pratique de la lecture à l'école, Actes
du colloque de Paris, 13-14 juin 1979, Paris, C N D P .
7. Quelle éducation scientifique pour quelle société ? Paris,
P U F , 1978.

Christopher J E N C K S , L'inégalité. Influence de la famille et de l'école en Amérique, Paris,


Presses universitaires de France, 1979.

M o h a m e d C H E R K A O U I , Les paradoxes de la réussite scolaire, Paris, Presses universitaires


de France, 1979.

Certains livres vieillissent en prenant de la respecta- contesté par certains sur le plan méthodologique : les
bilité, de l'honorabilité et de l'attrait, après avoir techniques d'analyse étaient suspectes, les données
soulevé des interrogations et des doutes au m o m e n t n'étaient pas correctement traitées ; d'autres consi-
de leur parution. C'est u n peu l'impression que déraient que, à supposer que les conclusions fussent
donne l'ouvrage L'inégalité. Influence de la famille valables pour les États-Unis, elles étaient contestables
et de l'école en Amérique à qui le lira en 1980 (en pour les pays en développement, jetant indirectement
français) après l'avoir lu en 1972 dans sa version u n doute sur la valeur scientifique de ces recherches
originale. menées à Harvard.
A u m o m e n t de la parution aux États-Unis de l'ou- Huit ans plus tard, que constate-t-on ? L'ouvrage
vrage de Christopher Jencks et de son équipe, les de Jencks est devenu une véritable référence dans les
chercheurs américains se partageaient en partisans de sciences de l'éducation ; la robustesse de certains
deux thèses diamétralement opposées sur le rôle de résultats et conclusions se mesure par la résistance
l'école dans la réduction des inégalités ; les uns, s'ins- qu'elles semblent offrir à l'épreuve d u temps. O n ne
pirant des travaux pionniers de Coleman (1966) sur peut donc que saluer cette initiative de faire paraître
la fonction de production en éducation, considéraient l'ouvrage en français, le rendant accessible aux lec-
que non seulement l'école c o m m e institution de for- teurs francophones.
mation fonctionne de manière inefficace, mais qu'elle D a n s u n article c o m m e celui-ci, il est évidemment
permet le maintien et la reproduction des inégalités ; exclu d'analyser en profondeur et de façon exhaustive
les autres, confiants inébranlables dans l'idéologie le contenu de L'inégalité. O n se contentera d'une
égalitariste, imputaient au contraire à l'école u n rôle brève présentation de la thèse de Jencks et d'un
important dans les stratégies de lutte contre les inéga- rappel de certaines critiques qu'elle a soulevées.
lités. Jencks, après trois années de séminaires, de Pour commencer, l'auteur constate que l'accès aux
recherches et d'analyses nouvelles des données statis- ressources scolaires est inégal (même en France où
tiques utilisées par Coleman, concluait en fait qu'il y a l'école unique est dans la loi depuis des décennies,
des grains de vérité dans chacune des thèses en l'étude de la carte scolaire montre que, dans les faits,
présence, s'appuyant sur les résultats de ses travaux, les écoles dans certains quartiers sont mieux loties
d'ailleurs pour partie contradictoires et sans doute en que les écoles situées dans d'autres). E n outre, l'utili-
raison de la composition idéologiquement hétérogène sation des ressources scolaires se fait en faveur des
de son équipe de recherche. L'ouvrage fit beaucoup couches socio-économiques avantagées. Ces résultats,
de bruit, mécontentant tout le m o n d e . Inequality fut admis généralement, ne permettent cependant pas de

393
Revue de publications

répondre à la question : est-ce que la liberté laissée sa thèse, Jencks montre d'une part que si les diplômes
aux élèves de fréquenter l'école de leur choix élimi- d'éducation influencent les professions vers lesquelles
nerait l'inégalité ? Autrement dit, la suppression des se dirigent les individus, ils n'ont cependant pas
aires de recrutement des établissements d'enseigne- beaucoup d'influence sur les revenus à l'intérieur
m e n t est-elle u n m o y e n d'égalisation des chances ? d'une profession donnée, si bien que l'impact global
O n peut en douter à en croire l'expérience française sur le revenu est modéré. D'autre part, le milieu
récente dans le domaine de l'enseignement supérieur. familial et les connaissances influent d'une certaine
C o m m e on peut douter de l'affirmation de Jencks que manière sur la profession d'un individu et sur son
« le système d u choix defilièreen vigueur est davan- revenu, mais leur influence globale sur le revenu reste
tage influencé par les désirs des élèves que par toute modérée. E n dernier lieu, les facteurs génétiques,
autre chose », appuyée par l'argument qui nous malgré leurs effets sur le Q I , ont peu d'influence sur
semble spécieux : « Il n'est pas plus onéreux d'avoir le revenu. « A u total, nous estimons, écrit Jencks,
un élève dans lafilièreconduisant à l'université que qu'il y a presque autant d'écarts de revenu parmi les
dans la filière générale et moins coûteux que de h o m m e s provenant de familles semblables, ayant des
l'avoir dans unefilièretechnique. » diplômes et des résultats aux tests équivalents, que
Abordant ensuite le problème de l'inégalité de parmi l'ensemble des h o m m e s . » L e corollaire de cette
répartition des connaissances mesurée par les tests affirmation est qu'il faut cesser d'évaluer l'éducation
normalisés, Jencks ne craint pas d'affirmer que en termes de ses effets à long terme sur les jeunes,
l'inégalité génétique aussi bien que l'inégalité d u effets qui paraissent être relativement uniformes ; et
milieu jouent u n rôle majeur dans la formation de en conséquence rejeter la tentation de justifier l'égali-
l'inégalité des connaissances renvoyant ainsi dos à dos sation des conditions d'enseignement par l'objectif
les théoriciens de l'hérédité (Herrnstein), ceux de la d'égalisation des conditions d'emploi et de revenu.
culture (Moynihan), c o m m e ceux de l'école libéra- A en juger par les résultats, la seule justification de
trice (Dewey). « A u c u n e observation ne nous a amenés l'élimination des différences entre établissements
à conclure que les différences entre les écoles contri- d'enseignement serait de rendre égale la qualité de vie
buaient de manière significative à l'inégalité des des parents et des enseignants ; ce qui n'est pas
connaissances. » O n connaît, depuis, d'autres études, négligeable quand on pense qu'un grand nombre
surtout dans le contexte des pays d'Amérique latine, d'individus passe au moins le cinquième de son
qui contredisent cette dernière affirmation ; c o m m e existence sur le banc de l'école.
elles contredisent un autre résultat de la recherche de S'il y a des avantages à tenir ce discours, il y a
Harvard : « Les différences entre écoles jouent un rôle également quelques limites. E n effet, considérer la
très modeste dans la détermination de la scolarité scolarité c o m m e une fin en soi, plutôt que c o m m e u n
finalement obtenue par les individus. » L'ouvrage de m o y e n vers une autre fin (égalisation des revenus) est
Cherkaoui, analysé plus loin, rejette également cette un sain retour au principe du droit à l'éducation et u n
affirmation. rejet de l'êconomisme et de l'idéologie des théoriciens
Si les diplômes sont distribués de manière inégale, du capital humain. O n ne peut qu'adhérer à la
c'est plus en raison des inégalités des milieux socio- conclusion de l'auteur quand il affirme que le meil-
économiques des élèves que celles de leur quotient leur m o y e n d'égaliser la compétence est d'en faire u n
intellectuel. C e résultat, aujourd'hui quasi unanime- objectif explicite de politique sociale et d'encourager
ment admis, impliquait une révision sérieuse des h y - les employeurs à réorganiser le travail ayant cet
pothèses sous-jacentes à 1' « idéologie des aptitudes ». objectif à l'esprit. L a rotation des emplois et l'enri-
L a partie centrale de la thèse de Jencks est que chissement des tâches pourraient probablement aider
« l'élimination des différences de niveau scolaire entre à égaliser certains types de compétence... Si l'on
les individus ne contribuerait que faiblement à les désire rendre égale la répartition des revenus, il est
rendre plus égaux entre eux une fois adultes ». C o m m e donc nécessaire d'intervenir plus directement.
le rappelle B o u d o n dans sa préface de l'ouvrage, « en E n revanche, l'inconvénient d u discours est de
effet, o n observe aux États-Unis une diminution postuler implicitement que l'on peut envisager des
importante des inégalités scolaires au cours d u quart changements dans le m o n d e du travail, contribuant à
de siècle postérieur à la seconde guerre mondiale. égaliser les statuts et les revenus, indépendamment
Malgré cela, la distribution des revenus et des statuts des actions que l'on peut envisager au niveau d u
n'est pas devenue plus égale ». L a m ê m e observation système éducatif. C e m e semble être illusoire ; l'école
peut être faite dans plusieurs pays industrialisés et en et le m o n d e du travail sont des institutions du système
développement où l'on a p u m ê m e constater u n e social qui entretiennent entre elles des rapports
détérioration de la courbe de distribution de revenus complexes, de correspondance et de contradictions.
au cours des dernières décennies (Brésil). Pour étayer L'histoire des évolutions des systèmes éducatif et

394
Revue de publications

productif montre que si ces évolutions sont pour aux indicateurs ; les m ê m e s arguments s'appliquent
partie autonomes, elles sont également interdépen- à tout instrument décisionnel. Car, m ê m e si l'on
dantes : u n système éducatif égalitaire n'est pas une arrivait à force de rigueur, d'intransigeance et de
condition suffisante mais u n e condition nécessaire précision, à trouver des « invariants » objectifs et
pour u n système productif plus équitable. universels — ce qui est loin d'être le cas dans cet
L e livre de M . Jencks est clair, facile à lire et ne ouvrage — cela ne suppose pas la moindre consé-
nécessite aucune formation particulière en statis- quence automatique pour les décideurs politiques.
tiques, en économie ou en sociologie de l'éducation. Les « invariants » ne constitueront jamais, fort heu-
Des notes de référence et u n guide introductif simple reusement, qu'un élément dans le tissu complexe des
aux termes statistiques complètent utilement cet o u - facteurs qui interviennent dans la politique de
vrage qui devrait intéresser tout lecteur concerné par l'éducation. L e reste d u chapitre est consacré aux
l'évolution des sciences de l'éducation au cours de la domaines d'application — anthropologie, histoire,
dernière décennie. sociologie — et aux fonctions — test d'hypothèses,
recherche d'invariants et de structures — de la
Tout autres sont le c h a m p et l'ambition de l'ouvrage méthode comparative ainsi qu'à la présentation des
de M o h a m e d Cherkaoui sut Les paradoxes de la réussite données de l'IEA.
scolaire. L'auteur, chercheur au C N R S en France, a L e second chapitre est entièrement consacré au
déjà à son actif u n certain nombre d'études de carac- rapport Coleman et constitue en quelque sorte u n
tère scientifique qui ont fait l'objet de publications. « état des travaux » faits autour du projet I E A . Après
L'ouvrage est en quelque sorte u n « rapport d'acti- avoir présenté le contenu d u rapport, Cherkaoui
vités » ; il résume des analyses et des données de passe en revue les principales critiques et analyses
l'International Project for the Evaluation of E d u - secondaires entreprises depuis une dizaine d'années.
cational Achievement [Association internationale pour C e petit bilan est très utile car cette littérature n'est
l'évaluation d u rendement scolaire (IEA)], dans le pas disponible en français.
but de tester certaines des thèses les plus intéres- Les autres chapitres de l'ouvrage correspondent,
santes sur les processus générateurs des inégalités en quelque sorte, à la contribution originale de l'au-
dans le domaine éducatif. Cherkaoui se donne pour teur. L e troisième — sur la stratification sociale et la
objectif « d'étudier systématiquement et de la m a - stratification scolaire — vise à tester l'une des conclu-
nière la plus approfondie possible les variations des sions de Coleman (« la classe sociale détermine beau-
effets des classes sociales dans sept systèmes d'en- coup plus efficacement la réussite scolaire que n'im-
seignement, évaluer les poids des variables scolaires porte quelle variable scolaire »), en utilisant des
dans la détermination de la réussite et d u niveau données de plusieurs pays (IEA) et en distinguant
d'aspiration des élèves, tester aussi suivant une orien- entre deux variables scolaires importantes : la section
tation théorique nouvelle et dans un cadre méthodo- et le type d'établissement fréquenté par l'élève. Utili-
logique original, des propositions âprement contro- sant la technique d'analyse de variances, et comparant
versées... ». Vaste p r o g r a m m e ! les données pour la Belgique, le R o y a u m e - U n i , la
L e premier chapitre, très intéressant, mais en France, l'Ecosse, la Suède, la République fédérale
quelque sorte « hors sujet », est consacré à u n e ré- d'Allemagne et les États-Unis, l'auteur arrive à une
flexion sur la méthode comparative utilisée couram- conclusion qu'il reconnaît ne pas pouvoir expliquer
ment dans les sciences sociales. O n peut relever, avec de façon satisfaisante : si, « dans le cas américain, la
étonnement, le rejet par l'auteur de l'utilisation d'in- stratification sociale détermine plus efficacement la
dicateurs c o m m e les taux d'analphabétisme, taux de réussite scolaire que les stratifications scolaires, la
scolarisation, effectifs d'enseignants..., trop rudimen- proposition inverse est cependant vraie pour toutes
taires à son goût pour donner plus qu'une description les sociétés européennes considérées ». Incidemment,
approximative des systèmes d'enseignement ; et, par ce résultat concorde avec les conclusions des travaux
conséquent, susceptibles de conduire les décideurs de Ernesto Schiefelbein sur les pays d'Amérique
politiques à en abuser. Sans doute, mais faut-il latine ; mais les explications fournies par ce dernier
rappeler que, dans beaucoup de pays, la seule infor- — retard des pays, hétérogénéité très forte des condi-
mation disponible est de ce type (ou d'une catégorie tions de scolarisation avec des cas extrêmes jugés en
u n peu plus élaborée) ; faut-il ne rien décider — ce dessous d u m i n i m u m requis pour le fonctionnement
qui revient tout de m ê m e à le faire — en attendant la des établissements d'enseignement acceptables pour
création de matériaux statistiques équivalant à ceux l'Amérique latine — ne paraissent pas entièrement
qu'il a utilisés dans son ouvrage ? A u reste, les convaincantes quand on oppose l'Europe à l'Amérique
arguments de Cherkaoui contre « la rationalité du Nord.
technocratique » ne sont pas appliqués uniquement L e quatrième chapitre s'attaque à l'une des thèses

395
Revue de publications

les mieux acceptées sur les processus d'apprentissage : du modèle. Cependant, note l'auteur, « pour tous les
« Lorsque le n o m b r e d'heures d'enseignement croît, systèmes éducatifs concernés et pour tous les élèves
les chances d'apprendre plus et mieux augmentent issus de la classe ouvrière, au-delà d'un point opti-
et la réussite croit d u m ê m e coup. » Après une cri- mal situé vers la cinquième année, la réussite sco-
tique « facile » des hypothèses implicites d u modèle laire décroît lorsque le n o m b r e d'années d'ensei-
de Carroll et de la pédagogie de maîtrise de Bloom, gnement croît » ; et, pour certaines sections, « comparé
« facile » parce que, selon l'auteur, ces modèles au nombre d'années d'enseignement, le nombre
postulent u n e relation linéaire entre l'apprentissage d'années d'études postsecondaires affecte beaucoup
et le temps 1 et ne tiennent pas compte des contextes moins la réussite scolaire des élèves ». Voilà qui
socio-culturels de l'apprentissage, Cherkaoui rappelle jette u n doute sérieux sur l'hypothèse de rationalité
les nombreuses contributions qui ont souligné l'im- bureaucratique, tout au moins utilisée et adoptée
portance des contraintes sociales sur les processus sans précaution. Car l'auteur ne m a n q u e de conclure,
cognitifs et se propose de tester la complexité de la entre autres, que « la pratique pédagogique est posi-
relation temps d'étude - réussite scolaire en introdui- tivement corrélée avec la réussite » m ê m e si la corré-
sant u n modèle particulièrement intéressant. L a lation s'inverse à partir d'un certain point. (Il est
variable dépendante — la réussite — subit la trans- raisonnable d'admettre qu'après quelques années
formation de B o x et C o x qu'affectionne l'auteur ; les d'activités, les enseignants voient leur efficacité ré-
variables explicatives sont le sexe et le nombre duite par la routinisation de leur comportement.)
d'heures d'enseignement. L e modèle est une régres- Notons que les résultats de Cherkaoui ne font que
sion d u second degré qui distingue par classe sociale, corroborer les conclusions d ' u n état des travaux
type d'établissement et section. E n faisant confiance récent produit par H a d d a d et Avalos et qui examine
à l'auteur quant à la justification théorique de la des recherches sur l'efficacité des maîtres entreprises
méthode, et en nous limitant aux seuls résultats en Afrique, en Amérique latine, au Moyen-Orient
obtenus, force est de formuler u n certain nombre de et en Asie3. L e chapitre sur 1' « identité scolaire »
remarques. E n premier lieu, on regrettera le caractère n'appelle pas de remarques particulières.
très incomplet de l'information fournie2. E n second
lieu, certes l'augmentation du nombre d'heures d'en- Die Zeit a posé u n jour la question : « Qu'est-ce
seignement ne s'accompagne pas « nécessairement et qu'un b o n livre ? », pour répondre, « u n bon livre
de la m ê m e manière » d'une meilleure réussite ; mais est celui qui vous fait réfléchir et vous conduit à
qui a prétendu le contraire ? M ê m e les plus chauds faire u n choix ». Aussi malgré de nombreux désac-
partisans des pédagogies de soutien savent qu'au-delà cords avec l'auteur, qui portent souvent, il est vrai,
d'un certain nombre d'heures, l'efficacité baisse ; sur des nuances d'interprétation, et tout en déplorant
qu'il n'est m ê m e pas nécessaire de consacrer autant le caractère incomplet de l'information fournie, cet
d'heures (de mathématiques par exemple) que le ouvrage nous paraît-il d'une grande qualité.
programme prévoit uniformément pour tous les
élèves ; qu'il faut « moduler » le soutien selon les Jacques H A L L A K
caractéristiques des élèves et les types d'enseigne- (Unesco)
ment. E n troisième lieu, malgré son intérêt, la thèse
avancée sur 1' « apprentissage négatif » ne nous semble
pas indispensable ; on pourrait par exemple expliquer
le décroissement de la réussite par la fatigue, la
redondance, ou d'autres facteurs aussi simples et qui
Notes
restent valides pour tous les enfants quelles que soient
la classe sociale et la section d'enseignement. i. U n e lecture attentive des travaux de Carroll et une
discussion serrée que nous avons eue en 1974 avec
L e cinquième chapitre aborde le rôle d u maître Bloom suggèrent qu'il s'agit là d'un « mauvais procès ».
c o m m e centre des déterminations de la réussite L a linéarité n'a jamais à notre connaissance été expli-
scolaire et plus particulièrement étudie l'hypothèse citement postulée par Bloom, qui a, en revanche,
de « rationalité bureaucratique » selon laquelle la omis de distinguer selon les classes sociales.
compétence scientifique et la maîtrise pédagogique 2. E n page 126, l'auteur se réfère aux résultats des calculs
influent positivement sur la réussite scolaire. E n uti- qui n'apparaissent pas dans l'ouvrage, comment dès
lisant la m ê m e technique statistique (transformation lors suivre le raisonnement? ; de m ê m e , en page 127
de B o x et C o x , régression n o n linéaire, distinction l'auteur se réfère à la courbe pour la classe des profes-
sions idéologiques non publiée...
par classes et section), l'auteur « teste » l'hypothèse
3. Voir A reView of teacher effectiveness research in Africa,
sur les sept systèmes éducatifs considérés : la c o m - India, Latin America, Middle East, Malaysia, Philip-
plexité des résultats obtenus est à la hauteur de celle pines and Thailand, I D R C — M R 10, novembre 1979.

396
Revue de publications

H . H I N Z E N et V . H . R U N D S D O R F E R (dir. publ.). Education for liberation and develop-


ment: The Tanzanian experience, Londres et Ibadan, Institut de l'éducation de l'Unesco
et Evans Bros, Ltd, 1979, 366 p .

B . C . S A N Y A L et M . T. K I N U N D A , Higher education for self-reliance: The Tanzanian


experience, Paris, Institut international de planification de l'éducation, 1977, 4 T 5 P-

C o m m e l'indiquent leurs sous-titres qui sont iden- ce livre semble destiné à devenir pour les chercheurs
tiques, ces ouvrages traitent moins de la théorie de la c o m m e pour les praticiens u n important ouvrage de
politique originale de la République-Unie de Tanza- référence sur la révolution tanzanienne dans le d o -
nie de l'éducation pour Pautosuffisance sur laquelle maine de l'éducation, et cela aussi bien au niveau
existe déjà une abondante documentation, que de son national qu'au niveau international (raison pour
application sur le plan pratique. Ils ont également laquelle il faut espérer qu'il sera traduit). Ses pages
ceci de c o m m u n qu'ils sont inspirés par u n esprit constituent la chronique d'une série de succès obte-
de critique constructive. Mais alors que Sanyal et nus depuis 1967, date à laquelle fut adoptée la
Kinunda font essentiellement porter leur réflexion politique d'autosuffisance dans le triple but : a) de
sur la dialectique université-économie, essentielle faire de l'éducation un instrument de libération et de
dans u n pays pauvre désireux de se suffire rapide- démocratisation ; 6) de rattacher l'éducation aux
ment par lui-même à ses besoins en personnel de réalités de la vie, d u travail et de la culture ; c) de
haut niveau, Hinzen et Rundsdorfer nous offrent mettre sur pied de multiples possibilités d'éducation
une description et une analyse d'ensemble que nous permanente.
attendions depuis longtemps sur la manière dont Parmi ces succès dont il est rendu compte, nous
l'éducation pour l'autosuffisance est passée d u d o - citerons : l'action m e n é e en faveur de l'éducation
maine de l'intention à celui des faits. primaire universelle (augmentation des effectifs des
L a première de ces deux publications Education for écoles publiques de 75 % entre 1967 et 1975) ; la
liberation and development comprend des contributions campagne d'alphabétisation des adultes (baisse d u
de vingt-deux auteurs, la plupart tanzaniens, dont taux d'analphabétisme de 75 % à 39 % environ
beaucoup avaient été écrites pour Perspectives. C o u - durant la m ê m e période) ; l'abolition des frais de
vrant tous les niveaux de l'éducation scolaire ainsi scolarité ; la « localisation » des programmes, des
que la plupart des types de programme non scolaires examens, d u personnel enseignant et, au niveau
qui existaient en Tanzanie au milieu des années primaire d u moins, de la langue d'enseignement ;
soixante-dix, elle traite à la fois d u fonctionnement l'introduction de travail pratique à caractère pro-
du système et des sous-systèmes d'éducation et de ductif c o m m e l'agriculture et le petit artisanat en
leurs problèmes internes ainsi que des relations, tant qu'éléments de l'éducation de tous les élèves
d'une importance capitale, entre l'éducation d'une et de tous les étudiants ; l'organisation de campagnes
part et la société, l'idéologie et le développement d'éducation des masses par radio (dont une a atteint
tanzaniens d'autre part. deux millions d'auditeurs-élèves organisés en grou-
C o m m e tout ouvrage, celui-ci a ses lacunes et ses pes) ; le développement d u téléenseignement par
imperfections. Il est regrettable par exemple que correspondance (les inscriptions aux programmes de
F . L . M b u n d a n'ait disposé que de huit pages et l'Institution nationale d'enseignement par corres-
demie pour décrire l'évolution très importante mais pondance sont passées de 368 pour le premier cours
complexe de l'enseignement primaire depuis 1961, en 1972 à 21 000 au milieu de 1976) ; et la trans-
et qu'à l'exception de la section extrêmement inté- formation d'une université « tour d'ivoire » en four-
ressante de M . T . L . Maliyamkono sur « L'école nisseur direct de services intellectuels à la nation
improductive », il ne nous soit offert pratiquement et en une institution éducative contribuant au rem-
aucune analyse économique. O n ne peut aussi que placement d u personnel qualifié expatrié par des
s'étonner de lire des généralisations aussi radicales Tanzaniens qualifiés.
et aussi peu solidement étayées que celle de M . von Education for liberation and development n'est ce-
Preyhold qui prétend que « le Président voit dans pendant pas une apologie exempte de toute critique.
l'éducation des adultes u n instrument de libération Les auteurs dénoncent, preuves à l'appui, u n grand
des masses, mais que la façon dont l'éducation des nombre de défauts graves et persistants qui se sont
adultes a été en fait planifiée et mise en œuvre en manifestés et des erreurs qui ont été commises — dont
Tanzanie semble tout à fait étrangère à cet objectif ». certaines n'ont pas encore été corrigées — dans
E n dépit de ce qui m e paraît être des imperfections, l'application de cette politique d'éducation. Ils font

397
Revue de publications

état, en premier lieu, des problèmes que l'on pourrait de l'apprentissage mental potentiellement très valable
appeler « techniques » : intégration conceptuelle et qui aurait p u être intégré aux termes d'activités
opérationnelle insuffisante entre l'éducation scolaire orientées vers l'autosuffisance. E n fait et contrai-
et n o n formelle ; lenteur de la participation des rement à la politique officielle, ces activités sont sépa-
f e m m e s , en particulier aux niveaux supérieurs ; ten- rées dans les emplois d u temps de l'enseignement des
sion à laquelle se trouvent soumis des enseignants disciplines proprement scolaires, et restent entière-
insuffisamment formés lorsqu'en plus d'avoir à ensei- ment distinctes ».
gner à des classes toujours plus nombreuses, il leur Autre exemple : contrairement à l'objectif officiel
est d e m a n d é de jouer de plus en plus le rôle d'ins- qui est de démocratiser la vie scolaire, la plupart des
tructeurs pour l'alphabétisation et l'éducation géné- établissements secondaires demeurent « des struc-
rale de la c o m m u n a u t é ; taux élevés de déperdition tures d'administration et de contrôle, autoritaires et
dans les cours d'alphabétisation et d'éducation des hiérarchiques », où persiste la stratification au niveau
adultes ; m a n q u e de journaux, de livres et d'autres élèves et au niveau des enseignants, et où le système
matériels complémentaires pour les nouveaux alpha- des préfets et d u fouet est toujours en vigueur. D ' u n e
bétisés ; rentabilité médiocre des jardins des écoles manière générale, conclut M m e Mbilinyi, l'école
et autres activités productives des élèves et des secondaire « conduit l'élève à travailler en fonction
étudiants (qui n'ont couvert en 1974/75, par exemple, des exigences extérieures et à être motivé par des
qu'environ 2,5 % de la dépense annuelle par élève facteurs extrinsèques, alors que le but est de créer
dans l'enseignement secondaire). une société socialiste où le travailleur sera libéré de
Les auteurs font état d'une autre série de problèmes l'aliénation et où l'on attende de lui qu'il soit intrin-
plus inquiétants que ces difficultés techniques, qui sèquement engagé dans son travail... ».
semblent traduire u n e profonde ambiguïté au sein Sanyal et Kinunda notent u n e ambiguïté corres-
de la société tanzanienne et qui apparaît notamment pondante dans l'attitude des étudiants des universités
dans le domaine de l'éducation. Souvent de manière envers l'emploi. Ils ont exprimé, pour la plupart,
confuse, cette contradiction qui se manifeste aussi leur attachement à des valeurs telles que le service
bien au niveau de l'individu qu'à celui d u groupe du pays, mais « bien que les étudiants (et aussi les
met en opposition d'une part des aspirations, des diplômés) affirment que la rémunération n'est pas
mentalités et des comportements inspirés par ce u n facteur important de la satisfaction dans l'emploi,
type de socialisme libertaire autosuffisant et à orien- il existe u n e corrélation significative entre la popu-
tation rurale qui est propre à la République-Unie larité d'un domaine d'étude et les gains que l'on peut
de Tanzanie, et des aspirations, des mentalités et en attendre... ».
comportements au service au contraire d'un m o - Hinzen, l'un des corédacteurs de Education for
dèle de développement néo-libéral à orientation liberation and development, arrive à une conclusion
urbaine que l'on rencontre dans plusieurs autres pays mitigée dans sa section d'introduction sur les « A s -
d'Afrique. pects de la conception et de la mise en œuvre » :
Les différents aspects de cette contradiction ap- « Les objectifs et le contenu de l'éducation en vue de
paraissent tout au long de l'ouvrage — mais l'autosuffisance et de la libération... et tous les prin-
M m e M . Mbilinyi les expose avec une intelligence cipes qui découlent de cette politique, visent à amener
remarquable dans son étude sur « L'éducation se- les enfants à refuser une certaine réalité [présocia-
condaire ». E n 1971, les examens de conception liste], qui a socialisé et socialise encore les jeunes
étrangère ont été remplacés par des examens natio- souvent au travers des aspirations m ê m e s de leurs
naux. « Cependant, les examens sont restés marqués parents. L a question est de savoir si cette « contre-
par u n esprit 'livresque', faisant appel davantage à la éducation » et cette « contre-action » sont possibles
mémoire qu'à la faculté de résoudre des problèmes dans les conditions actuelles... »
et à la pensée créatrice », ce qui est à l'opposé d u
socialisme de l'autosuffisance. D e m ê m e , le travail Athur G I L L E T T E
productif est devenu l'une des caractéristiques de Division de la jeunesse,
tout l'enseignement secondaire, mais il « reste coupé Unesco

398
Avis au lecteur
L'article du professeur Hans Freudenthal intitulé « Mathématiques
nouvelles ou nouvelle éducation ? » (vol. IX, n" 3,1979, p. 339-350)
était une version abrégée (texte et illustrations), par les soins ¿le la
Rédaction, de Voriginal proposé par Vauteur. M . Freudenthal nous prie
d'informer les lecteurs que le texte intégral de son article intéresserait
de lui écrire directement à : I O W O , Tiberdreef 4, Utrecht/Overvecht,
Pays-Bas. (LR)
L'ouvrage est centré sur les dix premières années
L'éducation de la vie. Il cherche à identifier les valeurs qui
devraient être maintenues, malgré les difficultés
constructive et les frustrations imposées par la société
moderne aux enfants et aux parents. Il souligne
des enfants avec insistance l'importance de l'éducation
familiale et préscolaire et les aspects formatifs
du milieu et des méthodes d'enseignement.
par W . D . Wall

1979 348 p. 54 F

U n des buts de ce livre est d'amener le lecteur


L e droit à une vaste et profonde prise de conscience
de toutes les difficultés inhérentes à l'exercice
de l'enfant à du droit de l'enfant à l'éducation et à la mise
en œuvre de ce droit. Si l'écart est encore très
l'éducation grand entre ce qui se fait et ce qui pourrait être
fait, les idées, toutefois, ne manquent pas et des
sous la direction de solutions réalisables pourraient être appliquées.
Gaston Mialaret

1979 266 p . 28 F

Voici la troisième version d u manuel dont


Nouveau l'histoire remonte à lafinde la seconde guerre
mondiale. L'ouvrage a connu u n succès considérable
manuel de depuis sa première édition publiée en 1956.
Il a été réimprimé vingt-quatre fois et traduit
PUnesco pour dans trente langues. L a documentation utilisée
par les auteurs d u manuel représente u n
l'enseignement patrimoine c o m m u n aux professeurs de sciences
du m o n d e entier.

des sciences
1979 299 p . 36 F

aresco
Publications de l'Unesco : agents de vente

AFRIQUE D U S U D : Van Schaik's Bookstore (Pty.) C O L O M B I E : Editorial Losada Ltda., calle 18A, n. 03 7-37,
Ltd., Libri Building, Church Street, P . O . Box 724, apartado aéreo 5829, B O G O T Á . Sous-dépôt : Edificio La
PRETORIA. Ceiba, oficina 804, calle 52, n.° 47-28, M E D E L L Í N .
A L B A N I E : N . Sh. Botimeve Nairn Frasheri, T I R A N A . C O N G O : Librairie populaire, B . P . 577, BRAZZAVILLE ;
ALGÉRIE : Institut pédagogique national, 11, rue Ali- Commission nationale congolaise pour l'Unesco,
Haddad (ex-rue Zaâtcha), A L G E R ; Société nationale B . P . 493, BRAZZAVILLE.
d'édition et de diffusion ( S N E D ) , 3, boulevard Zirout C O S T A RICA : Librería Trejos, S.A., apartado 1313, S A N
Youcef, A L G E R . JOSÉ.
A L L E M A G N E (RÉP. F É D . ) : S. Karger G m b H , Karger CÔTE-D'IVOIRE : Centre d'édition et de diffusion africaines,
Buchhandlung, Angerhofstr. 9, Postfach 2, D-8034 B . P . 4541, A B I D J A N P L A T E A U .
C U B A : Ediciones Cubanos, O'Reilly n.° 407, L A H A B A N A .
G E R M E R I N G / M Ü N C H E N . « Le Courrier » (édition alle-
mande seulement) : Colmantstrasse 22, 5300 B O N N . Pour D A N E M A R K : Ejnar Munksgaard Ltd, 6 Norregade, 1165
les cartes scientifiques seulement : G E O Center, Post- K0BENHAVN K .
fach 800830, 7000 STUTTGART 80. E G Y P T E : Unesco Publications Centre, 1 Talaat Harb
ANTILLES FRANÇAISES : Librairie « A u Boul'Mich », 1, rue Street, C A I R O .
Perrinon, et 66, avenue du Parquet, 97200 F O R T - D E - E L S A L V A D O R : Librería Cultural Salvadoreña, S.A., calle
F R A N C E (Martinique). Delgado, n.° 117, apartado postal 2296, S A N S A L V A D O R .
A N T I L L B S NÉERLANDAISES : Van Dorp-Eddine N . V . , P . O . E Q U A T E U R : Périodiques seulement : R A Y D de Publicaciones,
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T T B A ( P R ) ; P . O . Box 1709,30000 B E L O H O R I Z O N T E ( M G ) ,
la Unesco, 3.» avenida 13-30, zona 1, apartado postal 244,
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AMMAN. P.O. Box 729, L A H O R E - 3 -
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RÉPUBLIQUE D E C O R É E : Korean National Commission « Le Courrier » seulement : Svenska FN-Förbundet,
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RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE ALLEMANDE : Librairies in- SUISSE : Europa Verlag, Rämistrasse 5, 8024 ZÜRICH;
ternationales ou Buchhaus Leipzig, Postfach 140, Librairie Payot, 6, rue Grenus, 1211 GENÈVE II.
701 LEIPZIG. TCHÉCOSLOVAQUIE : S N T L , Spalena 51, PRAHA I (Exposi-
RÉPUBLIQUE DOMINICAINE : Librería Blasco, avenida Boli- tion permanente). Zahranícni literatura, 11 Soukenicka,
var n.° 402, esq. Hermanos Deligne, S A N T O D O M I N G O . P R A H A I. Pour la Slovaquie seulement : Alfa Verlag,
R É P U B L I Q U E - U N I E D E T A N Z A N T B : Dar es Salaam Book- Publishers, Hurbanovo nam. 6, 893 31 BRATISLAVA.
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R É P U B L I Q U E - U N I E D U C A M E R O U N : Le Secrétaire général Krung Road, SiyaegPhaya Sri, P.O. Box 402, BANGKOK.
de la Commission nationale de la République-Unie Suksapan Panit, Mansion 9, Rajdamnern Avenue,
du Cameroun pour l'Unesco, B.P. 1600, Y A O U N D E . BANGKOK. Suksit Siam Company, 1715 Rama IV Road,
R H O D É S I E D U S U D : Textbook Sales (PVT) Ltd, 67 Union BANGKOK.
Avenue, SALISBURY. T O G O : Librairie évangélique, B.P. 378, L O M É ; Librairie
R O U M A N I E : I L E X I M , Romlibri, Str. Biserica Amzei du Bon Pasteur, B.P. 1164, L O M É ; Librairie moderne,
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Victoriei nr. 29, BUCURESTI. 18 Alexandra Street, St. Clair, TRINIDAD W . I.
R O Y A U M E - U N I : H . M . Stationery Office, P . O . Box 569, TUNISIE : Société tunisienne de diffusion, 5, avenue de
L O N D O N , S E I 9 N H . Government bookshops : London, Carthage, T U N I S .
Belfast, Birmingham, Bristol, Cardiff, Edinburgh, T U R Q U I E : Haset Kitapevi A . S . , Istiklâl Caddesi n° 469,
Manchester. Posta Kutusu 219, Beyoglu, ISTANBUL.
SÉNÉGAL : Librairie Clairafrique, B.P. 2005, D A K A R ; U R S S : Mezhdunarodnaja Kniga, M O S K V A G-200.
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SEYCHELLES : N e w Service Ltd, Kingstate House, P . O . 1092, MONTEVIDEO.
Box 131, M A H É . V E N E Z U E L A : Librería del Este, avenida Francisco de
SIERRA L E O N E : Fourah Bay, Njala University and Sierra Miranda 52, Edificio Galipán, apartado 60337,
Leone Diocesan Bookshops, F R E E T O W N . C A R A C A S . L a Muralla Distribuciones S . A . , 4. a avenida
SINGAPOUR : Federal Publications (S) Pte Ltd, N o . 1 entre 3." y 4.» transversal, Quinta « Irenalis », Los
N e w Industrial Road, off Upper Paya Lebar Road, Palos Grandes, C A R A C A S 106.
S I N G A P O R E 19. Y O U G O S L A V I E : Jugoslovenska Knjiga, Trg. Republike 5/8,
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SRI L A N K A : Lake House Bookshop, Sir Chittampalam B.P. 2307, K I N S H A S A ; Commission nationale zaïroise
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SUÈDE : Toutes les publications : A / B C . E . Fritzes Kungl. cation nationale, B . P . 32, K I N S H A S A .
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Utilisez les bons de livres de l'Unesco pour acheter des ouvrages et des périodiques de caractère éducatif, scientifique
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Vous pouvez également envoyer le bon de commande à l'Unesco, P U B / C , 7, place de Fontenoy, 757°° Paris
(France), en y joignant la s o m m e correspondante sous forme de bons internationaux de livres Unesco, de mandat-
poste international ou de chèque libellé en une monnaie convertible quelconque.

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Dans les numéros précédents Ana Maria Sandi Information de masse et
éducation : du conflit à la coopération
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transmission des valeurs
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José Maria Cagigal Éducation de l'homme corporel
Vol. X , n° 2, 1980
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