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Institut Diocésain de Formation 2020-2021

Diocèse d’Avignon

Eléments de théologie morale appliquée


2E Week-end, 5-6 décembre 2020

1e Cours : « L’Homme au travail. L’éclairage de la Bible et de l’engagement


social de l’Eglise » par Paco Esplugues

Plan
Introduction

I. Fondements bibliques
1. Contexte historique et institutions
2. Travail et péché dans le livre de la Genèse
3. Sagesse, travail et prière, dans les livres sapientiaux
4. Le travail dans le Nouveau Testament

II. Travail et anthropologie chrétienne


1. Le travail dans ses dimensions sociales
2. Le travail dans ses dimensions personnelles
3. Les dimensions spirituelles du travail humain

III. Valeur morale du travail


1. Confusion du débat morale en éthique économique
2. Une anthropologie du don : clé de compréhension
3. Vers une perspective personnaliste. Travail et unification de la personne

CONCLUSION. Unification : « Mon Père travaille et Moi je travaille aussi » Jn 5,17

Bibliographie
✓ Compendium de la Doctrine sociale de l’Eglise, Cerf-Mame-Bayard
✓ LEON XIII, Rerum Novarum , Spes, 1932
✓ JEAN-PAUL II, Laborem Exercens, Le Centurion, 1981
✓ JEAN-PAUL II, Sollicitudo Rei Socialis, Le Centurion, 1988
✓ COULANGE Pierre, L’homme au travail. L’éclairage de la Bible et de l’engagement social
de l’Eglise. Parole et silence, 2010
✓ BENOIT XVI, Caritas in veritate, Bayard, Cerf, 2009
✓ CHENU Marie-Dominique, Pour une théologie du travail, Seuil, 1955
✓ Conseil Pontifical « Justice et Paix », Compendium de la doctrine sociale de l’Eglise,
Libreria Editrice Vaticana, 2005
✓ ELDERS Leo, L’éthique de saint Thomas d’Aquin, Presses Universitaires de l’IPC,
L’Harmattan, 2005
✓ HANNA ARENDT. Condition de l’homme moderne, 1958 ? Calmann-Lévy, 1961
✓ WEBER Max, L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, Pocket 1989.

DOSSIER DES TEXTES

Texte 1. Du Compendium de la Doctrine sociale de l’Église

DOCTRINE SOCIALE ET PRINCIPE PERSONNALISTE

105 L'Église voit dans l'homme, dans chaque homme, l'image vivante de Dieu lui-même; image
qui trouve et est appelée à retrouver toujours plus profondément sa pleine explication dans
le mystère du Christ, Image parfaite de Dieu, Révélateur de Dieu à l'homme et de l'homme à
lui-même. C'est à cet homme, qui a reçu de Dieu une dignité incomparable et inaliénable, que
l'Église s'adresse et rend le service le plus élevé et le plus singulier, en le rappelant
constamment à sa très haute vocation, afin qu'il en soit toujours plus conscient et digne. Le
Christ, Fils de Dieu, « par son incarnation, s'est en quelque sorte uni lui-même à tout homme
»;197 voilà pourquoi l'Église reconnaît comme son devoir fondamental de faire en sorte que
cette union puisse continuellement se réaliser et se renouveler. Dans le Christ Seigneur, l'Église
indique et entend parcourir la première la voie de l'homme,198 et elle invite à reconnaître en
quiconque, proche ou lointain, connu ou inconnu, et surtout dans le pauvre et en celui qui
souffre, un frère « pour lequel le Christ est mort » (1 Co 8, 11; Rm 14, 15).199

106 Toute la vie sociale est l'expression de son unique protagoniste: la personne
humaine. L'Église a su à maintes reprises et de plusieurs façons se faire l'interprète autorisée
de cette conscience, reconnaissant et affirmant le caractère central de la personne humaine
en tout domaine et manifestation de la socialité: « La société humaine est donc objet de
l'enseignement social de l'Église, du moment que celle-ci ne se trouve ni au dehors ni au-
dessus des hommes unis en société, mais existe exclusivement en eux et, donc, pour eux
».200 Cette importante reconnaissance trouve son expression dans l'affirmation selon laquelle
« loin d'être l'objet et comme un élément passif de la vie sociale », l'homme « en est au
contraire, et doit en être et demeurer le sujet, le fondement et la fin ».201 Il est donc à l'origine
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de la vie sociale, qui ne peut renoncer à le reconnaître comme son sujet actif et responsable
et c'est à lui que doit être finalisée toute modalité expressive de la société.

LE TRAVAIL HUMAIN. ASPECTS BIBLIQUES

Le devoir de cultiver et de conserver la terre

255 L'Ancien Testament présente Dieu comme le Créateur tout-puissant (cf. Gn 2,


2; Jb 38, 41; Ps 104; Ps 147), qui modèle l'homme à son image, l'invite à travailler la
terre (cf. Gn 2, 5-6) et à garder le jardin d'Éden où il l'a placé (cf. Gn 2, 15). Au premier
couple humain, Dieu confie la tâche de soumettre la terre et de dominer sur tout être
vivant (cf. Gn 1, 28). La domination de l'homme sur les autres êtres vivants ne doit
cependant pas être despotique et insensée; au contraire, il doit « cultiver et garder »
(cf. Gn 2, 15) les biens créés par Dieu: biens que l'homme n'a pas créés, mais reçus
comme un don précieux placé par le Créateur sous sa responsabilité. Cultiver la terre
signifie ne pas l'abandonner à elle-même; exercer une domination sur elle, cela veut
dire en prendre soin, comme un roi sage prend soin de son peuple et un berger de
son troupeau.

Dans le dessein du Créateur, les réalités créées, bonnes en elles-mêmes, existent en


fonction de l'homme. L'émerveillement face au mystère de la grandeur de l'homme
fait s'exclamer le psalmiste: « Qu'est-ce que l'homme pour que tu penses à lui, un fils
d'homme pour que tu en prennes souci? Tu l'as créé un peu moindre qu'un dieu, tu
l'as couronné de gloire et d'honneurs: tu lui as donné pouvoir sur les œuvres de tes
mains, tu as mis toutes choses à ses pieds » (Ps 8, 5-7).

256 Le travail appartient à la condition originelle de l'homme et précède sa chute; il


n'est donc ni une punition ni une malédiction. Il devient fatigue et peine à cause du
péché d'Adam et Ève, qui brisent leur rapport de confiance et d'harmonie avec Dieu
(cf. Gn 3, 6-8). L'interdiction de manger « de l'arbre de la connaissance du bien et du
mal » (Gn 2, 17) rappelle à l'homme qu'il a tout reçu en don et qu'il continue à être
une créature et non pas le Créateur. Le péché d'Adam et Ève fut précisément provoqué
par cette tentation: « Vous serez comme des dieux » (Gn 3, 5). Ils voulurent la
domination absolue sur toutes les choses, sans se soumettre à la volonté du Créateur.

Depuis lors, le sol se fait avare, ingrat, sournoisement hostile (cf. Gn 4, 12); ce n'est
qu'à la sueur de son front qu'il sera possible d'en tirer la nourriture (cf. Gn 3, 17.19).
Cependant, en dépit du péché des premiers parents, le dessein du Créateur, le sens
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de ses créatures et, parmi elles, de l'homme, appelé à cultiver et à garder la création,
demeurent inaltérés.

Jésus, homme du travail

259 Dans sa prédication, Jésus enseigne à apprécier le travail. Lui-même, « devenu en tout
semblable à nous, a consacré la plus grande partie de sa vie sur terre au travail manuel, à son
établi de charpentier »,573 dans l'atelier de Joseph (cf. Mt 13, 55; Mc 6, 3), à qui il était soumis
(cf. Lc 2, 51). Jésus condamne le comportement du serviteur paresseux, qui enfouit sous terre
le talent (cf. Mt 25, 14-30) et loue le serviteur fidèle et prudent que le maître trouve en train
d'accomplir les tâches qu'il lui a confiées (cf. Mt 24, 46). Il décrit sa propre mission comme
une œuvre: « Mon Père est à l'œuvre jusqu'à présent et j'œuvre moi aussi » (Jn 5, 17); et ses
disciples comme des ouvriers dans la moisson du Seigneur, qui est l'humanité à évangéliser
(cf. Mt 9, 37-38). Pour ces ouvriers vaut le principe général selon lequel « l'ouvrier mérite son
salaire » (Lc 10, 7); ils sont autorisés à demeurer dans les maisons où ils sont accueillis, à
manger et à boire ce qui leur est offert (cf. ibid.).

260 Dans sa prédication, Jésus enseigne aux hommes à ne pas se laisser asservir par le travail.
Ils doivent se soucier avant tout de leur âme; gagner le monde entier n'est pas le but de leur
vie (cf. Mc 8, 36). De fait, les trésors de la terre se consument, tandis que les trésors du ciel
sont impérissables: c'est à ceux-ci qu'il faut lier son cœur (cf. Mt 6, 19-21). Le travail ne doit
pas angoisser (cf. Mt 6, 25.31.34): préoccupé et agité par bien des choses, l'homme risque de
négliger le Royaume de Dieu et sa justice (cf. Mt 6, 33), dont il a vraiment besoin; tout le reste,
y compris le travail, ne trouve sa place, son sens et sa valeur que s'il est orienté vers l'unique
chose nécessaire, qui ne sera jamais enlevée (cf. Lc 10, 40-42).

261 Durant son ministère terrestre, Jésus travaille inlassablement, accomplissant des œuvres
puissantes pour libérer l'homme de la maladie, de la souffrance et de la mort. Le sabbat, que
l'Ancien Testament avait proposé comme jour de libération et qui, observé simplement pour
la forme, était vidé de sa signification authentique, est réaffirmé par Jésus dans sa valeur
originelle: « Le sabbat a été fait pour l'homme et non l'homme pour le sabbat! » ( Mc 2, 27).
Par les guérisons, accomplies en ce jour de repos (cf. Mt 12, 9-14; Mc 3, 1-6; Lc 6, 6-11; 13,
10-17; 14, 1-6), il veut démontrer que le sabbat est à lui, car il est vraiment le Fils de Dieu et
que c'est le jour où l'on doit se consacrer à Dieu et aux autres. Libérer du mal, pratiquer la
fraternité et le partage, c'est conférer au travail sa signification la plus noble, celle qui permet
à l'humanité de s'acheminer vers le Sabbat éternel, dans lequel le repos devient la fête à
laquelle l'homme aspire intérieurement. Précisément dans la mesure où il oriente l'humanité à
faire l'expérience du sabbat de Dieu et de sa vie conviviale, le travail inaugure sur la terre la
nouvelle création.

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262 L'activité humaine d'enrichissement et de transformation de l'univers peut et doit faire
apparaître les perfections qui y sont cachées et qui, dans le Verbe incréé, trouvent leur principe
et leur modèle. De fait, les écrits de Paul et de Jean mettent en lumière la dimension trinitaire
de la création et, en particulier, le lien qui existe entre le Fils-Verbe, le « Logos », et la création
(cf. Jn 1, 3; 1 Co 8, 6; Col 1, 15-17). Créé en lui et par lui, racheté par lui, l'univers n'est pas un
amas occasionnel, mais un « cosmos »,574 dont l'homme doit découvrir l'ordre, le favoriser et
le porter à son achèvement: « En Jésus-Christ, le monde visible, créé par Dieu pour l'homme
— ce monde qui, lorsque le péché y est entré, a été soumis à la caducité (Rm 8, 20; cf. ibid.,
8, 19-22) —, retrouve de nouveau son lien originaire avec la source divine de la sagesse et de
l'amour ».575 De la sorte, c'est-à- dire en mettant en lumière, en une progression croissante «
les insondables richesses du Christ » (Ep 3, 8), dans la création, le travail humain se transforme
en un service rendu à la grandeur de Dieu.

263 Le travail représente une dimension fondamentale de l'existence humaine comme


participation à l'œuvre non seulement de la création, mais aussi de la rédemption. Celui qui
supporte la fatigue pénible du travail en union avec Jésus, coopère en un certain sens avec le
Fils de Dieu à son œuvre rédemptrice et témoigne qu'il est disciple du Christ en portant la
Croix, chaque jour, dans l'activité qu'il est appelé à accomplir. Dans cette perspective, le travail
peut être considéré comme un moyen de sanctification et une animation des réalités terrestres
dans l'Esprit du Christ.576 Ainsi conçu, le travail est une expression de la pleine humanité

DOCTRINE SOCIALE ET ENGAGEMENT DES FIDÈLES LAÏCS

Le fidèle laïc

541 La caractéristique essentielle des fidèles laïcs, qui travaillent dans la vigne du
Seigneur (cf. Mt 20, 1-16), est la nature séculière de leur sequela Christi, qui se réalise
précisément dans le monde: « C'est [aux laïcs] qu'il revient, d'une manière particulière, d'éclairer
et d'orienter toutes les réalités temporelles ». Par le Baptême, les laïcs sont insérés dans le
Christ et rendus participants de sa vie et de sa mission selon leur identité particulière: « Sous
le nom de laïcs, on entend (...) l'ensemble des chrétiens qui ne sont pas membres de l'ordre
sacré et de l'état religieux sanctionné dans l'Église, c'est-à-dire les chrétiens qui, étant
incorporés au Christ par le baptême, intégrés au peuple de Dieu, faits participants à leur
manière de la fonction sacerdotale, prophétique et royale du Christ, exercent pour leur part,
dans l'Église et dans le monde, la mission qui est celle de tout le peuple chrétien »

La spiritualité du fidèle laïc

545 Les fidèles laïcs sont appelés à cultiver une authentique spiritualité laïque, qui les
régénère en hommes et femmes nouveaux, immergés dans le mystère de Dieu et
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insérés dans la société, saints et sanctificateurs. Une telle spiritualité édifie le monde
selon l'Esprit de Jésus: elle rend capable de regarder au-delà de l'histoire, sans s'en
éloigner; de cultiver un amour passionné pour Dieu, sans détourner le regard des
frères, que l'on perçoit, au contraire, tels que les voit le Seigneur et que l'on aime
comme il les aime. C'est une spiritualité qui est étrangère aussi bien au spiritualisme
intimiste qu'à l'activisme social et qui sait s'exprimer en une synthèse vitale qui confère
unité, sens et espérance à l'existence, si contradictoire et fragmentée pour bien des
raisons. Animés de cette spiritualité, les fidèles laïcs peuvent contribuer, « comme du
dedans à la sanctification du monde, à la façon d'un ferment, en exerçant leurs propres
charges sous la conduite de l'esprit évangélique, et (...) manifester le Christ aux autres
avant tout par le témoignage de leur vie ».

546 Les fidèles laïcs doivent fortifier leur vie spirituelle et morale, en faisant mûrir les
compétences requises pour l'accomplissement de leurs devoirs sociaux.
L'approfondissement des motivations intérieures et l'acquisition du style approprié à
l'engagement dans le domaine social et politique sont le fruit d'un parcours dynamique
et permanent de formation, visant avant tout à réaliser une harmonie entre la vie, dans
sa complexité, et la foi. Dans l'expérience du croyant, en effet, « il ne peut y avoir deux
vies parallèles: d'un côté, la vie qu'on nomme “spirituelle” avec ses valeurs et ses
exigences; et de l'autre, la vie dite “séculière”, c'est-à-dire la vie de famille, de travail,
de rapports sociaux, d'engagement politique, d'activités culturelles ».

La synthèse entre foi et vie requiert un cheminement savamment rythmé par les
éléments qui qualifient l'itinéraire chrétien : la référence à la Parole de Dieu; la
célébration liturgique du mystère chrétien; la prière personnelle; l'expérience ecclésiale
authentique, qu'enrichit le service particulier de formation assuré par de sages guides
spirituels; l'exercice des vertus sociales et l'effort soutenu de formation culturelle et
professionnelle.

Texte 2. JEAN-PAUL II, ENCYCLIQUE LABOREM EXERCENS

15. Argument personnaliste

Ainsi, le principe de la priorité du travail sur le capital est un postulat qui


appartient à l'ordre de la morale sociale. Ce postulat a une importance clé aussi bien
dans le système fondé sur le principe de la propriété privée des moyens de production
que dans celui où la propriété privée de ces moyens a été limitée même radicalement.

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Le travail est, en un certain sens, inséparable du capital, et il ne tolère sous aucune
forme l'antinomie _ c'est-à-dire la séparation et l'opposition par rapport aux moyens
de production _ qui, résultant de prémisses uniquement économiques, a pesé sur la
vie humaine au cours des derniers siècles. Lorsque l'homme travaille, en utilisant
l'ensemble des moyens de production, il désire en même temps que les fruits de son
travail soient utiles, à lui et à autrui, et que, dans le processus même du travail, il puisse
apparaître comme co-responsable et co-artisan au poste de travail qu'il occupe.

De là découlent divers droits spécifiques des travailleurs, droits qui correspondent


à l'obligation du travail. On en parlera par la suite. Mais il est dès maintenant nécessaire
de souligner, de manière générale, que l'homme qui travaille désire non seulement
recevoir la rémunération qui lui est due pour son travail, mais aussi qu'on prenne en
considération, dans le processus même de production, la possibilité pour lui
d'avoir conscience que, même s'il travaille dans une propriété collective, il travaille en
même temps «à son compte». Cette conscience se trouve étouffée en lui dans un
système de centralisation bureaucratique excessive où le travailleur se perçoit
davantage comme l'engrenage d'un grand mécanisme dirigé d'en haut et _ à plus d'un
titre _ comme un simple instrument de production que comme un véritable sujet du
travail, doué d'initiative propre.

L'enseignement de l'Eglise a toujours exprimé la conviction ferme et profonde


que le travail humain ne concerne pas seulement l'économie, mais implique aussi et
avant tout des valeurs personnelles. Le système économique lui-même et le processus
de production trouvent leur avantage à ce que ces valeurs personnelles soient
pleinement respectées. Dans la pensée de saint Thomas d'Aquin 25, c'est surtout cette
raison qui plaide en faveur de la propriété privée des moyens de production. Si nous
acceptons que, pour certains motifs fondés, des exceptions puissent être faites au
principe de la propriété privée _ et, à notre époque, nous sommes même témoins que,
dans la vie, a été introduit le système de la propriété «socialisée» _, l'argument
personnaliste ne perd cependant pas sa force, ni au niveau des principes, ni au
plan pratique.

Pour être rationnelle et fructueuse, toute socialisation des moyens de production


doit prendre cet argument en considération. On doit tout faire pour que l'homme
puisse conserver même dans un tel système la conscience de travailler «à son compte».
Dans le cas contraire, il s'ensuit nécessairement dans tout le processus économique

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des dommages incalculables, dommages qui ne sont pas seulement économiques mais
qui atteignent avant tout l'homme.

Texte 3. SIMONE WEIL, « Condition première pour un travail non servile »

Même si le travailleur ne définit pas lui-même les objectifs à réaliser, il faut qu’il
puisse participer en pensée à la réalisation d’un processus faisant sens pour lui. Seule
cette lucidité au travail peut permettre à l’individu de s’y trouver bien, de s’y sentir
chez soi, libre et heureux. Car c’est l’absence de pensée qui nous aliène, nous réduit à
l’état de pure chose. Peu importe les douleurs et les souffrances occasionnées par un
travail, dès lors que celui-ci exige du travailleur une pleine mobilisation de ses facultés,
qu’il puisse permettre à l’individu de vivre sa tâche comme un investissement de soi
et non comme une pure dépense à vide de son énergie vitale.

L’oppression est la compression de la pensée, qui est réduite jusqu’à n’être


presque rien. Un travail non servile est toujours un travail qui est en quelque manière
l’œuvre de la pensée méthodique propre du travailleur, engagée au contact d’une
matière qui lui résiste. C’est bien pourquoi le modèle du travail non servile, le travail
humain par excellence, n’est pas le travail intellectuel, mais bien plutôt le travail
manuel:

« Si les analyses précédentes sont correctes, la civilisation la plus pleinement humaine


serait celle qui aurait le travail manuel pour centre, celle où le travail manuel
constituerait la valeur suprême (…) Ce n’est pas par son rapport avec ce qu’il produit
que le travail manuel doit devenir la valeur la plus haute, mais par son rapport avec
l’homme qui l’exécute ; il ne doit pas être l’objet d’honneurs ou de récompenses, mais
constituer pour chaque être humain ce dont il a besoin le plus essentiellement pour
que sa vie prenne par elle-même un sens et une valeur à ses propres yeux (…) Rimbaud
se plaignait que « nous ne sommes pas au monde » et que « la vraie vie est absente»
; en ces moments de joie et de plénitude incomparables on sait par éclair que la vraie
vie est là, on éprouve par tout son être que le monde existe et que l’on est au monde.
Même la fatigue physique n’arrive pas à diminuer la puissance de ce sentiment, mais
plutôt, tant qu’elle n’est pas excessive, elle l’augmente »

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