Le cas Cascades
Comment se crée
une culture organisationnelle
par Omar Aktouf et Michel Chrétien
A partir d'une étude approfondie de l'entreprise québécoise de pâtes à papier Cascades, Omar
Aktouf et Michel Chrétien analysent la réalité culturelle «au quotidien»
performante. Ils s'attachent à montrer que les cultures organisationnelles ne se créent qu'à travers
U11 long processus essentiellement fondé sur l'ouverture, la confiance mutuelle et une vision com-
mune du partage. Ils remettent ainsi en cause la croyance, aujourd'hui encore à la mode, selon
laquelle on pourrait délibérément fabriquer une culture d'entreprise grâce à des recettes miracles.
Aujourd'hui, le trop peu compris exemple japonais
aidant 1, il est reconnu que plus une entreprise est
capable de générer parmi ses membres un esprit de
communauté et de solidarité, plus elle sera efficace et
performante. Mais il faut aussi admettre l'inverse.
Ainsi, le phénomène' de culture organisationnelle
- défini succinctement par les tenants du corporate
culture comme un « partage maximal d'évidences
communes, consciemment et inconsciemment, par l'en-
semble des membres - sera quelque chose de parti-
culièrement bénéfique à l'entreprise s'il se rapproche
d'une homogénéité quasi monolithique, et de tout aussi
néfaste s'il s'éloigne d'un minimum de communauté de
vision, d'objectifs et d'intérêts parmi les participants.
Ce dernier cas semble de loin le plus répandu en Occi-
dent industrialisé. Il impose des organisations forte-
ment hiérarchisées (quinze paliers et plus dans l'indus-
trie automobile américaine contre cinq à sept dans
ceIJe du Japon), fortement standardisées et fondant
leurs relations internes sur des modes qui s'apparen-
tent à des pratiques de méfiance, de suspicion et d'hos-
tilité 2. C'est donc moins à une sorte' d'absence de
culture organisationnelle qu'il faut imputer la non-
entente et la moins bonne productivité qui règnent dans
la majorité des entreprises traditionnelles, qu'à J'exis-
tence d'une culture non homogène, disparate et essen-
tieIJement dichotomique: une culture des dirigeants à
côté - sinon «contre) - d'une culture des dirigés.
Et cela sous différents régimes, y compris' ceux qui se
1. R.E. CoJe, « Work, Mobilily and Parlicipalion. A Comparalive
Sludy of American and Japanese Indus/ry, University of California
Press, 1979.
M. Chrétien, B. Bernier, «L'automatisaùon des industries et le
développement technologique au Japon: propositions de recherche.,
Anthropologies el Sociélé, ID-l, AnthropoJogie industriel1e, 1986.
2. Voir par exemple, H. Beynon, Working for Ford, London, Pen-
guin Books, 1973; S. Terkel, Working, New York, Pantheon, 1974;
R. Linhart, l'Etabli, Paris, Minuit, 1978; R.M. Pfeffer, Working for
Capi/aUsm, New York, Columbia Univeristy Press, 1919; G. Wal·
raff. T éte de Turc, Paris, Editions La Découverte, 1986; O. Aktouf,
le TravaU industriel contre l'homme?, ENAL/Office des Publica-
tions universitaires, Alger, 1986.
156
d'une organisation
disent socialistes 3. Dès lors, selon nous, ('effort cen-
tral de l'analyse devrait se porter sur les éléments
susceptibles de constituer des points de jonctions entre
les visions des deux systèmes structurellement dis-
tincts et constitutifs de l'entreprise: le système des
dirigeants d'une part et celui des dirigés de l'autre 4.
Nous avons déjà montré ailleurs comment ces deux
systèmes sont opposés en termes de langages, d'ima-
geries et de symbolismes". Ils le sont donc forcément
en ce qui concerne la culture. Cela a été observé et
analysé par l'usage de la méthodologie ethnographique
dans trois entreprises différentes: une brasserie à Mont-
réa.l, une brasserie similaire en AJgérie en 1981-1983
et une petite usine de transformation de papiers à
Montréal en 1986. Toutes trois ont servi de terrain
de séjour d'observation participante allant de trois se-
maines à cinq rnois. Et ces trois « terrains» nous ont
conduit aux mêmes constats: absence totale de vision
commune, coupure et opposition entre dirigeants et
employés, absence de dialogue et réduction de la com-
munication à sa fonction la plus étroitement instru-
mentale. De plus, ces usines se caractérisent par un
climat de méfiance, des relations d'hostilité et des
tensions parmi les employés eux-mêmes.
La compagnie Cascades présente Jes caractéris-
tiques inverses. En l'espace de quelque quinze an-
nées, elle est passée de l'état de petite entreprise fami-
liale quasi artisanale de récupération de papier, de
verre et de métal, à la dimension d'une multinationaJe
florissante comptant plus de deux mille employés. Au
3. Cf. C. BroyeJJe, la MoUié du ciel, Paris, Denoël-Gonthier, 1973;
O. Aktouf, «Management, employees and representational systems:
a unitary culture?. in Organisationsenwitcklung, West German'Yi
Wuppertal, avril 1986, n° 4-85; O. Aktouf. le Travail indwme
contre l'homme, op. cit....
4. Cf. O. Aktouf, «Management, employés et... », op.. cil., a.tn~J
que O. Aktouf, «La parole dans la vie de J'entreprise: faIts et me-
faits., Gestion, vol. 4, nO 11. novembre 1986, p. 31-37 ..
5. O. Aktouf, «Une vision interne des rapports de trava,l, le
cas de deux brasseries >, Le Travail humain, Paris, vol. 49, n° 3,
1986, p. 237-248.
REVUE FRANÇAISE DE GESTION

plus fort de la récession des années 1980-1983, elle
n'a connu que succès. De 15 millions de dollars envi-
ron à la fin des années 70. son chiffre d'affaires dépasse
les 300 millions. Ses niveaux de performance et sa
productivité lui ont valu en 1985 le prix de l'entreprise
de l'année au Québec.
A quoi doit-elle cette remarquable réussite?
c D'abord et avant tout à nos ouvriers~. disent en
chœur les trois frères dirigeants de l'entreprise. Nous
avons essayé de savoir ce que cela recouvrait plus
exactement au cours de quatre séjours d'interviews
en profondeur et d'observation participante. La haute
direction, la hiérarchie intermédiaire et une partie
importante des employés de base ont été soumis à cette
méthode d'enquête.
I. - LA METHODOLOGIE UTILISEE
Il s'agit d'une méthode relevant bien entendu de
l'anthropologie: 1'« observation participante ~ précé-
dée, accompagnée et suivie d'interviews en profondeur.
Elle allie ethnographie. ethnolinguistique et. enfin.
ethnographie de la communication 6. Deux professeurs-
chercheurs. l'un spécialisé en management et l'autre en
anthropologie, secondés par deux assistants de second
cycle, sont restés près de quatre-vingts jours sur les
lieux de production, essentiellement dans les installa-
tions de Kingsey Falls. village où demeurent les trois
frères propriétaires. où est localisé le « vieux moulin :.
et où sont situées une demi-douzaine des usines Cas-
cades. Les séjours d'observation participante. incluant
le travail à différents postes. le partage du travail de
nuit. la présence aux fêtes et cérémonies ...• ont été
effectués en trois tranches d'environ vingt jours cha-
cune. Ces séjours ont non seulement donné lieu à
l'apprentissage du travail effectué et au partage de la
vie au travail et des activités sociales des ouvriers et
cadres. mais aussi. plusieurs fois, au partage de mo-
ments de la vie personnelle (invitations au domicile
d'employés, par exemple ...).
Cette recherche est cependant loin d'être achevée.
6. Voir à ce sujet, par exemple, J.-J. Gumpertz, D. Hymes (eds.',
«The Ethnography of Communication., American Anlhropologisl,
66, 6, 1964; J.-J. Gumpertz, D. Hymes (dirs.', Direclion in Sodo-
linguistics: Ihe Elhnography 01 Communication, New York: Holt,
Rinehart and Winston, 1912: D. Hymes, Towards Ethnographies 01
Communication, in P,P. Giglioli (dir.', Langage in Socinl Contexl,
New York, Penguin, 1972, p. 21-44.
NOVEMBRE-DECEMBRE 1987
Chez Cascades, lc court-circuit~gc
de la hiérarchie, cette hérésie managénalc,
est courant et parfaitement admis.
Elle doit. pour une connaissance plus approfondie et
une plus juste appréciation des effets et des possibilités
de la philosophie Cascades. s'étendre à bien d'autres
lieux de production de la compagnie (syndiqués, nou-
veaux, éloignés ...) et sur une bien plus longue période:
deux à trois ans. Ce n'est donc ici que le résultat d'un
tout preIIÙer défrichage qui relève surtout les «nou-
veautés:. et les différences saillantes - souvent à
l'avantage de Cascades - qui émergent par rapport à
des managements plus «traditionnels~. Loin de nous
donc l'idée de faire de cette compagnie un modèle
absolu. Comme tout ce qui semble très bien réussir,
il y a des dangers inévitables à sa pérennité. mais mal-
gré d'évidentes faiblesses qui transparaissent déjà dans
certains faits et dans les discours de maints employés
- ce que nous étudierons plus systématiquement plus
tard -. nous n'en soutenons pas moins avec force
que cette entreprise représente un des rares exemples
de ce que peut être l·ouverture. la confiance mutuelle
et le véritable «partnership:. industriel, conditions de
base essentielles, selon nous. pour envisager l'idée même
de ce que l'on appelle culture organisationnelle.
II. - LES FAITS OBSERVES
La compagnie Cascades nous semble représenter de
façon exemplaire un cas de réussite d'instauration de
ce que l'on pourrait appeler une vision-communauté
organisationnelle.
Le premier constat qui s'impose à l'observateur est
l'existence d'un style de management très ouvert à tous
les échelons et une liberté - voire une incitation -
de parole complète et généralisée. Ce qui frappe en-
suite, c'est le faible nombre de niveaux hiérarchiques:
quatre niveaux en gros. depuis le simple employé jus-
qu'aux vice-présidents du siège social. Voilà deux élé-
ments de première importance auxquels se combine
tout un ensemble de pratiques qui, pour le gestionnaire
classique, sembleraient une véritable hérésie managé-
riale:
- le court-circuitage de la hiérarchie est courant et
parfaitement admis: un ouvrier peut se rendre au
siège et poser son problème directement au président
ou à un vice-président;
- les titres et désignations des postes sont flous 'et
considérés par tous comme sans importance: on peut
157
 On a constaté que certains
employés achetaient plus d'actions
de la société que leur budget .
ne le permettait raisonnablement.
être simplement «chargé de;) ou «responsable de»;
- les postes (y compris de hauts niveaux) ne font
l'objet d'aucune description ni de fiche de poste: on
se contente d'expliquer dans les grandes lignes ce que
chacun aura à faire; .
- les portes de bureaux, d'ailes, d'édifices ... sont
: toutes strictement ouvertes à qui le veut. La consigne
générale est d'éviter de refuser un entretien à qui que
ce soit dans la compagnie, quelle qu'en soit la raison.
Le président, Bernard Lemaire, a l'habitude de dire
que si l'employé considère que ce qu'il a à dire est
important, cela suffit pour l'écouter;
- aucune information n'est considérée comme confi-
dentielle vis-à-vis des employés. Hormis quelques dé-
tails techniques, toutes les informations sont dispo-
nibles concernant la production, les profits, les ventes,
etc.; ces informations sont affichées (au mois près)
dans tous les ateliers. Nous-mêmes, chercheurs, avons
été frappés par la rapidité, la simplicité et la franchise
qui ont caractérisé nos relations avec aussi bien les
plus hauts cadres que la hiérarchie moyenne ou les
simples employés, et cela tant au travail que lors des
rencontres sociales;
- dans les usines, il n'y a que les ouvriers, le gé-
rant et son adjoint;
- en dehors des heures de bureau (postes de nuit)
et les fins de semaine (on produit 24 heures sur 24),
il n'y a que les ouvriers, seuls. Le préposé à la ma-
chine centrale dans le processus est alors «respon-
sable », sans être investi de pouvoirs officiels;
- les salaires sont parmi les plus élevés du secteur
(à titre de comparaison, une entreprise de Montréal,
de même type que l'une des usines de Cascades à
Kingsey Falls paye exactement moitié moins). Le sa-
laire annuel moyen de l'ouvrier en 1986 est d'environ
30 000 dollars;
- une partie substantielle du profit avant amor-
tissement et impôts est redistribuée à tous les em-
ployés; cela peut atteindre pour un ouvrier jusqu'à
7 % de son salaire annuel;
- en 1982, à l'occasion de la première émission
publique d'actions de la compagnie, chaque employé
a reçu cinq actions par année d'ancienneté;
- tous les employés peuvent utiliser,. à des fins
personnelles et sans frais, l'outillage, les installations
158
ou les véhicules de la compagnie, y compris pendant
les fins de semaine; il leur suffit de le signaler;
- tout employé qui construit sa maison reçoit sur
demande et gratuitement les matériaux de construc-
tion produits par la compagnie;
- tous les employés peuvent acquérir des actions
de la compagnie qui sont financés deux ans sans inté-
rêt par l'employeur; jusqu'à un maximum annuel de
20 % du salaire de l'employé (la limite a été imposée
lorsqu'on a constaté que certains employés en ache-
taient plus que leur budget ne le permettait);
- tout le monde a le droit à l'erreur et est encou-
ragé à "s'essayer >, quel que soit le poste ou le ni-
veau. Une illustration en est cet événement raconté
par les ouvriers: un soir tard, avec Bernard Lemaire
en personne, on essayait une nouvelle machine acquise
pour plus d'un million de dollars. Pour régler une
difficulté, il fallait pousser assez haut la température
d'un élément chauffé au gaz naturel. Lorsque le pré-
sident s'apprêta à aller se coucher, un ouvrier lui de-
manda jusqu'où on pouvait pousser la chaleur. «Oh!
jusqu'au bout, je suppose 1>, répondit-il. Mais de fait,
l'ouvrier en question endommagea très sérieusement la
machine en poussant très haut la température. Le
lendemain, Bernard Lemaire entra en riant dans l'ate-
lier et dit à l'ouvrier: «Je me suis réveillé en pleine
nuit et j'ai réalisé ce qui allait se passer avec la question
que tu m'as posée, mais quand j'ai regardé ma montre,
j'ai compris que c'était trop tard et je me suis ren-
dormi! »
- tout le monde est encouragé à faire valoir son
point de vue, à faire des suggestions ... Chacun est
écouté, même si plusiems trouvent que c'est de moins
en moins suivi d'effets;
- il n'y a pas de cloisonnement de tâches ou de
postes. Chacun peut, s'il le désire - et y est encou-
ragé -, s'initier à autre chose, apprendre, remplacer,
permuter ... il suffit qu'il y ait entente entre les em-
ployés concernés;
- la mise à pied est considérée par la haute direc-
tion comme une «chose grave à éviter à tout prix 1>.
On épuisera d'abord toutes les possibilités, jusqu'au
transfert d'une usine à une autre (cela peut aussi se
faire sur la demande de l'employé qui veut changer ou
qui ne s'entend pas avec les membres de son équipe...);
REVUE FRANÇAISE DE GESTION

- il Y a une assemblée générale de chacun des
ateliers, au moins une fois par an, y compris là où il
n'y a pas de syndicat, pour discuter directement avec
la direction et un représentant de la haute direction
(généralement un des frères Lemaire) des conditions de
travail, des augmentations de salaires, des doléances ...
- bien entendu, les avantages sociaux sont tout
à fait comparables, sinon supérieurs, à ce qui se fait
de mieux dans le secteur et même ailleurs.
On peut donc se demander quels genres d'ambiance,
de comportements et de rapports «organisationnels ~
une telle situation peut engendrer. Et aussi comment
et pourquoi les hauts managers de cette entreprise en
sont arrivés à ce genre de pratiques. Commençons par
la seconde question et on se rendra très vite compte
qu'il y a à ce propos une véritable légende que tous
connaissent et que tous répètent à Cascades: l'histoire
des trois frères Lemaire, propriétaires dirigeants de la
compagnie. Du dernier ouvrier au plus élevé des cadres,
chacun sait que le père des Lemaire, Antonio, les a
habitués à la vie dure de travailleur. Lui-même, ouvrier
et syndicaliste, ne se comportait guère «comme un
boss~. Les fils ont appris de leur père à respecter,
considérer et... aimer l'ouvrier; à se mettre à sa place,
à vouloir son bien pour qu'il leur veuille du bien à
son tour ... Puis l'aîné, Bernard, a systématisé et élargi
cette façon d'être, avec ses deux frères Alain et Lau-
rent: dialogue ouvert, transparence, rapprochements
avec tous les employés, information libre, partage des
profits, dons d'actions au fur et à mesure qu'il faisait
croître l'entreprise. C'est ce que tous appellent aujour-
d'hui « la philosophie Cascades ~. «Philosophie ~ que
les dirigeants exigent de tous les nouveaux venus, y
compris des cadres d'entreprises en faillite ou quasi-
faillite qu'ils rachètent et relancent - toujours avec
grand succès. Leur «secret ~ est là, disent-ils: ouver-
ture, dialogue et proximité avec l'ouvrier, plus,ajou-
tent-ils, des actes concrets tels que le partage des
profits, l'amélioration des conditions de travail, le réin-
vestissement dans les équipements ... "Ce ne doit pas
être juste des paroles, les employés sont touchés par
les effets qu'ils voient suivre les promesses ~, nous di-
sait-on à la direction.
Et les ouvriers rendent bien la "monnaie ~ d'une
telle façon de voir: ils déploient de v~ritables actions
spontanées et collectives d'intégration et de socialisa-
tion des employés des usines nouvellement acquises
NOVEMBRE-DECEMBRE 1987
Chacun dans l'entreprise connatt
l'histoire de la famille deS dirigeants,
qui fonde. aujourd'hui la culture
de toute l'organisation.
- en plus, bien entendu, de le faire systématiquement
pour toute nouvelle recrue. C'est ainsi que l'ensemble
des ouvriers d'une équipe de Kingsey Falls, profitant
d'un jour chômé ou férié à leur usine, ont demandé de
leur propre chef un autocar pour aller visiter et passer
la journée dans une entreprise fraîchement achetée
par Cascades dans une autre région. Ils voulaient
connaître l'entreprise et parler avec leurs nouveaux
collègues, leur «expliquer ~ Cascades. Les employés
organisent aussi des compétitions sportives entre
différentes usines de différentes localités. A leur de-
mande, la compagnie fournit transports, équipements,
et prend en charge une bonne partie des budgets né-
cessaires. Des employés de tous niveaux et des cadres
- y compris les frères Lemaire - y participent régu-
lièrement. De la bouche même des ouvriers, cela « aide
à conserver et propager l'esprit Cascades >. Toutes les
cérémonies et manifestations sportives Cascades sem-
blent très courues et attendues; ce n'est pas du « social-
paternalisme ~ encadré et édicté par une «direction
des loisirs~, mais des activités communes appréciées,
souvent spontanées et à l'initiative des employés.
Quant à la première question, celle qui touche à
l'ambiance générale, aux comportements et aux rap-
ports, il est tout à fait visible dès le premier abord qu'il
règne dans cette entreprise une atmosphère détendue,
sereine et d'esprit très ouvert. Ainsi, dès la visite gé-
nérale de démarrage de notre recherche, nos assistants
n'arrêtaient pas de s'étonner de ce que personne ne
surveille personne, de ce que les ouvriers forment ré-
gulièrement des petits groupes et discutent, de ce que
les visages soient ouverts et souriants, de ce que cer-
tains postes de simples ouvriers soient pourvus de gros
fauteuils rembourrés et confortables ... Mais voyons ce-
la plus systématiquement en rapportant notre expé-
rience auprès de la direction d'abord et au niveau des
ateliers de production ensuite.
1. Langage et attitudes de la direction
Nous avons déjà fait état de situations d'entreprises
« classiques ~ où les systèmes langagiers témoignent
d'oppositions et de coupure '. Le premier élément qui
7. O. Aktouf, «Skills, symbolic activity and Carreer., in Qua-
derno 5/6, The S.vmbolics of Skill, Universita di Trento, Trento,
Italy, 1986, p. 28-40: O. Aktouf, c La parole dans la vie de . l'en-
treprise: faits et méfaits >, op. cir.; O. Aktouf, «Parole et travail
industriel: un rapport de forces>, à paraître, Paris, revue Critique.
159
 Les ouvriers, très vigz'lan'ts,
sont 'eux-mêmes les meilleurs gardiens
de la «philosophie Cascades));
y dominait était l'usage systématique de la troisième
personne et la référence à des visions et interprétations
très différentes de la même réalité vécue 8. Il n'en est
rien ici. Dès l'abord, les trois vice-présidents et les
quatre directeurs généraux et gérants, rencontrés et
interviewés lors du premier séjour, démontrent une
vision et une philosophie managériale peu communes
et peu orthodoxes:
- accueil immédiat, sans préambules ni protocole.
L'accès à Jeur bureau est direct depuis la réception,
sans avoir à passer par adjoints et secrétaires ...
- réelle et grande chaleur de tous dans la com-
munication;
- aucune condition préalable n'est jamais posée
à aucun entretien, ni en termes de temps, ni de contenu,
ni de forme;
- contrairement aux autres entreprises déjà étu-
diées, sous les mêmes aspects, on constate à la direc-
tion générale une véritable « boulimie de parole ». Tous
ces hauts cadres donnent l'impression de personnes
qui usent de façon intensive de la parole et qui veu-
lent parJer de leur entreprise. De fait, ils n'attendent
même pas nos questions, et lorsque nous croyons avoir
fini, ils ont toujours, de leur propre chef, des « choses
à ajouter»;
- des réponses sont faites à toutes les questions
(hormis celles portant sur les modalités techniques pré-
cises de partage des profits);
- enfin le discours, dans son ton global, est una-
nimement un discours d'ouverture totale envers les
employés': «Notre principal capital, c'est le capital
humain, nous devons en prendre soin », «Sans les ou-
vriers nous n'en serions jamais là », «Il faut que les
employés vivent et sentent la compagnie comme la
leur », «Ce n'est pas parce que nous sommes les di-
rigeants que nous allons les éviter ou les écraser »,
«Nous nous efforçons de nous conduire avec eux
comme du monde ordinaire », «Les ouvriers ont le
droit d'être écoutés par n'importe lequel d'entre nous »...
sont des phrases typiques des dirigeants de Cascades.
C'est aussi un discours -du nécessaire passage à l'acte:
«Nos employés nous jugent sur ce qu'on fait pour
eux », «Il ne suffit pas de parler et de promettre »,
8. E. Benveniste, Problèmes de linguistique générale, tomes 1 et 2,
Paris, Gallimard, 1983; A. ChanIat, Gestion et culture d'entreprise.
Montréal, Québec·Amérique, 1984; P. Bourdieu, Ce que parler veut
dire, Paris, Fayard. 1984.
160
«Si un nouveau responsable n'ouvre pas ses portes,
on les lui supprimera » ... Tout au long de nos séjours,
il nous a été donné de vérifier, quasiment point par
point, à peu près tous les éléments de ce, discours, dans
des faits ou des actes réels, .
Bien sûr, il n'existe pas de situation parfaite et
Cascades n'échappe pas à cette loi; nous y avons aussi
rencontré des mécontents, de leur point de vue, sou-
vent à juste titre. Les raisons peuvent être très parti-
culières ou assez partagées (ces cas et éléments seront
traités dans les phases ultérieures de la recherche parce
que non encore suffisamment étudiés et/ou étayés). Il
n'empêche que nous avons vu partout des portes ou-
vertes et une totale liberté de circulation. Ainsi, il y a
une salle de gymnastique-musculation avec bain tour-
billon au siège social: tout le monde peut y accéder
librement, sans aucune sorte de vérification; même les
membres des familles des ouvriers qui leur apportent
les repas ont libre accès. Le café est partout gratuit
pour tous, partout des saIles de repos et cafétérias
convenablement aménagées et équipées, partout liberté
d'échange et de parole, partout groupes en discussions,
partout un esprit de corps et d'équipe qui domine lar-
gement; partout une proximité-complicité-bonhomie qui
caractérise les rapports entre employés et entre em-
ployés et contremaîtres-gérants.
2. Les cadres intermédiaires des usines
Presque les mêmes comportements, les mêmes atti·
tudes, Je même accueil et Jes mêmes discours se re-
trouvent au niveau des cadres intermédiaires: gérants
d'usines et/ou contremaîtres. Un langage congruent
avec celui de la haute direction. Il y domine une vo]on-
té d'ouverture et de dialogue ainsi que de confiance
et de respect pour l'empJoyé, avec en plus une grande
estime pour Jes hauts dirigeants, en particulier le pré-
sident Bernard Lemaire.
Cependant - ceci reste néanmoins une hypothèse
à vérifier et que certains éléments de terrain semblent
indiquer assez sérieusement -, il transparaît, à travers
les recoupements des discours du «middle-manage-
ment» par rapport aux discours des employés, que
pour une bonne partie des cadres intermédiaires, il Y
a un fossé entre dires et actes, convictions affichées
et comportements. Nombre d'employés commencent à
identifier cela comme un danger pour la «philosophie
Cascades» et la direction n'en est pas totalement in-
REVUE FRANÇAISE DE GESTION

consciente non plus. Il faudrait que la liberté de parole
et le libre accès aux plus hautes instances pour tout un
chacun soient solidement implantés et effectivement res-
pectés, sans empêchements détournés, pensent plusieurs
ouvriers qui commencent à vivre certains cadres et
<s:middle-managers» comme des obstacles, ou des « pe-
tits boss ». Il y a danger que la philosophie Cascades
soit détournée, craignent-ils, avec faits vécus à l'appui.
Mais nous pensons qu'ils en sont eux-mêmes les meil-
leurs gardiens.
En attendant, nous devons à la vérité que, même
auprès des cadres intermédiaires d'ateliers et d'usines,
Bernard Lemaire apparaît comme une légende vivante,
un homme d'une grande bonté et d'une générosité
infaillible. Chez ces cadres, on insiste aussi beaucoup
sur l'exemple qu'il donne et le souci de le suivre;
contrairement, encore une fois, aux autres industries
étudiées, il n'y a là apparemment aucune forme d'oc-
cultation de la réalité: le dit, le fait et le vécu sem-
blent, chez tous et chacun, s'efforcer d'opérer sur le
même registre. D'ailleurs, la haute direction s'est fixé
comme devoir d'être régulièrement présente par l'en-
tremise d'un de ses membres au niveau des ouvriers et
du travail de base. Chacun des vice-présidents et le
président lui-même effectuent des tournées quotidien-
nes, hebdomadaires ou, au minimum, mensuelles. Et
chacun d'eux se fait aussi un devoir de discuter avec
les ouvriers, prendre un repas avec eux et ainsi se
rendre compte sur place, au niveau de la base, du
degré de rapprochement effectif entre directions locales
et employés.
Partout ailleurs, dans toutes les entreprises, petites
ou grandes, que nous avons connues ou étudiées, tout
cela n'était que mots et discours. Ici, ce qui est dit à
propos des portes ouvertes, de l'écoute, des tournées
et des présences sur les lieux de travail est, de ce que
nous en avons vu à Kingsey Falls, à peu près rigou-
reusement agi et vécu. Par exemple, nous n'avons ja-
mais eu de ces réponses, systématiques ailleurs (bras-
serie de Montréal et brasserie d'Alger, 1981-1983) 9:
« La direction? on ne les voit jamais! On ne sait pas
à quoi ils ressemblent.» Bien au contraire, chacun
des hauts dirigeants, jusqu'au président, est largement
connu des ouvriers, désigné par son prénom, et leur
9. Aktouf, le Travail industriel contre J'homme? Alger, ENAL/
Office des Publications universitajres, 1986.
NOVEMBRE-DECEMBRE 1987
La qualité de l'ambiance ne dépend
pas essentiellement des conditions
«objectives» de travail,
que ne ,;.ont pas meilleures chez
Casc,adesque chez ses concurrents.
numéro de téléphone (bureau et personnel!) est affi-
ché dans tous les ateliers ...
3. Langage et rapports au travail des ouvriers
L'ensemble de la situation des ouvriers paraît glo-
balement et généralement satisfaisante pour tous. Pour-
tant, les conditions q: objectives» de travail sont stric-
tement identiques à ce qu'elles sont dans n'importe
quel autre moulin à papier ou usine de transfor-
mation de produits de papiers. Souvent même, des
équipements sont nettement vieux et rustiques. On y
travaille comme partout, à la chaîne, ou par postes
entièrement mécanisés à simplement surveiller, avec
quelques activités manuelles sporadiques. On y subit,
comme partout, le rythme des machines, et comme
partout, tous les ateliers sont bruyants et exposés à la
chaleur, au froid, aux émanations de vapeurs, de pous-
sières ... Mais il y a indéniablement quelque chose de
ce qu'André Gide appelait q: la joie qui est signe d'ap-
propriation du travail ». En effet, contrairement à tout
ce que nous avons observé et entendu ailleurs, malgré
certaines tâches considérées comme pénibles, chacun
semble aimer ce qu'il fait et les conditions dans les-
quelles il le fait: surtout l'ambiance, les relations avec
les pairs, avec les chefs directs, avec la direction, ainsi
que, bien sûr, le salaire, les avantages, le partage des
profits. Si parfois certains travailleurs trouvent à redire
sur les comportements de certains cadres intermé-
diaires (secs ou distants, fuyants, etc.) ou sur certaines
conditions physiques de travail (humidité, chaleur, toits
qui gouttent...), c'est pour, immédiatement après, ajou-
ter qu'il ne faut surtout pas en tirer parti pour «dire
du mal de Cascades»! Contrairement encore une
fois aux autres compagnies que nous connaissons, il
n'y a aucun poste uniquement de surveillance. Contre-
maître et/ou gérant d'usine travaillent comme tout le
monde. Aucun uniforme ne les distingue. Leur bureau
est ouvert à tous les va-et-vient.
Par contraste avec les autres entreprises étudiées,
la détente, la liberté et la solidarité semblent être les
caractéristiques majeures de chaque usine et de cha-
que équipe. «Un bon employé, nous répondaient en
chœur les hauts dirigeants, est celui qui sait se pren-
dre en charge, qui agit sans avoir besoin de qui que
ce soit derrière lui et surtout qui a un esprit d'équipe.:>
Le terrain a largement confirmé tout cela. Chacu~ est
sollicité par l'exemple des chefs et des anciens. c Si
161
 L'appartenance et l'identification
à l'entreprise se transmettent
par des rites d'initiation
très structurés auxquels chaque
nouvel entrant est soumis.
Bernard vient et trouve la machine en panne, nous
ont dit maints ouvriers, il ne criera après personne,
il enlèvera sa veste et se mettra au travail.» Et de
fait, nous a-t-on dit, il l'a fait cent fois. Le langage
des ouvriers est aussi un langage spontané et direct.
A peu près jamais de «ils» ni de «eux» pour dé-
signer ]a direction; toujours des prénoms. Presque pas
de jurons non plus - alors que dans les brasseries et
à l'usine de papiers de Montréal étudiées en 1986, les
jurons foisonnent. Mais c'est surtout un langage qui
recoupe, à peu près en tous points, celui des dirigeants.
Ici, discours, faits, actes et réalité sont très convergents.
Dans ]a bouche des ouvriers, l'ensemble des élé-
ments de -la «philosophie Cascades» transparaît di-
rectement : esprit d'équipe, soutien, entraide. Ils appel-
lent cela « avoir du cœur », et considèrent comme une
mission collective de «donner du cœur» aux nou-
veaux ou à ceux qui « se traînent un peu les pieds ».
Dans leur bouche aussi, les frères Lemaire, en parti-
culier Bernard, sont l'âme et le souffle de la compa-
gnie. Les autres cadres ne sont «pas pires », ils sont
supposés suivre leur exemple, et la plupart s'y em-
ploieraient avec sincérité et bonne volonté. Enfin, il n'y
a pas une entrevue avec les ouvriers qui ne soit par-
semée d'anecdotes illustrant les comportements géné-
reux, aimables, solidaires, populaires, honnêtes,
confiants, exemplaires ... du président Bernard Lemaire.
Les héros de ces anecdotes peuvent être aussi les autres
frères Lemaire et parfois tel ou tel autre dirigeant.
III. - L' ANALYSE THEORIQUE
Selon toute évidence, nous pouvons dire que nous
sommes en présence d'une entreprise qui réunit à peu
près toutes les caractéristiques de l'organisation qui a
réussi à instaurer une «vision» commune, partagée
et effectivement vécue par la majorité des membres.
Nous y voyons un Jangage largement _commun et
convergent, un même sentiment de solidarité et d'ap-
partenance, une même identification à une figure uni-
ficatrice en la personne du président, une même vision
des structures et des relations, un ensemble mythique
organisé et partagé à tous les échelons autour des
hauts dirigeants et des origines de l'entreprise (chacun
connaît par cœur l'histoire et l'évolution de la com-
pagnie depuis la première génération). On y voit aussi
un ensemble de cérémonies et de rites bien installés
et bien entretenus. Au cours de ces cérémonies, on
162
échange cadeaux et règlements de comptes amicaux,
aussi bien entre employés qu'entre employés et diri-
geants qui assistent - invariablement avec un des
frères Lemaire - à toutes. On sait le rôle cathar-
tique et désangoissant que de telles cérémonies rem-
plissent. A Cascades, elles permettent aussi le main-
tien et l'ajustement du partage du vécu, de vision et
de langages. Ainsi, dans rune de ces fêtes, un ouvrier
a demandé, au micro, à un des frères Lemaire de se
montrer encore plus souple et plus décontracté dans
ses rapports avec les employés. Celui-ci prit le micro
à son tour et fit promesse devant tout le monde de
se corriger. ..
On voit aussi dans cette compagnie des rites d'ini-
tiation fort bien structurés et scrupuleusement ritua-
lisés pour tout nouveau membre, qu'il soit cadre, ou-
vrier, homme ou femme. On oblige la personne à se
déguiser: un des hauts cadres a dû ainsi se déguiser
en femme, se maquiller, danser pendant une cérémo-
nie et garder cet accoutrement durant deux ou trois
jours. Tout cela se fait dans la joie et les plaisanteries.
Quelles sont les bases de cet état de choses, dans
une perspective plus analytique? Ce sont, essentielle-
ment, les éléments suivants:
- un mode relationnel oral généralisé, encouragé
et systématisé: «Un ouvrier qui ne parle pas, c'est
un ouvrier qui a des protJJèmes », nous dit un gérant
d'usine;
- un style de gestion avant tout organique où
l'ajustement mutuel, Je spontané, le direct et J'infor-
mel dominent;
- une ouverture réelle dans tous les sens, permet-
tant une proximité concrète, vécue et agie par tous
envers tous;
- une politique de transparence et de diffusion/
accessibilité de toute l'information à tous les niveaux
qui inspire confiance, facilite 1'« identification» et sus-
cite l'intérêt de tous pour ]a compagnie: le journal
de l'entreprise, le Cascadeur, est sans doute un des
journaux corporatifs les plus lus si l'on en juge par
les réponses des employés;
- un mode organisationnel qui permet à chaque
« équipe », à chaque atelier et à chaque usine de se
vivre comme une entité distincte et solidaire mais
aussi comme membre à part entière du groupe Cas-
cades: chaque usine existe légalement et constitue une
PME usant des services d'un «holding» central, mais
REVUE FRANÇAISE DE GESTION
 LA cuhUTe de la compagnie Cascades
n 'o:Ù:e pas par décret managérial
m;:is parct: qu'elle est fondée sur
le partage d'8éments matériels concrets.

presque totalement autonome en matière de gestion, affichage, journJ,l. n:u.nions et assemblées régulières,
ventes, profits, etc.; portes ouvertes. f"-'lynlencc sur les lieux de travail,
- l'entreprise est - concrètement - offerte comme liberté de s'initier à J'autres postes ... en sont autant
lieu de partage et d'appropriation pour les employés: de facteurs ..
participation aux profits, participation aux actions, On croirait lire d;lns cctte compagnie l'exemple par-
usage libre des moyens et outils de la compagnie à fait - et même id'::llisé - de l'excellence décrite par
des fins personnelles, lieux ouverts à tous à toute Peters et Waterman tl', ou le type d'en'treprise du
'heure; système Z de W. OU\:hi 11. On y voit en effet à la fois
- la compagnie est impliquée dans la vie muni- ouverture, dialogue, Nganicité des relations, confiance,
cipale et communautaire du village; organisation de intimité et ho;nO:tetl:. Cc résultat n'a été à notre
fêtes et de tournois sportifs ouverts aux concitoyens, sens possible que parce que la « culture d'entre-
maintien du gymnase de l'entreprise ouvert au public prise » est ici, non un décret managé rial ou un vo-
et à tous, où grands chefs et petits employés peuvent lontarisme manipulateur exercé par un super leader,
se retrouver. Le président Bernard Lemaire va jus- mais simplement une réelle volonté de partage, dite,
qu'à faire se baigner dans sa piscine personnelle les agie et vécue. Nous sommes prêts à convenir avec
ouvriers de l'entretien mécanique qui travaillent pen- tout éventuel détr,lcteur qu'il y a là paternalisme, mais
dant les grosses chaleurs, et il leur offre rafraichisse- dirons-nous, un paternalisme qui a le mérite de se
ments et souper! traduire en actes concrc:ts. Si la culture est un partage,
- à peu près aucune différence de statut n'est alors ce partage est ici presque complet. Et, très élo-
quemment, ce partat-e passe d'abord par celui des
affichée, sinon costumes de ville pour les employés de éléments et conditions matériels concrets de la vie de
la direction générale, et encore pas chez tous; la che-
misette et le blouson y sont courants, en particulier l'ensemble: on partat-e profits, moyens, informations,
fêtes ... et non des'" cn:dos ., des «valeurs» et autres
le blouson portant les couleurs et le sigle de Cascades;
« symboles ».
- l'initiative personnelle et la prise en charge indi- Ouvriers et direetil'ns sc vivent et se désignent mu-
viduelle de soi-même sont partout mises en avant: tuellement comme des alliés. Une telle congruence
«N'attends pas qu'on te dise ce que tu dois faire, n'est possible dans el' cas que parce qu'il y a - il
réfléchis et fais-le!» est le principe de base envers Y a eu _ maintes et maintes preuves concrètes de ce
tous les employés. Cela est d'ailleurs concrétisé et en-
que les dirigeants SlJnt clfectivement des alliés; l'exem-
couragé par le «droit à l'erreur»; là aussi, les té- ple de Laurent Lemaire augmentant d'un dollar le
moignages sont parsemés d'exemples où les dirigeants salaire horaire de l'w:ine dc Louiseville alors que les
ont toujours donné sa chance à celui qui commet des employés et le sYIHlicatne demandaient que cinquante
impairs, même graves, en «s'essayant »; cents est un fait tyrl.' de cc genre. Tout ce qui n'est
- à peu près aucune surveillance n'est exercée sur que slogans et hYP'1crisie tactique ailleurs est ici réalité
personne; c'est l'entraide et le soutien qui sont mis en vécue: partenaires s,1tidaires, convergences des objec-
avant. Chacun doit comprendre de lui-même ses man- tifs et des intér~ts, entreprise «bien commun », trans-
ques et s'ajuster. Sinon « on s'en parle immédiatement parence, «chercher le bicn des employés ».
et sans détour»; ce sont d'ailleurs souvent les ou- La grande leçon ~ tirer de: ce cas, nous semble-t-il,
vriers qui s'en parlent entre eux; est que la culture - organisationnelle ou non - ne
- la haute direction essaie d'être partout présente s'« ingénierie» pas. Cela s'agit, se vit et se partage
et, comme lors des tournées régulières et obligatoires, concrètement. Il faut avant tOllt une congruence entre
les dirigeants commencent toujours par les ateliers et le dire et l'agir; et l'e n\:st qu'à l'acte qu'on recon-
les ouvriers; quiconque veut leur parler est bienvenu; naîtra l'intention véritable. Ici, l'ensemble de la philo-
sophie de la direeti,1n est traduite en actes tangibles,
- la connaissance de la compagnie, de ses perfor-
partout.
mances, de Ses acquisitions, de ses politiques, de ses
produits, de ses usines, de ses processus, de ses ma- 10. T. Peters et R. W;,lorm.,n, /11 S,arch of Excellence, New York,
chines ... est systématiquement facilitée et encouragée: Harper and Row, 19N~...
11. W. Ouchi, Th,ory. Z, Rea,hng, Mass., Addison-Wesley, 1981.

NOVEMBRE-DECEMBRE 1987 163

Dans les modèles marxiens,
un système de production de symboles
n'a de sens et de substance
qu'à travers les systèmes de production
de biens matériels d'abord
et soèiaux ensuite.
Dans les autres entreprises, traditionnelles, étudiées
par nous, le discours dirigeant est un discours de com-
munauté, de famille, d'intérêt commun alors que les
actes sont des actes de méfiance, de distance, de re-
jet et de coupure, en particulier à travers l'attitude du
middle-management qui se voit encouragé dans le sens
de la défiance et de l'hostilité vis-à-vis du simple em-
ployé. Dans une entreprise de conversion de papiers
de Montréa], dont les produits et procédés sont très
similaires à une usine de Cascades, le salaire est moitié
moindre, la méfiance généralisée, la coupure patrons-
employés drastique, l'ambiance exécrable, l'informa-
tion nulle ... L'un de ses hauts dirigeants nous dit que
«le bon employé, chez nous, c'est ce qu'on appelle
l'homme dé:> à la question de savoir ce qu'est un
« homme clé :>,il nous répond: « Un employé qui parle
le langage du patron. :>
Cela se passe de tout commentaire et montre com-
ment Cascades a su - réellement - instaurer un
climat d'échange et de vie orale. Quand on y parle,
c'est, comme nous avons pu le constater, pour expri-
mer «son:> point de vue, non pour faire écho. Cer-
tains employés peuvent même trouver tout cela quelque
peu « boy-scout:> et quelque peu « préfabriqué :>, dans
le sens où 1'« esprit Cascades:> tendrait à devenir une
sorte de routine dont la substance disparaît avec l'ac-
croissement de la taille de la compagnie et la venue
de nouve]]es recrues aux postes de direction. Cela
est en effet un danger réel qui guette la compagnie
malgré tous les efforts de sélection et d'imposition au-
près de toutes les usines, au Canada et ailleurs, de la
« philosophie:> des Lemaire. Les dirigeants en sont
conscients et en ont ouvertement parlé avec nous:
c'est ce qu'ils appe]]ent la «phase II:> de Cascades.
Cela sera, dans leur esprit, essentiellement un main-
tien d'unités locales de petite taille, une implication
majeure du siège auprès de chaque entité et une sé-
lection-formation rigoureuse des encadrements, coinbi-
née à une vaste politique de promotions internes.
Mais il n'en demeure pas moins que nous voyons
ici une culture et une symbolique communautaire
s'installer à la suite et autour d'éléments matériels-
concrets de preuves de vie et de finalité convergentes.
C'est le modèle de Lionel Va]]ée 12 incarné: un sys-
tème de production de symboles qui n'a de sens et de
12. L. Vallée, « Représentations collectives et sociétés. in A. Chan-
Iat et M. Dufour, la Ruplllre entre l'entreprise et les hommes,
Montréal-Paris, Québec-Amérique, Editions d'organisation, 1985.
164
substance qu'à travers les systèmes (qui sont plus pri-
mitifs et plus immédiats) de production de biens ma-
tériels d'abord et sociaux ensuite. Nous voilà renvoyés
- et Lionel Vallée ne s'en cache pas - au plus pro-
fond des modèles marxiens: la superstructure qui n'est
qu'avec et à travers l'infrastructure; «Ce n'est pas la
conscience des hommes qui fait les circonstances mais
les circopstances qui font leur conscience.:> C'est ce
qui est effectivement agi et vécu qui forme les visions
et les représentations. Un agir et un vécu en contra-
diction avec le représentationnel ne peuvent donner que
fausse conscience et aliénation: c'est ce que nous avons
constaté dans les brasseries et dans la PME du papier
à Montréal.
En effet, d'un point de vue d'analyse du travail plus
traditionnellement marxien, il nous semble qu'il y a,
dans J'exemple Cascades, un cas très intéressant de
voies de dépassement de certains éléments du «travail
aliéné:> 13 à travers, peut-être, queJque chose qui peut
- paradoxalement - provenir de la présente vogue
de la culture d'entreprise H. Précisons tout de suite
que chez les dirigeants de Cascades, il n'y a absolu-
ment rien qui puisse ressembler à une démarche déli-
bérée de constitution d'une quelconque culture cor-
porative: ln Search of Excellence n'est le livre de
chevet d'aucun d'entre eux. Pourtant, il s'agit d'une
parfaite i]]ustration de ce que tout tenant de la corpo-
rate culture considérerait comme une culture d'entre-
prise particulièrement réussie et efficace. Mais ce n'est
pas, loin s'en faut, le résultat d'une volonté managé-
riale en acte, délibérément attachée à appliquer des
outils de gestion et des recettes, à la Disney ou à la
McDonald's. Bien au contraire, J'aspect outil de ges-
tion ou plutôt «formulation d'une philosophie de ges-
tion n'est apparu qu'a posteriori, une fois les modes
:>
concrets de relations et les habitudes de fonctionne-
ment installés et partagés, à partir du terrain. Le ter-
rain, ce qui s'y passe concrètement et quotidiennement,
13. K. Marx, Manuscrits de 1844, Ed. MEGA, l, 3, p. 82 et sui-
vantes, ci. en particulier à ce propos, « Le travail aliéné. in J.-Y. Cal-
vez, la Pensée de Karl Marx, ch. VII, Paris, Seuil, 1970.
14. Nous disons «paradoxalement. car, pour nous, il est tout
à fait cynique de penser «fabriquer. une culture, même d'entteprise.
La mode «corporate cullure. n'est que l'aveu d'échec de la psy-
chosociologie industrielle nord-américaine en particulier, et n'est
qu'une autre façon béhavioriste d'envisager le contrôle du subjectif
et du symbolisme chez les employés. Nous nous en expliquons da:1s :
O. Aktouf, «Le partage et la communauté ...• , op. cit., ainsi que
dans: O. Aktouf, « Matérialité, immatérialité et constitution de cuhure
dans l'entreprise., SCOS (Standing Conference on Organizational
Symbolism), Milan ISTUD, juin 1987.
REVUE FRANÇAISE DE GESTION
 Le proce HUS d'aliénation atl travail
crée quatre coupures: la coupure
avec le produit, avec l'acte, avec
la nature et enfin at'ec l'homme.

voilà sans aucun doute le cœur du « secret Cascades ». amsl que ses représentants (dirigeants) de l'autre côté,
Mais à qui veut y voir sans préjugés ni théories pré- de plus en plus plongés dans une vic de consommation
conçues, cela ne peut qu'être une évidence de taille non moins «bestial;» et non moins aliénée, puisque
dont les contours et fondements ont été tracés par les actes du' capitaliste lui-même ne sont pas «ses»
Karl Marx: l'aliénation au travail se vit à travers les actes mais ceux édictés par les «lois» du capital et
rapports concrets matériels à la situation de travail; de sa fructification.
la conscience de chacun s'en alimente directement.
D'après ce que nous voyons à Cascades Kingsey
On le sait, pour Marx, reprenant en grande partie Falls, il apparaît que les dirigeants-propriétaires ont
Adam Smith, la manufacture, puis la fabrique auto- su trouver des moyens assez spectaculaires d'atténua-
matique, ont provoqué la subdivision technique du tion d'au moins trois de ces quatre coupures: celles
travail qui, en même temps qu'elle « réalise» l'ouvrier concernant le produit, l'acte et l'homme. A voir et à
habile du détail, appauvrit l'homme en lui. Cet appau- entendre les ouvriers de Kingsey Falls:
vrissement ne concerne pas, comme on va le voir, le - Le produit semble être l'affaire et le souci de
seul ouvrier, et se dessine essentiellement, dans un chacun; on y est tous partie prenante, ne serait-ce que
processus d'aliénation, sous la forme de quatre cou- parce que si on réalise les taux et les qualités requis,
pures: le profit n'en sera que meilleur et donc sa propre
- la coupure avec le produit, où le possédant s'em- part de ce profit. La production n'est donc plus «ce
pare de la production au nom de la possession du que veut la direction », ce qui est «propriété» de la
capital et en fait, en en disposant à sa guise, une direction qui en use à sa guise, mais un but réelle-
puissance qui s'oppose au producteur et l'affaiblit tout ment commun. Il n'est donc nul besoin de « surveiller >,
en renforçant la position et le pouvoir du dominant de «pousser », de «fouetter» ou de «mtJtiver:) les
qui, ainsi, l'exploite encore davantage; employés. Ils sont constamment en éveil et mobilisés
collectivement et solidairement autour d'une vraie si-
- la coupure avec l'acte, qui est le résultat de la
substitution de la façon artisanale, personnelle, de tuation où l'« agrandissement du gâteau. se traduit
travailler, par celle, subdivisée, du processus de tra- par celui de la part de chacun. Il suffit de les tenir
informés de l'évolution des taux de production, ventes,
vail édicté par les dirigeants. On sait l'importance de
1'« acte», systématisée notamment par Hegel, dans marges, bénéfices ... ce que toutes les autres entreprises
1'« essence» de l'homme, on sait aussi que son acte vues jusque-là considèrent comme un secret.
privilégié, c'est le travail... - L'acte de travail n'en est, bien sûr, que plus
- la coupure avec la nature, qui marque, en sim- assumé. Vraiment très peu ont l'impression de travail-
plifiant considérablement, la rupture avec tout ce qui ler «pour un boss»; l'écrasante majorité vit une
représente - peut-être dans un ordre aristotélicien des situation de travail basée sur les équipes et l'esprit
vertus physiques naturelles des objets - le rapport d'équipe. L'entente entre membres d'équipe est le cri-
et l'usage «naturel» des choses et aux choses. Peut- tère général de répartition du travail et d'organisation
être faut-il y voir aussi la prépondérance de la « chosi- de la journée. Il y a là quelque chose qui n:ssemble à
fication » des rapports humains eux-mêmes et leur sou- une forme de réappropriation de la situation de tra-
mission à l'ordre artificiel et abstrait de l'argent, en vail : on décide soi-même et entre soi (seh)n, bien sûr,
même temps qu'une soumission de l'ouvrier d'usine à certaines règles - le plus souvent inftJrll1elles, d'an-
une forme de travail qui s'éloigne de plus en plus cienneté, etc.) de ce qui va être fait, qui le fait. .. , de
de ce qu'est la nature en lui et par rapport à lui: les ses compagnons, des rotations; on use gratuitement,
rythmes physiologiques, saisonniers, d'alternance effort! pour ses besoins personnels, des matl;riels et matériaux
repos ... de l'entreprise; on y a accès partollt et en tout temps;
on peut s'y exprimer librement... Bref, 011 peut y agir
- la coupure, enfin, avec l'homme, où l'on voit
deux sortes d'humains s'éloigner l'un de l'autre et en tant que soi et non en tant que simple appendice
d'une machine ou d'un bureau.
vivre dans des mondes différents: le travailleur d'un
côté, réduit à l'état de source d'énergie - et même La réconciliation des deux types d'hommes sé-
de vie de plus en plus « bestiale» -, et le propriétaire parés par le procès capitaliste de production n'en sera

165
NOVEMBRE-DECEMBRE 1987
Le passage de l'ouvrier d'une situation
où i.Lest outil de production
à une situation où il serait asSocié-acteur
dans la production doit être
recherché pour créer une vision
commune d'entreprise.
que plus encouragée. Si ]e produit (et ]e profit/plus-
value) et l'acte les séparent moins, ]e souci du respect
de l'individu et de l'ambiance «communautaire» de
travail les rapprochent encore un peu plus. On a ici
affaire à ce que Renaud Sainsau]ieu aurait appelé des
acteurs nouveaux et des échelles de valeurs nouvelles 15,
où l'interpellation aisée des responsables est un facteur
essentiel d'identification-identité. Les Lemaire ont très
bien su, par les faits concrets, réaliser un climat d'en-
tente et de connivence avec chacun. De plus, comme
le dit ]e président Bernard Lemaire, «]es propriétaires
ne sont pas dans de belles villas en F]oride - on n'en
a pas! - pendant que les employés triment. Nous
restons avec eux, à travailler avec eux et à vivre ]e
plus possible au milieu d'eux :1> ...
Nous n'avons pas de doutes non plus quant à l'atté-
nuation progressive et future de ]a quatrième coupure,
celle concernant la nature, car ce respect de l'individu
se traduit déjà par un climat et des rythmes de tra-
vail autrement moins stressants, quoique infiniment
plus productifs, et plus respectueux des capacités de
chacun, de ses convenances, de sa «forme:l> du mo-
ment ... Les problèmes d'absences, de retards, de désir
de «sauter» une journée pour méforme passagère,
etc., sont bien plus traités localement sur le mode ami-
cal qu'administrativement. Notons bien que nous n'avons
parlé ici que de «voies d'atténuation» des éléments
constitutifs du travail aliéné. Il serait trop beau de
simplement changer quelques règles du jeu internes à
l'entreprise capitaliste, de se montrer plus paternaliste-
féodal 16, pour, miraculeusement, supprimer aliénation
et exploitation. Nous sommes encore bien loin du réel
et total partage: jusque et y compris celui de la dé-
cision et de ]a gestion, seul pouvant permettre l'avè-
nement des acteurs nouveaux de Sainsaulieu et la ré-
solution de la tension fondamentale entre conflits d'in-
térêts et nécessité de coopératipn.
Mais nous n'en disons pas moins avec force qu'il y
a de grandes leçons à tirer de cet exemple, qui, en
l'espèce, reste une remarquable exception dans le monde
industrie] actuel. Peut-être est-ce l'émergence d'une
sorte d'éthique catholique dans l'esprit du capitalisme?
Toujours est-il que c'est une entreprise dont le succès
est phénoménal, que ce soit au Québec ou ailleurs
15. R. Sainsaulieu, «La régulation culturelle des ensembles orga-
nisés :0, L'<mnée sociologique. nO 33, 1983.
16. Dans un sens non péjoratif, plus proche du «seigneur» pro-
tecteur.
166
dans le monde, et dont la main-d'œuvre est l'une des
plus «identifiées» et des plus productives qui soit.
Pourtant, il n'y a là aucun secret managéria], aucun
outil miracle; il y a même plus d'absence et de rejet
des méthodes de management que d'appel à ces mé-
thodes, y compris celles du mouvement corporate cul-
ture. Lequel mouvement aurait beaucoup à apprendre
de ce cas car c'est, nous semble-t-i], un pas très im-
portant vers ce qui nous parait central dans le pro-
cessus de réalisation d'une vraie vision commune
(culture?) d'entreprise: la recherche concrète, sincère
et authentique du passage de l'ouvrier d'une situation
où il est outil de production - donc objet -, c'est-à-
dire instrument qu'on essaye faussement de convaincre
qu'il est partenaire, à une tout autre situation où il
serait associé-acteur dans la production - donc sujet.
Et on le sait parfaitement, ]e «partage », ]a commu-
nion culturelle, ne peuvent exister que s'il y a partage
entre sujets, également déterminés et déterminants.
Cela ne peut être possible entre sujets d'un côté et
objets de l'autre. C'est le prix que les managers de-
vront payer. C'est ]à le changement de mentalité fon-
damenta] qu'on attend d'eux depuis ... Taylor 17. Mais
sont-ils, sommes-nous, prêts à lâcher quelques par-
celles de pouvoir, profits, privilèges, statuts, domi-
nance? A Cascades ils le font progressivement et tout
]e monde en est très heureux.
L'« ingénierie» et le «design », aujourd'hui à la
mode, de la «culture organisationnelle» ne doivent
pas devenir un fantasmatique substitut au - vrai -
partage que sous-entend toute communauté. Préparer
et diffuser des boîtes à outils et des packages de fa-
brication de culture ne nous semble rien d'autre qu'une
nouvelle façon de céder à la vieiJIe tentation des « scien-
ces du comportement organisationnel » : évacuer,
comme l'écrit Burkart Sievers 18, tout le problème du
sens du travail et de la vie au travail au profit d'un
concept forgé de toutes pièces, ]a motivation. Va-t-on
évacuer Je problème du partage réel au profit de la
notion déjà répandue de «cultural engineering» ? Va-
t-on réussir à fabriquer des cultures sans ]e préalable
de partages larges et concrets? Le cas Cascades sem-
ble indiquer le contraire. C'est, comme le dit Bernard
Lemaire, «une question de gros bon sens »...
17. F.W. Taylor, «Testimony before the special house commit-
tee », in F.W. Taylor, Scientijic Management, Harper, 1947.
18. B. Sievers, «Motivation as a surrogate for meaning >, First
Standing Conference on Organizational Symbolism, Sweden, Univer-
sity of Lund, juin 1984..
REVUE FRANÇAISE DE GESTION