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Le Normand-Romain, Antoinette, Rodin et le bronze. Catalogue des œuvres


conservées au musée Rodin, Éditions du musée Rodin / Éditions de la Réunion des
musées nationaux, Paris, 2007, 2 vol ; notice 424 p.354

Exposé comme La Porte de l’Enfer sans figures en 1900 […], L’Homme qui marche, « selon
moi, une de mes meilleures choses », disait Rodin, est, encore comme elle, le héros d’une
longue histoire qui s’étend du début des années 1880 à 1911, date à laquelle le premier grand
bronze fut installé au centre de la cour du palais Farnèse à Rome. Dans cette histoire, la main
de l’artiste n’a plus guère de rôle, le modelage étant remplacé par l’assemblage et
l’agrandissement […]. Il est né en 1899-1900 de l’assemblage d’un torse et d’une paire de
jambes, réalisés l’un et l’autre quelque vingt-cinq ans plus tôt, en liaison avec le Saint Jean-
Baptiste. […] Le torse peut être […] daté vers 1878-1879 ; mais l’original en terre crue, négligé
par Rodin, oublié, fut redécouvert en 1887 au plus tard, craquelé par le séchage, et donc
fissuré comme un antique. […] À cette date, la réflexion de Rodin sur le fragment n’était pas
très avancée, […], mais ce grand admirateur de l’antique ne pouvait pas rester insensible à
l’émotion qui se dégage d’une telle œuvre et, de même qu’il avait gardé et voulu exposer tel
quel le masque accidenté de L’Homme au nez cassé, il conserva précieusement le Torse,
dans l’état où il l’avait retrouvé […]. L’assemblage de ce torse à une paire de jambes, […],
pourrait avoir été suggéré à Rodin par son travail pour la statue de Balzac : n’oublions pas que
l’inspiration du modèle définitif lui fut donnée vers 1894-1895 par la réunion du torse de l’un
des Bourgeois de Calais, Jean d’Aire, et d’une étude de jambes […]. Il était impensable pour
Rodin de faire du « faux » antique, c’est-à-dire de donner un aspect ruiné à une œuvre qui ne
l’était pas : tout en conservant tel quel le Torse, il n’a donc certainement jamais envisagé de
modifier les jambes. Jamais non plus, il n’imagina de restituer les membres manquants […].
La figure fut exposée pour la première fois en plâtre en 1900 : elle ne fut guère remarquée
alors car elle était fixée sur une colonne de plus de deux mètres de haut. Celle-ci fut agrandie
par Henri Lebossé en 1905-1906 et le grand modèle présenté en 1907, […] au Salon de la
Société nationale des beaux-arts. C’est alors qu’elle reçut son titre, L’Homme qui marche,
suggéré, dit-on, par les mouleurs : pendant des siècles, la marche avait en effet caractérisé
les prophètes puis les proscrits (le Juif errant), avant de devenir le symbole d’une force
agissante, souvent interprétée dans un sens politique […]. Se situant à l’opposé de tout ce
que l’on avait l’habitude de voir, la figure produisit une impression saisissante […]. La
dimension colossale donne en effet toute sa puissance expressive à la représentation du
mouvement, tandis que la forme fragmentaire concentre sur celle-ci l’intérêt de la sculpture.
Ce mouvement paraît extraordinairement juste […]. Rodin quant à lui suggère le déroulement
progressif du geste grâce à un décalage entre les axes des différentes parties du corps,
l’ensemble se recomposant visuellement de façon à condenser une succession de moments
en une seule image […]. Rodin va plus loin, […] il fait disparaître de L’Homme qui marche
toute référence, quelle qu’elle soit, au profit d’une pure représentation du mouvement à travers
laquelle une quatrième dimension – le temps – fait son apparition […]. Dès 1907, la fonte de
L’Homme qui marche fut envisagée. En novembre, un bronze fut commandé […] fondu
seulement en 1910, [il] fut envoyé par Rodin à l’Exposition d’art français, [à Leipzig], puis à
l’Exposition internationale de Rome […]. C’est alors que Léon Grunbaum convainquit
l’ambassadeur, Camille Barrère, que la place de L’Homme qui marche était à Rome : « Je lui
ai dit [à Barrère] qu’il ne devrait plus quitter Rome, et qu’il faudrait trouver un moyen pour l’y
retenir. Il m’a répondu qu’il pouvait le prendre au palais Farnèse. Ceci me semble une
excellente idée, car vous ne pouvez vous douter de la beauté et de la majesté de ce palais [...]
construit en partie par Michelangelo. » […] Rodin signa l’acte de cession. Rien, certainement,
ne pouvait lui faire davantage plaisir que de voir son Homme qui marche voisiner à la fois avec
l’antique et avec Michel-Ange […]. Il trouvait là le seul emplacement qui fût véritablement digne
de lui. […] En décembre 1911, la statue fut donc installée sur un socle provisoire en menuiserie
[…]. Mais pour une raison inconnue, elle déplaisait à l’architecte Chifflot, […] placée comme
elle l’était au centre de la cour du palais Farnèse […], il proposa donc d’installer L’Homme qui
marche dans le jardin de l’ambassade […]. La polémique dura onze ans […] Après la guerre,
Rodin n’étant plus là, Camille Barrère, qui admirait l’œuvre […], proposa de placer le bronze
dans les jardins de la villa Médicis […]. En définitive, […] c’est au musée des Beaux-Arts de
Lyon qu’il fut attribué en 1923. Il y resta jusqu’en 1986, date à laquelle il fut intégré aux
collections du nouveau musée d’Orsay à Paris […] au cœur de ce musée retraçant le passage
du XIXe au XXe siècle.

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