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La clé d’Hiram revisitée

Titre original : The Hiram Key Revisited

© Watkins Publishing, 2010

Traduit de l’anglais par Robert Anderson

© Éditions Véga, 2010

ISBN : 978-2-8132-1034-0

www.editions-tredaniel.com
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CHAPITRE I

AU COMMENCEMENT

La biographie de Dieu n’est pas si simple


Si l’on en croit le livre de la Genèse, au commencement Dieu créa le ciel et la
terre avant même qu’apparaissent les mers, les continents, les plantes et les
animaux, et finalement les êtres humains.
La séquence des événements de la Création diffère selon les diverses sources
de l’Ancien Testament, mais nous apprenons au moins deux choses importantes
à propos de Dieu dans le verset 26 de la Genèse, où il dit : « Faisons les humains
à notre image, selon notre ressemblance. »a Cela signifie que Dieu, selon la
Genèse, était apparemment un homme – et que, puisque dans le texte il utilise le
« nous », il avait des collègues qui l’étaient aussi.
De nos jours, la plupart des Juifs et des chrétiens acceptent parfaitement la
conception scientifique d’un univers vieux de plusieurs milliards d’années et le
fait que les êtres humains sont parvenus à leur stade d’évolution actuel il y a
environ 115 000 ans. Il en résulte par conséquent qu’une énorme période s’est
écoulée entre la création du ciel et de la terre et l’apparition d’Adam et Ève.
Même après l’apparition des premiers humains, il fallut encore attendre environ
110 000 ans avant que l’on imagine que Dieu pouvait être en relation avec des
hommes qui lui ressemblaient.
Bien qu’il existe dans la Bible de nombreuses références suggérant que Dieu
parlait avec des personnages de l’Orient ancien, tels que Noé, Enoch et
Abraham, et qu’il leur donnait des instructions, il est généralement admis parmi
les spécialistes des études bibliques qu’il s’agissait de traditions relatives à
différentes divinités révérées par ceux qui rédigèrent l’Ancien Testament, mille
ou deux mille ans plus tard.
Les Caïnites tiraient leur nom de celui dont ils croyaient descendre, Caïn, le
fils d’Adam et Ève, et leur dieu se nommait Yaweh ; c’était le dieu des nuées et
des orages du mont Sinaï.

Moïse et l’Exode
La vie devait être assez tranquille pour les Caïnites et on peut aisément imaginer
ce que dut être leur surprise lorsque ces hommes éloignés de tout virent la
colonne interminable d’un peuple qui s’avançait vers eux, surgissant de l’amas
des pics rocheux qui s’élevaient à plus d’un mille et demi au-dessus du niveau de
la mer toute proche. Ces étrangers leur expliquèrent comment ils avaient
échappé à leur captivité en Égypte et traversé les eaux du Nil sous la conduite
d’un chef de 80 ans, un ancien général d’armée nommé Moïse.1
Toutefois, Moïse lui-même n’était pas un étranger pour les Caïnites. Ils le
connaissaient bien car il avait antérieurement travaillé pour eux, en tant que
berger, pendant rien moins que 40 ans.
Ce vagabond barbu avait été autrefois un général égyptien rasé de près et un
membre important de la Cour jusqu’au jour où, ayant commis un meurtre, il
avait dû fuir dans le désert du Sinaï. Il y avait épousé Sephora, la fille de Réouel,
lequel était le « Jéthro », c’est-à-dire le grand prêtre et le chef des Caïnites.
Moïse avait alors été admis dans le clergé des Caïnites et s’était mis à adorer leur
dieu, Yaweh.
Un jour, Moïse s’était éloigné de son peuple et avait gravi les hautes
montagnes du Sinaï. Il y avait rencontré le Maître des orages, Yaweh. Ce dieu
confia au vieux soldat diverses instructions, incluant notamment ce que nous
connaissons de nos jours comme les dix commandements. Cependant, la relation
entre Dieu et Moïse ne fut pas toujours facile. À une occasion, Sephora, sa
femme, dut même secourir Moïse (et, selon certains biblistes, son fils aîné,
Gershom) lors d’une attaque contre lui menée par Yaweh qui avait décidé, pour
quelque raison inconnue, de le tuer.
Moïse fit savoir que sa nation nomade devait poursuivre son voyage,
emportant avec elle le dieu des Caïnites dans une sorte de coffre spécialement
réalisé, l’Arche d’Alliance. Leur projet était de suivre une direction située
vaguement au nord-est pour y trouver une terre que Yaweh leur avait promise.
Le problème était que des centaines de tribus de Caïnites occupaient déjà ce
pays.
Le coffre dans lequel ils transportaient Dieu était d’un modèle entièrement
égyptien. Il était fait de bois de shittim, c’est-à-dire d’acacia – le seul arbre qui
pouvait croître jusqu’à n’importe quelle taille dans les sables arides de cette
région désertique – et sur lui reposaient deux effigies de sphinx ailés recouverts
d’or. Lorsque Dieu s’entretenait avec Moïse, sa voix paraissait émaner du coffre,
entre les deux statues dorées.
La bande de fugitifs hébreux venus d’Égypte poursuivit son périple avec son
dieu, celui qui avait créé l’univers entier, bien à l’abri dans une petite boîte que
l’on avait munie de quatre grandes poignées, de sorte qu’elle pouvait être
transportée sur le terrain difficile que rencontraient les Hébreux. Yaweh prit ainsi
la direction de cette colonne humaine, fixant le rythme de sa progression en se
faisant plus lourd lorsqu’il voulait s’arrêter, et plus léger quand il désirait
progresser plus vite.
Tandis que le peuple de l’Exode poursuivait sa traversée du désert, l’Arche
était portée à un mille et demi en avant du groupe principal. Selon une ancienne
tradition, il est dit que Yaweh préparait un chemin sûr pour le peuple en brûlant
les serpents, les scorpions et les épineux à l’aide de deux colonnes de feu,
comme deux lance-flammes émanant du dessous de l’Arche dorée.
Malheureusement pour les compagnons de voyage de Moïse, leur nouveau
dieu avait tendance à montrer un caractère ombrageux. Par exemple, lorsque les
deux neveux de Moïse, Nadab et Abihou, avaient fait usage d’un matériau
interdit pour allumer le feu d’un sacrifice à Yaweh, ils avaient été réduits en
cendres par une nuée enflammée qui, selon l’Ancien Testament, avait été
envoyée par Yaweh depuis l’intérieur de l’Arche. À tout propos, Yaweh était
facilement contrarié. Les prêtres qui veillaient sur l’Arche devraient se soucier
du moindre mouvement car jeter les yeux sur l’Arche à un moment inapproprié
pouvait entraîner leur immolation immédiate par une boule de feu.

Un retour programmé ?
Selon nous, le voyage de 40 ans qu’accomplirent les Israélites vers le pays de
Canaan, ne fut pas simplement accidentel ; bien plus qu’une fuite spontanée de
l’esclavage égyptien, ce fut presque certainement le retour programmé vers une
vieille terre d’origine.
On sait aujourd’hui qu’environ 200 ans avant l’Exode, les conditions
climatiques changèrent soudainement et que le pays de Canaan fut desséché par
des températures torrides. Les villes situées à l’est, dans l’intérieur des terres, se
vidèrent dès que le nouveau climat eut tari les sources d’eau et desséché les
récoltes avant même qu’elles aient pu prospérer. Les petits villages perdirent la
plupart de leurs habitants alors même que les gens s’efforçaient en vain
d’arracher quoi que ce fût de vivant à un sol entièrement cuit. L’interminable
sécheresse apparut comme une malédiction des dieux et leur seule issue fut, soit
de prendre la direction du sud vers le pays qui tirait sa vie du fleuve Nil et d’y
travailler pour les Égyptiens, soit d’aller au nord le climat plus tempéré du Liban
verdoyant.
Deux siècles plus tard, le climat revint à la normale aussi soudainement qu’il
s’était détérioré. En dix ou vingt ans, l’été en Canaan fut de nouveau simplement
chaud au lieu d’être une véritable fournaise. Les fleuves se remirent à couler et
les sources à jaillir. Les gens reprirent alors le chemin de leur vieille patrie en
venant à la fois du nord et du sud.
Le groupe conduit par Moïse puis par son successeur Josué (un nom hébreu
pour dire « Sauveur »), avança vers le nord-est dans le pays de Canaan, devenu à
nouveau une prometteuse « terre d’abondance ». Dès leur arrivée ils se mirent à
détruire toutes les cités qu’ils rencontraient afin d’y prendre l’eau et la nourriture
dont ils avaient besoin. Le passage suivant est typique de la guerre sanglante que
Dieu paraît avoir ordonnée :

« Le Seigneur m’a dit : regarde, je livre dès maintenant devant toi


Sihôn et son pays. Dès maintenant, prends possession de son pays.
Sihôn est sorti à notre rencontre pour le combat à Yahats, avec tout
son peuple. Le Seigneur notre Dieu nous l’a livré, lui est ses fils
avec tout son peuple. En ce temps-là nous avons pris toutes ses
villes et nous les avons frappés d’anathème, les hommes, les
femmes, les familles entières : nous n’avons laissé aucun survivant.
Nous n’avons pillé que les bêtes et les biens des villes que nous
avons prises. »2

Sur les ordres explicites de Dieu, apparemment, dans d’innombrables villes et


cités, tous les hommes, toutes les femmes et tous les enfants furent tués et leurs
biens dérobés.
Le temps passa et Yaweh ainsi que son peuple occupèrent presque toute la
« terre promise ». Plus de quatre siècles après, le peuple élu par Yaweh parvint à
la cité sainte de Jérusalem qui finit par se rendre à David, le roi des Israélites. On
dit que David prit 30 000 hommes pour escorter l’Ar32che et son divin contenu
vers leur nouvelle capitale. Pour accomplir cet ultime voyage, la demeure mobile
de Yaweh fut placée sur un char neuf conduit par Ouzzah et Ahio, les fils
d’Abinadab.
Lors de la procession du char, Ouzzah pénétra accidentellement dans l’espace
réservé à Yaweh et périt instantanément dans un déluge de flammes. David entra
en fureur contre ce dieu fantasque et décida de ne pas aller plus loin. Cependant,
au bout d’un moment, des dispositions furent prises pour continuer le voyage et
David s’efforça de distraire Dieu en lui offrant le sacrifice d’un bœuf tous les six
pas et, dans le pur style cananéen, ses gens dansèrent en musique autour du char
qui roulait péniblement.

Un Temple pour Yaweh


Dès son arrivée à Jérusalem, David décida de construire un temple pour Yaweh
et son Arche à un endroit situé sur les hauteurs de la ville et dont on disait que
c’était là où Abraham avait préparé le sacrifice de son fils Isaac, environ 1000
ans plus tôt, comme le rapporte le chapitre 22 de la Genèse.
Les Israélites s’installèrent dans leur nouvelle capitale et, selon le Deuxième
Livre de Samuel, David y tomba amoureux d’une très belle femme nommée
Bethsabée, qu’il avait aperçue à travers une fenêtre alors qu’elle prenait son
bain. Bethsabée était la femme d’Urie, l’un des officiers de David, et pourtant le
roi la fit conduire à ses appartements où il eut avec elle des relations charnelles.
Elle devint enceinte et David eut alors l’idée de donner à Urie l’ordre de quitter
les combats pour venir se reposer, prendre un bain et visiter sa femme – dans
l’espoir que la grossesse lui serait imputée.
Mais Urie refusa d’obéir, arguant qu’il ne pouvait pas « revenir chez lui, boire,
manger et coucher avec sa femme » tandis que ses compagnons de combat
peinaient à la bataille. Ne pouvant prendre le risque d’affronter la colère d’un
général très populaire, David fit en sorte qu’Urie fût placé en première ligne où,
très vite, il trouva la mort.
David prit alors Bethsabée pour épouse et elle eut un peu plus tard un fils,
mais l’enfant mourut malgré les nombreuses prières que David avait adressées à
Yaweh.
Pourtant, Bethsabée donna rapidement à David un autre fils. D’après 2
Samuel, 12, 25, on le nomma Yedidia et il prit le nom de Salomon lorsque, au
terme des 40 ans alloués au règne de David, il succéda à ce dernier sur le trône.
Cette version des faits est riche de sens car « Salomon » est un nom cananéen
célébrant l’ancien dieu de la cité. Shelomoh était une sorte de jeu de mots
évoquant Salem, le nom originel de Jérusalem – qui désigne la planète Vénus –
lequel, en retour, était associé à l’idée de paix (par la racine du mot shalom en
hébreu).
Et c’est le roi Salomon qui construisit ce qui fut probablement le temple le
plus célèbre de l’histoire – un temple qui allait devenir la pièce maîtresse du
rituel de la franc-maçonnerie.
L’accession de Salomon au trône eut lieu en 971 avant notre ère ou peut-être
au début de l’année suivante, selon un spécialiste de la Bible, E.R. Thiele, et
quelques autres. David eut alors tout le temps libre nécessaire pour rassembler
des matériaux en vue de la construction d’un nouveau temple à Jérusalem, afin
d’assurer une demeure permanente pour Yaweh et son antique habitacle, l’Arche
d’Alliance.
Pendant tout son règne, qui dura 40 ans, Salomon s’entoura de tout le luxe et
de la magnificence propres aux monarques cananéens, entretenant notamment
700 épouses et 300 concubines. Le harem qu’il fit édifier était évidemment très
vaste – atteignant même plusieurs fois la taille prévue pour le temple de Yaweh
et de son Arche. Salomon a laissé le souvenir de sa grande sagesse et il est
certain qu’au cours de ses jeunes années, il apporta une grande prospérité et
donna beaucoup d’influence au petit royaume israélite.
Hormis sa dévotion, traditionnelle chez les Israélites, envers Yaweh – le dieu
que son peuple avait adopté à l’époque de l’Exode et qu’il conservait depuis
dans un coffre doré – Salomon vénérait de nombreux autres dieux. Le fait de
rendre un culte à plusieurs divinités était la marque d’une royauté cosmopolite
et, en ce temps-là, l’idée que le dieu tribal d’Israël était le seul dieu existant ne
s’était pas encore imposée. Salomon lui-même – à la différence des savants juifs
qui, après lui, composèrent la Bible – ne voyait aucune difficulté à manifester sa
dévotion envers des dieux variés.
Parmi les pratiques les plus déplaisantes auxquelles il souscrivait, figurait le
sacrifice d’un nouveau-né au dieu Moloch, une ancienne divinité solaire de
Canaan. On pensait que c’était une procédure nécessaire si les Cananéens
voulaient un roi véritable – approuvé par les dieux et rempli de leurs pouvoirs.
C’est un usage que les Israélites respectèrent pendant des siècles avant de le
prohiber pour imaginer des modes moins bizarres d’affermissement de la
royauté.
Il ne devait pas être difficile pour Salomon d’envoyer ses gardes choisir parmi
les centaines d’enfants de ses concubines ceux qu’il sacrifierait à Moloch. Le
mot Moloch dérive lui-même de la racine malak, qui signifie « roi ». « Moloch »
symbolisait ainsi l’acte de devenir et d’être roi, régnant sous l’autorité des dieux.
Un sacrifice à Moloch était le seul moyen de s’assurer un pouvoir absolu, fondé
sur une autorité échappant au monde des hommes.
Selon 1Rois, 11, 7, Salomon édifia un « temple » pour Moloch « dans la
montagne qui est en face de Jérusalem ». L’emplacement de ce temple où se
faisait le sacrifice des enfants était au sud-ouest de la ville, en un endroit nommé
Tophet, dans la vallée de Hinnom, également connu sous le nom de « Vallée des
enfants », près de l’endroit où l’on pense que se trouve la tombe de David. Le
sacrifice des enfants du roi se poursuivit pendant des centaines d’années avant
qu’on ne l’interdise. Il est dit dans 2Rois, 23, 10, que personne ne doit faire
« passer son fils ou sa fille par le feu en l’honneur de Moloch. »
Que cela ait été dû aux sacrifices humains ou non, il reste que le
gouvernement de Salomon fut prospère et il conclut une alliance avec Hiram Ier,
le roi phénicien de Tyr, qui l’aida beaucoup dans ses immenses travaux de
construction – et particulièrement pour le grand temple où Yaweh devait résider.

La puissance de la Shekinah
Il apparaît pourtant que, alors même que l’Arche de Yaweh fut effectivement
entreposée dans le Temple depuis le moment de sa première édification, celui-ci
n’avait pas été initialement dédié à Yaweh. Le culte royal polythéiste de
Salomon exigeait un temple lié à tous les dieux – une sorte de « centre de
communication » qui donnait au souverain un « canal vers le royaume des dieux
célestes ». La clé d’un tel édifice résidait dans la connaissance de l’astronomie et
plus particulièrement des mouvements à long terme de la planète Vénus – la
déesse Ashtoreth.
Le culte de la déesse Ashtoreth (également appelée Astarté, Ishtar, Anat,
Asherat, Baal-Gebal ou Ashera) était d’une importance cruciale pour Salomon.
Ashtoreth était liée à la fertilité, à la sexualité et à la guerre, et ses symboles
étaient le lion, le cheval, le sphinx, la colombe, et avant tout une étoile placée
dans un cercle – désignant la planète Vénus, qui était la manifestation visible de
la divinité astrale.
Vénus se trouve en dedans de l’orbite de la Terre autour du Soleil, en
deuxième ligne par rapport au soleil après Mercure. Vue de la Terre, Vénus est
de loin l’objet le plus brillant du ciel après le Soleil et la Lune et elle apparaît
juste avant l’aube, comme « l’étoile du matin », ou juste après la chute du jour
comme « l’étoile du soir ». Elle semble aussi accomplir une course remarquable
au fil du temps, quand on l’observe depuis la Terre.
Tous les huit ans, Vénus revient au même endroit dans ciel mais les étoiles qui
l’accompagnent en arrière-fond sont alors différentes, d’un point de vue
astronomique. Vénus s’est alors déplacée d’un cinquième de l’étendue du
zodiaque. Au bout de 40 ans, Vénus a fait le tour entier du zodiaque – terminant
sa course là où elle l’a commencée. Ce mouvement se reproduit exactement de
façon périodique et a toujours fourni une magnifique horloge en même temps
qu’un calendrier pour les astronomes. En cheminant ainsi dans le ciel, la planète
décrit une étoile à cinq branches autour du soleil – et c’est l’origine du pentacle
qui a toujours revêtu une haute valeur mystique pour les hommes dans toutes les
cultures.
Pour Salomon, le cycle de Vénus, précisément de 40 ans, était d’une
importance primordiale. Comme les rois qui l’avaient précédé et ceux qui le
suivirent, il savait que certains aspects majeurs de la vie étaient gouvernés par
cette période de 40 ans, comme le rapporte l’Ancien Testament :

Moïse avait pris la tête de son peuple dans le désert pendant 40 ans, alors qu’il
était âgé de 80 ans (et commençait son troisième cycle vénusien), et ce jusqu’à
sa mort à 120 ans (achevant ce troisième cycle).
Dans tout Testament c’est souvent pour 40 ans que Dieu concède une terre.
Quand Israël se conduisit mal, Dieu lui suscita des ennemis pendant 40 ans.
Eli devint l’un des Juges (précurseurs des rois) pour 40 ans.
Saül, le premier à recevoir l’onction de roi d’Israël, avait alors 40 ans et régna
exactement 40 ans.
Ichbochet (fils de Saül) avait 40 ans lors de son accession au trône.
Le roi David, père de Salomon, exerça sa charge pendant 40 ans.

Salomon lui-même savait qu’il ne pourrait régner au-delà de 40 ans, et c’est ce


qui se produisit.
Il n’y avait qu’une seule puissance qui fût supérieure à celle de Vénus et de
son cycle de 40 ans : celle de la sainte Shekinah. Cette resplendissante « étoile »
devait apparaître dans le ciel après chaque période de 12 cycles de Vénus – soit
tous les 480 ans – et briller à plusieurs reprises pendant quelques années avant de
disparaître à nouveau.
En réalité, la Shekinah était produite – et le demeure – par la conjonction de
Vénus et de Mercure apparaissant alors, vue de la Terre, comme une étoile
extrêmement brillante.
L’apparition de la Shekinah, pensait-on, annonçait les moments les plus
importants de ce que serait l’histoire des Israélites et des Juifs. Cependant, une
signification particulière était attachée à chaque troisième apparition de la
Shekinah – tous les 1440 ans – quand ce brillant objet céleste se retrouvait
exactement au même endroit du zodiaque (le fond étoilé du ciel). L’une de ces
apparitions de la Shekinah devait se produire en 967 avant notre ère. Salomon
ordonna alors de préparer un terrain situé sur le sommet situé au nord de la ville,
afin d’y poser le même jour la pierre de fondation du temple dont il avait le
projet. Selon les prévisions des prêtres, la Shekinah devait apparaître dans ciel
encore sombre du petit matin comme un puissant phare juste avant l’aube.
On disait que cela devait se produire 1440 ans après que l’Arche de Noé et
son chargement de rescapés était venue se poser sur le sol à nouveau sec, à
l’issue du grand Déluge, quand les averses s’étaient apaisées et que la divine
lumière avait percé les nuages, établissant une nouvelle alliance entre Dieu et
l’humanité. Salomon et ses prêtres croyaient en outre que la précédente
apparition de la Shekinah, 480 ans plus tôt, s’était produite au moment où Moïse
avait traversé la mer Rouge avec son peuple.
La Shekinah était plus grande que Yaweh, Ashtoreth ou n’importe quel autre
dieu. Salomon avait compris que la lumière de la glorieuse Shekinah annonçait
la rencontre de la divinité absolue avec l’humanité entière. Les forces des dieux
et des déesses s’étaient confondues. Le monde des humains tout entier et le
royaume des dieux allaient s’unir – la terre et le ciel se rejoignaient.
Il semble qu’on ait vu le « mâle » rayon de lumière venu d’en haut comme
destiné à pénétrer le sol comme une femelle fertile ; alors que cette conjonction
atteignait son point culminant, l’union du mâle et de la femelle s’accomplissait.
Comme dans un acte sexuel, ils devenaient une seule entité dont tous les attributs
se confondaient et s’unissaient. La douceur et la rudesse, l’énergie physique et
l’intelligence, l’agressivité et l’amour, la douleur et l’extase. La polarité entre la
terre femelle et le mâle phallus du faisceau de lumière se muait rapidement en
unité – le mâle et la femelle explosant simultanément en un orgasme de pouvoir
et de fertilité.
Depuis le Ve millénaire avant notre ère, des temples ont été construits pour
canaliser la lumière de Vénus à travers des ouvertures permettant de la conduire
vers les profondeurs de la terre à des moments astronomiquement marquants. Le
plus important d’entre eux fut peut-être celui qui subsiste encore de nos jours à
Newgrange en Irlande. Un millier d’années plus ancien que la Grande Pyramide,
ayant précédé de plus de 2 000 ans le Temple de Salomon, cet extraordinaire
édifice permet à la lumière de Vénus d’atteindre une chambre centrale une fois
tous les huit ans, au solstice d’hiver.3
La motivation de Salomon dépassait certainement le simple souhait
d’accomplir le vœu de son père David en bâtissant un temple à Jérusalem pour y
rendre un culte à Yaweh. Il voulait davantage que cela – un temple qui agirait
comme une machine susceptible de répondre à la lumière de la Shekinah. C’était
donc quelque chose de très différent d’un temple destiné au seul culte – c’était
un mécanisme ingénieusement conçu pour servir de canal vers les dieux. Une
sorte de centre de communications entre l’humanité et le royaume des êtres
divins, contrôlant l’avenir et pouvant accorder le succès ou l’échec aux rois de la
Terre.
Pour devenir un « vrai » roi, doté d’un pouvoir incontestable, Salomon avait
besoin d’un dispositif de communication avec la Shekinah qui lui permettrait,
par l’intermédiaire de Yaweh, d’entrer en relation avec le monde supérieur.
Malheureusement ni lui, ni aucun de ses prêtres ne connaissait le secret d’un tel
édifice.

Hiram le maçon
L’Arche d’Alliance et son divin contenu devaient être en place pour recevoir la
lumière de la glorieuse Shekinah. Cependant, bien que Salomon sût parfaitement
l’importance des apparitions de la Shekinah, aucune personne parmi son peuple,
pas davantage que lui-même, ne possédait le savoir astronomique nécessaire
pour construire un temple qui serait un parfait observatoire de la Shekinah. Pour
cette raison, Salomon dut faire appel à Hiram, le nouveau roi de la cité
phénicienne de Tyr, sur la côte de l’actuel Liban, pour lui procurer le bois
approprié, des ouvriers qualifies et un ingénieur inspiré qui pourrait diriger le
chantier des dieux. En retour, Salomon imposa lourdement son peuple, expédiant
vers Tyr, de façon économiquement désastreuse, des quantités énormes d’huile,
de blé et de vin.
Le peuple raffiné de Tyr était prospère et très cultivé. Ashtoreth, ou Astarté,
était leur principale divinité et ils avaient une connaissance sans pareille des
mouvements de Vénus, même en comparaison des prêtres-astronomes de
l’Égypte ou de Babylone.
L’homme qui fut envoyé par le roi phénicien pour prendre en charge la
construction du nouveau temple étai Hiram Abif, un maître du métier et un
prêtre de haut rang, peut-être issu du clan des Caïnites. Tous les maçons qu’il
choisit pour bâtir le Temple étaient également des prêtres – vénérant très
certainement, parmi tous les dieux, la puissante Ashtoreth autant que leur dieu
tribal, Yaweh.
Il est possible que Hiram fût d’ascendance caïnite car c’était avant tout un
excellent artisan des métaux, et ce fut lui qui fit les deux colonnes décoratives de
bronze nommées Jachin et Boaz, élevées devant l’entrée du temple, marquant les
positions solsticiales du soleil sur l’horizon.
Avec l’aide de Hiram Abif, la pierre de fondation du nouveau Temple fut
posée en 967 avant notre ère, quatre ans après l’accession de Salomon au trône
de Jérusalem et deux ans après que Hiram fut devenu roi de Tyr. Il paraît
probable que l’un des premiers actes officiels du roi Hiram ait été d’envoyer son
homonyme préparer les plans détaillés du Temple de Jérusalem. Il fallut sans
doute au moins un an pour faire les observations astronomiques et les calculs
nécessaires à la conception d’un temple pouvant œuvrer avec la future Shekinah.
Le centre du Temple devait exactement se situer sur un lieu élevé, au nord de
la ville, sur ce qui est aujourd’hui en partie la Montagne du Temple, de sorte que
la lumière du soleil levant jaillisse à l’horizon en des points précis de la colline, à
l’est, tout au long de l’année. Le soleil se lève exactement à l’est deux fois par
an, une fois au printemps et une fois à l’automne, aux deux équinoxes, lorsque le
jour aussi bien que la nuit comptent exactement douze heures.
Un observateur, visitant chaque jour à l’aube, tout au long de l’année, le site
envisagé pour le Temple, verrait le soleil se lever de plus en plus tôt chaque
matin et de plus en plus vers le nord sur l’horizon, pendant trois mois
précisément, jusqu’au solstice d’été – le moment de l’année où le jour est le plus
long. À partir de cette date, l’aube se lèverait de plus en plus tard, le lever du
soleil se déplaçant de nouveau vers l’est pour atteindre son point central (plein
est) encore trois mois après, à l’équinoxe d’automne. L’aube serait de plus en
plus tardive et le soleil à mesure que le soleil se lèverait un peu plus vers le sud
pour parvenir, au terme de trois autres mois, au solstice d’hiver – le jour le plus
court.
Si l’on photographiait le lever du soleil chaque matin pour en faire un film,
l’effet obtenu serait comme celui d’un pendule oscillant, avec les équinoxes au
centre et les solstices aux extrémités du balancement du soleil à travers
l’horizon. Un tel savoir était essentiel pour les prêtres-astronomes d’il y a 3 000
ans.
L’emplacement de Jérusalem n’était pas un hasard, car c’est un endroit idéal
pour observer les levers et les couchers du soleil. L’angle que l’ombre projette au
moment du lever et du coucher du soleil varie selon la longitude. À l’équateur,
chaque jour est à peu près également répartie entre la lumière et l’obscurité et le
soleil se lève exactement à l’est et se couche en plein ouest. Aux pôles, le soleil
ne se couche jamais en été et ne se lève jamais en hiver. Entre ces deux
extrêmes, l’angle observé d’un solstice à l’autre s’accroît à mesure que l’on
s’éloigne de l’équateur. À la latitude de Jérusalem, qui est de 30°47’nord,
l’ombre se projette à 60° au moment des solstices d’hiver et d’été.
Pour observer cela, il suffit de tracer un cercle sur le sol et d’y placer une
baguette verticale vers l’est et une autre à l’opposé, à l’ouest.
Le matin du solstice d’hiver, la baguette placée à l’est projette une ombre de
30° d’obliquité vers le nord, et le soir du même jour une ombre de 30° vers le
sud. Le contraire s’observe au moment du solstice d’été, créant une figure
losangique à l’intérieur du cercle. Une ligne tracée du nord au sud entre les deux
angles produit une marque spécifique à chaque latitude – et à celle de Jérusalem,
elle forme une parfaite étoile à six branches connue sous le nom de Sceau de
Salomon ou Étoile de David.
Ainsi, le symbole qui n’est que récemment devenu l’emblème du judaïsme et
celui du moderne État d’Israël, est un diagramme solaire qui met en relief la
position géographique remarquable qu’occupe la ville de Jérusalem.
Hiram Abif devait parfaitement bien connaître cela, car Jérusalem avait été un
lieu de culte pour cette raison même depuis l’Âge de pierre. Mais il ne
s’intéressait pas seulement aux simples levers et couchers du soleil. Le nom
« Jérusalem » dans la langue cananéenne signifiait « base pour observer le lever
du Vénus », et Hiram voulait calculer les mouvements de Vénus et les
comportements très complexes de la Shekinah lorsqu’elle apparaissait devant le
soleil.
Tout visiteur de Jérusalem, de nos jours, est informé que le Temple de
Salomon était construit sur le Dôme du Rocher où se tient la mosquée Al-Aqsa
depuis environ 1450 ans. C’est le point le plus haut de ce mont – mais ce n’est
pas l’endroit où s’élevait le Temple des Juifs.
Nous pensons que le Temple de Salomon avait été édifié un peu plus au nord,
sur le site actuellement dénommé « Dôme des Esprits ». La raison de cette
conviction est l’alignement sur le versant ouest du mont qui a toujours fait de
Jérusalem un lieu spécial. Ce dôme étroit n’a que 5 000 ans d’ancienneté mais
on trouve au-dessous le lieu le plus sacré de la Terre. Il marque une ligne est-
ouest qui va du sommet du Mont des Oliviers, vu à travers la Porte d’Or,
jusqu’aux deux dômes du Saint-Sépulcre à l’ouest. C’est au sommet du Mont
des Oliviers, selon la Mishna, que se tenait le grand prêtre lorsqu’il sacrifiait la
Vache rousseb. Il est rapporté qu’au cours de cette cérémonie, il devait regarder
vers le Saint des Saints du Temple et projeter des gouttes du sang du sacrifice
dans cette direction. Mais surtout, la lumière de la Shekinah devait apparaître au-
dessus du mont, à l’est, et passer à travers la Porte d’Or pour traverser une
fenêtre haute du Temple de Salomon et illuminer l’Arche d’Alliance.
Le professeur Asher Kaufman de l’Université de Notre-Damec,
indépendamment des recherches de Chris Knight, a soutenu exactement la même
théorie, mais sans référence à la Shekinah.
Les premiers musulmans, sous la conduite du Calife Omar, occupèrent
Jérusalem et le mont du Temple dès 638, avec l’intention d’y construire une
grande mosquée à un endroit précis dénommé Shtiah. Les hommes d’Omar avait
découvert cet endroit parmi les ruines du Temple grâce aux indications de Juifs
qui leur vinrent en aide pour trouver le bon endroit au milieu des décombres.
Plus tard, Abd el Malik édifia la Dôme du Rocher à cet endroit. Le fait est relaté
dans de nombreuses sources juives et non juives et notamment dans la Genizad
du Caire. Dans l’un des documents qu’elle renferme, il est écrit que les Juifs
vinrent à Jérusalem avec Omar et lui indiquèrent l’emplacement du temple. Une
source de même nature dit que des guides juifs aidèrent à découvrir la roche
Shtiah.
Cependant, sachant que les Juifs sont passionnés par ce qui reste du Temple
dévasté, le lieu le plus sacré du judaïsme, ne doit-on pas penser, de façon
évidente, qu’ils auront délibérément fourni de fausses informations à des non-
Juifs désirant bâtir sur un endroit aussi sacré ?
Il se peut qu’avec le professeur Asher Kaufman nous soulevions certaines
difficultés en mentionnant ce problème, et aucune autorité de quelque religion
que ce soit à Jérusalem n’est prête à admettre ce fait. Les conventions admises
depuis longtemps, même erronées, ont leur vie propre et seuls ceux qui savent
vraiment s’en préoccuperont, de toute façon.
Mais retournons au temps de Salomon.
Nous pouvons imaginer le moment où la Shekinah se présenta, comme prévu,
en 967 avant notre ère, 1440 ans après le Déluge – quand la pierre de fondation
du Temple fut posée. L’étoile flamboyante se leva rapidement à l’est, sa brillante
lueur illumina tout le paysage, et tous les présents s’agenouillèrent quand la
lumière du ciel vint resplendir sur eux. Il fallut attendre dix minutes, puis le
globe rougeoyant du soleil levant déchira l’horizon.

Les secrets du Temple


En ce temps-là, comme aujourd’hui, le savoir était le pouvoir. Les Israélites
espéraient que le maître artisan phénicien, Hiram Abif, non seulement
construirait le Temple mais également leur enseignerait les secrets de
l’astronomie et les rituels requis pour que ce lieu soit un chemin vers les dieux.
L’Ancien Testament n’entre pas dans les détails de la construction du Temple
mais, de manière un peu surprenante, les traditions orales de la franc-maçonnerie
le font. Elles décrivent de façon très précise des événements qui survinrent lors
de cette construction du Temple du roi Salomon, et le rituel maçonnique du
troisième grade renferme une part importante de ces informations.
Figure 1. Diagramme illustrant l’origine astronomique du Sceau de
Salomon, ou Étoile de David.

Nous comprenons sans peine que la plupart des gens soient sceptiques quant
au fait que des documents aussi mystérieux que les rituels d’une organisation
secrète qui a été accusée de tout, depuis le culte satanique jusqu’à la subversion
politique, puissent servir de preuves. Mais on a montré que ces rituels
contiennent des connaissances qui ne devraient pas être en possession d’une
organisation relativement moderne comme la franc-maçonnerie, laquelle n’a
guère plus de 550 ans au mieux.
Il est dit, dans le rituel du troisième grade de la franc-maçonnerie, que le roi
Salomon, Hiram de Tyr et Hiram Abif, étaient trois Grands Maîtres. Cela
suggère qu’ils possédaient un rang dans un Ordre secret, plus ou moins lié ou
analogue à la franc-maçonnerie. On dit qu’ils se réunissaient dans une chambre
secrète située juste au-dessous du Saint des Saints du Temple – le sanctuaire
intérieur où l’Arche d’alliance était déposée. Cette chambre souterraine était
reliée au palais de Salomon par un passage situé au sud.
Selon la légende maçonnique, telle quelle s’exprime dans le rituel du
troisième grade, lorsque le Temple fut près d’être achevé, quinze prêtres-artisans
expérimentés, travaillant en qualité de surveillants des travaux, furent assombris
de n’être toujours pas en possession des secrets et décidèrent de les obtenir par
tous les moyens – même s’il fallait recourir à la violence. La nature exacte de ces
secrets n’est pas décrite par la tradition maçonnique, mais selon nous ces
derniers ne pouvaient qu’être liés qu’à la manière de capter le pouvoir de la
Shekinah au sein du Temple.
Ces prêtres-artisans rebelles résolurent de tendre un piège à Hiram pour lui
arracher de force ses secrets. Mais douze d’entre les quinze jugèrent le projet
trop dangereux et se retirèrent du complot. Les trois conspirateurs qui restèrent
se postèrent aux entrées du temple presque achevé, à l’est, au nord et au sud, et
ils attendirent l’arrivée de leur maître qui venait adorer le dieu Soleil. Ils savaient
qu’il le faisait chaque jour à midi, quand le soleil est à son zénith.
Lorsqu’il eut fini ses dévotions, Hiram entreprit de se retirer par l’entrée sud
où il rencontra le premier des prêtres qui, selon la légende, s’était armé d’un
lourd fil à plomb. Brandissant son arme de façon menaçante, il exigea d’être
instruit des secrets d’un Maître maçon, prévenant que la mort serait la sanction
d’un refus.
Hiram répondit que ces secrets n’étaient seulement connus que de trois
personnes au monde et que, sans le consentement et l’aide des deux autres (le roi
Hiram et le roi Salomon), il ne pouvait ni ne voulait divulguer ces secrets, et
qu’il préférait subir la mort plutôt que de trahir la confiance sacrée que l’on avait
placée en lui. Le surveillant lui décocha alors un coup violent à la tête mais il
manqua le front de Hiram et lui infligea une blessure de côté, sur la tempe droite,
ce qui fit chanceler le maître et le fit fléchir sur le genou gauche. S’étant remis
du choc, il s’avança vers l’entrée nord.
Là, il fut abordé par le deuxième des conjurés, qui était armé d’un niveau de
maçon. Hiram rejeta encore ses exigences relatives aux secrets et reçut aussitôt
un autre coup violent, cette fois sur la tempe gauche, qui le fit tomber au sol sur
le genou droit. Trouvant sa retraite coupée en deux endroits, Hiram, affaibli et
couvert de sang, marcha en titubant vers l’entrée de l’est où l’attendait le
troisième conspirateur, armé d’un lourd maillet. Après qu’Hiram eut encore
refusé de révéler les secrets, le troisième homme lui donna un coup fatal sur le
front. Le maitre tomba sans vie à ses pieds.
Les trois conspirateurs furent pris de panique quand ils prirent conscience
qu’ils avaient tué leur maître et n’avaient toujours pas connaissance des grands
secrets. Ils enveloppèrent le corps et le conduisirent dans les montagnes où ils
ensevelirent Hiram dans une tombe peu profonde préparée à la hâte et qu’ils
marquèrent d’un rameau d’acacia.
L’absence d’Hiram fut bientôt relevée et, inquiets que quelque chose de grave
se soit produit, quelques-uns des prêtres principaux vinrent informer Salomon de
la disparition de leur maître. Le roi ordonna immédiatement un dénombrement
général des ouvriers dans les différents secteurs, et il apparut que trois des
surveillants étaient portés manquants. Le même jour, les douze hommes de
métier qui avaient initialement été mêlés au complot parurent devant le roi et
firent une confession volontaire de tout ce qu’ils savaient, jusqu’au moment où
ils s’étaient retirés du nombre des conspirateurs.
Salomon choisit rapidement quinze de ses meilleurs hommes et leur ordonna
de faire une recherche diligente de Hiram, afin de savoir s’il était toujours en vie
ou s’il avait subi la mort après qu’on eut tenté de lui arracher les grands secrets.
On passa de nombreux jours à la recherche, sans succès, jusqu’au moment où
l’un des hommes vint saisir un arbrisseau qui, à sa surprise, se détacha aisément
du sol. En regardant de plus près, il vit que la terre avait été récemment remuée
et, avec l’aide de ses compagnons, il creusa un court moment et trouva le corps
de Hiram grossièrement enseveli. Ils le recouvrirent avec respect et vénération
et, pour marquer l’endroit, placèrent un rameau d’acacia à la tête de la sépulture.
Le groupe retourna directement à Jérusalem pour informer le roi Salomon de ces
tristes nouvelles.
On dit que lorsque sa colère et sa douleur se furent calmées, il ordonna aux
hommes de repartir pour porter le corps d’Hiram vers une sépulture convenable.
Ceci étant fait, leur mission était de trouver les responsables de ce meurtre. Ils se
dirigèrent vers Joppé (la moderne Jaffa) et s’apprêtaient à revenir à Jérusalem
quand, passant devant l’entrée d’une caverne, ils perçurent des gémissements à
l’intérieur.
En entrant dans la caverne, ils virent trois hommes qui répondaient à la
description de ceux qui manquaient. Il est dit que les gémissements étaient venus
de leur douleur lorsqu’ils avaient réalisé l’énormité de leur monstrueux crime.
Accusés du meurtre et ne trouvant aucune possibilité de fuite, ils firent un aveu
complet de leur culpabilité. Ils furent alors arrêtés et conduits à Jérusalem où
Salomon les condamna à une mort atroce.
Le Temple fut finalement achevé mais les rituels maçonniques affirment que
les secrets originels demeurèrent perdus jusqu’à nos jours.

Le nouvel ordre mondial de Salomon


Par la suite, Salomon fit assembler tous les prêtres du pays et proclama que
toutes les croyances et tous les dieux relevaient d’une seule vérité. Malgré les
différents noms que nous donnons aux dieux, poursuivit-il, il n’existe qu’une
seule présence divine sous diverses manifestations. Lui est Elle, Elle est Lui. Et
la lumière de la Shekinah est la vraie lumière de toutes les vérités.
Nous déduisons de ce que déclara Salomon (ou de ce que l’on prétend qu’il
déclara, selon ce récit) que tous les dieux ne sont que des fragments d’une réalité
singulière, une et unique, qui est seule divine. Exactement comme tous les
peuples ne sont que les facettes de cette force qu’est l’humanité.
À nos yeux, c’est un concept puissant. La franc-maçonnerie admet
aujourd’hui tous ceux qui croient en un dieu unique – et cela inclut les Hindous,
par exemple, qui nomment plusieurs dieux. Mais les divinités hindoues ne sont
que des éclats d’une grande force qui se déploie à travers tout l’univers, de sorte
qu’il n’y a, en définitive, qu’un seul dieu.4
Pour les Israélites, même le démon faisait partie de Dieu. Dans le Livre des
Jubilés, qui est supposé avoir été révélé à Moïse sur le mont Sinaï, les mauvaises
choses surviennent du fait de Mastema – qui était simplement le côté sombre de
Yaweh.5 Le démon, tel qu’on le voit de nos jours, n’était originellement que
Dieu dans un mauvais jour.
Salomon avait le plus profond respect pour les traditions d’Enoch qui avaient
même, à une époque, été plus importantes pour les Juifs que celles de Moïse.
Selon d’anciennes traditions, Enoch (qui est mentionné brièvement et de façon
énigmatique, dans Genèse, 5, 18-24) avait vécu environ 2 000 ans avant Moïse,
et le sacerdoce énochien semble avoir existé depuis des temps très reculés, bien
avant le concept de judaïsme. Il y a un grade maçonnique nommé « Arc Royal
d’Enoch » qui remonte à 1740, et il existe aussi un très ancien document intitulé
le Livre d’Enoch. On sait que ce document a été très en vogue parmi les
premiers chrétiens (il est cité par l’Épître de Jude, dans le Nouveau Testament),
mais tomba en disgrâce vers l’an 500 de notre ère et de nombreux exemplaires
furent détruits. Cette œuvre fut perdue pour la chrétienté pendant plus de 1 000
ans. Cependant, il resta très populaire en Éthiopie où, jusqu’à nos jours, il forme
une partie de la Bible. C’est en Éthiopie qu’un franc-maçon écossais du XVIIIe
siècle, James Bruce, partit à la recherche de ce livre perdu depuis longtemps. Il
le découvrit en 1774 – presque trois décennies après que le rituel maçonnique du
même nom fit son apparition.
Ce grade maçonnique n’a plus été pratiqué depuis plus de 200 ans, cependant
il fait usage d’un triangle de 60° décrit comme le « Delta d’Enoch ». C’est
évidemment le triangle des solstices à Jérusalem (voir p. 25). Le rituel dit
qu’Enoch faisait initialement usage de ce triangle à l’endroit précis où le Temple
de Salomon fut construit des milliers d’années plus tard. Il affirme également
que de grands secrets avaient été enfouis dans une crypte souterraine à ce même
endroit, où ils furent découverts plus tard, pendant la construction du Temple.
L’exemplaire du Livre d’Enoch rapporté par le Frère Bruce fut considéré par
le monde savant comme trop étranger pour être conforme à l’original. Il était
rempli d’indications scientifiques relatives aux observations astronomiques et
aux effets de la latitude sur le lever et le coucher du soleil, ainsi que sur les
solstices. Il semble aussi indiquer très clairement qu’Enoch avait visité les
structures mégalithiques de Stonehenge en Angleterre et de Newgrange en
Irlande.6
Cependant, lorsque les fameux manuscrits de la mer Morte furent découverts
et déchiffrés, voici plus de 50 ans, on vit que la plupart d’entre eux étaient des
copies du Livre d’Enoch – et elles prouvèrent que l’exemplaire de Bruce était
entièrement conforme.
Le rituel maçonnique décrit comment Salomon décida de mettre en place un
nouvel ordre sacerdotal fondé sur les rites et les mystères de la prêtrise d’Enoch.
Et il apparaît que leur mission n’était rien moins que de susciter un nouvel ordre
du monde. Il devait s’agir, selon nous, d’un monde où tous les dieux seraient
conçus comme les parties d’un seul et même dieu. Il en ressort très simplement
que Salomon a inventé le concept de monothéisme – une divinité englobant
toutes choses, fondé sur Yaweh comme force suprême, une synthèse de toutes les
interprétations de la puissance créatrice. Aujourd’hui, cette nouvelle divinité
suprême est le Dieu du judaïsme, de la chrétienté et de l’islam.
Les membres de l’ordre sacerdotal de Salomon étaient en possession de
secrets qu’ils pouvaient se transmettre de père en fils. Ce sacerdoce ne devait pas
apparaître aux yeux du commun des mortels. Leur mission était d’édifier un
monde au sein duquel ils devaient exercer leur influence pour que tous les dieux
y soient honorés à la gloire du Dieu ultime. Leur tâche était d’unifier le monde
en une société solidaire, tolérante et pacifique où Dieu régnerait à travers le roi,
son régent sur la terre. Ils devaient atteindre leur objectif par tous les moyens, y
compris l’usage judicieux du pouvoir de l’argent, de l’influence politique et, si
tout avait échoué, de la force.
Naturellement, le centre de ce nouveau et grand ordre devait se trouver à
Jérusalem.
Ces prêtres d’Enoch étaient destinés à devenir un sacerdoce héréditaire qui
transmettrait leur ancien savoir de génération en génération. Et, comme nous le
montrerons, 2 500 ans plus tard, ce sacerdoce devait poursuivre son œuvre sous
la forme d’un ordre dénommé « la franc-maçonnerie ».
Selon la tradition, Salomon produisit alors un « sceau » qui devait être la
marque de sa sainte milice. Il créa la figure d’une étoile faite d’une pyramide et
d’une autre inversée pour former le symbole de la Shekinah. Comme nous
l’avons vu, cette figure – le Sceau de Salomon – était le signe astronomique de
Jérusalem, provenant des angles formés par les ombres projetées lors du lever et
du coucher du soleil aux deux solstices. Pour Salomon, il représentait le pouvoir
du ciel atteignant la terre, et le pouvoir du roi et de son peuple touchant le ciel.
Le Sceau de Salomon devait être le sceau de cette force qui allait se consacrer
pendant 3 000 ans à l’édification de la « Nouvelle Jérusalem » – l’État et la
société de l’idéal – sur la terre entière. Les lignées humaines qui devaient porter
cette mission furent connues sous le nom de « Familles de l’Étoiles » : prêtres
héréditaires qui devaient garder leur mission secrète aux quatre coins de la
planète.
Après la mort de Salomon, son pays se brisa sous les contraintes économiques
qu’il avait laissées. Le territoire fut scindé en deux royaumes israélites, l’un
nommé Israël au nord, l’autre Juda au sud, engagés dans une longue guerre
civile.
Au fil du temps, le royaume du nord se développa pour atteindre une
importance politique et économique supérieure à celle de son voisin du sud et,
sous le roi Jéroboam (782-746), Israël parvint à un haut degré de prospérité.
Yaweh était désormais reconnu comme le dieu le plus important, mais les
divinités cananéennes demeuraient populaires, et elles faisaient l’objet d’un culte
dans des temples importants, comme ceux de Bethel et de Dan, et dans d’autres
« hauts lieux » qui correspondaient à des cercles de pierre de l’époque
préhistorique, comme on en trouve en Europe occidentale, tel Stonehenge. Les
rites qu’y accomplissait le peuple juif étaient aussi anciens que les cercles de
pierre autour desquels il dansait, incluant une grande liberté dans les actes
sexuels, comme on en usait en des endroits comparables des Iles Britanniques.
Les terres d’Israël et de Juda s’enfoncèrent alors dans une sauvage décadence
– et le sacerdoce secret de Salomon n’en fut pas heureux. Les prophètes Amos et
Osée ont rapporté la sinistre iniquité de ces événements :

« […] il n’y a ni loyauté ni fidélité, ni connaissance de Dieu dans le


pays.
Il n’y a que malédiction et dissimulation, assassinats, vols et
adultères ; on use de violence, on commet meurtre sur meurtre. »
(Osée, 4, 1-2)

Une croyance répandue disait que Yaweh soutiendrait son peuple tant que ce
dernier lui ferait l’hommage d’un sacrifice de temps en temps. Mais d’autres
prédisaient déjà la destruction du royaume comme châtiment de la méchanceté
de son peuple.

La chute des royaumes israélites


Après le règne de Jéroboam II, le royaume d’Israël commença sa désintégration
dans une suite de règnes courts et instables au cours desquels les rois se frayaient
un chemin meurtrier vers le trône, pour y être tués eux-mêmes par celui qui
aspirait à leur succéder. Cependant, il faut noter que le sort donne toujours raison
à la victoire. Nombre de vues négatives sur Israël proviennent de scribes du
royaume opposé – Juda. A la même époque, la puissance montante, l’Assyrie,
considérait avec appétit les deux petits États en conflit qui la séparaient de la
Méditerranée.
Finalement, en 722, le roi assyrien Sargon II défit le royaume d’Israël. Une
inscription trouvée dans les ruines du palais de Sargon à Ninive, nous rapporte
que 27290 captifs furent emmenés d’Israël. Le royaume israélite du nord devient
une province assyrienne, la Samarie, et des milliers de colons s’établirent dans le
pays. De nombreux mariages entre ces diverses peuplades et les Israélites qui
étaient restés sur place donnèrent les Samaritains, dont la religion demeure à ce
jour distincte du judaïsme.
Le royaume de Juda, au sud, conserva son indépendance pendant encore 150
ans mais, en 586, il succomba à la puissance qui avait succédé à l’Assyrie pour
dominer la région, l’empire babylonien, régi par Nabuchodonosor. Ses armées
détruisirent Jérusalem et la plupart des Judéens (et certainement tous ceux qui
exerçaient de l’influence, jusqu’au roi) furent emmenés en captivité à Babylone.
De nombreux prêtres élus du sacerdoce secret de Salomon prient la fuite en
Égypte, surtout vers l’île d’Eléphantine sur le Nil, près d’Assouan, et ils y
construisirent un temple réputé identique à celui de roi Salomon.
Ces déportations laissèrent seulement les plus pauvres des paysans sur les
terres de Juda. L’indépendance des Israélites était terminée.

Après l’Exil
En 583, le roi perse Cyrus, qui avait vaincu les Babyloniens, promulgua un
décret autorisant tous les Hébreux de son royaume à regagner leur patrie.
Cependant, nombre de Judéens vivant à Babylone ne revinrent pas d’exil et
contribuèrent à former la Diaspora, vivant parmi les nations en dehors de leur
terre ancestrale.
Cyrus décida aussi que le Temple de Jérusalem devait être reconstruit, et il
ordonna que la vaisselle sacrée volée par Nabuchodonosor fût restituée.
Toutefois, comme on le rapporte dans le Livre d’Esdras, le travail du Temple fut
contrecarré par diverses factions et ne fut pas réellement mis en œuvre avant
quelques années, sous le règne de Darius. Le monarque perse autorisa
Zorobabel, un héritier de la lignée royale de David, à exécuter le décret de Cyrus
et à rebâtir le Temple sans encombre.
Le vieux document qu’est le Livre d’Esdrase raconte comme le jeune chef juif
dut résoudre une énigme avant d’être autorisé à reconstruire le Temple ruiné de
Yaweh – la réponse étant : « Le vin est fort, les femmes sont encore plus fortes,
mais la vérité triomphe de tout. »
En moins d’une année, en 487, la pierre d’angle du nouveau temple put être
posée, un événement qui coïncida avec la réapparition de la Shekinah,
précisément 480 ans après la fondation du premier Temple par le roi Salomon.
Les Judéens étaient placés devant un avenir nouveau et apparemment souriant.
Province de l’empire perse, mais libre une fois de plus de gérer ses propres
affaires religieuses, la Judée se voua entièrement à Yaweh. Pendant l’Exil, les
Juifs avaient purifié leur religion et posé les fondements de ce qui devait être le
judaïsme comme nous l’entendons (c’est, au sens strict, à partir de ce moment
que nous pouvons parler des « Juifs » – les fidèles de la religion revivifiée des
Judéens). Ils s’efforcèrent de mettre de l’ordre dans les nombreux conflits et les
contradictions que renfermaient la masse de leurs légendes et de leurs mythes.
C’est à cette époque qu’ils écrivirent l’essentiel de la Bible hébraïque (que les
chrétiens appellent l’Ancien Testament) – fusionnant différentes traditions pour
produire quelque chose pouvant ressembler à une histoire cohérente. Après ce
nouveau départ, le culte de Yaweh devint central dans la société juive, et les
religions comme les dieux des étrangers n’y furent plus tolérés comme ils
l’avaient été auparavant. Les non-Juifs furent persécutés et les religions
étrangères interdites. Juda devint une terre ou Yaweh, et Yaweh seulement,
devait être adoré.
Avant l’Exil, et pendant des siècles, tous les Israélites avaient cru qu’après la
mort l’âme du défunt gagnait une demeure souterraine informe, grisâtre et
poussiéreuse nommée le Sheol, afin d’y résider pendant un temps avant de se
fondre doucement dans le néant. Après le séjour à Babylone, une vision nouvelle
fut développée sous l’influence des prêtres de Salomon, selon laquelle le mal
était une force sombre, qu’ils nommèrent Satan, luttant contre Yaweh. Ils
adoptèrent également la croyance en une autre vie où la justice universelle
s’accomplirait après la mort, plutôt qu’au cours de la vie terrestre, ce qui eut
pour effet d’accroître le sentiment de responsabilité de chaque individu à l’égard
de ses actes.

Le Messie annoncé
Vers le milieu du IIe siècle avant notre ère, les membres de ce groupe secret se
portèrent de plus en plus loin du courant principal du judaïsme, en prévision des
événements importants qui devaient survenir. Un millier d’années avait passé
depuis que Salomon avait édicté ses lois et, au cours du temps, les Familles de
l’Étoile avaient tenté de susciter des changements. Elles avaient subi un brutal
retour en arrière quand les Babyloniens les avaient forcés à gagner l’Égypte. En
l’an 64 avant notre ère, elles avaient de nouveau souffert quand les armées de
Rome avaient envahi leur pays.
Pourtant, les Familles de l’Étoile croyaient qu’une apparition de la Shekinah
annoncerait la venue d’un grand sauveur de leur nation, le Messie (« l’Oint »).
La Shekinah était revenue en 487, soit 480 ans après la pose de la première
pierre du Temple de Salomon, mais aucun grand personnage ne s’était manifesté
alors. Désormais, 480 ans plus tard, en l’an 7 avant notre ère, elles attendaient la
prochaine apparition de la grande « étoile » flamboyante sur Jérusalem. Le
Messie viendrait-il cette fois ? Sans surprise, chacun attendait donc l’arrivée de
la Shekinah – même la marionnette que les envahisseurs Romains avaient placé
sur le trône de Judée : le roi Hérode le Grand.

a. Les traductions des textes bibliques en français sont tirées de la Nouvelle Bible Segond (2002) [ndt].
b. Nombres, 19, 1-10 [ndt]
c. Indiana, USA [ndt]
d. Dans la tradition juive, « dépôt » dans lequel sont temporairement conservés les écrits et les objets qui
ne peuvent être détruits car ils contiennent le nom divin [ndt].
e. Il s’agit ici du « Troisième Esdras », considéré comme apocryphe par les canons juif et chrétien, à ne pas
confondre avec le Livre d’Esdras de la Bible classique, référé précédemment, lequel ne comporte
précisément pas la mention de cette énigme qu’on y cherchera donc vainement [ndt].
CHAPITRE II

LE FILS DE L’ÉTOILE

Autour de l’an 8 de notre ère, le retour imminent de la Shekinah était un secret


largement partagé. Pratiquement tout le monde, en Israël, savait que 960 ans
s’étaient écoulés depuis que le roi Salomon avait posé la première pierre du
Temple et que, par conséquent, le deuxième apparition de la Shekinah devait se
produire. C’était surtout un cycle parfait de la Shekinah, car 1 440 ans plus tôt
Moïse avait conduit son peuple à travers la mer Rouge, ce que l’on avait toujours
considéré comme le rite de naissance de la nation des Hébreux tout entière – le
franchissement des eaux sur l’ordre de Dieu étant analogue à la perte des eaux
amniotiques par la mère sur le point d’enfanter.
Puisqu’une durée de 1 440 ans exactement s’était accomplie, la Shekinah
devait apparaître exactement à la même place dans le zodiaque (sur le fond des
étoiles). Elle devait par conséquent avoir parcouru les douze signes zodiacaux
qui représentaient les douze tribus d’Israël. Le retour à son point de départ dans
les cieux devait signifier que la vie en Israël allait aussi se renouveler et qu’un
« nouveau Moïse » ferait faire un nouveau pas au peuple élu de Dieu pour le
libérer des mains de ses oppresseurs.

Un nouveau temple
Lorsque la divine Shekinah avait brillé dans la constellation du Sagittaire, les
Égyptiens avaient réduit le peuple hébreu en esclavage, mais à présent c’était les
Romains qui occupaient le pays et tenaient les Juifs en captivité sur le sol même
que Dieu leur avait donné. Le souverain d’Israël était un homme de paille
nommé Hérode (« le Grand », qui régna de 30 avant notre ère à l’an 4 de notre
ère), qui avait peu de temps et peu d’intérêt pour ces questions mais était surtout
connu pour ses vastes projets architecturaux. Rien de tel ne s’était vu depuis
Salomon et Jérusalem commençait à paraître plus impressionnante que Rome
elle-même.
Onze ans avant le retour de la Shekinah, en 19, Hérode le Grand avait décidé
que le Temple de Yaweh, vieux de 500 ans et décrépi, devait être rebâti et
considérablement agrandi sur un mont du Temple bien plus étendu. Ayant peu
confiance en Hérode, le Juifs ne prirent réellement son plan au sérieux que
quand tous les matériaux nécessaires à la construction du nouveau Temple furent
réunis sur le site du chantier. Quelle que fût leur hostilité à l’égard d’Hérode,
c’était une occasion à ne pas manquer pour restaurer leur saint Temple.
Le chantier du nouveau temple fut exclusivement conduit par des maçons qui
étaient aussi des prêtres – exactement comme au temps de Salomon et même
lorsque que le Temple avait déjà été réédifié au Ve siècle avant notre ère par
Zorobabel. On rapporte qu’il ne fallut pas moins de 10 000 prêtres pour
construire le Temple d’Hérode, ce qui prit presque 90 ans. L’ensemble était à
peine achevé lorsqu’il fut détruit, en l’an 70 de notre ère, longtemps après la
mort d’Hérode.
Selon la loi juive, Dieu avait fixé l’emplacement et les dimensions du Temple,
de sorte qu’il était impossible pour Hérode de le déplacer ou de le faire plus long
ou plus large. Cependant, le Temple pouvait être plus élevé et construit à l’aide
de matériaux plus somptueux. Les efforts de construction furent surtout
concentrés sur la mise en place d’une vaste plate-forme pouvant former un
soubassement prestigieux pour le Temple. En élargissant la surface du mont du
Temple vers le nord, l’ouest et le sud, il créa un vaste plateau artificiel de plus 14
hectares. En revanche, le mur oriental qui surplombait la vallée du Cédron
demeura tel qu’il avait toujours été, pour que la lumière de la Shekinah puisse
entrer dans le Saint des Saints.
Quand la Shekinah arriva comme prévu, peu avant l’aube du 21 décembre de
l’an 8, les fondations n’en étaient qu’au début et le vieux Temple était toujours
sur son ancienne base, grâce à une démolition contrôlée et à l’emploi de
structures de soutien temporaires.

La venue du Messie
Le roi Hérode était douloureusement conscient que les Juifs attendaient alors le
« nouveau Moïse » qui le détrônerait pour établir un nouveau « royaume de
Dieu ». Ce guide avait pour nom le « Messie » – un terme dont la signification
était, pour les Juifs d’il y a 2 000 ans, très différente de ce qu’elle est pour les
chrétiens d’aujourd’hui.
Le terme Messie (de l’hébreu mashiah) signifiait littéralement « oint », ou
« frotté d’huile » – un acte rituel qui était la marque de la prêtrise ou de la
royauté. Il n’avait aucun autre sens et les Juifs ne considéraient certainement pas
que ce Messie était Dieu lui-même ni même le « Fils de Dieu ». De tels concepts
devaient apparaître bien plus tard parmi des étrangers apportant des idées
religieuses venues d’ailleurs. Le peuple d’Israël cherchait un homme qui serait
son roi et le conduirait à la victoire contre ses ennemis en général, contre les
Romains en particulier.
Les Juifs avaient de bonnes raisons de détester Hérode. Après son accession
au trône, il avait ordonné l’assassinat de ses rivaux de la précédente dynastie des
Hasmonéens (avant la conquête par les Romains en 63, les Hasmonéens avait
dirigé ce qui fut le dernier État juif indépendant jusqu’au XXe siècle) et il avait
confisqué les bien de l’aristocratie de Jérusalem afin de payer ses dettes envers
les Romains et son armée. Hérode prétendait être juif, mais en fait son père était
un Iduméen et sa mère une arabe nabatéenne. Un siècle plus tôt, les Hasmonéens
avaient soumis les Iduméens – les Édomites de la Bible, qui vivaient au sud de la
Judée et étaient des ennemis traditionnels d’Israël. Sous la pression des
Hasmonéens, les Iduméens s’étaient officiellement convertis au judaïsme, mais
les Juifs les regardaient toujours avec soupçon. L’Iduméen qui avait engendré
Hérode, Antipater, avait été fait procurateur de Judée sous Jules César, 40 ans
auparavant, et il servait à présent Hérode, comme gouverneur local sous mandat
des Romains. Il avait récemment fait la vie dure aux Pharisiens, une secte juive
traditionnaliste qui soutenait que le Messie mettrait fin à son pouvoir.
Le roi Hérode devait être profondément irrité par cette croyance selon laquelle
il serait bientôt chassé de son poste en dépit de tout ce qu’il avait fait pour
donner aux Juifs une capitale d’envergure internationale. Le fait qu’Hérode ait
cru ou non que le Messie des Juifs allait vraiment se mettre sur son chemin
importe peu : ses sujets le croyaient et ce seul fait pouvait conduire à des
troubles. Le roi, comme tout un chacun, savait ce qu’annonçait l’antique
« Prophétie de l’Étoile ». Elle apparaît dans l’Ancien Testament, au Livre des
Nombres, 24, 17, où il est prédit :

« Je le vois – mais ce n’est pas maintenant. Je le contemple - mais


ce n’est pas de près.
Un astre sorte de Jacob, un sceptre s’élève d’Israël.
Il fracasse les tempes de Moab et le crâne de tous les fils de Seth. »
La prophétie liait la venue du Messie au retour de la Shekinah – et cette étoile
divine apparut en effet lors du solstice d’hiver de l’an 8 avant notre ère. Mercure
et Vénus étaient en parfaite conjonction et resplendirent comme un phare dans le
ciel de Jérusalem, peu avant l’aube du 21 décembre.
La Shekinah brilla de façon si éblouissante que chacun en fut profondément
impressionné et que les Juifs commencèrent à chercher qui serait leur Messie. La
Shekinah (improprement appelée « Étoile de Bethléem dans la tradition
chrétienne ultérieure) est décrite dans l’Évangile de Matthieu (2,1) en référence
évidente à la Prophétie de l’Étoile :

« Après la naissance de Jésus, à Bethléem de Judée, aux jours du roi


Hérode, des mages d’Orient arrivèrent à Jérusalem, et dirent : Où est
le roi des Juifs qui vient de naître ? Car nous avons vu son étoile en
Orient et nous sommes venus nous prosterner devant lui. »

Ces hommes sages étaient des Mages, ce qui voulait dire originellement
« prêtres-astrologues » dans l’ancienne Perse, mais référait désormais à
quiconque possédait un savoir astrologique ou astronomique. Tout au long de
l’histoire, ceux qui possédaient la capacité de prévoir les mouvements célestes
avaient toujours été considérés comme dotés de pouvoirs dépassant l’intelligence
humaine normale, et les termes modernes de « mage » ou de « magicien »
proviennent de ce mot, initialement issu du perse. Il est probable que certains de
ces astronomes aient même été employés par Hérode pour calculer la date de la
Shekinah, afin qu’il soit préparé à toute révolte ou à tout soulèvement de la part
des habitants du pays.
Matthieu, au chapitre 2, nous dit aussi que le roi Hérode ordonna la mise à
mort de tous les enfants de moins de deux ans à Bethléem et aux alentours. Si
contrarié qu’Hérode ait pu être par la légende du Messie, le récit du massacre est
presque certainement une fiction inventée par les premiers chrétiens.
Néanmoins, il témoigne fidèlement de la dureté d’Hérode pour protéger son
trône ; vers la fin de sa vie, lorsque l’histoire fut forgée, il exécuta plusieurs
membres de sa propre famille.
Le calendrier moderne est fondé sur l’année présumée de naissance de Jésus-
Christ, et l’histoire est traditionnellement divisée en deux moitiés de part et
d’autre de cet événement, « av. J.-C. » (« avant Jésus-Christ. ») et « ap. J.-C. »
(« après Jésus-Christ »)a. On utilise désormais de plus en plus les formules
« avant notre ère » et « de notre ère »)b. Il n’y a pas d’année zéro dans ce comput
et le Christ est donc né en l’an 1, ce qui veut dire que nombre de gens ont
célébré le récent millénaire un an trop tôt, car le 2000e anniversaire de la
naissance du Christ tombait en 2001 et non en 2000.
Mais il est certain que ce calcul est faux car les annales nous disent clairement
qu’Hérode mourut à Jéricho peu avant son 70e anniversaire, vers le mois de mars
ou d’avril de l’an 4 avant notre ère – juste après une éclipse de lune. Cette date
fut même un problème pour de nombreux érudits chrétiens à une certaine
époque, car Hérode aurait pu difficilement tenter de tuer une personne née quatre
ans après sa propre mort. Selon notre estimation et suivant la tradition de la
Shekinah, Jésus naquit en l’an 8 avant notre ère, et non en l’an 1 de notre ère, de
sorte que leurs vies se sont bien croisées.
Ainsi, Jésus pourrait être né quand la Shekinah était dans le ciel, un 21
décembre. Toutefois, il semble plus probable que tous les récits de la naissance
de Jésus ne sont que des fictions destinées à justifier une affirmation plus tardive
selon laquelle il était le Messie annoncé. Mais Jésus ne fut pas le seul
personnage pour qui on ait revendiqué un statut messianique. Il est établi qu’au
moment où de nombreux Juifs pensaient qu’un Messie allait arriver, son nom
n’était pas Jésus, mais Jean.

Jean le Christ ?
Selon le Nouveau Testament, nombre de gens pensaient que Jean le Baptiste était
le Messie annoncé, et c’était certainement un personnage remarquable. Dans
l’Évangile de Luc (1, 15-17), on nous dit à propos de Jean-Baptiste que ce
dernier

« sera grand devant le Seigneur, il ne boira ni vin ni boisson


alcoolisée, il sera rempli d’Esprit saint depuis le ventre de sa mère,
Et il ramènera beaucoup d’Israélites au Seigneur leur Dieu.
Il ira devant lui avec l’esprit et la puissance d’Élie, afin de
ramener le cœur des pères vers les enfants et des rebelles à
l’intelligence des justes, et de former pour le Seigneur un peuple
préparé. »

Et plus loin, dans Luc 3, 15, il est dit que « le peuple était dans l’attente et que
tous se demandaient si Jean n’était pas le Christ ».
Il est à peu près certain que tous ou presque, dans « l’Église de Jérusalem »,
considéraient Jean-Baptiste comme le Messie (en grec khristos – le Christ) qu’on
leur avait promis. C’était un saint homme et il baptisa Jésus comme l’un de ses
disciples, un événement dont on a détourné le sens comme impliquant que Jean
était simplement le précurseur de Jésus.
Selon le Nouveau Testament, Jean-Baptiste est de la lignée sacerdotale de
Jésus. Cependant, un autre groupe important, les Mandéens, contestent cette
affirmation. Les Mandéens forment une communauté religieuse ancienne,
secrète et monothéiste principalement répandue en Irak et dans la province
iranienne du Khuzestân. Leur origine se situe à Jérusalem au temps du Christ et
un chercheur l’a décrite comme une « communauté petite mais tenace » qui
« suit une forme ancienne de gnosticisme » et « pratique une initiation, connaît
des phénomènes d’extase et des rituels dont on a dit qu’ils ressemblaient à ceux
des francs-maçons.1 »
Les Mandéens croient que Jean-Baptiste, qu’ils nomment Yahia dans leur
Sidra d-Yahia (Le Livre de Jean), fut le dernier et le plus important de tous les
prophètes et ils rejettent l’idée que Jésus-Christ (Yshu Mshiha) était soit le
Messie, soit un prophète. Pour eux, Jean-Baptiste seul était le vrai Messie.
Nous trouvons très intéressant qu’une secte très ancienne, dont la mémoire
culturelle remonte aux premières décennies du Ier siècle de notre ère, puisse
éventuellement posséder des rituels qui sembleraient de nature maçonnique. Il
n’est pas inintéressant de noter le fait que ce groupe vénérait Jean-Baptiste par
préférence à Jésus bien avant le début de son ministère et a continué jusqu’à ce
jour.
Il fait peu de doute que de nombreux autres groupes ont dû à un moment ou à
un autre, se trouver en accord avec la vision des Mandéens. Selon Hugh
Schonfield, un des principaux spécialistes des manuscrits de la mer Morte, il est
à peu près certain que Jean-Baptiste fut la première personnalité messianique et
le fondateur de « la Voie » – ce mouvement qui donna naissance à l’Église de
Jérusalem2.
Toutes les sources disponibles suggèrent fortement que Jean était tenu pour le
Messie et fut exécuté pour cette raison par les autorités à la solde de Rome3.
Josèphe, historien des Juifs au Ier siècle, considéré par de nombreux historiens
comme un témoin plus fidèle que les Évangiles, a rapporté que Hérode (c’est-à-
dire Hérode Antipas, le fils de Hérode le Grand) avait mis à mort Jean-Baptiste
pour prévenir une rébellion en l’an 36 de notre ère. Cela a soulevé un problème
pour les théologiens chrétiens qui pensent que Jean a disparu avant Jésus, or
Jésus est supposé avoir été crucifié trois ans avant cette date. Cependant, il n’y a
pas de problème car il y a de forts arguments pour montrer que Jésus est bien
mort après Jean.
En fait, il apparaît que Jésus fut le successeur de Jean comme chef de l’Église
de Jérusalem, celle des Ébionites. En ce sens, les deux furent considérés comme
le Messie – et nous pouvons être certains que les Juifs crurent alors que le
Messie était vraiment arrivé. Un document de cette époque, mis au jour
récemment, nous en apprend beaucoup à ce sujet. On peut y lire ceci : « Une
étoile a fait route de Jacob, un sceptre s’est levé en Israël, et il fracassera les
tempes de Moab et détruira tous les fils de Seth. »4 Il s’agit de l’un des
manuscrits de la mer Morte, ces vieux documents juifs cachés dans une grotte du
désert de Judée et redécouverts en 1947. La première ligne confirme que le
Messie attendu était bien arrivé, et la deuxième ligne nous informe qu’il va
bientôt commencer le guerre contre les ennemis du peuple juif. Le sceptre est le
symbole de la royauté dans presque toutes les cultures et confirme ainsi qu’on le
considérait comme le Messie royal. Cependant, l’avènement de ce nouveau
Messie ne pouvait pas avoir eu lieu à Bethléem, comme l’affirme par erreur
l’Évangile de Matthieu, car cette petite bourgade se trouve dans le sud de la
Judée. Pour être issu de l’ancienne terre d’Israël, comme le disait la prophétie, il
devait venir d’une région située bien plus au nord. Par exemple à Nazareth, en
Galilée (nous entendons ici Israël comme référant à une situation géographique
originelle et non comme un terme désignant la nation juive entière, ce qu’il a
finalement signifié).

Jésus, le Maçon
De nos jours, l’histoire de la chrétienté est centrée par l’arrivée d’un Messie juif,
né d’une vierge sous la lumière d’une étoile brillante apparue à l’est. Il était venu
pour réaliser des miracles et fut finalement exécuté avant de ressusciter et de
retourner au ciel.
On ne peut pas savoir si l’homme que nous appelons aujourd’hui Jésus-Christ
était né au moment où survint la Shekinah, mais nous sommes sûrs que lui, ou
ses disciples, ont affirmé qu’il était le Messie royal qui devait apparaître dans la
lumière de l’étoile divine. L’auteur de l’Apocalypse (22,16), écrivant environ 40
ans après la mort tant de Jean que de Jésus, cite ainsi Jésus : « Moi, Jésus, j’ai
envoyé mon ange pour vous apporter ce témoignage au sujet des Églises. C’est
moi qui suis le rejeton de la postérité de David, l’étoile resplendissante du
matin. »

On sait peu de chose des premières années de la vie de Jésus, mais il naquit
presque certainement en Galilée, peut-être dans un petit village nommé
Nazareth, et vécut à Capharnaüm, qui se trouve en Galilée.
Le nom de « Jésus » vient du latin Iesus et du grec Iesous, une façon de rendre
le nom hébreu autrefois assez commun de Yeshua, contraction de Yehoshua
(Yahoshua, Joshua), qui signifie « aide de Yaweh » et comporte la notion de
« sauveur ».
Le mot « Christ » vient du grec khristos. C’est simplement la traduction du
mot hébreu désignant le Messie (mashiah) – lequel, nous l’avons noté, veut dire
« frotté d’huile » (« le chrême ») comme marque de sa dignité sacerdotale et
royale. Beaucoup de gens considère le mot « Christ » comme un nom propre,
comme si « Jésus-Christ » était l’équivalent, en français moderne, de « Josué
Roi ». Mais « Christ » était un titre, de sorte qu’il faudrait rendre l’expression
« Jésus-Christ », non par « Josué Roi » mais par « Josué, le Roi ». Car ce même
Jésus était destiné à être le roi de la nation juive.
Classiquement, on rapporte que Jésus était charpentier comme son père.
Toutefois, le mot grec utilisé dans les Évangiles était tekton, ce qui veut
simplement dire « artisan, homme de métier » – un terme couramment utilisé
pour désigner un maître artisan travaillant la pierre. Il est à peu près certain que
si l’ascendance sacerdotale et davidique attribuée à Jésus dans les Évangiles
(Matthieu, 1, 1-17 ; Luc, 3, 23-28) était le moins du monde établie, il devait être
un prêtre héréditaire et très probablement l’un des 10 000 hommes saints qui
vinrent travailler à Jérusalem comme maçons sur le chantier du nouveau grand
Temple. C’est un fait qu’il y avait très peu de charpentiers à Jérusalem car les
constructions de l’époque recouraient peu au bois, alors qu’il y avait une foule
de maçons travaillant sur le nouveau Temple d’Hérode. Surtout, il est certain que
Jésus était un prêtre – il ne pouvait donc pas être seulement un pauvre
charpentier.
Dans la Première Épître de Pierre, 2, 4-9, il est nous est dit (prétendument par
celui qui devint plus tard le premier pape de Rome), en des termes qui évoquent
le métier de maçon, que Jésus était un prêtre de lignée royale et que son pouvoir
était lié à la sainte lumière de la Shekinah :

« Approchez-vous de lui, pierre vivante, rejetée par les hommes,


mais choisie et précieuse devant Dieu ; et vous-mêmes, comme des
pierres vivantes, édifiez-vous pour former une maison spirituelle, un
saint sacerdoce, afin d’offrir des victimes spirituelles, agréables à
Dieu par Jésus Christ. Car il est dit dans l’Écriture : Voici, je mets en
Sion une pierre angulaire, choisie, précieuse ; et celui qui croit en
elle ne sera point confus. L’honneur est donc pour vous, qui croyez.
Mais, pour les incrédules, La pierre qu’ont rejetée ceux qui
bâtissaient est devenue la principale de l’angle, et une pierre
d’achoppement et un rocher de scandale ; ils s’y heurtent pour
n’avoir pas cru à la parole, et c’est à cela qu’ils sont destinés. Vous,
au contraire, vous êtes une race élue, un sacerdoce royal, une nation
sainte, un peuple acquis, afin que vous annonciez les vertus de celui
qui vous a appelés des ténèbres à son admirable lumière. »5

De nos jours, la plupart des spécialistes reconnaissent que le mot grec tekton a
une signification très large, et notre conviction est que la traduction longtemps
admise de ce mot par « charpentier » est une erreur manifeste. Il n’y pas
d’argument ni même de logique pour la justifier, alors qu’il existe de fortes
raisons de traduire par « maçon ». Les Évangiles en français utilisent le mot
« rabbi » en 13 endroits et emploient 47 fois le mot « maître » pour désigner
Jésus – et ces deux mots auraient pu s’appliquer à un prêtre de haut rang. On
nous dit que des étrangers sont venus voir Jésus pour lui demander de chasser les
démons, de guérir les malades, de régler les disputes et de valider les dernières
volontés. Il devait logiquement avoir l’apparence d’un prêtre, par son allure, son
vêtement, ou les deux, et dut être considéré comme tel.
Nous avons donc établi qu’il est au moins assez raisonnable de penser que
Jésus a affirmé être :

de sang royal, descendant de David et de Salomon.


né au moment où la Shekinah était apparue, comme prévu par la Prophétie de
l’Étoile – exactement 1 440 ans après la traversée de la mer Rouge par Moïse à
la tête de son peuple.
le nouveau Messie qui devait devenir roi des Juifs et les soulever contre les
Romains.
un prêtre de haut rang travaillant comme maçon sur le chantier du nouveau
Temple.
Les Esséniens
Jusqu’au milieu du XXe siècle, on pensait que le vocabulaire employé par l’Église
de Jérusalem avait représenté quelque chose de profondément nouveau et
original. Mais la découverte des manuscrits de la mer Morte a changé une fois
pour toutes cette façon de voir.
Le groupe initial de ceux qui étaient engagés avec Jean-Baptiste, et plus tard
avec Jésus, se désignaient comme les adeptes de la « Voie » et se réunissaient
dans ce que nous pouvons appeler des églises. Mais c’était également le cas,
comme l’ont révélé les manuscrits, de ceux qui ont laissé ces documents en
lambeaux dans des grottes de Qumran, au désert de Judée. Il paraît très probable,
comme l’admettent de nombreux spécialistes de la Bible, que ces deux groupes,
de même que Jean et Jésus eux-mêmes, faisaient partie d’un même mouvement :
les Esséniens. C’était une confrérie juive très religieuse qui différait beaucoup du
courant majoritaire du judaïsme. Une des différences fondamentales était qu’ils
structuraient leur calendrier et déterminaient les jours saints selon les
mouvements du soleil, et non ceux de la lune comme le faisaient les autres Juifs.
Dans les manuscrits de la mer Morte, les Esséniens se désignent de diverses
manières, souvent comme les « Fils de la Lumière », les « Purs en esprit », les
« Pauvres » ou les disciples de la « Voie ». Leurs propres archives montrent
qu’ils se considéraient comme des « saints » qui vivaient dans la « maison de la
sainteté » car le « Saint Esprit » habitait parmi eux. Leurs enseignements
insistaient sur l’amour de Dieu, de la vertu et des autres hommes.
Les rédacteurs des manuscrits de la mer Morte ont des façons de se décrire qui
étaient par ailleurs propres aux disciples de Jésus. Ils faisaient référence aux
fidèles de leur foi comme aux « élus » et aux « enfants de lumière » – des
expressions utilisées par le Nouveau Testament pour qualifier les Chrétiens (Tite,
1,1 ; Pierre, 1, 2 ; Ephésiens, 5, 8).
Pourtant, ce groupe n’est pas mentionné dans la Bible chrétienne, ni dans
aucun autre écrit juif postérieur. À l’époque de Jésus, plusieurs groupes étaient
impliqués dans la vie politique et religieuse de Jérusalem et dans le pays en
général. Les plus importants étaient les Pharisiens, les Sadducéens, les
Hérodiens et les Esséniens. Le Nouveau Testament ne fait pas la moindre
allusion aux Esséniens, alors qu’il mentionne souvent les autres groupes. C’est
un oubli extrêmement curieux, alors même que plusieurs célèbres auteurs non
chrétiens de l’époque – Philon, Pline l’Ancien et Josèphe – ont écrit sur les
Esséniens.
Un récit de l’historien juif Philon d’Alexandrie (- 20 avant J.-C. ; 40 ap. J.-C.)
à propos des Esséniens estimait que plus de 4 000 d’entre eux étaient établis en
de nombreux endroits au sein du pays juif. Il nous rapporte que seuls des
hommes d’âge mûr pouvaient être admis dans la sectec et qu’ils préféraient vivre
dans les villages plutôt que dans les villes. Il dit aussi qu’ils s’occupaient des
malades et des vieillards et qu’ils étaient fermiers, bergers, vachers, apiculteurs,
artisans et homme des métiers mais qu’ils ne fabriquaient pas d’armes et ne
pratiquaient aucun commerce.
Les Esséniens rejetaient l’esclavage et pensaient que la fraternité était le lien
naturel entre les hommes mais qu’il avait été détruit par la cupidité. Ils
s’adonnaient beaucoup à la lecture, ne s’intéressant cependant pas à la
philosophie en général mais seulement à la morale. Ils revenaient du travail dans
la joie, comme s’ils s’étaient divertis tout le jour, et ils considéraient la
satisfaction de l’esprit comme la plus grande des richesses. Ils enseignaient la
piété et la sainteté. Leur amour du prochain se manifestait, nous dit Philon, par
leur bienveillance, leur esprit d’égalité et la mise en commun de tous leurs biens.
Pline l’Ancien (23-79), le naturaliste romain, a rapporté que le but des
Esséniens était de recueillir le « repentir d’autrui » et a dit ailleurs que les
Esséniens se réunissaient en « assemblée » et jugeaient qu’ils étaient « nés une
seconde fois ».
En résumé, les Esséniens vivaient en accord avec ce que nous nommerions de
nos jours des « valeurs chrétiennes » et employaient des mots que nous
estimerions à présent absolument « chrétiens ».
Les Esséniens ne souhaitaient rien posséder au monde et distribuaient les
biens selon les besoins de chacun. Ils étaient passionnément attachés à une
scrupuleuse propreté – ce qui impliquait de se baigner dans l’eau froide et de
porter des vêtements d’une parfaite blancheur. Ils refusaient de jurer, de prêter
serment – en dehors de leur propre engagement d’appartenance – et rejetaient
toute participation à un négoce ou un commerce.
On a également rapporté que les Esséniens recrutaient parmi ceux qui avaient
renoncé aux biens matériels – ceux qui s’étaient préparés à « naître une seconde
fois ». Mais leur principale méthode d’accroissement était l’adoption d’enfants
qu’ils conduisaient vers le royaume de Dieu. Cela donne du sens à la curieuse
citation attribuée à Jésus dans Luc, 18, 16 :

« Laissez les enfants venir à moi, ne les empêchez pas, car le


royaume de Dieu est pour ceux qui sont comme eux. »

Ce groupe spirituel influent, centré sur Jérusalem, était composé de personnes


qui se désignaient diversement. L’un des noms qu’ils se donnaient, et qui est
devenu plus répandu que d’autres, était les « Pauvres », ce qui se dit en hébreu
ebyonim – qui donna plus le terme d’Ébionites.
Philon nous dit que ces saintes personnes dédiaient toute leur attention à
l’étude de la morale, instruisant des préceptes de leur pays, ce qui, estimaient-ils,
était impossible à tout esprit humain sans inspiration divine. Il précise que ces
lois étaient enseignées en tout temps mais spécialement le septième jour,
précisant que « le septième est tenu pour sacré, ils s’y abstiennent de toute
activité et vont à leurs synagogues, comme ils nomment ces endroits. »
Philon utilise le mot « synagogue » ce qui à première vue semble confirmer la
judéité de ce groupe – mais ce n’est pas nécessairement le cas. À cette époque,
tout le culte juif était essentiellement centré sur le Temple de Jérusalem et il n’y
avait pas de synagogues au sens moderne du mot. Ce mot grec est simplement
utilisé par Philon pour traduire un terme en araméen (la langue courante de la
Palestine en ce temps-là) dont faisaient usage les Esséniens, et qui ne signifiait
rien d’autre que « lieu de réunion » pour ceux qui se considéraient comme « les
pauvres » et « le peuple de Dieu ».
Il est probable qu’un « lieu de réunion » du « peuple de Dieu » devait
s’appeler une « maison de Dieu », ou domos kuriakosd dont dérive le mot
« église ». Celle qui était en usage à Jérusalem après la mort de Jésus était
« l’Église de Jérusalem », qu’on sait avoir été dirigée par Jacques, le frère de
Jésus.
Philon explique comment les églises esséniennes fonctionnaient :

« L’un d’entre eux prend le saint livre et le lit, tandis qu’un autre
homme de grande expérience s’avance et explique ce qui n’est pas
très intelligible, car un grand nombre de préceptes sont énoncés en
des termes énigmatiques et allégoriques, à la façon ancienne, et ainsi
le peuple est instruit sur la piété, la sainteté, la justice et l’économie,
la science du gouvernement des états, la connaissance des choses
naturellement bonnes, mauvaises ou indifférentes, l’art de choisir ce
qui est bien et d’éviter ce qui est mal, faisant usage pour cela d’une
triplicité de définitions, règles et critères, à savoir : l’amour de Dieu,
de la vertu et de l’humanité. »

Philon décrit ici le recours aux paraboles par les plus hauts prêtres esséniens –
exactement comme on voit Jésus le faire dans les Évangiles chrétiens ; c’est
pourquoi nous croyons que Jésus appartenait à cette secte.
Vie et rituels des Esséniens
L’écrivain du Ier siècle qui a le plus écrit sur les Juifs fut Josèphe (env. 37 – env.
100). Il laisse entendre qu’il avait été lui-même initié dans la confrérie
essénienne. Dans ses deux célèbres ouvrages, La guerre des Juifs et Les
antiquités judaïques, il affirme que la plupart des Esséniens ne se mariaient pas.
Quelques-uns le faisaient mais ils respectaient des règles strictes dans leur vie
sexuelle. Ils considéraient le plaisir comme un mal et s’imposaient une
continence et une maîtrise de soi ; ils portaient des robes blanches et parlaient
d’eux-mêmes comme étant du « Liban », un terme qui en araméen voulait dire
« blanc ».
Selon Josèphe, ces hommes commençaient leur journée en se tournant vers
l’est pour prier comme « dans une invocation au soleil levant ». Ils se baignaient
souvent dans des citernes d’eau froide et se réunissaient pour un repas sacré dans
une salle où seuls les initiés étaient admis. Après une humble prière dite par un
prêtre, ils partageaient le pain et un seul type d’aliment. Ils achevaient le repas
par une autre prière pour remercier Dieu, dispensateur de la nourriture.
Josèphe nous apprend également que la vie des Esséniens était encadrée par
des « surveillants » (du grec episkopos – d’où le mot « évêque ») qui
organisaient leur emploi du temps quotidien, laissant seulement aux frères leur
liberté pour deux choses – porter assistance à ceux qui étaient dans le besoin et
montrer de la compassion. Jacques, le frère de Jésus, était qualifié d’episkopos,
ou évêque de Jérusalem.
Pour être admis, un prosélyte devait d’abord vivre à la manière des Esséniens
pendant un an afin de faire ses preuves avant d’être baptisé. Il devait alors
continuer à vivre selon leur coutume pendant deux autres années pour démontrer
qu’il était digne de confiance. C’était seulement à ce stade qu’il pouvait prêter le
serment solennel qui faisait de lui un membre à part entière et lui permettait de
prendre part au repas sacré. Il devait s’engager à la piété envers Dieu, à faire
justice à tous les hommes et à ne jamais porter tort à qui que ce fût, de lui-même
ou sur l’ordre de quiconque.
Les Esséniens prêtaient des vœux qui les obligeaient :

à faire acte de piété envers Dieu ;


à se montrer justes envers tous les hommes ;
à se montrer des hommes fidèles, spécialement à l’égard des autorités ;
à être de perpétuels adorateurs de la vérité ;
à garder leurs enseignements secrets.
Les Esséniens se considéraient eux-mêmes comme les « élus » de Dieu et
manifestaient en tous points leur appartenance à une importante Famille de
l’Étoile, d’essence sacerdotale, qui avait survécu depuis le temps de Salomon.
Quiconque enfreignait le serment des Esséniens ou était reconnu coupable d’un
péché était sanctionné par l’expulsion hors de l’Église.
Être ainsi chassé était une terrible punition car le pécheur ne pouvait accepter
aucun secours de l’extérieur sans la permission de l’évêque, et il finissait par
mourir de faim. L’excommunication était donc une sentence de mort, car aucun
Essénien n’aurait transgressé ses vœux, même après avoir été rejeté par ses
compagnons. En réalité, la communauté acceptait généralement que les fauteurs
reviennent au bercail quand on estimait qu’ils avaient été suffisamment punis.
Un exemple de cette procédure des Esséniens se trouve dans le Nouveau
Testament, dans une histoire qui ne peut pas avoir de sens si l’on ignore ces
règles et ces sanctions. Les faits se passent après que Jacques, le frère de Jésus,
eut ordonné que tous les nouveaux fidèles vendent leurs biens et en versent le
produit à l’Église. Un couple, Ananias et Saphira, fut convaincu d’avoir gardé un
peu d’argent de la vente de leur terre. Comme on le rapporte dans Actes 5, 1-11,
l’apôtre Pierre fit apparemment mourir le couple pour sa malhonnêteté. En
réalité, il dut sans aucun doute se produire les faits suivants :
Un homme nommé Ananias et sa femme Saphira étaient « nés une seconde
fois » en rejoignant le groupe des Esséniens que dirigeait Jacques, le frère de
Jésus. Ils cédèrent par conséquent, comme ils le devaient, tous leurs biens pour
en donner le prix à l’Église, mais on vint à dire qu’ils avaient gardé de l’argent
pour eux.
Ananias apporta l’argent de la vente à l’un des anciens, nommé Simon
(Pierre). « Pourquoi Satan a-t-il rempli ton cœur, que tu mentes à l’Esprit Saint et
détourne une partir du prix du champ ? » demanda Pierre très froidement.
Ananias parut terrifié et ne répondit rien.
« Quand tu avais ton bien, n’étais-tu pas libre de le garder, et quand tu l’as
vendu, ne pouvais-tu disposer du prix à ton gré ? Comment donc cette décision
a-t-elle pu naître dans ton cœur ? Ce n’est pas à des hommes que tu as menti,
mais à Dieu ! » ajouta Simon.
Dès cet instant, Ananias fut tenu pour « mort ». Son statut de « deux fois né »
avait été révoqué au moment même où il avait été excommunié par l’Église. Il
fut alors escorté hors de la maison et jeté au-dehors, parmi les « morts ».
Trois heures plus tard, la femme d’Ananias survint, ignorant que son
inconduite avait été découverte et que son mari et elle-même avaient été
excommuniés. Simon l’attendait :
« Dis-moi, le champ que vous avez vendu, c’était pour combien ? »
interrogea-t-il.
Saphira admit que la vente avait bien eu lieu mais elle mentit sur le prix.
« Comment avez-vous pu vous concerter pour mettre l’Esprit du Seigneur à
l’épreuve ? » demanda Simon, en désignant du doigt l’entrée de la maison. « Eh
bien ! Voici à la porte les pas de ceux qui ont enterré ton mari ; ils vont aussi
t’emporter. »
La femme fut aussitôt considérée comme « morte », à l’exemple de son mari.
Ceux qui, plus tard, n’étant pas Esséniens, rédigèrent les Actes, ont commis
l’erreur d’interpréter ce qu’avait fait Pierre comme le meurtre pur et simple
d’Ananias et de Saphira, au lieu d’y voir une excommunication pour
malhonnêteté. L’incompréhension du sens donné à certains mots par ce groupe
de Juifs a conduit les chrétiens à présenter le Prince des Apôtres comme
l’exécuteur de son propre peuple.
Attribuer directement à Dieu la mise à mort de ces personnes, pour un écart de
conduite plutôt modeste, serait une caricature absolue du concept chrétien d’un
Dieu aimant et miséricordieux.
Il y a une confusion du même ordre dans l’idée que Jésus vint, ici ou là,
réanimer des corps pour faire plaisir à ses amis. L’histoire de Lazare en est un
exemple très clair. Il nous paraît aller de soi que Lazare n’était pas littéralement
mort, mais avait été excommunié pour quatre jours jusqu’au moment où Jésus
l’avait autorisé à revenir parmi les « vivants ». Jésus, comme tous les Esséniens,
croyait en la résurrection des morts – une chose qui devait leur arriver à tous, à
la fin des temps, lorsque le royaume de Dieu serait établi. Ses disciples
n’attendaient sûrement pas que leur Messie-roi fasse revivre des cadavres en ce
monde. Une telle idée leur aurait semblé folle.
Mais être excommunié de l’Église n’était pas une bonne nouvelle, dans ce
monde comme dans l’autre. À la différence des autres Juifs, les Esséniens
croyaient qu’après la mort physique, les « Fils de la Lumière » ressusciteraient
dans le royaume de Dieu au troisième jour. Eux seuls devaient ressusciter dans
ce monde idéal car ils étaient le peuple parfait de Dieu. Tout y apparaîtrait
comme pendant leur vie, à cela près que tout y serait parfait – le royaume de
Dieu serait sur la terre, libéré du péché. Ils y vivraient pour toujours dans des
corps incorruptibles en récompense de leur vertu.
Les Esséniens étaient fondamentalement différents des autres Juifs, et
particulièrement, nous l’avons noté, parce qu’ils fixaient leurs jours saints selon
les mouvements du Soleil plutôt que de la Lune. Josèphe a rapporté comment ils
enseignaient leur science aux enfants qu’ils recueillaient, et ils étaient connus
pour leur savoir médical. Leur mode de vie, propre et soigneux, ainsi que leur
science médicale, rendaient compte de leur longue vie. Josèphe affirme que
beaucoup d’entre eux vivaient plus de 100 ans6.

Jésus : le Messie prétendu des Esséniens


Ce peuple pacifique était dispersé sur une assez vaste étendue, entre Alexandrie
et Damas, mais leur site le plus célèbre se situait sur les bords de la mer Rouge, à
l’endroit le plus bas situé de toute la planète, à plus de 400 m sous le niveau de
la mer. C’est là, sur les rives de ce lac salé sans vie – au point le plus proche de
Jérusalem – que se tient Qumran, un lieu qui fut habité entre le milieu du IIe
siècle avant notre ère et jusqu’en l’an 68 de notre ère. Il fut passagèrement
déserté l’année où Hérode monta sur le trône de Judée, en raison d’un
tremblement de terre qui avait fait s’écrouler les murs de ce bastion du désert –
un événement qui accrut encore le ressentiment contre Hérode et le désir de voir
arriver le Messie attendu.
C’est dans les grottes qui surplombent Qumran que furent découverts les
manuscrits de la mer Morte, entre 1947 et 1956. Les restes de 825 à 870
rouleaux différents ont été identifiés. Ces documents inestimables révèlent que
les Esséniens formaient vraiment une secte messianique et apocalyptique,
pratiquant le baptême et croyaient qu’ils avaient bénéficié d’une « nouvelle
alliance » avec Dieu. Les rouleaux rapportent comment ces hommes avaient
suivi un chef qu’ils nommaient le « Maître de Justice », qui avait été combattu et
peut-être tué par le sacerdoce officiel de Jérusalem.
Un fragment récemment découvert de ces manuscrits, nommé Apocalypse
messianique (4Q521), contient trois importantes références qui établissent un
lien très clair entre les Esséniens et l’Église chrétienne primitive. Premièrement
le texte évoque le Messie qui gouvernera le ciel et la terre. Ensuite sont rapportés
les espoirs de résurrection des morts lorsque le Messie sera là. Enfin, il est dit
comment identifier le Messie lorsqu’il surgira. Les manuscrits précisent :

« Il guérira les blessés graves, il ressuscitera les morts, il consolera


les affligés. »

Jésus parvint en Judée, venant de Galilée, en affirmant qu’il était le Messie


annoncé et disant aux disciples de Jean-Baptiste :
« Les morts se réveillent, la bonne nouvelle est annoncée aux
pauvres.7 »

Il ne fait pas le moindre doute qu’après avoir succédé à Jean-Baptiste, Jésus


savait qu’il avait accompli les espérances messianiques rapportées par la
tradition essénienne. Les Esséniens se désignaient eux-mêmes comme les
« vivants » et qualifiaient tous les autres de « morts ». Et Jésus convertissait des
foules de Juifs à l’idée nouvelle de ces églises formant le « Peuple de Dieu ».
Jésus était le Messie combattant – celui qui les conduirait lors de la guerre
apocalyptique annoncée entre le grand Satan (les Romains) et les Fils de Dieu.
Le nouvel ordre du monde venait enfin.
Les paroles de Jésus à propos de ceux qui devaient se relever d’entre les
morts, voulaient simplement dire qu’il était le Messie qu’on leur avait promis,
celui qui conduirait tout le peuple sur le chemin de la lumière. Il savait qu’il lui
fallait en remplir tous les critères :

il devait être né au moment où la Shekinah s’était levée à l’est ;


il devait régir le ciel et la terre comme son royaume éternel ;
son esprit devait se consacrer aux pauvres ;
il devait ressusciter ceux qui avaient la foi ;
il devait redonner la vue aux aveugles ;
il devait faire preuve d’affectueuse bonté ;
il devait guérir les malades ;
il devait annoncer la bonne nouvelle aux pauvres ;
il serait le « berger » du « troupeau » de ses disciples ;
il serait appelé le « Fils de Dieu ».

Selon les anciennes lois de la royauté d’Israël, tous les événements se


produisaient par périodes de 40 ans. Saül, David et Salomon et d’autres grands
rois avaient régné pendant 40 ans, et Moïse avait conduit son peuple hors
d’Égypte au début de sa troisième période de 40 ans, à l’âge de 80 ans, étant
mort à 120 ans.
Puisque Jésus était né en l’an 8 avant notre ère, s’il commença à prêcher pour
le royaume vers la quarantaine, il devait être actif dès l’an 35 ou 36 de notre ère,
probablement l’année où Jean-Baptiste fut mis à mort8. Jésus lui-même fut
crucifié dans le mois qui suivit la mort de Jean-Baptiste.
Cette chronologie explique pourquoi dans Jean, 8, 57, on dit à Jésus :
« Tu n’as pas encore cinquante ans. »

Si c’est là un jugement raisonnable à l’égard d’une personne de la


quarantaine, c’est difficilement concevable à propos d’un homme d’une trentaine
d’années.
Comme tous les Esséniens, Jésus annonçait un évangile de paix et d’amour,
mais lui-même et ses disciples savaient qu’une terrible guerre était inévitable. Il
espérait pouvoir la conduire et ce conflit était supposé durer 40 ans. La sagesse
du Messie incluait une science du calendrier par laquelle tout devait être
accompli au moment voulu comme de la bonne façon. Comme Jésus était né au
moment de l’apparition de la Shekinah, alors qu’il atteignait ses 40 ans Vénus
avait achevé exactement un cycle. Le document essénien de Qumran appelé « La
Règle de la Communauté » stipule que les adeptes de la secte « ne feront pas un
seul pas hors des paroles de Dieu en ce qui concerne leur temps ; ni ne
devanceront leur temps ni ne seront en retard pour aucune de leurs fêtes.9 »
Ils devaient rester en harmonie avec « les lois de la grande lumière du Ciel10 ».
Ceux qui suivaient la voie de la Shekinah étaient les « Fils de la Lumière » –
ceux qui « étaient nés de la vérité » et suivaient la voie de la paix, de l’humilité,
de la patience et de la bonté. Tous les autres, et notamment les Juifs qui suivaient
la marche de la Lune (y compris les prêtres officiels de Jérusalem à cette
époque) étaient « les enfants des ténèbres », ceux qui étaient « nés de l’erreur ».
Les manuscrits de la mer Morte nous disent comment, sous la conduite du
prince de leur congrégation, les Fils de la Lumière attaqueraient l’armée de
Satan, d’abord en éliminant les Juifs impies et ensuite les Romains eux-mêmes.
La guerre serait rude et sanglante avant que Dieu n’intervienne en personne pour
donner la victoire à ses enfants. Alors viendrait vraiment le temps du Messie qui
« enseignerait la justice à la fin des temps. » Puis les justes disparus revivraient
pour partager enfin cette gloire éternelle.
Jésus amorça sa dernière étape en passant 40 jours soumis à la tentation de
Satan. Chaque jour représentait un an et « tentation » voulait dire « épreuve de
force ». Jésus voyait ce qu’il y avait encore à faire. La terre des humains était
exactement reflétée par l’hôte des cieux. Dieu s’apprêtait à restaurer l’ordre qu’il
avait voulu entre le ciel et la terre. Les chrétiens, de nos jours, font usage des
prières messianiques des Esséniens sans rien y comprendre.

« Que ton règne vienne. Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel ».

C’était sûrement dans l’attente de ce moment que le roi Salomon avait créé
son sacerdoce héréditaire. Les Familles de l’Étoile, qu’il avait choisies, étaient
sur le point de faire de la vision du vieux roi une réalité. Jésus savait que son
temps était venu – comme les sages l’avaient annoncé depuis longtemps, comme
le soulignaient les mouvements du ciel, et avec la permission spéciale de Dieu.
Même si ses propres troupes étaient maigres, les Romains n’auraient aucune
chance face au pouvoir de la Shekinah – la lumière de Dieu. Fort de cette
confiance, Jésus accomplit l’impensable lorsque, venant au Temple avec ses
proches, il y suscita une rixe et renversa les étals des marchands – n’oublions pas
que les Esséniens rejetaient le commerce.
Jésus, et tous ceux qui suivaient la voie, tout en parlant de paix, demeuraient
conscients que la guerre s’approchait dangereusement. Jésus nomma des
assistants principaux : deux étaient nommés Simon, les autres Judas, Jacques et
Jean – qui était désigné comme le « fils du tonnerre ». L’un de ceux que l’on
appelait Simon était un sicaire, un spécialiste du « poignard ». Dans Luc 22, 35-
38, il informe ses amis qu’il est temps pour les pacifiques de prendre les armes :

« Quand je vous ai envoyés sans bourse, ni sac, ni sandales, avez-


vous manqué de quoi que ce soit ? Ils répondirent : De rien.
Maintenant, au contraire, que celui qui a une bourse la prenne, de
même celui qui a un sac, et que celui qui n’a pas d’épée vende son
vêtement pour en acheter une. […]
Seigneur, voici deux épées. »

Dans Matthieu, 10, 34, Jésus précise : « Je ne suis pas venu pour apporter la paix
mais la guerre. »
Mais cela ne devait pas se produire. Jésus n’était pas le Messie annoncé dans
la mesure où il ne put vivre suffisamment pour assister à la grande guerre contre
Satan. Les Romains arrêtèrent le prétendu Messie pour ce que nous appellerions
aujourd’hui des actes de terrorisme, presque dès le moment où sa mission prit un
caractère public. Jésus fut rapidement exécuté et l’Église de Jérusalem dut se
regrouper sous la direction du plus jeune frère de Jésus, un saint homme du nom
de Jacques. Jacques le Juste, le frère de Jésus, était désormais le Messie du
groupe.

Paul de Tarse
La vie se poursuivait et les Juifs esséniens se demandaient comment ils allaient
susciter le royaume de Dieu. Jacques allait aussi rencontrer l’échec en tant que
Messie, et il aurait sans doute été oublié par l’histoire si un étranger n’était
parvenu à Jérusalem quelques années après la crucifixion. Il était originaire de
Tarse, la capitale de la province Cilicie en Asie mineure, là où la religion
dominante était le mithraïsme – une variante perse du culte solaire qui
connaissait une certaine popularité dans tout l’Empire romain à cette époque. Ce
contexte allait avoir un impact profond sur la vision du judaïsme par cet homme.
L’étranger était venu au monde dans une famille de mithraïstes convertis au
judaïsme. En tant que Juifs hellénisés, ils donnèrent à leur enfant un nom hébreu,
Saül, aussi bien qu’un nom grec, Paul. On le nommait habituellement Paul. Paul
était un homme d’allure robuste qui, de son métier, fabriquait des tentes et
présentait certains problèmes psychiques. Dès son arrivée à Jérusalem, il trouva
de l’emploi auprès d’un grand prêtre sadducéen, chargé du « contrôle » politique
des différents opposants religieux afin qu’ils demeurent à leur place. Il fut
rapidement connu pour son traitement musclé des troubles suscités par une secte
juive rassemblant les disciples de celui qui avait été récemment exécuté après
avoir affirmé être le roi attendu par les Juifs – le Messie. Pourtant, cet « homme
de main » des Sadducéens connut brutalement une « expérience mystique ».
Paul avait certainement entendu parler de cet Essénien qui s’était annoncé
comme le Messie, celui qui ressuscitait les morts et avait lui-même connu une
mort affreuse. Les souvenirs de son éducation mithraïste à Tarse dansaient dans
sa tête et les idées esséniennes prirent subitement vie en lui lorsqu’il combina les
deux systèmes ensemble.
Ce fut là une formidable crise – lui seul pouvait comprendre ce que cela
signifiait. La famille et les disciples de Jésus n’avaient rien compris mais, dans
un aveuglant éclair d’inspiration, Paul crut avoir mis au jour des vérités que Dieu
lui avait révélées, et à lui seul.
Au vu des récits de l’expérience « divine » de Paul et de sa cécité temporaire
sur le chemin de Damas, les experts médicaux ont supposé que son hallucination
avait probablement été liée à une crise d’épilepsie. Quelle qu’en ait été l’origine,
ce qui entra dans l’esprit du fabricant de tentes le conduisit à créer une nouvelle
religion : le christianisme.
Tout semble s’être passé comme si son problème médical l’avait conduit à
penser qu’il possédait une compréhension de la mission de Jésus en
contradiction flagrante avec celle de Jacques, le frère de Jésus, et des autres
proches disciples de Jésus qui vivaient encore. L’étranger affirma que le Dieu
des Juifs lui avait révélé la vérité, et à lui seulement, et que sa mission était de
faire connaître ce message aux non-Juifs : sans doute parce qu’il savait que ceux
qui le connaissaient ne l’écouteraient pas une seule seconde :

« Mais quand il a plu à Dieu […] de révéler son Fils en moi, pour
que je l’annonce comme une bonne nouvelle aux non-Juifs.11 »

Il fit savoir fièrement comment il avait été préparé à être tout ce que l’on
voudrait pour tout le monde, qu’il était juif quand cela servait son dessein et
qu’il n’était pas disposé à jouer les second rôles à l’égard de qui que ce fût –
même pas envers Jacques, le frère de Jésus, qui dirigeait à présent l’Église de
Jérusalem. Il comptait bien l’emporter par tous les moyens possibles12.
Bien que l’idée de la mort et la résurrection physique de Jésus soit au cœur de
la foi chrétienne, les spécialistes sérieux pensent qu’elle a été construite sur le
sable bien plus que sur le roc. Un expert très estimé des origines du
christianisme écrit :

« La formule de Paul, « révéler son Fils en moi », est curieuse, il


faut bien le reconnaître […] ces mots constituent une affirmation
énorme, et même absurde, pour tout homme mais notamment pour
une personne ayant les antécédents de Paul. […] La position à
laquelle nous sommes alors conduits est que Paul expose une
interprétation qui pourrait bien être qualifiée de traditionnelle ou
historique.13

Un autre auteur de premier plan sur l’Église primitive dit encore :

« Les Évangiles expriment la croyance, ou soutiennent l’affirmation,


que Jésus était un être semi-divin, né en dehors des lois de la nature
et qui a triomphé de la mort. Ce n’est pas la foi des premiers
disciples de Jésus, et lui-même n’a jamais rien soutenu de tel.
Les épîtres de Paul sont les plus anciens documents, chrétiens ou
non, sur les origines du christianisme, qui aient survécu ; pourtant
ils sont d’un faible secours pour établir les faits relatifs à Jésus.14 »

Dès le commencement, Paul se trouva directement en conflit avec Jacques, qui


menait l’Église de Jérusalem depuis la crucifixion de son frère. Jacques, comme
Jésus lui-même, était un prêtre appartenant à une Famille de l’Étoile et il
connaissait à fond les enseignements de son défunt frère. Paul, en revanche,
n’avait pas été le témoin oculaire des événements qu’avaient vécus Jésus et ses
disciples. Il venait d’ailleurs et n’avait pas la moindre idée de ce que pouvait être
la mission du Messie juif dans sa dimension la plus large. Il ne savait rien de la
Shekinah et ne possédait que quelques informations de troisième main à propos
de Jésus, tout cela en un temps où le cocktail détonnant des sectes religieuses et
des intrigues politiques atteignait son degré le plus élevé à Jérusalem et dans ses
environs. Paul cherchait une cause à défendre et n’avait pu en trouver une autre
qui soit compatible avec ses inclinations personnelles, de sorte qu’il n’était pas
opposé à l’idée de « réécrire » l’histoire de Jésus pour la rendre conforme à ses
propres desseins.
Cependant, son récit imaginaire à propos de Jésus n’était pas absolument
nouveau. Tous les aspects de cette « nouvelle » histoire s’étaient déjà appliqués à
Mithra – la divinité si populaire dans sa ville natale de Tarse. Selon les croyances
des mithraïstes, Mithra était né d’une vierge dans une étable, un 25 décembre,
600 ans plus tôt. Il était mort puis avait ressuscité à Pâques et pourrait agir
comme médiateur entre l’humanité et Dieu au jour du Jugement.
La vision, entièrement non juive, de la mission et de la mort de Jésus selon
Paul, un homme qui peu de temps auparavant était encore un ennemi juré des
disciples de Jésus, scandalisa l’Église de Jérusalem. S’ouvrit alors une période
de rencontres musclées entre Paul et Jacques, mais l’astucieux fabricant de tentes
était un homme qui possédait un grand charme et une connaissance du monde
romain plus pertinente que celle de Jacques, qui s’en tenait à une théologie
purement juive et cependant complexe. Incapable d’exercer une influence réelle
en Judée même, Paul mit sur pied une série de voyages prolongés. Il allait passer
un temps considérable à visiter des communautés largement répandues dans le
monde romain et spécialement en Asie mineure, dénaturant le message initial de
Jésus et créant peu à peu ce que nous appelons le christianisme, un système
croyances qu’avec raison il estimait plus approprié à la sensibilité des non Juifs.
Il n’avait de chance de trouver le succès qu’en s’adressant à ceux à qui Jacques
n’avait jamais confié les vrais secrets de Jésus et son message véritable. Paul
disait qu’il devait prêcher l’évangile aux incirconcis – c’est-à-dire aux non Juifs ;
laissant Jacques s’occuper des circoncis.
Paul répandit la parole d’un homme-dieu d’origine juive qui était mort puis
avait ressuscité par lui-même et était ensuite retourné au ciel. Cette histoire était
clairement absurde pour des habitants de la Judée, mais les non-Juifs du monde
romain se reconnaissaient dans les thèmes que Paul développait pour eux. Et
s’ils y parvenaient c’est parce qu’il leur racontait une histoire familière.
Bien après la disparition de Paul, à Rome, les évangiles qui furent choisis pour
former le nouveau Testament furent écrits à Chypre, en Égypte, en Turquie et à
Rome, par des gens qui n’avaient jamais mis les pieds à Jérusalem, à l’exception
possible de l’auteur de l’Évangile de Jean qui semble avoir connu la ville si l’on
en juge par la juste description qu’il en fait.

La destruction du Temple
Pendant tout ce temps, les prêtres de Jérusalem travaillaient à la phase finale du
nouveau Temple. Le Temple lui-même était de taille plutôt modeste mais
l’esplanade que l’on avait aménagée autour était vraiment gigantesque. Les murs
de soutènement du mont du Temple étaient faits d’énormes pierres
soigneusement taillées dont aucune ne pesait moins de deux tonnes. À leur base,
par endroits, comme à l’angle sud-ouest, la solidité de l’édifice nécessitait
l’emploi de pierres de 50 tonnes. Elles étaient superposées en alignements
orientés successivement est-ouest et sud-nord. Les murs s’enfonçaient aussi très
profondément, atteignant le lit rocheux, et aucun mortier ni aucun matériau
d’assemblage n’avait été utilisé, la stabilité de l’ensemble résultant du poids
considérable des pierres et d’une diminution progressive de chaque assise de
l’ordre de 3 à 5 centimètres.
Cette façon d’assembler les pierres était si répandue au temps du roi Hérode
qu’on la nomme « hérodienne », et fut aussi utilisée dans un but décoratif pour
les ossuaires de cette époque dans la région de Jérusalem.
Même s’ils faisaient effort pour achever leur nouveau Temple, les prêtres
savaient qu’il serait détruit au cours de la guerre qui avait été annoncée. Sous le
Temple se trouvaient des cryptes et des chambres dont l’agencement n’était
connu que des seuls prêtres qui les avaient bâties, et où ils établirent des
« endroits secrets », prêts à recevoir certains objets lorsque le Royaume de Dieu
adviendrait.
La « grande guerre » contre Satan, que l’on attendait, vint en effet – 30 ans
après la mort du Christ – en l’an 66.
Pour les Juifs, l’oppression et la tyrannie des Romains atteignirent leur point
culminant en 64 sous le proconsul Gessius Florus. Les germes de la « grande
guerre » étaient semés et les Juifs demeuraient confiants, pensant que Dieu
viendrait à leur secours et soutiendrait leur cause. En 66 ils lancèrent une attaque
concertée contre leurs oppresseurs. Le conflit éclata à Jérusalem et Césarée, et en
novembre les soldats romains avaient été chassés de la cité sainte, faisant 600
morts parmi les hommes de troupe, le grand prêtre du Temple ayant été assassiné
pour sa sympathie envers Rome.
L’empereur Néron, profondément mécontent, répondit en décrétant deux
ordres : détruire Jérusalem et raser le Temple. Pour traiter la révolte juive, Néron
choisit un général aguerri de 57 ans, Vespasien, bientôt aidé de son fils, Titus. Le
général s’était forgé une réputation impressionnante en calmant des troubles en
Grande-Bretagne, et il se dirigea vers la Judée avec des plans pour faire le siège
de Jérusalem.
Finalement, les Juifs furent si près de gagner que Rome dut mettre en œuvre
toute sa force militaire pour emporter la victoire. Les Romains savaient que si les
Juifs obtenaient leur indépendance, tout l’Empire se révolterait bientôt.
Un homme nommé Joseph ben Mathias avait reçu le commandement des
forces juives. Cependant, les extrémistes juifs apprécièrent peu la façon timorée
dont cet homme pacifique conduisit la bataille. La sanglante besogne des
massacres et des contre-massacres se déroula avec une inimaginable cruauté.
Les Juifs luttèrent avec une bravoure et une intelligence qui défièrent la haute
valeur des légions romaines. Ils infligèrent aux Romains de lourdes pertes mais
la puissance de Rome s’imposa et les villes commencèrent à tomber les unes
après les autres. Les Romains, qui avaient souffert, se vengèrent en massacrant la
population de chaque cité, rendant toute reddition impossible, même si les Juifs
l’avaient demandée. Vers la fin de la première année des combats, Gabara,
Jotapata, Jaffa, Tarichea, Gischala, Gamala et Joppé n’étaient plus que des villes-
fantômes et les Romains avaient repris le contrôle de la Galilée, de la Samarie et
de la côte ouest de la Judée. Au cours de l’année suivante, Vespasien investit à
peu près toutes les villes, ne laissant à prendre que les bastions de Herodium,
Macharea, Masada et Jérusalem.
Les Esséniens avaient foi dans les anciennes prédictions selon lesquelles la
guerre serait presque perdue avant que Dieu ne leur donne la victoire finale, et
ils commencèrent donc à mettre à l’abri leurs documents et l’important trésor du
Temple dont ils s’étaient emparés.
Au fil du temps, Joseph ben Matthias finit par désespérer de l’issue de la
guerre, prévoyant une catastrophe pour les Juifs. Il changea de camp et se mit à
travailler pour les Romains, en espérant limiter le désastre qui allait s’abattre sur
sa nation. Il fut connu des Romains sous le nom de Josèphe et devint plus tard le
célèbre historien des Juifs.e
La guerre semblait pratiquement perdue pour les Juifs. Mais à ce moment,
l’ancienne prophétie parut sur le point de se réaliser. L’effort de guerre des
Romains s’interrompit soudainement, et le bruit courut qu’il y avait de sérieux
problèmes à Rome même. Les légions de la Gaule et de l’Espagne, alliées à la
Garde prétorienne, s’étaient révoltées contre Néron, le forçant à fuir de Rome.
Le Sénat déclara l’Empereur ennemi public et le conduisit au suicide en 68.
La pause dans les combats fut liée au retour de Vespasien à Rome où on le
proclama empereur, laissant à son fils Titus le soin de poursuivre la guerre. Le
répit fut cependant de courte durée et Titus entama le siège de Jérusalem en 70.
Il y avait beaucoup de monde à Jérusalem en raison des festivités de Pâques,
et lorsque Titus interrompit l’adduction d’eau et l’arrivée de vivres, les
populations assiégés souffrirent terriblement. Ceux qui tentaient de fuir étaient
crucifiées face aux murs de la ville pour servir d’exemples aux autres et, selon
Josèphe, la famine fut si sévère qu’un jour une mère en vint à manger la chair de
son petit garçon.
Titus ne voulait pas détruire le Temple et il promit d’épargner les Juifs s’ils
mettaient fin à leur résistance. Josèphe fut envoyé pour tenter de persuader ses
compatriotes de se rendre – mais ils refusèrent, pensant que Dieu allait intervenir
pour soutenir leur juste cause.
Les chefs juifs, Jean de Gischala et Simon ben Gorius, combattirent avec
beaucoup de talent, établissant d’étroites « zones de mort » de telle sorte qu’au
moment où les murs seraient franchis, les assaillants se retrouvent dans de
petites poches que l’on pourrait nettoyer aisément. Mais la vague des soldats
romains devint irrésistible et bientôt de nombreux bâtiments furent la proie des
flammes. Le 10 août 70, un jour de sabbat, le Temple lui-même fut embrasé.
À dater de ce jour, le peuple juif ne devait plus jamais offrir de sacrifice à son
Dieu.
Au terme d’un rude combat, la ville entière fut livrée en septembre 70. La Cité
Sainte fut prise et incendiée, et la 10e Légion romaine campa sur les ruines du
Temple qui avait été entièrement rasé. Les soldats romains passèrent au fil de
l’épée tous ceux qu’ils trouvèrent : homme, femme, enfant. Josèphe rapporte que
sur les 2,5 millions de personnes qui se trouvaient dans la ville à l’occasion de
Pâques, 1 million périt pendant le siège et 347 000 en d’autres endroits. Parmi
ceux qui restaient, 97 000 furent conduits en captivité et 11 000 moururent de
faim.
Cependant, Josèphe nous dit aussi que même après la destruction du Temple,
l’immense dédale de couloirs souterrains de la vaste esplanade procura aux
combattants juifs de nombreuses cachettes :

« Ce Simon, pendant le siège de Jérusalem, se tenait sur la ville


haute ; quand l’armée romaine pénétra à l’intérieur des murs et se
mit à ravager toute la ville, il groupa autour de lui ses plus fidèles
amis, et aussi des scieurs de pierre, munis des outils de fer
nécessaires à leur travail. Il réunit les provisions qui pouvaient
suffire à leur nourriture pour un grand nombre de jours et descendit
avec sa troupe dans un des souterrains dont l’entrée échappait aux
regards. »

Josèphe poursuit en disant que Simon et les siens débouchèrent soudain au


milieu du camp romain, sur le site même du Temple :

« Revêtu d’une tunique blanche, à laquelle était agrafé un manteau


de pourpre, il sortit de terre à l’endroit où se trouvait autrefois le
Temple. Tout d’abord, ceux qui le virent furent saisis d’effroi et
restèrent immobiles ; puis ils s’approchèrent et lui demandèrent qui
il était. […] Sa sortie de terre eut pour effet de faire découvrir aussi
en ces jours-là un grand nombre d’autres factieux dans les passages
souterrains. »15

Simon avait revêtu l’habit blanc des Esséniens et le manteau pourpre d’un roi.
La robe blanche et le manteau de pourpre avaient été préparés car, même en cet
épouvantable instant, Simon et ses disciples croyaient encore que Dieu allait
intervenir pour transformer une horrible défaite en une glorieuse victoire pour
les Fils de la Lumière.
Simon se trompait. Mais ni lui ni aucun de ses hommes ne donnèrent aux
Romains le moindre soupçon des splendeurs qui reposaient à l’abri dans les
profondeurs du Mont du Temple.
Entre 66 et 70, une énorme proportion de la nation juive fut passée par l’épée,
et cependant le Nouveau Testament ne fait même pas la moindre mention de
pertes parmi ceux qui se trouvaient au cœur même de l’histoire chrétienne et
dont beaucoup avaient assisté au baptême, à la prédication et à la crucifixion de
Jésus. Nous pensons que cette omission, hormis peut-être dans Luc 21, 20, où il
est fait référence à ces événements sous la forme d’une prophétie de Jésus,
démontre bien que ces nouveaux évangiles du christianisme n’étaient en rien liés
aux Juifs et à leur quête du Messie. Le fabricant de tentes illuminé, venu de
Tarse, avait involontairement forgé une nouvelle enveloppe pour un vieux culte à
mystères, donnant finalement lieu à ce qui serait l’une des plus grandes religions
du monde.
Les chrétiens de la Diaspora, qui avaient reçu l’interprétation étrange que Paul
faisait de la vie et de la mort de Jésus, étaient libres de tisser une histoire
inventée car il ne subsistait que peu de gens pour raconter la véritable histoire.
Ils adoptèrent le « Messie juif » comme le leur, mais ils ne se virent jamais
comme une secte juive. Ayant retenu une version dénaturée de l’histoire des Fils
de la Lumière, ils tournèrent le dos aux Juifs, les accusant même d’être
responsables de la mort de leur propre Messie davidique.

Le Fils de l’Étoile
Cependant les prêtres des Familles de l’Étoile n’étaient pas tous morts.
Beaucoup prirent le chemin de l’Europe et quelques-uns restèrent en Judée dans
l’espoir qu’ils pourraient encore gagner la guerre. Un peu plus d’un demi-siècle
après, en 132, un autre membre d’une Famille de l’Étoile crut que le moment
était venu de se présenter comme le Messie. Son nom de famille était Simon bar
Koshiba, mais il prit de celui de Bar Kokhba, « Fils de l’Étoile ».
Pour s’assurer que son armée ne rassemblerait que les plus rudes combattants,
il déclara que ne seraient dignes d’y être incorporés que ceux qui se couperaient
un doigt de la main droite. Pas moins de 200 000 hommes acceptèrent de passer
cet horrible test.
L’épreuve fut ensuite supprimée mais, au terme de son recrutement, Bar
Kokhba disposait d’une énorme et féroce armée de près de 580 000 hommes. Le
nouveau Messie commença son offensive en prenant une par une certaines
places, saccageant forteresse après forteresse, ville après ville, pour finalement
redonner toute la Palestine au Juifs et à leur Dieu.
L’empereur des Romains, Hadrien, réagit sur le champ en rappelant de
Bretagne son meilleur général, Jules Sévère, afin qu’il conduise son armée
contre les Juifs. Il y avait alors douze légions prêtes au combat, venues d’Égypte,
de Bretagne, de Syrie et d’autres régions. En raison du grand nombre de rebelles
juifs, plutôt que de déclencher une guerre générale, Sévère fit le siège de chaque
forteresse, affamant les Juifs assiégés pour les affaiblir. C’est alors seulement
qu’il entrait en guerre ouverte. Les Romains démolirent entièrement 50
forteresses juives et 985 villages. Il y eut aussi des victimes parmi les Romains
et Hadrien ne fit pas parvenir au Sénat son message habituel : « Mon armée et
moi-même nous portons bien ».
Finalement l’armée romaine accula Bar Kochba dans une petite zone fortifiée
de Jérusalem nommée Bétar, tenue pour imprenable – mais elle tomba aussi.
Un demi-million de Juifs trouvèrent la mort sur le champ de bataille. Les
autres furent vendus comme esclaves, se cachèrent dans des grottes ou prirent la
fuite vers d’autres pays. L’existence des Juifs, résidant sur leur terre en tant que
nation, avait pris fin.
Mais l’Église de Jérusalem n’était pas partie. Un nombre modeste mais
significatif de disciples de Jean, Jésus et Jacques, avait survécu. Ce groupe,
généralement connu sous le nom d’Ébionites (de l’hébreu Ebyonim, les
« pauvres ») se maintint dans la province romaine de Judée (une région plus
vaste que l’ancienne Judée de Jérusalem) pendant les premiers siècles de notre
ère.
Les Ébionites étaient en conflit théologique avec les chrétiens pauliniens et
avec les gnostiques avant même la destruction de Jérusalem. De nombreux
spécialistes modernes, comme Hyam Maccoby, Robert Graves, Hugh Schonfield
et Keith Akers, estiment que les Ébionites rejetaient les leçons de Paul et
demeuraient fidèles aux véritables enseignements de Jean, Jésus et Jacques le
Juste.
Loin de la tourmente de la Terre Sainte, les prêtres des Familles de l’Étoile
vivaient toujours. Ils attendaient l’heure propice pour continuer leur mission et
mettre en place un nouvel ordre mondial voulu par Dieu. Dans les siècles qui
suivirent, le pouvoir des Romains commença à faiblir, mais la puissance
l’Empire fut transférée au culte du fabricant de tentes. Les Familles de l’Étoile
devaient maintenant composer avec la puissance religieuse du christianisme.

a. En anglais, on utilise plus souvent la mention « AD » (« Anno Domini », « En l’An de Notre


Seigneur »). [ndt]
b. En anglais : « BCE » (« Before Common Era ») et « CE » (« Common Era »). [ndt]
c. Rappelons que le mot « secte » pour désigner les groupes religieux du judaïsme et du christianisme
antiques, consacré par l’usage, en anglais comme en français, n’a pas ici de valeur péjorative [ndt].
d. Ce dernier mot, nous rappellent les auteurs, est à l’origine du mot anglais church, église, alors que le mot
français dérive du grec ekklêsía, assemblée [ndt].
e. Il s’agit naturellement de Flavius Josèphe, auteur de la Guerre des Juifs et des Antiquités judaïques. [ndt]
CHAPITRE III

AU SECOURS DE L’EMPIRE

Si Paul de Tarse a été le personnage le plus important de l’histoire du


christianisme, on peut dire que le deuxième plus important fut un autre citoyen
romain du nom de Gaius Flavius Valerius Aurelius Constantinus, mieux connu
sous le nom de l’empereur Constantin Ier.
Constantin naquit à Naissus (aujourd’hui Nis, en Serbie) le 27 février 272.
Son père, Constance Chlore, était général dans l’armée romaine et sa mère,
Hélène, alors âgée de 16 ans, était la fille d’un aubergiste qui avait suivi l’armée.
En 305, fut fait co-empereur des Romains, mais il mourut le 25 juillet de
l’année suivante, à Eboracum (York) en Bretagne, sur le chemin d’une
expédition menée contre les Pictes d’Écosse. Le même jour, à 34 ans, Constantin
se trouvant au chevet de son père mort, il fut proclamé Empereur par les troupes.
Les relations entre Constantin et son co-empereur Licinius se dégradèrent et un
conflit se déclencha pour la conquête du pouvoir, s’achevant par la défaite et la
mort de Licinius en 324. Désormais souverain unique des deux moitiés orientale
et occidentale de l’Empire romain, Constantin entama de nombreuses réformes
administratives importantes, incluant une restructuration de l’armée et la
séparation du pouvoir civil et du pouvoir militaire, une mesure spécialement
destinée à réduire le risque d’une prise du pouvoir par l’armée. Le nouveau
gouvernement centralisé fut dirigé directement par Constantin et son conseil,
sous le nom de sacrum consistorium.

Constantin et la religion
Ayant opéré d’importants changements dans la vie civile et militaire, Constantin
dirigea son attention vers les affaires religieuses avec pour objectif d’apporter
autant d’unité et de stabilité que possible parmi les citoyens. Constantin était un
fidèle de la religion solaire dédiée à Deus Sol Invictus (le « Dieu Soleil
Invaincu »), communément appelé Sol Invictus – un culte très proche du
mithraïsme et peut-être identique. L’empereur Aurélien l’avait introduit comme
la première religion officielle de l’Empire à l’époque de la naissance de
Constantin. Aurélien avait fait la dédicace du temple de Sol Invictus à Rome le
25 décembre 274, qui était la fête Dies Natalis Sol Invictis c’est-à-dire de la
« Naissance du Soleil invincible ».
Le 7 mars 321, Constantin décida que le dimanche (pour les Romains, le Dies
Solis) serait un jour de repos en l’honneur du dieu Soleil. Il déclara :

« Le jour du Soleil, que les magistrats et le peuple des villes se


reposent, et que toutes les échoppes soient fermées. À la campagne,
cependant, que ceux qui s’adonnent à l’agriculture puissent
librement et légalement poursuivre leurs occupations car il arrive
souvent qu’un autre jour ne soit pas propice aux semailles ou à la
plantation des vignes ; de crainte qu’en négligeant le moment
approprié pour de telles opérations, les dons du ciel ne soient
perdus. »

Il est certain que Sol Invictus et les mystères de la religion de Mithra étaient très
populaires à Rome lorsque Constantin vint au pouvoir, mais ils n’étaient pas les
seuls. Le christianisme prospérait aussi, bien qu’il fût encore loin d’être
organisé. Après Paul, il avait explosé en de nombreuses variantes et plusieurs
évangiles et autres textes religieux étaient en circulation.
Nous pouvons être assurés que les Familles de l’Étoile étaient demeurées
actives pendant tout ce temps, non seulement à Jérusalem et aux alentours, mais
également bien plus loin à l’ouest. La recherche historique et archéologique dans
le passé lointain de la Gaule et de la Bretagne montre que le christianisme fut
présent en ces endroits depuis une date très ancienne. Comme nous le verrons, le
développement du christianisme culdéen aux marges celtiques de l’Empire offrit
aux prêtres des Familles de l’Étoile un refuge sûr dans des provinces
suffisamment éloignées pour échapper au pouvoir des épiscopats qui se
mettaient en place plus à l’est.
La persécution des chrétiens avait officiellement pris fin en 313, lorsque
Constantin et son co-empereur d’alors, Licinius, avaient conjointement publié
l’Édit de Milan qui, pour l’essentiel, avait rendu légal le christianisme dans tout
l’Empire. Le fait qu’Hélène, la mère de Constantin, ait été chrétienne, dut
exercer une influence.
Rome avait été généralement plutôt tolérante à l’égard des différentes
croyances adoptées par ses nombreux citoyens. Les premiers dirigeants de Rome
n’avaient pas seulement reconnu le droit pour chaque individu de croire ce qui
lui semblait bon en matière religieuse, mais Rome même avait souvent intégré
des divinités locales venues de très loin, et les avaient finalement incluses dans
son propre panthéon, riche de nombreux dieux et déesses. Pour autant que les
empereurs successifs aient été concernés, il n’aurait pas dû en aller différemment
pour le christianisme, s’il ne s’était pas produit que ses fidèles aient obstinément
refusé de reconnaître les empereurs eux-mêmes comme des personnes divines,
ou d’admettre que leur premier hommage était dû à Rome et à ses chefs. Jésus
avait ouvertement distingué les empereurs de ce monde et son Dieu en disant :
« Donne à Dieu ce qui est à Dieu, et à César ce qui est à César. »
De nombreux chrétiens auraient aimé vivre en paix comme des citoyens
soumis à la loi, mais les différents empereurs s’étaient profondément indignés
lorsque les chrétiens avait refusé soit de reconnaître leur divinité, soit d’admettre
la primauté de leur autorité. Des dizaines ou des centaines de milliers de
chrétiens avaient péri dans les prisons de l’Empire, dans les amphithéâtres ou sur
le bord des routes – beaucoup d’entre eux étaient moins les disciples du Juif
Jésus, à propos de qui ils ne savaient pratiquement rien, que ceux du Christ
ressuscité, presque entièrement fictif, créé par Paul de Tarse.
Constantin était un homme pragmatique et il se souciait peu de savoir quelle
religion était populaire chez son peuple, mais il voulait inciter chacun à se
conformer à un ordre établi. Il estima que le christianisme pouvait fournir la base
d’une religion stable et universelle que l’on pourrait gouverner depuis Rome.
Mais il savait aussi qu’il ne pourrait l’obtenir tant que le christianisme
demeurerait un assemblage de cultes très différents, au sein même d’un groupe
qui croyait que l’homme nommé Jésus était un dieu.

Le façonnage de la foi : le concile de Nicée


En 325, Constantin présida personnellement le premier concile œcuménique de
l’Église chrétienne à Nicée (de nos jours Iznik, en Turquie), la plus vaste
assemblée d’évêques et d’autres dirigeants de l’Église qui se soit jamais tenue
jusque là. Le concile s’ouvrit le 14 juin, et pendant les quelques semaines qui
suivirent, les décisions qui furent prises devaient donner forme à la religion en
Europe.
Les évêques qui se rencontrèrent à Nicée, venus d’Europe, d’Afrique du nord
et d’Asie, allaient exercer une influence énorme sur l’évolution d’un culte
religieux qui avait déjà trois siècles d’existence. Pendant cette durée relativement
courte, le christianisme avait appris à s’adapter aux circonstances et avait pris
une nette « couleur locale » dans toutes les zones géographiques où il avait pu
s’établir. En certains endroits, comme à Rome même, cette nouvelle croyance
avait adopté un ton très « latin » car l’interprétation mithriaque de Paul à propos
de l’histoire de Jésus s’était parfaitement harmonisée avec les croyances
relatives à Sol Invictus.
La tâche principale de Constantin était de déterminer quels documents
formeraient le « Livre Saint » de la nouvelle religion romaine, que l’on pourrait
commodément nommer la « Bible » – un mot grec pour désigner simplement des
« livres » (biblia). Parmi tant de versions des évangiles disponibles, une certaine
proportion devait être complètement abandonnée, tandis qu’une partie du texte
des autres évangiles nécessitait une correction soigneuse. Par exemple,
l’Évangile de Philippe, jusqu’alors largement admis au sein des groupes
gnostiques, fut rejeté comme hérétique, à l’exemple du gnosticisme lui-même.
L’Évangile de Philippe renferme un passage intéressant dans lequel les disciples
se plaignent que Jésus favorisent Marie Madeleine à leurs dépens, et qui paraît
presque impliquer qu’elle était l’épouse de Jésus.
L’Évangile des Ébionites, très prisé dans le milieu salomonien des Familles de
l’Étoile, fut également rejeté. Un savant chrétien du IVe siècle, Épiphane, a parlé
de ce texte qu’il disait être une version « falsifiée et mutilée » de l’Évangile de
Matthieu, ne comportant pas le récit de la Nativité ni celui de la Résurrection.
Cependant, les Familles de l’Étoile établies par Salomon, ces prêtres juifs
héréditaires qui avaient été pleinement impliqués dans la pure Église ébionite de
Jérusalem, savaient que Jésus avait été un maître important – mais pas aussi
important que le fondateur de la Voie, Jean-Baptiste. Ils croyaient que la
direction de l’Église de Jérusalem était passée de Jean à Jésus, puis à son frère
Jacques, et ils refusaient toutes les apparences mithriaques que l’on avait
attachées à la vie de Jésus. Il se pourrait donc bien que ce que l’on nomme la
« falsification » ébionite soit la plus ancienne version de l’évangile, mettant au
premier rang Jean-Baptiste et ne comprenant pas les mentions fantaisistes
apportées par Paul et venues du culte de Mithra. Il est probable que l’Évangile
de Matthieu – que les spécialistes reconnaissent comme le plus juif des évangiles
chrétiens – fut considérablement modifié pour inclure des passages que Matthieu
lui-même n’avait jamais écrits.
Et naturellement, l’un des ouvrages les plus populaires parmi les chrétiens
jusqu’alors, et notamment parmi les chrétiens de Jérusalem, était le Livre
d’Enocha. Ce livre se situait au cœur des traditions sur lesquelles étaient fondées
les Familles de l’Étoile. Il ne fut pas admis dans le canon des Écritures et tous
les exemplaires connus furent détruits.
Cinquante autres livres furent considérablement remaniés ou
spectaculairement détruits par Constantin et les évêques, ne laissant subsister
pour l’essentiel que ce qui constitue de nos jours le Nouveau Testament. Chaque
livre retenu devint un « évangile de vérité » et tous ceux que l’on rejeta furent
déclarés « hérétiques ».
Le concile de Nicée apparaît plus ou moins comme un débat public entre
Constantin et les évêques, bien qu’il semble que les décisions majeures relatives
à l’orientation que devait prendre le christianisme furent prises en petit comité.
La forme finale du canon chrétien fut adoptée à Nicée et dans les quelques
années qui suivirent.
Le concile de Nicée, organisé par l’autorité romaine, et donc d’esprit
paulinien, dut minorer nettement le rôle de Jacques, le frère de Jésus, et accrut
excessivement l’importance de Simon-Pierre. Les secrétaires de Constantin
conclurent en estimant qu’avec de judicieuses rectifications, il pouvaient établir
une ligne de succession irréfutable fondé sur un propos incertain de Jésus qui est
presque certainement un ajout tardif à l’Évangile de Mathieu : « Sur cette pierre
je construirai mon église » (Matthieu, 16, 18). Ils affirmèrent alors que Pierre
avait finalement gagné Rome pour y être « surveillant »b (évêque) de l’Église
romaine, devenant ce que l’on appellerait plus tard le premier pape. Par ce
moyen, les évêques de Rome avaient acquis de Jésus lui-même un mandat qui
pouvait sembler irréfutable et indéniable. Mieux encore, cette construction
favorisait Rome, ce que recherchait Constantin.
Cependant une seule chose pouvait contrecarrer la prétention de Rome à régir
et dominer la foi : le témoignage des propres descendants de Jésus. Il est à peu
près certain qu’aucune intention malhonnête n’avait dirigé les actes des délégués
de Nicée : à cette époque, la « vérité » était relative – elle était ce qui pouvait
servir aux mieux les intérêts politiques. Ces hommes disposaient d’indications
sérieuses que Jésus avait été marié et avait eu des enfants – mais de tels faits
auraient réduit à néant la succession de Pierre, de même que la descendance d’un
Messie aurait porté ombrage au pouvoir revendiqué par Rome. Pour cette raison,
l’Évangile de Philippe fut rejeté, au même titre que tout document ou passage
pouvant suggérer que Jésus avait eu une épouse et une famille.
Les Rites de Mithra
En dépit de son intérêt à régler les affaires du christianisme, il n’est pas certain
que Constantin soit jamais devenu chrétien lui-même – la tradition rapporte qu’il
aurait été baptisé sur son lit de mort, le 22 mai 337, mais cela pourrait n’être
qu’une pieuse légende née dans une Église qui n’avait accédé au pouvoir que
grâce à son intervention. Un examen attentif de la vie de Constantin, avant et
après le concile de Nicée, montre qu’il demeura fidèlement attaché à « Sol
Invictus », une variante du culte de Mithra qu’il avait adoptée dès sa jeunesse.
Même après le concile de Nicée, Constantin retint le titre de Pontifex Maximun,
comme grand prêtre d’Apollon, et les pièces de monnaie conservèrent les
inscriptions de la vieille religion : « SOLI INVICTO COMITI », « Au Soleil
invincible, le Compagnon [de l’Empereur] ».
Le dieu Mithra était venu du zoroastrisme, la vieille religion perse dont la
divinité suprême était Ahura Mazda. Au fil du temps, on en vint à considérer
Mithra à l’égal du dieu suprême. Plusieurs siècles avant la naissance du Christ,
Mithra avait acquis une biographie. On disait qu’il était né d’une vierge, dans
une grotte, un 25 décembre, et que des bergers étaient venus l’adorer à sa
naissance. On lui accordait le pouvoir personnel de sauver les âmes et l’on
enseignait qu’il avait été mis à mort à une époque de l’année qui correspond à
celle de Pâques et qu’après avoir été mis au tombeau, il s’était relevé d’entre les
morts en trois jours.
Par l’intermédiaire du culte de Sol Invictus, le mithraïsme fut incorporé au
christianisme dans pratiquement tous ses aspects, par l’exemple : l’idéal
d’humilité et d’amour fraternel, le baptême, le rite de communion, l’usage d’eau
bénite et la croyance en l’immortalité de l’âme, le jugement dernier et la
résurrection. Les mithraïstes croyaient aussi à la vie éternelle et au châtiment des
damnés après la mort. Nombre de ces croyances et de ces rituels étaient propres
au mithraïsme et ne furent reconnus comme chrétiens qu’à partir du IVe siècle.
Il ne fait pas de doute que l’intention de Constantin était d’unir les âmes et les
esprits de ses sujets en amalgamant autant de croyances et de pratiques que
possible en une seule religion, puis d’en faire le bien propre de l’Empire. Il
pensa très justement qu’un fidèle de Jupiter à Rome, un Druide des contrées de
l’ouest, un adorateur d’Isis, de Demeter ou de Mithra, pourraient finalement
accepter le mythe de Jésus car beaucoup de ses aspects leur étaient déjà
familiers. Mithra ne faisait pas l’objet d’un culte public, dans les rues, comme
Jésus. Au contraire, celui qui voulait devenir un disciple de Mithra devait être
« intronisé » pour accéder aux différentes formes de ce culte, lequel était
entièrement secret. Le mithraïsme avait été initialement réservé aux soldats et
aux serviteurs de l’État, et il comportait donc un aspect très martial : l’accès aux
temples était réservé aux hommes, les femmes ne prenant aucune part aux
cérémonies qui s’y déroulaient. Le mithraïsme avait d’importantes affinités avec
les autres religions à mystères qui avaient proliféré dans l’Empire mais, au
même titre qu’elles, il n’avait pas d’intérêt politique.
Les temples de Mithra étaient modestes, souvent en sous-sol, ils ressemblaient
à des caves. On en a trouvé dans tout l’ancien monde romain, jusqu’en Grande-
Bretagne, mais c’est récemment seulement qu’on a compris l’usage de ces
petites structures rectangulaires. Ces temples comprenaient deux rangées de
sièges de chaque côté d’un espace central vide, un autre se situant à l’est, et les
cérémonies qui s’y déroulaient sont mal connues. Il est peu probable que plus de
40 personnes à la fois aient pu s’assembler dans les temples de Mithra qui furent
creusés.
On sait qu’il y avait plusieurs « grades » de l’initiation de Mithra. Il est
probable qu’il y en avait sept, un pour chacun des corps célestes connus à cette
époque : le Soleil, la Lune, Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne. Une fois
initiés au premier grade de cette religion, les aspirants pouvaient participer aux
cérémonies de base, mais les officiants étaient choisis parmi ceux qui avaient
obtenu les sept grades. La seule des cérémonies dont on ait pu avoir une certaine
connaissance était l’évocation rituelle du sacrifice d’un taureau blanc par Mithra,
mais cette cérémonie elle-même reste pour l’essentiel un mystère.
Le mithraïsme était une religion exclusivement masculine, mais il avait une
contrepartie féminine avec le culte de Cybèle, la déesse phrygienne que ses
disciples nommaient la « Mère de Dieu ». On appelait « Pères » les prêtres de
Mithra, tandis que les prêtresses de Cybèle étaient qualifiées de « Mères ». De
façon à peine surprenante, les premières autorités du culte romanisé de Jésus
devinrent les « Pères de l’Église ». À ce jour, les prêtres de l’Église catholique
romaine sont toujours appelés « Pères ».
Après son baptême dans les mystères de Mithra, l’initié était marqué au front
du signe de la croix formée par l’écliptique et l’équateur céleste.c Les mithraïstes
célébraient aussi une fête de l’amour, avec des boules de pain sur lesquelles
étaient dessinées des croix, et du vin – le corps et le sang de Mithra.
Au fil du temps, la requalification par Constantin du mithraïsme en
christianisme en vint à être oubliée, mais l’absence de toute originalité pour les
aspects essentiels de l’histoire du Christ conduisit pourtant les autorités de
l’Église à produire une bulle afin d’en rendre compte. La bulle affirmait que
l’histoire de Jésus était la première et que le démon avait placé Mithra à une
époque beaucoup plus ancienne que son époque réelle, afin de susciter le trouble
et la confusion parmi les chrétiens ! C’est parfaitement absurde et il demeure que
la naissance virginale, dans une étable, la crucifixion et la résurrection après trois
jours – et nombre d’autres croyances et traditions liées au Christ – furent
secondairement ajoutées au mythe de Jésus.

L’Église romaine triomphante


En quelques mois à peine, Constantin avait atteint tous ses objectifs. Il espérait
sans aucun doute que le christianisme pourrait s’étendre à tout le monde alors
connu, mais il avait été décidé que désormais le centre de ce culte ne se situerait
plus en Palestine, où il était apparu, mais à Rome même. Dorénavant, quiconque
souhaitait obtenir une instruction ou des règles de conduite en matière religieuse
devrait s’en remettre à l’Église de Rome, la ville qui était également le centre du
gouvernement et des lois. Par ce moyen, Constantin cherchait aussi à renforcer le
poids et l’importance de Rome afin de soutenir un empire déclinant.
Il semble très probable que certains des délégués au concile de Nicée étaient
des proches de l’Église de Jérusalem, mais ces hommes avaient appris à tenir
leur langue. La vérité sur la vie et l’enseignement de Jésus était prohibée par
Rome et si liée à la constante rébellion de la Judée et à sa destruction finale par
les légions romaines que le simple fait d’en parler – même trois siècles plus tard
– exposait à une mort certaine. Les prêtres des Familles de l’Étoile avaient appris
très tôt qu’ils devaient être patients et habiles s’ils voulaient que la Nouvelle
Jérusalem devienne un jour une réalité. Ils savaient pertinemment que la variante
romaine du christianisme était au moins autant leur ennemie que l’Empire lui-
même. L’influence des Familles était réelle mais, comme la suite de l’histoire
devrait le prouver, essentiellement souterraine et délibérément subtile.

Le féminin sacré
Dès l’époque du concile de Nicée, le christianisme vouait déjà un culte à une
mystérieuse Trinité que nous connaissons aujourd’hui sous les noms de Père,
Fils et Saint Esprit. Dès l’origine, le christianisme fut fortement influencé par la
Grèce et la langue grecque qui était la langue commune de l’Empire romain
d’Orient. La troisième composante de la Trinité, avant d’adopter le nom de Saint
Esprit, fut souvent qualifiée de Sophia, un nom grec féminin signifiant la (sainte)
Sagesse. Ce concept ancien était déjà présent dans l’Ancien Testament et se
trouvait au cœur des systèmes gnostiques.
Les disciples de Mithra avaient admis ce que le christianisme primitif paraît
aussi avoir reconnu comme certain et qui paraissait évident aux Familles de
l’Étoile – à savoir qu’il ne peut y avoir de Père et de Fils sans qu’il y ait une
Épouse et une Mère. Il n’y a là rien qui soit exceptionnel. C’était un aspect
important de tous les autres cultes à mystères qui proliféraient alors, au même
titre que le culte de Mithra et le christianisme des origines. Le plus populaire de
tous, florissant à l’époque même du christianisme, était celui des mystères de
Déméter que l’on célébrait annuellement en Grèce.
Déméter, que l’on appelait simplement la « Terre Mère » était une très
ancienne divinité que l’on avait vénérée dans toute l’Europe et dans plusieurs
régions de l’Asie dès le paléolithique. Bien qu’elle ait dû posséder selon les lieux
des centaines de noms différents, elle était alors surtout connue comme la
« Grande Déesse ». Il ne fait aucun doute qu’elle occupa la place suprême dans
la vie spirituelle des gens pendant des dizaines de milliers d’années. Son culte
était passé de l’Europe à la Crète à l’époque minoenne, puis sur les rives du pays
de Canaan où les Phéniciens, notamment, l’avaient accueilli avec enthousiasme.
Parfaitement interprété par les ancêtres de Juifs, il était inclus dans le concept de
la « Sainte Union » du féminin et du masculin qui était supposé se produire au
moment de la Shekinah.
À l’époque où Déméter atteignit une position dominante, période que l’on
réfère sous le nom d’Âge classique de la Grèce (au Ve siècle avant notre ère), le
concept de la Grande Déesse avait déjà plusieurs milliers d’années et Déméter
représentait l’essentiel du culte de cette divinité. Un récit populaire laissait
entendre que Déméter était la déesse de la végétation et qu’elle avait beaucoup
témoigné de son souci pour le genre humain. On racontait aussi qu’elle avait une
fille, Perséphone, qui avait été enlevée par Hadès, le dieu des Enfers.
Furieuse, Déméter s’était tournée vers le frère de Hadès, Zeus, en demandant
que sa fille soit libérée. Zeus accepta d’intervenir en prévenant que Perséphone
ne pourrait quitter les Enfers que si elle n’avait rien absorbé pendant sa captivité.
Il apparut qu’elle avait par surprise avalé une graine de grenade. Il fut alors
décidé par Zeus que désormais Perséphone devrait passer un tiers de l’année
chez Hadès et les deux autres tiers avec sa mère dans le monde supérieur.
Accablée de douleur, comme elle devait l’être chaque année pendant que sa
fille était retenue captive, Déméter fit disparaître de la surface de la terre toute
végétation. Telle était l’explication que les Grecs donnaient de l’hiver et c’était
probablement une variante de l’histoire que l’on racontait à l’époque de la Crète
minoenne et sans doute aussi partout ailleurs dans des temps très anciens.
En outre, on associait à Déméter un autre personnage qui dans certaines
versions était son époux mais presque aussi souvent son fils. Son nom était
Dionysos et il devint le plus populaire des dieux grecs. Il s’occupait
particulièrement de tout ce qui fructifiait et notamment de la vigne. Des récits
rapportaient que Dionysos avaient été assailli par des brigands qui l’avaient tué
puis fait griller et dévoré sa chair. Grâce à l’intervention de Déméter, son corps
avait été reconstitué, et cela était devenu un événement cyclique célébré
annuellement.
Le culte de Déméter se pratiquait deux fois par an à Athènes et aux alentours.
Les cérémonies qui s’y déroulaient sont connues sous le nom de « mystères de
Déméter » sont toujours restées à peu près inconnues. C’est un signe du respect
et de la crainte qu’elles inspiraient.
De plus, les initiés s’engageaient à préserver les secrets sous peine de mort.
Plus à l’est, en Égypte, une version de cette déesse omniprésente s’était
développée. Elle se nommait Isis et elle devint extrêmement populaire, non
seulement en Égypte même mais également dans tout le monde romain et même
ailleurs.
Isis était initialement une divinité lunaire et sa présence dans le panthéon
égyptien est si ancienne qu’elle devait déjà exister à l’origine de la vie civilisée
sur les bords du Nil. Les contes populaires faisaient d’elle l’épouse d’Osiris, le
plus aimé des dieux de l’Égypte, qui s’occupait plus particulièrement des morts
et de la vie dans l’au-delà. Osiris régnait sur la terre jusqu’au jour où il fut trahi
par un autre dieu, Seth, qui fit en sorte qu’Osiris se retrouve enfermé dans un
sarcophage scellé, abandonné au fil du courant sur le Nil. Le cœur brisé, Isis
rechercha assidûment son mari. Le cercueil s’était échoué dans la lointaine
Byblos et s’était enfoui dans un buisson de tamaris, lequel avait donné lieu à un
arbre dont le tronc renfermait le sarcophage. Le roi de Byblos avait été pris
d’une telle admiration pour cet arbre qu’il y avait fait tailler une colonne pour
soutenir son palais. Isis l’avait finalement retrouvé et avait pu libérer son époux
de sa prison.
Cependant, Seth n’en avait pas fini. Pendant l’absence d’Isis, il fit découper le
corps d’Osiris en 14 morceaux qu’il dispersa à travers le monde. Isis voyagea
pendant longtemps, rassemblant les différentes parties pour finalement
reconstituer le corps. Elle avait alors ramené Osiris à la vie par des moyens
magiques, suffisamment longtemps pour concevoir de lui un fils, Horus.
Toutefois, certaines versions de l’histoire rapportent qu’Isis avait retrouvé tous
les fragments du corps de son mari, hormis son pénis et que, afin de concevoir
Horus, elle en avait façonné un en cire d’abeille. Osiris avait alors investi le
Duat, le monde souterrain, pour présider à la vie posthume de tous ceux qui
croyaient en lui à et à sa fidèle épouse.
Il y a plusieurs points communs entre les histoires d’Isis et celles qui
concernent Déméter. Dans les deux cas, il y a une certaine équivoque quant aux
relations entre le dieu et la déesse. Dans certaines versions le dieu est le parèdre
de la déesse, ailleurs c’est son fils. À chaque fois, cependant, le corps du dieu est
mis en pièces puis reconstitué par la déesse et l’origine de cette histoire est bien
connue. Les personnages des dieux Osiris et Dionysos sont représentatifs d’une
divinité très répandue dans les temps anciens et généralement connue sous le
nom de « Dieu du Blé ». Alors que la déesse est permanente et représente les
forces de la nature, le Dieu du Blé doit renaître chaque année comme le blé lui-
même, qui pousse puis est coupé et réduit en morceaux pour que l’humanité le
mange. En ce sens, Osiris et Dionysos ne représentent pas la nature elle-même
mais sa générosité qui s’épanouit chaque année au printemps.
Le Dieu du Blé se trouve aussi au cœur du christianisme, au moins pour autant
que les Évangiles soient concernés. Cela apparait clairement à la fin de la vie de
Jésus, au moment de ce que l’on nomme la Cène. Ce repas rituel est décrit en
détail dans la Bible des chrétiens. Il est supposé s’être déroulé la veille du jour
où Jésus fut arrêté, jugé et crucifié par l’autorité romaine. Lors de ce repas
particulier, Jésus prit une coupe de vin et la passa à ses disciples. Selon Luc 22,
17 : « Il prit une coupe, rendit grâce et dit : Prenez ceci et partagez-le entre
vous. »
Jésus poursuivit en expliquant que ce vin représentait son sang. Il s’occupa
ensuite du pain. Selon Luc, 22, 19 : « Il prit du pain ; après avoir rendu grâce, il
le rompit et le leur donna en disant : c’est mon corps qui est donné pour vous ;
faites ceci en mémoire de moi. »
Il est peu probable que cet événement ait jamais eu lieu. Une telle idée aurait
été parfaitement répugnante pour tous les Juifs à une époque où le sang et la
viande morte étaient interdits pour eux. Comme présumé « Roi des Juifs », Jésus
aurait perdu tout soutien s’il avait tenu des propos si provocants. Cette scène est
un développement ajouté tardivement pour attirer les Romains habitués depuis
des siècles à boire le sang de leurs dieux.
Plus vraisemblablement, la Cène fut le repas de fête habituellement pris en
commun par la plupart des Juifs la veille de Pâques. Le partage du pain et du vin
était bien plus ancien que le Christ, comme la Bible elle-même en témoigne.
Dans Genèse, 14, 18, nous apprenons que des centaines d’années avant que les
premiers Juifs aient existé, Melchisédech (ce qui signifie « roi de justice »)
présentait le pain et le vin.
Il ne peut y avoir ici aucune ambigüité. Melchisédech ou Jésus, ou quiconque
ayant pu écrire le premier ces histoires, faisait clairement référence au Dieu du
Blé issu de la plus haute antiquité. Ce qui rend si importante l’anecdote du
Nouveau Testament est le fait qu’une partie de l’analogie porte spécifiquement
sur le pain, lequel provient évidemment du blé.
Si Jésus s’est lui-même identifié au Dieu du Blé, ou bien si ses disciples l’ont
fait, nous devrions pouvoir trouver dans son histoire un équivalent de la Grande
Déesse, et de fait nous l’y trouvons. Ce n’est autre que la Vierge Marie.

Marie, Mère de Dieu


L’importance de la Vierge Marie, spécifique aux Églises chrétiennes, demeure un
point essentiel et peut-être même une composante primordiale de la religion
chrétienne tout entière.
Marie était déjà vénérée lors du premier concile de Nicée. En certains
endroits, et spécialement chez les Grecs d’Asie Mineure (Turquie), elle était déjà
appelée Theotokos, la « Mère de Dieu ». Vers 553, ce fut le titre qu’on lui
attribua dans presque tout le monde chrétien. Cependant, sa place réelle dans le
christianisme a toujours été ambiguë pour au moins deux raisons très
importantes.
L’empereur Constantin utilisa le concile de Nicée pour promouvoir la version
du christianisme la plus appropriée à ses desseins. A Nicée, on décida que Jésus
était indistinct de Dieu – en d’autres termes qu’il était « de même substance »
que Dieu, comme le dit le Credo de Nicée. Dans un tel cas de figure –
absolument contesté par l’Église de Jérusalem – la divinité de Marie ne pouvait
être douteuse car qui peut donner naissance à un dieu authentique, sinon une
déesse ? Mais ce qui rendait la chose encore plus compliquée était que, si Dieu
était le père de Jésus et Marie sa mère, celle-ci devait aussi avoir été l’épouse de
Dieu. Et si Jésus était Dieu, alors Marie était également sa femme. De ce point
de vue, elle ressemblait beaucoup aux deux déesses d’Égypte et de Grèce, Isis et
Déméter.
Constantin aussi bien que ceux qui se placèrent dans son sillage virent toutes
les implications qui en découlaient, et l’Église devait passer des siècles à
s’interroger sur la place réelle de la Marie dans la foi. Constantin lui-même ne
semble pas en avoir été notablement troublé et il est possible que cela ait
représenté un héritage du mithraïsme. La Vierge Marie est encore évoquée dans
l’Église catholique et les Églises orthodoxes orientales à la fois comme la
« Mère de Dieu » et la « Reine des Cieux ». Elle y est également toujours
envisagée comme « Épouse du Christ » et « Épouse de Dieu » ce qui, dans la
mesure où l’on considère que Jésus est Dieu, revient pratiquement à la même
chose. Tout cela était compris et admis par les Familles de l’Étoile, mais pas au
sens où l’entendaient les chrétiens de Rome. Pour les Familles de l’Étoile,
l’association d’une Déesse au Dieu du Blé, annuellement sacrifié et revivifié,
remontait à une époque lointaine, antérieure à l’avènement du judaïsme, en un
temps où le Dieu et la Déesse avaient la même importance. Ils voyaient dans ces
récits, sur la déesse et le Dieu du Blé, d’importantes allégories – des moyens de
faire accepter par les gens un enseignement plus profond sur la nature du sexe et
de la divinité.

Le christianisme triomphant
En dépit de tous les efforts de Constantin, même l’instauration d’une religion
officielle ne pouvait que retarder l’inévitable. En moins de deux siècles,
l’Empire allait s’écrouler, ne laissant subsister le pouvoir impérial qu’en Orient,
avec son siège à Constantinople. Mais le christianisme paulinien, avec ses
lourdes structures et sa hiérarchie ancrée à Rome, survécut aux invasions
barbares qui détruisirent les institutions civiles romaines en Occident. Les
barbares eux-mêmes furent convertis très tôt et la foi continua à gagner du
terrain, atteignant finalement les limites de l’Europe, par exemple l’Irlande où
les populations avaient pendant des siècles tenu à distance cette religion
hétérogène. Au bout du compte, elle devint le culte unique de l’Europe entière.
À mesure de sa progression, le christianisme perdit à l’égard des autres
croyances l’esprit de tolérance dont il avait au moins fait preuve à Nicée. En
particulier, il en vint à diaboliser Vénus, une planète tenue pour sacrée depuis si
longtemps que nul ne savait quand cela avait commencé. Vénus était une partie
de la Shekinah et avait été la « petite aiguille » du temps sacré. Elle représentait
le pouvoir suprême de la Déesse et, de fait, la planète porte encore son nom
parce que Vénus était l’équivalent de l’Isis égyptienne et l’Aphrodite grecque, et
qu’elle était elle-même un autre visage de la Grande Déesse. Vénus était aussi le
symbole de la Vierge Marie, une chose que les francs-maçons ne devaient pas
oublier, de nombreux siècles plus tard, tant leurs usages devaient être imprégnés
par les croyances des Familles de l’Étoile.
Finalement, le christianisme élimina entièrement le culte de Vénus. À vrai
dire, il devait persister aux marges de l’Europe, en Scandinavie, où le culte de
Lucifer, le Seigneur de Lumière, dont la fête, au solstice d’hiver, avec des
chandeliers et des feux, fut intégrée aux pratiques locales du christianisme. Mais
dans l’ensemble, Vénus, comme divinité masculine ou féminine, fut perfidement
attaquée. Lucifer, qui à l’origine avait été une divinité plus ou moins secondaire,
associé à Vénus, fut désormais considéré comme l’autre nom de Satan.
L’association, d’un point de vue mathématique et magique, des mouvements de
Vénus et de ceux du Soleil, tels qu’on les observe depuis la Terre, devint le
thème de légendes oubliées et interdites au moment où l’Église chrétienne
persécutait tous ceux qui interrogeaient le ciel en portant vers lui un regard
curieux. Les grands chapeaux pointus, autrefois portés par les mages – ces
hiérophantes savants, prêtres-astronomes – étaient à présent considérés comme
des coiffes de sorcières, et les cannes qui leur servaient à mesurer les ombres
furent qualifiées de « manches à balai ».
Tout ce qui pouvait s’éloigner un tant soit peu de la ligne de l’Église fut
« péché » et « hérésie ». L’obtention d’un passeport pour une heureuse vie dans
l’au-delà dépendait pour chacun d’une stricte adhésion au culte nouvellement
formé par l’alliance de Mithra et de Jésus.
La lumière de Lucifer avait été éteinte. L’ignorance avait triomphé de la
sagesse et la superstition s’était substituée à la logique. L’Église étendit un voile
de ténèbres sur l’Europe alors même que la vérité ne reposait plus que sur elle.
L’intolérance religieuse devint la norme et le fait de souscrire aveuglément à la
foi une marque de grande vertu. Ceux qui s’en tinrent à une religion fondée sur
la connaissance de la nature et de l’astronomie furent qualifiés de païens, un
terme que l’Église utilise encore à tort pour désigner ceux qu’elle considère
comme ignorants et mauvais.
L’Âge sombre était sur le point d’arriver.

a. Parfois référé sous le nom de Livre d’Hénoch [ndt].


b. Telle est la traduction littérale du grec épiskopos, rendu en anglais par overseer [ndt].
c. Du fait de l’inclinaison de l’axe de rotation de la Terre par rapport à la normale au plan de son orbite, le
plan de l’écliptique – sur lequel se projettent les constellations du Zodiaque – est incliné par rapport à
l’équateur céleste d’un angle, appelé inclinaison de l’écliptique et qui vaut environ 23°27’. L’intersection
des deux cercles forme donc une croix – en fait deux, diamétralement opposées [ndt].
CHAPITRE IV

L’ESSOR DES FAMILLES DE L’ÉTOILE

Les familles sacerdotales qui avaient survécu au grand massacre par les Romains
lors de la première guerre des Juifs (66-70) et la suivante (132-135) (voir
Chapitre 2), avaient fui loin de leur si chère patrie. Depuis des rivages lointains,
elles observaient et attendaient. Certains avaient perdu tout espoir qu’advienne
un jour le royaume des cieux, d’autres se retirèrent peu à peu, d’autres enfin
admirent que ce devait être la volonté de Dieu que leur jour arrive à une date
heureuse qu’il choisirait lui-même. La confrontation directe avec leurs
oppresseurs visibles semblait sans espoir et la dernière cohorte qui avait tenté
d’enlever le pays des mains de Rome avaient suivi son chef, Bar Kochba, le
« Fils de l’Étoile »… dans l’oubli.

L’Apocalypse de Jeana
Le membre d’une famille de l’Étoile, illustre et paradoxalement inconnu sous le
nom de Jean, rédigea ses pensées. Il écrivit sur la triste condition des siens un
texte très profondément passionné qui eut du mal à trouver son chemin dans le
Nouveau Testament mais finit par conclure les Écritures chrétiennes. Dans le
Livre de l’Apocalypse [de la Révélation], sans doute rédigé 10 à 20 ans après la
première guerre des Juifs, le mystérieux Jean pleure la perte de la Cité sainte
mais il écrit aussi des mots d’espoir et parle des combats futurs entre les forces
du bien et mal. Ce texte est certainement de caractère énochien et tranche très
nettement sur le reste du Nouveau Testament ; il ressemble également certains
passages apocalyptiques de l’Ancien Testament comme Ézéchiel ou Daniel. Il fit
juste en sorte de ne pas être rejeté en passant par le filtre paulinien.
Il est plutôt étrange que l’Apocalypse ait pu survivre au grand nettoyage opéré
sous Constantin mais le débat relatif à ses références chrétiennes n’a jamais été
clos. Il fallut des siècles avant que l’Église catholique romaine mette un terme à
la discussion sur son authenticité. Il y a cinq siècles, Luther, le théologien
fondateur de la Réforme protestante, reconnut que l’Apocalypse était séparée du
reste du Nouveau Testament. Il écrit :

« Il n’est aucun prophète de l’Ancien Testament, pour ne pas parler


du Nouveau, pour s’occuper autant des visons et des images. En ce
qui me concerne, je pense qu’il se rapproche du Quatrième Livre
d’Esdras ; je ne vois pas comment le Saint Esprit aurait pu l’inspirer.
De nombreux Pères de l’Église ont dès une époque reculée rejeté ce
livre […] Le Christ n’y est ni annoncé ni connu. »

Le fait que l’Apocalypse soit très énochienne par son style rend très probable
qu’elle soit due à un familier de l’Église de Jérusalem, sans doute en lien avec
les Esséniens. Comme nous l’avons dit, le Livre d’Enoch était très en faveur
parmi les premiers chrétiens mais disparut presque complètement il y a 1 500
ans.
Le Livre d’Enoch était perdu au temps de Martin Luther mais il est très
significatif qu’il ait mentionné une ressemblance entre l’Apocalypse et ce qu’il
appelle le Quatrième Livre d’Esdras (4 Esdras). Celui-ci est désormais connu
comme le Deuxième Livre d’Esdras et a joué un rôle central dans la formation
de la franc-maçonnerie en Écosse – bien avant l’époque de Luther.
Dans l’Apocalypse, 5, 10, Jean écrit :

« Tu as fait d’eux, pour notre Dieu, un royaume de prêtres, et ils


régneront sur la terre. »

Il semble s’agir ici d’une mention des Familles de l’Étoile, les descendants d’une
lignée divine de rois et de prêtres – ceux dont la mission divine était de mettre en
place un nouvel ordre mondial pour guider l’humanité vers son destin final.
Dans les chapitres 20 et 21, Jean prophétise que 1000 ans après la chute de
Jérusalem, les serviteurs du mal, Gog et Magog, attaqueraient la cité de Yaweh.
Mais alors les saints se relèveraient et reprendraient leur patrie. Jean écrit :

« Puis je vis descendre du ciel un ange, qui avait la clef de l’abîme


et une grande chaîne dans sa main.
Il saisit le dragon, le serpent ancien, qui est le diable et Satan, et il le
lia pour mille ans.
Il le jeta dans l’abîme, ferma et scella l’entrée au-dessus de lui, afin
qu’il ne séduisît plus les nations, jusqu’à ce que les mille ans fussent
accomplis. Après cela, il faut qu’il soit délié pour un peu de temps.
[…]

Les autres morts ne revinrent point à la vie jusqu’à ce que les mille
ans fussent accomplis. C’est la première résurrection.
Heureux et saints ceux qui ont part à la première résurrection ! La
seconde mort n’a point de pouvoir sur eux ; mais ils seront
sacrificateurs de Dieu et de Christ, et ils régneront avec lui pendant
mille ans.
Quand les mille ans seront accomplis, Satan sera relâché de sa
prison.
Et il sortira pour séduire les nations qui sont aux quatre coins de la
terre, Gog et Magog, afin de les rassembler pour la guerre ; leur
nombre est comme le sable de la mer.
Et ils montèrent sur la surface de la terre, et ils investirent le camp
des saints et la ville bien-aimée.
Mais un feu descendit du ciel, et les dévora. […]
Puis je vis un nouveau ciel et une nouvelle terre ; car le premier ciel
et la première terre avaient disparu, et la mer n’était plus.
Et je vis descendre du ciel, d’auprès de Dieu, la ville sainte, la
nouvelle Jérusalem, préparée comme une épouse qui s’est parée
pour son époux. »

Le Temple des Juifs avait été détruit en 70. L’origine précise des termes « Gog et
Magog » est encore inconnue mais les spécialistes de la Bible savent qu’ils
étaient utilisés pour désigner tous les envahisseurs venus du nord. Ainsi, Jean
prévoyait une autre invasion mille ans plus tard et que « les morts »
ressusciteraient après ce millénaire. Cela ne peut que référer au retour attendu
des Familles de l’Étoile, sachant qu’elles n’étaient pas mortes au sens littéral du
mot, mais plutôt quant à leur influence et à leur succès. L’attaque serait suivie
par la victoire de ceux qui auraient ressuscité et par la venue d’une Nouvelle
Jérusalem – une Nouvelle Jérusalem mondiale, avec le Dieu des Juifs
gouvernant le monde. Ce serait un monde « sans mer » pour reprendre les mots
de Jean, c’est-à-dire un monde unifié, sans barrières entre les nations.
Pour des gens rationnels, prévoir le futur paraît impossible et il n’est pas
surprenant que des prophéties à long terme décrivant des événements détaillés
soient invariablement démenties. En revanche, ceux qui croient au surnaturel
(comme de nombreuses personnes avant l’Âge de la science) admettent qu’il y a
des moyens d’outrepasser les lois de la nature. Le prophète Élie avait prévu
l’avènement d’un nouveau Messie lors du retour de la Shekinah. Un événement
astronomique, la Shekinah, devant se produire à une date prévisible, et puisque
le peuple attendait un Messie, la prophétie d’Élie semblait raisonnable – jusqu’à
ce qu’elle s’effondre avec la mort de Jésus.
Pourtant, comme nous le verrons, quelles qu’aient été les circonstances dans
lesquelles il rédigea ses écrits, la vision de l’avenir prodiguée par Jean dans
l’Apocalypse devait se révéler d’une saisissante exactitude.

Les Familles de l’Étoile en France


À l’époque où Jean écrivait son Apocalypse, un groupe important de ses
compatriotes avait gagné les marges de l’Empire pour se regrouper peu à peu
dans le sud de la future France – un lieu assez prospère et suffisamment éloigné
pour assurer la sécurité des exilés. Les ports maritimes de la région étaient des
centres secondaires de commerce, assez proches de Rome, où siégeait le pouvoir,
pour lui être soumis mais suffisamment éloignés pour ne pas trop s’en
préoccuper.
Dans ces régions cosmopolites des ports du sud de la Gaule, les Familles de
l’Étoile constituaient simplement un groupe d’étrangers parmi d’autres,
rapidement intégrés à la vie européenne, adoptant le manteau de n’importe quel
culte pour demeurer pratiquement invisibles. L’essor final du christianisme fut
une bénédiction pour eux, car ils purent se présenter comme des Juifs convertis à
la nouvelle foi de l’Empire. Certains parmi eux conservèrent sans doute leur
apparence juive car les Juifs étaient généralement bien acceptés, surtout dans les
régions commerçantes.
Même pour ceux qui avaient en apparence accepté la foi nouvelle, il y avait
cependant des intentions différentes. Lorsqu’ils priaient Jésus-Christ, ils
exprimaient leur sincère vénération envers un homme qui avait été presque leur
Messie, bien que la manifestation de Yaweh, selon saint Paul. En raison de leur
culture juive ancestrale, ils ne pouvaient que repousser l’idée inconcevable
qu’un homme puisse être Dieu, mais les membres des peuplades nordiques
parmi lesquelles ils vivaient désormais voyaient des dieux partout – et
notamment dans la personne de leurs empereurs, souvent fous. Pour les Familles
de l’Étoile, Jésus n’avait pu être Dieu mais incontestablement l’un des vrais
prophètes de Yaweh et son influence avait été, comme la suite devait le
confirmer, capitale pour le monde.
Cependant, Jésus n’était pas le seul prophète qu’ils reconnaissaient et même si
Jean-Baptiste avait été lui-même mis sur la touche par le christianisme paulinien,
il restait d’une importance primordiale comme le premier de tous les prophètes
pour les Familles de l’Étoile. Il est parfaitement possible que ces prêtres de la
lignée de Salomon aient partagé les vues des Mandéens qui voyaient en Jean-
Baptiste le véritable Messie – le vrai Christ. De fait, les réalisations ultérieures
de certains groupes liés aux familles renforcent cette hypothèse.
Un quart de millénaire après la chute de temple, ces descendants de l’Église
de Jérusalem durent être amers, mais nullement surpris au fond, lorsque
Constantin et les évêques chrétiens approuvèrent officiellement la qualification
de leur Maître, non seulement comme un dieu mais comme Dieu lui-même.
Constantin et ses évêques, des étrangers sans racines juives, n’avaient pas
seulement capté Yaweh à leur seul profit – ils l’avaient confondu avec un Messie
juif inachevé.
L’unique ambition de Constantin, nous l’avons vu, était politique bien plus
que théologique, car il voulait tenter de maintenir cohérent un Empire romain
qui se brisait. S’il ne lui était plus possible de contrôler un peuple par la force
physique, il envisageait d’y parvenir par des moyens psychologiques.
Ce fut un échec. Malgré les efforts acharnés de Constantin et des empereurs
qui lui succédèrent, rien ne put sauver l’Empire romain, monstrueux et
incontrôlable. Des hordes de guerriers venus de l’est commencèrent à déferler
vers l’ouest de l’Empire, et même les tribus locales qui avaient été tenues en
respect par la puissance des légions virent que la révolte était possible. Dans le
deuxième quart du Ve siècle les lésions qui protégeaient la Gaule et la Grande-
Bretagne furent rappelées afin que toutes les forces puissent être consacrées à la
défense de Rome elle-même.
En tant que prêtres juifs se présentant comme chrétiens, les membres des
Familles de l’Étoile profitèrent des changements qui se produisaient autour
d’eux. Tirant avantage des invasions franques qui avaient suivi l’effondrement
du pouvoir romain, ils commencèrent à s’assurer, lentement mais sûrement, de
l’influence et du pouvoir dans les régions soumises à de nouveaux maîtres, les
Germains. Ils demeurèrent dans les régions méridionales pendant plusieurs
générations mais firent peu à peu mouvement vers la Bourgogne et la
Normandie. Grâce au commerce et à des mariages judicieux, ils infiltrèrent
insensiblement les cours des seigneurs féodaux et des aristocrates de la société
post-romaine.
Ils parvinrent notamment à exercer un réel pouvoir en Champagne, une région
de taille modeste mais d’une importance cruciale entre le royaume franc au nord
et la Bourgogne au sud. Et bien que nous ne connaissions pas les noms des
personnes concernées, on a rapporté toute une série d’événements, entre le XIe et
le XIIIe siècle, qui témoignent des manœuvres des Familles de l’Étoile dans les
affaires politiques d’Europe de l’ouest et même du Proche-Orient, depuis leur
base champenoise.
Il y a de solides présomptions que les comtes de Champagne et les chefs des
familles aristocratiques de la région étaient des Ébionites – représentant en
Europe occidentale l’Église de Jérusalem des origines. Ils ont révélé leur
appartenance par leurs actions concertées. Les prêtres des Familles de l’Étoile se
trouvaient au milieu d’eux et furent les instigateurs des événements qui allaient
finalement changer la face du monde.

Les Familles de l’Étoile et des Normands


D’autres Familles de l’Étoile conquirent une influence grandissante plus à
l’ouest, dans une région qui allait être connue sous le nom de Normandie. Là, ils
rencontrèrent de nouveaux arrivants. Il s’agissait des Viking, des Scandinaves.
Entraînés par leur désir de conquêtes, ils avaient envahi la région au ixe siècle et,
comme dans d’autres contrées, leurs raids furtifs avaient été suivis d’un
établissement durable. En 911, le trône de France leur céda un large zone située à
l’ouest du domaine royal et le duché de Normandie – « la terre des hommes du
nord » – naquit ainsi.
Vers le début du Xe siècle, le sacerdoce juif caché fut mis en contact avec les
Vikings et découvrit que ses secrets n’étaient pas aussi exclusifs qu’il l’avait
toujours imaginé. Les Familles de l’Étoile durent être sidérées de se rendre
compte que ce peuple nordique, apparemment grossier, avait en fait beaucoup en
commun avec elles. Comme leurs homologues juifs, les Normands n’étaient pas
chrétiens – du moins pas au sens ordinaire du terme.
Le duc Rollon fut le premier Viking à se faire chrétien mais il apparaît que lui-
même et nombre de ses compagnons conservèrent leurs croyances ancestrales.
Leur déesse tutélaire se nommait Freya et, ce qui dut stupéfier les prêtres des
Familles de l’Étoile quand ils le découvrirent, elle représentait la planète Vénus
et était qualifiée de « Reine des Cieux – la même appellation que les Juifs
avaient donnée à Vénus, dès les temps cananéens antiques.
Les Normands avaient largement délaissé leur langue originelle en faveur
d’une forme locale de l’idiome franc mais n’avaient presque rien perdu de leur
ancienne théologie. Il apparaît qu’ils connaissaient très bien les cycles de Vénus
et avaient parfaitement identifié le phénomène astronomique des phases de
l’astre (les « cornes » de Vénus) – alors que les Familles de l’Étoile avaient sans
doute supposé qu’elles étaient les seules à posséder ce savoir.
Dans les temps anciens, les Juifs (comme tous les peuples de Canaan)
considéraient que la présence de cornes sur la tête d’un humain étaient un signe
de sainteté et d’un pouvoir sacerdotal parce que le lever de Vénus, comme une
étoile du matin, et son apparition comme étoile du soir, conduisaient à tracer
dans le ciel une paire de cornes – l’une à l’est à l’aube et l’autre à l’ouest à la
tombée de la nuit. C’était comme si Vénus avait doté la terre entière de deux
cornes.
Alors que les cornes avaient une grande importance symbolique pour les
Normands, le fait que les Vikings portaient quotidiennement des casques ornés
de cornes est aujourd’hui considérée comme erronée. Ce fut une mauvaise
interprétation de l’intérêt religieux que les Vikings accordaient aux cornes qui
prit naissance dans la mythologie populaire du XIXe siècle. Cette idée devint alors
habituelle et fut reflétée dans de nombreuses peintures de l’époque romantique,
contribuant ainsi à fixer dans l’esprit de nombreuses générations l’image des
« casques à cornes » des Vikings.
Les Familles de l’Étoile étaient moins enclines à partager leurs croyances que
leurs nouveaux alter ego spirituels, et l’on peut imaginer qu’ils discutèrent
longuement entre elles ce qu’elles devaient révéler aux nouveaux venus – même
à ceux qui possédaient une théologie proche de la leur. Finalement, elles
choisirent sans doute d’expliquer en quoi le mouvement de Vénus se situait au
cœur du phénomène de la Shekinah et pourquoi de grands prophètes tels que
Moïse ou Enoch étaient souvent décrits comme portant une paire de cornes,
marque de leur piété.
Les impératifs religieux des premiers Normands et des Juifs des Familles de
l’Étoile étaient incroyablement proches, et leur commune méfiance à l’égard de
l’Église de Rome dut créer rapidement entre eux un lien très fort. Les groupes
réalisèrent qu’après la prise de contrôle de la chrétienté par l’Église de Rome et
le bannissement de toutes les idées que celle-ci n’approuvait pas, de nombreux
livres et des bibliothèques entières avaient été détruits et les non-conformistes
dispersés. La connaissance de l’astrologie qui avait sous-tendu la mission de
Jésus, fut considérée comme démoniaque et le symbole sacré des cornes avait
été, de façon grotesque, associé à Satan. Vers le Xe siècle, le fier héraut de la
lumière et de la connaissance, l’archange Lucifer, fut doté de cornes comme
signe de son caractère diabolique. Les marques de tout ce qui avait jusque-là été
tenu pour bon et pieux furent désormais fermement attachées à l’idée de
« Démon ». Le cœur même de la croyance apporté par Jésus-Christ avait ainsi
été remplacé par les récits d’une magie issue d’un ancien culte persan n’ayant
pas lui-même survécu.
Mais les Familles de l’Étoile et les Normands en savaient davantage.
Les uns et les autres avaient des traditions liées aux ensembles mégalithiques
– les cercles préhistoriques de pierre et les dolmens retrouvés aux marges de
l’Europe comme sur la terre d’Israël. Lorsque Moïse et Josué avaient conduit les
Juifs en Canaan, ils avaient trouvé le pays couvert de structures de pierre
utilisées comme observatoires astronomiques. L’endroit où les Juifs de l’Exode
choisirent de pénétrer en « terre promise » pour la première fois, franchissant le
Jourdain, était un lieu nommé Guilgal – un mot quoi signifie « cercle de
pierres ». Les prêtres juifs d’Enoch avaient propagé une ancienne théologie
cananéenne fondée sur l’observation astronomique à partir de sites de pierres
alignées1. Saül, le premier roi des Juifs, fut proclamé dans un cercle de pierres.
Les régions parcourues par les Vikings étaient également couvertes de
dizaines de milliers de ces très vieilles pierres, notamment dans les Îles
Britanniques.
Au fil du temps, les secrets partagés conduisirent les familles à se marier entre
elles et une étrange alliance se développa, fondée sur une commune défiance à
l’égard de l’Église de Rome et sur le désir de porter au grand jour des
conceptions plus rationnelles et plus avisées. Les Normands étaient notoirement
ouverts aux idées nouvelles et particulièrement désireux de se joindre au plan
visant à édifier une Nouvelle Jérusalem.
Dans l’Apocalypse, 5, 5, l’auteur écrit :

« Mais l’un des anciens me dit : Ne pleure pas ; le lion de la tribu de


Juda, le rejeton de David, a été vainqueur : il peut ouvrir le livre et
ses sept sceaux. »

Le lion de Juda était l’emblème traditionnel du roi David et de la ville dont il


avait fait sa capitale, Jérusalem. Le terme « rejeton de David » est messianique,
associé au sacerdoce héréditaire et donc à l’édification d’une Nouvelle
Jérusalem. Le lion figure sur les armes de Jérusalem.
Figure 2. Le lion, emblème de Jérusalem.

Figure 3. Les armes de la Normandie (deux lions d’or sur un champ de


gueules – rouge).
Figure 4. Le lion d’Angleterre (d’or sur un champ de gueules, comme
l’emblème normand).

Figure 5. Les armes royales du Royaume Uni.

Sans grande surprise, semble-t-il, l’alliance entre les Normands et les Familles
de l’Étoile, basée en Normandie, adopta ce même lion, mais en double
exemplaire, comme son symbole propre (un choix qui, sinon, serait curieux pour
un peuple du nord de l’Europe).
En 1066, Guillaume, duc de Normandie, envahit victorieusement l’Angleterre
et le Lion de Juda figura bientôt sur le cimier du pays conquis – le signe de la
« Nouvelle Jérusalem » évoquée par Jean dans l’Apocalypse.
De nos jours les armes royales de Grande-Bretagne comprennent neuf
animaux dont huit lions. La licorne enchaînée d’Écosse est le seul autre animal.
Cependant, malgré cette image de licorne, un lion rampant unique, d’abord
utilisé par les Normands, demeure la figure héraldique principale de l’Écosse.

La famille du comte Rognvald


Une famille, plus que toute autre, apparaît centrale ans cette union. La famille
normande concernée descendait du comte de Rognvald, gouvernant More
(prononcez : mo-rè), une région de la Norvège correspondant aujourd’hui à la
ville de Trondheim. La famille reçut les îles d’Orkney et de Shetland, au nord de
l’Écosse, et la frère de Rognvald, Sigurt le Puissant, gouverna les îles en tant que
régent.
C’est le fils de Rognvald, Rollon, qui envahit le territoire franc et prit le
contrôle de la Normandie avant de se marier dans une Famille de l’Étoile avec
Popa, la fille du comte Bérenger de Bayeux. Leur progéniture devait donc
descendre à la fois des chefs Vikings et du sacerdoce juif. En 912, dans un
village des bords de l’Epte, Rollon signa un traité de paix avec le roi Charles le
Simple, plus tard connu comme le Traité de Saint-Clair-sur-Epte, reconnaissant
Rollon comme duc de Normandie. Pour sceller ce traité, Rollon prit en second
mariage Gisèle, la fille du roi Charles.
C’est à cette époque que Rollon More et ses cousins adoptèrent le nom de
« Saint Clair ». Ce nom avait été créé par un membre de la famille qui s’était lui-
même nommé Guillaume de Saint-Clair – ce qui signifiait littéralement
« Guillaume de la Sainte Lumière ».
Il ne fait aucun doute que la « Sainte Lumière » en question ne pouvait être
que la Shekinah.
En 1057, un membre de la branche Saint Clair de la famille More quitta la
Normandie pour regagner l’Angleterre, à la cour de la princesse Margaret, petite-
fille du roi Edmond « Côtes-de-fer » et cousine du roi Edouard le Confesseur.
William Saint Clair, dit « le Bienséant », était le cousin du duc Guillaume de
Normandie et, quand ce dernier conquit l’Angleterre en 1006, William Saint
Clair escorta la princesse Margaret vers son exil en Hongrie. Là, le roi Étienne
lui donna un morceau de la « Vraie Croix » pour son douaire, à l’occasion de son
mariage avec le roi d’Écosse Malcolm III Canmore. Lorsque le cortège nuptial
parvint en Écosse, le roi Malcolm fit don à William Saint Clair de plusieurs
terres à travers le pays. William est considéré comme l’ancêtre des Sinclair
d’Écosse.
Ici, dans la vieille Albionb, grâce à leur union avec le sang norvégien, les
Familles de l’Étoile estimèrent avoir enfin posé les fondations de la Nouvelle
Jérusalem.

Le temps des Croisades : les Familles de l’Étoile


prennent l’initiative
Alors que l’année 1070 s’approchait, les Familles de l’Étoile, désormais
répandues en France, en Angleterre et en Écosse, ne pouvaient ignorer que 1 000
ans s’étaient écoulés depuis que Jérusalem et le Saint Temple avaient été détruits
par les troupes de Titus, en l’an 70. Elles prirent leur Bible et lurent à nouveau en
quels termes Jean, l’auteur de l’Apocalypse, avait décrit la nouvelle attaque de la
cité sainte par les forces de Satan, au terme d’un millénaire. Les mots écrits dans
l’Apocalypse, au chapitre 20, étaient pleins de passion mais leur sens paraissait
clair :

« Il saisit le dragon, le serpent d’autrefois, qui est le diable et la


Satan, et il le lia pour mille ans. Il le jeta dans l’abîme qu’il ferma et
scella au-dessus de lui, pour qu’il n’égare plus les nations jusqu’à ce
que les mille ans soient achevés. Après cela, il faut qu’il soit relâché
pour un peu de temps. »

Et il en fut ainsi.
En 1076, la nouvelle dut se répandre comme une trainée de poudre parmi les
membres des Familles de l’Étoile, en France, en Angleterre et en Écosse. Les
Turcs Seldjoukides avaient pris Jérusalem, la détruisant en grande partie. La
première partie de la prophétie était donc exacte et il était désormais de leur
devoir d’accomplir la seconde partie : en tant que descendants des prêtres qui
avaient défendu Jérusalem un millénaire plus tôt, il leur appartenait de reprendre
le Temple et de récupérer les documents secrets qui reposaient dans ses
profondeurs. Une fois la Jérusalem réelle revenue entre leurs mains, ils
pourraient rétablir l’autorité de Yaweh et bâtir un monde prêt à suivre sa loi.
Mais comment pourraient-ils obtenir la victoire à une telle distance et contre
des forces aussi énormes que celles des Turcs ?
Avoir conquis l’Angleterre avec le secours de leurs amis norvégiens avait été
une chose, mais même si toutes les familles normandes acceptaient de se battre à
leurs côtés, ils seraient encore en trop faible nombre pour traverser le monde et
aller déloger les hordes musulmanes de leur terre ancestrale.
Le plan qui fut alors ourdi doit être retenu comme le plus grand coup de génie
militaire que le monde ait jamais connu. Il nécessita des années de discussion, de
négociations, de complots, de chantages et de jeux de pouvoir de toutes sortes.
L’idée était audacieuse à l’extrême. Pour gagner, il fallait prendre le contrôle du
Saint-Office et utiliser le pouvoir du Pape pour mobiliser toute la chrétienté dans
une grande guerre destinée à reconquérir Jérusalem.
De nouveau, l’accent fut mis sur les Familles de l’Étoile vivant en
Champagne. Les événements qui se produisirent pendant les deux siècles
suivants démontrent à quel point la pénétration des croyances ébionites et
l’influence des Familles de l’Étoile étaient considérables au sein de l’élite
dirigeante en Champagne. L’un de ses membres, un homme du nom d’Odon de
Lagery, dans la parenté des comtes de Champagne, avait exactement le profil
requis pour réaliser ce qui était souhaité – avoir un pape issu d’une Famille de
l’Étoile. Avec l’aide des Normands, cela devint une réalité.
Né vers 1042 à Chatillon-sur-Marne, en Champagne, Odon était issu d’une
influente famille aristocratique de haut rang. Encore jeune il fut destiné à une vie
ecclésiastique et devint bientôt chanoine puis archidiacre de la cathédrale de
Reims. Après un passage à l’abbaye de Cluny (qui pendant de nombreux siècles
fut une base pour les manœuvres des Familles de l’Étoile), Odon fut envoyé à
Rome pour servir le pape Grégoire VII. Il brilla aisément au sein d’une Église
mal en point. Il y gagna aussi une stature en soutenant le pape dans ses efforts
pour arracher l’Église des mains du pouvoir temporel, comme celles du Saint-
Empire.
En 1087, à Grégoire VII succéda Victor III qui, dans des circonstances
obscures et assez suspectes, mourut seulement quatre mois plus tard à Monte
Cassino. Au moment de sa mort, il était entouré de cardinaux venus en Italie
pour prendre part à un concile près de Benevento. Parmi eux, les cardinaux
venus de Champagne et de Bourgogne ainsi que les Normands étaient
majoritaires. Ils sortirent de la chambre mortuaire en annonçant que le pape
mourant avait proposé Odon de Lagery pour lui succéder. L’absolue vérité sur
ces événements ne sera jamais connue mais Odon devint finalement le pape
Urbain II, le 12 mars 1088.
Son entrée à Rome, contestée dans certains quartiers, ne fut rendue possible
que grâce à la présence de troupes normandes. Elle eut lieu en novembre 1088
mais en dépit du soutien des Normands, Urbain dut passer environ trois ans en
exil dans le sud de l’Italie, une région alors sous contrôle normand. Il rencontra
d’innombrables difficultés avec le Saint-Empire et eut souvent à craindre pour sa
vie mais, dès que les circonstances le permirent, il réunit un concile à Clermont,
en France, en novembre 1095. Là, en présence de toute la noblesse européenne,
devant des rangées de cardinaux et d’évêques, il appela solennellement à une
guerre sainte contre les Turcs qui menaçaient de soumettre l’Église d’Orient. Il
indiqua franchement que son objectif final était de regagner Jérusalem à la
chrétienté.
Le pape soumit un plan pour la Croisade et invita ses auditeurs à en rejoindre
les rangs. Il donna mission aux évêques présents de retourner chez eux pour en
enrôler d’autres dans la Croisade. Urbain proposa aussi une stratégie de base en
vertu de laquelle les groupes de Croisés des différentes contrées de l’Europe
devraient commencer leur voyage vers l’Orient dès le mois d’août 1096. Chaque
groupe devrait se financer par ses propos moyens, sous la seule responsabilité de
son chef, et devait cheminer séparément jusqu’à la capitale byzantine,
Constantinople, où tous se fondraient dans une armée de masse. De là, avec
l’empereur byzantin, ils lanceraient une contre-attaque sur les Seldjoukides qui
avaient conquis l’Anatolie. Une fois cette région placée sous le contrôle des
chrétiens, les Croisés feraient campagne contre les musulmans de Syrie et de
Palestine, leur but ultime étant Jérusalem.
Les plans se déroulèrent plus ou moins comme Urbain l’avait proposé. Les
armées progressèrent en Anatolie et en Syrie et, en mai 1099, elles atteignirent la
cité sainte de Jérusalem. Le siège fut mis et les engins – fabriqués à partir de
navires génois, en raison du manque de bois – furent avancés pour aller à
l’attaque des impressionnants remparts de la cité de Jérusalem. La ville tomba
finalement le 15 juillet 1099. Une fois dans les murs, les Croisés commencèrent
à tout détruire et tout massacrer. Selon un témoin, Foulcher de Chartes :

« Bientôt encore, et le vendredi à l’heure de midi, les Francs


pénètrent dans la ville, sonnent leurs trompettes, remplissent tout de
tumulte, marchent, avec un courage d’homme, aux cris de Dieu
aide, et plantent une de leurs bannières sur le faîte du mur. Les
Païens confus perdent complètement leur audace, et se mettent tous
à fuir en hâte par les ruelles qui aboutissent aux carrefours de la
ville. Mais s’ils fuient rapidement, ils sont poursuivis plus
rapidement encore. Le comte Raimond et les siens, qui donnaient
l’assaut de l’autre côté de la place, ne surent rien de ce qui se passait
qu’au moment où ils virent les Sarrasins sauter, à leurs yeux mêmes,
du haut du mur en bas.
À ce spectacle, ils accourent au plus vite et pleins de joie dans la
ville, se réunissent à leurs compagnons, et, comme eux, poussent
vivement et massacrent les infâmes ennemis du nom chrétien.
Quelques-uns de ces Sarrasins, tant Arabes qu’Éthiopiens,
parviennent il est vrai, à s’introduire en fuyant dans la forteresse de
David ; mais beaucoup d’autres sont réduits à s’enfermer dans le
temple du Seigneur et dans celui de Salomon. Les nôtres les
attaquent dans les cours intérieures de ces temples, avec la plus
violente ardeur ; nulle part ces infidèles ne trouvent d’issue pour
échapper au glaive des Chrétiens ; de ceux qui, en fuyant, étaient
montés jusque sur le faîte du temple de Salomon, la plupart
périssent percés à coups de flèches, et tombent misérablement
précipités du haut du toit en bas ; environ dix mille Sarrasins sont
ainsi massacrés dans ce temple. Qui se fut trouvé là aurait eu les
pieds teints jusqu’à la cheville du sang des hommes égorgés. Que
dirai-je encore ? Aucun des infidèles n’eut la vie sauve ; on
n’épargna ni les femmes ni les petits enfants. »2

De nombreux Juifs, que l’on avait vus aux côtés des Turcs, ayant sous-estimé la
gravité de leur situation, furent brutalement abattus.
Une fois encore, la cité de Dieu était le théâtre d’une sauvagerie débridée.
Une semaine après que la Cité Sainte avait été prise, on avait déjà débarrassé
les quartiers du centre de leurs monceaux de cadavres et la vallée de Hinnom, au
sud de Jérusalem, face à la Porte des Esséniens, fit office de charnier. Une fumée
âcre s’éleva au-dessus des bûchers qui brûlèrent jour et nuit pour consumer la
chair en décomposition des amas de morts. Cette vallée avait été pendant
longtemps le lieu où des enfants étaient sacrifiés à Moloch, bien avant que le
Temple ne soit construit et, depuis l’époque du Christ, on y avait incinéré les
ordures de la toute la ville. On comprend que cette vallée ait pu servir de source
d’inspiration pour les feux de l’Enfer.
Dans le bâtiment Al-Aqsa – qui n’était plus alors une mosquée – le chef de
l’armée qui avait eu raison des murs de la ville, Godefroy de Bouillon, se vit
offrir la couronne de Jérusalem. C’était le petit-fils de Godefroy III, duc de basse
Lotharingie (la Lorraine) qui avait joué un rôle majeur dans la formation d’un
groupe de prêtres ardents au monastère de Cluny. Godefroy s’était d’abord
opposé au Pape mais, lorsque Urbain II avait proposé la Croisade, il était présent
et avait au su de tous vendu tous ses biens pour se joindre à l’expédition en
qualité de chef, pour prendre Jérusalem.
En tant que membre d’une Famille de l’Étoile, Godefroy savait qu’il ne
pouvait prétendre au titre de « roi de Jérusalem » car il n’était certainement pas
le Messie. Au lieu de cela, il demanda à être nommé Advocatus Sancti Sepulchri,
c’est-à-dire « Avoué du Saint-Sépulcre ».
Des problèmes apparurent immédiatement quand un prêtre normand,
Arnolphe de Chocques, patriarche de Jérusalem pro tempore, fut remplacé par
Dagobert de Pise, qui n’appartenait à aucune des Familles de l’Étoile. Dagobert
voulut faire du nouveau royaume une théocratie avec le pape sa tête, représenté
par le patriarche. Godefroy tourna la difficulté en promettant de remettre la
couronne au Saint-Siège quand les Croisés auraient conquis l’Égypte – ce qui ne
se produisit jamais.

Combats pour le pouvoir


La nouvelle de la glorieuse victoire de Jérusalem parvint à Urbain II le samedi
29 juillet 1099 dans l’après-midi, exactement deux semaines après
l’effondrement des murs de la ville. Le pape exultait sans aucun doute, au même
titre que les Familles de l’Étoile qui avait dressé les plans présentés par Urbain.
Mais le pape adopta alors une attitude qui fit craindre de tout perdre. Il annonça
qu’il envisageait de transférer le siège de chrétienté de Rome à la Cité sainte de
Jérusalem. Il se peut que cela ait été dû au fait que la sécurité des papes
successifs à Rome avait été douteuse et que l’Italie n’était qu’un chaudron de
conflits familiaux et politiques. Mais il se peut aussi que la fierté d’Urbain II
l’ait emporté et qu’il ait voulu être le premier pape chrétien à siéger dans la ville
de Jérusalem, la cité du Christ. En fait cela importe peu car, un peu plus tard
dans la soirée, Urbain II se sentit mal, il partit se coucher et s’endormit
rapidement. Il ne se réveilla jamais.
En 1100, juste trois jours après le premier anniversaire de la prise de
Jérusalem, Godefroy de Bouillon mourut aussi subitement. Le patriarche
Dagobert pourrait bien avoir une responsabilité dans la mort de Godefroy. Que
cela soit ou non, le décès de Godefroy provoqua une brève confusion parmi les
Familles de l’Étoile, surtout lorsque Dagobert revendique Jérusalem à son profit.
Les Familles s’avancèrent les premières et, avant même qu’il ait pu y parvenir,
elles proclamèrent comme nouveau roi de Jérusalem Baudouin de Boulogne, le
frère de Godefroy. Baudouin était manifestement aussi peu enclin que son frère à
accepter un tel titre mais les réalités politiques du moment montraient que seule
l’autorité d’un roi pouvait assurer l’avenir de la ville. Il dut se consoler en
observant qu’il y avait de nombreux rois sur la terre et qu’aucun d’entre eux ne
se qualifiait de Messie. Il pouvait être un roi laïc sans être coupable de
blasphème.
Dagobert était absent à ce moment-là et, à son retour, il couronna sans
enthousiasme Baudouin à Bethléem car il avait refusé de le faire à Jérusalem
sans l’accord du Pape.
Baudouin et Dagobert poursuivirent leur querelle pendant au moins deux ans
jusqu’au moment où Dagobert partit pour Rome. Pendant son absence, le roi
Baudouin s’efforça de le remplacer par un membre des familles de l’Étoile, un
simple prêtre du nom de Ehremar. Cependant, ce dernier fut déposé dès le retour
de Dagobert.
Les Normands conservaient un vif intérêt pour tous les événements de Terre
Sainte et nombre d’entre eux avaient pris part aux combats aux côtés des
Croisés. Cependant, leur nouvelle base, en Angleterre, se révéla plus résistante à
la soumission que Guillaume le Conquérant, duc de Normandie, ne l’avait
envisagé. Il avait vaincu le roi saxon d’Angleterre, Harold II, à Hastings en
1066, mais gagner le cœur de tous Anglais n’était pas chose aussi aisée. Pendant
la plus grande partie de son règne, de 1066 à sa mort en 1087, il dut parcourir le
pays pour mater des révoltes et imposer son autorité sur le royaume.
Lentement mais sûrement, Guillaume préparait l’Angleterre à la fondation de
la Nouvelle Jérusalem. La construction des églises se développa à un rythme
sans précédent et Guillaume prit soin d’assurer aux papes de son temps qu’il
était un fils loyal de l’Église établie. Malheureusement, il n’en fut pas de même
pour son successeur, emporté et impatient, son fils Guillaume II, familièrement
connue sous le nom de Guillaume le Roux (Rufus) en raison de son apparence
rouquine. Guillaume II possédait la férocité de son père mais aucun de ses
talents diplomatiques. Il n’hésitait pas profaner des églises anglaises ni à voler
les biens ecclésiastiques quand cela convenait à ses desseins, et il ne fit pas
mystère de sa haine envers l’Église établie. Quelle qu’ait pu être la sympathie
que les prêtres des Familles de l’Étoile établies en Champagne pouvaient
éprouver pour les idées de Guillaume – ils n’étaient pas plus que lui attachés à
l’Église – ils virent que les choses allaient rapidement échapper à leur contrôle.
Guillaume poussait au remplacement de l’Église de Rome par une version
anglaise dont il prendrait la tête, fondée sur des conceptions tirées de la théologie
des Familles de l’Étoile. C’était très risqué. Les Familles ne désiraient
certainement pas un schisme dans l’Église car, malgré leur distance à l’égard du
christianisme romain, la continuité de l’institution était pour l’heure d’une
importance centrale dans leurs plans.
Le jeudi 2 août 1100, Guillaume II avait organisé une chasse dans forêt, en
une zone que son père avait aménagée près de Winchester, où se trouvait le
trésor royal. On rapporte qu’il avait mal dormi la nuit précédente et rêvé qu’il
allait retourner au ciel. Il se réveilla subitement, demanda qu’on apporte des
lumières et ordonna à ses proches de demeurer auprès de lui. Un récit de ce
temps a décrit les préparatifs de cette journée de chasse :

« Un armurier vint à lui et présenta six flèches [au roi]. Le roi les
prit aussitôt avec une grande satisfaction, louant ce travail et, dans
l’ignorance de ce qui allait se passer, en garda quatre pour lui et
donna les deux autres à l’un de ses amis, du nom de Walter Tyrell
[…] lui disant : ‘Il est normal que les plus effilées soient données à
celui qui sait décocher les traits les plus meurtriers.’»3

Le groupe de chasse poursuivit ses proies mais Guillaume et Walter Tyrell,


seigneur de Poix, se trouvèrent un moment séparés du gros de la troupe. Ce fut la
dernière fois que l’on vit Guillaume en vie. On a dit que Walter avait
puissamment lancé une flèche contre un cerf mais que, par « accident », celle-ci
avait finalement atteint la poitrine de Guillaume.
Les conditions politiques étaient bien plus calmes en Champagne et la
deuxième partie du plan destiné à saper l’Église romaine de Paul, pour la
remplacer par quelque chose qui soit plus en phase avec les intentions des
Familles de l’Étoile, était déjà engagée depuis un an lorsque les forces
occidentales avaient conquis Jérusalem, et depuis deux ans au moins avant
l’assassinat de Guillaume le Roux. Cela impliquait un autre aristocrate de
Champagne, Robert de Molesme.

a. En anglais, le mot apokalupsis, généralement traduit littéralement par « apocalypse » en français, se rend
plus justement par « revelation », conformément à l’étymologie du mot grec (= mise à nu, dévoilement,
révélation). On parle non pas du Livre de l’Apocalypse mais du Livre de la Révélation [ndt].
b. Les auteurs évoquent ici, naturellement, la Grande-Bretagne de leurs lecteurs. [ndt]
CHAPITRE V

LE RÉVEIL DES DORMEURS

L’organisation de la première croisade avait été un travail de géant mais ce


n’était pas le seul grand projet qu’avaient piloté les Familles de l’Étoile. Leur
grand désir était de creuser sous les ruines du Temple de Jérusalem pour y
retrouver les trésors et les documents sacrés qu’elles savaient y être enfouis.
Elles étaient parfaitement conscientes que cela serait extrêmement difficile et
prendrait beaucoup de temps car les trésors étaient profondément enterrés et
toute fouille ostensible attirerait fâcheusement l’attention sur leur mission.

Les Nouveaux Esséniens


Alors que les plans de la Croisade étaient en discussion, après la prise de
Jérusalem par les Seldjoukides en 1076, les chefs des Familles avaient décidé
d’établir un nouvel ordre des Esséniens. Dès l’origine, il était envisagé que ce
soit un réseau d’hommes saints et pieux qui demeureraient concentrés sur le but
et n’auraient pas le moindre soupçon d’intérêt pour un enrichissement personnel.
Le nouvel ordre devait être établi dans le nord-est de la France, la base de
combat des Familles de l’Étoile, et procurerait un réseau de soutien spirituel – et
politique – pour quiconque serait finalement choisi pour entreprendre des
fouilles à la recherche du trésor des Esséniens.
La création d’un tel groupe d’hommes loyaux et fidèles dans la tourmente de
la Croisade était liée au fait que, comme les Familles de l’Étoile le savaient, si
les Croisés l’emportaient, Jérusalem serait bientôt submergée par des hommes
venus d’Occident que l’on pouvait au mieux qualifier de « pirates ». C’était une
pratique admise dans toutes les armées, au Moyen Âge, que lorsqu’une cité était
prise, les soldats vainqueurs étaient libres de voler et piller tout ce qu’ils
voulaient.
La dernière chose dont les Familles de l’Étoile avaient besoin était de
dissimuler aux hordes de soldats pillards, affamés de butin, venus de toute la
Chrétienté, qu’un trésor était caché dans le mont du Temple, à Jérusalem.
L’Église elle-même était rongée par la corruption. Absolument personne, en
dehors de leur cercle restreint, n’était digne de confiance.
Vers le XIe siècle, le monde ne savait pratiquement plus rien des Esséniens,
oubliés depuis longtemps. Mais les Familles de l’Étoile n’avaient rien oublié et
elles mirent à profit leur savoir.
Les Familles de l’Étoile avaient besoin d’un tremplin pour lancer leur nouvel
ordre qui devrait être manifestement chrétien, du moins en apparence. Une telle
organisation devait être préparée avec beaucoup de soin car si l’orthodoxie
trouvait le moindre soupçon d’hérésie, elle serait morte avant même d’être née.
Il fallait un moine de haute volée, totalement honnête et entièrement dévoué à la
vraie piété. Un tel personnage n’aurait pas besoin de savoir quoi que ce soit des
buts réels et, idéalement, ce serait un homme d’un certain âge, capable de
susciter de la passion pour la cause et d’offrir une image de respectabilité au
monde extérieur – à condition de ne pas vivre assez longtemps pour aborder les
développements ultérieurs.
Il y avait un candidat évident, parfaitement connue des Familles de l’Étoile. Il
s’appelait Robert de Molesme, un fils de la noblesse de Champagne. En 1068, il
avait pris la tête de l’abbaye bénédictine de Saint-Michel de Tonnerre, où il avait
trouvé des moines paresseux et négligents. Il avait tenté de leur imposer une plus
grande solitude, une discipline plus rigoureuse et davantage de travail, mais tous
ses efforts avaient été vains. Il avait alors créé une abbaye bénédictine réformée
à Molesme. Il rencontra un grand succès – en réalité un peu trop grand, car
l’abbaye fut tellement prospère que les moines devinrent aussi négligents et
paresseux que tous leurs contemporains. Vers 1098, Robert était un homme un
peu amer et seul, approchant de ses 70 ans, et il dut être assez surpris lorsqu’il
reçut la visite d’un petit groupe de nobles venus de Champagne pour lui dire
qu’ils pouvaient rassembler des fonds lui permettant de créer un ordre de moines
entièrement nouveau – un ordre qui resterait fidèle à sa vocation et rejetterait
l’attachement aux biens de ce monde sous toutes ses formes.
Robert ne put qu’être enchanté en entendant que de l’argent et des terres
seraient mis à sa disposition pour qu’il fonde un ordre nouveau et respectable, en
l’honneur de Dieu seul. Il quitta ainsi Molesme avec 21 moines triés sur le volet
et gagna la terre qui lui avait été accordée par le duc Eudes Ier de Bourgogne. Là,
avec des concours financiers venus de Champagne et de Bourgogne, il établit un
ordre entièrement nouveau dont les moines, comme l’avaient suggéré leurs
commanditaires, portèrent des vêtements blancs et furent nommés
« Cisterciens », d’après le lieu de la nouvelle abbaye, à Cîteaux.
Le port d’un habit blanc était le premier signe manifeste d’un lien avec les
Esséniens qui s’étaient vêtus de la même manière. Le nom « Cisterciens » lui-
même était peut-être un autre rappel des saints hommes qui avaient vécu plus de
mille ans auparavant. Selon certaines sources le mot Cîteaux dérive du vieux
français cisteaux qui signifie « roseaux », lesquels étaient abondants dans la
région marécageuse de la nouvelle abbaye. Cependant, d’autres commentateurs
ont suggéré que le mot Cîteaux viendrait du mot latin cista, qui désigne une
réserve d’eau. L’eau était en abondance dans l’abbaye et il ne fait pas de doute
que les moines se lavaient souvent. C’était loin de constituer la norme à cette
époque, même pour les moines, et cela pourrait bien renvoyer aux rituels
Esséniens de propreté.
Malgré ses soutiens financiers, l’ordre moderne des Esséniens démarra avec
difficulté, ne s’accroissant qu’avec une extrême lenteur – mais cela importait peu
dans l’immédiat. Une grande partie d’échecs étaient en train de se jouer,
s’étendant sur le tout le monde connu, et nombre d’hommes importants de
l’épique ne furent guère que des pions, parfois sacrifiés au gré de l’application
des plans. Le rythme du jeu était haletant.
Dans les mois qui suivirent la fondation de l’Ordre cistercien, Jérusalem fut
emportée par les forces de la Chrétienté et quatre jours plus tard, Godefroy de
Bouillon était son nouveau maître. Comme nous l’avons vu (p. 109), moins de
deux semaines après Urbain II mourut et dans l’année suivante Godefroy de
Bouillon lui-même succomba – certains dirent de maladie, mais d’autres
laissèrent entendre qu’il avait été tué par une flèche, tandis que quelques autres
affirmaient qu’il avait été empoisonné. Deux semaines après la mort de
Godefroy, le roi Guillaume II le suivit dans la tombe, « accidentellement »
touché par une flèche dans la poitrine.

La recherche des trésors du Temple


Trois ans plus tard, le cercle des Familles de l’Étoile choisit un homme qui serait
chargé de diriger l’équipe de recherche des trésors des Esséniens et des
manuscrits enfouis dans les ruines du Temple.
Il s’agissait de Hugues de Payens, un cousin de Hugues, comte de
Champagne, qui possédait des terres à Troyes. Hugues de Payens s’était battu
pendant la Première Croisade, sans doute dans l’avant-garde de Godefroy de
Bouillon.
En 1104, le comte de Champagne tint une assemblée à Troyes à laquelle on
sait que Hugues de Payens était présent, de même plusieurs de ses compagnons,
vétérans de la bataille de Jérusalem, et notamment un chevalier du nom d’André
de Montbard (le neveu d’André, âgé de 14 ans, Bernard, deviendra plus tard l’un
des hommes les plus influents de son temps). Il est probable que des membres de
l’ordre cistercien y étaient également, en raison de leur profond intérêt pour la
redécouverte des trésors.
Ce qui s’est exactement dit au cours de cette réunion n’a pas été consigné
mais dans les semaines qui suivirent le comte Hugues prit le chemin de
Jérusalem, en compagnie de Hugues de Payens et d’André de Montbard. Hugues
de Payens y demeura quatre ans avant de revenir à Troyes. On ne sait pas
vraiment ce qu’il fit pendant tout ce temps, mais les événements qui suivirent
suggèrent fortement qu’il surveilla attentivement la gigantesque esplanade sur
laquelle le Temple s’était autrefois dressé.
Le fait qu’il ne se soit rien produit au cours des dix années suivantes fut sans
doute lié à une impasse politique et religieuse. Deux personnes pouvaient
empêcher les fouilles que l’on avait envisagées : le roi Baudouin Ier de
Jérusalem, frère et successeur de Godefroy de Bouillon, et le pape Pascal II qui
avait succédé à Urbain II peu après la prise de Jérusalem en 1099.
Le pape lui-même se souciait sans doute fort peu de ce retard car il dépensait
tout son temps et toute son énergie à lutter contre la dynastie germanique du
Saint Empire romain, sous le règne d’Henri V. Ayant poussé à l’abdication
l’empereur en place en 1111, Henri contraignit ensuite le pape à le couronner
empereur à Rome. Cela ne se fit qu’après qu’il eut jeté en prison le vieux pontife
et repoussé une tentative de secours de la part des Normands. Les difficultés du
Pape avec l’empereur ne cessèrent pas et il mourut le 21 janvier 1118.
Si Baudouin de Jérusalem s’opposait aux travaux, il devait lui-même se tenir
soigneusement sur ses gardes. On sait de façon certaine qu’il dut recourir à des
goûteurs dignes de confiance et loyaux pour éviter d’être éliminé par des
membres des Familles de l’Étoile désireux de voir les choses progresser plus
rapidement. Finalement, Baudouin ne survécut au pape que deux mois à peine.
Le 2 avril 1118, Baudouin mourut lors d’un séjour en Égypte, après voir mangé
un plat de poissons fraîchement pêchés dans le Nil. On ne sait si les poissons
étaient avariés ou si quelqu’un y avait ajouté quelque substance mortelle, mais il
est clair que sa disparition ouvrit la voie à Hugues de Payens et à ses amis.
La nouvelle de la disparition de Baudouin avait à peine atteint l’Europe au
moment où Hugues et Payens, accompagné de huit autres chevaliers, quitta
Troyes une fois encore pour suivre les routes poussiéreuses de l’Orient. Leur but
avoué – du moins si l’on en croit ce que dira plus tard le chroniqueur Guillaume
de Tyr – était de créer une compagnie destiné à garder les routes depuis les côtes
du Levant jusqu’à Jérusalem, afin de sécuriser le passage des pèlerins en chemin
pour Jérusalem ou de retour. Cependant, une aussi petite équipe d’homme d’âge
moyen aurait été dans l’incapacité d’assumer une telle tâche – et de toute façon,
ce n’est pas ce qu’ils firent.
Les hommes en question étaient les suivants : Hugues de Payens, André de
Montbard, Geoffroy Saint-Omer, Payen de Montdidier, Archambaud de Saint-
Armand, Geoffroy Bisol, Gondemar, Rosal et Godefroy. Pour ceux des
chevaliers fondateurs dont on connaît l’origine, celle-ci se situe en Champagne,
à l’exception de Payen de Montdidier et d’Archambaud de Saint-Amand qui
venaient des Flandres.
Baudouin Ier, le feu roi de Jérusalem, n’avait pas eu de fils et avait été
remplacé sur le trône par son cousin, Baudouin II. Le roi Baudouin II venait des
Ardennes, une région dont les seigneurs étaient familialement liés à la
Champagne, et il semble qu’il soutenait le projet de fouilles dans les
soubassements du Temple.
Les neuf chevaliers établirent leur campement à l’endroit des ruines du
Temple connu sous le nom « d’écuries de Salomon » et ils restèrent neuf ans,
grâce au soutien financier et logistique de Baudouin II. Hugues de Payens et les
siens commencèrent très tôt d’importants travaux de terrassement, creusant
souvent des tunnels dans la roche.
Sept siècles et demi plus tard, un autre groupe d’hommes décida de fouiller les
ruines du Temple. En 1867, une expédition de l’armée britannique conduite par
le lieutenant Warren, des Royal Engineers, commença à creuser dans les
profondeurs de l’esplanade du mont du Temple.1 La seule chose qu’ils
découvrirent fut un dédale de tunnels laissé en place par les terrassiers des
Familles de l’Étoile. Un grand nombre d’objets identifiés comme ayant
appartenu au groupe d’Hugues de Payens fut retrouvé par les ingénieurs
britanniques et sont maintenant conservés à Édimbourg.
Comment l’équipe d’Hugues de Payens connaissait-elle le plan du sous-sol ?
Nous l’ignorons mais ils devaient savoir que leur premier soin était de localiser
le Rouleau de cuivre. Ce document de métal gravé devait constituer le plus
fabuleux trésor jamais créé. Deux rouleaux de la sorte avaient été fabriqués par
les Familles de l’Étoile au moment de guerre contre les Romains, en 66-70. Une
version simplifiée fut trouvée à Qumran en 1952 parmi les manuscrits de la mer
Morte, et fut ouverte trois ans plus tard pour être lue pour la première fois depuis
presque deux mille ans. Ce rouleau révèle qu’au moins 24 rouleaux importants
avaient été cachés dans le mont du Temple avec d’autres trésors ainsi qu’un autre
exemplaire, plus détaillé, du Rouleau de cuivre. Il est dit que :

« Dans le puits situé au nord et dont l’entrée est ensevelie : un


exemplaire de ce document, avec une explication et l’indication des
mesures, et un inventaire de toutes les choses, et d’autres choses. »2

Pas moins de 61 lieux sont décrits et les précieux objets sont énumérés. John
Allegro, qui fut un spécialiste passionné et objectif des manuscrits de la mer
Morte, a rapporté sa stupéfaction lorsqu’il prit conscience de ce que le document
contenait :

« Alors que chaque mot prenait sens et que l’importance du


document devenait indéniable, je pouvais à peine en croire mes
yeux […] les grottes de Qumran avaient livré la plus énorme des
surprises – l’inventaire d’un trésor sacré d’or, d’argent et de jarres
remplies d’offrandes, ainsi que que de pièces de vaisselle sacrée de
toutes sortes. »3

John Allegro rapporte aussi l’intention du Rouleau de cuivre :

« Le rouleau de cuivre et sa copie (ou des ses copies) avaient pour


but de raconter au Juifs survivants les circonstances de la guerre qui
faisait rage lorsque ce dépôt sacré fut enfoui afin que nul ne le
découvre, que nul n’en puisse faire un usage profane. Il devait aussi
servir de guide pour retrouver le trésor. »

Il est peu probable qu’aucun de ceux qui furent impliqués dans


l’ensevelissement de ces documents et de ces trésors ait pu imaginer qu’il
faudrait mille ans à leurs descendants pour les retrouver. Mais ils furent
retrouvés.
Le rouleau de cuivre permit à Hugues et son groupe de parvenir au trésor. Par
exemple, on peut y lire :

« Dans le caveau à deux piliers qui est orienté à l’est, à l’ouverture


nord, creuser trois coudées : là, une urne dans laquelle il y a un
rouleau : au-dessous 42 talents de pièces d’argent.
Dans la citerne en face de la porte orientale, à 19 coudées :
ustensiles. Et dans la conduite de la citerne : dix talents de pièces
d’argent.

Dans la cour de […] sous le coin sud, creuser 9 coudées : ustensiles


votifs d’argent et d’or, bassins pour l’aspersion, tasses, bols et
cruches, en tout 609 pièces. »

Les neufs chevaliers durent retrouver leurs rouleaux, de grandes quantités de


pièces de monnaie, des caisses d’or et d’objets d’argent. Leur succès fut tel
qu’en 1125 Hugues, comte de Champagne, renonça soudainement à ses
possessions en Champagne, prit la mer pour Jérusalem et se plaça lui-même sous
l’égide de Hugues de Payens. Le comte avait été le suzerain d’Hugues de Payens
et c’était donc un renversement complet des rôles, un fait sans précédent dans
l’Europe féodale.
Il existe une autre source de documentation qui décrit les fouilles qui furent
opérées pour récupérer les vieux documents et les trésors dissimulés sous les
ruines du Temple. Et, de façon étrange, ce récit provient des rituels de la franc-
maçonnerie que nous allons aborder à présent.

Les Templiers : les soldats de Yaweh


Après avoir accompli la tâche qui leur avait été assignée, la petite troupe de
chasseurs de trésors de Jérusalem se transforma en un ordre religieux et militaire
de moines-soldats. Avec l’aide de leurs frères Cisterciens de retour en Europe, ils
adoptèrent le manteau blanc (qui plus tard porta une croix rouge sur le devant).
Toujours grâce aux Cisterciens ils formulèrent leur appellation officielle de
Pauperes Commilitiones Christi Templique Salomonis, que l’on doit
normalement traduire par « Pauvres Compagnons d’armesa du Christ et du
Temple de Salomon ». Mais ils se firent connaître sous un nom plus simple – les
Templiers.
Leur titre complet semble chrétien à première vue – mais il n’en est rien. Tout
chrétien suppose que le terme « Christ » réfère à Jésus – mais bien entendu ce
n’est pas le cas. Comme nous l’avons vu le terme vient du gec khristos (« oint »)
et n’est qu’une traduction du mot hébreu « Messie » (maschiah) – littéralement,
« celui qui a été frotté d’huile », comme marque de la royauté juive. « Christ »
est un titre et pas le nom d’un individu, de sorte que le titre de l’ordre ne renvoie
pas à Jésus mais à Jean-Baptiste ou à Jacques, ou à quiconque a entraîné les
prêtres juifs et leurs disciples vers un nouvel ordre mondial. À l’époque, il se
peut même que cela se soit appliqué à Baudouin II, roi de Jérusalem. En fait,
l’histoire devait montrer que les Templiers, comme représentants des Familles de
l’Étoile et donc des Ébionites, manifestèrent finalement davantage de déférence
à l’égard de Jean-Baptiste, leur fondateur, qu’envers son successeur Jésus. Cela
renforce notre soupçon que l’ordre tout entier, ou au moins ses chefs, pensait que
Jean-Baptiste était le véritable Messie ou Christ – et non Jésus.
Nous pouvons être sûrs que les Templiers donnaient ce sens aux mots car ils
se qualifiaient eux-mêmes de « Pauvres Compagnons d’armes du Messie ». Le
terme « Compagnons d’armes » montre qu’ils se considéraient comme ses égaux
plutôt que comme ses « disciples ». On aurait pu s’attendre à ce que des moines
chrétiens se décrivent simplement comme de « Pauvres soldats de Jésus-Christ et
du Temple de Salomon ». Le terme « Compagnon » modifie sensiblement le
sens. Et heureusement, personne n’a demandé en quoi le Temple de Salomon
avait à faire avec Jésus-Christ. Le Temple de Salomon n’a aucun rapport direct
avec Jésus-Christ selon le canon chrétien. De toute façon les Templiers s’étaient
établis très près du palais du roi Baudouin, de sorte qu’on pouvait penser que
leur nom, en partie du moins, provenait du siège de leur quartier général dans la
Cité sainte.
Mais le monde se trompait. Personne ne pouvait savoir que le nom du nouvel
ordre avait pour but de célébrer la mission des Familles de l’Étoile, selon les
ordres du roi Salomon, de créer la Nouvelle Jérusalem qui avait été promise
depuis tant de siècles. Les « Enfants d’Israël » – la véritable armée de Yaweh –
étaient de nouveau en marche.

Bernard de Clairvaux
En France, l’ordre des Cisterciens se développait bien, notamment grâce à un
Anglais nommé Stephen Harding et plus tard à Bernard, le jeune neveu d’André
de Montbard.
Bernard était le fils de Tescelin, seigneur de Fontaines au nord de la
Bourgogne, et d’Aleth, une jeune femme de la noblesse de Montbard en
Champagne. Ils eurent plusieurs enfants mais Bernard fut très tôt reconnu
comme particulièrement intelligent et sagace. Quoique de petite stature, il devait
se révéler un partenaire de taille face aux plus puissants des rois, des princes et
des papes.
En 1113, à l’âge de 23 ans, Bernard avait chevauché vers le sud pour parcourir
les quelques 5 miles qui séparaient Fontaines de Clairvaux et rejoindre le
monastère cistercien. Dans la même année il fut suivi par pas moins de 30 de ses
proches – en réalité ils se « joignirent » moins au monastère qu’ils n’en prirent le
contrôle. Trois ans plus tard, à 26 ans, Bernard avait sa propre abbaye, tout près
de Troyes en Champagne. Elle se nommait « Clairvaux », ce qui voulait dire
« Vallée de la Lumière » et, bien que Cîteaux demeurât la maison mère de
l’ordre, ce fut en fait à Clairvaux que les décisions devaient être prises au cours
des 30 années qui suivirent.
Bernard (bientôt connu sous le nom de Bernard de Clairvaux) commença
aussitôt à jouer son rôle dans la politique de l’Église, d’abord en Champagne
puis très vite à travers toute la Chrétienté. Quand Hugues de Payens et les siens
commencèrent leurs travaux à Jérusalem, Bernard lança une campagne visant à
bâtir la réputation de ces chevaliers terrassiers de Jérusalem comme les plus
brillants guerriers du monde, plutôt que comme une troupe d’ermites fouilleurs.
Ses paroles doivent beaucoup à la licence poétique :

« Quand ils se rangent en bataille, c’est avec toute la prudence et


toute la circonspection possibles qu’ils s’avancent au combat tels
qu’on représente les anciens. Ce sont de vrais enfants d’Israël qui
vont livrer bataille ; mais en portant la paix au fond de l’âme. À
peine le signal d’en venir aux mains est-il donné puis s’élancent sur
leurs adversaires comme sur un troupeau de timides brebis, sans se
mettre en peine […] et bien des fois il leur est arrivé de mettre
l’ennemi en fuite presque dans la proportion d’un contre mille et de
deux contre dix mille. Il est aussi singulier qu’étonnant de voir
comment ils savent se montrer en même temps, plus doux que des
agneaux et plus terribles que des lions, au point qu’on ne sait s’il
faut les appeler des religieux ou des soldats. »

Ils étaient certainement les « Enfants d’Israël ».


C’est Bernard, « l’enfant prodige »b cistercien, qui attira le premier l’attention
du pape Gélase II sur les neuf chevaliers, sollicitant leur constitution en un ordre
monastique par l’attribution d’une règle – un code de conduite – qui fut en fait
une version de la propre règle des Cisterciens, et ce afin de leur donner une
légitimité et de leur conférer un statut au sein de l’Église.
La demande parut d’abord ne recueillir aucun écho mais les pièces de
l’échiquier allaient bientôt changer. Le pape Gélase II mourut subitement après
un an et 5 jours de pontificat, alors qu’il visitait le monastère de Cluny. Cluny
avait toujours été important pour les Familles de l’Étoile en Champagne. Cluny
était la serre chaude des idées de la réforme bénédictine et avait été utilisé
comme tremplin par plusieurs ordres monastiques réformés que les Familles de
l’Étoile avaient créés ou utilisés à leurs propres fins. Il semble certain que toutes
les initiatives des Familles de l’Étoile en Europe et au-delà, furent conçues en
Champagne que l’on peut considérer comme leur quartier général entre la fin du
XIe et le début du XIVe siècle. Le monastère de Cluny était à portée de la main.
Très opportunément, le pape suivant fut Guy, fils du duc Guillaume II de
Bourgogne, ce qui en fit un très proche de Bernard et, sans doute, un membre
d’une Famille de l’Étoile.
Guy devint le pape Callixte II et il fut immédiatement favorable à
l’argumentation de Bernard selon laquelle le monde chrétien devait disposer
d’une élite combattante pour être le fer de lance de son combat contre la menace
musulmane. Bernard dit en quoi l’ébauche de cette force existait déjà au sein de
l’Église en la personne d’Hugues de Payens et de ses compagnons. Bernard
proposa que ce petit groupe soit constitué et organisé selon les mêmes règles
monastiques que celles des Cisterciens : il pourrait ainsi rapidement se
développer pour parvenir à ce qui était nécessaire – un groupe important et
engagé de chevaliers bien entraînés et bien armés dont la vocation spécifique
serait de défendre la Terre Sainte – particulièrement Jérusalem qui, à cette
époque, était de nouveau menacée de tomber entre les mains des armées
musulmanes.
Cependant, la plus grande initiative du pape fut de décider que ces soldats
seraient aussi des moines. Pour cette raison, Bernard suggéra, compte tenu du
caractère international prévu de cet ordre, qu’il serait placé en dehors de la
hiérarchie régulière de l’Église, ne relevant pas de l’évêque, ni de l’archevêque,
ni d’aucun autre agent spirituel ou temporel : il ne répondrait que devant le pape
lui-même.
C’était une brillante stratégie. La création officielle du nouvel ordre ne coûtait
absolument rien au pape mais toute la gloire de l’entreprise pouvait rejaillir
favorablement sur lui. Mieux encore, en un temps où les papes étaient
fréquemment assaillis, non seulement par les problèmes ecclésiastiques mais, au
sens littéral, par des troupes étrangères, le fait de savoir qu’il pourrait avoir une
sorte de puissante garde personnelle, spécialement commise à son service, dut
paraître très intéressant à Callixte. Il savait à quel rythme les Cisterciens se
développaient et il ne pouvait ignorer que l’impulsion avait été donnée
directement par Bernard qui avait déjà fondé une douzaine d’abbayes. Si le petit
homme venu de Champagne avait pu tant faire pour les Cisterciens, il pourrait
sûrement faire de la nouvelle milice du pape une réalité.
Cependant, Callixte mourut avant d’avoir pu fonder le nouvel ordre et il revint
à Honorius II de constituer officiellement les Templiers en un ordre monastique
par l’attribution d’une règle. Cela fut fait le 31 janvier 1128 quand Hugues de
Payens se présenta devant le concile spécialement convoqué à Troyes. Cette
impressionnante assemblée était présidée par le cardinal d’Albano, légat du
pape, et comprenait les archevêques de Reims et de Sens, pas moins de dix
évêques et des abbés influents, dont Bernard de Clairvaux. La proposition de
donner aux Templiers le statut officiel d’un ordre monastique fut adoptée, les
Templiers reçurent leur règle et le droit de porter un manteau qui leur soit propre,
lequel était d’un blanc purement essénien.
Grâce à l’influence de Bernard, le groupe de ces chevaliers vieillissants qui
avaient passé presque neuf ans de leur vie dans un état proche de la pauvreté, à
creuser sous le mont du Temple, devint spectaculairement riche, car le nouvel
ordre fut submergé d’argent et de terres de la part de pieux donateurs. Bientôt, ils
allaient changer le monde grâce à leur politique de construction et à l’invention
d’un système de banque mondiale qui, avec le développement par les Cisterciens
du commerce de la laine et l’important négoce international des foires de
Champagne, annonçait en effet le monde « moderne ».

Bernard le Mystique
Bernard se révéla d’une importance sans égale dans l’histoire de la pensée
chrétienne. Il devait plus tard être canonisé sous le nom de Saint Bernard de
Clairvaux, bien qu’il en soit venu à n’être considéré dans l’histoire de l’Église
que comme un « mystique » et malgré le fait que son approche du christianisme
ait été, pour dire le moins, hautement inhabituelle.
Bernard eut deux obsessions qui dominèrent sa vie et se sont reflétées, en
pratique, dans toutes ses actions. D’abord, il était absolument fasciné par le
concept de la nature féminine de Dieu personnifiée par la Vierge Marie pour
laquelle il avait une vénération apparemment sans bornes.
Son respect pour les femmes eut une influence réelle dans les cours
européennes où leur statut s’améliora grâce à ses efforts. Bernard semble avoir
partagé les vues de Jésus-Christ qui pensait que tous les individus étaient égaux
en dignité aux yeux de Dieu et que chacun, homme ou femme, pourrait entrer en
contact avec Dieu si un nouvel ordre mondial était établi.
Ensuite, Bernard a toujours montré un intérêt inusité pour le Cantique des
cantiques, ou Les chants de Salomon. Tout au long de sa vie il a écrit des
dizaines de sermons à propos du Cantique des cantiques, lequel demeure l’un
des plus curieux livres de la Bible.
Le Cantique des cantiques apparaît au premier abord comme un long poème
d’amour entre deux fiancés. Il fait mention de Salomon mais il est très
improbable qu’il lui doive directement quoi que ce soit et de nombreux
spécialistes lui donnent pour origine le nord d’Israël. Ils estiment que le
Cantique des cantiques provient d’une série de poèmes traditionnels qui furent
assemblés vers 300 avant notre ère4 – précisément l’époque où les Esséniens se
constituèrent.
Le Cantique des cantiques, en apparence, est une belle histoire d’amour avec
peu de contenu religieux – il ne cite Dieu qu’une seule fois – mais les Juifs le
considèrent comme une allégorie de la relation entre Dieu et Jérusalem.
Les chrétiens de l’époque de Bernard de Clairvaux adoptèrent le Cantique des
cantiques à la manière des Juifs mais, dans le cadre du christianisme, comme une
allégorie de la relation entre Jésus-Christ et l’Église. En surface, c’est ainsi que
Bernard de Clairvaux abordait cette œuvre mais, plus profondément, il est très
probable qu’il considérait ce livre extraordinaire comme le faisaient les Juifs
mystiques. À l’instar des érudits juifs de son temps, Bernard voyait presque
certainement le Cantique des cantiques comme un récit délicatement voilé
évoquant la refondation de Jérusalem et la relation de la Nouvelle Jérusalem
avec Dieu.
Il était notoire que Bernard était fasciné par le judaïsme. Quand Jérusalem
avait été conquise, une génération plus tôt, les Juifs présents dans la ville avaient
été massacrés, sans plus de scrupules que pour les musulmans. Au XIIe siècle, en
Europe occidentale, les Juifs menaient une vie marginale5. Ils pouvaient prendre
part au commerce et avaient leur utilité en matière de finance car ils avaient la
possibilité de pratiquer le prêt à intérêt, ce que les chrétiens ne pouvaient faire,
en principe. Percevoir des intérêts sur un prêt était considéré comme de
« l’usure » et cela était interdit aux chrétiens par les lois ecclésiastiques. Les
Juifs n’étaient pas soumis de telles lois et le prêt d’argent était ainsi l’un des
rares moyens par lesquels ils pouvaient atteindre une certaine prospérité en
Europe. Malheureusement, les Juifs étaient souvent harcelés comme « ennemis
du Christ », les pogroms n’étaient pas rares et l’Église y jouait souvent un rôle
certain. Bernard de Clairvaux était différent. À plusieurs reprises dans sa vie, et
malgré un emploi du temps chargé, il s’en alla pendant des jours empêcher des
pogroms contre les Juifs, et on a pu suggérer qu’il avait abrité des kabbalistes
juifs et des experts en hébreu au sein même de sa propre abbaye, près de Troyes.
Les tendances mystiques de Bernard l’ont conduit à être vénéré bien au-delà
de ce qu’il aurait dû l’être. Il fut sans conteste l’un des grands intellectuels de
son temps – il décrivit un jour Dieu comme « hauteur, largeur, profondeur et
ampleur » - et il suggéra aussi que Dieu se trouverait plus facilement parmi les
rochers ou les arbres que dans une église construite par les hommes.
C’est en grande partie grâce à lui que vers 1130 les Familles de l’Étoile se
trouvèrent en position privilégiée pour commencer à bâtir un nouvel ordre
mondial. Après 60 ans de manœuvres et de meurtres, elles avaient acquis le
contrôle de l’Occident et des terres des Croisés en Orient. Bernard faisait évoluer
les comportement dans l’Église et les cours européennes, tandis que les
Templiers et les Cisterciens préparaient des changements sans équivalent dans
l’histoire de l’humanité.

a. Les auteurs ont traduit en anglais par « fellow-soldiers ». La traduction française du terme latin ici
retenue est celle du très classique Dictionnaire Latin-Français de F. Gaffiot [ndt].
b. En allemand dans le texte (« wunderkind ») [ndt].
CHAPITRE VI

UN NOUVEL ORDRE MONDIAL

Les Templiers se répandirent rapidement dans tous les pays de la chrétienté.


Dans chaque cas, on nommait un Maître de l’Ordre qui rapportait au chef des
Templiers, le Grand Maître, une dignité que l’on possédait à vie. Tous rangs
subalternes furent établis au-dessous des Templiers eux-mêmes : les « sergents »,
les « frères servants » et les « chapelains ». Il existait aussi une classe séparée
des « Frères mariés » dont le statut n’était pas le même que celui des célibataires
(selon les documents qui nous sont parvenus, les Esséniens comptaient aussi des
célibataires et des frères mariés).
L’initiation dans l’Ordre impliquait une cérémonie secrète et des rumeurs
coururent très tôt selon lesquelles les Templiers pratiquaient des rituels qui
n’étaient pas chrétiens. Des telles affirmations auraient pu être préjudiciables à
un Ordre moins éminent, mais les Templiers, prospères et très protégés, purent
simplement se contenter d’ignorer ces questions. Ils n’étaient pas en manque
d’initiés, lesquels devaient être de noble naissance et de souche légitime, car nul
ne pouvait être chevalier s’il était de naissance obscure, et devaient en outre
donner tous leurs biens et faire vœu de pauvreté, de chasteté, de piété et
d’obéissance.
Si le but officiel de l’Ordre était militaire, de nombreux frères se consacraient
au commerce et d’autres à d’importants projets de construction. Les Templiers
usèrent très tôt de leur fortune pour édifier de nombreuses fortifications en Terre
Sainte, et ils possédèrent sans doute les meilleures unités et les mieux formées de
leur temps. La règle absolue des Templiers était de ne jamais se rendre. Leur
bravoure et le refus des compromis, ainsi qu’un excellent entraînement de lourds
armements, firent d’eux une impressionnante force combattante d’élite au
Moyen Âge. On se souvient encore de leur habit blanc frappé sur la poitrine
d’une croix rouge, et que l’on attribue de nos jours improprement à tous les
chevaliers des Croisades.
Protéger les trésors du Temple
Le premier problème auquel les Templiers furent confrontés fut de savoir quoi
faire des manuscrits esséniens retrouvés dans les ruines du Temple de Jérusalem.
Les objets précieux qu’ils avaient mis au jour (voir Chapitre 5) devaient être
protégés contre le vol mais, en eux-mêmes, ils ne pouvaient susciter aucune
suspicion. En revanche, il n’en allait pas de même pour les documents écrits. Ils
étaient précieux en eux-mêmes mais, en raison de leur contenu, ils couraient le
danger d’être détruits si l’Église les découvraient.
Il ne semble pas qu’on ait sérieusement envisagé de les rapporter en
Champagne ou ailleurs en France. Probablement parce que le pays était sous la
coupe d’une Église toute-puissante, même dans les régions où la présence des
Familles de l’Étoile était forte. Le choix de ceux qui avaient la responsabilité de
ces documents paraît avoir été de trouver un lieu aussi éloigné que possible de
Rome. Les plans relatifs à cette sauvegarde furent gardés très secrets à l’époque
mais la tradition orale de la franc-maçonnerie en a conservé la mémoire.
Selon un récit du 20e grade du Rite Écossais Ancien et Accepté, en 1140, un
loge de templiers de Jérusalem se transporta à Kilwinning, un petit port de la
côte ouest de l’Écosse. Il est également rapporté que ce petit groupe avait
emporté des documents anciens pour les entreposer dans une abbaye construite à
cet effet à Kilwinning.
C’est une information troublante, car comment les auteurs relativement
récents des rituels maçonniques avaient-ils pu connaître l’existence de
manuscrits esséniens conservés dans le milieu secret des Templiers ? Jusqu’à ce
que les manuscrits de la mer Morte aient été découverts et le Rouleau de cuivre
déchiffré, dans les années 1950, personne ne semble avoir eu connaissance du
fait que quoi que ce fût avait été caché dans les ruines du Temple de Jérusalem.
En 1921, une trentaine d’années avant la découverte des manuscrits dans le
camp essénien de Qumran, un célèbre maçon érudit, J.S.M. Ward, écrivit que
« l’abbaye [de Kilwinning] ne fut pas construite avant 1140 environ, et la
légende ne dit pas où se trouvaient les documents entre l’an 70 et 1140 »
Utilisant des sources maçonniques, Ward savait que ces documents avaient
existé bien avant la destruction du temple de Jérusalem et qu’ils étaient parvenus
à Kilwinning 1070 ans plus tard. La conclusion inévitable est que cette
information venue des Templiers s’était transmise par la tradition maçonnique.
Mais cela ne dit pas où se trouvaient les manuscrits pendant la période qui va
de la fin des fouilles dans les ruines du Temple, en 1128, à la construction de
l’abbaye de Kilwinning en 1140 – sans compter la question brûlante de leur
destin après cette date.
On dit généralement que l’abbaye était « bénédictine », mais cela n’est pas
entièrement vrai. Elle fut édifiée sur une terre appartenant aux St Clair (ou
Sinclair), une Famille de l’Étoile qui était arrivée en Écosse avant la conquête de
l’Angleterre par Guillaume, et elle fut donnée à Hugues de Morville, un ami et
allié du roi David Ier d’Écosse. Hugues de Morville demanda alors à un groupe
de moines de Kelso de venir bâtir une abbaye sur ce site et de l’habiter – mais ils
n’étaient pas de la branche principale des Bénédictins et appartenaient à la
« Congrégation de Tiron ».

Des moines-maçons : les Tironiens


Les Tironiens demeurent l’une des plus mystérieuses branches réformées de
l’Ordre des Bénédictins. Il n’existe qu‘une seule étude en profondeur à leur
sujet, par Francine Bernier, publiée en 2005.1
Le grand mystère qui entoure la congrégation de Tiron est de savoir comment
un grand Ordre, commandant à plus de 117 maisons monastiques, peut avoir
complètement disparu des annales de l’histoire. Bernier a consacré des années à
parcourir des livres et des documents pour offrir un récit détaillé sur les
Tironiens qui, bien que presque encore inconnus de nos jours, jouèrent un rôle
important dans le développement du monachisme et de l’architecture entre le XIIe
et le XIVe siècles.
Les Tironiens furent fondés en 1107 et adoptèrent le nom de Tiron ou Thiron
qui signifie « haute colline », lieu de leur première abbaye, à 50 km de Chartres.
Ils furent établis par un moine bénédictin nommé Bernard de Tiron qui, à l’instar
de Bernard de Clairvaux et des fondateurs de l’Ordre cistercien (voir Chapitre
5), pensait que la majeure partie de l’Ordre s’était relâchée.
En 1113, les Tironiens furent invité par le roi David 1er à venir en Écosse – un
endroit où ils avaient trouvé une forme de christianisme proche de celle qu’ils
aimaient, car le christianisme écossais avait gardé des traces de ses fondations
par les Culdéens (Alan Butler2 a montré que Bernard de Clairvaux avait eu
également des liens étroits avec les Culdéens et adhéré à nombre de leurs
croyances. Il est presque certain que les Culdéens, qui dominaient parmi les
chrétiens en Grande-Bretagne et en Irlande après les Romains, comptaient de
nombreux prêtres des Familles de l’Étoile et observaient leurs pratiques. Les
Culdéens eurent régulièrement des conflits avec l’Église romaine et il fut
nécessaire de tenir un synode à Whitby en 664 pour les conserver dans le sein de
l’Église catholique romaine – ce qui ne put se faire avec l’Écosse.)
Les Tironiens étaient aussi célèbres pour leurs prouesses en tant que bâtisseurs
– bien plus que tout autre Ordre de Bénédictins. En leur temps, ils furent à
l’avant-garde de l’architecture. À Chartres, ils commanditèrent et financèrent un
collège établi en 1117 par le comte Thibaud IV de Blois, de Troyes, de
Champagne et de Chartres. Bien qu’aujourd’hui largement oublié, ce collège
fournit l’expertise nécessaire pour l’édification de nombreux bâtiments de
l’époque, y compris, selon certaines sources, la cathédrale de Chartres qui fut
reconstruite entre 1194 et 1250 (voir p. 135). D’autres experts affirment que
l’argent nécessaire pour rebâtir la nouvelle cathédrale en si peu de temps fut
apporté par les Templiers3 et l’on dit aussi qu’ils apportèrent les compétences
nécessaires à l’achèvement d’un si remarquable édifice.
C’est tout à fait possible mais il est également probable que les Templiers
collaborèrent étroitement avec les Tironiens pour apporter dans leur collège de
Chartres les techniques de taille de la pierre.
Dès l’origine, Bernard de Tiron s’était efforcé de recruter des personnes
possédant les talents dont son Ordre aurait le plus besoin – spécialement des
maçons. Aussi bien dans les abbayes de Tironiens que dans le collège de
Chartres, ces moines-maçons avait transmis leurs connaissances à de nouveaux
initiés, soumettant les novices à une sorte d’apprentissage monastique et les
formant soigneusement jusqu’à ce qu’ils deviennent des maîtres dans leur
métier.
Bien entendu, les maçons n’étaient pas seuls. L’Ordre avait besoin de
charpentiers, de tanneurs, de fermiers, de forgerons et de toutes sortes d’autres
métiers nécessaires à la vie au XIIe siècle. Mais c’est par ses maçons que l’ordre
atteignit sa consécration.
Par conséquent nous devons maintenant admettre que la création et la
spécialisation de l’Ordre des Tironiens résultèrent presque certainement, une fois
de plus, d’une nouvelle manœuvre des Familles de l’Étoile, au même titre que la
création du très célèbre Ordre des Cisterciens, un autre Ordre réformé de
Bénédictins (voir Chapitre 5) avec lequel les Turoniens avaient beaucoup en
commun, en particulier une approche atypique du christianisme.
Comme nous le verrons plus loin dans ce chapitre, il semble que la mission
des Templiers et des Cisterciens ait été de donner des fondements économiques à
la Nouvelle Jérusalem, notamment grâce au commerce de la laine, les
Cisterciens contrôlant la production et les Templiers agissant comme financiers
internationaux et soldats de l’entreprise. Nous pensons que les Tironiens,
aujourd’hui presque complètement oubliés, se virent confier le soin de la
construction – c’est à eux que serait revenu de superviser la réalisation matérielle
de la Nouvelle Jérusalem. On a même suggéré que nombre des innovations en
architecture à partir de 1130 virent des Tironiens autant que des Templiers et des
Cisterciens.
Les Tironiens édifièrent de nombreuses églises paroissiales en Écosse, ainsi
que leurs propres abbayes. Leur première abbaye en Écosse fut à Selkirk, en
1113, suivie par Kelso en 1128, puis Kilwinning en 1140. Il est intéressant de
noter que la construction de Kelso eut lieu la même année que celle du retour des
premiers Templiers de Jérusalem et de la tenue du concile de Troyes. Cette
abbaye fut élevée à la demande explicite de David 1er qui était aussi un grand
ami des Cisterciens. On dit que Kelso est la plus belle des abbayes écossaises.
Puisque les documents trouvés par les premiers Templiers aboutirent
finalement à Kilwinning, qui avait été fondée par des Tironiens venus de Kelso,
et puisque Kelso avait été fondée en 1128, il paraît assez probable que les
documents furent d’abord apportés à Kelso – une abbaye qui fut peut-être
précisément bâtie pour les abriter. Mais l’histoire montra que Kelso, très proche
de la frontière anglaise, n’était pas un lieu sûr, de sorte qu’une nouvelle abbaye
fut construite par le même ordre monastique, mais cette fois dans la région
paisible de Kilwinning. Il suit donc que les documents y furent transférés ou
1140 ou un peu plus tard.

Les secrets des manuscrits cachés


La plus intéressante et la plus fascinante question qui demeure est la suivante :
Quelles informations étaient contenues dans ces manuscrits ?
Nous en savons désormais beaucoup à propos des documents trouvés à
Qumran et il est probable que les manuscrits découverts sous le Temple
renfermaient une partie de ce que l’on connaît sous le nom de « Manuel de
discipline » et « Rouleau de la Communauté », décrivant comment un groupe
semblable aux Esséniens devait se conduire. Cela s’impose à l’esprit en raison
des nombreuses ressemblances entre les Esséniens, les Cisterciens et les
Templiers.
Parmi les nombreuses règles, figurent celles d’inviter quiconque souhaitait
rejoindre la communauté de témoigner de son respect envers Dieu et les
hommes ; de vivre selon la règle comme ; de rechercher Dieu ; de faire ce qui est
bien et juste à ses yeux et d’aimer tous les « fils de la lumière ». Les initiés
devaient apporter « tout leur esprit, toute leur force et tous leurs biens » à la
communauté de Dieu. Ils devaient garder le sens de l’humilité, de la charité et de
la bienfaisance mutuelle à l’égard de leurs frères humains, tout en montrant de la
patience et de la compassion. Ils devaient appartenir à la communauté à la fois
sur le plan spirituel et sur le plan économique, afin d’établir en Israël un
fondement pour la vérité et s’unir indéfectiblement et à jamais. Pour y parvenir,
ils devaient obéir à un supérieur, chacun selon son rang, pour tout ce qui
concernait l’argent ou le travail.
Les communautés templières étaient régies selon des règles très proches de
celles des Esséniens et de leurs frères, les Cisterciens. Comme les « frères
blancs » des temps antiques et ceux de leur propre époque, les Templiers avaient
une structure démocratique. Exactement comme le stipule le « Rouleau de la
Communauté » des Esséniens, les dignitaires, locaux et régionaux, et même le
Grand Maître de l’Ordre tout entier, étaient élus en Chapitre et tous pouvaient
être destitués s’ils n’avaient pas atteint les objectifs qu’on leur avait fixés.
D’autres documents nous disent comment les auteurs voyaient la venue d’un
nouvel âge, lorsque, en tant qu’élus de Dieu, ils seraient les agents de la
destruction de ce qui était contraire aux desseins de Dieu et les restaurateurs
d’un culte convenable et d’un temple purifié, servi par de dignes prêtres.
Un document connu sous le nom de « Rouleau de la Guerre » décrit en détail
la guerre qui opposera les Fils de la Lumière aux Forces des Ténèbres. Ce n’est
pas une simple évocation d’un conflit à venir mais une description précise de
l’armée qui devra se battre – comment elle sera constituée, équipée et dirigée
pendant le conflit. Selon le Rouleau de la Guerre, il y aurait à la fois une
infanterie et une cavalerie, armées d’une façon spécifique, et placée sous les
ordres d’un commandant suprême. Toutes les pièces d’armement, boucliers,
lances et épées, sont décrites avec un grand détail et l’on accorde beaucoup
d’attention à la rectitude morale des combattants. Le Rouleau de la Guerre décrit
une armée entière, marchant et se battant pour les croyances et les idéaux des
Juifs. Il paraît tout à fait vraisemblable que les Templiers furent organisés selon
les règles décrites dans le Rouleau de la Guerre.
Mais on a des raisons de penser qu’il y avait des documents encore plus
importants sous le Temple. – aussi près qu’il était possible du Saint des Saints
(l’endroit où jadis l’Arche d’Alliance avait reposé).
Eu égard aux réalisations architecturales stupéfiantes des Templiers, on a pu
suggérer qu’ils avaient dû obtenir, d’une manière ou d’une autre, des
informations sur la géométrie appliquée à la construction et accéder à la
connaissance des secrets de quelque art ou science anciennement perdue – sans
doute à partir des traditions oubliées des Juifs et des Égyptiens. On ne peut dire
si cela est vrai mais, dès que les Templiers et les Cisterciens se mirent à
l’ouvrage, le monde de l’architecte occidentale en fut changé, presque du jour au
lendemain.

Des merveilles architecturales


Les Cisterciens et les Templiers étaient de fabuleux bâtisseurs et ils furent au
cœur de la grande période de construction des églises et des cathédrales qui
commença de l’Europe peu après la découverte des « secrets » de l’architecture.
La beauté et le génie technique des édifices construits à partir de 1130
environ, qui donnèrent le style dit « gothique », sont vraiment impressionnants.
Les bâtisseurs de cathédrales firent d’immenses voûtes et élevèrent
d’interminables contreforts, autorisant des murs peu épais avec de très grandes
baies.
John Ochsendorf, un ingénieur et historien de l’architecture au MIT (USA) est
stupéfié par ce que les guildes médiévales de maçons opératifs ont pu réaliser. Il
évoque la première fois où il grimpa sur le sommet d’une voûte de la chapelle de
Kings College, à Cambridge. « Vous êtes à 25 m au-dessus du sol sur une petite
pierre […] Vous pouvez même sentir de fines vibrations. Et vous ne pouvez vous
empêcher de penser : « Quel courage avaient ces gens ! »4
Le toit de la chapelle s’étend sur presque 15 m et la voûte qui le supporte a
seulement 10 cm d’épaisseur – un tel rapport entre l’étendue et l’épaisseur est
celui d’une coquille d’œuf. Ochsendorf développe un programme informatique
pour tenter de déceler le secret qui se cache derrière les voûtes et les arcs des
cathédrales gothiques, dans l’espoir que cela puisse « révolutionner » les
conceptions de l’architecture moderne et permettre le développement de
bâtiments respectueux de l’environnement. Ochsendorf ajoute : « Ces gens
avaient développé une vraie science de la construction pour atteindre un haut
degré de stabilité. Je suis vraiment impressionné par le fait que nous ne les avons
pas encore surpassés. »
Le mot « moderne » lui-même n’est pas une invention récente. Il fut employé
pour la première fois en France, moins de dix ans après que les Templiers
avaient achevé leurs fouilles, pour référer au nouveau style gothique des
cathédrales édifiées sous le contrôle des Templiers et des Cisterciens. Non
seulement la structure était une remarquable percée technique mais aussi
d’autres aspects comme la création de vitraux colorés traduisait un bond
technologique soudain et inexplicable.
Les nouvelles cathédrales atteignirent des hauteurs de rêve, inégalées jusque-
là, avec bien plus de fenêtres, de larges nefs et de grands espaces intérieurs que
n’encombraient plus de trop nombreux piliers.
La connaissance scientifique entrait vraiment dans son âge « moderne ».
De nombreux chercheurs admettent à présent que les Templiers furent
profondément impliqués dans le financement et les plans de réalisation des
cathédrales gothiques.
L’influence des Templiers sur la géométrie et la conception des plans
conduisit à la réalisation de structures aussi belles que celles de la cathédrale de
Chartres. La version que nous en connaissons de nos jours fut réalisée très vite
entre 1194 et 1250. L’Église présente la cathédrale de Chartres comme le fruit
d’une coopération entre le peuple de la ville et le soutien financier du commerce
lié aux pèlerins. Cette explication classique ne permet pas de rendre compte de
l’apport massif et immédiat de ressources financières qui furent rendues
disponibles pour payer le travail aux carrières, le transport des pierres et les
énormes frais liés aux maçons, sculpteurs et autres corps de métiers qui durent
être employés pour achever un édifice aussi vaste et aussi complexe en aussi peu
de temps. Il est très douteux que les produits du pèlerinage à Chartres pendant la
période de construction aient pu payer la réalisation et l’installation des vitraux
et encore moins la construction et la décoration du bâtiment dans son ensemble.
La seule source de financement en Europe à cette époque, capable de faire face à
ces dépens, était l’Ordre du Temple.
En France, les guildes d’artisans étaient connues sous le nom de
Compagnonnages, et le compagnonnage des maçons qui avaient bâti de grandes
cathédrales était connu sous le nom « d’Enfants de Salomon ». Les Enfants de
Salomon avaient été instruits dans l’art de la géométrie sacrée par les Tironiens5,
les templiers et les Cisterciens, et ils ouvraient uniquement sous la direction de
Bernard de Clairvaux. Il donna une « règle » aux Enfants de Salomon en mars
1145, établissant leurs conditions de travail et de vie.
Ces Enfants de Salomon durent s’appuyer fortement sur les « Chevaliers du
Temple de Salomon » pour leur financement et leur instruction, et il y a de fortes
présomptions que les Templiers créèrent les rituels d’initiation pour les maçons
tailleurs de pierre. Il s’impose à l’esprit que, si le groupe originel des Templiers
avait réellement retrouvé les secrets enfouis des prêtres bâtisseurs qui avaient
édifié le Temple de Jérusalem, ils ont dû exiger des vœux de secret de tous ceux
à qui ils révélaient ces connaissances. C’est ainsi que les guildes de maçons ont
formé leur propre hiérarchie – étroitement liée à celle des Templiers.

La fortune du Temple et ses entreprises


Assez tôt – en fait en très peu de temps si l’on considère les difficultés
logistiques – les Templiers sont devenus une véritable organisation internationale
supposant d’incessants voyages. Ces déplacements nécessitaient de meilleures
routes et, si possible, de bonnes conditions de navigation fluviale ou maritime.
Les Templiers résolurent chaque problème l’un après l’autre. Ils établirent des
garnisons dans les régions reculées où des hors-la-loi agissaient, nivelèrent les
pistes et construisirent des ponts. Ils fabriquèrent de gros navires de commerce et
des galères de combat très faciles à manœuvrer. L’infrastructure templière
s’accrut avec des prieurés, des fermes, des châteaux et ports ainsi que de petites
villes créant un réseau templier intégré, au point que les Templiers finirent par
constituer une société dans la société. Ils n’étaient pas assujettis aux taxes
locales, ne répondant que devant leur Grand Maître – ils vivaient en dehors de la
juridiction des seigneurs et des rois sur les terres desquels ils prospéraient.
Les Templiers en vinrent à posséder des biens fonciers de toutes tailles à
travers toute l’Europe, du Danemark, de l’Écosse et des Iles Orkney au nord,
jusqu’en France, en Italie et en Espagne au sud. Rien qu’en Angleterre et au
Pays de Galles, ils possédaient 5000 propriétés. Leurs intérêts étaient aussi
représentés en Afrique, surtout en Éthiopie où le Livre d’Enoch essénien fut
retrouvé des siècles plus tard. Il y a aussi de bonnes raisons pour penser que les
Templiers prirent la mer vers l’ouest, jusqu’au au continent américain. En
Europe ils développèrent essentiellement deux bases navales ; l’une sur l’île de
Majorque qui leur donnait le contrôle de la Méditerranée, et l’autre à La
Rochelle sur la côte atlantique. De là, comme plusieurs l’ont affirmé, ils
assurèrent un commerce avec le Groenland, l’Amérique du Nord et même le
Mexique.
Il y a quelques années, Chris Knight eut une longue conversation avec un
magnat de la navigation norvégienne, Fred Olson, qui lui dit que le voyage
maritime vers l’Amérique du Nord était loin d’être rare avant Christophe
Colomb et qu’il serait surpris qu’une puissance commerciale comme celle des
Templiers ne s’y soit pas rendue. Il signala qu’il existait une route très sûre
depuis le nord de l’Écosse permettant de naviguer vers l’Amérique sans jamais
perdre de vue les côtes.
Dans les 50 ans qui suivirent leur fondation, les templiers devinrent une force
commerciale égale en puissance à certains États ; au bout d’un siècle ils étaient
devenus les précurseurs médiévaux des conglomérats multinationaux, possédant
des intérêts dans toutes sortes de commerce, ce qui faisait d’eux l’institution de
loin la plus riche de tous les royaumes d’Europe.
Pendant ce temps, sous la conduite de Bernard de Clairvaux, l’Ordre des
Cisterciens se développa en lien avec les Templiers. Du vivant de Bernard, les
Cisterciens construisirent plus de 300 abbayes en Europe. Même si la mission à
long terme des deux ordres était la même, leurs approches étaient différentes.
Les Cisterciens se firent connaître sous le nom « d’apôtres des frontières » en
raison de leur refus habituel des donations de terres près des grandes
agglomérations, choisissant plutôt d’établir leurs nouveaux sites dans les pays
frontaliers près des montagnes et des landes désolées de l’Europe chrétienne. Les
Templiers, quant à eux, s’installaient dans les centres peuplés avec surtout des
propriétés situées stratégiquement près des routes de commerce de pèlerinage.
Les Templiers se révélèrent comme des hommes d’affaires avisés autant que
des guerriers redoutés. Ils firent des investissements importants dans des terres et
des domaines agricoles ainsi que dans les métiers qui leurs fournissaient ce qui
était nécessaire à leur ambitieux programme de construction. Comme nous
l’avons noté, les Juifs avaient toujours été les créanciers des chrétiens parce que
l’usure (le prêt à intérêt) était interdite aux chrétiens eux-mêmes. Mais ces
prêtres juifs à façade chrétienne, les Templiers, s’arrangèrent pour devenir les
premiers banquiers internationaux. Ils introduisirent le concept de transfert
bancaire par « jeu d’écritures » qui était substantiellement ce que nous
appellerions un chèque de banque ou une lettre de change, mais aussi le
précurseur de la carte de crédit.
Curieusement, ces moines-soldats-entrepreneurs-constructeurs créèrent aussi
l’équivalent médiéval du tourisme organisé. Ayant sécurisé les routes vers les
lieux saints, ils pouvaient proposer une assistance complète aux pèlerins vers
Rome, Compostelle en Espagne ou même Jérusalem. Les Templiers prirent des
accords avec les aubergistes, les armateurs, les passeurs et tous ceux qui étaient
impliqués à un niveau quelconque pour garantir un agréable voyage. Et ils firent
de bons profits à toutes les étapes du chemin.
Une partie de leur prestation était de leur invention : le chèque de voyage. La
plus grande crainte des pèlerins à cette époque était d’être volés et nul n’aurait
souhaité être capturé sur la route en possession d’importantes sommes d’agent.
Avant l’arrivée des Templiers, cependant, il y avait peu d’alternatives car tout
voyage nécessitait de l’argent. L’infrastructure templière permit de résoudre ce
problème. Les pèlerins allaient simplement voir le trésorier local du Temple et
déposaient des fonds permettant de couvrir toutes les dépenses estimées du
voyage, y compris pour les déplacements eux-mêmes, et cela était encodé dans
un langage secret des Templiers pour prévenir toute fraude – comme une
transaction encryptée sur Internet de nos jours. À chaque étape importante de
son voyage, le pèlerin présentait un reçu au représentant local du Temple qui
réglait tous les frais engagés, les déduisait du total et ré-encodait la note qu’il
rendait au voyageur. Une fois de retour chez lui, le pèlerin devrait rendre son
chèque de voyage usagé au trésorier du Temple qui l’avait émis, lequel lui
reversait le trop-perçu ou établissait une facture pour les dépenses
supplémentaires.
Les banquiers du Temple avaient aussi organisé les transferts de fonds pour le
commerce international, au service de l’Église ou des États, aussi bien que pour
des entreprises particulières. Ils faisaient des prêts aux évêques pour financer les
programmes de construction d’églises, et aux rois ou aux empereurs pour couvrir
leurs projets immobiliers, leurs guerres et, bien sûr, les Croisades.
Les principaux membres de l’Ordre du Temple étaient d’origine juive et
n’avaient donc pas d’objection de principe à l’usure. Cependant, comme il était
capital de préserver une « façade chrétienne », ils cherchèrent un moyen de
prêter de l’argent avec profit sans tomber dans l’usure. Ils y parvinrent en faisant
valoir que puisqu’il était permis de percevoir un loyer pour la location d’une
maison, le bénéfice qu’ils recevraient serait considéré comme un loyer plutôt que
comme des intérêts. Ce « loyer » était payable au moment de l’emprunt et ajouté
à la somme empruntée.
Avec cette infrastructure commerciale complexe dans toute l’Europe, un
nouvel « ordre mondial » commença à émerger et l’Occident chrétien se
transforma peu à peu en un endroit à la fois plus dynamique et plus stable. Les
avantages nouveaux de la sécurité financière et des voyages, ainsi que le
commerce efficace et sûr à de grandes distances, tout cela conduisit à une
accumulation de capital et contribua à faire naître une nouvelle classe marchande
prospère, la bourgeoisie urbaine. L’arrivée de marchands dans les villes fit
basculer le pouvoir local qui jusque-là avait procédé de la sûreté collective bien
plus que du négoce. Les Templiers étaient comme un conglomérat international
mais ils pouvaient aussi, à divers titres, apparaître comme les créateurs de la
première Union Européenne – une institution établie dans toute l’Europe,
assurant un libre commerce à travers les frontières et des mouvements
monétaires à l’échelle internationale.
Les foires de Champagne
Nulle part les changements apportés par les Templiers et leurs collègues les
Cisterciens ne devinrent plus manifestes qu’avec la création de ce que l’on
devait appeler les foires de Champagne. Depuis le Xe siècle des foires
commerciales s’étaient tenues en Champagne, auxquelles les marchands se
rendaient d’assez loin pour acheter et vendre des biens. La Champagne était
commodément placée en termes de facilité d’accès mais, si les premières foires
furent prospères, c’était de petites affaires. Il n’y avait pas en Champagne de
villes assez grandes et les marchands forains devaient dresser des tentes là où
c’était possible. Par conséquent les marchandises étaient exposées au vol et les
transactions impliquant de grosses sommes d’argent étaient très risquées. La
situation changea avec l’accession de Thibaud II comme comte de Champagne
en 1125.
Thibaud était issu d’une importante Famille de l’Étoile – et quelle famille !
Comme on l’a déjà dit, en 1125, le comte Hugues de Champagne avait décidé de
rejoindre ses compagnons à Jérusalem, devenant ainsi la première recrue du
balbutiant Ordre du Temple. À cette époque, Hugues avait abdiqué sa noble
position – mais, selon nous, il n’avait pas renoncé à son influence.
Hugues n’avait pas de fils mais il possédait trois neveux – les fils de son frère
Étienne, comte de Blois et de Chartres, qui était devenu l’un des chefs de la
Croisade avant sa mort au combat en 1102.
Lorsque les Templiers apparurent comme une force internationale, à partir de
1128, le contrôle exercé par les Familles de l’Étoile fut stupéfiant.
Hugues étant en Orient, son titre de comte de Champagne passa à son neveu
qui devint Thibaud II. Un autre de ses neveux, Henry, comte de Blois partit vers
l’Angleterre où il devient évêque de Winchester, l’année qui suivit la réception
de leur règle par les Templiers. Le troisième neveu, Étienne traversa également
la Manche ; en 1135, après la mort de son oncle Henri Ier, le fils de Guillaume le
Conquérant, Étienne monta sur le trône d’Angleterre. Il mit rapidement le siège
épiscopal de Winchester, que détenait son frère, au-dessus de celui de
Canterbury, donnant ainsi à Henry un contrôle total sur l’Église d’Angleterre
pour compléter celui qu’il avait lui-même sur l’État.
À la mort d’Henry, la succession avait été chaudement disputée et il est certain
qu’Étienne fut placé sur le trône pour assurer la stabilité du royaume en tant
qu’homme de paille des Familles de l’Étoile, car il ne possédait pas
l’intelligence ni les talents politiques pour atteindre de lui-même un tel rang. Un
auteur de l’époque, William Map, a exprimé la faible opinion qu’il avait
d’Étienne : « Il aimait les arts de la guerre mais dans tous les autres domaines
c’était un nigaud. »
En fait, Étienne se révéla peu fiable car bien loin d’assurer la stabilité, il ne fit
qu’aggraver les choses. C’est cependant sous son règne que l’insigne templier de
la croix rouge sur fond blanc fut adopté pour figurer sur le drapeau national de
l’Angleterre. Il est probable que son influent oncle, Hugues, le Templier, dut
peser sur cette décision de faire du manteau de l’Ordre le symbole de la
Nouvelle Jérusalem.
Thibaud II, neveu et successeur d’Hugues comme comte de Champagne, était
contemporain de Bernard de Clairvaux, étant né la même année que lui, en 1090.
Les deux hommes semblent avoir été de grands amis et Thibaud acquit
opportunément son titre en Champagne juste avant que Bernard ne commence à
faire sentir don influence dans l’Église. En plus du fait d’être comte de
Champagne, Thibaud était aussi comte de Chartres et détenait plusieurs autres
fiefs importants du comte de Bourgogne, tels qu’Auxerre, Maligny, Evry et
Troyes (qui était sa capitale).
Dès son arrivée au pouvoir, le comte de Thibaud entreprit de faire des foires
de Champagne quelque chose de plus important que les petits événements
qu’elles avaient été jusque-là. Il n’est pas exagéré de dire que les décisions qui
furent prises par Thibaud eurent un effet considérable sur le développement
ultérieur de l’Europe occidentale6.
Très vite, il y eut au moins neuf foires par an en Champagne. Les principales
se tenaient à Lagny en janvier et février, Bar-sur-Aube en mars et avril, Troyes
en juillet et août, Provins en septembre et octobre, Troyes de nouveau en
novembre et décembre. Il y avait encore quatre autres petites foires et finalement
il n’y eut presque plus un seul jour en Champagne où il ne se tenait une foire.
Incidemment c’est à l’occasion de ces grandes foires que fut introduite la
« livre », unité considérée de nos jours comme si typiquement britannique
(pound) et concurrent malheureux des unités du système métrique7. On l’appela
d’abord « livre avoirdupois », et elle fut divisée en 16 onces (comme de nos
jours). C’était en fait une très ancienne unité de mesure qui ne peut être venue
que des Familles de l’Étoile – et surtout des anciens documents alors récemment
sauvés des ruines du Temple de Jérusalem.
C’est le grand homme d’État américain Thomas Jefferson qui le premier
observa une chose curieuse à propos du système « avoirdupois ». Le 4 juillet
1790, dans un rapport sur les poids et mesures écrit pour la Chambre des
Représentants de Philadelphie (la première capitale des États-Unis), il releva
plusieurs bizarreries et notamment :
« Il existe une remarquable correspondance entre les poids et les
mesures. Car 1000 onces avoirdupois d’eau pure remplissent
exactement un pied cube.8 »

Une telle correspondance entre l’once et la mesure moderne qu’est le pied


suggère un lien – sauf à concevoir une commune origine. La pinte « impériale »
est certainement liée au système avoirdupois puisqu’elle contient précisément 20
onces9.
Le comte Thibaud prit une avance certaine pour s’assurer que les marchands
trouveraient des avantages à venir d’aussi loin que possible pour bénéficier des
foires de Champagne. D’abord il fit en sorte qu’il y ait un nombre suffisant de
places pour les visiteurs et des hangars sûrs pour leurs marchandises. Ses
hommes assurèrent la sécurité des abords de la foire et il protégera la
communauté juive de Troyes, dont les membres effectuaient les opérations de
change, et il organisa le crédit et les prêts avant que les Templiers n’établissent
leur propre réseau.
La première croisade qui, on s’en souvient, avait été organisée par les
Familles de l’Étoile, avait ouvert la route du Proche-Orient permettant l’arrivée
de biens de luxe depuis l’Orient encore plus lointain. Les grands marchés du
Levant proposaient des marchandises venues même de Chine. Le commerce de
produits exotiques trouvait à présent un débouché en Champagne, soit par l’Italie
et les Alpes, soit par les ports du sud de la France et via l’Espagne. Les épices, la
soie, les parfums et quantité d’autres choses parvinrent aux foires par le sud,
tandis que les fourrures venaient de Russie et d’Allemagne et les vins fins de
toutes les régions situées autour de la Champagne.
Et surtout, le point clé pour les foires de Champagne était le lainage apporté
des Flandres pour être vendu en Champagne en échange des biens provenant du
Midi ou l’Orient. C’est principalement de ce commerce de laine que dépendaient
les foires de Champagne et il n’est pas abusif de dire que la laine était le moteur
de commerce international qui faisait vivre les foires.
Figure 6. Carte de France, montrant Paris et les principales villes de
Champagne et du nord de la Bourgogne.

Les moutons dans l’économie des Cisterciens


Ce n’était pas du tout un hasard s’il y avait soudainement autant de laine vierge
disponible. Les Cisterciens avaient établi d’importants élevages de moutons en
Flandres et encore davantage en Angleterre. Ils avaient gagné sur la mer des
milliers d’hectares de terre en Flandres pour y faire paître les animaux et avaient
ouvert d’énormes pâturages sur des terres précédemment désolées.
Les Cisterciens élevaient des moutons partout où ils s’installaient. C’était un
coup de génie car les moutons sont de loin les animaux les moins exigeants et les
plus productifs10. Ils se contentent de terres pauvres et peuvent supporter
d’importants écarts de température. On peut dire que l’élevage des moutons
s’accordait parfaitement au mode de vie des Cisterciens et l’on pourrait même
suggérer que leur type de vie monacal était fait exactement pour s’occuper des
moutons.
Grâce aux moutons, les abbayes fondées en Grande-Bretagne et notamment
dans le nord de l’Angleterre, se développèrent rapidement pour passer du stade
de petites structures créées par quelques fanatiques religieux à des unités
économiquement viables partout en Europe. Des abbayes comme Rievaulx,
Firkstall et Foutains dans le Yorkshire abritèrent bientôt des dizaines de milliers
de moutons. Il ne fut pas difficile d’obtenir des legs de terres pour nourrir tous
ces animaux car les Cisterciens représentaient un modèle du zèle monastique.
Pour tout propriétaire terrien, donner aux Cisterciens était un passeport gratuit
pour le Paradis, surtout si l’on considère que ces terres n’étaient bonnes à
pratiquement rien d’autre. Les Cisterciens prenaient un « désert » et ils en
faisaient une terre verdoyante et agréable qui préfigurait bien cette Nouvelle
Jérusalem que la Grande-Bretagne était supposée devenir.
Ce qui semble vraiment curieux dans cette obsession des Cisterciens pour les
moutons, c’est qu’à l’origine de l’Ordre et pendant des décennies, les Cisterciens
étaient absolument végétariens. Seuls les vieillards et les malades étaient
autorisés à consommer de la viande, principalement du bœuf. Il est certain que
quelques moutons étaient sacrifiés pour que leur peau puisse servir à faire le
parchemin pour le scriptorium des abbayes – mais cela ne représentait qu’une
faible proportion en comparaison de la taille des cheptels.
Les Cisterciens élevaient aussi des moutons pour d’autres raisons. Par
exemple, une fois que le terrain avait été enclos pour constituer de vastes prés à
l’usage des moutons, les animaux pouvaient brouter la broussaille tout en
laissant leur fumier sur le sol, le rendant apte à fournir des récoltes. Enfin, et
c’était une dernière intention tout à fait compréhensible, on pouvait faire de
grands profits en vendant la laine. À part le faible coût de la garde des moutons
et de leur tonte quand c’était nécessaire, la laine ne coûtait presque rien. Tout
cela n’était pas un hasard par rapport à tous les événements qui se déroulaient
ailleurs.
De toute évidence, il avait été établi un « grand plan » car tous les mécanismes
nécessaires au développement du commerce de la laine par les Cisterciens
étaient en place avant même que ces derniers n’aient établi leur empire sur
l’économie du mouton. Le travail de leurs frères vêtus de blanc, les Templiers,
avait permis la sécurité des transports et garanti les paiements internationaux.
Et de même que la Grande-Bretagne était un des éléments principaux de ce
plan, les Flandres en étaient un autre.

L’influence flamande
Au XIIe siècle, les Flandres occupaient l’actuel territoire de la Belgique avec une
partie des Pays-Bas et du nord de la France. Comme la Champagne, c’était un
comté (régi par un comte) qui faisait théoriquement hommage au roi de France
mais assumait volontiers une fière indépendance. En 1125, quand Thibaud II
devient comte de champagne, les Flandres étaient gouvernées par le comte
Charles 1er. Quoique bienveillant de nature et très estimé, il ne semble pas avoir
été l’homme de la situation, du moins aux yeux des Familles de l’Étoile. Il
mourut dans des circonstances suspectes en 1127 et après une brève lutte pour le
pouvoir, le comté revint à Thierry, le plus jeune fils de Thierry II de Lorraine, un
homme avec qui les Familles de l’Étoile pouvaient travailler.
Le comte Thierry s’était croisé et fut très proche des Templiers à la fin de sa
vie. Pendant les 40 ans de son règne (1128-1168), le pouvoir économique de la
région s’accrut significativement. La première femme de Thierry, Marguerite de
Clermont, mourut en 1113 et, pendant la croisade, en 1139, il se maria à Sibylle
d’Anjou, fille de celui qui était alors roi de Jérusalem, Foulques d’Anjou, un
autre membre des Familles de l’Étoile. Thierry était aussi un ardent protecteur
des Cisterciens et plusieurs abbayes furent construites sur ses terres pendant son
règne.
Alors que Thibaud organisait activement les foires de Champagne, Thierry fit
en sorte d’asseoir son contrôle sur les Flandres et ouvrit une période de paix qui
permit à l’industrie de la laine, déjà significative dans des villes comme Gand ou
Bruges, de se développer et de prospérer. Cela se produisit alors que les
Cisterciens, notamment en Grande-Bretagne, faisaient de l’élevage des moutons
un secteur majeur de l’économie nationale. Quand les métiers à tisser devinrent
plus nombreux et plus efficaces en Flandres, la production locale de laine vierge
devient insuffisante pour les filandières et les tisseurs flamands. La laine
anglaise des Cisterciens fut la bienvenue et les moines en exportèrent bientôt des
centaines puis des milliers de tonnes chaque année vers les Flandres. Les
exploitants de terres en Grande-Bretagne suivirent rapidement le mouvement des
Cisterciens et en une vingtaine d’années la Grande-Bretagne devint le lieu
naturel de production d’une bonne et solide laine vierge.
Des ballots de laine furent emportés par bateau vers les Flandres où la laine
était cardée, filée et tissée pour en faire des vêtements à travers tout le comté.
Les lainages finis étaient expédiés par cargaisons vers la Champagne pour y être
négociés avec d’autres produits venus du sud ou de l’orient.
Les vêtements de laine furent d’abord teints et terminés en Flandres, mais une
demande de confection plus riche et de couleurs plus éclatantes se fit sentir et
l’Italie du nord, spécialement Florence, s’en chargea.
Finalement il put se faire qu’un marchand venu d’Angleterre voyage vers la
foire de Troyes en Champagne pour y négocier la vente de laine avec un autre
marchand en route vers les Flandres. Le marchand anglais pouvait aussi acheter
des vêtements de laine de luxe provenant de Florence, lesquels pouvaient très
bien avoir été faits avec la laine qu’il avait vendue un an plus tôt ou davantage.
Les Cisterciens et les Templiers contrôlaient ensemble le commerce. Leurs
lointains ancêtres, les Esséniens, auraient tordu le nez à l’idée de faire du
« commerce », mais pas les Familles de l’Étoile.
Leurs ancêtres avaient été les Juifs ayant survécu dans l’environnement hostile
de l’Europe uniquement parce qu’ils avaient acquis des compétences financières
et le sens des affaires au point de devenir des acteurs importants de l’économie
chrétienne.
Peu d’aspects de la vie quotidienne pouvaient échapper au changements
majeurs que les Familles de l’Étoile suscitaient alors et nombre de ces
changements ont laissé des traces jusqu’à nos jours. Un bon exemple est l’usage
du symbole connu sous le nom d’Agnus Dei. Cela veut dire « Agneau de Dieu »
et on le dépeint habituellement comme il suit.
À l’époque juive antique, l’Agneau de Dieu était l’agneau que l’on sacrifiait la
veille de la Pâque (Pessah). Cette fête commémorait la sortie vers l’Exode
depuis l’Égypte et la naissance de la nation juive, et dans la tradition chrétienne
elle fut adoptée sous le nom de Pâques – la « naissance » de la religion
chrétienne surgie de la résurrection présumée de Jésus-Christ. Dans la liturgie
chrétienne, Jésus est supposé être « l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du
monde. »
Ce sont les Templiers qui, vers le XIIe siècle, placèrent la croix rouge de leur
Ordre sur l’Agnus Dei. On le voit souvent dans les églises, sculpté dans la pierre
ou le bois, ou figuré sur des vitraux.
Saint-Jean-Baptiste, dont l’emblème avait été l’agneau, devint le saint patron
des fileurs de laine et prit la place d’honneur dans leurs guildes. Une
conséquence intéressante concerne la ville de Halifax dans le Yorkshire, en
Angleterre. Halifax se trouve au cœur du pays où les Cisterciens élevaient leurs
moutons et, bien que ce fût initialement un petit village, cela devint l’une des
plus importantes zones de production de laine en Angleterre. Les armes de la
ville sont révélatrices. (Figure 8).
L’église de Halifax fut dédiée à Jean-Baptiste au début des années 1100 et la
guilde des fileurs de laine fut fortement impliquée dans son établissement dès le
début. Lorsque les armes de la ville furent créées, les bons bourgeois de Halifax
firent une image qui pourrait bien être le plus beau symbole des Familles de
l’Étoile, de leurs croyances et de leurs actions.
Les armes de Halifax contiennent la tête de Jean-Baptiste et l’Agnus Dei, avec
le bâton du Baptiste et l’étendard des Templiers. On y trouve aussi les roses du
Yorkshire (les roses sont l’un des symboles de la Déesse et de Vénus) et un fond
échiqueté au centre qui présente un aspect franchement maçonnique.

Figure 7. Image de l’Agnus Dei (Agneau de Dieu).

Figure 8. Les armes municipales de Halifax,


dans le Yorkshire, en Angleterre, peintes sur les
portes de Piece Hall.

Le plus significatif de tout est peut-être la devise : Nisi Dominus custodierit


civitatem (« Si ce n’est le Seigneur qui bâtit la maison »). Cette devise provient
du commencement du Psaume 127 qui se continue ainsi : « Si ce n’est le
Seigneur qui bâtit la maison, ceux qui la bâtissent travaillent inutilement, si ce
n’est le Seigneur qui garde la ville, celui qui la garde veille inutilement. » Ce
psaume est l’un de ceux (120-134) qui portent le sous-titre de « Chant des
montées » (ou « Chants des degrés – qui veut aussi dire « marches » – dans la
Bible du Roi Jacques VI) et certains spécialistes ont suggéré qu’il pouvait avoir
été chanté durant les processions rituelles vers le Temple de Jérusalem. Mais les
Chants des montées avaient aussi une signification spéciale pour les Esséniens –
qui l’avaient inclus dans leur Rouleau des Psaumes, une sélection de 40 psaumes
trouvée parmi les manuscrits de la mer Morte. Et on ne sera pas surpris
d’apprendre que les Chants des montées furent et demeurent au centre de la
liturgie des Cisterciens. En ce sens, les mots « maison » et « ville » du Psaume
127 ne sont pas seulement des termes généraux mais ils réfèrent au Temple et à
Jérusalem – ou, dans le cas des Esséniens et des Cisterciens, de la Nouvelle
Jérusalem qu’ils s’efforçaient de faire naître.
Selon de vieilles traditions locales, on avait apporté à Halifax la tête de Jean-
Baptiste et elle avait été enterrée dans l’église qui porte son nom, ou tout près de
là. Bien que cette histoire n’ait sans doute aucun fondement réel, l’association du
symbolisme des Familles de l’Étoile et d’une ancienne liturgie et leur
incorporation dans les armes et la mythologie de la ville démontrent l’importante
influence des Cisterciens et des Templiers sur cette communauté lainière du XIIe
siècle.
Les « temps modernes » ont commencé bien plus tôt que les historiens ne
l’ont jamais soupçonné. Le mot « moderne » lui-même vient des édifices
inspirés par les Templiers ainsi que des développements financiers et
commerciaux suscités par les deux Ordres jumeaux de manteaux blancs, ces
nouveaux Esséniens qui jetèrent les fondations de la Révolution industrielle qui
devait se produire en Grande-Bretagne 700 ans plus tard.
Au XVIIIe siècle, les régions de production de laine évoluèrent de l’industrie
villageoise à la manufacture avec le développement des engins à vapeur. Dans le
Yorkshire et le Lancashire, il y eut de nouvelles manufactures pour traiter la
laine en masse, et un nouveau produit, le coton, vint d’Amérique. De nouveaux
canaux et des voies ferrées facilitèrent le transport des matériaux permettant
l’établissement de fonderies et la mise en place de lourds engins, rapidement
diffusés en Europe et en Amérique.
Les Templiers avaient en effet durablement changé le monde. Mais vers la fin
du XIIIe siècle ils étaient devenus trop riches et trop puissants. Leur fin était
proche.
CHAPITRE VII

UN ACTE MAUDIT

Le 29 novembre 1268 naquit à Fontainebleau, en France, un enfant destiné


devenir l’un des plus grands ennemis des Familles de l’Étoile. Le prince Philippe
était le fils aîné du roi de France Philippe III et de sa femme Isabelle d’Aragon.
L’enfance du prince fut loin d’être facile et il y eut des moments où les luttes des
factions rivales pour le contrôle de la couronne menacèrent sa survie. Peut-être
pour cela, Philippe devint soupçonneux, sombre, sinistre – et complètement
impitoyable.
Vers la fin du 13e siècle, le comté de Champagne était devenu une épine dans
le flanc du royaume de France, ayant conservé un statut de quasi-indépendance
et prospérant beaucoup grâce aux foires de Champagne. Ses seigneurs
éclipsaient leur suzerain nominal, le roi de France, à la fois en termes de
puissance économique et d’influence. Les événements survenus lors du règne de
Louis VII, qui avait brièvement envahi la Champagne, avaient montré qu’une
attaque directe de la région n’était pas réalisable. La Champagne demeurait en
haute estime auprès des papes successifs, de sorte qu’un rappel à l’ordre n’était
possible que par la ruse et la diplomatie.
Une occasion idéale survint en 1248 sous la forme d’une jeune fille de 13 ans.

Jeanne de Navarre
Depuis 1135, les comtes de Champagne étaient aussi rois de Navarre, un petit
royaume pyrénéen entre l’Espagne et la France. Le premier à avoir assumé ces
deux charges, le roi Thibaud Ier (Thibaud II de Champagne) avait été un croisé,
avait soutenu les Templiers, et il avait tenu une cour semblable à celle de la
Champagne prospère. Son fils, le roi Thibaud II (Thibaud III de Champagne)
suivit l’exemple de son père et se montra un juste et digne souverain. Il entreprit
de défaire l’état féodal de la Navarre et recourut pour cela aux impôts sur ses
simples sujets, plutôt que sur les possessions féodales de ses barons. Lourdement
taxée, la population accepta cependant car le roi Thibaud II leur offrait des
droits, du prestige et la plus grande audience politique qui ait jamais été en
Europe.
Toutes ces stratégies furent rendues possibles parce que la Navarre, à la
différence de la Champagne, était un royaume et ne rendait par conséquent à
hommage à aucun autre État. L’impulsion économique et politique donnée en
Navarre pendant le règne des deux Thibaud avait ses racines en Champagne,
dans les Familles de l’Étoile. À cette époque, la Navarre représentait exactement
ce que les Familles de l’Étoile recherchaient – un état sûr, en sécurité où le
peuple contribuait en partie à la gestion de ses propres affaires. Si l’on compare
avec les structures nationales du monde contemporain, le Navarre du XIIIe siècle
n’était pas un modèle de démocratie mais était très en avance sur tout ce qui
existait autour d’elle pendant la même période.
Le roi Thibaud II fut tué à Tunis pendant le 8e Croisade et, comme il n’avait
pas d’enfant, le contrôle de la Champagne et de la Navarre passèrent à son jeune
frère qui devient le roi Henri Ier de Navarre et le comte Henri III de Champagne.
Le nouveau roi fut connu sous le nom de Henri le Gros par les Français et de
Enrique el Gordo par les Espagnols – car il était très, très imposant. Ce
monarque surdimensionné vécu un règne d’à peine trois ans avant de mourir
d’asphyxie en juillet 1274. Le seul enfant survivant d’Henri était une fille :
Jeanne Ire, reine de Navarre et comtesse de Champagne.
Jeanne était alors âgée de trois ans de sorte que la responsabilité du
gouvernement de Navarre et de ses possessions fut exercée par sa mère, Blanche
d’Artois. Dans les semaines qui suivirent la mort d’Henri, les vautours
commencèrent à voler atour du royaume et sa reine-enfant.
Blanche s’efforça de trouver ses soutiens autour d’elle. La solution aurait été
de fiancer Jeanne à un prince anglais mais aucun n’était disponible. En désespoir
de cause, et probablement pour gagner un peu de temps et s’assurer une
protection, Blanche elle-même se maria en 1275 au prince Edmond de
Lancastre, un jeune fils du roi Henri III d’Angleterre. Né en 1245, il avait été
d’abord marié à Aveline de Fortibus mais celle-ci était morte un an plus tard en
1272.
À l’époque où il épousa Blanche, Edmond, connu comme le « Croisé » car il
portait souvent la croix sur son manteau, prit l’initiative inattendue de se
proclamer « comte palatin » de Champagne. Un « comte palatin » était une
feudataire exerçant une autorité quasi-royale sur ses terres. Mais à strictement
parler, Edmond était en train de marcher sur de la glace à propos de la
Champagne. On pourrait dire qu’il y exerçait le pouvoir au nom de sa femme,
mais naturellement la Champagne n’appartenait pas à Blanche. Celle-ci
gouvernait simplement au nom de sa fille.
Malgré le mariage de Blanche avec Edmond de Lancastre, les nuages sombres
continuèrent à s’accumuler et il devient clair que si elle voulait sauver le
royaume de sa fille, son seul recours était celui qu’elle n’aurait pas voulu
solliciter – le roi de France. Finalement elle n’eut plus le choix et elle chercha
refuge à la cour du roi Philippe III, qui ne pouvait pas en être plus heureux.
Jeanne de Navarre fut fiancée au fils du roi, le prince Philippe, et ils se
marièrent le 16 août 1284 – elle avait 16 ans et il en avait 13. Edmond de
Lancastre fut rapidement convaincu de renoncer à ses prétentions sur la
Champagne par Philippe III, lequel dut se séparer de quelques châteaux pour
sceller l’accord. Le roi de France mourut l’année suivante et le jeune Philippe IV
accéda au trône. Son bel aspect lui valut le surnom de Philippe le Bel, mais
l’histoire a bien d’autres choses à dire sur lui. Dès qu’il parvint au trône il se
révéla comme le plus impitoyable des rois ayant régi la France. Son pouvoir sur
la Champagne ne pouvait être complet tant que sa femme restait en vie et il avait
également besoin d’un héritier, à la fois pour la France et pour les vastes
possessions de son épouse.

Le complot de Philippe contre les Templiers


Vers la fin du XIIIe siècle peu de rois en Europe pouvaient dire que leur trône leur
appartenait. Au fil du temps, les Templiers étaient devenus si puissants qu’ils
pouvaient pratiquement dicter toutes leurs volontés. Comme ses prédécesseurs
immédiats et ses contemporains ailleurs qu’en France, Philippe avait hérité d’un
royaume lourdement endetté, en partie auprès des Juifs mais surtout auprès des
Templiers. Non seulement Philippe leur devait de l’argent, mais il se sentait
humilié par eux. Il n’était pas populaire parmi ses sujets et au moins une fois les
Templiers l’avaient sauvé d’une émeute et mis en sécurité dans leur quartier
général du Temple à Paris. Là, il avait sûrement examiné les installations
confortables et ruminé sur la fortune probable des Templiers. On dit aussi que se
requête de devenir membre d’honneur du Temple, un titre conféré à d’autres
monarques comme Richard Ier d’Angleterre, avait été refusée. Philippe était un
dictateur enclin à la rancune et il a pu sans doute nourrir la sienne pour cette
seule raison.
Il ne dut pas être difficile pour Philippe de réaliser que s’il y avait un moyen
d’expulser les Juifs de France et de détruire le pouvoir des Templiers, il ne
devrait subitement plus rien à personne. Les banquiers et les marchands juifs
fortunés étaient un cible plutôt facile. Mais le puissant Ordre des Templiers était
tout autre chose – comment Philippe pouvait-il manœuvrer contre une si forte
organisation multinationale, à la fois politique, militaire et financière, qui ne
répondait devant personne sauf devant le pape ?
Mais il se trouva que les circonstances servirent parfaitement Philippe.
Les choses n’allaient pas bien en Terre Sainte malgré les fréquentes tentatives
pour renforcer les États croisés qui s’y trouvaient. Vers 1290 la seule position
chrétienne qui restait au Levant était Acre. Elle fut attaquée par le sultan Al-
Ashraf Khalil et en mai 1291 elle tomba au prix de lourdes pertes parmi les
Templiers qui y étaient en garnison, parmi lesquels le Grand Maître du Temple,
Beaujeu. En quelques semaines les forteresses templières furent abandonnées et
l’incursion européenne en Terre Sainte, qui avait duré exactement 200 ans, fut
terminée.
Des rumeurs se répandirent en Europe selon lesquelles les Templiers s’étaient
montrés des couards à Acre, ayant conseillé au commandant de la place de
négocier la reddition. Mais les Templiers, qui étaient des stratèges accomplis et
connaissaient très bien leurs adversaires musulmans, avaient pu juger que des
négociations seraient préférables à une bataille car ils savaient que les chances
de la garnison étaient faibles. Il n’y eut certainement pas de couardise ; lorsque
les tentatives de négociation eurent échoué, les Templiers se battirent
courageusement jusqu’à la fin.
Cependant, même si les Templiers avaient pu justifier leurs actions, ils ne
pouvaient rien contre la réputation qu’ils avaient acquise à cette époque.
Beaucoup les considéraient comme des tyrans et leurs charges de collecteurs
d’impôts aussi bien pour le roi que pour les seigneurs laïcs ne leur avaient sans
doute pas mérité la sympathie des gens.
L’impopularité croissante des Templiers après la chute d’Acre fut le premier
coup de chance de Philippe. Et même encore, il n’était pas possible pour
Philippe d’agir contre les Templiers à moins de convaincre le pape de les
abandonner. Les Templiers étaient utiles au pape, pas seulement pour percevoir
les impôts mais aussi comme garantie contre quiconque pourrait menacer le
pontife. Par conséquent, Philippe fut contraint d’agir à l’exemple des Familles de
l’Étoile : s’il ne pouvait influencer le pape actuel, il pouvait en susciter un autre
de son cru.
Philippe fut aidé par un autre coup de chance. En 1294, un pieux et saint
moine fut invité à accepter la charge de pape sous le nom de Célestin V. Lors de
son court règne, il créa douze nouveaux cardinaux dont huit Français. Cet acte
scella ce qui devait se passer treize ans plus tard.
Le pape Célestin V renonça à son office très rapidement et fut remplacé par
Benedetto Gaetano qui prit le nom de Boniface VIII. Il ne fallut pas longtemps
pour que le pape et Philippe IV soient en conflit sur plusieurs sujets. Ce qui
dominait était le fait que selon Philippe, le pape avait trop de pouvoir sur ses
sujets et sur lui-même. Philippe confisqua souvent des biens ecclésiastiques,
nomma ses propres évêques et refusa les nominations de Rome. Les querelles
entre Boniface et Philippe se multiplièrent jusqu’au jour où le pape condamna le
roi, le menaçant d’excommunication, ce qui aurait relevé son peuple du devoir
de loyauté à l’égard de son roi dûment sacré. Philippe répondit en envoyant une
expédition punitive conduite par une brute aristocratique dénommée Guillaume
de Nogaret pour affronter le pape en Italie. Nogaret et ses mercenaires ne tuèrent
pas Boniface mais le malmenèrent et l’humilièrent au point qu’il est concevable
que cela ait pu entraîner sa mort qui survint en octobre 1303.
Le pape qui fut élu ensuite, Nicholas Boccasini, prit le nom de Benoît IX. Au
prétexte de réconcilier la couronne de France et la pape, Philippe IV envoya une
ambassade à Rome. Benoit, considérant que cela valait mieux pour tout le
monde, leva la condamnation contre Philippe et sa cour mais ne pardonna pas
Nogaret et ses hommes. Ils furent excommuniés et cités à comparaître devant le
pape pour leur châtiment. La confrontation n’eut jamais lieu car après seulement
huit mois de fonction Benoît IX mourut soudainement à Pérouse. On soupçonna
à l’époque, et on juge encore probable, que le pape fût empoisonné à
l’instigation de Nogaret.
Le conclave qui se réunit pour décider du successeur de Benoît IX, se trouva
confronté à une rude tâche. Le roi Philippe avait montré qu’il n’était pas prêt à
accepter un pape qui n’aurait pas son approbation personnelle. Philippe avait lui-
même constaté qu’il y avait désormais beaucoup de cardinaux français présents à
Rome et ces derniers poussèrent à l’élection du cardinal Bertrand de Got – qui se
trouvait être un ami de longue date de Philippe IV. Sans doute en désespoir de
cause, les cardinaux italiens finirent par l’admettre.
On a suggéré qu’une entrevue secrète avait eu lieu entre le nouveau pape,
Clément V, et Philippe, peu après l’investiture papale en juin 1305. Elle eut lieu
dans la forêt de Saint-Jean d’Angély, en France. À partir de ce moment, Clément
fut l’homme du roi Philippe et, même s’ils ne le savaient pas encore, le sort des
Templiers était fixé.
Pendant ce temps, la femme de Philippe, Jeanne de Navarre, était morte très
opportunément deux mois plus tôt en couches. Philippe et Jeanne avaient eu
plusieurs enfants, notamment l’héritier du trône, Louis, né en 1289. Par la mort
de sa mère, Louis devint roi de Navarre et, ce qui était plus important dans
l’optique de son père, comte de Champagne. Mais il avait à peine 16 ans lorsque
sa mère mourut et pendant sa minorité ses titres passèrent à son père.
Pour résumer la situation, Philippe IV avait à présent le contrôle de la
Champagne, le lieu crucial où les templiers avaient été créés et où ils trouvaient
encore leurs meilleurs soutiens. À cette époque la Champagne était sans doute
l’endroit où l’essentiel des plans des Familles de l’Étoile étaient établis et où
leurs chefs résidaient. Philippe avait également la papauté de son côté – et pour
le prouver il obtint du pape Clément qu’il ne réside plus à Rome mais en
Avignon, un territoire papal du sud de la France.

La chute des Templiers


Nul ne pouvant plus désormais l’empêcher de faire ce qu’il vouait, dans les mois
qui suivirent Philippe fit arrêter et déporter tous les Juifs de France – en
réservant leurs biens. D’un seul coup, il avait rayé une grande partie de sa dette
et accru considérablement le contenu de ses coffres. Mais il n’avait pas
l’intention d’utiliser le produit de ses spoliations pour payer ses dettes aux
Templiers.
À cette époque, les Templiers étaient toujours aussi peu populaires et
beaucoup de gens mettaient en cause cette énorme force monastique et
combattante, vouée à la défense des Lieux saints que l’Occident chrétien avait
alors perdus. Philippe et ses royaux confrères pouvaient aussi s’interroger sur ce
que les Templiers projetaient : et s’ils décidaient de créer un État pour eux, de
retour en Europe ? Où se situerait-il et sur quelles terres ? L’endroit le plus
probable aurait été en France dont les fondateurs de l’Ordre, et sans doute la
plupart de ses membres, étaient originaires et où les Templiers possédaient de
vastes terres et de nombreux biens. Enfin, Philippe avait une lourde dette envers
eux. Détruire les Templiers permettrait d’annuler ces dettes et de saisir la fortune
de l’Ordre pour la couronne de France. Rien n’obstruait plus désormais la route
de Philippe et sa conviction était faite.
Les Templiers devaient disparaître.
Mais Philippe devait d’abord séduire les chefs des Templiers en France.
Lorsqu’il devint Grand Maître, Jacques de Molay fut appelé en France en 1307,
non par Philippe IV, comme on le dit classiquement, mais par le pape. Ils
devaient parler d’une éventuelle fusion entre les Templiers et un autre Ordre
célèbre, celui des Chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem (généralement connu
sous le nom d’Hospitaliersa). La rencontre eut lieu à Poitiers mais on en ignore
les résultats. En tout cas, l’idée papale d’une fusion devient rapidement hors de
propos.
Philippe gardait un œil attentif sur ces événements, préparant son prochain
mouvement. A peu près en même temps, de terribles accusations firent leur
apparition en France ; elles concernaient la prétendue hétérodoxie des Templiers
et des croyances ou des pratiques hérétiques. De Molay s’appliqua à faire taire
ces bruits et le pape accepta de réunir une commission d’enquête le 24 août
1307. Alors que tout se mettait en place, De Molay étant à Paris, Philippe IV
saisit sa chance. Peu après l’aurore, le vendredi 13 octobre 1307, De Molay et
les principaux responsables de l’Ordre furent arrêtés sur un ordre secret du roi.
Les soldats de Philippe sillonnèrent le royaume pour prendre possession de tous
les biens des Templiers et emprisonner les membres de l’Ordre en tout lieu.
Il paraît cependant peu probable que Jacques de Molay ait été pris par
surprise. Les Templiers avaient des hommes à eux un peu partout, sans doute
aussi à la cour du roi. Pour ce qui les concernait, les choses étaient prêtes depuis
longtemps, et il serait étonnant qu’ils n’aient pas pris quelques mesures pour se
protéger et protéger leurs possessions, bien avant octobre 1307. Alain Butler et
un historien du Temple, Stephen Dafoe, ont suggéré que, à l’insu du roi Philippe,
une certaine proportion des biens saisissables du Temple avait été discrètement
évacuée vers les bases que les Templiers détenaient encore dans les Alpes, bien à
l’écart de l’influence du roi de France.1
La tradition rapporte aussi, sans doute sur des bases sérieuses, que la flotte
entière du Temple, mouillant dans le port français de La Rochelle, leva l’ancre et
prit la mer pour une destination inconnue dans la nuit qui précéda les
arrestations.
Jacques de Molay et d’autres dignitaires de l’Ordre, ainsi que des centaines de
Templiers et de personnels furent torturés pour obtenir des « confessions »
concernant les « pratiques hérétiques » du Temple. Celui qui conduisait l’assaut
à Paris n’était autre que Nogaret, l’homme de main de Philippe. Sous la torture
le Grand Maître lui-même admit toute une série de crimes (mais il se rétracta
ensuite, publiquement et d’une façon dramatique).
Les « Crimes » du Temple
La liste des accusations finalement portées contre les Templiers en France est la
suivante :

1. Le reniement du Christ et la profanation de la croix


2. Le culte d’une idole
3. La pratique d’un sacrement perverti
4. Le meurtre rituel
5. Le port d’une cordelette de signification hérétique
6. La pratique de baisers rituels
7. La modification du cérémonial de la messe et l’usage d’une forme non
orthodoxe de l’absolution
8. Des actes homosexuels
9. La trahison d’autres groupes appartenant aux forces chrétiennes

Le roi Philippe engagea fortement ses confrères monarques dans différentes


contrées de l’Europe à le suivre dans ses actions contre les Templiers. Mais peu
d’entre eux s’empressèrent d’agir et il fallut de lourdes pressions du pape pour
qu’ils s’y résolvent. Pour être juste envers le pape, il condamna tout d’abord les
attaques de Philippe contre les Templiers en 1307, mais fut prétendument
convaincu par les preuves qu’on lui présenta. Alors que les partisans
contemporains des Templiers essaient de démontrer que toutes les accusations
portées contre les Templiers étaient fausses, nous pensons qu’ils étaient bien
coupables de certaines des charges soulevées contre eux. S’il est certains que les
plus humbles dans l’Ordre, les servants et les sergents d’armes, se considéraient
comme de très bons catholiques, on doit se souvenir que les Templiers avaient
été créées par les Familles de l’Étoile dont certaines croyances de base étaient
certainement hérétiques aux yeux de l’Église catholique du XIVe siècle – la
moindre n’étant pas la vénération de Jean-Baptiste au-dessus de celle de Jésus. Il
est par conséquent probable que les chevaliers, les officiers et les chefs du
Temple adhéraient à la foi des Ébionites et que leurs pratiques religieuses, dans
la discrétion des lieux templiers, en étaient le reflet.
Cela est soutenu par certaines preuves qui auraient été obtenues par les
inquisiteurs sous la torture. Par exemple, les Templiers auraient adoré une
mystérieuse tète barbue appelée le « Baphomet ». On a dit que ce mot était une
corruption de « Mahomet », une forme de Mohammed, et que les accusateurs
des Templiers les soupçonnaient donc de sympathie avérée pour l’Islam.
Cependant, quand un vieux code juif, le Code Atbash, lui est appliqué, le nom
Baphomet devient Sophia, qui signifie « sagesse », un concept important dans
les croyances des Familles de l’Étoile (voir pages 82-83). On a aussi suggéré que
la tête barbue représentait Jean-Baptiste et cela aurait sans doute un sens. Les
Familles de l’Étoile considéraient que Jean avait un statut égal à celui de Jésus,
et peut-être même plus important car il était venu avant Jésus dans la lignée des
prophètes davidiques à partir desquels leurs croyances s’étaient formées.
Bien plus tard, en fait au cours du XIXe siècle, l’Église catholique a attaqué la
franc-maçonnerie comme étant précisément la contre-partie du « Templarisme ».
Saint Jean était aussi important pour les francs-maçons et, dans une allocution, le
pape Pie IX (1846-1878) a lié les maçons et les Templiers aux « Johannites », les
anciens disciples du Baptiste. Le pape affirmait :

« Les Johannites attribuent à Saint-Jean-Baptise la création de leur


Église secrète, et les Grands Pontifes de la secte prennent le nom de
Chrestos2, Oint ou Consacré, et affirment s’être succédé l’un à
l’autre depuis Saint Jean par une ligne ininterrompue de pouvoirs
pontificaux. Celui qui, à l’époque de la fondation de l’Ordre du
Temple, affirma ces prétentions imaginaires était Théoclet ; il
connaissait Hugues de Payens, il l’introduisit aux mystères et aux
espoirs de sa prétendue Église, il le séduisit par les notions de
Prêtrise souveraine et de Suprême royauté, et finalement le désigna
comme son successeur. »

Cela pourrait bien être la preuve que l’Église catholique avaient parfaitement
réalisé ce qu’étaient les croyances des Templiers et que les Templiers avaient
adopté une vision johannite dans leurs doctrines et leurs pratiques.
Les affirmations selon lesquelles les Templiers auraient craché sur la croix ou
l’auraient piétinée sont sans doute exagérées, mais il existe un témoignage très
parlant. Un jeune Templier français, au cours d’un interrogatoire, rapporta qu’il
avait été instruit par un frère plus ancien. Ce Templier aguerri avait tenu un
crucifix dressé devant lui en lui disant : « n’ayez pas trop foi en cela – c’est trop
récent ! ». Dans le discours des Familles de l’Étoile cela possède aussi un sens.
Les Familles de l’Étoile ne niaient pas l’importance ni la signification de Jésus,
mais elles rejetaient l’idée de l’Église selon laquelle Jésus était « le » Christ, le
seul Messie. Elles repoussaient aussi l’idée de sa naissance virginale et de sa
résurrection – il est probable que les mots du vieux Templier faisaient allusion à
ces doctrines relativement « récentes » de l’Église officielle. En ce qui concerne
les Familles de l’Étoile, leur lignée remontait à des milliers d’années avant Jésus
autant que Jean le Baptiste, lesquels n’avaient été que les « serviteurs » d’une
cause, et non la cause elle-même.
De même, pour les accusations d’avoir perverti un sacrement et modifié la
cérémonie de la messe, les Templiers pourraient bien avoir été coupables selon la
doctrine établie de l’Église catholique. Nous n’avons aucun moyen de connaître
les cérémonies pratiques derrières les portes closes des églises et des prieurés
templiers, mais nous savons bien que toute forme de sacrement ou de messe qui
n’était pas en accord absolu avec les pratiques romaines aurait été considérée
comme hérétique.
Les Templiers furent finalement dissous par le pape en 1312. Il y eut quelques
discussions à propos de ce que deviendraient les biens des Templiers et il fut
décidé que puisqu’il était impossible de renvoyer les dons accordés à l’Ordre au
cours des deux derniers siècles, toutes les propriétés templières passeraient aux
Chevaliers de Saint-Jean qui étaient au-dessus de tout soupçon. Philippe IV
confisqua simplement l’essentiel de ce que les Templiers avaient en France – de
façon, selon lui, à le défrayer des coûts de leur détention et de leur procès.
Philippe avait personnellement triomphé, mais la condamnation de l’Ordre ne
fut pas universelle. L’Angleterre traîna les pieds avant d’enquêter sur les
Templiers et finalement on ne trouva que quelques membres coupables d’avoir
cru que leur Grand Maître pouvait leur donner l’absolution pour leurs péchés.
Ailleurs, comme en Espagne, au Portugal, en Allemagne, à Chypre et dans une
grande partie de l’Italie les Templiers furent déclarés innocents. Les Templiers
portugais se reconstituèrent simplement en « Chevaliers du Christ » et
continuèrent pour l’essentiel comme avant. En fait, le pape, tout en répondant
aux pressions exercées sur lui pour dissoudre les Templiers, refusa de dire que
l’Ordre tout entier était coupable d’hérésie. Il pensait qu’il n’y avait pas assez de
preuves pour montrer que les croyances de l’Ordre – contrairement à ce dont
beaucoup de ses membres avaient été accusés – étaient vraiment hérétiques. Il
fut soutenu dans cette opinion par le refus des autres pays – en dehors de la
France – de condamner les Templiers dans leur ensemble, sans doute parce qu’ils
avaient été plus sérieux dans leurs investigations que la France.

Les Templiers en Écosse


L’Écosse occupait une place particulière pendant la persécution des Templiers
car son roi, Robert Bruce, et en fait toute la nation, se trouvaient lors en dehors
de l’influence de Rome. Pour conquérir le trône de Rome, Robert Bruce avait tué
son rival, John Comyn en 1306, en sorte que la pape avait excommunié à la fois
Robert et son royaume.
Les Templiers ne furent pas jugés en Écosse, bien que le roi Robert ayant de
nouveau été admis dans l’Église, ait dû faire semblant de s’intéresser aux
souhaits du pape. Cependant, à cette époque, quelques années s’étaient écoulées
et les Templiers avaient pu jouer aisément prendre une nouvelle place dans la
société. Il est improbable, comme certains auteurs le suggèrent, que toute la
flotte du Temple ayant quitté La Rochelle ait pu gagner l’Écosse. Il n’y a aucun
récit à ce sujet. En tout cas, les Anglais surveillaient les voies maritimes et
n’auraient sûrement pas manqué une flotte templière entière faisant route vers le
nord.
Néanmoins on continue à dire que les Templiers se seraient battus aux côtés
des Ecossais contre les Anglais à la bataille de Bannockburn en 1314. Bien qu’il
n’y ait pas de preuve définitive de cette thèse, cela ne peut être complètement
exclu. Les Templiers écossais ont pu se dire qu’ils n’avaient rien à perdre en
soutenant le roi d’Écosse surtout parce que, à cette époque, les Anglais avaient
suivi les consignes de Rome et arrêtant les Templiers et en saisissant leurs biens.
Cela pourrait voir conduire les Templiers à voir les Anglais comme des ennemis.
Pour éviter le même sort que celui des Templiers plus au sud du pays, c’était
certainement leur intérêt d’empêcher la progression des Anglais vers le pouvoir
en Écosse.
Une autre raison aurait pu être de rendre hommage à leur Grand Maître car la
victoire de Bannockburn se produisit deux mois seulement après la mort de
Jacques de Molay sur le bûcher à Paris. Le Grand Maître et l’un de ses grands
officiers, appelés à confesser publiquement leurs fautes, avaient dramatiquement
rétracté leurs « aveux » précédents. Le roi Philippe IV fut si mécontent qu’il fut
brûler les deux hommes le jour même (il est intéressant de noter que de Molay
nia toutes les accusations portées contre les Templiers mais ne fit pas mention de
la charge principale, celle d’avoir nié la divinité de Jésus-Christ).

Les suites de l’histoire : la Suisse


De retour en France, le roi Philippe IV avait fait en sorte de détruire, en peu
d’années, tout ce que les Familles de l’Étoile avaient fait avec soin depuis des
siècles. Sa mauvaise gestion en Flandres avait conduit à la destruction de
l’infrastructure industrielle, ce qui voulait dire que presque plus aucune laine ne
parvenait dans les foires de Champagne. Ce n’était pas vraiment un problème car
les foires commençaient à décliner, notamment à cause de Philippe et de sa
politique. Sans les Juifs ni les Templiers, les sources de crédit s’effondrèrent et si
l’on ajoute la pénurie de laine en provenance du nord, les foires attirèrent de
moins en moins de marchands.
Assez curieusement, dans l’année qui suivit l’exécution de Jacques de Molay
à Paris et l’acceptation possible par les Ecossais du soutien des Templiers contre
les Anglais, un événement marquant se produisit à l’est des domaines du roi de
France. Quelques années plus tôt, trois petits États alpins, Uri, Schwyz et
Unterwalden, s’étaient réunis pour déclarer leur indépendance à l’égard de la
Maison impériale des Habsbourg. Ces territoires bordaient le col du Saint-
Gothard, un passage économiquement important à travers les Alpes et une région
à laquelle les Habsbourg tenaient beaucoup. Afin d’abattre les trois États, le duc
Léopold Ier d’Autriche, frère du duc Louis IV de Bavière, se mit en route en
septembre 1315 avec une armée d’environ 5 000 hommes afin de faire échouer
toute tentative d’indépendance. Ses forces et celles de la confédération des trois
États s’affrontèrent à la bataille de Morgarten qui eut lieu le 15 novembre 1315.
Léopold fit avancer ses troupes vers un endroit où il pensait pouvoir
surprendre les forces d’Uri, Schwyz et Unterwalden envisageant de les atteindre
par le lac Aegeri et le col de Morgarten. Les confédérés envisageaient une
attaque venant de l’est et avaient édifié de solides remparts. Cependant,
quelques-uns, habituellement désignés sous le nom de « Chevaliers de
Huenenburg » avertirent les paysans « d’observer le jour de la Saint-Otmar » à
Morgarten. Les confédérés attendaient et ils étaient donc prêts. Ils prirent en
embuscade les forces des Habsbourg dans les montagnes, causant leur déroute et
obtenant une grande victoire qui toucha au cœur les Habsbourg. Comme à
Bannockburn, il y a des légendes persistantes selon lesquelles les manteaux
blancs assistèrent à la victoire.
Les trois États originels devinrent chacun l’un des « cantons » de la
république indépendante de Suisse, officiellement appelée Confédération
helvétique, la plus vieille démocratie d’Europe. De même qu’aux États-Unis, les
premiers États furent rejoints par d’autres. La Suisse a toujours été et demeure
l’un des États les plus étranges au monde et l’un des moins bien compris. En fait,
pendant la plus grande partie de son histoire, elle n’a pas vraiment été une nation
mais plutôt une confédération de régions très distinctes coopérant simplement
pour leur défense commune. À l’abri de ses puissants voisins principalement
grâce à sa position alpestre, la Suisse a survécu en dépit de bizarreries presque
insurmontables. Elle possède plusieurs langues et aurait fort bien pu disparaître
dans les cruelles guerres de religion qui suivirent la Réforme en Europe au XVIe
siècle. Malgré une population surtout catholique, la Suisse fut tolérante au point
que les premiers initiateurs du protestantisme purent y séjourner en paix – des
hommes comme Jean Calvin, qui introduisit sa propre version du protestantisme
à Genève.
On sait peu de choses sur les affaires intérieures de l’État suisse cette époque
historique, et ce pays demeure une grande énigme. Bien qu’il ait donné
quelques-uns des combattants les plus brillants et les plus respectés pendant des
siècles (généralement employés comme mercenaires) le pays a
imperturbablement conservé sa neutralité.
La Suisse est surtout connue pour ses activités de banque. Cela remonte loin
en arrière et des banquiers privés existaient déjà en Suisse avant le XVe siècle, à
l’époque où le seigneur florentin Cosme de Médicis établit une banque à Bâle.
Les banquiers « privés » de Suisse étaient des négociants, des grossistes et des
agents d’import-export. Leur véritable spécialité était le crédit mais son
existence est en partie une énigme car il n’apparait nulle part au 14e siècle. Cela
pourrait être la preuve que les Templiers français ayant trouvé refuge dans les
Alpes, ils continuèrent à y faire ce qu’ils faisaient depuis deux siècles. La Suisse
est également célèbre pour sa pratique presque fanatique du secret, ce que l’on
peut comprendre si son origine se trouve dans un ordre religieux hérétique qui
avait été détruit et abandonné par l’Église.
Plus on considère la Suisse, plus les références aux Templiers et finalement
aux Familles de l’Étoile y apparaissent. Tout en maintenant son intraitable
indépendance, la Suisse a beaucoup fait pour promouvoir la paix du monde et
elle devint évidemment le pays de la Croix rouge qui porte encore ce même
symbole utilisé par les Templiers (le drapeau suisse lui-même présente une croix
blanche sur fond rouge, ce qui est une inversion du symbole templier). La Suisse
ne possède pas d’archives particulières concernant le sort fait aux Juifs vivants
sur ses terres, mais curieusement l’expulsion des Juifs n’a commencé que vers le
milieu du XIVe siècle. Jusque-là les cantons suisses comptaient une importante
population juive, vivant en harmonie avec ses voisins. Bâle avait l’une des
communautés les plus grandes en Europe, provenant surtout de France et
d’Allemagne. Berne, Saint Gall, Zürich, Schaffh ausen, Diessenhofen et Lucerne
virent s’établir des communautés juives au XIIIe siècle et la plupart des Juifs de
Suisse se livraient à des activités de banque – exactement comme en
Champagne.
À divers égards, les affaires qui se mirent en place dans les cantons étaient
comparables à celles qui avaient été traitées dans les foires de Champagne.
L’usage du crédit devint habituel entre les marchands qui évitèrent de plus en
plus de transporter leurs avoirs à travers l’Europe, comme ils le faisaient jusque-
là. En tout cas, la Suisse, placée sur d’importantes routes de commerce à travers
les Alpes, et ayant refusé, depuis ses origines, de prendre part aux alliances
internationales qui conduisaient inévitablement à des guerres et des invasions,
elle devint très appréciée des marchands européens pour y déposer leurs réserves
financières. Ils pouvaient être sûrs – autant qu’on pouvait l’être à cette époque –
que leur argent serait en sécurité.
En plus de son centre financier, la Suisse fut l’un des premiers pays en Europe
à mettre en place une importante et prospère industrie textile, ce qui semble
s’être fait vers le début du XIVe siècle. Cette industrie concernait aussi le lin mais
été centrée sur la laine – ce qui avait toujours été, bien entendu, une des
préoccupations majeures des Cisterciens et des Templiers. Comme en Grande-
Bretagne, la réussite commerciale de la Suisse naquit sur le dos des moutons, à
cette différence qu’elle demeura un État préoccupé de ses seuls intérêts, méfiants
à l’égard de ses voisins et refusant, quel qu’en fût le prix, de sacrifier son besoin
de liberté et sa spécificité.
En résumé, la Suisse donne l’impression très nette d’un Etat qui dut en fin de
compte son existence aux Templiers qui s’y étaient réfugiés, comme nous
l’avons vu, sans doute peu avant l’attaque orchestrée par Philippe IV. Depuis que
Alan Butler et Stephen Dafoe ont les premiers suggéré cette idée dans les années
1990, elle a fait son chemin parmi les spécialistes du Temple et semble
aujourd’hui généralement acceptée comme une explication de la disparition de la
majorité des Templiers de France. Il apparaît en effet que moins de 10 % des
Templiers que l’on pense avoir été présents en France au début du XIVe siècle
tombèrent sous les coups de Philippe IV.
En étudiant tous les événements suscités par ceux qui contrôlaient la
Champagne depuis la fin du XIe siècle, il n’est pas difficile d’identifier une
stratégie manifeste qui fut développée pendant plusieurs siècles. La méthode des
Familles de l’Étoile était d’utiliser des moyens « ordinaires » pour obtenir des
résultats « extraordinaires ». Le déclenchement de la 1ère Croisade avec la
conquête de la Terre sainte et des grandes routes de commerce ; la création de
l’Ordre cistercien et de celui des Templiers ; la mise en place d’une industrie
solide en Flandres ; la création des foires de Champagne ; tout cela ne peut pas
être considéré comme une suite d’événements isolés. Le point commun de ces
initiatives, même si elles apparaissent dispersées, était de nature économique.
Non seulement elles bénéficiaient à la Champagne mais elles impliquaient aussi
toute l’Europe et des régions plus lointaines dans une nouvelle sorte de relation,
impliquée par le vaste développement du commerce international.
Les Cisterciens aussi bien que les Templiers étaient théoriquement des
institutions religieuses et cependant chacun d’eux semble avoir eu des buts
davantage politiques et économiques que chrétiens. Considérés dans leur
ensemble, leurs décisions semblent suggérer l’existence d’un centre d’action
avisé et très influent avec des objectifs précis – diminuer le pouvoir du
féodalisme en général et de l’Église catholique en particulier. Nier cela et
maintenir que tous les événements survenus en Champagne en trois siècles
étaient sans lien et de pures coïncidences, serait faire preuve d’aveuglement à
l’égard de preuves tangibles et convaincantes.
La soudaine apparition de la Suisse, exactement au moment où les Templiers
furent mis hors-la-loi et où l’influence des Familles de l’Étoile fut devenue
impossible en Champagne sous la férule française, est un autre indice de
l’existence d’un « plan rationnel ». La Suisse, avec ses importantes routes de
commerce, sa grande proximité avec le nouveau système de banque et les
centres de négoce qui se développaient en Italie du nord, offrait une base sûre
pour les activités des Familles de l’Étoile. À l’abri dans les Alpes, au cœur de ce
qui allait devenir l’État le plus secret que le monde ait connu, les chefs des
Familles de l’Étoile pouvaient attendre leur heure et se mettre en retrait.
La destruction des Templiers put ou non apparaître comme un terrible recul
pour les Familles de l’Étoile. Le génie du commerce s’était manifesté, le roi
Philippe et ses semblables n’auraient rien pu faire pour s’y opposer. Tout ce que
lui-même et son docile pape réussirent fut de couper la tête de l’Hydre. Mais
d’autres poussèrent à sa place. Les routes de commerce désertèrent la
Champagne car les Familles de l’Étoile ne pouvaient plus contrôler ce qui s’y
passait. La Suisse était un meilleur choix avec une sécurité naturelle créée par les
montagnes qui s’y trouvaient. Après tout, quelques centaines de paysans avaient
défait une armée de 5 000 hommes d’armes à Morgarten. Personne n’a perdu de
vue que la Suisse n’a jamais été envahie, même sous le règne de Napoléon
Bonaparte – la vision du désastre suffisait. De plus, la Suisse devint bientôt utile
à ses voisins et finalement à tous les États. En affirmant sa neutralité, elle n’avait
ni alliés, ni ennemis. Pendant les trois siècles que dura l’action des Familles de
l’Étoile, celles-ci avaient appris une règle importante : ce n’est pas celui qui a la
puissance militaire qui obtient de régner sur le monde, mais celui qui tient les
cordons de la bourse.
Lorsque s’acheva le XIVe siècle, l’Europe était au bord d’une révolution qui
avait commencé avec la 1re Croisade et la conquête du Proche-Orient. Le
commerce se poursuivait, des fortunes avaient été gagnées et perdues et des
États nationaux avaient prospéré et disparu. Au nord de l’Italie des expériences
démocratiques avaient eu lieu et elles étaient venues non des rois ou des barons
guerriers mais plutôt des marchands et des banquiers qui les avaient soutenues.
Mais si le nerf de la Nouvelle Jérusalem était en Suisse, le cœur se trouvait bien
plus à l’ouest, là où avaient été mis à l’abri les trésors que les Templiers avaient
trouvés à Jérusalem. Cependant, une autre circonstance permit aux Familles de
l’Étoile de trouver une demeure permanente pour leurs trésors. Elle devait être
créée par la lignée des prêtres qui avaient toujours protégé les intérêts des
Familles de l’Étoile. La Nouvelle Jérusalem de pierre allait être construite par les
Saint Clair, les prêtres de la Sainte Lumière. La nouvelle Shekinah allait être
contemplée par ces prêtres, non sur une simple esplanade à Jérusalem – mais
depuis une vallée de la verdoyante Écosse.

a. Aujourd’hui l’Ordre de Malte [ndt].


CHAPITRE VIII

LE NOUVEAU TEMPLE DE LA
SHEKINAH

La Shekinah était apparue dans le signe du Sagittaire en l’an 8 de notre ère, à


l’époque où les prêtres secrets de Salomon, les chefs des Familles de l’Étoile,
attendaient la venue du Messie pour chasser ce qu’ils considéraient comme les
forces du mal hors de leur pays (voir Chapitre 2). La Shekinah était venue
comme prévu et avait fait se lever des prophètes et des chefs pour l’Église de
Jérusalem (Jean Baptiste, Jésus et Jacques), mais la Nouvelle Jérusalem que l’on
attendait n’était pas arrivée. Au contraire, la nation juive avait subi une calamité
sans précédent du fait des Romains.
Comme nous l’avons vu, cependant, les Familles de l’Étoile survécurent.
Dans les siècles qui suivirent leur forme particulière de judaïsme inspiré par les
Esséniens se développa pour constituer une rival pratiquement invisible mais
pourtant réel, opposé à l’Église catholique et paulinienne de Rome que ces
Familles avaient toujours haïe. Entre la 1re Croisade et l’âge d’or des Cisterciens
et des Templiers, ce fut une époque de grand pouvoir et d’influence pour les
Familles de l’Étoile. Et pourtant tout avait été réduit à néant avec la perte de la
dernière possession en Terre sainte, les actions de Philippe IV et le règne du pape
Clément V. Il n’est donc pas surprenant de voir dans la future Shekinah le signal
de la renaissance de leur fortune. Selon les dernières apparitions de la Shekinah,
celle-ci devait arriver exactement 1440 ans après l’an 8, soit en 1432. Mais ceux
qui l’attendaient furent déçus car cette année-là, elle ne se montra pas.
Les astronomes accomplis des Familles de l’Étoile avaient sans doute su bien
à l’avance que la Shekinah n’apparaîtrait pas. La connaissance de l’astronome
s’était améliorée au XVe siècle et les astronomes arabes, notamment Ibn al-Shatit
(1304-75) avaient développé des techniques mathématiques pour prédire plus
précisément les mouvements des planètes. Il est probable que leurs œuvres
avaient été connues des Familles de l’Étoile via l’Espagne et la cour de Navarre.
La raison de la non-apparition de la Shekinah était simple. Après des
millénaires, le cycle s’était modifié de façon imperceptible. Le système est une
merveilleuse horloge et Vénus une étrange aiguille sur l’horloge, mais il n’y a
rien qui ressemble à la répétition parfaite d’un cycle astral. Le cycle de Vénus et
de Mercure qui avait conduit à l’apparition de la Shekinah à l’époque du Temple
de Salomon et de l’arrivée supposée du Messie avait déjà quelques millénaires.
En regardant le cycle de la Shekinah que l’on l’accélère sur un planétarium, on
peut voir que, pas à pas, après une longue période, Mercure et Vénus régressent
vers le soleil jusqu’à finalement converger avec le disque solaire et la Shekinah
ne peut plus être vue. Cela se produisit en 1432.

La nouvelle Shekinah
Mais ce que Vénus abandonna d’un côté, elle le redonna d’une autre manière. À
l’aide de leurs astrolabes et des calculs mathématiques qu’ils avaient appris au fil
des siècles, surtout de sources arabes, les astronomes des Familles de l’Étoile ont
dû être capables d’établir la nouvelle configuration de la Shekinah. Cette
nouvelle Shekinah ne devait pas se manifester au solstice d’hiver, comme
l’ancienne, mais à l’équinoxe d’automne.
À cause des particularités de l’orbite terrestre autour du soleil, ce dernier,
lorsqu’on le considère depuis la surface la terre, semble se lever et se coucher en
différents endroits sur l’horizon à mesure que l’année avance. Dans l’hémisphère
nord, le soleil se lève au sud-est en hiver et au nord-est en été – et produit ainsi
les saisons. Les point extrêmes de lever et de coucher sont les deux extrémités de
l’année. L’hiver commence quand le soleil se lève au sud-est le 21 décembre et
l’été survient quand il se lève au nord-est le 21 juin. C’est ce que l’on nomme les
solstices d’hiver et d’été (solstice signifie littéralement « arrêt du soleil », car le
soleil semble stopper sa course entre le nord et le sud en commençant à repartir
dans la direction opposée). Les solstices ont toujours eu une grande importance
pour nos ancêtres.
Les étapes intermédiaires entre les solstices sont les équinoxes. Ils arrivent
quand le soleil est exactement à mi-parcours du sud vers le nord ou du nord vers
le sud. L’équinoxe de printemps se produit vers le 21 mars et celui d’automne
vers le 21 septembre. Au cours de ces deux jours, chaque année, le soleil se lève
exactement à l’est et se coche exactement à l’ouest, et le jour comme la nuit sont
alors de durée égale (équinoxe veut dire « nuit[ou jour] égale).
Les équinoxes et les solstices sont les quatre « stations » ou « angles » de
l’année et ils ont été reconnus, étudiés et même révérés depuis aussi longtemps
que l’humanité a levé la tête vers le ciel, curieux et merveilleux.
La Sainte Shekinah qui avait eu tant d’importance pour les Juifs et leurs
ancêtres apparaissait au solstice d’hiver – une époque solennelle et parfois de
crainte pour les Anciens. Nos lointains devanciers observaient soigneusement si
le soleil ne poursuivait pas indêment sa course vers le sud au moment attendu du
solstice. S’il le faisait, l’hiver serait plus rigoureux et toute vie pourrait
disparaître sous le froid et la neige. Depuis une époque très ancienne, de grandes
cérémonies eurent lieu dans l’hémisphère nord afin de s’assurer que tous les
rituels avaient été accomplis pour convaincre les dieux d’envoyer le soleil à
nouveau vers le nord, afin que le printemps puisse revenir et la nature renaître.
De telles cérémonies avaient aussi lieu à d’autres « angles » de l’année. Celles
qui se pratiquaient au solstice d’été étaient de joyeuses manifestations, avec la
promesse d’une nature généreuse à portée de la main, mais aussi avec une
certaine appréhension si le soleil poursuivait sa marche vers le nord, apportant
trop de chaleur susceptible de sécher voire de faire mourir les moissons. Les
équinoxes avaient aussi beaucoup de sens. Celui du printemps était un temps de
gratitude, sachant que les jours sombres allaient disparaitre et que les journées
plus longues allaient venir. L’équinoxe manifestait la reconnaissance pour les
belles récoltes mais avec un sens du sacrifice devant l’inévitable
assombrissement des jours à venir.
Dans différentes cultures, sur toute l’étendue de la planète, les cérémonies
opérées aux « angles » de l’année ont pu différer beaucoup, mais l’offrande aux
dieux, ou à tout autre mystérieuse puissance, y fut commune et dans certains cas
incluait des sacrifices animaux et même humains. Tout ce qui était possible
devait être fait pour se concilier les dieux et obtenir que toutes les choses
attendues se poursuivent en permettant le maintien de la vie humaine.
Il faut garder à l’esprit tout cela pour juger de la réaction des astronomes des
familles de l’Étoile quand ils virent, par leurs calculs planétaires, qu’une
nouvelle Shekinah allait apparaître non plus autour du solstice d’hiver mais
autour de l’équinoxe d’automne. La première Shekinah d’équinoxe devait se
produire le 21 septembre 1456. Peut-être annonçait-elle un nouveau départ, et
elle n’était certainement pas sans signification biblique. La Bible connaît deux
temples de Jérusalem – le premier édifié par Salomon et le second par Zorobabel
après la captivité à Babylone (et plus tard restauré et enrichi par Hérode). La
dédicace des deux avait eu lieu à l’équinoxe d’automne. Il nous est dit, à propos
du Temple de Salomon :

« Alors le roi Salomon assembla près de lui à Jérusalem les anciens


d’Israël et tous les chefs des tribus, les chefs de famille des enfants
d’Israël, pour transporter de la cité de David, qui est Sion, l’arche de
l’alliance de l’Éternel. Tous les hommes d’Israël se réunirent auprès
du roi Salomon, au mois d’Ethanim, qui est le septième mois,
pendant la fête. »1

Le mois lunaire d’Ethanim est maintenant connu sous le nom de Tishri dans le
calendrier hébreu.2
Bien que ce soit le septième mois du calendrier civil, c’est le début du
calendrier religieux et surtout l’époque de grandes fêtes et de réjouissances. La
plus importante est la Fête des Tabernacles, qui commence le 15 Tishri. C’est en
réalité une fête des récoltes.
Pour les anciens Juifs, comme en fait dans toutes les sociétés agraires,
l’équinoxe d’automne marquait la grande récolte, lorsque l’été florissant de la
nature avait donné les graines et les fruits qui assureraient la subsistance tout au
long des sombres jours de l’hiver. Les grands épis dorés, ainsi que les fruits des
arbres et arbustes, étaient absolument essentiels la survie. Ces bienfaits
pouvaient à tout moment être perdus, par exemple du fait d’un printemps trop
frais, de violents orages d’été ou plus généralement de tout désordre du temps.
Pour des hommes qui admettaient que la grâce de Dieu était capricieuse et
imprévisible, il fallait un culte adapté et de grandes manifestations de gratitude
pour obtenir que la récolte sous préservée.
Au cœur des célébrations de l’automne, dans la plupart des systèmes
religieux, se trouvait la notion de sacrifice – donner quelque chose en retour de
ce que l’on avait reçu. La nature (et notamment la Déesse et la Terre) avait sorti
de son corps ses propres offrandes, coupées par les hommes pour leurs propres
besoins. L’idée du Dieu des Moissons qui croit et que l’on sacrifie (voir Chapitre
3) est si vieille qu’il est impossible de savoir quand elle apparut. Mais beaucoup
de choses venant de la religion primitive, elle ne fut jamais oubliée. Nous avons
déjà montré que Jésus, réellement ou selon la légende, a délibérément associé sa
propre personne avec le Dieu des Moissons, à la fois dans ses discours et ses
actes, lors de la Cène. Les cultes à mystères de Déméter ou de Mithra avaient
aussi des cérémonies importantes liées à l’équinoxe d’automne qui évoquait la
mort et la renaissance.
Les Sinclair de Rosslyn
Pour la nouvelle Shekinah, tomber à cette époque de l’année avait donc une
grande signification. Il est certain que l’importance de la Shekinah de l’équinoxe
d’automne 1456 ne fut pas méconnue d’un groupe parmi les Familles de l’Étoile.
C’était celui des Saint Clair (ou Sinclair) – les prêtres de la Sainte Lumière. Ils
étaient déjà présents en Écosse peu avant l’invasion de l’Angleterre par le duc
Guillaume de Normandie en 1066. À l’époque, les espoirs des Saxons étaient
placés dans un de leurs princes du nom d’Edgar Atheling. Edgar s’était enfui
vers l’Écosse après avoir conduit une rébellion contre Guillaume en 1068 et,
après avoir passé un peu de temps en Hongrie, sa sœur Margaret l’avait rejoint.
Margaret s’était mariée au roi Malcolm III d’Écosse et elle était devenue reine.
Nous savons que les Saint Clair étaient présents à la cour d’Écosse dès cette
époque car l’un d’entre eux, William « le Bienséant », était l’échanson de
Maragaret et reçut d’importantes terres dont une partie en Midlothian. Il avait
partagé le bref exil de la reine en Hongrie et il était manifestement un de ses
favoris.
Depuis cette époque, les Sinclair (nous utiliserons désormais l’orthographe
moderne) ne s’éloignèrent jamais de la cour d’Écosse. Grâce à l’alliance d’une
bonne diplomatie, de judicieux mariages et d’une indéfectible loyauté, ils purent
maintenir leur rang malgré les vicissitudes de l’histoire écossaise, étant parfois
plus riches que le roi lui-même. Toujours à l’écart des manœuvres politiques et
des conflits entre barons, les Sinclair amassèrent titres et honneurs et obtinrent
finalement le contrôle des grandes iles de Shetland et Orkney vers la fin du XIVe
siècle. Vers le milieu des années 1440, William Sinclair, 3e jarl d’Orkney (jarl
signifie « comte » ou « prince » en norvégien, alors la langue principale dans ces
îles), était une allié indispensable au roi Jacques II d’Écosse. Parmi ses titres
William était Lord Grand Amiral d’Écosse et, en 1454, il fut élevé au rang de
Lord Chancelier d’Écosse – en fait le second immédiat du roi.
Le siège de la famille Sinclair était le château Rosslyn (ou Roslin) en
Midlothian, près du siège du pouvoir royal, et c’est là que s’ouvre le prochain
épisode clé de l’histoire des prêtres de Salomon.
Comme nous l’avons vu, les documents trouvés par les Templiers dans les
ruines du Temple de Jérusalem dès le XIIe siècle avaient été apportés en Écosse,
sans doute dès 1128 où ils furent probablement conservés dans la récente abbaye
tironienne de Kilwinning (voir Chapitre 6). À peine deux siècles plus tard ils
furent encore déplacés, cette fois vers le Château de Rosslyn, à environ 15 km au
sud d’Édimbourg sur un promontoire au-dessous du fleuve Esk.
Un château de cette sorte avait existé sur le site dès le XIIe siècle mais l’édifice
qui s’y trouve aujourd’hui ne fut pas commencé avant 1304. Le château fut
considérablement agrandi et modifié quand William Sinclair, comte de Roslin,
acquit ses titres en 1417.
Nous sommes maintenant certains que les précieux documents venant du
temple de Jérusalem fut apportés à Kilwinning peu avant 1447. La première
preuve, quoique fortuite, se trouve dans une archive relative à un incendie qui
dévasta le château cette année-là :

« Vers cette époque (1447) un incendie se déclara dans une tour du


château de Rosslyn et tous les habitants durent s’enfuir. Le
chapelain du prince [comte de Sinclair], voyant cela, et se souvenant
de tous les écrits de son maître, se porta au sommet du donjon où ils
étaient rassemblés et en sortit quatre grands coffres. La nouvelle de
l’incendie étant parvenue au prince par les lamentations des Dames
et de leurs suivantes et ce qu’il en vit depuis l’endroit où il état, sur
Colledge Hill, il se désola surtout de la perte de ses Chartes et autres
documents ; mais quand le chapelain qui s’était enfui en empruntant
la corde de la cloche, lui apprit que ses Chartes et Écrits avaient été
sauvegardés, il retrouva sa bonne humeur et alla consoler la
Princesse et les Dames. »3

Il paraît étrange qu’un homme comme William, comte de Roslin et jarl


d’Orkeney, une personne connue pour sa gentillesse et sa générosité, ait pu se
préoccuper de la perte de quelques documents juridiques davantage que du sort
de sa propre femme et des autres occupants du château. En revanche, on peut
comprendre sa douleur s’il avait cru, pendant un court mais terrible moment, que
les documents sacrés confiés à lui par les Familles de l’Étoile couraient le danger
d’être détruits. Après tout, ils étaient saints et absolument irremplaçables.
Les manuscrits avaient connu de nombreux périls depuis que le Temple de
Jérusalem avait été incendié en l’an 70, au-dessous des profondes caves où
reposaient ces documents. Une fois dégagés de leur cachette par les Templiers,
ils avaient couru le risque d’être découverts et détruits. Le voyage par mer de la
Terre sainte à l’Écosse avait dû être inquiétant car il n’était pas rare que les
navires connaissent des difficultés en traversant la baie de Biscay ou en
naviguant le long de la côte irlandaise. L’époque où ils furent de nouveau
déplacés et emportés vers le sud de l’Écosse fut un autre moment dangereux –
comme l’incendie l’avait démontré.
Mais cette fois, les manuscrits avaient atteint leur destination finale. William
Sinclair s’assura qu’ils resteraient à l’abri en sécurité dans les murs d’un Temple
de la Nouvelle Jérusalem qu’il allait édifier à Rosslyn.

Le « Troisième Temple »
Ce nouvel édifice devait être construit avec la même sorte de pierre que celle du
Temple de Jérusalem, à une distance de près d’un quart de la planète mais sur la
même strate géologique. Cela devait être une copie aussi fidèle que possible du
Second Temple de Hérode. En sous-sol, reproduire le Temple n’était pas un
problème car Sinclair possédait le récit des excavations des Templiers. En
surface, tout ce que l’on savait encore du Temple concernait le reste du mur
occidental qui avait échappé à la destruction par l’armée de Titus en 70. Les
hommes du comte reconstruisirent cette partie de mur puis édifièrent le corps du
nouveau Temple selon un plan conforme à ce que l’on connaissait des fondations
des murs détruits. Cependant, la partie principale de Rosslyn dut être créée selon
un projet original qui était une brillante interprétation de la vision de la Nouvelle
Jérusalem selon Ezéchiel, décrite après la destruction du premier Temple de
Jérusalem, celui du roi Salomon, par les Babyloniens.
Le comte William ne choisit pas des maçons locaux. Il choisit des maçons
tailleurs de pierre appartenant à des guildes européennes – lesquelles utilisaient
encore les rituels que leur avaient donnés les Templiers à la grande époque de
construction des cathédrales, au XIIe siècle. Ces hommes pratiquaient leurs rituels
dans la crypte au niveau inférieur de Rosslyn, qui fut achevée avant le corps
principal du bâtiment.
Sur un haut promontoire, à deux minutes à pied du château, commença la
construction de cet édifice très spécial. Selon la tradition, le comte William avait
commencé des terrassements pour des chambres souterraines et les fondations du
bâtiment dès 1440. Mais la première pierre du nouvel abri pour les trésors du
Temple ne pouvait être mise en place avant le retour de la Shekinah – et il avait
été maintenant calculé que cela devait se produire le 21 septembre 1456.
Naturellement, le comte William ne pouvait dire à personne, en dehors du
petit cercle des Familles de l’Étoile, qu’il reconstruisait le Temple des Juifs. Pour
le public, le nouvel édifice fut connu sous le nom de « Église de Saint-
Matthieu ». Aujourd’hui, c’est la chapelle de Rosslyn.
Salomon avait employé tous les talents de Hiram Abif pour bâtir le Temple
légendaire, et à présent la comte William avait besoin de compétences bien
supérieures aux siennes pour achever son chef-d’œuvre de pierre. Pour créer la
chapelle de Rosslyn, il avait auprès de lui Sir Gilbert Haye. Né vers 1405, c’était
le rejeton d’une illustre famille écossaise qui, comme les Sinclair, avait toujours
été proche du pouvoir. Haye avait étudié à l’université de Saint Andrews où il
s’était montré une brillant élève. En 1428 il fut en France, probablement comme
émissaire du roi d’Écosse, et y resta jusqu’en 1456, devenant le premier
bibliothécaire du roi de France et rassemblant une collection de livres qui
pouvait rivaliser avec celle de Florence ou du Vatican. Haye était un grand
polyglotte parlant et lisant pas moins de 16 langues – un grand avantage à
l’égard des artisans s’exprimant en de nombreuses langues étrangères et venus
pour construire le nouveau Temple.
Haye vécut en France à une époque haute en couleurs et il y connut et aida la
jeune héroïne, précocement disparue, Jeanne d’Arc. Il devint un proche de
l’hériter du trône, le prince Charles et fut l’un de ses principaux invités lors de
son couronnement sous le nom de Charles VII de France, en 1429.
Immédiatement après son couronnement, le nouveau roi reçut Haye comme
chevalier.
C’est ainsi qu’en 1456, à l’âge de 52 ans, au sommet de son prestige et de sa
fortune en France, Haye quitta de façon inattendue la cour de France et l’œuvre
de sa vie, sa chère bibliothèque, pour regagner un château isolé en Écosse, à
Rosslyn. Il aurait ainsi sans regret quitté une haute position dans une des plus
grandes cours d’Europe, nous dit l’histoire, pour devenir l’humble tuteur des fils
du comte William Sinclair.
Cela sonne faux. Nous pensons que Haye avait une raison plus importante
pour rejoindre le comte William. À notre avis, sa mission était de devenir le
nouvel Hiram Abif – un rôle que Haye devait considérer comme plus brillant
que tout autre.
Mais il y a d’autres surprises. Le comte William était resté en haute estime
aux yeux des rois successifs d’Écosse pendant toute sa vie d’adulte et en 1452 il
eut en outre des autres titres la charge de Connétable d’Écosse – le
commandement effectif des armées. Et dès 1456, l’année même où Haye quitta
la cour de France, le comte renonça également à toutes ses fonctions à la cour
d’Édimbourg pour se consacrer à son nouveau projet.
L’historienne Barbara E. Crawford n’a pas pu s’expliquer cette inexplicable
disparition de la cour et elle s’est demandé s’il n’avait pas eu querelle avec le roi
Jacques II et n’avait pas perdu la faveur royale3. Mais la documentation ne
confirme pas cette thèse car William conserva l’affection du roi. En 1455 encore,
il avait reçu de belles et importantes terres et le titre de Caithness et avait
soutenu le roi contre la rébellion récurrente du clan des Douglas.
Enfin, en juin 1456, le roi signa un document qui accordait au village de
Rosslyn le statut de bourg (le village, comme le comté, est généralement nommé
« Roslin » bien que la chapelle soit désignée par l’autre appellation de Rosslyn).
De ce fait, il obtenait le droit de tenir un marché le samedi et une foire annuelle
en plus des privilèges accordés aux bourgs. C’est à cette époque que le comte
William délaissa le village de Roslin qui s’étendait depuis toujours dans la vallée
située à l’Est du château et commença à construire une nouvelle agglomération à
l’ouest.
Tous ces événements nous conduisent à penser que, malgré le fait que certains
récits affirment que la chapelle de Rosslyn fut commencée dès 1440, les
véritables travaux sur le terrain ne commencèrent qu’en 1456. Le comte avait
besoin d’un équipe d’artisans compétents, qu’il fallait loger avec leurs familles –
d’où le nouveau village et son nouveau statut. La date de 1456 pour ce nouveau
village est une indication sûre qu’aucune équipe importante n’était présente
avant cette date. Selon toute probabilité, le travail entrepris avant 1456 devait
porter sur le creusement de galeries et chambres sous le sol de la chapelle et sur
la préparation des fondations.
On prétendit pour le public que la chapelle de Rosslyn devait être une
« Collégiale ». Ce n’était pas la même chose qu’une église paroissiale. Les
collégiales étaient à l’origine des institutions d’enseignement administrées par
un comité de « chanoines séculiers » ou « chanoines irréguliers ». Comme les
monastères, les collégiales possédaient leurs biens propres, généralement des
fermes. Ces terres étaient louées et le produit servait à financer l’église.
Les collégiales différaient encore des églises paroissiales sous plusieurs
aspects. Les églises paroissiales étaient sous la juridiction d’un évêque. L’évêque
était le supérieur direct du prêtre de la paroisse, mais ce n’était pas le cas pour
les collégiales. La permission de construire une collégiale venait directement du
pape et une fois achevée, elle restait en dehors du pouvoir et de l’influence de la
hiérarchie normale de l’Église. En 1456, le Souverain Pontife était le faible et
indécis Calixte III, mais le pouvoir papal réel se tenait derrière son trône, c’était
le cardinal Enea Sylvio Piccolini. Piccolimini, qui deviendra lui-même pape sous
le nom de Pie II en 1458, était connu du comte William et c’était un ami des
Familles de l’Étoile – il se peut bien qu’il en ait été membre.
Le comte William avait besoin que sa nouvelle « chapelle » soit une collégiale
pour au moins deux raisons. D’abord parce que cela devait être une étrange sorte
d’église – en fait, nous le verrons, ce n’était pas vraiment une église. Ensuite, il
ne voulait pas que la hiérarchie locale de l’Église puisse interférer dans ses plans
ou même simplement regarder de trop près ce qui était en train de se faire.
Du début à la fin, la chapelle de Rosslyn fut destinée devenir le conservatoire
de documents découverts à Jérusalem au XIIe siècle. Mais c’était autre chose
encore. Ce n’était rien moins que la copie du Temple de Hérode à Jérusalem,
selon les récits des premiers Templiers qui avaient creusé sous ses décombres.
Créer un tel édifice était plein de difficultés – non pas vraiment en termes de
construction, mais plutôt à cause de l’aspect que présenterait le bâtiment une fois
terminé et la réaction qu’il pourrait susciter. Le comte William et sir Gilbert
Haye durent se pencher longuement et sérieusement sur la façon dont serait reçu
une réalisation aussi inhabituelle. Elle pouvait soulever des questions
embarrassantes. Ils convinrent entre eux d’une solution si intelligente qu’elle
confinait au génie.

L’Acte de dissimulation
Il fallait d’abord annoncer que l’édifice serait d’un type plutôt classique pour
l’époque. Comme de nombreuses églises, il comporterait une chapelle dédiée à
la Vierge Marie à l’est, au-delà de laquelle se trouveraient un transept nord et un
transept sud ainsi qu’une nef s’étendant vers l’ouest.
On montra aux dignitaires de l’Église les plans de la collégiale, qui devait être
magnifique mais pas fondamentalement différente de toutes celles qu’il y avait
dans le pays. Les visiteurs officiels ont même pu faire une visite des fondations
établies dans les tranchées qui traversaient la colline, depuis le grand mur de
l’ouest dans la chapelle de la Vierge en cours de construction. Ces fondations
étaient de simples colonnes de pierre qui pouvaient apparaître comme les
premiers éléments de la collégiale.
En fin de compte, on ne construisit jamais une véritable collégiale. Quand la
chapelle de la Vierge fut achevée, les travaux s’arrêtèrent soudainement. De nos
jours, l’explication habituelle est que les Sinclair durent connaître des difficultés
d’argent ou ne plus manifester le même intérêt, mais cela ne nous semble pas
exact. Nous sommes certains qu’ils n’avaient jamais eu l’intention de construire
autre chose que la « chapelle de la Vierge ».
Les plans d’une grande église classique n’étaient qu’un écran de fumée
imaginé par Sinclair et Haye. John Wade est un bon ami de Chris Knight, un
spécialiste du latin et du grec, membre de la première loge de recherches au
monde, Quatuor Coronati. Wade pensait depuis toujours que Rosslyn ne devait
être à l’origine qu’une collégiale tout à fait classique. Chris et John se
rencontrèrent juste après une visite de ce dernier à Rosslyn et John affirma sa
conviction. La raison en était que les scanners avaient détecté une partie des
fondations de l’église initialement projetée.
Chris fit observer que des fondations « factices » étaient nécessaires pour
convaincre les autorités que ce bâtiment serait finalement conforme au plan
cruciforme normal d’une église. En fait, il n’est pas douteux qu’il s’agisse de
fausses fondations. La preuve vint d’une source de très haut niveau, Jack Miller,
directeur des études en géologie à l’université de Cambridge, et membre titulaire
de la Société de géologie.
En visitant Rosslyn avec Chris, Miller avisa le gros mur de l’ouest,
surdimensionné, supposé être une partie de la collégiale inachevée, et observa
qu’elle n’était pas convenablement reliée à la structure générale du bâtiment.
Toute tentative de poursuivre la construction aurait inévitablement conduit à son
effondrement.
Miller affirma : « Bien, il n’y a qu’une possibilité – et je peux vous dire que
vous avez raison. Ce mur est une folie. »
Selon lui, il n’y avait aucun doute que des bâtisseurs n’avaient pas eu
l’intention de poursuivre plus loin d’un seul pouce. La qualité des plans et de la
main-d’œuvre étaient trop grands pour que cette absence de lien ne soit que le
fruit d’une colossale erreur.
C’est Miller qui le premier attira l’attention de Chris sur la nature de la pierre
utilisée. Comme géologue, il était qualifié pour affirmer qu’elle était de la même
strate que celle utilisée pour le Temple de Jérusalem. De plus, pour confirmer
l’impossibilité de la thèse de la collégiale, il estima que le large mur à l’ouest
n’était pas la partie d’une grande structure inachevée, mais la copie délibérée
d’une ruine. Il dit : « si les bâtisseurs avaient interrompu leur travail par manque
d’argent ou parce qu’ils en avaient assez, ils auraient laissé une pierre
parfaitement équarrie, mais ces pierres-là ont été délibérément ouvragées pour
paraître endommagées – exactement comme des ruines. Ce n’est pas l’érosion
qui les a rendues ainsi… elles ont été taillées comme un mur en ruines. »
Au fil des ans, Chris a emmené nombre d’universitaires à Rosslyn et tous ont
trouvé l’endroit étrange. Le professeur Philip Davies, une autorité mondiale sur
les manuscrits de la mer Morte et le judaïsme ancien, fut médusé de ce qu’il vit.
Après avoir inspecté le bâtiment, il affirma que cela ressemblait pour lui à un
édifice juif bien plus qu’à une église quelconque. Il trouva que le mur ouest avait
un style très hérodien.
Le professeur Jim Charlesworth, une autre spécialiste des manuscrits de la
mer Morte, de l’université de Princeton et « Albright Professor » d’archéologie à
Jérusalem fut d’accord : « Ce n’est pas un édifice chrétien ». Il signala aussi que
le mur ouest était de style purement hérodien et que ses concepteurs s’étaient
donné du mal pour imiter les ruines de Jérusalem, en particulier avec des
versions ouvragées de ce que l’on nomme des « pierres volées ». En plus d’être
un universitaire, Charlesworth est un homme d’église et il annula sa participation
à l’office du dimanche matin au prétexte qu’il était inconvenant de célébrer un
service religieux chrétien dans un édifice manifestement juif !
Le professeur Charlesworth a passé des années à chercher des manuscrits de la
mer Morte manquants mais que l’on sait avoir existé, et il fut d’accord pour
admettre qu’il était probable qu’ils se trouvent sous la chapelle de Rosslyn. Il
consacra de nombreux efforts à rassembler une équipe d’archéologues pour
effectuer des fouilles mais, à ce jour (à notre connaissance) les responsables de
Rosslyn n’ont jamais répondu, malgré l’assurance que l’équipe envisagée serait
composée d’experts réputés.
Il est certain qu’à l’époque où il construisit Rosslyn, le comte William dut
faire comme s’il s’était agi d’une église, car si quiconque dans la hiérarchie de
l’Église avait soupçonné qu’il s’agissait d’un bâtiment inspiré par le judaïsme, il
aurait très vite mis sa vie en péril.
Une exigence importante pour une église était qu’elle soit consacrée. Toutes
les églises de cette époque étaient dédiées à un saint, un apôtre ou à la Vierge
Marie. Dans le cas de Rosslyn c’est sans doute Gilbert Haye qui suggéra le
candidat. Il était inspiré, convenable pour les Familles de l’Étoile et procurait
une explication plausible pour l’orientation géographique très spéciale de
l’édifice (qui devait faire face à la lumière de la Shekinah).
Depuis les origines du christianisme, on avait adopté en Occident le principe
que toutes les églises devaient autant que possible être orientées pour que leurs
autels se dirigent vers l’est – théoriquement vers Jérusalem. Pour la plupart des
gens, le mot « est » était un terme général désignant la partie du ciel où pointe le
soleil levant chaque matin. Quand on établissait le projet d’une église, on
observait ce qui se passait à la première lueur du jour lors de la fête du saint à
qui l’église devait être dédiée. Par exemple, si l’église était dédiée à saint
Edmond, le martyr anglais dont la fête est le 6 novembre, le point de l’horizon
où le soleil pointait au matin du 6 novembre était « l’est » pour cette église
particulière et toute l’orientation de l’édifice était conçue dans ce sens.
Même de nos jours, il est possible de calculer, avec les vieilles églises
écossaises, anglaises ou galloises, la dédicace originelle de l’église, simplement
à l’aide d’un compas et d’un calendrier des saints. Si la topographie locale gêne
l’observation du premier rayon du soleil, l’alignement des murs nord et sud
permettra d’identifier un ou deux jours de l’année et par conséquent de
déterminer la dédicace à l’un ou l’autre des deux saints correspondants.
Dans le cas de Rosslyn, il était d’une importance vitale que l’édifice soit
exactement face à l’est, afin de reproduire la situation du Temple de Jérusalem.
Cela veut dire que le saint auquel devait être dédiée la chapelle de Rosslyn ne
pouvait être que celui dont la fête tombe soit à l’équinoxe de printemps soit celui
d’automne, car ce sont les deux seuls moments où le soleil est plein à son lever.
Le comte et Gilbert Haye trouvèrent le candidat idéal en Saint-Matthieu.

L’église de Matthieu
Il y a quelque chose d’étrange à propos de la fête de saint Matthieu en Occident.
Des documents de l’Église primitive, sans doute avant 200, montrent que
Matthieu mourut un 16 novembre et de fait l’Église orthodoxe continue à
célébrer sa fête ce jour-là. Cependant, en Occident, depuis au moins l’époque de
Bède le Vénérable (672-735), la fête est célébrée le 21 septembre – le jour de
l’équinoxe d’automne. Quand et pourquoi les choses en vinrent-elles là, on
l’ignore toujours.
Saint Matthieu se présenta comme un saint patron idéal pour de nombreuses
autres raisons que celle de son jour de fête. Dans la tradition de l’Église, saint
Matthieu était l’un des premiers disciples de Jésus. Le Nouveau Testament nous
dit qu’il avait été publicain, c’est-à-dire collecteur d’impôts, une profession
détestée par de nombreux Juifs sous l’occupation romaine – et cependant Jésus
l’avait appelé et accueilli. Bien que cela ne soit pas expressément mentionné
dans les Évangiles qui nous sont parvenus, il fut rapporté que Matthieu avait été
présent devant la tombe vide de Jésus avec la mère de Jésus et Marie-Madeleine,
et Matthieu le disciple a été traditionnellement identifié à l’auteur de l’Évangile
qui porte son nom. Son Évangile est le seul sur lequel s’appuyaient les
Ébionites : il avait été initialement écrit en hébreu ou en araméen et ne comporte
aucune référence à la naissance de Jésus. De plus, la version originale de cet
Évangile peignait Jean-Baptiste sous un jour bien plus favorable que la version
grecque plus tardive ou les autres Évangiles.
Les symboles du trésor caché
En 1996, Chris superposa deux transparents sur un rétroprojecteur et découvrit
que le plan de la chapelle de Rosslyn était identique à celui des souterrains du
Temple de Hérode. Ils se correspondaient comme une main dans son gant. De
plus amples recherches faites par Chris montrèrent que deux caractéristiques de
plus de la chapelle de Rosslyn sont de nature maçonnique. La première est le
« Triple Tau », un symbole composé de deux croix en tau (une croix en tau, du
nom grec de la lettre T, ressemble simplement à un T majuscule et T est
également la dernière lettre de l’alphabet hébreu). Ce symbole est considéré dans
la franc-maçonnerie comme le « bijou » du grade de l’Arc Royal et l’on dit aussi
entre autres choses qu’il signifie Templum Hierosolymae (le Temple de
Jérusalem) ; Clavis ad Thesaurum (la clé du trésor), ou Res ipsa pretiosa – la
chose précieuse elle-même.
Ce rituel maçonnique, que nul ne comprend aujourd’hui, permet de lever le
secret de Rosslyn. Le Temple de Jérusalem, la clé du trésor, un endroit où une
chose précieuse est cachée, et cette chose précieuse elle-même – Rosslyn est tout
cela ! C’est comme si le comte William Sinclair avait créé ce rituel pour qu’il
passe de génération en génération comme une clé pour comprendre Rosslyn. Et
il est probable qu’il en soit ainsi car le premier Grand Maître de la franc-
maçonnerie fut un descendant de celui qui avait construit Rosslyn – et il
s’appelait William Saint Clair. Le rituel de l’Arc Royal, le 4e grade de la franc-
maçonneriea, décrit des fouilles opérées dans les ruines du Temple de Jérusalem
par des francs-maçons qui sont symboliquement descendus à l’aide d’une corde
pour inspecter des cryptes secrètes situées sous le Temple et y retrouver de vieux
documents. Le Triple Tau est particulièrement riche de sens pour le Temple de
Jérusalem et Chris a montré qu’il est dessiné sur le plan de Rosslyn en traçant
des lignes entre les huit piliers à l’est de la chapelle.
Chris réalisa que le seul symbole qui manquait dans la chapelle était le Sceau
de Salomon, ou Étoile de David. Dans le vieux grade de l’Arc Royal, le Sceau de
Salomon est ainsi décrit :

« Le bijou du Compagnon de l’Arc Royal est un double triangle,


parfois appelé Sceau de Salomon, dans un cercle d’or ; au-dessous
est un rouleau sur lequel sont écrits les mots Nil nisi clavis deest –
Rien ne manque hormis la clé – et sur le cercle apparaît la légende
Si talia jungere possis sit tibi scire posse – Si tu peux comprendre
ces choses, tu en sauras assez. »
Chris a déjà détaillé ailleurs4 comment il a tracé une ligne partant du pilier de
base du Triple Tau, réglé un compas sur la largeur du bâtiment et décrit un arc à
partir de chaque mur. Les deux arcs se coupaient exactement entre les piliers les
plus à l’ouest pour former un triangle équilatéral. Il traça alors une autre ligne
dans la largeur du plan entre les deux piliers plus à l’est que les précédents et
traça deux autres arcs vers l’est : leur intersection était exactement au niveau du
pilier central du Triple Tau, formant un parfait Sceau de Salomon. Les deux
piliers intérieurs du symbole sont placés juste au point de croisement des lignes
de l’étoile5.
Mieux encore, Chris a également observé :

Au centre même de cet invisible Sceau de Salomon, dans la voûte


d’arc, il y a une protubérance en forme de flèche qui pointe vers une
pierre du sol. C’est, selon nous, la pierre qui doit être soulevée pour
pénétrer dans les cryptes rétablies du Temple de Hérode pour y
retrouver les manuscrits nazoréens6.

L’édifice est vaguement gothique de style, mais à la différence de nombreux


bâtiments gothiques il ne comporte pas de voûte en berceau. Il renferme 32
sortes d’arcs mais ce que Rosslyn présente de vraiment différent de la plupart
des églises normales c’est la quantité impressionnante d’ornements que l’on peut
trouver aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur. Il n’y a sans doute pas un seul
édifice en Europe qui possède autant de sculptures de pierre dans un espace
relativement aussi modeste.
Figure 9. Plan de base de la chapelle de Rosslyn, montrant le triple tau et le
Sceau de Salomon.

Une forêt de pierre


Il est fascinant de voir les gens visiter Rosslyn pour la première fois. Quand ils
s’approchent du seuil et marchent sur le chemin, la plupart des gens pensent que
c’est beaucoup plus petit que ce qu’ils avaient imaginé. Mais une fois à
l’intérieur, lorsque leurs yeux se sont habitués à l’obscurité, ils sont stupéfiés,
s’efforçant de comprendre toutes les pures merveilles qui se trouvent devant eux.
Les murs sont totalement couverts de sculptures naturalistes, de feuilles, de
fruits, de plantes et de fleurs. C’est seulement après plusieurs visites et une
bonne dose d’attention rigoureuse qu’il apparaît que toute cette floraison de
pierre émane d’un point particulier du bâtiment.
À l’extrémité est de Rosslyn, les trois piliers, différent de tous les autres, sont
postés autour d’un endroit nommé le « rétrochoeur » où des autels ont été placés.
Deux de ces piliers sont richement ornementés alors que le troisième est d’un
type assez simple. C’est à partir de l’extrême-droite que commence le feuillage
de pierre. Ce pilier est diversement nommé Pilier du Prince ou Pilier de
l’Apprenti. À sa base se trouvent des dragons et au-dessus d’eux le pilier devient
comme un tronc d’arbre très stylisé autour duquel s’enlacent des feuilles de
vignes délicatement ouvragées. Ces torsades suivent toute la longueur du pilier
jusqu’au chapiteau pour donner naissance à des banches et des feuillages de
pierre qui s’étendent sur tout l’espace disponible.
Au milieu de cette forêt de pierre, on trouve de nombreuses images de
l’Homme vert, une vieille représentation de l’imagerie celtique, un visage
humain entièrement composé de feuilles, de branches et de brindilles. Il existe au
moins cent exemples de l’Homme vert dans tout l’édifice et on en trouve à
chaque instant.
Mais l’Homme vert n’est pas seul. La chapelle renferme aussi des dizaines
d’anges sculptés. La moitié environ d’entre eux portent des manuscrits ou des
livres, leurs cheveux sont flamboyants et ils sont magnifiquement et
soigneusement représentés. À l’extrémité est il y a des figures de paysans, de
seigneurs, de rois, de musiciens et de créatures fantastiques – lesquelles ont
toutes manifestement une signification particulière pour ceux qui ont créé cette
structure mais qui forment apparemment un puzzle énigmatique, confus et
désespérant pour le visiteur.

Les secrets du Pilier de l’Apprenti


Comme on l’a dit plus haut, le pilier dont proviennent les feuillages est connu
sous le nom de Pilier de l’Apprenti. L’histoire classiquement rapportée aux
visiteurs concerne le maître maçon de Rosslyn qui, ayant reçu la commande de
ces piliers, fut dans la nécessité de se rendre à Rome, soit pour y trouver
l’inspiration, soit pour examiner des piliers semblables dans la Ville éternelle. À
son retour, il se sentirait prêt à réaliser un travail aussi magnifique et exigeant.
Pendant son absence, son apprenti décida d’entreprendre lui-même la sculpture
qui était achevée lorsque le maître maçon revint. Il fut tellement impressionné
par la beauté de ce travail talentueux de l’apprenti qu’il sombra dans une rage
incontrôlable, prit un marteau et frappa l’apprenti à la tête, le tuant
instantanément. On dit que l’un des visages situés près du toit, non loin du pilier,
montre une figure de l’apprenti avec une blessure sur le front.
Cela paraît être une version modifiée et inexacte de la légende d’Hiram Abif
(voir Chapitre 1) mais Alan Butler et un chercheur local John Ritchie, ont
découvert que le Pilier de l’Apprenti est encore plus merveilleux que cela.
Alan et John Richie travaillaient ensemble à leur livre sur Rosslyn Revealed,
dont ils souhaitaient faire l’enquête la plus approfondie jamais écrite sur la
chapelle de Rosslyn, son histoire, la signification de ses sculptures. Concernant
le sens véritable du Pilier de l’Apprenti, ils le découvrirent dans les écrits des
théologiens que l’ont dit « prénicéens » car ils sont antérieurs au concile de
Nicée en 325 (voir Chapitre 3). Cette imposante littérature renferme les
traditions les plus importantes de l’Église qui ne sont pas dans les Écritures. Par
exemple, il est généralement admis que la mère de Marie se nommait Anne mais
rien dans les évangiles ne le suggère. On le trouve plutôt dans les travaux des
Pères pré-nicéens comme dans de nombreux écrits non canoniques. D’autres
traditions chrétiennes se trouvent dans ces œuvres, comme le récit de la vie des
apôtres après la mort de Jésus, l’histoire d’un grand nombre de saints, et des
sermons des plus anciens Pères de l’Église.
En cherchant pourquoi saint Matthieu avait été choisi comme patron de
Rosslyn, Alan et John tombèrent sur une histoire passionnant qui détaille les
événements légendaires entourant la mort de Matthieu et qui l’avait
immédiatement précédée.
D’un auteur inconnu sans doute autour de l’an 200, c’est une histoire
fantastique qui rapporte le voyage de Matthieu vers une ville nommée Myrna. Il
est probable qu’elle se situait en Asie mineure, la Turquie actuelle. L’histoire
indique que Matthieu effectuait un jeûne de 40 jours dans les environs de Myrna
lorsqu’un enfant d’aspect céleste s’approcha de lui. Il prit ce visiteur pour un
ange ou peut-être l’un des enfants innocents tués par Hérode. Mais c’était Jésus
se manifestant sous la forme d’un enfant. Après une longue discussion, l’Enfant-
Jésus donna à Matthieu un bâton en lui demandant de le placer en terre en un
endroit surplombant l’église de Myrna.
C’est ce que fit Matthieu et ce qui se produisit alors le surprit autant que les
habitants de la cité. À peine le bâton avait-il touché la terre qu’il commença à
croître pour former le tronc d’un gros arbre. Autour du tronc se trouvait des
branches de vigne et de ses branches apparurent des feuilles et des fruits de
toutes sortes. Au sommet de l’arbre une ruche faisait couler du miel sur les
habitants et à sa base apparut un lac où grouillaient d’innombrables créatures.
Du fait que les détails de l’histoire correspondaient parfaitement aux
sculptures que l’on peut voir à Rosslyn, il ne fit aucun doute dans l’esprit de
John et d’Alan que les aventures de Matthieu à Myrna avaient servi de modèle
pour le Pilier de l’Apprenti et la masse de végétation qui en sort. Tout dans
l’histoire de Matthieu se trouve à Rosslyn, même la référence à la ruche. L’un
des pinacles, très près du sommet, a été délibérément évidé par les maçons pour
servir d’abri aux abeilles. Elles y ont prospéré pendant des siècles et les gens
avaient l’habitude de dire qu’en été le miel coulait sur les murs du bâtiment.
La pertinence de l’histoire fut confirmée avec la redécouverte d’une gravure
sur bois du château de Rosslyn. Sa date est inconnue mais, si l’on considère
l’état achevé du château qui y est figuré, elle doit remonter au milieu des années
1600 au plus tard, car à cette époque le château fut considérablement
endommagé du fait de la Guerre civile. La figure montre la façade est du château
en face duquel se tient un mystérieux personnage en robe, tenant un bâton de la
main gauche. Au-dessus du bâton figure l’arbre qui est évoqué dans l’histoire.
Jusqu’à une époque récente, personne n’avait compris la signification de ce
personnage associé au château mais il est à présent évident que c’est une
représentation de saint Matthieu.
Comme Alan et John Richie l’ont fait observer, tout dignitaire de l’Église, au
XVe siècle, frappé par l’extraordinaire profusion et par la complexité des
sculptures de Rosslyn, aurait certainement exprimé le vœu de savoir ce que cela
signifiait. Une fois instruit de la légende de Matthieu et de ses aventures à
Myrna, tout lui aurait paru en ordre dans cet édifice recréant, peut-être de façon
ostentatoire, le Paradis terrestre qui jaillit du divin bâton de saint Matthieu.
Pour nous, c’est loin d’expliquer l’extraordinaire multitude des images
ciselées dans la pierre que l’on trouve à Rosslyn, mais cela devait suffire pour un
évêque ou un cardinal, convaincu qu’il devait être que le comte William était un
vrai fils de l’Église et un grand bienfaiteur de l’art religieux.
Figure 10. Dessin du château de Rosslyn, avec au premier plan un
personnage tenant un bâton devant un arbre.

Nombre de sculptures de Rosslyn sont réputées de caractère maçonnique,


mais nombre de rapprochements semblent erronés. Cependant, l’une des
sculptures représente ce qu’est de nos jours un candidat s’apprêtant pour le rituel
du premier grade. Le candidat est un jeune homme aux cheveux courts, un
bandeau sur les yeux, agenouillé avec une corde autour du cou. L’extrémité libre
de la corde est tenue par un homme barbu qui se tient debout et semble vêtu
comme un Templier. Les pieds de l’homme agenouillé sont en forme d’équerre
et il tient un livre dans sa main gauche. Devant lui se dressent deux piliers. Les
correspondances entre cette sculpture et le rituel maçonnique moderne sont
simplement trop nombreuses pour que ce soit une coïncidence.
D’autres sculptures semblent avoir été inspirées par une œuvre dénommée La
Jérusalem Céleste. Le seul exemplaire restant fut réalisé par Lambert de Saint-
Omer vers 1120 et figure à l’université de Gand. Les recherches antérieures de
Chris Knight l’avaient conduit à penser que le dessin de la Jérusalem céleste
était la copie d’un document initialement découvert par les Templiers sous le
Temple de Jérusalem. Logiquement, selon Chris Knight, la copie fut faite après
que le second de Hugues de Payens, Geoffroy Saint-Omer, eut fourni des
éléments rapportés de Jérusalem à une vieil érudit de sa propre ville, Saint Omer
en France. Ce savant, Lambert, était un linguiste accompli et passa beaucoup de
temps à compiler la première encyclopédie au monde, inachevée sa mort.
Notre conclusion est que les sculptures de Rosslyn n’ont pas été inspirées de
la version de La Jérusalem Céleste par Lambert mais plutôt sur le document
original à partir duquel Lambert a produit une copie approximative – et qui a
finalement abouti à Rosslyn avec d’autres documents esséniens. Les
représentations de la Jérusalem céleste présentent par exemple des équerres et
des compas que reconnaîtrait instantanément un franc-maçon moderne, et des
thèmes qui se trouvent directement au cœur du rituel et des pratiques de la franc-
maçonnerie – spécialement du grade de l’Arc Royal.
En conclusion, si les sculptures proches du Pilier de l’Apprenti, que l’on
devrait à présent appeler plus justement le Pilier de Saint Matthieu, pouvaient
être aisément expliquées par l’histoire de Matthieu dans la cité de Myrna, elles
sont en réalité liées à l’histoire de Jérusalem et de son ancien Temple.

Rosslyn et la Kabbale
La disposition des trois plus importants piliers de Rosslyn, à savoir le Pilier de
l’Apprenti, le Pilier du Compagnonb et le Pilier du Maître, traduit également une
autre préoccupation médiévale prenant sa source dans l’ancienne tradition juive
ésotérique appelée la Kabbale. C’est une question qui devait tenir beaucoup au
cœur des prêtres des Familles de l’Étoile.
La Kabbale est devenue une quasi-obsession pour les intellectuels et les
philosophes chrétiens du Moyen Âge, car son origine est exclusivement juive.
Le mot Kabbalah lui-même, qui peut s’écrire de différentes façons, est au cœur
du système et des croyances du judaïsme ésotérique, bien qu’il n’ait fait
officiellement son apparition qu’au XIVe siècle – à peu près à l’époque de la
construction de la chapelle de Rosslyn.
La Kabbale repose sur deux œuvres principales, sans compter d’innombrables
commentaires et exégèses. Ce sont le Zohar (le « Livre de la Splendeur » ou de
la « Lumière ») et le Sepher Yetsirah (le « Livre de la formation »). Des deux, le
Sepher Yetsirah est certainement le plus ancien dans sa forme écrite, ayant été
rédigé par un mystique juif du nom de Rabbi Akiba, au IIe siècle. Le Zohar,
quoique peut-être aussi ancien que le Yetsirah sous forme orale, ne fut consigné
par écrit au XIVe siècle, et l’on suppose qu’il fut rassemblé et transcrit par un
autre rabbi, cette fois espagnol, nommée Moïse de Léon.
Il est très probable que les idées philosophiques et spirituelles qui se trouvent
au cœur de la kabbale sont en fait très anciennes, notamment parce qu’elles
présentent d’importantes similitudes avec une très vieille religion comme
l’hindouisme. La Kabbale est née d’un besoin majeur de « définir »
l’inexplicable. Le Dieu du judaïsme est très lointain. Même prononcer son nom
demeure depuis toujours un blasphème, sans doute parce que cela
« personnalise » la divinité et diminue à la fois sa nature et sa position dans
l’univers. La Kabbale énonce clairement que Dieu est si élevé, si intangible et
indéfinissable, que toute tentative pour l’approcher est vouée à l’échec.
En termes simples, la Kabbale suggère que le seul chemin vers Dieu passe par
des émissaires – une série d’entités spirituelles connues comme les Sephirot (au
singulier Sephirah). Les humains ne sont pas en mesure de communiquer avec la
divinité, mais les sephirot le peuvent. Les sephirot, que l’on peut décrire au
mieux comme des variétés d’anges, sont généralement disposées selon un
schéma géométrique avec trois lignes verticales et de nombreuses voies de
communication. C’est ce que l’on nomme communément « l’Arbre de vie
kabbalistique » (voir Figure 11).
Chaque sephirah représente un aspect différent de la divinité. Par la
connaissance et la compréhension des sephirot, et en suivants les chemins qui les
relient, il est possible pour de simples humains d’apercevoir un aspect fugitif du
divin.
La Kabbale fournit aussi des conseils sur la manière de suivre au mieux les
lois de Dieu et mener ainsi une vie heureuse et vertueuse. Cependant, la chose
demeure très compliquée, notamment parce qu’ils sont délivrés selon des codes
linguistiques basés sur les lettres de l’alphabet hébreu. Chaque sephirah
correspond à une lettre et la Kabbale renferme aussi des aspects numérologiques.
On peut voir dans l’Arbre de vie que tous les chemins entre les sephirot
partent de la sephirah qui occupe la place la plus inférieure, en position centrale
et on peut noter que cette spehirah est nommées Shekinah. Bien que les sephirot
soient toutes interdépendantes et qu’aucune ne puisse être considérée comme
supérieure ou inférieure à une autre, toutes sont finalement atteintes, par la
méditation ou la prière, par la Shekinah. L’importance de ce point pour les
prêtres pré-judaïques de Salomon et leurs successeurs des Familles de l’Étoile
ressort clairement des précédents chapitres.
Dans la Kabbale, la Shekinah devient encore plus importante que sa
manifestation astronomique par la conjonction de Vénus et de Mercure. Elle
représente alors le chemin par lequel on peut réaliser la communion avec les
agents spirituels et finalement avec Dieu.
Figure 11. L’arbre de vie kabbalistique. Chaque sphère représente une
sephirah, et toutes sont reliées par des chemins.

Dès que la Kabbale est apparue sous forme écrite elle fascine non seulement
les juifs mais aussi les mystiques et les érudits chrétiens. En réalité, elle était
certainement connue et étudiée bien avant le XIVe siècle, y compris par de
supposés chrétiens. On peut soupçonner que Saint Bernard de Clairvaux (voir
Chapitre 5) avait des kabbalistes dans son abbaye de Clairvaux en Champagne et
l’on pense qu’une école kabbalistique a pu exister à Troyes et certainement dans
des villes plus au sud de la France ainsi que dans l’Espagne d’avant l’Inquisition
où le judaïsme eut une longue et brillante histoire.
Bien qu’il n’y ait aucune preuve certaine que la Kabbale ait joué un rôle direct
dans les plans et la construction de la chapelle de Rosslyn, cela devient bien plus
probable si l’on examine son architecture à la lumière d’un autre aspect
spécifique de la franc-maçonnerie.

Les Trois Piliers


La franc-maçonnerie est riche de nombreux symboles et d’images, et parmi eux
les plus importants sont les « tableaux de loge ».c Ces sont des représentions
iconographiques qu’on voit dans les loges chacune ayant une signification
particulière à chacun des grades de la franc-maçonnerie. Les tableaux de loges
viennent sans aucun doute des ateliers de maçons opératifs. Parfois
effectivement tracés à la craie sur le sol pavé, c’était des dessins à l’échelle des
constructions en cours. Dans la franc-maçonnerie, les dessins faits à la craie
devinrent des toiles peintes et déposées sur le sol du temple maçonnique et enfin
des images accrochées sur les murs.
Un tableau très intéressant est celui qui concerne le premier grade de la franc-
maçonnerie (voir Figure 12). Tous les tableaux de loge renferment des messages
qui sont transmis aux jeunes francs-maçons à mesure qu’ils parcourent les
différents chemins de la franc-maçonnerie, et il est possible que certains de ces
messages soient aujourd’hui incompris ou inconnus, y compris de ceux qui sont
supposés « posséder le savoir ».
Le tableau de loge du premier grade consiste en trois piliers, chacun d’un des
ordres classiques de l’architecture (ionique, dorique et corinthien). Chacun a un
nom et un emplacement, et tous trois réfèrent à des valeurs spécifiques
auxquelles un franc-maçon est supposé aspirer.
Le pilier de gauche est connu sous le nom de « Force », et la lettre S (angl.
Strength) apparaît sur sa base. Celui de droite est « Beauté » et il porte la lettre B
(angl. Beauty), tandis que le pilier central avec la lettre W, est nommé
« Sagesse » (angl. Wisdom). Les trois personnages féminins placés sur l’échelle
qui part du pilier central représentent les trois Vertus théologales de la Foi, de
l’Espérance et de la Charité.
Figure 12. Le tableau associé au premier grade de la franc-maçonnerie
(anglo-saxonne) – d’après un tracé ancien d’origine inconnue.

On a souligné depuis longtemps qu’il existe des parallèles entre les trois
piliers du premier grade et ceux l’Arbre de vie kabbalistique. Dès le XIXe siècle
les partisans autant que les adversaires de la franc-maçonnerie ont admis que
d’importants aspects du kabbalisme sont au cœur de la pratique maçonnique et
que ce tableau illustre ce fait.
Cependant, ce que l’on semble ne pas avoir vu plus tôt est que les trois piliers
du premier grade ont presque certainement leur origine dans les trois piliers de
l’extrémité est de la chapelle de Rosslyn. Cela a été rendu plus que probable
grâce à la redécouverte du puits de lumière de la chapelle de Rosslyn (voir plus
loin) et, par le fait que, nous le verrons, la franc-maçonnerie telle que nous la
connaissons doit son existence même à la chapelle.
Les trois piliers de la franc-maçonnerie sont Sagesse, Force et Beauté, tandis
que ceux de la Kabbale sont la Miséricorde, la Rigueur et la Douceur. Ces
qualités kabbalistiques sont très proches de celles qu’on trouve dans les
significations maçonniques et le lien n’est pas douteux. Par conséquent, ceux qui
ont créé la franc-maçonnerie connaissaient la véritable histoire qui se cachaient
derrière les piliers de Rosslyn et connaissait leur origine kabbalistique.
Cependant, au XVe siècle, admettre ouvertement un tel lien avec le judaïsme
aurait conduit à la persécution du fait de l’Église. Pour cette raison, les francs-
maçons donnèrent aux piliers des noms différents pour ne pas révéler leur
origine dans l’Arbre de vie. Il paraît certain que de nos jours la connaissance de
ces choses a été perdue, y compris chez les francs-maçons de haut rang.
Au-delà de l’entrée de la crypte, par conséquent à l’endroit où les sculptures
ressemblent aux représentations de la Sainte Jérusalem, on trouve les seuls mots
qui soient gravés à l’intérieur de la chapelle. C’est du latin médiéval qui signifie
« Le vin est fort, un roi est plus fort, les femmes encore plus fortes, mais la vérité
conquiert tout. »
Cela peut sembler une phrase étrange mais elle est également utilisée dans le
rituel maçonnique. Elle apparaît dans le grade de l’Ordre des Chevaliers de la
Croix rouge de Babylone », étroitement associé au grade du Saint Arc Royal.
Comme nous l’avons noyé au chapitre 1, ces mots viennent du livre d’Esdras
(1Esdras), un écrit non canonique du 1er siècle et il réfère à un événement de la
captivité de Babylone. Le grade maçonnique consiste en trois récits dramatiques
relatifs à des incidents tirés du livre d’Esdras canonique (1-6)7, de 1Esdras
chapitres 2-7 et des Antiquités juives de Flavius Josèphe, livre 11, chapitres 1-4.
Et quel est le thème de grade ? Rien de moins que la reconstruction du Temple
de Jérusalem.
Le rituel est ouvert par le franc-maçon du rang le plus élevé, nommé Très
Excellent Chef, qui pose une question : « Excellent Premier Surveillant, quelle
heure est-il ? ».
La réponse est : « L’heure de rebâtir le Temple.»
Le rituel comporte ensuite la phrase « Le vin est fort, un roi est plus fort, les
femmes encore plus fortes, mais la vérité conquiert tout », ce qui est la réponse à
une énigme proposée par le roi Darius pendant la captivité des Juifs. Zorobabel,
le chef des Juifs, résout l’énigme et reçoit l’autorisation de retourner à Jérusalem
avec son peuple pour y reconstruire le Temple. En outre, le roi promet de leur
redonner le trésor volé au Temple par les Babyloniens.
Donc, les mots qui sont gravés dans la pierre à Rosslyn sont ceux qui ont
permis la reconstruction du Temple de Yaweh. Est-il nécessaire d’avoir une
meilleure preuve de ce que le comte William Sinclair était en train de faire ?

La voute souterraine
Un autre lien entre le Temple de Salomon, la franc-maçonnerie et Rosslyn est la
récente découverte, directement sous le Sceau de Salomon, d’une chambre
voûtée souterraine avec un long tunnel conduisant au château. Le 14e grade de
Rite Écossais Ancien et Accepté, qui est dénommé « Grand Élu, Parfait et
Sublime Maçon », décrit justement un passage souterrain reliant le Temple du roi
Salomon au palais de ce dernier à Jérusalem. Le rituel dit textuellement :

Le roi Salomon construisit une voûte secrète, près de laquelle se


trouvait huit autres voûtes, toutes souterraines, par lesquelles un
long tunnel conduisait au palais. La neuvième arche était
immédiatement sous le Saint des saints du Temple. C’est là que le
roi Salomon tenait ses réunions privées avec le roi Hiram de Tyr et
Hiram Abif.

Niven Sinclair, un homme d’affaires qui a consacré une large part de sa vie et de
sa fortune personnelle à l’étude de Rosslyn, dit à Chris Knight qu’en 1997
plusieurs hommes, dont lui-même, avaient creusé sous Rosslyn et trouvé une
chambre et l’énorme passage souterrain menant au château, plusieurs centaines
de mètres plus loin.
Les postions relatives et la topographie de la chapelle de Rosslyn et du
château sont aussi proches de celles du Temple de Salomon et du palais du roi à
Jérusalem. Les deux tunnels conduisent plus ou moins vers le sud et descendent
une vallée.
Nul ne sait si le Temple de Salomon, tel qu’il est décrit dans la Bible dans
toute sa magnificence, a réellement existé. Mais nous pouvons être sûrs que
William Sinclair le pensait et il connaissait manifestement son plan secret. Les
chances sont infimes pour que ce soit une simple coïncidence si les particularités
de Rosslyn – si outrageusement unique entre les « églises » – correspondent aux
descriptions détaillées que l’on trouve dans les rituels maçonniques. Si nous
mettons cela ensemble avec un certain de nombre de faits, nous avons sans doute
une probabilité » de 100 % d’un lien entre l’ancienne Jérusalem, Rosslyn et la
franc-maçonnerie.
Résumons les principaux points :

1. La seule inscription de Rosslyn est une phrase qui, selon une légende de
plus de 2 000 ans, est la clé de la reconstruction du temple.
2. Un grade maçonnique nomme ses membres « Chevaliers de l’Ordre de la
Croix rouge » (c’est-à-dire les Templiers), et se décrit lui-même comme
voué à la reconstruction du Temple de Jérusalem, et cite la phrase même
qui apparaît à Rosslyn.
3. Les mots utilisés dans un important rituel maçonnique fournissent la clé
des représentations symboliques de Rosslyn, par exemple :

— « Le Temple de Jérusalem »
— « La clé du trésor »
— « Un endroit où une chose précieuse est cachée »
— « Rien ne manque sauf la clé »
— « Si tu peux comprendre ces choses, tu en sais assez ».

4. Le rituel maçonnique décrit aussi une particularité secrète du Temple de


Salomon. Il y avait une chambre secrète sous le Saint des Saints et elle
était reliée au palais du roi. Rosslyn présente exactement la même
communication avec le château.
5. Rosslyn est la seule chapelle médiévale connue pour posséder une
chambre souterraine reliée par un grand tunnel à un château tout proche.
6. Le mur ouest de Rosslyn est manifestement une absurdité et les fondations
de la collégiale sont factices ; mais l’aspect et le plan du mur ouest est
clairement er délibérément une copie du Temple d’Hérode.
7. Rosslyn est en effet un canulard. – ce n’est pas et cela n’a jamais été une
église. Mais tant de gens le croient encore contre une marée de preuves et
d’opinions savantes qui disent le contraire.
Mais il y a encore une chose plus incroyable à révéler sur ce bâtiment.

Le puits de lumière
Une autre découverte récente, également due à Alan Butler et John Ritchie,
confirme l’importance de Rosslyn quant à son implantation géographique et aux
connaissances astronomiques de ses concepteurs. Grâce aux informations
fournies par l’un des cousins de John, qui est également l’un des responsables de
la « chapelle », l’attention de John et Alan fut attirée par une curieuse pièce de
‘décoration’ que l’on peut voir à l’extérieur du bâtiment, au-dessus de la grande
fenêtre de l’est. En l’examinant de plus près il apparut que c’était une découverte
majeure, car ce n’était pas un simple élément d’ornementation mais un puits de
conception sophistiquée, délibérément créé pour permettre à la lumière de tout
objet brillant à l’horizon de passer à travers pour pénétrer dans l’édifice.

Figure 13. Vue extérieure du puits de lumière de Rosslyn – cliché dû à


l’obligeance de John Ritchie.
Ce puits de lumière est de forme pentagonale mais il est inscrit dans une
pyramide. Il est bordé par un matériau très réfléchissant tellement efficace que
quand une lampe est illuminée à l’intérieur, l’effet est presque aveuglant. Il est
également clair qu’à la partie interne du puits il y a une sorte de filtre rouge car
lorsque la lumière vient de l’extérieur, elle apparaît rougeâtre à l’intérieur.
Étant au centre même du bâtiment, le puits de lumière s’ouvre sur l’horizon.
Par exemple, quand le soleil pointe exactement à l’est au moment de l’équinoxe
du printemps ou de l’automne, dès qu’il éclaire l’horizon une lumière intense
passe dans le puits vers l’intérieur. C’est possible uniquement parce que
l’orientation de Rosslyn est strictement est-ouest.
Mais il n’y a pas que le soleil qui se lève plein est aux équinoxes, car les
planètes Mercure et Vénus font de même. La figure 14 est une carte éditée par
un planétarium informatique. Il montre l’horizon est, vu de Rosslyn, comme il
devrait apparaître vers l’aurore du 21 septembre 1456.

Figure 14. Schéma astronomique montrant la Sainte Shekinah qui se


produisit le 21 septembre 1456 (le jour de la Saint Matthieu).

La ligne courbe au bas de la figure représente l’horizon et la lettre « E »


signale l’est. Mercure et Vénus se tiennent côte à côte et leurs lumières
combinées devaient tendre à se confondre à l’œil nu. Naturellement, la chapelle
fut seulement commencée ce jour-là, mais une fois que le puits de lumière a été
achevé, il a pu capter cet événement et en renvoyer la lumière dans toute
l’étendue de Rosslyn.
Vénus serait elle-même assez brillante pour illuminer l’intérieur à travers le
puits de lumière, car il est réfléchissant et transmet efficacement la lumière qu’il
reçoit. Cependant, cela n’est possible que lorsque Vénus est suffisamment
proche comme étoile du matin pendant les équinoxes. Quand elle est éloignée du
soleil, elle se lève au nord est alors que le soleil va vers le sud quand il est
apparu. Ce qui est au-delà du champ du puits de lumière.
En de rares occasions seulement, comme aux équinoxes, Vénus peut parfois
projeter sa lumière dans le puits, mais au XVe siècle il fallait le talent d’un
astronome extrêmement compétent pour déterminer quand cela pouvait se
produire. Par exemple, le soleil a illuminé le puits de lumière le jour de la Saint
Matthieu, en 2007, et bien que Vénus ait été à cette époque une brillante étoile
du matin, elle n’est apparue elle-même dans le puits de lumière que 48 heures
plus tard, le 8 novembre à 3 heures du matin. Elle y réapparaîtra exactement huit
ans plus tard, le 8 novembre 2015, et de même tous les huit ans dans l’avenir.
Avec un peu de patience, on pourrait construire le modèle des apparitions de
Vénus dans le puits de lumière au cours du temps, et une fois le relevé accompli
on pourrait le consulter en cas de besoin. La vraie Shekinah, c’est-à-dire la
conjonction Mercure-Vénus juste avant l’aube se révélerait un événement rare
dans le puits de lumière.
Ce qui est particulièrement intéressant est le fait que l’ouvrage de pierre de
cette fenêtre ne date que du milieu du XVIIIe siècle. Dès lors que ce nouveau
travail reproduisait la structure originale du puits de lumière, cela suggère qu’il y
avait encore des gens au tournant du XIXe siècle pour connaître l’importance de
ce puits de lumière. C’est le premier indice que les Familles de l’Étoile ont pu
survivre jusqu’à une époque relativement récente – et sont encore probablement
actives de nos jours.
Le comte William Sinclair et Sir Gilbert Haye ont dû être conscient des
anomalies du calendrier de leur temps. À l’époque romaine antique, Jules César
avait introduit un nouveau calendrier de manière que l’année civile et l’année
religieuse puissent coïncider. Le calendrier julien, comme on l’appelle,
comportait une année de 365 jours et un jour additionnel tous les quatre ans pour
compenser le fait que l’année solaire est exactement de 365 jours ¼. Cependant,
bien que ce fut une grande amélioration, elle n’était pas encore suffisante car
l’année solaire est en fait légèrement inférieure à 365,25 jours. Par conséquent,
le soleil prit du retard sur le calendrier d’environ un jour tous les 128 ans. Vers
l’époque de la construction de Rosslyn, le décalage était d’environ 9 jours.
Lorsque Rosslyn fut commencée, le jour de la Saint Matthieu et l’équinoxe ne
correspondaient pas comme ils l’auraient dû. Il y avait déjà des propositions de
changement du calendrier au XVe siècle, et Rosslyn fut bâtie en sachant qu’il
serait effectué tout ou tard. Le nouveau calendrier grégorien, décrété par le pape
Grégoire XIII en 1582, rectifia le décalage et fut en vigueur immédiatement dans
les pays catholiques mais ne fut admis que progressivement dans les autres pays,
et l’Écosse protestante ne l’adopta pas avant 1752, de sorte que la Saint-
Matthieu et l’équinoxe ne coïncidèrent pas à Rosslyn jusqu’à cette époque.
Rosslyn est une des merveilles de l’architecture britannique et peut-être de
toute l’Europe, et elle est unique car rien ne lui ressemble ailleurs au monde. La
seule conclusion logique à tirer de toutes les données disponibles est que c’est un
monument dédié aux croyances des Familles de l’Étoile qui ont recréé, dans une
belle vallée écossaise, un copie aussi fidèle qu’elles l’ont pu d’un monument
fondamental dans leur foi – le Temple de Jérusalem. La prétendue « chapelle »
était un fanal pour tous ceux qui « savaient » mais il aurait pu précipiter la ruine
des Sinclair et des documents secrets si l’Église catholique avait appris sa
véritable signification et son vrai but. C’est pourquoi il était essentiel que les
secrets de Rosslyn ne soient pas divulgués.
Rosslyn était considérée comme le Temple de la Nouvelle Jérusalem, fait pour
protéger les documents retrouvés sous les ruines du Temple de Hérode par les
Templiers. Il était important pour William Sinclair que les « clés » intellectuelles
puissent être transmises au fil des générations, de façon authentique et fidèle par
des gens qui ne pourraient pas eux-mêmes les déchiffrer.
À cette fin, Sinclair ajouta de nouveaux rituels à ceux déjà en usage dans les
Familles de l’Étoile et chez les Templiers. Il les associa à la puissante métaphore
du métier de la pierre que renfermaiant les guildes de maçons opératifs auxquels
les Templiers avaient donné leurs règles. Nombre de générations plus tard, un
autre William Sinclair devait être le premier Grand Maître des francs-maçons
d’Écosse – un titre qui devint héréditaire.
Les secrets du Temple de la Nouvelle Jérusalem étaient saufs et attendaient
d’être redécouverts dans l’avenir. Les Familles de l’Étoile qui étaient devenues
les Saint Clair d’Écosse avaient bien choisi leur nom : « St Clair de Rosslyn »
signifie en gaëlique « connaissance ancienne transmise depuis des
générations ».8 Naturellement, St Clair était aussi inspiré d’un nom français de
souche latine mais sa double association avec sa forme gaëlique est spécialement
intéressante dans le contexte écossais.9
Le comte William Sinclair était un homme de génie. Rosslyn était le
« hardware » et la franc-maçonnerie devait être le « soft ware ». Il suffisait de les
combiner et de déclencher le programme.

a. Dans les pays anglo-saxons du moins [ndt].


b. Nous traduisons ainsi Journeyman (litt. « homme de voyage, tâcheron ») car il s’agissait à l’époque du
statut le plus fréquent des Compagnons du Métier (Fellowcraft ) dans l’Écosse du XVe ou du XVIe siècle
[ndt].
c. Nous traduisons ainsi l’expression maçonnique anglaise tracing board (qui se dit aussi lodge board) dont
la traduction littérale serait « planche à tracer » si, malheureusement, ce terme ne désignait tout autre chose
dans la pratique maçonnique française (le « bijou » du grade de Maître). En France on dit aussi « tapis de
loge » pour désigner ces compositions graphiques propres à chaque grade [ndt].
d. De l’anglais hoax, par référence probable au livre de Robert Cooper, The Rosslyn Hoax, 2006, qui
s’oppose aux thèses des auteurs. [ndt]
CHAPITRE IX

LE GRAND SECRET

Réaliser Rosslyn en quelques années mobilisa une force de travail immense. Ses
magnifiques séries d’arcs gothiques et les stupéfiantes sculptures qui ornent ses
murs, en dehors à et l’intérieur, ont exigé le recours à des artisans d’élite – un
groupe de vrais experts que l’on ne pouvait certainement pas trouver à
proximité. La plupart de ceux qui ont bâti et décoré Rosslyn ont certainement dû
être recrutés depuis l’Europe et les archives de l’époque montrent que William
Sinclair ne créait pas seulement des maisons pour ses artisans dans le nouveau
village de Roslin mais qu’il leur offrait aussi des gages importants.
La raison pour laquelle William en fit tant pour eux n’était pourtant pas
seulement leur talent – c’est aussi parce que ces hommes pratiquaient des rituels
que leur avaient donnés les Templiers, depuis longtemps disparus. N’importe
quels maçons auraient permis que la construction soit achevée, mais pas
forcément que les secrets qu’on y avait introduits ne soient pas immédiatement
divulgués.
Bien avant que les maçons n’arrivent, un groupe d’ouvriers opératifs
appartenant aux Familles de l’Étoile avaient creusé profondément sous le sol du
nouveau Temple. L’épisode dramatique des malles de documents sauvés du feu
dans le château de Rosslyn en 1447 montre que les documents esséniens
n’étaient pas à l’abri à cette époque. Mais neuf ans plus tard, en 1456, le site
était prêt pour poser les fondations. Il se peut ou non que ce soit une coïncidence
si la procédure de mise en sécurité des documents prit neuf ans exactement, le
temps que les Templiers avaient pris pour les extraire des ruines du Temple de
Jérusalem, plus de trois siècles auparavant.
Avant même que Chris Knight ait présenté la thèse qu’il y avait des
documents esséniens sous Rosslyn1, presque tout le monde avait envisagé qu’ils
puissent se trouver dans une voûte souterraine, creusée dans le roc, derrière une
porte blindée à laquelle on accèderait par un escalier secret. Rien ne pouvait être
plus loin de la vérité.
Le chef-d’œuvre de William Sinclair est construit sur plus de 40 m de sable.2
L’intention pouvait être de replacer chaque document à un endroit correspondant
à celui où il se trouvait dans le Temple de Jérusalem en ruines. Les Templiers
auraient gardé la trace de l’emplacement de chaque document retrouvé et
correspondant aux descriptions données dans le Rouleau de cuivre.

Le mystère de l’Île d’Oak


À ce point de notre récit, une digression est utile pour s’intéresser à une petite île
de la côté est du Canada, à Nova Scotie (qui signifie « Nouvelle Écosse »). L’île
d’Oak, d’un demi-kilomètre carré environ, se trouve juste à quelques kilomètres
d’Halifax (aujourd’hui un siège de région), qui partage son nom avec une ville
du Yorkshire déjà évoquée en référence à Jean-Baptiste. C’est aussi le premier
port au sud de la ville de Saint Jean – nommée ainsi d’après le Baptiste.
On soupçonne l’île d’Oak d’être le siège d’un trésor templier dont la flotte
avait quitté le port de La Rochelle la nuit précédant le jour où Philippe tendit son
piège à l’Ordre du Temple. Cette hypothèse ne paraît pas dénuée de fondement.
Le mystère de cette île a commencé avec des fouilles effectuées en 1795,
quand un jeune homme du nom de Daniel Mc Ginnis et deux de ses amis un
fragment de navire accroché à une branche à proximité d’une fosse dans le sol.
Ils creusèrent dans le sol à moins d’un mètre et découvrirent un plan régulier de
dalles apparemment sans utilité dans une île qui n’avait jamais été habitée. Ils
creusèrent plus encore et à 3 m environ ils tombèrent sur une plate-forme de
chêne et, en poursuivant, en découvrirent d’autres entre 5 et 10 m de profondeur.
Quelques années plus tard, une compagnie nommée Onslow Syndicate fut
constituée par un certain nombre d’hommes d’affaires pour continuer
l’exploration avec l’idée qu’ils auraient bien pu trouver par chance la cachette
d’un trésor pirate. Des planchers de chêne furent retrouvés jusqu’à 30 m, et les
fouilleurs dégagèrent alors une pierre gravée en code. Ils déduisirent de ce code
que le trésor était situé quelques dizaines de mètres plus bas. Cependant, le code
devait être faux et les conduisit dans un piège car l’excavation fut rapidement
remplie par de l’eau de mer, ce qui empêcha toute autre fouille pendant 200 ans.
Il apparut que toute une série de tunnels d’irrigation avaient été creusés de
deux côtés de l’île. À ce jour, seule une chaîne d’or, une paire de ciseaux et un
morceau de parchemin illisible ont été mis au jour malgré des millions de dollars
investis dans des fouilles – et la mort de cinq personnes.
Que les découvertes faites à Oak aient été ou non en rapport avec les
Templiers, elles portent la marque de méthodes semblables à celles qu’utilisaient
les Templiers eux-mêmes et peuvent donner une idée de ce que l’on pourrait
trouver sous la chapelle de Rosslyn. Comme dans l’île d’Oak, les secrets de
Rosslyn sont enfouis dans le sable – des pièges comparables peuvent attendre
ceux qui n’auraient pas compris les codes introduits dans le rituel maçonnique.
Le travail opéré secrètement pendant les neuf ans qui précédèrent 1456 était
compliqué et le tunnel relié au château de Rosslyn dut être un exploit technique.

La guilde secrète de Sinclair


Lorsqu’il en vint à ériger le corps de bâtiment principal de la « chapelle », le
comte Sinclair eut besoin d’artisans, de maçons et de tailleurs de pierre, ainsi
que d’artistes car à l’origine les sculptures des Rosslyn étaient rehaussées de
brillantes couleurs. Si les documents devaient être conservés à l’abri dans leur
nouveau lieu de dépôt souterrain, et si lui-même et sa famille voulaient éviter
d’avoir à s’opposer aux mêmes forces qui avaient entraîné la destruction des
Templiers, Sinclair devait trouver quelque moyen de se lier à ses ouvriers. Un
fois encore, il fit appel aux connaissances et aux ressources de Sir Gilbert Haye.
Gilbert avait écrit de nombreux livres et en avait traduit davantage encore.
C’était un expert en chevalerie, histoire royale, en philosophie et en science,
mais il avait aussi étudié une autre chose qui allait se révéler d’une importance
capitale – il s’était intéressé aux guildes de métier et avait beaucoup écrit à leur
sujet.
Le concept de guilde remonte si loin dans le temps que les historiens ont du
mal à dire quand elles firent leur apparition. À l’origine, il y avait différentes
sortes de guildes, certaines religieuses et d’autres sociales, ou encore créées pour
des raisons économiques dans un but mutualiste, mais toutes consistaient en des
groupes de personnes qui se rassemblaient en vue d’un but commun. Les guildes
marchandes se développèrent très tôt en Grande-Bretagne (au moins dès 1090
environ). Elles avaient en général une localisation bien précise, par exemple à
Bristol, Canterbury ou Londres, et leur intention première était de réserver
l’exercice d’un métier, dans ce lieu particulier, à ceux qui appartenaient à la
guilde.
Cela était convenable au regard de la loi et de l’ordre public car ces guildes
marchandes se gouvernaient elles-mêmes. Elles avaient autant d’intérêt pour les
aspects moraux et juridiques du métier que pour le profit à en retirer lui-même.
Tout membre d’une guilde de marchands acquittait une somme annuelle qui
servait à venir en aide aux familles des membres maladies ou décédés et à
l’éducation de leurs enfants. En agissant et négociant de concert, les guildes
marchandes pouvaient préserver leurs propres intérêts et garantir l’honnêteté de
leurs membres.
Les guildes de métier ressemblaient beaucoup aux guildes marchandes et
avaient sans doute la même ancienneté. L’une des premières et parmi les plus
importantes était celle des maçons, laquelle apparaît en Angleterre dès l’époque
du roi Athelstan (qui régna de 924 à 939).
Il était évidemment de l’intérêt de ceux qui pratiquaient ce métier de demeurer
aussi élitistes que possible. En établissant entre eux des liens étroits ils pouvaient
contrôler le métier et s’assurer son exercice exclusif pour préserver l’emploi
futur. Une guilde était à la fois un syndicat et une fédération professionnelle car
elle concernait tout le monde. Les jeunes hommes qui entraient dans un métier
particulier étaient habituellement les fils de ceux qui avaient pratiqué le même
travail avant eux. Ils étaient placés chez un maître qui non seulement devait leur
apprendre le métier mais était aussi responsable de leur bien-être moral et
spirituel.
Après un apprentissage contractuel dûment enregistré, le jeune homme
atteignait le statut de « journalier » ou de compagnon. Puis, après une période
déterminée, un examen par ses pairs et habituellement une cérémonie spécifique,
il devenait maître de son métier et pouvait s’installer à son compte.
Le métier de la pierre, plus que tous les autres, était marqué par la piété. Si ce
métier était généralement considéré au Moyen Âge comme un métier parmi les
autres, les familles qui avaient créé l’Ordre du Temple savaient que la réalité
était différente. Depuis l’âge de pierre, les astronomes – ceux qui comprenaient
l’ordre du ciel – avaient été des prêtres et ces saints hommes avaient enseigné
comment bâtir en pierre. Tous les édifices préhistoriques de pierre étaient faits
soit pour observer et mesurer le monde produit par les dieux, soit pour des
raisons liées au destin après la mort. Des ensembles comme ceux de Maes Howe
en Écosse, de Newgrange en Irlande, Bryn Celli Ddu au Pays de Galles, et
d’Avebury en Angleterre, étaient des stations astronomiques qui influençaient la
vie des gens.
Ces prêtres-astronomes-maçons étaient si avancés qu’il y a plus de 5 000 ans,
ils avaient créé une unité de mesure internationale précise, obtenue en observant
la rotation de la terre en relation avec Vénus. Alexander Thom, professeur
d’ingénierie à l’université d’Oxford, qui le premier identifia son existence,
l’appela « le yard mégalithique » et sa quarantième partie « le pouce
mégalithique ». Le yard mégalithique était si exactement déterminé qu’il était
précis à l’échelle de l’épaisseur d’un cheveu humain.
Ce qui est bien plus surprenant est le fait que les Familles de l’Étoile semblent
avoir eu connaissance de ce système de mesure de l’âge de pierre. La livre,
initialement introduite dans les foires de Champagne, est définie comme la
quantité de grains tenant dans un cube dont les côtés font 4 x 4 x 4 pouces
mégalithiques. Lorsqu’on le remplit d’eau, le même cube contient exactement
une pinte impériale !a
Dès le moment où ils avaient retrouvé les manuscrits perdus, en 1118, les
Templiers avaient entrepris de prendre le contrôle des guildes de maçons en leur
donnant d’anciens rituels d’initiation qui n’avaient plus été en usage depuis
l’époque du Christ. Lorsque Hérode avait commencé à financer la reconstruction
du Temple de Jérusalem en 19, seuls des prêtres-maçons avaient eu l’autorisation
de travailler à rebâtir le saint édifice. Pas moins de 10 000 d’entre eux furent
employés pendant les 90 ans que durèrent les travaux, et chacun avait dû se
soumettre à un rituel lui permettant de travailler selon son grade. À partir du XIIe
siècle, les maçons plus experts, dans toute l’Europe, avaient en commun ces
vieux rituels.
Cette nouvelle institution des Familles de l’Étoile fonctionnait plus ou moins
comme dans les temps anciens. Ceux qui rejoignaient les Cisterciens ou les
Templiers, à l’époque de leur première gloire, ne savaient rien de l’existence des
Familles de l’Étoile ni des croyances particulières qui se trouvaient au cœur de
leur vocation. Et il en fut ainsi, tout au long de leur vie, pour à peu près 90 % des
moines cisterciens et des chevaliers du Temple. Seul un petit nombre d’hommes
élus, intelligents, sortis du rang pour parvenir à de hautes postions, pouvaient
éventuellement découvrir les « secrets ultimes » de chacun de ces ordres. C’était
des hommes loyaux qui s’étaient montrés capables de garder des secrets moins
importants qui n’avaient en réalité aucune véritable importance. Les candidats
éventuels à l’initiation supérieure devaient être soigneusement encadrés, parfois
pendant des années, avant d’être admis à partager les choses importantes.
Les professionnels expérimentés qui furent appelés à Rosslyn avaient déjà été
initiés aux rituels d’origine templière et avaient l’habitude de garder des secrets,
de sorte que Sinclair et Haye pouvaient être sûrs que ceux de Rosslyn ne seraient
jamais divulgués. Mais le comte ajouta toute une série de cérémonies nouvelles
aux rituels des maçons – des serments et des règlements qui firent d’une
association de métier une fraternité encore plus secrète. C’est dans cette
fraternité que plongent les racines de ce qui allait devenir la franc-maçonnerie.
Rituels et grades maçonniques
Le premier grade de la franc-maçonnerie d’aujourd’hui remonte sans doute à
l’époque de l’Ancien Testament, tandis que le grade de maître, le troisième
grade, a plusieurs milliers d’années d’existence et ses éléments clés, relatifs à la
résurrection sous la lumière de Vénus, sont certainement d’origine pré-
cananéenne. Parmi les différents grades qui furent créés figure le Saint Arc
Royal, de la plus haute importance. Comme on l’a déjà dit ce grade concerne la
reconstruction du Saint Temple et décrit les fouilles effectués sur le site du
Temple en ruines, conduisant à la découverte de documents qui contenaient
d’importantes connaissances secrètes.
Comme nous l’avons mentionné, ce grade comporte des « clés » figuratives
qui amorcent le processus nécessaire à l’élucidation des secrets de Rosslyn. On y
rapporte aussi comment le Temple de Salomon fut construit pour permettre à la
lumière de la Shekinah d’y pénétrer – des secrets peut-être trouvés dans les
manuscrits esséniens :

Betsaléel fut l’artisan inspiré du Saint Tabernacle qu’il construisit


pour abriter l’Arche d’Alliance et permettre à la lumière de la
Divine Shekinah de resplendir sur elle. Son plan devint ensuite le
modèle du Temple du roi Salomon et suit celui qui fut donné par
Dieu sur le Mont Horeb à Moïse, lequel fut plus tard le Grand
Maître de la Loge d’Israël […]
Cette faveur fut indiquée aux Frères par l’apparition à l’Orient de la
Divine Shekinah qui représente la Gloire de Dieu sur le Mont Sinaï
lors de la révélation de la Loi sacrée.

Plus loin, dans le même rituel, on mentionne le fait que l’illumination de la


Shekinah n’est pas nécessairement un événement régulier ou prédictible. Le
rituel avertit que Dieu peut retirer ce signe de sa faveur, s’il le veut :

Lors de la consécration du Saint Tabernacle, et plus tard lors de la


dédicace du Temple du Seigneur par le roi Salomon, la Divine
Shekinah descendit de sorte que sa lumière vint sur l’Arche, ou
Trône de Grâce, qui se tenait dans la Saint des Saints, couverte par
les ailes des Chérubins, où elle apparut pendant plusieurs
générations, jusqu’à ce que les Israélites se montrent infidèles au
Très Haut. De même, la lumière de la Maçonnerie peut être retirée à
quiconque se montre infidèle envers son Dieu !

Par mesure de protection supplémentaire, les initiés de la fraternité du comte


Sinclair eurent à prêter des serments rigoureux. Jusqu’à une époque récente, les
francs-maçons devaient répéter les mêmes serments qui avaient été créés pour
Rosslyn – avec de terribles menaces de châtiments sur diverses parties de leurs
corps, ouvertes ou coupées s’ils révélaient les secrets.b Bien entendu, les francs-
maçons contemporains comprennent qu’il ne s’agit que d’un rituel – une menace
symbolique – mais il n’en était pas de même au XVe siècle. Dans ces temps
violents, des hommes puissants comme le comte Sinclair ne représentaient pas
seulement loi, ils étaient la loi.
Les rituels, les usages et les symboles de la fraternité de Rosslyn ne devaient
pas être très différents de ceux des formes les plus anciennes de la franc-
maçonnerie. Selon les pratiques habituelles des guildes, les initiés – c’est-à-dire,
dans le cas présent, sans doute tous ceux qui étaient impliqués dans le projet de
construction de Rosslyn – furent reçus comme apprentis, puis parvinrent au rang
de compagnons et enfin de maîtres.
Il s’impose à l’esprit que tous furent reçus car certains des plus grands secrets,
comme par exemple le lieu de la crypte souterraine, ne pouvaient qu’être connus
du plus simple et du moins instruit des ouvriers. Le but du comte était
néanmoins de créer un « club » privé dont tous seraient membres à un degré ou
un autre.
À de nombreux égards, Rosslyn peut être considérée comme la première loge
maçonnique, car elle comprenait des « non-opératifs » dans ses rituels – des
membres qui, à l’instar des francs-maçons d’aujourd’hui, n’étaient pas au sens
propre des artisans de la pierre. Et parmi eux, les moindres n’étaient pas le comte
William et Sir Gilbert Haye.
Quand Rosslyn fut achevée et les manuscrits à l’abri dans leur nouveau
« Temple de Jérusalem », la deuxième et la troisième génération d’ouvriers
partirent pour trouver ailleurs du travail. Et ils emportèrent leurs rituels avec eux.
Comme les francs-maçons contemporains, ils pouvaient se fier à des signes et
des symboles – poignées de mains, phrases et gestes spécifiques – pour que
chacun puisse reconnaître immédiatement un autre membre.
L’appartenance à cette première loge maçonnique comportait de réels
avantages. Si un frère était blessé ou tombait malade, sa famille pouvait être
aidée et ses enfants élevés et formés au métier de la maçonnerie. Rien que cela
pouvait constituer un indéniable attrait en un temps ou aucune sécurité n’existait
vraiment. Les membres étaient bien logés et s’inséraient dans une communauté
soudée – renforçant ainsi les liens de secret qui entouraient la mystérieuse
structure de Rosslyn. Ainsi la tradition se constitua et fut maintenue pendant tout
le temps que dura la construction.
Il est bien possible que ce soit là tout ce que la franc-maçonnerie avait pour
ambition d’être à l’origine, simplement un moyen de garantir la confidentialité
grâce à la création d’une fraternité d’aide mutuelle, plus ou moins secrète,
soutenue par l’un des hommes les plus riches d’Écosse. C’est seulement avec le
temps, les circonstances se modifiant, que la situation changea. Les Familles de
l’Étoile devaient faire face à une nouvelle menace et, paradoxalement, ils en
étaient en partie responsables. Peu après l’achèvement de Rosslyn, le cours des
événements, dans la chrétienté, prit un tour entièrement inattendu. Ce qui allait
se produire devait tout changer – et donner naissance à la franc-maçonnerie au
sens propre.
C’est à cette époque, en 1482, que mourut le comte William Sinclair, et son
successeur comme seigneur de Rosslyn fut Oliver, le fils d’un deuxième
mariage. Son autre titre principal, comte de Caithness, échut à William, un autre
de ses fils. À la mort du vieux comte, Rosslyn n’était pas achevée.
Des récits de cette époque montrent que la chapelle de Rosslyn fut utilisée par
les Sinclair et par les habitants du village de Roslin pendant toute la première
moitié du XVIe siècle. On pense que la famille Sinclair faisait célébrer ses propres
services non dans le bâtiment principal mais plutôt dans la crypte. On y accède
par un petit escalier escarpé descendant à droite (au sud) du Pilier de l’Apprenti.
La crypte possède son propre autel et nous pouvons seulement supposer la nature
des offices qui s’y tenaient dans les décennies qui suivirent l’achèvement de ce
nouveau Temple de Jérusalem.
De façon inhabituelle pour une prétendue église, Rosslyn possédait des volets
qui pouvaient se refermer sur les fenêtres basses du bâtiment. On a dit que c’était
parce que les fenêtres en question n’avaient jamais reçu de vitres, mais ce n’est
pas le cas. D’anciennes photographies des années 1840 montrent l’édifice dans
un mauvais état général avec quelques fenêtres cassées, mais les fenêtres basses
étaient clairement vitrées. Il est vrai, cependant, qu’on ne peut pas savoir quand
ces vitres avaient été posées.
Comme nous l’avons déjà dit, il y a des époques où la lumière de la planète
Vénus a dû pénétrer dans le puits de lumière au-dessus de la fenêtre de l’est, aux
premières heures du jour. Si des cérémonies de nature maçonnique avaient eu
lieu au XVe et au début du XVIe siècle, les volets auraient été nécessaires pour
s’opposer au regard de ceux qui n’avaient pas à y prendre part. En fait, occulter
toutes les fenêtres sauf celle du puits de lumière ne pouvait qu’amplifier l’effet
de la lumière de Vénus à l’intérieur.

Des divisions dans la chrétienté


Alors que Rosslyn allait être achevée, de lourds nuages s’accumulaient sur
l’Europe catholique. Avec la mort du pape humaniste Pie II (Enea Silvio
Piccolomini) en 1464, le libéralisme et l’humanisme des 30 années précédentes
furent brutalement rejetés. Les humanistes, sans doute soutenus par les Familles
de l’Étoile, durent reculer. Une tentative eut lieu contre la vie du pape
réactionnaire Paul II, mais le complot échoua. Les papes qui se succédèrent
devinrent de plus en plus conservateurs et agressifs à l’égard des forces
humanistes que représentaient les Familles de l’Étoile.
Le pape Innocent VIII (1484-1492) renforça l’Inquisition, banalisa l’envoi au
bûcher des magiciens et des sorcières, et encouragea une croisade contre la secte
pacifique et inoffensive des Vaudois. Son successeur, Alexandre VI (1492-1503)
– dont le vrai nom était Rodrigo Borgia – complota et tua pour parvenir à la
papauté.
Après Alexandre VI, les choses allèrent de mal en pis. Dépensant des sommes
énormes en œuvres d’art et pour leur luxe personnel, les papes successifs en
vinrent à court d’argent. La vente des indulgences, introduite au XIVe siècle, fut
peu à peu développée au tournant du XVIe siècle par le pape Jules II afin de
financer la reconstruction de la basilique Saint-Pierre et en faire la plus belle
église de toute la chrétienté. Une indulgence était littéralement un billet d’entrée
au ciel. Tout catholique pouvait, contre une certaine somme d’argent, acheter son
salut ou même celui de ses proches, et échapper aux punitions du Purgatoire.
L’abus s’en répandit et les riches comme les pauvres faisaient l’objet d’un
chantage, menacés de l’Enfer par des vendeurs d’indulgences peu scrupuleux.
Avec le commerce lucratif des lieux saints et le marché des reliques – ou
supposées telles –, quantité d’abus de toutes sortes au nom du Christ firent du
mot « papauté » le synonyme de corruption et de vice.
La réaction était inévitable et elle fut initiée par Martin Luther (1483-1546),
un moine augustin allemand, brillant enseignant et théologien, qui était né au
moment ou la fin du travail intervint à Rosslyn. Prêchant de nombreux sermons
contre les indulgences, en 1517, Luther fit une liste de 95 « thèses » en latin sur
cette question, appelant à un débat public sur le sujet. Il voulait préciser ce que
les indulgences pouvaient et ne pouvaient pas obtenir, tout en ne contestant pas
expressément le pouvoir de ce dernier d’en promulguer. À ce moment-là,
l’intention de Luther n’était pas de rompre avec son Église mère, mais seulement
de susciter une discussion urgente en vue d’une réforme.
Après avoir affiché ses fameuses thèses sur la porte de l’église du château de
Wittensberg le 31 octobre 1517, Luther en envoya une copie à son supérieur,
l’archevêque Albert de Brandebourg, avec une lettre exprimant sa préoccupation
à propos du trafic des indulgences dans son archidiocèse. Alors que Luther
n’avait pas directement défié l’autorité du pape, l’archevêque expédia aussitôt la
lettre à Rome en suggérant que Luther attaquait implicitement le pape.
Une génération ou deux plus tôt, cela serait resté une affaire locale de l’Église
allemande. Mais l’invention alors récente de l’imprimerie fit que les les thèses
de Luther, produites en quantité, furent diffusées dans toute l’Allemagne en
moins de deux semaines. Deux mois plus tard, le nom de Luther était connu dans
toute l’Europe catholique.
Dans un premier temps, Rome ne prit pas au sérieux Luther, « un allemand
pris de boisson qui changera d’avis en redevenant sobre ». Le pape Léon X
ordonna l’examen des arguments de Luther, lequel conclut que Luther défiait
vraiment l’autorité papale. Rome le déclara hérétique.
Mais Luther ne modifia pas son point de vue, bien loin de là. Le soutien
croissant des Allemands et l’hostilité de Rome le rendirent encore plus
déterminé. Ses positions se radicalisèrent et il en vint à dénoncer l’Église
catholique tout entière, de haut en bas, comme matérialiste, corrompue,
dépourvue d’autorité légitime, et comme l’antithèse de l’Église fondée par le
Christ (ou plutôt par saint Paul). La Réforme était enclenchée et cela changea la
face politique et religieuse de toute l’Europe.
Les uns après les autres, en commençant par l’Allemagne, les gouvernants de
l’Europe du Nord suivirent Luther dans son rejet de l’autorité du pape, ce qui
leur permit opportunément de saisir les biens de l’Église et des monastères.
L’avenir s’assombrissait pour nombre de vieilles institutions catholiques, parmi
lesquelles les abbayes. Les terres et les bâtiments furent confisqués et les moines
rendus à la vie laïque avec une faible pension pour vivre comme ils le purent.
Une des vitimes de cette division du monde chrétien fut l’énigmatique Ordre des
Tironiens, celui des moines-maçons (voir Chapitre 6), qui disparut de l’histoire.
La Réforme suscita d’énormes problèmes aux Familles de l’Étoile à leurs
affiliés. À leurs yeux, la foi protestante était pire que ce qui avait existé jusque-
là. Elles avaient consacré des siècles à infiltrer l’Église de Rome et les croyances
ébionites de l’Église de Jérusalem et des Familles de l’Étoile avaient subsisté au
sein de l’Église catholique pendant longtemps, cachées sous l’apparat, le décor
et les symboles du catholicisme. En comparaison, le protestantisme était austère,
intransigeant et très attaché à l’Église de Paul que les Familles de l’Étoile
détestaient tant. L’ébionisme avait survécu, invisible, au sein du catholicisme,
comme le gui dans un pommier, mais les banches du protestantisme, à l’image
des intérieurs nus et désolés de ses églises, n’offraient aucun abri.
Le protestantisme, dans sa forme calviniste, devint finalement la religion
nationale de l’Écosse en 1560, quand le Parlement rejeta la doctrine, le culte et
l’autorité de l’Église de Rome. Vu de l’extérieur, tout se passa comme si les
Sinclair de Rosslyn demeuraient obstinément fidèles à la vieille Église, même au
prix de perdre leur influence, leur prestige, et peut-être de risquer leur vie. La
réalité était très différente. Comme beaucoup de membres éminents des Familles
de l’Étoile, ils étaient pris entre le marteau et l’enclume. Les Ébionites pouvaient
difficilement quitter l’ombrage d’une Église où ils avaient pu se creuser une
niche, pour en rejoindre une autre encore moins à leur goût sur le plan doctrinal
et qui ne possédait aucune zone discrète pouvant leur offrir une protection.
Pendant les longues années que durèrent les guerres de Religion, les Familles
de l’Étoile en Écosse baissèrent la tête et s’efforcèrent de survivre. Pendant le
règne de la très catholique Mary, reine d’Écosse (1561-1568), une foule
protestante hostile venue d’Édimbourg détruisit Rosslyn. Ces gens retirèrent
toutes les statues de leurs niches et les répandirent autour de l’édifice puis les
réduisirent en pièces. Ils auraient sans doute accompli encore plus de ravages
sans la présence d’esprit d’un nommé Cochran qui détourna vers les caves de vin
du château de Rosslyn la foule qui s’empara des bouteilles avant l’arrivée des
soldats.
Presque par miracle, la plupart des sculptures de Rosslyn furent sauvées, bien
que certaines portent les marques des vents implacables du nord qui soufflèrent à
l’intérieur lorsque les volets furent tombés et toutes les fenêtres cassées.

Une nouvelle marche en avant


Le résultat des guerres de Religion du XVIe siècle fut un compromis entre
quelques pays soutenant le protestantisme et d’autres, comme la France et
l’Espagne, demeurant attachés à l’Église catholique. Lorsque le calme revint, les
Familles de l’Étoile durent trouver une nouvelle voie. Leur désir de construire la
Nouvelle Jérusalem et d’établir le Royaume de Dieu sur la guerre était intact
mais il était désormais clair qu’aucune des branches du christianisme en Europe
ne pouvait servir leurs plans.
Bien sûr, de nombreuses Familles de l’Étoile durent témoigner d’une
allégeance publique au protestantisme ou à l’Église catholique, selon l’endroit
où elles vivaient, car seul le christianisme, quel qu’il fût, était toléré. Mais en
même temps, nombre d’entre elles devinrent aussi les soutiens de groupes plus
ou moins secrets, comme les Rosicruciens, une forme particulière de mystique
pseudo-chrétienne qui convenait mieux aux croyances des Familles de l’Étoile et
à leurs idéaux. Elles épousèrent aussi l’idée nouvelle du déisme – qui admettait
l’existence de Dieu sans essayer de l’étiqueter, et elles encourageaient les forces
grandissantes de l’humanisme comme elles l’avaient déjà fait au XVe siècle.
En Écosse, la force du calvinisme était si grande et si intolérante qu’aucune
autre croyance n’était admise. Le seul moyen d’exprimer leurs idéaux, pour les
Familles de l’Étoile, était de le faire dans le plus grand secret, à travers une
société secrète. Et bien entendu, les Familles de l’Étoile disposaient déjà d’une
telle société. Ils l’avaient créée pour une raison bien particulière mais elle avait
perduré après Rosslyn et s’était répandue. Dans un nouveau climat religieux,
cette société secrète pourrait devenir une organisation leur permettant de célébrer
Dieu selon la manière qu’ils préféraient. La véritable franc-maçonnerie était sur
le point de naître.

Les statuts Schaw


La première preuve documentaire de l’existence de la franc-maçonnerie, sans
lien direct avec le métier de maçon tailleur de pierre, vient d’Écosse et remonte
aux années 1598 et 1599. Auparavant il y a des mentions de francs-maçons, mais
on ne sait pas vraiment s’ils sont liés ou non à la maçonnerie opérative, c’est-à-
dire à ceux qui étaient réellement employés dans les métiers du bâtiment. C’est
avec les Statuts Schaw que la véritable franc-maçonnerie moderne vint au jour.
Le personnage central de cette époque était le roi Jacques VI d’Écosse (plus
tard Jacques Ier d’Angleterre) qui était, selon toute probabilité, issu des Familles
de l’Étoile venues avec la coalition normande. Il descendait d’une dynastie
d’origine normande, les influentes familles Stewart (Stuart) et Bruce. Le plus
ancien membre connu de la famille Stewart était Flaald le Sénéchal, un noble
breton du XIe siècle, d’ascendance normande, tandis que la famille Bruce
provenait de Robert de Brus, un chevalier normand arrivé en Angleterre avec
Guillaume le Conquérant et auquel on avait donné les terres du Yorkshire.
Le roi Jacques VI nomma William Schaw au poste de Maître des Ouvrages du
Roi en 1584. Quatorze ans plus tard, Schaw publia un document, des statuts qui
établissaient les règles selon lesquelles les francs-maçons devaient agir. Il est
probable que, pour l’essentiel, dans les premiers statuts, Schaw s’adressait aux
véritables tailleurs de pierre. Cependant, ses décisions ne firent pas plaisir à tout
le monde et au bout d’un an il dut convoquer une nouvelle réunion pour régler
quelques problèmes que les premiers statuts n’avaient pas traités. Il est peut-être
plus significatif de noter que les seconds Statuts Schaw furent donnés le 24 juin
– le jour de la Saint-Jean-Baptiste.
Précisément, les francs-maçons de Kilwinning étaient mécontents car les
statuts faisaient expressément mention des loges d’Édimbourg mais pas de
Kilwinning dont les membres affirmaient leur ancienneté par rapport à toutes les
autres loges. Schaw régla cette difficulté en publiant les seconds statuts en 1599.
Il y cite Kilwinning et reconnaît son ancienneté, affirmant que la loge était
« notoirement connue dans les vieux documents ».
Plus important est le fait que les termes des seconds Statuts Schaw semblent
signifier que la franc-maçonnerie est bien plus ancienne que toute autre guilde de
métier.
Les Familles de l’Étoile établies en Écosse savaient leur grande responsabilité,
celle de conserver les documents esséniens dans le nouveau temple de Rosslyn
(voir Chapitre 8). Les rituels que le comte William Sinclair avait rédigés pour
maintenir ces secrets de Rosslyn avaient été joints aux anciens rites transmis de
génération en génération depuis l’époque de Salomon. Désormais, ces rituels
devaient être pratiqués sur une base plus large pour rassembler tous les hommes,
catholiques ou protestants – ou même juifs.
Les archives de la loge de Scoon [sic] et Perth n°3, qui remontant à 1598,
montrant que Jacques VI avait été fait franc-maçon le 15 avril 1601. Peu après,
Jacques VI décida de devenir le Grand Maître d’Écosse. Cependant, on lui fit
respectueusement observer qu’il ne le pouvait, car c’était un titre héréditaire
détenu par les Sinclair de Rosslyn.
En 1603, on apprit à Édimbourg que la reine Elisabeth Ire d’Angleterre était
morte, et qu’elle avait nommé le roi d’Écosse comme son successeur. Jacques VI
se rendit aussitôt à Londres pour y devenir Jacques Ier de Grande-Bretagne – et
il emporta la franc-maçonnerie avec lui.

a. Soit environ un demi-litre [ndt].


b. Les auteurs réfèrent ici au fait qu’en 1986, la Grande Loge Unie d’Angleterre décida de retirer du texte
du serment maçonnique toute allusion à ces châtiments barbares. Dans d’autres pays, ils ont parfois été
maintenus – tout en n’ayant, cela va de soi, qu’une portée purement symbolique ! [ndt]
CHAPITRE X

TOUS FRÈRES

L’enthousiasme du roi Jaques Ier d’Angleterre pour la franc-maçonnerie dut


rapidement capter l’imagination des courtisans, au palais de Greenwich, près de
Londres, où le monarque passait le plus clair de son temps et où, à l’époque de la
Peste noire, il est réputé avoir initié ses sujets anglais au jeu écossais du golf.
Malgré l’absence d’archives de loge confirmant la présence de l’Ordre dans la
ville, d’autres sources indiquent qu’il devint certainement répandu parmi les
membres des différents métiers en dix ou vingt ans.
En Écosse, les archives qui subsistent montrent qu’un nombre croissant de
notables vinrent rejoindre les loges dès le début du XVIIe siècle1. Dans la loge de
St Andrews, à Fife, les membres utilisaient le jeu de golf comme couverture de
leurs activités. Ils conservaient des procès-verbaux maçonniques quand les
circonstances étaient favorables mais, lorsque les temps étaient périlleux pour
l’Ordre, ils ne gardaient que des comptes rendus relatifs à leur étrange jeu de
balle.
Il n’existe pratiquement aucune archive concernant les travaux des loges
anglaises dans la première moitié du XVIIe siècle, soit parce qu’elles ne furent
jamais tenues, soit parce qu’elles furent détruites pendant les troubles de la
rébellion jacobite de 1715. Cependant, la documentation disponible suggère
fortement que le même processus d’embourgeoisement se produisit dans la
maçonnerie anglaise, à mesure que des personnalités de premier plan y firent
leur entrée.

Le document Inigo Jones


Le grand architecte Christopher Wren fut Grand Maître de la franc-maçonnerie
pendant la deuxième moitié du XVIIe siècle. Mais il y eut un autre architecte,
également célèbre, qui fut membre de l’Ordre dès les premiers temps du règne
de Jacques Ier. Il s’appelait Inigo Jones.
Il était né en 1573 dans le quartier de Smithfield au centre de Londres, et
passa plusieurs années à étudier l’architecture en Italie avant d’être nommé
géomètre-expert du roi, un poste plus tard détenu par Christopher Wren. L’un
des bâtiments les plus connus de Jones est la Maison de la Reine, à Greenwich,
édifiée pour la femme du roi Jacques, Anne de Danemark. Le roi tenait sa cour à
Greenwich et c’était un lieu majeur pour la franc-maçonnerie à cette époque.
C’est là que le jeune architecte réalisa un document maçonnique connu sous le
nom de « Manuscrit Inigo Jones », en 1607. Ce document expose la nature de
l’ancienne maçonnerie :a

BONS FRÈRES et COMPAGNONS, Notre but est de vous


rapporter comment et de quel manière le Digne Métier de la
MAÇONNERIE commença ; Et après cela, comment il fut maintenu
et Encouragé par de Dignes ROIS et Princes, et par nombre d’autres
Dignes Personnes.
ET AUSSI à ceux qui se trouvent ici ; Nous les instruirons sur les
Devoirs qu’il appartient à tout FRANC-MAÇON de conserver ;
CAR, de bonne Foi, s’ils en tiennent bien compte, cela est digne,
CAR LA MAÇONNERIE est un Digne Métier et une SCIENCE
curieuse, l’un des arts LIBÉRAUX.
LES Noms des Sept arts libéraux sont :
I – La GRAMMAIRE, qui enseigne à l’Homme à Parler et écrire
correctement.
II – La RHÉTORIQUE, qui enseigne à l’Homme à bien Parler, et
dans des termes choisis.
III – la LOGIQUE, qui enseigne à l’Homme à discerner la vérité de
l’erreur.
IV – L’ARITHMÉTIQUE, qui enseigne à l’Homme à Évaluer et
Compter toutes sortes de Nombres.
V – La GÉOMÉTRIE, qui enseigne à l’Homme les Limites et les
Mesures du Monde et toutes sortes d’autres choses ; ce qui est la
SCIENCE nommée MAÇONNERIE.
VI – La MUSIQUE, qui donne à l’Homme le Talent de Chanter, lui
enseignant l’ART de la composition et de jouer de Divers
Instruments, comme L’ORGUE ou la HARPE, de façon
méthodique.
VII – L’ASTRONOMIE, qui enseigne l’Homme à connaître la
Course du Soleil, de la Lune et des Étoiles.

Le texte entreprend de raconter la transmission de cette science considérable


depuis l’époque du Déluge et décrit la construction du Temple de Salomon par
Hiram Abif. Il poursuit par l’histoire de la reconstruction du Temple de
Jérusalem par Zorobabel puis de nouveau par Hérode. Jones affirme également
que les maçons étaient venus de Jérusalem à Glastonbury en Angleterre, en l’an
43.
Patronné par le pouvoir royal et l’Église, Inigo Jones – dont l’Église St Paul, à
Covent Garden, fut la première église de style classique en Angleterre – se
trouvait au cœur de la société anglaise dès le début du règne de Jacques Ier
jusqu’à sa mort en 1652. Il ne fait aucun doute, par conséquent, que l’Ordre
prospéra à Londres pendant tout le XVIIe siècle.

Vers la Guerre civile


En 1652, lorsque Jones mourut, Olivier Cromwell avait temporairement
remplacé la monarchie par le Commonwealth d’Angleterre. C’était
l’aboutissement d’un certain nombre d’événements dont les conséquences
allaient affecter la franc-maçonnerie pendant au moins deux siècles.
Le roi Jacques Ier est largement connu pour avoir été l’une des personnes
parmi les plus intelligentes et les plus éduquées à s’être assises sur le trône
d’Angleterre. Il continua à protéger la science, la littérature et les arts, comme
l’avait déjà fait Elisabeth Ire et fut reconnu comme une grand érudit lui-même, à
travers des traités (anonymes) comme The True Law of Free Monarchies et peut-
être le premier ouvrage de propagande contre le tabagisme, A Counterblast to
Tobacco.b
Le travail le plus notable attribué au roi est incontestablement la nouvelle
traduction anglaise de la Bible qu’il commanda, connue ensuite sous le nom de
Authorized Version of King James’Bible.c Elle fut commencée en 1604 et la
première édition parut sept ans plus tard.
L’introduction de la Bible du roi Jacques exprime une hostilité, qui plaisait au
public, contre l’Église catholique. Un passage dit ainsi :

Si nous sommes calomniés par des papistes, ici ou ailleurs, qui nous
critiquerons parce que nous sommes de pauvres instruments visant à
faire mieux connaître aux hommes, et davantage, la sainte Vérité de
Dieu, alors qu’ils souhaitent les laisser dans l’ignorance et les
ténèbres […], nous resterons sereins, confortés par la vérité et
l’innocence d’une bonne conscience.

Ce rejet du catholicisme révèle une nouvelle perspective selon laquelle le


« peuple » a droit au « savoir », contrairement aux vues catholiques de cette
époque, fondées sur le maintien d’un contrôle de la foi en empêchant tout
enseignement hors de l’Église elle-même.
Jacques mourut le 27 mars 1625 et son fils devint Charles Ier. Presque aussitôt,
le nouveau roi se rendit impopulaire en se mariant avec une princesse française
de 16 ans, Henriette Marie, une catholique – suscitant la grande crainte que le roi
ne relève les catholiques des restrictions qui pesaient sur eux et ne sape les
fondements du protestantisme, officiellement établi. La prospérité dont
l’Angleterre avait bénéficié sous les longs et sages règnes d’Elisabeth et de
Jacques avait conduit à l’émergence d’une puissante classe moyenne. Elle se
composait à la fois des nouveaux propriétaires terriens et du secteur marchand en
pleine expansion, et nombre de ses membres furent de plus en plus mécontents
des attitudes et de la politique de Charles Ier, notamment parce qu’ils le
soupçonnaient de tendances absolutistes.
Comme son père, Charles croyait fermement au principe du « droit divin des
rois » ; en d’autres termes, les monarques étaient choisis par Dieu et ne
répondaient que devant lui. Bien que Charles Ier professât l’anglicanisme, ses
tendances « High Church » étaient peu goûtées par nombre de protestants
radicaux que l’on nommait les Puritains. À l’époque, la Chambre des Communes
était dominée par les marchands et les propriétaires puritains. Un conflit avec
l’intransigeant Charles ne pouvait que survenir.
Charles tenta de faire passer des mesures impopulaires et, lorsque le
Parlement résista, il résolut simplement de le dissoudre. Pendant un temps il
gouverna seul, rompant avec une longue pratique et essayant de lever des impôts
sans le consentement du Parlement. En 1642, la tension entre le roi et la
Parlement aboutit à une guerre civile.
La guerre s’acheva en 1646 avec la défaite de Charles mais les luttes
s’interrompirent jusqu’en 1648. Peu après que Charles Ier fut jugé pour trahison
et exécuté en janvier 1649. La monarchie fut abolie, le Commonwealth fut
proclamé en Angleterre par le chef des forces parlementaires, Olivier Cromwell.
Les premiers francs-maçons connus en Angleterre
C’est à partir de cette époque capitale que nous disposons des plus anciennes
archives, datées du 20 mai 1641, attestant de l’initiation d’un franc-maçon sur le
sol anglais. Ce jour-là Robert Moray fut admis dans l’Ordre pas ses amis
écossais à Newcastle au cours d’un affrontement en terre anglaise pour soutenir
le roi Charles (dont la politique impopulaire avait suscité une guerre en Écosse
avant même la Guerre civile en Angleterre).
Cet événement est considéré comme la première admission d’un franc-maçon
sur le sol anglais, mais étant donné que le franc-maçon Jacques Ier est arrivé à
Londres en 1603 et que le document Inigo Jones fit son apparition en 1607, il est
peu probable que Moray soit vraiment le premier franc-maçon à avoir été initié
en Angleterre. C’est, toutefois, la première occurrence dont une archive ait
survécu.
La première mention connue d’un Anglais fait franc-maçon remonte à la
Guerre civile. Elias Ashmole était le contrôleur du train dans l’armée du roi,
basé à Oxford, la capitale royaliste après la chute de Londres dans le camp
parlementaire. En 1646, après la reddition d’Oxford, Ashmole partit vers le nord
du pays, à Warrington, où il fut initié le 16 octobre comme en témoigne son
journal :

6 h 30 J’ai été fait franc-maçon à Warrington dans le Lancashire,


avec le colonel Henry Mainwaring de Karincham dans le Cheshire.

Les noms de ceux qui composaient cette loge étaient : Mr Richard Penket,
Surveillant, Mr James Collier, Mr Richard Sankey, Henry Littler, John Ellam,
Richard Ellam et Hugh Brewer.
Le lendemain, Ashmole partit pour Londres, le bastion du Parlement. C’était à
la fois un voyage pénible – en carrosse sur de mauvaises routes – mais aussi une
entreprise dangereuse car tous les officiers anciennement royalistes avaient été
bannis de Londres jusqu’à une distance de 20 miles. Pourtant, cette visite n’était
certainement pas clandestine car selon une source de 1650 : « Ashmole établit sa
demeure à Londres, nonobstant la loi du Parlement qui le lui interdisait. »2
Il ne faut aucun doute que le singulier voyage d’Ashmole, d’Oxford à Londres
en passant par la lointaine Warrington, était une part essentielle du plan. Il
apparaît que sa seule chance d’être admis dans la capitale parlementaire était de
devenir franc-maçon.
Beaucoup de gens ont imaginé que Cromwell avait pu être franc-maçon, mais
aucun document n’a pu le confirmer. Toutefois, il est certain que nombre de ses
officiers principaux étaient francs-maçons. Par exemple, Sir Thomas Fairfax,
commandant de « l’armée nouvelle » de Cromwell était franc-maçon et sa
famille résidait à Ilkley, dans le Yorkshire, qui possède toujours son temple
maçonnique datant de cette époque.
Ashmole, sans doute grâce à ses nouveaux contacts au sein de l’Ordre, put
entrer dans Londres et y séjourner. Quelques années après la guerre, le 17 juin
1652, il fut mention d’une réunion à « Blackfriers » avec « le Docteur Wilkins &
Mr Wren ». Ce Wren était l’astronome et l’architecte Christopher Wren qui
devait rebâtir les églises de Londres après le Grand Incendie de 1666. Wren allait
aussi devenir le Grand Maître de la franc-maçonnerie à Londres.
Mais à cette époque, Wren était un jeune professeur au Wadham College, à
Oxford, dont le Dr John Wilkins, également franc-maçon, était le principal.
Wilkins était aussi le beau-frère de Cromwell et il devint plus tard évêque de
Chester et membre fondateur – avec Robert Moray, celui qui était devenu franc-
maçon à Newcastle en 1641 – de la Royal Society.
Il y avait là quelques-une des personnalités les plus importantes de leur temps
et il apparaît que la franc-maçonnerie était leur commun dénominateur. Bien que
le journal d’Ashmole contienne la plus ancienne mention écrite de l’initiation
d’un Anglais dans la franc-maçonnerie, en 1646, il semble qu’il y ait eu à
Londres, comme dans d’autres villes telles que Warrington, une infrastructure
maçonnique depuis bien plus longtemps.
En 1660, la monarchie fut restaurée après la mort d’Olivier Cromwell en 1658
et le bref gouvernement de son fils Richard. Le nouveau roi, Charles II, revint de
son exil en Europe avec la promesse de tolérance religieuse et un pardon général
sauf pour ceux qui avaient signé la sentence de mort de son père.

Une nouvelle société maçonnique


En novembre de la même année, Sir Robert Moray convoqua un groupe de
savants influents et de penseurs pour une réunion au Gresham College de
Londres. Plusieurs de ces personnes étaient déjà francs-maçons et d’autres
allaient le devenir sous peu. Le roi avait besoin de conseillers et Moray
souhaitaient rassembler ce qu’il connaissait de meilleur – quelle qu’ait pu être
leur allégeance antérieure. Le résultat de cette réunion fut la création de la Royal
Society, la première véritable institution scientifique du monde.
Le noyau de la Royal Society, lequel se qualifiait lui-même de « Collège
Invisible », s’était déjà réuni de façon informelle au Gresham College depuis
1645. Certains commentateurs disent qu’il n’y a aucune preuve que tous les
membres de l’Invisible College étaient des francs-maçons, mais dès sa première
réunion, la Royal Society fut régie par des principes venus tout droit de la franc-
maçonnerie. Comme toute loge maçonnique, la Royal Society avait trois
Officiers principaux et décida dès l’origine de prohiber toute discussion politique
et religieuse. De plus, le système de vote utilisé par ses membres était identique
à celui de la franc-maçonnerie. Dans ces conditions il semble convenable de
suggérer qu’une large proportion des membres de la Royal Society était déjà
composée de francs-maçons lors de sa formation.
Ceux qui ont créé la Royal Society furent les mêmes à qui l’on confia la
responsabilité de rebâtir Londres après le Grand Incendie qui détruisit les deux-
tiers de la ville entre le 2 et le 3 septembre 1666. Il avait commencé dans la
boutique d’un boulanger et s’était répandu très vite, attisé par un vent fort.
Quelques Puritains y virent une sanction divine à l’égard de prodigalités de la
cour de Charles II, tandis que d’autres furent simplement anéantis de stupeur par
la destruction d’une cité aussi vaste et aussi prospère. Le cœur du commerce
anglais avait disparu, et la plupart de ses églises.
Eux-mêmes bouleversés par la perte des biens qu’ils possédaient dans la ville,
les membres de la Royal Society y virent aussi une magnifique occasion. Quand
Londres pourrait renaître de ses cendres, ce serait un modèle des aspirations et
du symbolisme de la franc-maçonnerie.

Wren : le maître maçon d’Angleterre


Christopher Wren était éminent parmi les membres de la Royal Society, un
homme qui pouvait tout faire dans le domaine de la créativité. Comme tous les
francs-maçons membres de la Royal Society, il pensait que Londres
nouvellement reconstruite serait la Nouvelle Jérusalem de façon réelle et
concrète.
Le bâtiment le plus important de tous ceux qui avaient succombé aux flammes
était la cathédrale Saint-Paul. Saint-Paul fut rebâtie dans sa forme médiévale
mais Wren, chargé de cette reconstruction, vit la possibilité de la replacer par
quelque chose de tout à fait différent.
Wren était né à East Knowle, dans le Wiltshire, en 1632, et son père était un
ministre de l’église. Wren père fut appelé à remplir ses fonctions à Londres et
aussi à Windsor et c’est là que le Wren fit la connaissance de Charles, le fils aîné
de Charles Ier. Ils devinrent de grands amis, ce qui permit à Wren d’atteindre une
position excellente quand Charles devint roi à son tour.
Wren devint peu à peu un savant universel, avec un intérêt particulier pour
l’astronomie mais aussi une profonde connaissance de l’anatomie et de
l’architecture. Il n’y avait pas à cette époque de spécialisation scientifique, de
sorte que ses intérêts variés ne sont pas surprenants. Cependant, l’esprit curieux
de Wren ne resta pas inaperçu. Un de ses contemporains dans la Royal Society
disait de lui : « La diversité de ses talents était stupéfiante et frustrante pour
nous, et peut-être aussi pour lui-même. »3
En 1657, trois ans après la restauration de la monarchie, Wren devint
professeur d’astronomie au Gresham College, la même institution où devait
naître la Royal Society quelques années plus tard et un lieu incontestable
d’influence des Familles de l’Étoile. Il était membre de l’Invisible Collège qui se
réunissait dans le même bâtiment, de façon plus ou moins clandestine. Bien que
retenu le plus souvent par ses travaux astronomiques et mathématiques, dès 1653
Wren montra un intérêt pour l’architecture en dessinant le plan de la chapelle du
Pembroke College de Cambridge.
Presque immédiatement après le Grand Incendie, Wren fut nommé
responsable de la reconstruction de Londres. Dès lors le travail à accomplir fut
considérable. Il ne dessina pas moins de 51 églises et nombreux édifices publics
et privés. Heureusement pour Londres, et malgré une immense charge de travail,
Wren vécut très longtemps. Le résultat en est que Londres se présente
aujourd’hui comme un monument élevé aux talents et à la persévérance de
Wren.
On ne sait pas exactement quand Wren devint franc-maçon. Selon certaines
sources, ce serait seulement en 1691 mais un autre fondateur franc-maçon de la
Royal Society, John Aubrey, affirmait que Wren avait été un franc-maçon
important dès les années 1660 et cela semble plus probable. En fait, quand on
examine une ou deux de ses créations, les références maçonniques de Wren sont
manifestes bien avant 1631. Ses chefs-d’œuvre sont la cathédrale Saint-Paul, sa
plus grande réalisation, et le monument construit pour commémorer le Grand
Incendie à l’endroit approximatif où il se déclara.
Le nouveau Temple de Londres
Selon l’écrivain Adrian Gilbert4, lorsque Wren fit les plans de la cathédrale
Saint-Paul, il choisit d’orienter le bâtiment à 8° au nordest, ce qui était très
différent de l’orientation initiale. (Comme nous l’avons dit plus haut, p. 185, la
plupart des églises britanniques étaient alignées vers la région du ciel où le soleil
se levait le jour de fête de leur saint patron. Dans le cas de Londres, le jour de la
Saint-Paul, le 29 janvier, cela aurait dû être à 30° au sud-est et non 8° au nord-
est).
Le positionnement que Wren donna à Saint-Paul signifiait que l’extrémité
occidentale de l’église serait en droite ligne avec la vieille Temple Church,
l’Église du Temple, située dans une zone non détruite par l’incendie. Temple
Church, qui existe toujours, est sur le site de la commanderie de l’Ordre du
Temple à Londres. Gilbert soutient que Wren prit sa décision en pensant à
Jérusalem.
Temple Church, comme bien d’autres églises templières, est une copie de
l’église du Saint-Sépulcre édifiée sur le mont du Dôme à Jérusalem.
Cela ayant été fait, Ludgate Hill, sur lequel s’élève Saint-Paul – et qui est
aussi le lieu du Temple pré-chrétien probablement le plus ancien de Londres –
devint l’équivalent du Temple de Salomon à Jérusalem. Il paraît peu douteux que
Wren était au fait de la topographie de la Cité sainte et qu’il essayait de la
reconstituer symboliquement en rebâtissant Londres.

Un monument dédié à l’Ordre


Saint-Paul avait de quoi impressionner mais, d’un point de vue maçonnique, le
Monument au Grand Incendie de Londres le surpassait. Bien qu’il s’agisse d’une
entreprise bien plus modeste, son riche symbolisme en dit long sur les francs-
maçons de Londres à cette époque ainsi que sur leurs convictions et leurs
aspirations réelles.
Le Monument se tient dans Fish Street. C’est une grande colonne dorique qui
renferme un escalier permettant aux visiteurs d’accéder à son sommet. À 202
pieds de haut (61 m), il devait rendre nains tous les bâtiments voisins lorsqu’il
fut achevé en 1677. En apparence, le Monument n’était que cela – un édifice
spécifiquement conçu pour commémorer le Grand Incendie. Mais Wren y plaça
un série de messages codés qui avait du sens pour un membre de la franc-
maçonnerie.
L’idée était que la hauteur du Monument était égale à sa distance par rapport à
la boutique du boulanger, dans Pudding Lane, où l’incendie s’était décelé. Mais
pourquoi Wren choisit-il 202 pieds quand il aurait simplement pu arrondir à 200
pieds ? Selon Gilbert, la réponse se trouve dans l’ombre du Monument. La
position de Londres sur la terre est telle qu’au solstice d’été (21 juin) le soleil
croise une ligne joignant les horizons est et ouest avec le zénith, deux fois, à 9 h
22 à l’est et 16 h 43 à l’ouest. À chaque fois, l’observateur notera que l’ombre
projetée par le Monument mesure 350 pieds. Cela donne le ratio 1/√3 entre la
hauteur du Monument et la longueur de son ombre. Versé comme Wren devait
l’être en astronomie et en mathématiques, il ne pouvait pas ne pas avoir vu cela
et c’est presque certainement la raison pour laquelle il a choisi la hauteur de 202
pieds et non de 200.
Ce ratio est celui de la vesica piscis (« la vessie du poisson »), une ancienne et
étrange figure géométrique que les architectes ont souvent employée pour
déterminer les limites d’un bâtiment et souvent d’une église.
La vesica piscis, encore appelée mandorle, (« amande ») est pour l’essentiel le
résultat de l’intersection de deux sphères et c’est une figure riche d’un
symbolisme ancien. Dans les temps antiques, elle représentait l’union du Dieu et
la Déesse (probablement en partie parce qu’elle ressemble à un vagin). Elle peut
donc aussi être vue, plus profondément, comme un symbole de la Shekinah.
C’était certainement un symbole rempli d’allusions mystiques et il fut souvent
associé au signe zodiacal et à la constellation de la Vierge.
Nous pourrions ne voir dans ce rapport entre l’ombre du Monument et sa
hauteur qu’une coïncidence, si nous ne possédions d’autres informations sur ce
que pensaient ceux qui ont créé cette structure. La base du Monument porte une
série de frises en relief. L’une d’entre elles fut créée par Caius Gabriel Cibber,
mais il en avait été chargé par Wren. Il présente Londres comme une déesse,
mais une déesse manifestement fatiguée et rongée de soucis, l’épée de la justice
(l’un des symboles de Londres) au bord de tomber de ses mains. Adrian Gilbert
rapproche cela d’un vers des Lamentations de Jérémie dans la Bible : « Quoi !
Elle est assise à l’écart, la ville populeuse ! Elle est devenue comme une veuve
[…] ».5
Figure 15. La Vesica piscis.

La ville décrite dans les Lamentations n’est autre que Jérusalem. Sur la plaque
située à droite de la « déesse » de Londres on voit d’autres déesses dont l’une
verse la « corne d’abondance » sur la ville. La corne d’abondance est une autre
figure pleine de symbolisme maçonnique.
Ce sont là des symboles de renaissance, ce qui est parfaitement approprié à la
reconstruction de Londres. Cela ne disait pas grand-chose aux non-initiés qui
prenaient sans doute le Monument pour ce qu’il semblait être. Mais pour les
nouveaux savants de l’époque, et notamment les francs-maçons, Londres était en
train de vivre sa cérémonie de mort et de renaissance, au « troisième degré ».
Il semble qu’à l’origine Wren ait souhaité que la statue de la déesse surmonte
le Monument, mais cela se révéla trop coûteux. Également très chère (et d’une
certaine manière, pour Wren, plutôt source de confusion) aurait été la seconde
suggestion, celle d’un phénix. Finalement le comité, sur la proposition de Wren,
préféra une grande urne d’où émergeait un orbe solaire. Il n’est pas surprenant
que Wren ait finalement présenté cette option car elle représentait une part
indispensable du code requis pour mettre en œuvre la vesica piscis et sa relation
entre la Monument et son ombre lors du solstice d’été. En même temps, elle
reflète l’allégorie solaire qui est au cœur de la franc-maçonnerie.
La même fascination pour les mouvements du soleil existait chez les
Esséniens dans leur repaire désertique, 1660 ans avant la combustion de Londres
et sa résurrection. Les Esséniens, comme nous l’avons vu, avaient adopté un
calendrier solaire alors que le courant dominant du judaïsme usait d’un
calendrier lunaire venu de Babylone ; en fait, la détermination à maintenir
l’héritage solaire de la prêtrise de Salomon avait été une raison majeure de
l’avènement des Esséniens.

En un Siècle des Lumières


Après la Guerre civile et l’austérité du Parlement puritain, la monarchie
restaurée entra dans un siècle des Lumières caractérisé par un formidable esprit
de créativité. Avec un certain retard, le regain de l’architecture classique qui
s’était produit en Italie, pendant la Renaissance, gagna l’Angleterre pour la
première fois. Il y eut, au moins pendant une courte période, un sentiment de
confiance à l’égard de l’avenir. Les vieilles oppositions religieuses semblèrent
disparaître et une trêve plus ou moins facile prévalut entre les catholiques et les
protestants pendant le règne de Charles II. Les affaires et le commerce revinrent
à la normale et se mirent à prospérer en cette époque de la Restauration.
La documentation suggère que l’appartenance à la franc-maçonnerie progressa
dans la classe moyenne et montante, ainsi que parmi les libres-penseurs radicaux
dont le nombre s’était accru pendant la Réforme et la Renaissance. Il est
également probable que le rituel maçonnique avait reçu des apports de sources
insoupçonnées de ceux qui les avaient créés. Il y avait un intérêt croissant pour
les études historiques, et l’imprimerie, ainsi que l’emploi progressif de l’anglais
en lieu et place du latin dans les ouvrages d’érudition, permit l’accession aux
livres d’un public plus nombreux et plus cultivé, manifestant une fascination
pour les mystères du passé.
Des auteurs de pièces de théâtre et des poètes peignirent une époque semi-
mythique rapportée à la naissance de la Grèce ancienne, et caractérisée par une
ambiance pastorale où le peuple vivait en harmonie avec les lois de la nature.
Cette fascination pour la lointaine Arcadie conduisit à un intérêt renouvelé pour
les anciennes religions à mystères de l’Âge classique et en particulier pour ceux
de Démeter et d’Isis. D’intrépides voyageurs rapportaient des aperçus fascinants
des splendeurs anciennes de Babylone et de l’Égypte, tandis que les mystères du
passé britannique lui-même – l’épode semi-mythique des druides et des
monuments mégalithiques comme ceux de Stonehenge – nourrissaient
l’imagination collective à la fin du XVIIe siècle et du début du XVIIIe. Des aspects
de ce passé mal connu mais curieux trouvèrent aisément leur place dans la franc-
maçonnerie qui se développait alors.
Au cœur de la franc-maçonnerie, pourtant, se trouvait encore ses secrets
originels, placés à cet endroit par les Familles de l’Étoile pour garder à l’abri des
questions que le public ne devait pas connaître. Par dessus tout, la franc-
maçonnerie conservait en elle les principes joahnnistes et ébionites désormais
éliminés, depuis la Réforme, du courant principal de la chrétienté. La franc-
maçonnerie offrait une « autre voie » qui pouvait être appréciée par tous ceux
dont l’esprit était suffisamment ouvert. Elle convenait bien aux hommes de
science dont la montée en puissance fut marquée par la création de la Royal
Society de Londres. Ceux-là seulement qui avaient étudié longuement et
profondément, prenant en compte tous les aspects fortement mystiques de la
franc-maçonnerie, pouvaient apprécier le joyau qui se trouvait en son centre.
Mais la franc-maçonnerie représentait aussi un pont entre les dogmes établis du
christianisme et les objectifs moins spirituels de la science.
Par sa nature même, la franc-maçonnerie supposait la liberté de conscience,
cette liberté qui allait devenir le mot d’ordre du siècle à venir, et cela impliquait
l’idée que toute personne pouvait parvenir à une gnose personnelle – une
connaissance de Dieu, ou une compréhension de l’univers, sans recours au pape
ou au prédicateur.
Au début du XVIIIe siècle, on regardait la prospérité croissante de la Grande-
Bretagne, entraînée par la révolution agraire et les premiers signes de
l’industrialisation, et on l’évoquait ouvertement comme un pays pouvant devenir
la « Nouvelle Jérusalem ». Après les tourments et l’agitation d’un passé
turbulent, les Familles de l’Étoile – dont les membres avaient sans doute gagné
le cœur de la société londonienne – purent se résoudre à poursuivre leur but à
travers la franc-maçonnerie, la dernière couverture de leurs croyances et de leurs
activités. Elles se trouvaient enfin dans une situation qui les libérait entièrement
de l’Église, quelle que fût sa nature. C’était important car cela devait les placer
au-dessus des querelles sectaires de la fin du règne des Stuart.

Des temps troublés


Le roi Charles II avait suivi une ligne judicieuse en matière de religion. Mais
Jacques, son frère et héritier, était catholique et, après la mort de Charles en
1685, il ne fallut pas attendre longtemps pour que le nouveau roi connaisse des
troubles. Parmi les actes plus immédiatement impopulaires de Jacques II, il y eut
la levée des lois pénales contre les catholiques et la volonté de mettre sous
contrôle l’Église d’Angleterre. Avec d’autres mesures, cela conduisit à un
mécontentement d’ampleur nationale et, en 1688, Jacques fut contraint de
s’exiler. Réputé avoir abdiqué, il laissa le trône vacant, et le Parlement offrit ce
dernier à sa fille et à son gendre, Mary et Guillaume d’Orange, un aristocrate
hollandais, tous deux protestants. Guillaume était en outre le neveu de Jacques II
et le cousin de Mary.
L’éviction de Jacques II fut connue sous le nom de « Glorieuse Révolution »,
bien que ce fût en réalité un coup d’État parlementaire qui fit couler peu de sang
(malgré le débarquement en Irlande que tenta plus tard Jacques pour mener une
campagne militaire qu’il perdit en 1690).
L’arrivée de Guillaume en Grande-Bretagne, avec 15 000 soldats, fut rendue
possible par l’action d’une groupe d’hommes connus comme les « Sept
Immortels ».C’était essentiellement des aristocrates et au moins quatre d’entre
eux furent des francs-maçons. Les Sept Immortels étaient sans doute soutenus
par une importante proportion de la population et il est intéressant de noter que
des membres influents de la Royal Society, et notamment Sir Isaac Newton,
risquèrent leur carrière et même leur vie pour se dresser contre Jacques II.
Le roi Guillaume II (1688-1702) et la reine Mary (1688-1695) étaient cousins
(tous deux petits-enfants de Charles Ier), et ils régnèrent conjointement. N’ayant
pas d’enfants survivants, lorsque Guillaume s’éteignit en 1702 (Mary était morte
en 1695), son trône passa à la sœur de Mary, Anne. Elle régna pendant douze
ans, mais aucun de ses enfants – elle connut 18 grossesses – ne survécut. Le
Settlement Act de 1701 avait interdit le trône aux catholiques, de sorte qu’à la
mort d’Anne en 1714, la couronne passa à l’héritier mâle et protestant le plus
proche, l’Électeur de Hanovre, qui était le petit-fils de Jacques Ier. Avec l’arrivée
de Gorge Ier, le règne des Stuart prit fin et le temps des Hanovre s’ouvrit.
Mais les Stuart exilés n’avaient pas renoncé à leurs prétentions et avaient
encore des soutiens, connus sous le nom de Jacobites (de Jacobus, forme latine
du nom Jacques). En 1715 il y eut un soulèvement en Écosse en faveur de
Jacques Stuart (le « Vieux Prétendant »), fils de Jacques II, mais il subit une
double défaite devant les troupes de Hanovre, à Preston dans le Lancashire et à
Sheriffmuir près de Stirling. Jacques Stuart repartit en exil en France. Les chefs
jacobites, les Lords Derwentwater et Kenmure, furent décapités en public à
Londres. Sept membres de la noblesse impliqués dans la rébellion furent
exécutés et d’autres virent leurs biens confisqués, tandis que des centaines de
leurs soldats et partisans furent déportés aux Caraïbes et dans les colonies
américaines.

Les francs-maçons soupçonnés


Soudainement, la situation devint dangereuse pour les francs-maçons. Malgré
leurs efforts pour rester en dehors des querelles sectaires, un bruit se répandit
autour de Londres selon lequel les francs-maçons étaient jacobites en raison de
leur ancienne proximité à l’égard du trône des Stuart. On savait que la franc-
maçonnerie était venue d’Écosse et qu’elle était très populaire en France (voir
Chapitre 12) ; à la même époque, aucun intrus ne savait ce qui se passait dans les
réunions maçonniques ni le but que poursuivait cette société. Le secret engendre
la suspicion qui conduit rapidement à la présomption de culpabilité.
De nombreux francs-maçons redoutaient toute enquête sur leurs activités. Non
seulement les membres manifestaient un certain soutien à l’égard des jacobites,
mais encore les loges renfermaient beaucoup de choses mystérieuses et
ésotériques que l’on pouvait aisément présenter comme du paganisme dissimulé
– voire de la sorcellerie – si l’on avait l’intention délibérée de les mettre en faute.
La majorité des francs-maçons abandonnèrent alors les loges et firent profil
bas ; beaucoup renièrent publiquement leur loge et les loges, les unes après les
autres, cessèrent leurs activités. Même le Grand Maître, Christopher Wren, ne
voulut plus rien avoir à faire avec l’Ordre, au moins en public.
Wren avait raison de tenir ses distances. Non seulement il était devenu le
Grand Maître de la franc-maçonnerie, mais encore il était membre fondateur de
la « Loge druidique des Philosophes » depuis 1674 et avait présidé la « Loge
druidique de la Mecque » en 1675. Il s’agissait d’activités qui pourraient porter à
sourire si le nouveau régime exigeait une enquête sur l’Ordre et sur ses
dirigeants.

La Grande Loge et l’Ordre Ancien des Druides


Il était clair pour tous les francs-maçons influents de Londres que si l’Ordre
voulait survivre, il devait s’adapter aux nouvelles réalités politiques.
Une réunion de six loges encore en activité fut convoquée à l’auberge L’Oie et
le Gril, le jeudi 24 juin 1717 – le fête de Saint-Jean-Baptiste, un jour qui
marquait aussi l’été.
À cette occasion, deux loges jugèrent dangereux de participer à une telle
réunion et se retirèrent. Les trois loges qui se rendirent à L’Oie et le Gril, dans le
quartier Saint-Paul, était celle de la Couronne, dans Drury Street, celle du
Pommier, à Covent Garden, et celle du Gobelet et des Raisins, dans Channel
Row, à Westminster. La quatrième était la loge qui se réunissait justement dans
l’auberge L’Oie et le Gril.
Trois de ces loges avaient juste 15 membres chacune, mais la loge Le Gobelet
et les Raisins avait un impressionnant effectif de 70 membres ; lors de la
réunion, les quatre loges se constituèrent en « Grande Loge » de Londres et de
Westminster. Antony Sayer fut le premier Grand Maître. Deux autres membres
anciens, les gardes du nouvel Ordre, furent Jacob Lamball et Joseph Elliot.
Au cours de cette tenue de Grande Loge, Sayer et les principaux Officiers se
préoccupèrent d’ôter de la franc-maçonnerie certaines idées qu’ils jugèrent non
conformes à un Ordre renouvelé. Ils se réunirent à nouveau juste trois mois plus
tard à l’auberge du Pommier dans Covent Garden le jour de l’équinoxe
d’automne. Là, avec quelques autres, ils fondèrent « L’Ordre Ancien des
Druides » qui fut connu sous le nom de « Cercle britannique du lien universel ».
L’homme en charge de cette réunion était le théologien irlandais John Toland qui
fut alors élu comme premier Grand Maître de cet Ordre.
À l’exemple de la franc-maçonnerie, les Druides connaissaient trois grades
d’initiation. De même, dans les deux cas, le thème central de ces grades était
l’observation astronomique et, en particulier, les mouvements du soleil au cours
de l’année. Ainsi, en 1717, la franc-maçonnerie put renaitre à la date où le jour
est le plus long, tandis que l’Ordre des Druides apparut à l’équinoxe, quand le
jour et la nuit sont de même longueur, le jour de la Saint-Matthieu, qui était si
important pour la chapelle de Rosslyn.
John Toland demeura Grand Maître des Druides jusqu’en 1722, quand il fut
remplacé par William Stukeley qui occupa cette fonction pendant 43 ans. On se
souvient de Stukeley comme d’un homme qui consacra sa vie à étudier les
structures mégalithiques de Stonehenge et Avebury et à rapprocher leurs
alignements de la course du soleil et de la lune.
On peut excuser Stukeley devoir considérer Stonehenge comme un ancien
temple maçonnique. Les travaux de la loge se déroulaient dans un lieu
emblématique du Temple de Jérusalem, le Vénérable Maître représentant le
soleil levant, le Deuxième Surveillant au sud pour marquer le midi plein et la
Premier Surveillant à l’ouest pour figurer le soleil couchant. Les deux colonnes
Jachin et Boaz, qui se tenaient dans le porche du Temple de Jérusalem, pour
indiquer les positions extrêmes du soleil sur l’horizon aux solstices d’été et
d’hiver. Boaz marque le lever du soleil à l’été et Jachin en hiver. Une étoile
brillante est placée sur le mur entre les piliers, se levant à l’est juste avant l’aube.
Cela illustre brièvement un point crucial du troisième grade, quand le candidat
ressuscite de la « mort » pour devenir un maître maçon. Cette lumière avait été
symboliquement recréé par le puits de lumière située au-dessus de la fenêtre
orientale de Rosslyn (voir Chapitre 8).

Les Clubs des Feux de l’Enfer


En 1722, la même année où Stukeley devint Grand Maître des Druides, Philippe,
duc de Wharton, devint Grand Maître de la franc-maçonnerie (désormais
qualifiée de Grande Loge d’Angleterre, sous laquelle s’abritaient d’autres loges
plus petites). Mais le duc avait d’autres intérêts, plus étranges : il était fondateur
du Hell-Fire Club de Londres, une institution fameuse pour ses excès en tous
genres, y compris pour ses débordements sexuels publiquement perpétrés dans
une atmosphère de gin.
Les pratiques et la philosophie des divers Clubs des Feux de l’Enfer qui se
répandirent à cette époque, étaient très opposées à celles de la franc-maçonnerie.
Celle-ci prônait la modération alors que les Hell Fire Clubs encourageaient les
excès ; la franc-maçonnerie inclinait ses membres à respecter la loi morale et à
être des citoyens loyaux ; les Clubs favorisaient l’ivrognerie, la débauche et le
mépris des conventions sociales.
Mais ce lien entre la franc-maçonnerie et les Hell Fire Clubs n’était pas
quelconque. Le Club de Dublin avait été fondé par un autre franc-maçon,
Richard Parsons, le premier comte de Rosse, et le premier Grand Maître
d’Irlande. Il semble que malgré son apparente antithèse par rapport à la franc-
maçonnerie, les Hell Fire Clubs aient partagé avec elle nombre de membres et de
dirigeants.
Aujourd’hui, la Grande Loge Unie d’Angleterre (GLUA), qui se considère
comme la première Grande Loge du monde, affirme que rien ne peut être connu
de la franc-maçonnerie avant 1717. Une telle amnésie collective peut être
politiquement avantageuse. Malheureusement quelques uns des responsables de
la GLUA, de nos jours, semblent avoir pris pour argent comptant ces
affirmations manifestement peu honnêtes.

Les « Antients » et les « Moderns »


Quelques tentatives furent faites, en Angleterre, pour préserver les rituels
originels de la franc-maçonnerie. En 1751, la Grande Loge d’Angleterre avait
dégénéré de façon significative. De petites loges quittèrent la Grande Loge à un
rythme sans précédent. Les réunions étaient incohérentes, mal dirigées, suscitant
souvent des Grands Maîtres qui étaient de jeunes hommes, choisi pour leur rang
social plus que pour leur expérience maçonnique ou leur rectitude morale. En
outre, la Grande Loge commença à exclure des loges dont elle n’approuvait pas
la conduite. Une des raisons qui motivaient cette évolution était de se concilier
les bonnes grâces du gouvernement hanovrien en libérant l’Ordre des
accusations de sympathie à l’égard des jacobites. Ces derniers, qui s’étaient à
nouveau soulevés en 1746 en faveur de Charles Edouard Stuart (le « Jeune
Prétendant »), petit-fils de Jacques II. Mais un nombre significatif de francs-
maçons déploraient ces changements et estimèrent qu’ils portaient atteinte aux
vraies idéaux de l’Ordre. Le résultat fut qu’en 1751 ils se séparèrent et formèrent
leur propre Grande Loge, celle des « Antients » (sic), opposés à celles des
« Moderns ».
Fondamentalement, les Antients croyaient que la Grande Loge avait peu à peu
altéré les rituels maçonniques, les enseignements et les symboles de la franc-
maçonnerie. Pour les Antients, certaines choses de la plus haute importance
avaient été perdues. En particulier le fait que la Grande Loge avait négligé de
célébrer les fêtes de Saint-Jean et ne reconnaissait pas le grade de l’Arc Royal, et
plus généralement qu’elle n’avait pas respecté la forme originelle établie de la
franc-maçonnerie.
Il est important de noter que les Antients avaient le soutien de l’Irlande et de
l’Écosse, ce qui fait que ses membres étaient plus proches de la source de la
franc-maçonnerie que les Modernes. Leur chef était aussi un hébraïsant d’origine
irlandaise, Lawrence Dermott.
La rupture dura 60 ans, jusqu’à ce que les Modernes menacent de poursuites
les Antients par le biais de la Loi sur les Sociétés Illégales de 1799. Mais la
réunification forcée permit en fin de compte que les importantes et anciennes
connaissances, au cœur de la franc-maçonnerie, soient restaurées après les
changements opérés par les Modernes.
La franc-maçonnerie connut sa plus grande popularité en Grande-Bretagne à
l’époque même où l’Empire britannique fut créé. Le développement de l’Empire
fut nettement favorisé par les premiers francs-maçons qui avaient servi la roi
Charles II et formé l’embryon de la Royal Society. Un des premiers buts de la
Royal Society à son début était de trouver les moyens d’améliorer la Royal
Navy. Cette dernière fut à l’évidence une des clés de l’expansion impériale et le
moyen par lequel furent défaits ses adversaires européens, notamment la France
au XVIIIe siècle et au XIXe.

La Jérusalem de Blake
Alors que nous voyons le XVIIIe siècle s’achever, revenons pour un moment à
l’Ordre des Druides, cette nouvelle organisation aux affinités maçonniques. En
1796, l’Ordre des Druides choisit un nouveau Grand Maître : William Blake,
l’une des personnalités les plus remarquables de cette période de l’histoire
anglaise – ou même de toute autre période. L’appartenance de Blake aux Druides
et bien connue mais il n’est pas certain qu’il fut franc-maçon, même si nombre
de ses créations graphiques manifestent une imagerie maçonnique. On le connait
aussi très bien comme poète, et surtout pour son poème Jérusalem :

Ces pieds ont-ils jadis


Marché sur les vertes montagnes d’Angleterre ?
A-t-on vu le saint agneau de Dieu
dans les doux pâturages d’Angleterre ?
Et le divin visage
A-t-il brillé sur nos brumeuses collines ?
A-t-on édifié ici Jérusalem
Au milieu de ces maudites filatures
Apportez mon arc d’or brûlant
Apportez les flèches de mes désirs
Apportez ma lance. Brumes !
Apportez mon chariot de feu.
Je n’arrêterai pas mon combat intérieur
Et mon épée ne dormira pas dans ma main
Tant que nous n’aurons pas édifié Jérusalem
Sur la verte et douce terre d’Angleterre.

Cela démontre que des décennies après l’institution de la franc-maçonnerie à


Londres, il existait encore un souhait très vif de suivre le plan que les Familles
de l’Étoile avaient mis en place dès le XIe siècle – le même plan que le comte
William Sinclair avait tenté de suivre en Écosse au XVe siècle.
Alors que la franc-maçonnerie se développait et grandissait en Angleterre, de
nombreux britanniques voyageaient au loin pour rétablir des colonies, dont
plusieurs allaient devenir des nations à part entière. Ces colons emportèrent la
franc-maçonnerie avec eux et la diffusion mondiale de l’Ordre fut une des étapes
les plus importantes vers le monde que nous connaissons aujourd’hui.

a. Nous avons conservé dans la traduction l’usage déroutant des lettres capitales dans ce texte [ndt].
b. La vraie loi des monarchies libres ; Une vive riposte contre le tabac [ndt].
c. Version autorisée de la Bible de Jacques VI.
CHAPITRE XI

LE NOUVEAU MONDE ET LA
NOUVELLE JÉRUSALEM

Il n’est pas possible de savoir quand la franc-maçonnerie atteignit l’Amérique du


Nord, car aucune archive n’a survécu avant 1717. Il est très probable qu’elle y
apparut très tôt, peut-être même avant que les Pères Fondateurs n’établissent la
colonie de Plymouth dans le Massachussetts en 1620. Il devait y avoir des
francs-maçons parmi les fondateurs de la toute première colonie britannique de
Jamestown, en Virginie, dès 1607. Les premiers francs-maçons qui parvinrent
dans le Nouveau Monde étaient sans doute venus d’Écosse où s’étaient formées
les loges maçonniques, mais il n’en subsiste aucune trace documentaire. De
façon surprenante, la plus ancienne mention de la franc-maçonnerie dans les
colonies britanniques est un document de 1730 – soit bien après la formation des
Grandes Loges d’Angleterre et d’Irlande – écrit par un jeune homme de 24 ans
nommé Benjamin Franklin. Il témoigne du fait que plusieurs loges maçonniques
existaient alors dans les colonies.
Les premières loges américaines étaient composées d’hommes qui s’étaient
réunis pour pratiquer les étranges rituels qu’ils avaient appris d’autres hommes
venus avant eux. À cette époque il n’y avait aucune procédure officielle pour la
naissance des loges. De sorte que l’on affirma de Londres que les loges
américaines étaient « irrégulières ». On leur fit avoir qu’elles ne seraient pas
réellement maçonniques tant qu’elles n’auraient pas de patente d’une autorité
établie, comme la Grande Loge de Londres.
La première loge dite « régulière » en Amérique du Nord est la loge Saint-
Jean de Boston, patentée par Londres en 1733, et bientôt d’autres apparurent
sous patente de la Grande Loge d’Irlande. Nombre de ces loges des colonies
américaines furent établies par des officiers britanniques, ce qui conduisit à la
diffusion de loges permanentes au sein des régiments et parmi les hommes
d’affaires. A partir de cette époque, des patentes furent conférées à des Grandes
Loges provinciales et l’Ordre s’accrut rapidement, notamment dans les grandes
villes de la côte est.
Révolte dans les colonies
Les causes qui engendrèrent des tensions entre les colonies américaines et les
dirigeants britanniques sont bien connues. Le point de vue britannique était
simple : les colonies américaines représentaient un coût pour y entretenir les
garnisons et assurer leur défense et on ne voyait pas pourquoi les colons ne
contribueraient pas à ces dépenses. Par conséquent, toute une série d’impôts
impopulaires furent levés dans les colonies, ce qui suscita un grand
mécontentement local.
Les colons estimèrent que Londres leur refusait toute maîtrise de leurs propres
affaires. Après tout, c’était bien eux qui avaient défriché un monde sauvage,
combattu les Indiens et les Français, bâti des villages devenus plus tard des villes
et enfin de grandes cités. Et pourtant, ils n’étaient pas autorisés à s’affranchir du
monopole britannique en vendant librement leurs productions, mais devaient
acheter pratiquement tout ce dont ils avaient besoin aux importateurs anglais, à
des prix largement gonflés. Les choses prirent un tour nouveau le 16 décembre
1773, lors de la « Boston Tea Party » (Partie de thé de Boston), lorsque des
colons vidèrent trois navires de leur thé dans le port de Boston pour protester
contre les importations autoritaires de thé anglais. Ces mesures avaient été
imposées par le Parlement britannique mais rejetées par les assemblées
coloniales. Le cri de : « Pas d’impôts sans représentation parlementaire » se
répandit largement. Vers 1775, la querelle entre la Grande-Bretagne et les
colonies était devenue un conflit armé et la Guerre d’indépendance avait
commencé.
Il ne fait aucun doute que les protagonistes de la Boston Tea Party étaient des
francs-maçons de la loge Saint-André, laquelle se réunissait à la taverne du
Dragon vert. Ce fut le véritable départ de la franc-maçonnerie dirigée par la
résistance contre le règne des Britanniques en Amérique du Nord. En dépit des
contestations de certains historiens, on peut facilement démontrer que
pratiquement toutes les étapes clés du conflit entre les colonies en rébellion et la
Grande-Bretagne furent largement préparées et organisées par les francs-maçons.
Il y avait différentes raisons à cela. Par exemple, à l’origine, alors que les
régiments britanniques opposés aux colons étaient régis par des règles de
discipline et d’organisations des troupes, les colons ne connaissaient pas une
telle structure. C’était un groupe disparate, uniquement lié par son hostilité au
règne britannique, mais sans organisation. Dans ces conditions, il leur était
difficile de l’emporter sur une armée d’occupation bien entraînée et extrêmement
disciplinée.
Les différentes implantations sur la côte américaine manquaient aussi de
cohésion de sorte que si une communauté assez importante, comme à Boston,
pouvait ressentir difficilement le régime britannique, il n’existait aucune
structure grâce à laquelle Boston aurait pu coopérer avec les autres villes et les
autres cités pour créer une résistance organisée.
En fait, la seule possibilité d’organisation parmi les colons – et spécialement
les hommes – était la franc-maçonnerie qui connaissait alors une croissance
rapide et une grande popularité. Dans les loges qui se réunissaient toujours dans
des tavernes où les frères sacrifiaient souvent aux boissons fortes, il était facile
pour les orateurs engagés d’exacerber le ressentiment qui s’exprimait à Boston.
La Boston Tea Party, conduite par les francs-maçons de la loge Saint André en
avait montré le résultat.

Le cri de la liberté
Il est à peu près certain qu’en définitive ce furent les Familles de l’Étoile,
présentes dans les colonies (comme les Washington), qui s’emparèrent de la
docile franc-maçonnerie hanovrienne, pour en faire quelque chose de tout à fait
différent. Après des siècles de lutte, en Europe, contre les pires excès de la
religion et des gouvernements répressifs, les Familles de l’Étoile virent sans
doute dans l’Amérique une parfaite occasion de construire la Nouvelle Jérusalem
qui leur avait échappé depuis si longtemps. Leur cri de ralliement fut
« Liberté ! » et ce fut très efficace.
La liberté veut dire littéralement, « le pouvoir d’agir, de penser ou de
s’exprimer comme on le désire » et « la franchise à l’égard de toute répression et
tout esclavage ». Mais le mot « liberté » possède un fond historique qui révèle
les raison de son usage délibéré dans les colonies américaines.
Le mot vient du latin libertas. Ce concept fut personnifié par Libertas, une
ancienne déesse romaine particulièrement révérée par les esclaves affranchis.
Ses attributs étaient en partie empruntés à une déesse étrusque plus ancienne,
Feronia, la déesse de l’aube. Cela pourrait être une clé pour comprendre ce que
la liberté représentait pour les Familles de l’Étoile qui la déposèrent au cœur de
la jeune franc-maçonnerie américaine. Dans la kabbale, le symbole le plus
ancien et le plus respecté, la Shekinah, occupait une position centrale à la base
de l’Arbre de Vie (voir Chapitre 8). Outre le fait d’être la manifestation
astronomique visible qui se trouvait au cœur des croyances d’Israël, la Shekinah
était aussi considérée comme « l’épouse de Dieu », et « l’ange de la justice et la
liberté ». Pour ceux qui savaient réellement le fond des choses, cependant, la
Liberté était simplement un autre nom de la Shekinah et devint bien plus encore,
car elle fut astucieusement convertie en une notion qui pouvait être acceptée par
les membres mêmes les moins éduqués et les plus religieux de la société.
On peut montrer que nombre de ceux qui se hissèrent aux premiers rangs des
colons américains au cours de leur long et difficile combat contre la Grande-
Bretagne n’étaient pas ouvertement religieux – au moins dans le sens chrétien
classique du terme. Leurs déclarations montrent clairement que s’ils avaient pu
conserver une réelle et profonde foi en Dieu, ils étaient complètement hostiles à
toute idée d’une Église établie ayant un rôle quelconque à jouer dans la société
civile, comme l’Église d’Angleterre. Le Premier Amendement de la Constitution
des États-Unis, signé en juin 1789, exprime clairement leur position :

Les droits civils de quiconque ne seront jamais limités pour des


raisons touchant à la religion ou au culte religieux, et aucune
religion nationale ne sera établie, de même que les droits de la
conscience, pour tous et de manière égale, ne seront en aucune
façon, à aucun titre, mis en cause.

George Washington, un important franc-maçon qui fut le premier Commandant


en chef des forces américaines contre les Britanniques, puis le premier Président
de la nouvelle nation, a dit que « tout homme devrait être protégé pour pouvoir
rendre un culte à Dieu selon les règles que lui dicte sa conscience. »
Cependant un autre franc-maçon, Benjamin Franklin, qui joua un rôle
important à la fois pendant la Révolution américaine et pendant la Révolution
française, écrivait à l’un de ses amis :

Quant une religion est bonne, je pense qu’elle se soutiendra par elle-
même ; et quand elle n’y parvient pas, que Dieu ne prend pas soin
d’elle et que ses Docteurs sont obligés d’appeler à l’aide les
pouvoirs civils, c’est un signe, je le crains, qu’elle est mauvaise.

Mais le plus franc sur ce sujet était Thomas Jefferson, un autre phare de la lutte
américaine pour la liberté et le troisième Président des États-Unis. Jefferson, qui
n’était pas franc-maçon mais très influencé par les valeurs maçonniques, était en
conflit avec l’Église catholique romaine qui exigeait toujours la soumission, et il
déclara un jour :

Est-ce que l’uniformité est envisageable ? Des millions d’hommes


innocents, de femmes et d’enfants, depuis l’introduction du
christianisme, ont été brûlés, torturés, punis d’amendes,
emprisonnés ; nous n’avons cependant pas avancé d’un pouce vers
l’uniformité. Quel a été l’effet de la coercition ? De rendre folle la
moitié du monde et l’autre moitié hypocrite. D’encourager la
malhonnêteté et l’erreur sur toute la surface de la terre.

Ce ne sont pas des propos de personnes athées. D’une manière ou d’une autre,
les trois hommes cités se sont montrés des « croyants », mais il est clair que ce
en quoi ils croyaient n’était pas en accord avec le christianisme classiquement
reconnu. Alors que Jefferson a pris la décision personnelle de ne pas rejoindre
une loge, il est certain que Franklin et Washington ont été des francs-maçons
enthousiastes, comme l’ont été plusieurs de ceux qui ont signé la Déclaration
d’indépendance en 1776, mais aussi les signataires les plus importants de la
Constitution de 1787.
Parmi les 56 hommes qui ont signé la Déclaration d’indépendance le 4 juillet
1776, nombreux sont ceux qu’on pense avoir été francs-maçons, et les suivants
le furent de façon certaine :

William Ellery – Première Loge de Boston


William Hooper – Loge Hanovre, Masonborough, NC
Benjamin Franklin – Grand Maître de Pennsylvanie
John Hancock – Loge Saint-André, Boston
Joseph Hewes – Visiteur de la Loge Unanimité n°7
Thomas Mc Kean – Visiteur de la Loge Persévérance, Harrisburg, PA
Robert Treat Paine – Grande Loge du Massachussetts
Richard Stockton – Loge Saint-Jean, Princeton
George Walton – Loge Salomon n°1
William Whipple – Loge Saint-Jean, Portsmouth, NH

Des 40 signataires de la Constitution des États-Unis,15 furent ou devinrent


francs-maçons. Parmi les autres, 13 durent être francs-maçons mais les preuves
documentaires font défaut.
Le Grand Maître Franklin
Parmi tous, Benjamin Franklin est le plus grand. Franklin (1706-1790), Grand
Maître de Pennsylvanie, était un homme complexe et un véritable érudit
universel. C’était un important imprimeur, un inventeur, un philosophe et un
homme politique, un diplomate – et, bien que Grand Maître, un hédoniste
convaincu.
Comme l’une des figures marquantes des Lumières, Franklin obtint la
reconnaissance de tous les savants et des intellectuels à travers toute l’Europe.
En effectuant de fréquentes visites à Londres et à Paris, il renforça la crédibilité
de sa jeune nation aux yeux des hommes d’État européens. Véritable génie de la
diplomatie, Franklin fit l’objet d’une admiration presque universelle quand il fut
ambassadeur à Paris, et il devint une figure clé du développement des relations
franco-américaines. Il ne fait aucun doute que son succès pour obtenir une aide
financière et militaire fut à la base de la victoire américaine contre les
Britanniques.
Linguiste remarqué, parlant couramment cinq langues, Franklin fut également
célèbre pour ses travaux scientifiques, avec des théories et des découvertes
concernant l’électricité ou la mise au point du cathéter médical, des accessoires
de natation et des lunettes. Non seulement homme d’État et savant, Franklin fut
aussi un philanthrope et même, aux dires de tous, un coureur de jupons. Franklin
eut de grands idéaux, mais ce fut aussi un homme. Il connut un grand nombre de
liaisons extraconjugales dont naquit même son fils illégitime, William Franklin,
qui devint plus tard gouverneur du New Jersey. On a dit également qu’il avait
assisté à Londres à des réunions du Hell Fire Club où l’on se livrait à des excès
de boissons.

La franc-maçonnerie et la construction d’une nation


La Guerre d’Amérique dura de 1775 à 1783 mais, même quand les Britanniques
furent vaincus, le travail des révolutionnaires était loin d’être achevé. Ceux qui
avaient conduit les colons à la victoire militaire devaient à présent fondre en une
seule nation 13 États différents. Au cours de la bataille, les commandants
principaux étaient des francs-maçons et il y a de nombreux indices qu’ils
souhaitaient édifier un état fondé sur les principes de la franc-maçonnerie. En
fait, la franc-maçonnerie et son imagerie sont encore si proches du cœur même
du pouvoir aux États-Unis, que la présence de l’Ordre ne peut y être niée.
Quelques-uns des actes les plus importants de ces hommes, que nous
connaissons comme les Pères Fondateurs, trahissent non seulement leur
appartenance maçonnique mais aussi leur connaissance des projets des Familles
de l’Étoile qui avaient survécu. Un bon exemple en est la date choisie par les
premiers délégués pour signer la Constitution des États-Unis. La Déclaration
d’indépendance, en 1776, était essentiellement un moyen de rassembler les
colons autour d’un seul projet de guerre dont le but était sans ambigüité – mettre
un terme au pouvoir britannique et établir un nouvel État. Mais la nature précise
de cet État était une autre sujet et il convenait pour en décider d’avoir réglé par
la victoire les affaires plus urgentes de la guerre.
Les nouveaux États-Unis d’Amérique ne pouvaient devenir une république
effective sans avoir une constitution, et la signature de ce document capital
n’intervint pas avant 1787. Des délégués élus dans tous les États se
rassemblèrent à Philadelphie, qui fut la capitale des États-Unis avant
Washington, en mai 1787. Il était alors devenu clair que la vague confédération
d’États qui avait existé pendant la guerre contre la Grande-Bretagne ne pouvait
plus suffire. Si les États-Unis voulaient devenir une réalité, il leur fallait un
gouvernement plus centralisé, et c’est ce que les délégués réalisèrent à
Philadelphie.
Les discussions se poursuivirent pendant plusieurs semaines et la document
fut prêt pour la signature en septembre mais il apparait que sa ratification fut
délibérément reportée jusqu’au lundi 17 septembre. Depuis des siècles ce jour
avait été considéré comme particulier car dédié à la Vierge Marie et il est encore
connu comme celui de la « fête de Notre-Dame des Douleurs ». Il commémore
les douleurs de Marie pour les souffrances de son fils Jésus, mais comme il était
aussi considéré comme le premier jour des récoltes d’automne, il possédait aussi
bien une signification païenne qu’un sens chrétien. De nombreux francs-maçons
ignorent que c’était également une célébration incluse dans la cérémonie du
troisième grade de la franc-maçonnerie.
Une image souvent utilisée dans la cérémonie du troisième grade est
habituellement dénommée « la belle Vierge du troisième grade » (voir figure 16).
Figure 16. Une illustration du XIXe siècle sur La belle Vierge du troisième
grade – origine inconnue, copie d’un imprimé américain.

La version de la figure 16 est particulièrement intéressante car elle comporte


des informations astronomiques qu’on n’y trouve généralement pas. Il s’agit
d’une date, car le signe du zodiaque situé immédiatement devant la jeune femme
est celui de la Vierge, signe astrologique occupé par le soleil entre la fin août et
la fin septembre.
Dans un contexte religieux, ce fut toujours le tournant de l’année. Les jours
proches de l’équinoxe d’automne, le 21 septembre, quand le soleil passe de la
Vierge à la Balance, ont toujours été célébrés depuis des millénaires et liés au
culte de la mort et de la renaissance du dieu du blé. Ceux qui ont créé l’image de
la Belle Vierge du troisième grade pouvaient difficilement ignorer cette
signification.
La figure de la vierge résulte d’une fusion entre les anciennes déesses Isis et
Déméter. Isis, d’origine égyptienne, pleurait la mort de son époux, assassiné,
Osiris, dont le cercueil était caché dans le tronc d’un tamarinier devenu l’un des
piliers du palais de Biblos. On voit ce pilier brisé sur l’image. La déesse grecque
Déméter était également dans la détresse au début de l’automne, car à cette
époque sa fille, Perséphone, devait quitter le monde de la lumière pour rejoindre
le sombre monde souterrain de Hadès, où elle devait passer tout l’hiver. (Voir
chapitre 3). C’est en septembre également que l’on commémorait l’association
de Déméter avec Dionysos. Ce dernier, dieu de la végétation, était rituellement
tué en septembre – ce dieu est donc une autre représentation du dieu du blé, qui
meurt et renaît, mythe auquel Jésus est lui-même lié.
Dans l’Antiquité, une célébration prenait place chaque année en Grèce. Il
s’agissait du Grand Mystère de Déméter. Les fidèles arrivaient de toutes parts
pour prendre part à ce mystère qui incluait, pour chacun de ceux qui y
participaient une cérémonie rituelle de mort et de renaissance très semblable à
elle qui se déroule lors de l’élévation au troisième grade de la franc-maçonnerie.
Le mystère de Déméter commençait le 17 septembre au moment où des
sacrifices étaient offerts à Déméter à Athènes, avant que la cohorte des fidèles ne
se rende au sanctuaire d’Éleusis pour le rite lui-même. Le 17 septembre est le
jour de célébration de la fête de Notre-Dame des Douleurs – et celui où fut
signée la Constitution des États-Unis.
On doit aussi rappeler que cette période du mois de septembre avait été d’une
importance capitale dans la construction de la chapelle de Rosslyn car c’est le 21
septembre 1456 – le jour de la saint Matthieu – que la pierre de fondation en
avait été posée.
En fait, toute cette semaine du mois de septembre est désormais consacrée par
la loi américaine et revêt une signification particulière. En 2001, le président
George W. Bush répondait à une requête formulée par le Congrès dès 1952, et
signa une loi stipulant que la période comprise entre le 17 et le 23 septembre
serait la « Semaine de la Constitution ». C’est exactement la période couverte
par les rites des anciens mystères de Déméter et correspond au moment où le
Soleil passe du signe de la Vierge à celui de la Balance. La Vierge est le signe
zodiacal du sacrifice et de la servitude, tandis que la Balance qui lui fait suite est
associée à la justice, à l’égalité et à la liberté.
Au jour choisi pour la signature de la Constitution des États-Unis, les planètes
Mercure et Vénus se plaçaient toutes deux devant le Soleil. En outre, Mercure et
Vénus occupaient, avec le Soleil, le signe de la Vierge. En 1787, le 17 septembre
tombait un lundi. Le dimanche suivant, le 23 septembre, quelque chose de très
important allait se passer : les planètes Mercure et Vénus devaient se lever
ensemble à l’aube pour former la sainte Shekinah – exactement le même jour
que celui où le sacrifice final était offert dans l’ancien culte de Déméter.
Si le lecteur n’y voit qu’une bizarre coïncidence, nous devons examiner un
autre événement majeur autour de la naissance des États-Unis. La pose de la
première pierre du Capitole de Washington, DC. Il n’est aucun autre édifice dans
tous les États-Unis qui représente mieux l’idéal de libre démocratie que le
Capitole. C’est dans ce bâtiment que les représentants élus des États-Unis se
rassemblèrent pour proposer, discuter et arrêter les lois fédérales. Il n’est donc
pas surprenant que sa réalisation ait été considérée comme d’une importance
capitale par George Washington et ses amis francs-maçons au pouvoir. Pour le
montrer, toute la cérémonie de pose de la première pierre, du début à la fin, fut
de nature maçonnique. L’événement eut lieu le 18 septembre 1793. En ce jour, la
soleil atteignait la fin de sa course dans la signe de la Vierge. Mercure et Vénus
se levaient devant le Soleil comme les étoiles du matin et lorsque la pierre fut
posée, à 11 heures du matin, Vénus devenue invisible dans la pleine lumière du
jour, se situait exactement au-dessus. Un journal rapportait ainsi l’événement :

Mercredi, une des plus grandes processions maçonniques a eu lieu


pour la pose de la première pierre du Capitole des États-Unis. Vers
10 heures du matin, la loge n°9 du Maryland reçut la visite de la
Loge n° 22 de Virginie, tous ses Officiers étant revêtus de leurs
décors maçonniques. Immédiatement après apparut, sur la rive sud
de fleuve Potomac, une des plus belles compagnies de Volontaires
de l’artillerie qui ait jamais paru, défilant pour recevoir le Président
des États-Unis qui fit bientôt son apparition et à qui l’artillerie rendit
les honneurs. Son Excellence et ceux qui l’accompagnaient
traversèrent le Potomac et furent reçus en Maryland par les Officiers
et les Frères de la Loge n°22 de Virginie et de la Loge n°9 du
Maryland, le Président en tête, précédés par une fanfare ; la marche
était fermée par l’artillerie des Volontaires d’Alexandrie, qui
s’avancèrent avec une grande solennité, pour se rendre vers le
quartier du Président, dans la cité de Washington, où ils furent
accueillis par la Loge n°14 de Washington, tous les membres portant
leurs élégants décors.1
La procession se mit alors en marche avec une grande solennité,
musique en tête, tambours battants, les drapeaux au vent, à la grande
joie des spectateurs, depuis le quartier du Président jusqu’au
Capitole de Washington où le Grand Maréchal ordonna une halte, et
divisa la troupe en deux rangs se faisant face, l’un à droite et l’autre
à gauche pour former un carré long à travers lequel le Grand Porte
Epée conduisit la voiture, suivi par le Grand Maître à gauche, le
Président des États-Unis au centre et le Vénérable Maître de la Loge
n°22 de Virginie à droite ; tous les autres avancèrent dans l’ordre
inverse de leur marche depuis le quartier du Président jusqu’à
l’angle sud-est du Capitole, et l’artillerie se rendit à une place
désignée pour effectuer ses manœuvres et préparer ses canons ; le
Président des États-Unis, le Grand Maître et le Vénérable Maître de
la Loge n° 22 se placèrent à l’est d’une grosse pierre, et tous les
membres cde l’Ordre formèrent un cercle autour d’elle. La pierre
d’angle du Capitole des États-Unis fut alors posée avec les
cérémonies maçonniques appropriées.

Plusieurs salves d’artillerie furent tirées. La cérémonie s’acheva par une prière,
les maçons chantèrent en l’honneur de cette circonstance et une quinzième et
dernière salve se fit entendre.
Une fois encore, nous voyons une cérémonie maçonnique se dérouler pendant
cette semaine si important – les sept jours entre le 17 et le 23 septembre et une
fois encore à un moment où Mercure et Vénus étaient les étoiles du matin se
levant devant le Soleil.
Alors que Alan Butler rassemblait toutes les informations astronomiques
publiées ici,2 un autre livre fut publié outre-Atlantique, écrit par David Ovsaon.
Indépendamment l’un de l’autre, Alan Butler et Ovason, tous deux versés en
astronomie et en astrologie, avaient noté l’apparente fascination des francs-
maçons pour le signe astronomique de la Vierge. Ovason a écrit 600 pages avec
des observations relatives à Washington, DC, examinant soigneusement les rues
et les bâtiments, et démontrant l’importance du signe de la Vierge dans leurs
plans.3
La position même de Washington trahit cette importance car le District de
Columbia se tient entre le Maryland et la Virginie. Le Maryland tient son nom de
la reine Henriette Marie, la femme de Charles Ier a, tandis que la Virginie fut ainsi
dénommée d’après le Reine Elizabeth Ire, la Reine Vierge. Cependant, le
rapprochement de « Marie » et de « Vierge » symbolise le caractère chrétien
étroitement associé au signe de la Vierge et finalement à Déméter, Isis et la
Shekinah – « épouse de Dieu ».
Curieusement, à l’est de Washington, de l’autre côté du Potomac – à la fois
tout près du Pentagone et de la Maison Blanche – se tient un lieu nommé
Rosslyn.
George Washington, le franc-maçon
Le choix final du lieu de la nouvelle capitale fédérale revint au Président George
Washington. Washington semble parfaitement approprié, non seulement à la
franc-maçonnerie mais aussi aux objectifs des Familles de l’Étoile. La
signification symbolique de la rencontre du Maryland et de la Virginie et
l’endroit qu’il choisit sur le Potomac ne pouvaient pas lui échapper.
Finalement la capitale fédérale porta le nom même de Washington et le
drapeau national fut aussi son invention. George Washington descendait d’une
famille aristocratique apparue dans le comté de Durham, en Angleterre, à peu
près à l’époque de la création des Templiers. Leurs terres se situaient
initialement autour de Hartburn, sur le fleuve Tees, mais ils les échangèrent
ensuite pour des terres situées, sur la rive nord du Wear en un lieu nommé
Wessyngton, d’où la famille prit son nom. Ils s’établirent ensuite plus au sud, à
Sulgrave Manor dans les Midlands. La famille avait des origines normandes et
c’était presque certainement une Famille de l’Étoile. Après la dispersion des
Templiers, en 1342, les Washington modifièrent leurs premières armes (un lion
de Jérusalem de gueules – rouge) pour celles qui sont montrée ci-contre. Le fond
de l’écu était originellement d’argent tandis que les barres et les étoiles étaient
rouges. Les étoiles peuvent être une allusion à la Famille de l’Étoile.

Figure 17. Les armes de Washington (étoiles et bandes rouges sur un champ
d’argent).

Ces armes parvinrent en Amérique en 1666 avec deux frères dont l’un, le
colonel John Washington, fut le grand-père de George Washington. Ce dernier
fut toujours ambigu à l’égard de ses origines aristocratiques anglaises mais il
conserva cependant ses armes et en fit usage régulièrement. Quand il devient
nécessaire que les jeunes États-Unis possèdent un drapeau, il est assez
évidemment que les armes de Washington servirent de modèle. Ou, du moins les
mêmes idées se trouvaient derrière le symbolisme des deux emblèmes.
La première version de la « bannière étoilée » avait 13 bandes alternées
rouges et blanches, pour représenter les 13 États d’origine, et avait également 13
étoiles blanches sur un fond bleu. L’utilisation de l’étoile à cinq branches ne peut
pas être une simple coïncidence car c’est un symbole profondément maçonnique
et, nous l’avons vu, de grande valeur pour les Familles de l’Étoile au regard de
leur science relative aux mouvements de la planète Vénus.

La ville maçonnique
Une fois le lieu de la future capitale fédérale choisi, les travaux commencèrent
assez vite. Le plan de Washington fut initialement établi par un ingénieur
français qui avait servi dans les troupes révolutionnaires américaines. Son nom
était Pierre Charles L’Enfant, qui était un important franc-maçon. Il a été
suggéré, au moins par David Ovason, que les convictions maçonniques de
L’Enfant se reflètent dans le plan des rues de Washington. Un bon exemple en
est le diagramme ci-dessous, qui montre le plan de L’Enfant pour Washington,
surchargé du pentacle, ou étoile à cinq branches qui, à travers les rues de la ville,
relie les plus importants bâtiments.
L’Enfant était susceptible et difficile et il abandonna sa mission avant de
l’avoir achevée. En conséquence les plans furent repris par Benjamin Bannecker
un autodidacte, esclave affranchi qui avait été l’un des assistants de L’Enfant.
Bannecker était un homme remarquable et, bien que L’Enfant ait pris tous ses
plans avec lui en partant, Bannecker fut capable de les recomposer de mémoire.
Il n’est pas prouvé que Bannecker était franc-maçon (ce qui semble très
improbable en raison de ses origines raciales) mais on sait qu’il était très
compétent en astronomie et il semble avoir suivi les plans de L’Enfant à la lettre.

Figure 18. Carte de Washington, DC, montrant la figure du pentacle dessiné


sur les rues – d’après un plan ancien de Washington, le pentacle ayant été
superposé par Alan Butler.

L’étude exhaustive conduite par David Ovason à propos des rues et les
bâtiments de Washington, sur une durée de 200 ans, démontre les connaissances
cosmiques des architectes de la cité. En particulier Ovason présente un certain
nombre d’indices convaincants que la constellation de la Vierge a été incorporée
dans les plans de la ville, les immeubles, les fontaines, les statues et les vitraux.
Le fait que le plus récent exemple date du xxe siècle semblerait indiquer que
cette connaissance que possédait les premiers bâtisseurs de la capitale
américaine ne fut jamais perdue et qu’elle a même en partie été préservée
jusqu’à nos jours.
Pour nous résumer, la franc-maçonnerie fut pratiquement détruite après
l’accession des Hanovre au trône britannique mais elle commença à renaître et
trouva sa plus belle expression politique aux États-Unis. Elle n’était pas
cantonnée à l’Amérique car, en 1789, moins de deux après la signature de la
Constitution des États-Unis – avec des mots révolutionnaires en ouverture :
« Nous, le peuple » – une révolution se produisit en France. La Révolution
française fut notablement stimulée par les francs-maçons américains,
spécialement Benjamin Franklin. Il y a en outre de nombreuses preuves que du
début à la fin cette révolution fut planifiée et orchestrée par les puissantes loges
maçonniques qui étaient apparues en France. Un nouveau monde naissait et,
malgré la résistance de vieilles officines de l’Église et de l’État, les Familles de
l’Étoile prenaient à nouveau le dessus.

a. Dite « Henriette d’Angleterre », celle dont Bossuet fit l’oraison funèbre : « Madame, se meurt, Madame
est morte… »
CHAPITRE XII

LA FRANC-MAÇONNERIE ET LA
RÉVOLUTION

Personne ne sait de façon certaine quand ni comment la franc-maçonnerie


parvint en France car lors du déclenchement de la Révolution française les
francs-maçons rassemblèrent tous leurs documents concernant les origines de
l’Ordre et les mirent en sécurité. Ces livres furent ensuite récupérés par un franc-
maçon écossais à la fin des guerres napoléoniennes et, comme la collection
Morrison se trouve désormais à la Grande Loge d’Écosse où elle n’est toujours
pas répertoriée (Chris Knight a vu quelques documents et plusieurs sont de
beaux manuscrits avec des plans astronomiques relatifs aux tribus d’Israël).
La franc-maçonnerie a pris racine en France entre 1726 et 1730 mais il est
possible que la franc-maçonnerie d’origine écossaise ait existé depuis déjà un
certain temps, compte tenu des relations traditionnelles entre les deux pays. La
garde personnelle des rois de France, depuis des siècles, avait été en partie
composée de soldats écossais qui formaient un corps d’élite souvent bien plus
loyal que les troupes du roi elles-mêmes.
Selon le Grand Orient de France (l’institution qui représente la majorité des
francs-maçons modernes), l’Ordre fut introduit en France par des marins qui
établirent des loges maçonniques dans ses ports comme Bordeaux et Dunkerque.
De quelque manière qu’elle soit arrivée en France, la franc-maçonnerie s’y
implanta et progressa rapidement.

Un régime absolutiste
Le mécontentement enfla tout au long du XVIIIe siècle parmi l’intelligentsia et le
petit peuple. Pendant des siècles, les rois de France ont été très autoritaires, une
tendance amorcée par Philippe IV le Bel, le grand ennemi des Templiers (voir
Chapitre 5), au tournant du XIVe siècle. La situation n’était pas très différente de
celle qui existait en Angleterre avant la Guerre civile du XVIIe siècle qui avait
conduit à l’exécution du roi Charles Ier. Comme les Stuart en Angleterre et en
Écosse, les rois de France avaient fermement maintenu la doctrine du « droit
divin ». en d’autres termes, la légitimité du roi dérivait directement de Dieu, ce
qui signifiait qu’aucun parlement ni aucune institution humaine ne pouvait dire
au roi ce qu’il avait à faire. À cette époque, l’Église occupait une position
semblable. En dépit des ravages de la Réforme, la France demeura une nation
profondément catholique et en matière spirituelle l’Église jouait un rôle
comparable à celui des rois de France, lesquels tentaient en retour d’exercer sur
l’Église de France un contrôle aussi grand que possible (une tendance connue
sous le nom de gallicanisme).
Le roi considérait qu’il était en relation directe avec Dieu et que sa parole était
une loi absolue. Il forgeait des lois et les faisaient exécuter à travers un
gouvernement presque entièrement composé d’aristocrates. Les citoyens
ordinaires – y compris, à leur grand dam, les classes moyennes – n’avaient
pratiquement pas leur mot à dire dans ce régime.
Jusqu’à la Révolution de 1789 la France demeura un pays féodal, comme il
l’avait été depuis l’époque de Charlemagne, mille ans auparavant. Une espèce de
Parlement, les États Généraux, existait mais était rarement convoqué et n’était
qu’un corps consultatif sans pouvoir législatif. Il comprenait des représentants
des trois « États », ou groupes sociaux : le premier, le clergé, représentait 1 % de
la population ; le second, la noblesse, environ 2 %. Enfin il y avait le troisième,
le Tiers Etat, le peuple, qui représentait 97 % de la population.
La noblesse, qui contrôlait le pays, ne payait aucun impôt tandis que le clergé
n’en acquittait pratiquement aucun. Les membres professionnels du Tiers
s’efforçaient de travailler pour éviter les plus lourdes taxes, de sorte que c’était
le peuple le plus pauvre qui portait le poids le plus lourd. Pour beaucoup d’entre
eux, les impôts leur laissaient à peine de quoi s’acheter un peu de pain. La
situation s’aggrava vers la fin du XVIIIe siècle en raison de mauvaises récoltes et
d’erreurs financières qui conduisirent le gouvernement royal et la nation à une
crise.
De nombreux intellectuels français du XVIIIe siècle virent avec intérêt
l’évolution constitutionnelle de l’Angleterre après la Guerre civile et la
Glorieuse Révolution de 1688. Depuis 1688, en Angleterre, il était devenu
impensable de lever des impôts, ou même simplement de gouverner, sans
l’approbation d’un parlement légitime. Même les nobles ne formaient plus un
groupe à part, comme ne France ; en Grande-Bretagne, toute personne pouvait
être élevée à la noblesse, quelle que fussent ses origines. Une telle mobilité
sociale était inouïe en France où la noblesse monopolisait les échelons
supérieurs de l’État, de l’armée à l’administration. Mais le pire de tout était que
l’Ancien Régime ne fonctionnait pas. Malgré des essais de réforme financière, le
système tout entier des impôts féodaux ou royaux était trop complexe pour qu’un
simple bricolage puisse le changer vraiment. La France alla d’une crise
financière à une autre, grevée par des guerres coûteuses et sans succès. Comme
toujours, le fardeau tomba sur les plus pauvres et leurs souffrances offraient un
terrible contraste avec la vie facile des nobles. En 1754, Jean-Jacques Rousseau,
l’un des philosophes dont les idées politiques influencèrent le Révolution
française, concluait son Discours sur les origines et les fondements de l’inégalité
parmi les hommes en disant :

Il est manifestement contre la Loi de Nature, de quelque manière


qu’on la définisse, qu’un enfant commande à un vieillard, qu’un
imbécile conduise un homme sage, et qu’une poignée de gens
regorge de superfluités, tandis que la multitude affamée manque du
nécessaire.

La franc-maçonnerie et les idées révolutionnaires


Cependant, ce ne sont pas les humbles travailleurs et les paysans qui
s’emparèrent des idées philosophiques et politiques qui devaient déclencher la
Révolution française. Ce n’est guère surprenant car la grande majorité des
paysans de cette époque ne savaient ni lire ni écrire. L’instruction du petit peuple
était rudimentaire ou inexistante.
C’est parmi les lettrés et les gens éduqués que l’intérêt pour les idées des
Lumières et pour la franc-maçonnerie se développa. Dans le Tiers État, un
groupe important s’accroissait très vite, la bourgeoisie c’est-à-dire les
professionnels des villes, les médecins, les avocats, les marchands, les banquiers
et les universitaires, des hommes qui avaient toutes les chances d’être réceptifs
aux idées des Philosophes comme Voltaire ou Rousseau. Socialement, ils étaient
l’équivalent de ceux qui avaient renversé la monarchie et gagné la Guerre civile
en Angleterre et qui, en 1776, avaient suscité la Révolution américaine. Ils
étaient également plus susceptibles que les paysans de rejoindre les rangs
toujours plus nombreux de la franc-maçonnerie qui existait déjà à travers tout le
pays mais surtout dans les centres urbains.
Vers 1789, de nombreux membres de la bourgeoise ne supportaient plus leur
exclusion du gouvernement de la nation. Comme les instigateurs de la
Révolution américaine, ils constituaient, via la franc-maçonnerie, un terreau
fertile pour les idées des Familles de l’Étoile. Il serait abusif de suggérer que la
Révolution française fut inspirée par les francs-maçons, mais il n’est pas exagéré
de dire que la franc-maçonnerie fut un facteur important pour rendre possible
une révolution.
Dans un État autoritaire où chacun pouvait être arrêté, emprisonné ou même
exécuté pour sédition, il n’y avait que peu d’endroits où les gens pouvaient se
rencontrer et discuter des réformes politiques. Cependant, la franc-maçonnerie,
avec sa réputation un peu inquiétante de serments et de secret, offrait un cadre
relativement sûr pour évoquer les réformes de fond qui devaient s’opérer. Et
lorsque l’agitation populaire conduisit à la première révolte en 1789, il y a toutes
les raisons de croire qu’elle fut organisée au niveau local et national par un grand
nombre de loges du Grand Orient.
Si la franc-maçonnerie britannique cherchait particulièrement à éviter tout
soupçon de déloyauté envers le régime hanovrien, et avait éliminé toute tendance
révolutionnaire ou extrémiste, ce n’était certainement pas le cas du Grand
Orient. Voici ce que le Grand Orient actuel dit sur les interférences de la religion
et du pouvoir politique. C’est une lecture intéressante pour tous ceux qui veulent
comprendre le pouvoir et l’influence des Familles de l’Étoile :

L’Église catholique romaine voulait exercer un pouvoir totalitaire au


sens strict du terme, c’est-à-dire sur tous les aspects, civil, politique
et économique de la société, partout où la religion avait tout
pouvoir.
Des souhaits, mêmes vagues, de libération politique ou spirituelle,
ou les deux, se manifestèrent successivement contre ce pouvoir. Au
Moyen Âge il y eut à l’intérieur de l’Église catholique des
mouvements qui furent rapidement classés comme hérétiques et
combattus. L’idée évolua depuis les premiers Réformateurs jusqu’au
XVIIIe siècle, celui des Philosophes, et toujours dans deux directions
distinctes :

– Liberté de conscience s’affranchissant peu à peu des


croyances obligatoires.
– Une société exigeant la liberté politique.
Contre tout cela, l’Église catholique, conduite par le pape, détenant
un pouvoir temporel qui ne reposait même pas sur ses textes
fondamentaux, préféra se retrancher derrière un refus de toute
libération. En France, l’alliance millénaire entre le Roi et l’Église
rendit les querelles religieuses inévitables dès lors que les
dissensions politiques avaient commencées1.

La franc-maçonnerie française ne fait aucun mystère de ses opinions politiques


et les expriment de façon tellement vivea qu’elle a souvent rompu avec les
institutions maçonniques du reste du monde, car le modèle britannique, du
moins, nous l’avons vu, éloigne scrupuleusement les francs-maçons de toute
discussion en matière politique ou religieuse.

Le cataclysme de 1789
En France, les choses se précisèrent en 1789. Face à une nouvelle crise
financière, ainsi qu’à une sécheresse et une rude famine, le roi Louis XVI
convoqua les États Généraux au début de l’été. Il fut déclaré que les États
voteraient par groupe, et non par individu, ce qui signifiait que les réformes
proposées par le Tiers seraient certainement bloquées par l’association de
l’aristocratie et du clergé. Les événements se précipitèrent. Il devient clair pour
les francs-maçons les plus influents que si la Nouvelle Jérusalem devait s’élever
en France, une action décisive s’imposait.
Les membres du Tiers firent donc sécession et déclarèrent se former en
Assemblée nationale constituante – le seul parlement légitime du pays – et
refusèrent de se séparer. Un certains nombre de modérés, parmi la noblesse et le
clergé, se joignirent à eux.
Le 14 juillet 1789, la bourgeoise obtint le soutien d’une large partie du peuple
de Paris. Aux premières heures du jour, une foule enragée fut irruption dans
l’Hôtel des Invalides où elle trouva 32 000 mousquets mais pas de munitions. La
rumeur se répandit que la poudre était stockée dans l’horrible prison de la
Bastille. Plus tard dans la journée, la Bastille fut prise – un événement qui allait
traverser l’histoire comme étant le véritable début de la Révolution française. Le
roi Louis XVI, revenant de la chasse le même jour, nota dans son journal :
« Rien. » Lorsqu’un ministre lui apporta les nouvelles de Paris, le roi demanda :
« C’est une révolte ? » Alors le ministre répondit : « Non, Sire, c’est une
révolution. »
Le contrôle de la situation échappa rapidement à Louis XVI, bien intentionné
mais indécis. Il y eut ensuite une longue bataille, finalement sanglante, entre les
modérés, les Girondins, et l’intelligentsia radicale des Jacobins. Ce dernier
groupe, où l’on trouvait de nombreux francs-maçons, avait d’abord été le Club
breton, où l’on rencontrait des penseurs influents comme Jean-Paul Marat et
Robespierre. Il avait été modéré puis était devenu plus extrémiste dans ses
demandes. Il élargit son recrutement et devint bientôt la plus importante force
organisée du pays. Au sommet de sa puissance, ses membres avaient entre 5 000
et 8 000 cercles en France, rassemblant plus d’un demi-million de personnes.
Sans doute, le plus important dirigeant des Jacobins fut Georges-Jacques
Danton, un avocat venu de Champagne et exerçant à Paris. Comme beaucoup de
ses contemporains du Club des Jacobins, c’était un franc-maçon influent avec un
lien spécial à la loge des Neuf Sœurs de Paris, nommée ainsi d’après un groupe
d’étoiles connues sous le nom de Pléiades. Cette loge peu connue et très
particulière avait encouragé la Révolution américaine et en fit autant pour sa
contrepartie française.
La loge des Neuf Sœurs était la fille spirituelle de Jérôme Lalande qui allait
devenir en France l’un des plus célèbres astronomes et mathématiciens de son
époque. La loge avait été créée en mars 1776 dans l’intention avouée de procurer
un lieu maçonnique aux savants, aux intellectuels et aux artistes. Quelques-uns
des plus grands penseurs du temps furent membres de la loge, comme Voltaire
qui devint franc-maçon à la fin de sa vie, rejoignant les Neuf Sœurs le mardi 7
avril 1778.b
Le point culminant de la cérémonie fut atteint lorsqu’un Frère visiteur venu
d’Amérique, Benjamin Franklin, de Philadelphie, tendit à Voltaire son tablier
maçonnique, lequel avait été porté par Claude Helvétius, philosophe suisse et
franc-maçon (1715-1771). Voltaire porta le tablier à ses lèvres et le baisa.
En flagrante contradiction avec ses devoirs maçonniques à l’égard du Grand
Orient, la loge des Neuf Sœurs fit beaucoup pour promouvoir le soulèvement
américain et soutenir la guerre d’indépendance qui suivit. Les membres des Neuf
Sœurs encourageaient ouvertement les révolutionnaires américains et les plus
riches d’entre eux offraient beaucoup d’argent pour financer la guerre contre les
Britanniques. En mai 1779, Franklin fut élu Grand Maître des Neuf Sœurs et fut
en mesure d’exercer son influence sur le gouvernement français afin qu’il
déclare la guerre à l’Angleterre et offre ensuite son concours militaire aux jeunes
États-Unis.
La loge des Neuf Sœurs a consacré beaucoup de travaux aux origines de la
franc-maçonnerie qu’elle pensait être d’une grande ancienneté. De nombreuses
conférences furent données par des membres de l’Académie des sciences et
d’autres illustres compagnies, expliquant pourquoi la franc-maçonnerie
renfermait les traditions et les mythes de l’Égypte, de la Grèce et de Rome. De
tels discours furent prononcés pendant deux importantes assemblées au cours de
l’année 1779 et quelques-uns furent publiés.
Dans une large mesure, dès qu’elle eut commencé, la Révolution française fut
emportée par une force fatale et irrésistible. Vers 1792, alors que le roi avait été
déposé et emprisonné, les Jacobins furent en charge d’un régime républicain
cependant éloigné de l’idéal démocratique américain. Pendant plusieurs mois, le
Comité de salut public, curieusement nommé, envoya à la guillotine des
centaines d’aristocrates, de membres du clergé et d’opposants politiques,
pendant ce qu’il est convenu d’appeler la Terreur. Le roi Louis XVI fut exécuté
le 21 janvier 1793 et la reine le suivit peu après.
Le pouvoir navigua de tous côtés entre différents groupes et il y eut des
moments où les plus fervents et les plus violents des révolutionnaires de la
première heure furent eux-mêmes les cibles d’une terreur croissante qui
submergea le pays. Alors, la faction de Danton quitta Robespierre et ce dernier
parvint à faire guillotiner Danton avant de tomber lui-même, victime d’une autre
faction. Mais, où que se soit trouvé la vrai pouvoir à Paris, une chose est sûre : le
pouvoir absolu de la monarchie et de l’Église avait été détruit et – si l’on met à
part l’avènement de Napoléon, accueilli pour mettre fin au chaos et à l’arbitraire
de la Révolution – nul ne pourrait plus jamais exercer le même pouvoir qu’avant
1789.
Le cri de liberté qui s’était élevé à l’origine des États-Unis, retentit bien plus
fort en France. Dans les deux pays, « liberté » était bien plus qu’un mot d’ordre -
comme nous l’avons vu, c’était aussi une manifestation physique.
Sur ordre du gouvernement révolutionnaire de la France, le christianisme fut
officiellement abandonné comme religion d’État en novembre 1793. Pour bien le
manifester, une belle et jeune actrice du nom de Mlle Malliard fut conduite à la
cathédrale Notre-Dame de Paris, le 10 décembre. Vêtue d’une robe classique elle
fut assise sur l’autel le plus élevé de la cathédrale. Ce qui suivit fut une
cérémonie improvisée où la « déesse de la Révolution » alluma une chandelle, la
lumière de la raison. La silhouette de cette jeune femme devint la « Déesse de la
Raison », en miroir avec la déesse de la Liberté aux États-Unis. Pendant un
certain temps, la cathédrale devint le Temple de la Raison.
Il est intéressant de se souvenir que la plus célèbre image américaine de la
Liberté – la Déesse de la Raison – vint en réalité de France et qu’elle était
entièrement d’inspiration maçonnique. C’est, bien sûr, la Statue de la Liberté qui
orne le port de New York. La statue, qui fut payée par souscription publique en
France et offerte aux États-Unis pour le centenaire, fut achevée et inaugurée en
octobre 1886. Une plaque à sa base explique que, bien que financée par le peuple
français, la statue de la Liberté était en fait un don du Grand Orient de France.
Cette énorme statue porte une torche qui représente la même lumière qui fut
allumée par Mlle Malliard à Notre-Dame en 1793.
Il est impossible de démontrer que la Révolution française fut orchestrée par
une seule officine, en l’occurrence la franc-maçonnerie, mais celle-ci semble
avoir été au cœur de la tourmente des événements. Cependant, de même que
différentes factions apparurent et disparurent à Paris, de même de nombreux
francs-maçons importants qui avaient encouragé la subversion du trône et le de
l’autel, finirent en le payant de leur tête sur l’échafaud. Mais la franc-maçonnerie
elle-même fut bannie et décimée par le gouvernement révolutionnaire.
Néanmoins, l’Église catholique a toujours accusé la franc-maçonnerie d’avoir
fomenté les événements qui se produisirent à partir de 1789, et elle se mit pour
cette raison à lutter activement contre l’existence même de la franc-maçonnerie.

L’Église contre l’Ordre


Les papes qui se sont succédé pensaient que la Révolution française n’était rien
d’autre que l’expression de la volonté, de la part de la franc-maçonnerie, de
détruire le pouvoir de l’Église. Les attaques concertées et délibérées de Rome
contre l’Ordre culminèrent dans un document étrange oublié par le pape Pie IX
en 1860. C’était celui la Haute Vente (Alta Vendita)c qui, s’il est authentique,
conforte nos observations sur la survie des Familles de l’Étoile et leur façon
d’utiliser toute organisation disponible pour atteindre leurs buts ultimes.
Avant d’examiner le document lui-même, revenons sur le contexte historique.
Bien qu’il ait été rendu public par Pie IX, le document est supposé avoir été
entre les mains de son prédécesseur Grégoire XVI. Grégoire n’est pas resté dans
les mémoires comme le plus intelligent ni le plus libéral des titulaires du haut
office auquel il parvint en février 1831. À vrai dire il ne commença pas son
pontificat sous les meilleurs auspices car, à peine avait-il accédé au trône papal
qu’un soulèvement très important se produisit en Italie. Les États du pape eux-
mêmes – à cette époque le pape était aussi un souverain temporel, gouvernant
une vaste zone au centre et au nord-ouest de l’Italie – furent passagèrement
envahis par les rebelles qui proclamèrent un gouvernement provisoire pour toute
la région. C’est uniquement grâce à la très catholique Autriche que Grégoire put
finalement repousser les révolutionnaires du nord de l’Italie.
Le nouveau pape, dont le nom de naissance était Bartolomeo Cappellari, avait
choisi le nom de Grégoire d’après Grégoire XV, un pape du XVIIe siècle qui avait
joué un grand rôle dans la fondation d’un mouvement au sein de l’Église,
nommé Propaganda Fidei (« Pour la propagation de la foi »), s’efforçant
d‘introduire le catholicisme dans les nouveaux territoires que l’on découvrait
alors.
Grégoire XVI était un conservateur et un fervent opposant au libéralisme de
toute sorte. Son règne fut une époque de grand bouleversement non seulement en
Italie mais aussi à travers toute l’Europe. L’héritage de la Révolution française et
l’ère napoléonienne qui suivit étaient encore dans tous les esprits et les
mouvements démocratiques révolutionnaires apparaissaient partout en Europe.
En juillet 1830, l’année où fut élu Grégoire, la France avait connu la chute de
Charles X, mettant fin à la dynastie des Bourbons restaurée près la défaite de
Napoléon, en faveur du régime plus libéral de Louis-Philippe. C’est dans cette
atmosphère de bouleversement politique et de troubles civils que Grégoire vit
d’un mauvais œil toute organisation qui pouvait favoriser le désordre ou le
républicanisme.

Les Carbonari
Une telle organisation, qui en fait commençait à dépérir à l’époque de Grégoire,
était connue sous le nom de Carbonari. Les origines de cette institution d’aspect
maçonnique sont inconnues. Les Carbonari firent leur apparition soit en France
soit en Italie vers la fin du XVIIIe siècle, mais ne commencèrent vraiment à jouer
un rôle actif que vers 1814 en Italie. Ils semblent avoir délibérément imité la
franc-maçonnerie. Le mot « Carbonari » signifie « charbonniers » et, tandis que
la franc-maçonnerie fonde ses rites, son histoire et ses cérémonies sur les usages
du métier de maçon, les Carbonari avaient des pratiques analogues mais reliées
au métier du charbon de bois.
Les carbonari furent créés par des intellectuels des classes moyennes, la
plupart étant des partisans de la révolution qui avait eut lieu en France quelques
décennies auparavant. Il est possible que les Carbonari aient été le produit d’une
influence maçonnique sur les troupes napoléoniennes qui avaient occupé une
grande partie de l’Europe, y compris l’Italie. Ce qui n’est pas douteux, c’est que
les Carbonari voyaient des liens étroits entre leurs usages et leurs objectifs et
ceux de la franc-maçonnerie, à tel point que tout Maître maçon pouvait assister
aux réunions de Carbonari où ils étaient considérés comme des membres à part
entière.
Dans les remous politiques très compliqués que connut l’Italie à la fin du
XVIIIe et au début du XIXe siècle, on peut supposer que l’agitation fut
constamment entretenue par les Carbonari bien qu’on ne sache pas vraiment à
quel point, car les membres des Carbonari faisaient serment de secret comme
leurs confrères francs-maçons.
Les Carbonari adoptèrent des formes très proches de celles francs-maçons. À
la place de loges, les Carbonari tenaient des Ventes (Vendita, plur. vendite), le
nom des endroits où l’on vendait le charbon. Leurs loges étaient connues sous le
nom de baraques (baracca, plur. baracce), le mot italien désignant une hutte, et
la mère loge des Carbonari était la Haute Vente, une version de la « Grande
Loge » des francs-maçons. Les délégués de tous les Ventes assistaient à la Haute
Vente.
Les Carbonari étaient divisés en deux classes, les apprentis et les maîtres, là
encore en ressemblance des grades de la franc-maçonnerie. Ils se reconnaissaient
grâce à des poignées de main spéciales et de signes particuliers seulement
connus d’eux. En réalité, le seul point sur lequel les Carbonari différaient de la
franc-maçonnerie était le fait qu’ils exposaient des éléments chrétiens dans leurs
rituels.2 De nombreux Carbonari étaient catholiques, du moins officiellement.
L’organisation montrait un respect particulier pour un saint du nom de
Théobald (Thibaud). À première vue, cela ne semble spécifique de rien, mais si
nous creusons un plus profondément, quelque chose de surprenant apparaît.
Nous apprenons que Théobald était né en Champagne, à Provins, au XIe siècle.
Cela pourrait être un lien intéressant mais en outre Théobald n’était pas le
rejeton de n’importe quelle famille. Selon la tradition, son père était Arnould,
compte de Champagne et ancêtre direct de Hugues et Thibaud II de Champagne.
Comme nous l’avons vu (voir Chapitre 6), les comtes de Champagne dirigeaient
l’une des Familles de l’Étoile parmi les plus puissantes en Europe du nord.
D’autres recherches ont montré que l’année la plus probable pour la naissance
de ce saint était 1017. Élevé pour la carrière militaire, il abandonna la vie
guerrière à la fin de l’adolescence avec la permission de son père et vécut en
ermite. Il résida en divers endroits et voyagea beaucoup pour finalement s’établir
à Salanigo, en Italie. Là il passa une existence solitaire mais en 1066, proche de
la mort, il devint moine dans l’Ordre des Camaldules qui portaient des habits
semblables à ceux des Cisterciens.
On ne sait pas vraiment pourquoi il fut adopté comme patron des charbonniers
mais le simple fait qu’il ait vécu en solitaire pourrait simplement l’expliquer, car
les charbonniers étaient contraints à cette vie en raison de leur profession.
Malgré leur appartenance supposée au catholicisme et leurs liens avec
Théobald, les Carbonari furent toujours en conflit avec l’Église. On disait que
dans leurs assemblées était rapportée une version de la Passion du Christ que
l’Église jugeait blasphématoire.
Ce qui est plus intéressant, à propos des événements impliquant les Carbonari
sous le pontificat de Grégoire XVI, est le fait que l’organisation avait
apparemment disparu quand il accéda au trône papal. On prétendit que les
Carbonari avaient pris part à la Révolution de 1830 en France, mais ce fut
presque la dernière fois que l’on entendit parler d’eux avant que, trente ans plus
tard, l’Alta Vendita, un document prétendant contenir des instructions destinées
aux Carbonari pour renverser l’Église fut rendu public par le successeur de
Grégoire XVI, le pape Pie IX. Grégoire aurait le premier possédé le document
mais on ne sait pourquoi il ne le publia pas lui-même. Un fait est certain : vers
1860, les Carbonari avaient disparu des annales de l’histoire.

Le document de la Haute Vente


Où ce document surgit-il de l’oubli ? Nul ne le sait. Le pape Grégoire avait
apparemment laissé des instructions pour que sa source soit rigoureusement
protégée. Il affirma connaître personnellement certains de ceux qui avaient été
impliqués dans sa création et son secret était peut-être un moyen de couvrir
certains individus. On a également dit que ce document, toujours connu sous le
nom d’Alta Vendita, pouvait bien être une forgerie, conçue par Grégoire lui-
même où l’un de ses collaborateurs – et on ne peut l’exclure. Il y avait, et il y a
encore, des hommes doués dans la hiérarchie papale. Cependant, en gardant à
l’esprit tous les événements que nous avons vus se dérouler en Europe depuis le
XIe siècle, et convaincus comme nous le sommes que des groupes spécifiques de
gens ont mené une attaque clandestine permanente contre l’Église catholique, il
nous semble que l’Alta Vendita porte le sceau de la vérité. En voici un passage
parmi les plus virulents :
Notre but final est celui de Voltaire et de la Révolution française,
l’anéantissement à tout jamais du Catholicisme et même de l’idée
chrétienne, qui, restée debout sur les ruines de Rome, en serait la
perpétuation plus tard […].
Le Pape, quel qu’il soit, ne viendra jamais aux Sociétés secrètes :
c’est aux Sociétés secrètes à faire le premier pas vers l’Église, dans
le but de les vaincre tous deux.3
Le travail que nous allons entreprendre n’est l’œuvre ni d’un jour,
ni d’un mois, ni d’un an ; il peut durer plusieurs années, un siècle
peut-être ; mais dans nos rangs le soldat meurt et le combat
continue.
Nous n’entendons pas gagner les papes à notre cause, en faire des
néophytes de nos principes, des propagateurs de nos idées. Ce serait
un rêve ridicule, et de quelque manière que tournent les événements,
que des cardinaux ou des prélats, par exemple, soient entrés de plein
gré ou par surprise dans une partie de nos secrets, ce n’est pas du
tout un motif pour désirer leur élévation au siège de Pierre. Cette
élévation nous perdrait. L’ambition seule les aurait conduits à
l’apostasie, le besoin du pouvoir les forcerait à nous immoler. Ce
que nous devons demander, ce que nous devons chercher et
attendre, comme les Juifs attendent le Messie, c’est un pape selon
nos besoins […].
Avec cela nous marcherons plus sûrement à l’assaut de l’Église,
qu’avec les pamphlets de nos frères de France et l’or même de
l’Angleterre. Voulez-vous en savoir la raison ? C’est qu’avec cela,
pour briser le rocher sur lequel Dieu a bâti son Église, nous n’avons
plus besoin de vinaigre annibalien, plus besoin de la poudre à canon,
plus besoin même de nos bras. Nous avons le petit doigt du
successeur de Pierre engagé dans le complot, et ce petit doigt vaut
pour cette croisade tous les Urbain II et tous les saint Bernard de la
chrétienté.
Nous ne doutons pas d’arriver à ce terme suprême de nos efforts ;
mais quand ? mais comment ? L’inconnue ne se dégage pas encore.
Néanmoins, comme rien ne doit nous écarter du plan tracé, qu’au
contraire tout y doit tendre, comme si le succès devait couronner dès
demain l’œuvre à peine ébauchée, nous voulons, dans cette
instruction qui restera secrète pour les simples initiés, donner aux
préposés de la Vente suprême des conseils qu’ils devront inculquer à
l’universalité des frères, sous forme d’enseignement ou de
mémorandum […].
Or donc, pour nous assurer un Pape dans les proportions exigées,
il s’agit d’abord de lui façonner, à ce Pape, une génération digne du
règne que nous vivons. Laissez de côté la vieillesse et l’âge mûr ;
allez à la jeunesse, et, si c’est possible, jusqu’à l’enfance.
Ressuscitez les passions mal éteintes des Guelfes et des Gibelins,
et ainsi, vous vous arrangerez à peu de frais une réputation de bon
catholique et de patriote pur.
Cette réputation donnera accès à nos doctrines au sein du jeune
clergé comme au fond des couvents. Dans quelques années, ce jeune
clergé aura, par la force des choses, envahi toutes les fonctions ; il
gouvernera, il administrera, il jugera, il formera le conseil du
souverain, il sera appelé à choisir le Pontife qui devra régner, et ce
Pontife, comme la plupart de ses contemporains, sera
nécessairement plus ou moins imbu des principes italiens et
humanitaires que nous allons commencer à mettre en circulation.
C’est un petit grain de sénevé que nous confions à la terre ; mais le
soleil des justices le développera jusqu’à la plus haute puissance, et
vous verrez un jour quelle riche moisson ce petit grain produira.
Dans la voie que nous traçons à nos frères, il se trouve de grands
obstacles à vaincre, des difficultés de plus d’une sorte à surmonter.
On en triomphera par l’expérience et par la perspicacité ; mais le but
est si beau, qu’il importe de mettre toutes les voiles au vent pour
l’atteindre. Vous voulez révolutionner l’Italie : cherchez le Pape
dont nous venons de faire le portrait. Vous voulez établir le règne
des élus sur le trône de la prostituée de Babylone : que le clergé
marche sous votre étendard en croyant toujours marcher sous la
bannière des Clefs apostoliques. Vous voulez faire disparaître le
dernier vestige des tyrans et des oppresseurs : tendez vos filets
comme Simon Barjone ; tendez-les au fond des sacristies, des
séminaires et des couvents plutôt qu’au fond de la mer : et si vous
ne précipitez rien, nous vous promettons une pêche plus miraculeuse
que la sienne. Le pêcheur de poissons devint pêcheur d’hommes ;
vous, vous amènerez des amis autour de la Chaire apostolique. Vous
aurez péché une révolution en tiare et en chape, marchant avec la
croix et la bannière, une révolution qui n’aura besoin que d’être un
tout petit peu aiguillonnée pour mettre le feu aux quatre coins du
monde.4
Plusieurs éléments de l’Alta Vendita ont retenu notre attention. D’abord et avant
tout la méthode par laquelle les Carbonari – si l’on admet l’authenticité du
document – suggèrent de vaincre l’Église catholique. Ce n’était pas par la guerre
directe ni la confrontation car avec une bonne stratégie les attaques armées
pouvaient être inutiles. La bonne manière de vaincre l’Église catholique, selon
les chefs de la Vendita, était de détruire son pouvoir de l’intérieur. Des jeunes
acquis aux Carbonari pouvaient être envoyés dans les séminaires où ils se
prépareraient à recevoir les ordres. Ils conserveraient leurs liens avec les
Carbonari et pourraient peu à peu s’élever dans les rangs de la prêtrise, devenir
évêques, cardinaux et peut-être, un jour, papes.
Le document réfères spécifiquement à Rome comme à la « Prostituée de
Babylone ». C’est une allusion à la Bible, précisément au livre de l’Apocalypse.
Au chapitre 17, l’auteur rencontre une femme assise sur une bête écarlate avec
sept têtes. Elle est dite « prostituée » ou « putain de Babylone » et l’auteur de
l’Apocalypse ne nous laisse pas ignorer qu’il désigne ainsi Rome, construite
comme on le sait sur sept collines. La femme est habillée en pourpre et en
écarlate – les couleurs portées par les empereurs romains (et plus tard les
cardinaux et les papes) – et sur son front est écrit : « Babylone la grande, mère
des prostituées et des abominations de la terre ». On nous dit qu’elle était ivre du
sang des martyrs et l’auteur finit le chapitre en suggérant que « la femme que tu
as vue, c’est la grande cité qui règne sur les rois de la terre ».5
Cette ville, suggère l’auteur, avec toute son iniquité et sa malice, devra tomber
avant que le vrai royaume de Dieu apparaisse et que la Nouvelle Jérusalem soit
bâtie.
Dans l’Alta Vendita, le paragraphe 5 de l’extrait ci-dessus présente un grand
intérêt, quand l’auteur suggère que la force armée n’est pas la bonne approche
pour détruire l’Église catholique et que le petit doigt du « successeur de Pierre »
(le pape) serait suffisant pour gagner la bataille. Le paragraphe s’achève en
disant que ce « petit doigt est un bien, pour cette croisade, comme tous les
Urbain II et tous les saint Bernard pour la chrétienté ».
Il est très intéressant que l’Alta Vendita fasse usage de ces deux noms. Ces
deux hommes, nous l’avons vu aux chapitres 4 et 6, appartenaient à une lignée
aristocratique en Champagne et chacun d’eux a joué un rôle dans l’histoire. Le
pape Urbain II, Odon de Lagery, fut celui qui appela à la première croisade à la
fin du XIe siècle (voire chapitre 4) tandis que Bernard de Clairvaux a
probablement davantage contribué à la réforme du pouvoir de l’Église catholique
et à la transformation de la société qu’aucun autre homme (voir chapitre 5).
Cependant pour de pieux catholiques aucun de ces deux hommes ne pouvait être
tenu pour le moins du monde extrémiste ou anti-catholique. Les deux sont très
vénérés. Urbain II est « béatifié » ce qui signifie qu’il est à mi-chemin de la
sainteté, tandis que Bernard de Clairvaux est non seulement admiré comme un
saint mais aussi considéré comme l’un des grands « docteurs » de l’Église.
Il y a deux façons de lire cette section de l’Alta Vendita. D’un côté l’auteur
peut invoquer Urbain II et Bernard de Clairvaux parce que ce sont deux hommes
très vénérés et qui ont servi l’Église. Cependant, il semble plus probable pour
nous que l’auteur de l’Alta Vendita, quel qu’il soit, savait qu’Urbain II et
Bernard étaient membres d’une confrérie dont les objectifs étaient la réforme
complète de l’Église catholique, ou même sa destruction totale.
Nous avons démontré dans les chapitres précédents comment ces deux
hommes, chacun à leur façon, ont contribué à diminuer le pouvoir de Rome,
Urbain en assurant la prééminence de Jérusalem et de la Terre Sainte, et Bernard
en développant l’Ordre cistercien, ce qui directement et indirectement produisit
un certain changement dans la société – en faisant basculer le pouvoir vers les
masses à travers le développement de l’industrie et du commerce.

Pie IX et les francs-maçons


Nous devons nous demander pourquoi, à une époque ou les Carbonari avaient en
fait disparu, le pape Pie IX et son prédécesseur Grégoire XVI ont été obsédés par
un document comme l’Alta Vendita. La réponse n’est pas difficile à trouver.
Grégoire XVI fut l’un des papes les plus extrémistes et les plus conservateurs de
son temps et n’avait besoin d’aucun prétexte sérieux pour attaquer le libéralisme
et la libre pensée. Pie IX était, au début, plus libéral à titre personnel, mais cela
ne demeura pas vrai pour le reste de son pontificat.
C’est pendant le règne de Pie IX que les États du pape, une région directement
gouvernée par le pape depuis des siècles, ne purent s’opposer à l’unification
italienne. Paradoxalement, Pie IX était en partie responsable de cet état des
choses. Il avait commencé son pontificat en 1846 avec l’ambition de remettre
droit ce que son prédécesseur avait mal fait à ses yeux. Il se battit contre les
droits de l’homme et la politique favorisant la libre expression politique et de
nombreux dirigeants italiens le suivirent. Mais au lieu de calmer l’agitation, cette
politique conduisit à des exigences encore plus fortes pour la liberté politique et
l’unité de l’Italie. Celle-ci s’accomplit en 1861 alors que Pie IX était encore
pape, sous l’égide du roi Victor- Emmanuel de Savoie – une importante Famille
de l’Étoile, au sud de la France et au nord de l’Italie. Pie IX subit l’humiliation
de perdre les États pontificaux et de devenir le souverain d’un minuscule État
réduit à une partie de Rome – le Vatican.
Ces événements entraînèrent le raidissement du pape. Il est certain que Pie IX
devint amer et soupçonneux quand il vit les effets des ses propres convictions
modérées. Il n’est pas surprenant que la date choisie par Pie IX pour la
transcription de l’Alta Vendita soit 1860, époque à laquelle l’unification de
l’Italie était imminente et où la perte des États pontificaux semblait inéluctable.
A ce moment, Pie IX se méfiait des sociétés secrètes et de la franc-maçonnerie
qu’il soupçonnait d’avoir contribué aux malheurs de l’Église. Très probablement
il n’avait aucun témoignage direct des intentions des francs-maçons à l’égard de
l’unité italienne, mais il possédait le document légué par Grégoire XVI. Ce
n’était pas une preuve de la détermination des francs-maçons à détruire l’Église
catholique mais, s’agissant des Carbonari, proches des francs-maçons, c’était la
seule chose dont il pouvait faire usage.
C’est sans doute pour cela que l’Alta Vendita apparut à ce moment-là, et elle
fit sensation parmi les catholiques. Si elle est authentique, et selon nous c’est
probablement le cas, elle présente un complot, non vraiment de la part des
francs-maçons eux-mêmes, mais d’une organisation très proche, pour infiltrer et
finalement abattre non seulement l’Église catholique romaine mais, comme le
suggère précisément l’Alta Vendita, « l’idée même de christianisme ».
Quelques mouvements disent aujourd’hui avec force que la franc-maçonnerie
est dangereuse et s’oppose au christianisme pour le détruire. Il n’y a aucun motif
pour soutenir de telles idéesd mais il semble que d’autres groupes, pseudo-
maçonniques ou proches de la maçonnerie, aient eu l’intention de séparer le
pouvoir de l’Église – et de miner le christianisme lui-même. La mise au jour de
l’Alta Vendita et la réaction qu’elle suscita de la part de l’Église de Rome à son
sommet suggèrent une guerre silencieuse contre l’Église depuis le XIe siècle.
Il y a des milieux qui tirent argument de l’Alta Vendita pour accuser
positivement la franc-maçonnerie d’un complot délibéré, ourdi de longue date,
pour changer le monde et établir un « Nouvel Ordre mondial ». On trouve de
nombreux sites internet spécialement dédiés à la conspiration maçonnique.

Les Illuminati
Très peu de ces sites peuvent être décrits comme raisonnables. La plupart sont
dans une hystérie paranoïaque, souvent virulente et antisémite aussi bien
qu’antimaçonnique. Malgré leurs nombreuses affiliations sans fondement il y a
l’idée que la base de la franc-maçonnerie est une officine mystérieuse et sombre
dénommée « les Illuminati ». Les Illuminati sont généralement dépeints par les
théoriciens de la conspiration maçonnique en des termes qui rappellent les
« magiciens noirs » ou les « satanistes » et il ne se trouve guère de changement
dans l’histoire mondiale depuis deux siècles qui ne leur soit attribué par l’une ou
l’autre de ces théories.
Même si nous n’admettons pas les affirmations sauvages des sites
conspirationnistes sur la nature sinistre et le rôle des Illuminati, il n’en est pas
moins utile d’examiner les liens possibles entre eux et les francs-maçons. Pour
nous, l’existence des Illuminati pourrait donner du poids à nos découvertes sur
les Familles de l’Étoile.
Il est maintenant généralement admis que les Illuminati furent fondés en 1776
par Adam Weishaupt, professeur de droit canonique à l’université d’Ingolstadt
en Bavière. Il n’y a en fait aucun doute car Weishaupt dénomma sa nouvelle
organisation « L’Ordre des Illuminés »e. Cependant, avant de nous pencher sur
Weishaupt, ses buts, ses objectifs, nous devons reconnaître que le mot Illuminati
n’était pas de son invention et avait existé depuis des siècles.

Les Amauriciens
« Illuminati » signifie simplement « Illuminés », un sens très proche de
« Gnostiques », ceux qui possèdent la gnose, une science de lumière. Bien que
de nombreux groupes d’origine très ancienne aient utilisé ce nom, il apparaît
pour la première fois vers 1200 avec les disciples d’un théologien français du
nom d’Amaury de Bène. Né à Bène, près de Chartres, Amaury enseigna à
l’Université de Paris et, sans doute à cause de croyances un peu inhabituelles, il
attira de nombreux disciples. Après sa mort, ils furent connus comme les
« Amauriciens » mais se désignaient souvent eux-mêmes comme les
« Illuminati ». Il faut noter que même si Amaury fut obligé par l’Église de
réfuter ses opinions, sous menace de mort, ses disciples continuèrent à prêcher sa
doctrine. La base de leurs activités – ce ne sera pas une surprise – était en
Champagne.
Amaury pensait que la philosophie et la religion sont essentiellement une
seule et même chose. Ce n’était pas un concept nouveau à l’époque et l’essentiel
de la pensé d’Amaury venait d’un théologien et philosophe irlandais, Jean Scot
Érigène (env. 815-877). Ce que l’Érigène transmit par ses écrits à Amaury était
un néoplatonisme plaqué sur le christianisme orthodoxe.
Les néoplatoniciens étaient apparus au IIIe siècle en Égypte, à Alexandrie, où
ils se conformaient aux enseignements du philosophe grec Platon. Cependant,
leurs croyances étaient mêlées de judaïsme et de mysticisme chrétien. Le
néoplatonisme suggère que toute existence dérive d’une seule source et que
l’âme individuelle de toute personne peut s’unir mystiquement à cette source
originelle.
Au centre de l’enseignement d’Amaury, il y avait la croyance que toute chose
et toute personne demeurant dans l’amour de Dieu est incapable de péché.
C’était une vue dangereuse pour les autorités de l’Église qui voulaient garder le
contrôle de ce qui est péché et de ce qui ne l’est pas. De telles idées pouvaient
conduire à la liberté de l’esprit et devaient être tuées dans l’œuf. En 1204,
l’université de Paris condamna la doctrine d‘Amaury comme hérétique et Rome
confirma son verdict. Amaury fut contraint de se réfuter et eut la vie sauve.
Après sa mort, vers 1205-1207, ses disciples allèrent plus loin dans leurs
convictions hérétiques. Ils déclarèrent que Dieu lui-même s’était révélé, et le
ferait encore, dans une triple manifestation. Il y avait eu, selon eux, l’Âge du
Père et l’Âge du Fils. Bientôt viendrait l’Âge du Saint Esprit qui commencerait
par la manifestation de Dieu sous la forme d’Amaury. Quelques disciples avaient
pris à la lettre certains enseignements de leur maître et avaient compris qu’ils
pouvaient faire absolument tout ce qu’ils voulaient, libérés du souci d’une
récompense divine. En 1209 quelques-uns furent brulés sur le bûcher de même
que les restes d’Amaury, déterré pour la circonstance. Il fut officiellement
condamné au concile de Latran en 1215.
Cependant, Amaury avait été parmi les premiers penseurs en Occident à
s’appuyer sur la philosophie grecque néoplatonicienne. Il avait ainsi créé un
important précédent pour le développement futur de la pensée européenne, en
politique et en religion.
Il est difficile de distinguer le néoplatonisme d’Amaury et l’attitude des
mystiques de son époque comme Bernard de Clairvaux. Saint Bernard décrit
Dieu comme « hauteur, largeur, profondeur et ampleur ». Sa vision mystique du
christianisme suppose que la science profane ne peut être étudiée, sauf si elle est
une contribution à la vie spirituelle. La différence majeure ente Amaury et
Bernard est que Bernard semble être resté sur la juste ligne, sa vie personnelle
n’ayant jamais été en conflit avec les règles de l’Église. Bernard a toujours pris
son inspiration dans la Bible, même si certaines sources sont confuses, obscures
ou apparemment peu chrétiennes, comme le Cantique des cantiques. Saint
Bernard occupait aussi une position politique forte et unique en son genre. Il
n’eut rien à craindre des différents papes car il était, pour certains d’entre eux, à
l’origine de leur accession au pouvoir.
L’Église a rejeté et tenté de détruire tous ceux qui ont épousé la cause du
néoplatonisme. Le concept même en paraissait trop radical pour une organisation
qui n’a jamais laissé de place à la liberté ni au choix personnel.
Les autorités civiles ont approuvé, car tous les dirigeants de l’Europe
médiévale étaient despotiques par nature et toute forme de libre expression leur
était étrangère.
Le christianisme n’était pas le seul à être influencé par le néoplatonisme. Il
avait aussi une influence marquée sur les croyances de nombreux musulmans,
notamment dans le soufisme, l’aspect mystique de l’Islam. Cela n’était pas
ignoré de Weishaupt car ses propres Illuminati étaient fondés sur des positions
soufies – à tel point qu’il fut accusé, de son vivant, d’être un musulman caché.
Les communautés amauriciennes se poursuivirent, d’abord au grand jour puis
en secret, spécialement en Champagne, jusqu’au XIVe siècle. Leurs croyances
eurent un profond effet sur d’autres communautés, comme les Bégards de
Cologne. Amaury marqua aussi un homme aujourd’hui connu dans les cercles
religieux. Johannes Eckhart von Hochheim, ce moine dominicain fut connu sous
le nom de Maître Eckhart et il adopta aussi les vues néoplatoniciennes.

Adam Weishaupt
Après l’effacement des Amauriciens et de leurs pratiques, au XIVe siècle, le terme
Illuminati disparut de l’usage jusqu’au XVIIIe siècle. Savoir dans quelle mesure
Adam Weishaupt avait des choses en commun avec les Frères du libre esprit, et
d’autres groupes qu’ils avaient inspirés, reste matière à conjectures, mais il est
certain qu’il connaissait leur héritage et avait des liens semblables avec l’Islam.
Adam Weishaupt était né le 6 février 1748, dans une famille juive convertie au
christianisme, et fut élevée dans les écoles des Jésuites pendant toute son
enfance. Comme il montrait de grands dons, notamment pour les langues, les
autorités locales de l’Église le destinèrent à la prêtrise et spécialement au travail
missionnaire. Adam refusa et utilisa son instruction d’une autre manière. Grâce à
de bonnes relations de sa famille ainsi qu’à son propre talent, il devint professeur
de droit canonique à l’université d’Inglostadt. L’Église locale en fut scandalisée
car c’était la première fois qu’un tel poste était offert à un laïc.
Adam aimait beaucoup l’histoire et étudiait aussi la philosophie. Il avait un
esprit fertile et manifestait un grand intérêt pour l’Égypte dont on ne savait alors
rien de très précis.
En 1771, Adam Weishaupt, âgé de 23 ans, décida de créer ce qu’il voulait être
une société secrète. Son but était de transformer la race humaine et d’abolir les
pouvoir tant spirituel que temporel. En organisant ce qu’il nomma très tôt les
Illuminati, Weishaupt emprunta à diverses sources et il lui fallut cinq ans pour
mettre en place sa stratégie.
Il devait y avoir trois classes de membres parmi les Illuminati. Les premières
était celles des « novices », des « minervaux » et des « petits Illuminés ». Ensuite
venaient les « Chevaliers Écossais » ; et la plus haute classe comprenait deux
grades de prêtre, celui de « prêtre et régent » et celui de « mage et roi ». Tout
cela démontrait, et notamment les « Chevaliers Écossais », que Weishaupt avait
beaucoup emprunté à la franc-maçonnerie.
Il est très difficile de savoir comment firent les Illuminati pour progresser car
leur loi du secret était presque fanatique. Aucun membre ne devait savoir qui
était réellement son supérieur. Et les nouvelles recrues ne savaient pas quand les
Illuminati avaient été fondés ni de ce qui se cachait derrière eux. On disait
seulement aux aspirants que les Illuminati remontaient à une lointaine antiquité
et que parmi eux figuraient des personnes de haut rang social et des membres du
clergé. Un serment de secret absolu était exigé de quiconque voulait devenir
« Illuminé » et une obéissance absolue était demandée à tous.
Il y avait cinq objectifs connus des Illuminati, à savoir :

1. l’abolition des monarchies et des gouvernements établis,


2. l’abolition de toute propriété privée et de l’héritage,
3. la fin du patriotisme et du nationalisme,
4. l’abolition de la vie familiale et du mariage, de même que l’obligation
d’élever les enfants de façon communautaire,
5. la fin de toute religion organisée.

Il y avait encore beaucoup de chemin à faire avant Karl Marx et de telles idées
ne pouvaient aboutir que sur le très long terme.
Weishaupt semble avoir pensé que toute action en faveur des buts des
Illuminati était justifiée et comme il ne reconnaissait pas de légitimité aux
gouvernements établis, il ne se sentait pas non plus obligé par quelque loi que ce
fût. Il semble avoir été un des premiers avocats de ce qui fut plus tard la maxime
des communistes : « La fin justifie les moyens ». Malgré cela, Weishaupt ne
semble pas avoir été un homme cruel ou indifférent. Il dit un jour que le « péché
n’est que ce qui est offensant » et en cela il semble avoir eu beaucoup en
commun avec les Amauriciens qui professaient que le péché, en lui-même,
n’existait pas et n’était que la description d’actions erronées.
Weishaupt était un fervent disciple de Jean-Jacques Rousseau et comme lui il
envisageait un monde libre des contraintes de l’État et de l’Église et où toute
l’humanité pourrait vivre en communion avec la nature. Là encore il y a des
parallèles entre la pensée de Weishaupt et la philosophie des Amauriciens.
Pendant son éducation, Weishaupt en était venu à détester le catholicisme et
surtout les Jésuites – bien qu’il fut admiratif de leur organisation dont il a repris
certains principes pour structurer les Illuminati.
Chaque mois, les plus humbles des Illuminati, les minervaux, recevaient une
instruction. On leur enseignait la philosophie des Lumières, mais ils restaient
dans l’ignorance de l’identité exacte de leurs maîtres car tout le monde dans
l’organisation utilisait un pseudonyme. Dans le cas de Weishaupt, c’était
« Spartacus », le nom du chef de la révolte des esclaves contre Rome en 73. Les
minervaux et leurs instructions devaient en permanence rechercher de nouveaux
adeptes et l’organisation devint bientôt internationale. Les minervaux étaient
largement ignorants des buts ultimes des Illuminati. En atteignant les plus hauts
degrés de l’organisation, ils recevaient l’instruction de Spartacus lui-même :

Les Prince et les Nations disparaîtront de la surface de la terre ! Oui,


le temps viendra où chaque homme ne reconnaître d’autre loi que
celle du grand livre de la nature ; cette révélation sera l’œuvre des
sociétés secrètes et c’est l’un de nos grands mystères.

De façon assez surprenante, les Illuminati prospérèrent pendant un temps et


eurent des représentants dans toute l’Europe occidentale.
Il y eut dès le début une politique d’infiltration systématique des loges
maçonniques où l’on voyait une riche source de recrutes nouvelles. Un co-
inspirateur de Weishaupt fut un aristocrate allemand, le baron Knigge, qui eut en
charge de coordonner l’approche des loges maçonniques. Pendant ce temps, les
Illuminati s’efforçaient de convaincre les autorités que leurs seuls buts étaient de
bonnes actions fondées sur la vie de Jésus-Christ.
Malheureusement pour eux, un « acte de Dieu », si l’on peut dire, changea le
cours des événements. En 1784, en Bavière, un membre des Illuminti fut tué par
la foudre et quand la police examina son corps elle trouva des lettres de
Weishaupt cousues dans son manteau. Cela sema la panique parmi les membres
et quatre d’entre eux, conduits par un membre de haut rang parmi les Illuminati,
Utschneider, se rendirent spontanément aux autorités et divulguèrent le but
véritable et les intentions de l’organisation.
Weishaupt dut fuir pour sauver sa vie et trouva finalement refuge en Saxe, à
Gotha. Ses problèmes s’aggravèrent alors. Il avait déjà connu des difficultés pour
maintenir sous contrôle ses partisans autour de lui et avait eu à souffrir de leur
morale relâchée et de leur mauvais comportement. Mais sa situation ne fut pas
améliorée par un scandale impliquant sa belle-sœur qu’il avait mise enceinte et
sur qui il avait tenté de pratiquer un avortement.
Adam Weishaupt mourut à Gotha en 1830 et selon des rumeurs qui sont
parvenues jusqu’à notre époque, on a prétendu que les Illuminati avaient
continué à jouer un rôle important pour établir des groupes modernes et plus
fanatiques se référant spécialement à un « Nouvel Ordre mondial », mais il n’y
en a aucune preuve tangible.
En même temps, suggérer, avec d’autres auteurs, que les Illuminati n’eurent
aucune influence sur le développement de l’Europe au XVIIIe et au XIXe siècle
serait ignorer le formidable legs intellectuel de Weishaupt et de ses successeurs.
Bien que les projets de Weishaupt lui-même concernant les Illuminati n’aient
pas abouti, on ne peut ignorer la part importante prise par son organisation dans
ce qui se produisit alors en Europe – par exemple la prolifération de toutes sortes
d’idées qui ont nourri la Révolution française. Il est également certain que les
Illuminati demeurent une organisation très intéressante pour de nombreuses
personnes. Le simple mot « Illuminati » sur un moteur de recherche génère plus
de 2,5 millions de réponses. La plupart renvoient à des groupes chrétiens
américains d’extrême-droite qui pensent que les Illuminati n’ont pas disparu
avec Weishaupt et que son organisation existe toujours – et notamment comme
une extension sinistre et très secrète de la franc-maçonnerie.
La simple vérité semble être que l’Ordre des Illuminati fut conçu par
Weishaupt et n’a pas survécu à la mort de son fondateur. Ce fut une réponse
intellectuelle aux événements qui se déroulaient alors, mais les méthodes qu’il
était supposé utiliser le rendirent inopérant dès l’origine. Il est naturellement
dans l’intérêt de certains de prétendre que les Illuminati sont toujours en vie et
que leur désir de détruire la société demeure intact – mais si c’est le cas, nos
recherches approfondies n’ont pas permis de trouver des preuves réelles de tout
cela.
L’existence de l’Ordre des Illuminati comme une réalité historique est, selon
nous, à rapprocher de la réalité et de l’influence des Familles de l’Étoile. Les
Illuminati eurent une courte vie, étaient mal conçus, et quoique leurs intentions
fussent précises, ils ne savaient trop comment les réaliser. L’Ordre de Weishaupt
confinait à une sorte d’anarchisme où les Familles de l’Étoile n’avaient aucun
intérêt. Les deux structures recherchaient finalement la liberté des individus,
mais les moyens pour y parvenir étaient radicalement différents. Nous ne savons
pas si des membres des Familles de l’Étoile furent parmi les Illuminati, mais cela
semble peu probable.

Éliphas Lévi
Il n’y a pas non la moindre preuve que ni Adam Weishaupt ni les Illuminati se
soient jamais intéressés à la « magie noire ». De semblables accusations de
satanisme sont régulièrement jetées sur la franc-maçonnerie et les Illuminati
invariablement cités comme une preuve de son existence dans l’Ordre
maçonnique. C’est en grande partie à cause d’un seul homme. Il s’appelait
Éliphas Lévi.
Né à Paris en 1810, Lévi – son vrai nom était Alphonse Louis Constant –
d’origine modeste, se montra intelligent et éveillé dès son jeune âge. En raison
de ses talents intellectuels, Constant put obtenir une place au séminaire de Paris
pour s’instruire et finalement devenir prêtre catholique romain.
Malheureusement, c’était le séminaire de Saint-Sulpice.
Parmi tous les séminaires français du XIXe siècle, et il y en avait beaucoup,
Saint Sulpice avait une étrange réputation. À l’époque où Constant y fit ses
études, c’était devenu un foyer d’idées nouvelles et un endroit où l’ésotérique et
l’occulte allaient de pair avec le catholicisme officiel. Certains des personnages
les plus célèbres de la tradition ésotérique française furent directement associés à
Saint-Sulpice, des noms comme ceux de la cantatrice Emma Calvé ou du
compositeur Claude Debussy démontrent que les enseignements peu orthodoxes
de Saint-Sulpice étaient discutés dans les cercles à la mode, là où l’occultisme
suscitait de l’intérêt.
Plongé dans les courants souterrains de Saint-Sulpice, Constant s’impliqua
dans les doctrines et les pratiques occultes. En fait, ce ne fut pas un bon prêtre.
En 1846, peu après avoir reçu les ordres, il rencontra Noémie Cadot, âgée de 17
ans, et l’épousa. Le mariage fut rapidement annulé et Constant, désormais hors
de l’Église, fit du journalisme pour gagner sa vie.
Mais sa culture ésotérique le conduisit bientôt sur des sentiers moins
orthodoxes. Se nommant à présent Éliphas Lévi, en 1861 il publia Dogme et
rituel de haute magie, rapidement suivi par l’Histoire de la magie et La clé des
grands mystères. Ce n’est que de façon indirecte que Lévi a fait rapprocher la
franc-maçonnerie et le satanisme car il n’a jamais évoqué de lien direct entre
eux. Il n’a fait qu’expliquer la signification du pentacle, l’étoile à cinq branches,
qui était depuis longtemps un important symbole des francs-maçons.
Lévi affirmait que lorsque le pentacle était inversé, pointe en bas, c’était un
symbole satanique. Il l’associait à la tête d’un bouc, un animal représentant le
démon, et des figures montrant cette association devinrent répandues.
Peu importait que le christianisme ait fait souvent usage du pentagramme
comme d’un symbole chrétien, pour une société avide de « révélations » comme
celles de Lévi. Il ne fallut pas longtemps aux officines antimaçonniques souvent
liées à l’Église catholique pour noter que ce symbole important dans la franc-
maçonnerie devait faire conclure que les francs-maçons étaient des satanistes.
La situation fut encore aggravée par Albert Pike qui, par une ironie de
l’histoire, devint un franc-maçon américain du plus haut rang.

Albert Pike
Né au Massachussetts en 1809, il était contemporain d’Éliphas Lévi. Comme lui,
Pike avait peu étudié mais il était intelligent et plein d’imagination. Il apprit le
sanscrit, l’hébreu, le grec, le latin et le français et, après avoir beaucoup voyagé,
s’établit en Arkansas où il commença une grande carrière d’écrivain
maçonnique.
Il devint membre d’une loge maçonnique en 1859, fut élu Souverain Grand
Commandeur du Rite Écossais pour la Juridiction sud6 et conserva cette fonction
jusqu’à sa mort, 32 ans plus tard. Pendant toute cette période, il causa un tort
considérable à la franc-maçonnerie.
Pike entreprit de développer de nombreux rituels maçonniques bien qu’il n’eût
pas la moindre idée de ce qu’était en fait la franc-maçonnerie. Pour lui c’était
une sorte de jouet intellectuel et il pouvait en user à sa guise. Mais l’idée
fondamentale de la franc-maçonnerie est qu’un seul homme n’a pas le pouvoir
de changer ses rituels et, si l’on suit Pike, l’Ordre devient aussi divers et aussi
confus que les innombrables églises chrétiennes.
Pike a ainsi nourri, par insouciance, les anti-maçons. En 1871, il publia un
ouvrage intitulé Morals and Dogma of Ancient and Accepted Scottish Rite of
Freemasonry. Ceux qui s’attaquent à la franc-maçonnerie comme à une société
secrète malfaisante soulignent que Pike voit dans la franc-maçonnerie une
“religion” et que son idéologie est celle de “Lucifer”. Le fondement de cette
affirmation est dans l’extrait suivant des œuvres de Pike :

Toute loge maçonnique est le Temple d’une religion ; ses


enseignements sont ceux d’une religion.
Le vrai nom de Satan, selon le Kabbaliste, est celui de Yaweh,
inversé ; car Satan n’est pas un dieu noir […] Lucifer, le Porteur de
Lumière ! Nom étrange et mystérieux donné à l’Esprit des ténèbres !
Lucifer, le Fils du Matin ! Est-ce lui qui porte la lumière dont la
splendeur intolérable éblouit les âmes faibles, sensuelles ou
égoïstes ? Sans aucun doute !

Pike pensait qu’il y avait deux puissances à l’œuvre dans l’univers. Il refusait de
les appeler Dieu et le Démon mais plutôt « Lucifer » et « Adonaï ». Ces deux
noms se rapportent à la planète Vénus. Lucifer (le porteur de la lumière) est un
ancien nom donné à Vénus lorsqu’elle apparaît comme étoile du matin et Adonaï
est Vénus manifestée comme l’étoile du soir. Pike voyait Adonaï et Lucifer en
opposition égale – mais nullement comme le bien et le mal.
Cependant le nom de Lucifer était déjà attaché (indûment) au Démon et les
chrétiens conclurent rapidement. Ils dirent que le lien établit par Pike avec
Lucifer montrait que les francs-maçons étaient des satanistes directement
opposés à tout ce qui était bon pour la chrétienté. L’origine de cette croyance qui
persiste encore parfois contre toute raison dans certains milieux, est à attribuer à
Albert Pike.
Les révélations de Pike à propos de Lucifer et d’Adonaï – et qui ne devaient
rien à quelque pratique maçonnique que ce fût – ont simplement renforcé la
conviction de l’Église catholique qu’elle était diamétralement opposée à la franc-
maçonnerie. Pike n’améliora pas la situation en faisant toutes sortes de
déclarations anti-catholiques que les chrétiens prirent pour représentatives de
l’opinion maçonnique.
Les vues personnelles de Pike et celles de Lévi sont régulièrement
mentionnées comme « preuves » que les francs-maçons ne sont pas seulement
anti-chrétiens mais ont aussi un projet pour détruire la « vraie » foi et la
remplacer par un « Nouvel Ordre mondial » d’inspiration satanique. Les francs-
maçons qui le réfutent sont souvent en position difficile car leurs protestations
sont dénoncées par les conspirationnistes comme une ruse pour masquer « la
vérité ». Le mythe du « franc-maçon démoniaque » est si profondément ancré
dans l’esprit des gens que l’Ordre est toujours vu avec suspicion, et pas
seulement par les groupes paranoïaques d’extrême-droite, notamment aux États-
Unis. Aujourd’hui, des hommes politiques occidentaux ont pris soin de se
distinguer de la franc-maçonnerie et ont même pris des lois contre les francs-
maçons occupant des positions importantes, obligés de déclarer d’abord leur
appartenance.
Même en tant qu’organisation d’entraide, la franc-maçonnerie a été attaquée
car la moindre rumeur que quiconque a pu être influencé par son appartenance
maçonnique peut le marginaliser et lui faire manquer une promotion. Notamment
en Grande-Bretagne en ce qui concerne les hommes politiques, les
fonctionnaires, la police ou les membres de la magistrature. Même des ministres
de l’Église d’Angleterre et d’autres Églises chrétiennes se mettent aujourd’hui en
péril quand ils sont francs-maçons.
Dans notre chapitre final nous allons démontrer que les Familles de l’Étoile
ont déjà atteint leurs buts essentiels et que la franc-maçonnerie a simplement été
leur arme temporaire.

a. Cette vision des choses, typique de la franc-maçonnerie française de la fin du XIXe siècle, n’est plus
aujourd’hui une fidèle description d’un paysage maçonnique français beaucoup plus prudent, plus modéré
et surtout plus divers [ndt].
b. Rappelons qu’il mourut le 30 mai de la même année : il fut donc franc-maçon un peu moins de deux
mois et n’assista qu’à la seule tenue de son initiation [ndt].
c. Terme désignant au XIXe siècle les cercles de la Charbonnerie, une société secrète « intiatique » et
surtout politique, très liée à l’indépendance italienne, dont certains membres furent francs-maçons, mais
elle-même étrangère à la franc-maçonnerie. Les autorités romaines de l’Église n’en confondirent pas moins
allègrement la Charbonnerie et la franc-maçonnerie… [ndt]
d. Rappelons que la franc-maçonnerie britannique, que les auteurs de ce livre ont principalement en vue,
n’a jamais eu aucun conflit avec les Églises – nombre de ses dignitaires sont aussi des ministres du culte –,
à la différence de la franc-maçonnerie française engagée au XIXe siècle dans un long et dur combat contre
l’Église catholique et pour l’établissement de la République [ndt].
e. Dans la littérature française sur le sujet, on les appelle généralement « Les Illuminés de Bavière ». La
forme latine « Illuminati » est d’usage courant chez les auteurs anglo-saxons. [ndt]
CHAPITRE XIII

LA FIN DU COMMENCEMENT

Nous avons montré dans les chapitres précédents que des institutions comme les
Tironiens, les Cisterciens, les Chevaliers du Temple et les foires de Champagne,
ainsi que les francs-maçons, ne doivent pas être considérés isolément. De même
que les similitudes contenus dans les évangiles de Luc, Marc et Matthieu ont
conduit à la conclusion que tous dérivaient d’une source commune aujourd’hui
perdue – une série de paroles et d’actes de Jésus appelée Q (de l’allemand
Quelle, qui veut dire « source ») par les spécialistes, de même nous pouvons voir
clairement derrière les Cisterciens, les Templiers et les autres un centre actif qui
les relie tous, mais qui demeure dans l’ombre.
Le roi Salomon avait mis en place une élite sacerdotale avec la mission à long
terme de créer un monde qui pourrait suivre la loi de Yaweh. Pour Salomon et
ses contemporains, les interactions entre l’humanité et le monde divin se
situaient à un niveau bien plus élevé que celui de n’importe quelle religion.
La seule religion qui de nos jours maintienne un degré de complexité
comparable à la conception de Salomon est également la plus ancienne :
l’hindouisme. Ses origines se perdent dans la nuit des temps mais il reconnaît un
unique et grand esprit comsique (Brahman) qui est vénéré sous diverses
manifestations comme Vishnou, Shiva ou Shakti. Sous quelque forme que ce
soit, l’hindouisme demeure une religion monothéiste avec plusieurs dieux, une
foi essentiellement tolérante qui admet que tous les chemins vers la grande
puissance de l’univers se valent.
Le texte religieux le plus sacré de l’hindouisme, le Rig Véda, est également le
plus ancien recueil des conceptions humaines, à la possible exception de
l’épopée sumérienne de Gilgamesh. Il renferme les paroles suivantes : « La
vérité est une ; les Brahmanes l’appellent de différents noms ».1
Nous pensons que la vision du roi Salomon a dû être comparable. Yaweh était
son dieu national – son point fixe – mais au-delà de Yaweh il y avait la grande
force cosmique dont la seule manifestation terrestre était la divine Shekinah. Les
dieux des autres nations devaient être respectés, mais tous étaient inférieurs à
l’énergie ultime qui fondait le ciel et la terre.
À la différence des fidèles de toutes les religions postérieures, les Familles de
l’Étoile – qui avaient hérité des pouvoirs de Salomon – ne l’ont jamais perdu de
vue.

Le programme des Familles de l’Étoile


Les faits démontrent que les ambitions des Familles de l’Étoile ne furent jamais
de conduire le monde entier à suivre une « religion juive d’État ». Leur vision de
Dieu était bien plus complexe que celle du christianisme, de l’Islam ou du
judaïsme rabbinique (une forme de la pensée juive très différente de la leur).
Elles pensaient que toutes ces options théologiques étaient valables mais
parfaitement secondaires par rapport au principe premier. Ce qui importait,
c’était de créer un monde où l’on aimerait Dieu sous quelque nom qu’on lui
choisisse, et où chacun se conduirait en accord avec l’esprit de la Shekinah. Cela
impliquait une société bien organisée, prospère, libérée de la pauvreté, de la
dépravation et de toute mauvaise volonté quelle qu’elle soit.
Et pour y parvenir il fallait d’abord mettre en place une structure politique.
Les Familles de l’Étoile n’avaient pas d’autre choix possible que de se servir
du christianisme car, depuis la chute de l’Empire romain, il n’existait aucun autre
réseau de cette nature pouvant couvrir toute l’Europe occidentale. Et cela ne fut
aussi cynique qu’on pourrait le penser, car il ne fait aucun doute que de
nombreux membres des Familles de l’Étoile devinrent réellement chrétiens. Des
hommes comme Bernard de Clairvaux ne peuvent avoir menti. Lui-même, et
d’autres chrétiens influents issus des Familles de l’Étoile trouvèrent dans le
christianisme un excellent moyen de saisir toute la complexité des relations entre
l’humanité et son créateur. Il se trouve simplement qu’ils en comprenaient bien
davantage qu’ils ne le disaient. Ils comprenaient l’importance de Jean-Baptiste
pour le « véritable » christianisme d’avant Paul et, ce qui est plus important, la
Shekinah comme aspect féminin de la divinité – et ils orientèrent l’Église de
Rome vers un avenir plus complexe fondé sur cette conception, sans toujours
s’en rendre compte.
De nos jours, l’Église catholique romaine est devenu une religion adulte et
une force spirituelle à l’échelon mondial. Et ce n’est pas sans lien avec les efforts
de Bernard de Clairvaux et des Familles de l’Étoile.
Nous imaginons qu’au fil du temps les familles de l’Étoile ont reconsidéré
leur approche à diverses reprises et des hommes appartenant à d’autres religions
– voire des agnostiques – ont pu se trouver parmi elles. La plupart ont dû rester
fidèles à Jean-Baptiste mais, en dépit des croyances diverses des uns et des
autres, l’Église est resté la base de leurs activités.
Une conception élémentaire du christianisme, initiée par l’empereur
Constantin à Nicée (voir chapitre 3) a fourni à l’Europe un chemin simple vers
Dieu. Avec le temps, les Familles de l’Étoile que la puissance même de leurs
ennemis était leur meilleure arme – elles pouvaient pénétrer dans la structure
labyrinthique de l’Église de Rome à l’échelon de l’Europe et y introduire peu à
peu leurs idées et leurs projets, sous la bannière de Christ de Paul.
Cependant, la naissance, plus tard, du protestantisme (voir chapitre 9), suivie
par la prolifération de nombreuses confessions non catholiques, fit qu’il n’y eut
plus de chemin unique pour que les héritiers de Salomon atteignent leurs buts.
Ils comprirent alors que l’issue était dans des formes plus séculières. Nous ne
devons pas nous en étonner. La base d’un réseau européen avait déjà été posée
par la création d’un négoce de la laine par les Cisterciens et de la banque par les
Templiers. Et surtout, la suspicion de l’Église à l’égard de toute pensée avait été
relâchée sous l’influence de modérés comme Bernard de Clairvaux. Il est certain
que la mission de ces héritiers évolua au fil des siècles et des millénaires et que
de nouveaux penseurs enrichirent la définition du « Nouvel Ordre mondial »
voulu par Salomon (il va de soi que nous entendons par là un monde fondé sur
les valeurs des Familles de l’Étoile, et non ce que les extrémistes en
comprennent, comme on l’a vu au chapitre 12). Leurs valeurs étaient réelles
mais les moyens de les imposer devaient être adaptés à des événements qu’ils ne
contrôlaient pas toujours.
La nouvelle couverture non religieuse des familles de l’Étoile fut la franc-
maçonnerie. Les rituels sur lesquels elle fut fondée étaient anciens et
concernaient la foi dans le pouvoir de la Shekinah qui s’était maintenue depuis
l’époque du roi Salomon et avait existé sans doute des milliers d’années avant
lui. Les Templiers avaient répandu des rites liés aux maçons opératifs depuis les
Croisades, et d’autres aspects des rituels maçonniques furent fixés en Écosse par
le comte William Sinclair afin de transmettre les secrets du sacerdoce de
Salomon et ceux du Temple de Jérusalem, désormais rebâti sous la forme de
Rosslyn (voir chapitres 8 et 9).
La Réforme rendit nécessaire un changement majeur de stratégie et dès lors
ces rituels, initialement destinés à un petit nombre, devinrent le ciment d’une
large fraternité. C’était une idée révolutionnaire qui devait propulser l’humanité,
socialement, intellectuellement et, ce qui est plus important, la conduire vers la
démocratie.
Pendant plus de trois siècles, après le règne de Jacques Ier qui fut un moteur
pour la franc-maçonnerie en Angleterre et ses colonies américaines, la franc-
maçonnerie fut l’instrument principal des Familles de l’Étoile. Alors qu’en
Angleterre au cours du XVIIIe siècle les « Anciens » et les « Modernes »
s’engagèrent dans un conflit peu fraternel, ailleurs, la franc-maçonnerie, comme
en France et en Amérique, fut une force révolutionnaire en matière de pensée
sociale. En Amérique la révolution fut accomplie à partir de rien tandis qu’en
France le peuple arracha le pouvoir au roi et réduisit l’aristocratie. Dans les deux
cas le christianisme resta un élément important de la vie sociale mais il se
produisit une séparation nette entre l’Église et l’Etat. Une société sécularisée
apparut, produisant une nouvelle conception de l’égalité entre les citoyens.
Le franc-maçon Rudyard Kipling a exprimé cette égalité dans un poème,
soulignant à quel point les positions sociales hors de la loge sont oubliées à
l’intérieur :

« Mais une fois de temps en temps, le messager apporte,


Le commandement de Salomon : “Oubliez tout cela ! Frères des
Mendiants et Égaux des Rois, Compagnons des Princes, oubliez tout
cela ! Frères Maçons, oubliez tout cela !
Et une fois, de temps en temps, venez à cette table, Comme
Compagnons Maçons, ni plus ni moins »2.

La nouvelle franc-maçonnerie anglaise


La franc-maçonnerie anglaise, à la différence de l’Ordre en France ou en
Amérique, devait se révéler un terreau stérile pour la promotion des idéaux
soutenus par les Familles de l’Étoile. Tout en continuant promouvoir la science
et la liberté, la franc-maçonnerie anglaise du XVIIIe siècle avait radicalement
modifié ses rituels et ses usages pour les conformer aux exigences politiques des
rois hanovriens et protestants. Cela signifiait que tous les vestiges de la vraie
maçonnerie, et spécialement les directives des Familles de l’Étoile, furent perdus
par les francs-maçons anglais vers 1800.
Mais ils n’étaient certainement pas perdus pour tout le monde. Un exemple de
cette nouvelle variété de franc-maçon anglais est une figure décrite par le
romancier populaire du XIXe siècle que fut Anthony Trollope, véritable petite
souris observant le monde victorien. Il fut particulièrement habile à dépeindre les
relations entre l’Église d’Angleterre et l’État.
Anthony Trollope était né en 1815, fils d’un aimable avocat sans fortune, et fit
ses études aux collèges d’Harrow et de Winchester. En 1834, son père Tomas
établit toute la famille à Bruges en Belgique afin d’éviter une arrestation pour
dettes. Anthony revint très vite en Angleterre et trouva un emploi à la Poste
britannique où il devait faire toute sa vie professionnelle (et où il inventa la boite
postale).
Transféré en Irlande en 1841, Trollope y devint franc-maçon presque aussitôt.
Il fut initié le 8 novembre 1841, dans la loge de Banagher, n°306, et fut élevé au
grande de maître dans la même loge le 31 décembre de la même année.
On ne sait jusqu’où alla l’engagement maçonnique de Trollope car il garda
secrète cette partie de sa vie, mais il ne put s’empêcher d’en faire état dans ses
romans par la manière dont il traita certains de ses personnages. Comme d’autres
romanciers, il donna à certains d’entre eux des traits autobiographiques et cela
semble certainement le cas avec le personnage nommé Dr John Thorne. Trollope
semble laisser entendre que Thorne était franc-maçon et ce qu’il en dit est
convaincant :

Cependant, Thorne et quelques autres dans son entourage, qui


soutenaient les mêmes principes de loyale réserve – des hommes
comme lui, trop authentiques pour s’enflammer au cri de la foule –
avaient leur propre façon de se réconforter. Ils étaient et se sentaient
les seuls vrais dépositaires de certains Mystères d’Éleusis, de
certains cultes profonds et merveilleux par lesquels seulement Dieu
pouvait être approché.

Trollope évoque ici un groupe d’hommes possédant la connaissance d’anciens


chemins menant sûrement à Dieu. Il poursuit en disant que ce groupe se
transmettait héréditairement cette connaissance secrète :

C’est à eux et à eux seulement que ces choses étaient données à


présent, afin de les perpétuer, si cela pouvait se faire, par une
instruction attentive et secrète de leurs enfants.

Et Trollope dit que ces personnes ressemblaient à des chrétiens normaux à


l’extérieur et cultivaient leurs croyances en privé :

Nous avons vu comment des formes particulières et secrètes de culte


ont été transmises d’âge en âge dans les familles, qui par ailleurs
avaient apparemment adhéré à une église ordinaire. Et cela s’était
fait par degrés pour M. Thorne.
Il avait appris à entendre sereinement que la réserve était une chose
morte, tout en sachant qu’elle subsistait encore dans une vie
mystique. Ce n’est pas non plus sans un certain plaisir qu’il se
sentait distingué de la multitude.

Si l’on garde à l’esprit que ce Thorne était une fiction, et qu’on tient compte du
contexte familial de Trollope et de son affiliation maçonnique, il est plus que
probable que dans son livre Barchester Towers il évoque des sujets en rapport
direct avec lui.
Le nom de « Trollope » est normand d’origine et sa famille était la cadette
d’une branche également normande, celle de « le Loup », latinisée en Lupus. La
famille Lupus descendait directement de Hugues le Loup, l’un des plus fidèles
compagnons de Guillaume le Conquérant au moment de l’invasion de
l’Angleterre en 1066. La famille le Loup obtint le comté de Chester en 1071 et,
faisant partie de l’entourage proche de Guillaume le Conquérant, c’était sans
doute une Famille de l’Étoile. La devise de la famille est ici très parlante, car
traduite du latin elle signifie : « J’entends mais ne dis rien. »
Il est cependant clair que ce que Trollope a décrit à travers le Dr Thorne est
quelque chose de plus profond et de plus ancien que la franc-maçonnerie.
Presque tout l’extrait de Barchester Towers correspond à une description des
croyances des Familles de l’Étoile et montre comment elles passaient dans une
lignée familiale « séparée de la multitude », comme le dit Trollope.

Les Familles de l’Étoile à l’époque industrielle


Un groupe de savants, qui pendant un temps furent dans le secret, « l’Invisible
Collège » comme le nommèrent ses membres, se transforma en Royal Society en
1660. Cette organisation fut la première au monde à rejeter la contrainte
religieuse et s’engager corps et âme dans l’investigation des possibilités de la
science. Tous ces hommes étaient, ou presque tous, des francs-maçons agissant
selon les idéaux des Familles de l’Étoile. Pour eux, mieux on comprenait
l’univers et ses merveilles, plus grande était leur passion pour la force cosmique,
la suprême déité, figurée dans la tradition des Familles de l’Étoile par la
Shekinah trônant au-dessus de tous les doms humains. Les Familles de l’Étoile
avaient libéré en Europe la recherche et l’imagination et, vers la fin du XVIIIe
siècle, le changement se faisait partout sentir.
Au moment où la France et l’Amérique fondaient de nouvelles républiques,
les techniques et les nouvelles organisations du travail donnaient naissance à ce
que l’on appelle l’âge industriel. Cette rupture dans l’histoire de l’humanité
commença en Grande-Bretagne et s’étendit rapidement dans tout le monde
occidental. À une économie fondée, depuis le début de l’histoire, sur l’artisanat
en succéda une autre dominée par les machines qui produisaient des textiles, des
biens alimentaires, et des objets de toutes sortes au sein de grandes
manufactures. La croissance qui en résulta devint exponentielle car on fit des
machines capables d’en produire elles-mêmes de plus puissantes.
En Grande-Bretagne particulièrement les transports se développèrent en même
temps que l’industrie, d’abord grâce à un réseau de canaux pour transporter du
charbon et du matériel lourd, puis avec des meilleures routes et enfin sur des
voies ferrées. Le monde n’avait pas changé de façon aussi gigantesque depuis le
néolithique, lorsque le développement de l’agriculture avait transformé la société
en produisant une nourriture suffisante et, ce qui est plus important, et
permettant à certain de se livrer à la création, la recherche et l’invention.
Mais les changements, cette fois, étaient incroyablement rapides.
En un peu plus de 150 ans, entre 1750 et 1900, l’Europe occidentale avait été
transfigurée par un irrésistible mouvement de progrès technologique. Les plus
puissants n’étaient plus ceux qui possédaient où exploitaient la terre mais ceux
qui maîtrisaient les moyens de production.
Au tournant du XXe siècle, un célèbre franc-maçon du nom de Henry Ford
disait :

Il n’y a qu’une seule bonne règle pour un industriel, et c’est celle-


ci : fabriquer des produits de la plus haute qualité possible au coût le
plus bas possible, en payant les meilleurs salaires possibles.

Ford installa la première chaîne de montage dans Highland Park, Michigan, le 1er
décembre 1913, et réduisit aussitôt le temps de fabrication du moteur de voiture
« modèle T » de 12 heures à 93 minutes. L’énorme capacité de production en
masse de biens à faible coût conduisit, vers le milieu du xxe siècle, à l’âge de la
consommation en Occident, tandis que la pauvreté du gendre de celle décrite par
Dickens, largement répandue aux époques précédentes, tendait à se raréfier. Cela
aussi était conforme aux projets des Familles de l’Étoile.

Les Familles de l’Étoile et l’Orient


Cette enquête s’est concentrée sur l’influence des Familles de l’Étoile en Europe
et en Amérique. Mais qu’en fut-il de l’Orient ? Il semble que dans la période qui
suivit la division de l’Empire romain, les Familles de l’Étoile ont ignoré la partie
byzantine (ce qui restait de l’Empire en Orient) et les contrées de l’Église
d’Orient. Sans doute le défi consistant à infiltrer la hiérarchie de l’Église
orthodoxe, toujours fermement sous contrôle impérial, dût-il paraître
insurmontable, ou bien leurs plans furent de s’assurer d’abord le contrôle
politique de l’Occident pour ensuite s’attaquer à l’Orient.
Finalement Byzance passa dans la sphère d’influence de l’Islam avec la chute
de Constantinople en 1453. L’héritage de Byzance et de la Rome orientale fut
repris par les chefs de l’Église orthodoxe dans le jeune empire russe.
Situé en dehors du monde catholique, la Russie n’avait jamais bénéficié des
apports cisterciens ou templiers ni d’autres soutiens des Familles de l’Étoile.
Jusqu’au XIXe siècle, en fait, ses structures économiques et sociales étaient
essentiellement médiévales et féodales. L’Église catholique n’aurait pas pu
introduire les familles de l’Étoile en Russie car l’Église orthodoxe russe était
sous le strict contrôle des tsars. Mais la franc-maçonnerie put fournir aux
Familles de l’Étoile un excellent instrument pour influencer la cours de l’histoire
russe.
La première information digne de foi à propos de la franc-maçonnerie russe
remonte à 1731 quand la Grande Loge d’Angleterre nomma le capitaine John
Philips comme Grand Maître de Russie, lui donnant le pouvoir d’établir des
loges en Russie – sous le contrôle de Londres.
On sait peu de choses sur cet Anglais qui aurait introduit la franc-maçonnerie
en Russie. Mais le Grand maître suivant est différent car il ne fait aucun doute
que ce fut un membre des familles de l’Étoile dont la mission était d’infiltrer
l’aristocratie russe.
L’Honorable James Keith, nommé en 1741, venait d’une famille normande qui
avait obtenu la terre de « Keth » vers 1150, du roi David 1er d’Écosse. L’ancêtre
de James Keth, Sir Robert de Keth, avait conduit la cavalerie écossaise à la
bataille de Bannockburn en 1314 où, comme on l’a souvent dit, les Templiers
firent changer le cours du combat en faveur des Écossais (voir p. 163). Les chefs
de la famille Keth furent créés Grands Maréchaux d’Écosse titre héréditaire par
le roi Robert Bruce et, comme chefs de la cavalerie écossaise, les Keith prirent
part à toutes les grandes batailles écossaises au fil des siècles.
Le père de James Keith, le 9e comte Keith, avait mené la cavalerie écossaise à
la bataille de Sheriffmuir en 1715 et les Keith avaient aussi apporté leur soutien
en 1745 au soulèvement jacobite. Comme les comtes de Rosslyn, la famille
Keith avait perdu ses terres, ses châteaux et ses titres pour prix de leur
« déloyauté » à l’égard des Hanovre.
Keith était allé travailler pour le tsar Pierre II de Russie avec une lettre de
recommandation du roi d’Espagne. Le tsar lui donna le commandement d’un
régiment de gardes impériaux. L’Ecossais finit par accéder au grade de général
d’infanterie et acquit la réputation d’un des plus habiles officiers de l’armée
russe, tout en étant un administrateur civil compétent.
La devise de la famille Keith était Veritas vincit, « La vérité triomphe ». Nous
rappellerons ces paroles gravées dans la chapelle de Rosslyn en latin : « Vincit
omnia veritas » - « La vérité triomphe de tout ». Comme il s’agit d’une citation
biblique associée à la reconstruction du Temple de Jérusalem, les liens de James
Keith avec les familles de l’Étoile ne sont plus douteux.
Alors que les plus anciennes loges maçonniques de Russie furent créées par
des étrangers, on sait que sous James Keith la maçonnerie commença à pénétrer
dans la société russe, avec une forte présence parmi les jeunes militaires des
grandes familles du pays. Keith fut certainement à l’origine d’un mouvement de
conquête de l’élite sociale dans la génération qui devait suivre. Les Familles de
l’Étoile se servaient de la maçonnerie comme d’un parfait instrument pour
susciter le changement.
Cependant, il n’avait jamais été facile d’étendre son influence sur la Russie.
La Russie impériale restait une terre de paysans, ces derniers comptant pour au
moins 80 % de la population. Il y avait deux grandes catégories de paysans, ceux
qui vivaient sur les terres impériales et ceux qui possédaient leurs propres terres.
Les premiers étaient dans le servage. Ils avaient des obligations envers l’Etat
mais aussi envers leur maître qui dirigeait leur vie. Les serfs ne pouvaient quitter
la propriété où ils étaient nés et devaient travailler pour leur propriétaire et lui
donner une part des récoltes – généralement 50 % de leur temps et de leur
production. Vers le milieu du XIXe siècle, à peu près la moitié des Russes étaient
des serfs.
Les terres et les ressources étaient possédées par des communes et les champs
répartis entre les familles selon une division variant avec la qualité des sols. Bien
entendu, les terres n’appartenaient pas aux communes mais aux propriétaires
connus sous le nom de dvoryanstvo.
Le servage fut finalement aboli en 1861 mais d’une façon avantageuse pour
les propriétaires. On souhaitait de plus amples réformes, mais les propriétaires
firent en sorte que cela n’aboutisse pas. Des changements avaient commencé
dans les années 1860 alors que le pays tentait de se convertir à l’économie
capitaliste. Ces réformes avaient libéralisé l’économie, et les structures
socioculturelles dans une certaine mesure, mais toute tentative de réforme
politique avait échoué.
Vers 1900, la vie de la plupart des Russes n’avait pas vraiment changé depuis
un millier d’années. C’était une situation à haut risque et, en 1905, un
soulèvement se fit dans tout l’Empire qui sombra dans une violence générale. Le
gouvernement récupéra difficilement le contrôle et le tsar Nicolas II accorda à
contrecœur une constitution, avec un parlement (la Douma) et un premier
ministre. Le tsar renvoya trois fois la Douma avant de s’y assurer une majorité
de droite. Le premier ministre, le comte Pyotr Arkadyevich Stolypin (Stolipine)
(1862-1911) adopta une double approche pour que le changement vienne du
sommet et non de la rébellion. Sous Stolipine l’agitation gauchiste fut
brutalement et fermement réprimée. Mais en même temps, Stolipine introduisit
une réforme agraire entre 1906 et 1911, transformant la Russie, d’un fouillis de
champs en un ensemble de fermes organisées, assurant une amélioration nette de
la production. Il est probable qu’on doive reconnaître l’influence de la franc-
maçonnerie et des Familles de l’Étoile à travers les efforts de Stolipine et
d’autres aristocrates russes lucides de l’époque, pour sortir l’empire de la
féodalité qui avait jadis sévi dans toute l’Europe occidentale.
Mais les efforts de Stolipine furent vains. Il fut assassiné en 1911 et avant
même la poursuite de ses réformes, la Russie s’engouffra dans le chaos de la
Première Guerre mondiale.

La Révolution russe
La guerre était la dernière chose dont pouvait avoir besoin l’État du tsar, en péril
politique et social. Les conséquences ne pouvaient en être que désastreuses. En
1917, le pays étant au bord de l’effondrement, les soldats en rébellion ouverte
contre leurs officiers, la Révolution commença.
En mars de la même année, Nicolas II abdiqua et un gouvernement de la
gauche modérée fut mis en place. Mais en octobre il fut renversé par les
Bolcheviks, des marxistes extrémistes, et des soviets furent établis par Vladimir
Lénine. Il y eut aussi un large mouvement dans les campagnes et les paysans
saisirent les terres. Ces événements menèrent à l’établissement de l’URSS en
1922.
Stolipine et quelques autres avaient vraiment cru que la Russie pourrait sortir
de l’état féodal de manière pacifique par des moyens constitutionnels. Mais dès
que la Révolution fut déclenchée, comme en France plus d’un siècle auparavant,
rien ne put l’arrêter. La franc-maçonnerie était encore présente et nombre de
généraux et de compagnons de Lénine étaient francs-maçons. Mais ils étaient
très différents des francs-maçons aristocratiques de Keith et on ne peut discerner
l’influence réelle des Familles de l’Étoile après la Révolution car les Soviets
évoluèrent dans un sens très éloigné des idéaux des Familles de l’Étoile.
L’expérience communiste se poursuivit pendant 80 ans et, tout en libérant de
nombreuses personnes d’une abjecte pauvreté, elle coûta aussi la vie à des
millions de Russes, notamment sous Staline. Si Staline avait vécu plus
longtemps pour connaître l’âge nucléaire, il aurait sans doute conduit la planète à
la destruction totale et l’on peut difficilement penser qu’une telle aberration
politique, économique et sociale pour la Russie ait pu être planifiée par qui que
ce soit. Néanmoins, au début du XXIe siècle, même avec difficulté, nous pouvons
voir la Russie prendre place parmi les nations démocratiques du monde et peut-
être ne pouvait-elle le faire qu’après la destruction complète de l’État féodal que
le communisme a pu réaliser.

L’âge des superpuissances


À la fin de la Seconde Guerre mondiale, la plus grande partie de l’Europe et de
nombreuses régions de l’Asie étaient en ruines. Ayant partagé la victoire contre
l’Allemagne nazie et les impérialistes japonais, les États-Unis et l’URSS se
regardaient avec soupçon de part et d’autre des pays brisés de l’Europe. L’âge
des superpuissances était arrivé. Les deux grandes puissances mondiales,
chacune avec son idéologie et sa sphère d’influence, possédaient l’arme
atomique permettant de détruire non seulement chacun d’eux mais toute la
planète à dix reprises. Ce fut le Guerre froide, où seule la crainte d’une
destruction finale retint les superpuissances de s’affronter.
En dehors de la force militaire, le principal souci de l’après-guerre fut de
rebâtir les économies européennes en lambeaux. Si les nations pouvaient
contracter des liens économiques et de commerce, leur interdépendance finale
rendait toute guerre inenvisageable et pouvait aussi leur permettre de maintenir
l’influence occidentale ou soviétique. A l’est, l’idée fut celle du Comecon,
communauté de commerce entre les pays communistes, afin de maintenir ces
satellites sous le contrôle de Moscou. En dehors de la zone soviétique, les États-
Unis établirent le Plan Marshall.

Le Plan Marshall et la Marché commun


Le plan Marshall fut mis au point par le Secrétaire d’État américain et ancien
général d’armée George C. Marshall, en 1947. En dehors de leurs conceptions
personnelles sur la reconstruction d’un monde détruit par la guerre, le président
Harry Truman et Marshall avaient autre chose en commun – ils étaient francs-
maçons de longue date.
Truman obtint le rang maçonnique sans doute le plus élevé des tous les
présidents américains. Initié en février 1909 il collectionna des titres
impressionnants pour devenir finalement « Souverain Grand Inspecteur
Général » du 33e degré, le plus haut grade de la franc-maçonneriea. En 1959, on
célébra ses 50 ans de maçonnerie.
Marshall était plus modeste quant à son appartenance maçonnique et avait été
initié à Washington. Il a non seulement laissé un souvenir en raison de son
engagement pour son pays, mais aussi parce qu’il fut l’un des rares francs-
maçons à recevoir le prix Nobel de la paix, en 1953. C’est assez remarquable
pour un homme qui consacra une grande partie de sa vie à la guerre.
Le plan Marshall procura des milliards de dollars pour reconstruire l’Europe
mais avait pour but d’engager en échange les pays européens à coopérer, parfois
entre anciens ennemis. George Marshall se battit farouchement pour faire
accepter ce plan. Dans une conférence qu’il donna à l’université de Harvard, en
juin 1947, il dit :
Il est logique que les États-Unis fassent tout ce qui est possible pour
permettre le retour à une prospérité économique normale dans le
monde, sans quoi il n’y aurait pas de stabilité politique ni de paix
assurée. Notre politique n’est pas dirigée contre un pays ou une
doctrine mais contre la faim, la pauvreté, le désespoir et le chaos.
Son but est d’autoriser l’émergence de conditions politiques et
sociales grâce auxquelles des institutions libres peuvent exister.

Est-ce que le président Truman, ou même Franklin D. Roosevelt que Truman


avait servi comme vice-président, étaient des représentants des Familles de
l’Étoile, ou agissaient-ils simplement en accord avec leur appartenance
maçonnique ? Il est impossible de le dire, bien que les perspectives humanitaires
et les actes de Roosevelt, pendant la guerre, aient suggéré qu’il agissait en vertu
d’exigences plus hautes que celles de l’Ordre. Les Roosevelt étaient une vieille
famille hollandaise de New York qui donna deux présidents visionnaires :
Theodore (1901-1909) et Franklin, tous eux remarquables par leurs actions
réformatrices.

Le Marché commun européen


Au début du XXIe siècle, l’unification de plus en plus étroite, tant économique
que politique, de l’Europe témoigne du succès du plan Marshall et de la pensée
qui le sous-tendait. En 1950, alors que le plan fonctionnait bien à l’Ouest, trois
pays jadis en guerre, la France, l’Italie et L’Allemagne de l’ouest, se joignirent
au « Bénélux » (Belgique, Pays-Bas et Luxembourg) pour former la
Communauté européenne du charbon et de l’acier. Avec ce modeste début, les
germes du Marché commun étaient nés.
En 1957, le Traité de Rome fonda la Communauté économique européenne.
Les États membres choisirent un marché libre où chacun pourrait commercer à
travers les frontières sans restriction. En 1973, la Grande-Bretagne, le Danemark
et l’Irlande s’y joignirent pour former l’Europe des Neuf et, de nos jours,
l’Union Européenne contient presque tous les États à l’ouest de la Russie. Même
la Suisse, qui avait vaillamment résisté aux alliances depuis des siècles, a été
tenté de les rejoindre.
Comme nous le verrons, ce processus qui a commencé par le commerce libre
et culmine dans un bloc régional possédant tous les éléments d’une
confédération, n’est pas apparu par hasard. Il faisait clairement partie de
l’agenda des Familles de l’Étoile pour l’avenir du monde (vois plus bas).

Les Familles de l’Étoile et la franc-maçonnerie


aujourd’hui
Avec l’établissement d’une Europe intégrée, les héritiers de Salomon – les
Familles de l’Étoile – ont-ils atteint leurs buts ? Nous ne le pensons pas. Mais
nous avons des raisons de penser que le plan des Familles de l’Étoile entre dans
sa phase finale.
La franc-maçonnerie, qui fut d’abord un instrument utile pour diffuser les
idéaux des Familles de l’Étoile, est certainement désormais sans influence dans
plusieurs régions du monde. Au début du XXIe siècle, les effectifs de la
maçonnerie sont en chute libre à l’échelon mondial. Le soupçon que les francs-
maçons puissent être népotiques, toujours prêts à donner un coup de main
professionnel ou politique à leurs Frères, a conduit a faire rendre publique
l’appartenance maçonnique des membres de certaines professions. Spécialement
dans la police ou la magistrature. Le secret supposé de la franc-maçonnerie a
aussi alimenté ces allégations et nourri une série de mythes modernes sur
l’entraide des francs-maçons qui se joueraient des lois.
Nous avons vu (voir chapitre 12) que certaines théories conspirationnistes
affirment que notre planète est conduite vers un « Nouvel Ordre mondial » -
défini par un État mondial où le nationalisme deviendra une chose du passé et où
tous seront soumis au même gouvernement. On nous dit que ses chefs ne seront
plus élus démocratiquement mais cooptés au sein d’une oligarchie restreinte et
secrète.
Ce qui se trouve au juste derrière cette grande conspiration dépend des
affiliations religieuses et politiques de ceux qui en parlent. Pour certains, c’est un
complot fomenté par des officines économiques, par exemples de riches familles
de banquiers, des compagnies pétrolières ou des firmes pharmaceutiques.
Immanquablement, l’affreux visage de l’antisémitisme surgit dans cette théorie
du complot mondial quand on nous parle des plans secrets des Juifs pour
contrôler le monde. D’autres pensent, de façon bizarre, que la famille royale
anglaise dirige la conspiration. Sans surprise, les francs-maçons sont une cible
habituelle pour ces accusations de complicité dans le Nouvel Ordre mondial. À
l’autre extrémité du spectre, il y a également ceux qui suggèrent que le Nouvel
Ordre mondial ne sera finalement pas mauvais mais, au contraire, établi pour le
bien de l’humanité.
Il est amusant de constater que le monde est divisé en deux camps : ceux qui
pensent qu’il y a un complot, et ceux qui estiment que ce concept de
conspiration n’a pas d’intérêt. La plupart des théories conspirationnistes sont
dirigées vers un événement spécifique, comme pour ceux qui croient que
l’atterrissage sur la Lune était factice, ou que la princesse Diana a été assassinée.
Ces personnes retiennent d’abord une idée puis cherchent les éléments de preuve
qui peuvent la soutenir. Aucune contre-preuve ou argument contraire, même
d’importance, ne peut les convaincre.
D’un autre côté, il y a ceux qui rejettent toute idée qu’il puisse y avoir une
conspiration derrière certains événements. Ce n’est pas très avisé. Une
conspiration est un phénomène humain parfaitement normal. Il ne suffit que
deux personnes ou un peu plus, agissant discrètement pour obtenir un avantage
quelconque. La phrase « ce n’est qu’une théorie conspirationniste » est
désormais utilisée pour rejeter toute explication non orthodoxe ou atypique.
Il est probable que beaucoup de gens croient dans la théorie des « accidents de
l’histoire » selon laquelle toutes les bonnes et les mauvaises choses surviennent
essentiellement par le hasard des circonstances. L’histoire est une série
d’événements aléatoires sur lesquels, au long cours, les hommes n’ont pas de
prise.
Jusqu’à un certain point, nous pouvons l’admettre. Cependant nous pensons
que l’on dispose de quelques preuves qu’une main – et même une très puissante
– a pu agir pour rendre compte du développement social, politique et
économique de l’Europe sur la longue durée. C’est la main de ceux que par
commodité nous avons appelés les Familles de l’Étoile, et dont les ancêtres
furent missionnés par Salomon pour créer un monde d’harmonie. Les héritiers de
Salomon ne sont pas devenus les maîtres du genre humain mais cela ne signifie
rien. Ils ont probablement eu davantage d’influence sur le cours de l’histoire que
tout autre groupe au cours du temps.
Ces héritiers sont allés de désastres en succès à de nombreuses reprises au
cours du temps. Le sommet de leur réussite et de leur puissance fut atteint aux
XIIe et XIIIe siècles puis de nouveau entre le XVIIIe et le XIXe siècle. Ils n’ont pas
maîtrisé toute l’histoire mais ils ont au moins fortement contribué à certains
événements et certaines évolutions, depuis l’économie de la laine au Moyen Âge
jusqu’aux révolutions en France et en Amérique.
Mais les Familles de l’Étoile sont-elles encore à l’œuvre de nos jours ?
Nous pensons que c’est probable – et peut-être au plus haut niveau.
À certains égards, les sociétés humaines n’ont jamais été aussi difficiles à
diriger qu’à présent mais dans ce monde actuel il existe une structure unique
permettant d’infiltrer. Dans le passé, la structure clé du pouvoir international
était l’Église catholique. Le Vatican n’a plus d’importance politique – mais la
Maison Blanche, oui.
Il nous semble que le caractère souvent réactif à court terme de la politique
étrangère américaine (comme à Panama, en Somalie, en Irak), suscitée par des
politiciens ambitieux, masque l’existence d’un grand dessein à long terme, mené
par des gens puissants. Il s’impose à l’esprit qu’il serait impossible d’avancer
vers un « grand scénario » à brève échéance, les élus étant les seuls à pouvoir
prendre les décisions importantes. Nombreux sont ceux, aux États-Unis et
ailleurs, qui s’étonnent du faible niveau des hommes qui conduisent les grandes
puissances.
Alors que les premiers chefs des États-Unis étaient des intellectuels et des
visionnaires de haut niveau, les récents occupants de la Maison Blanche
semblent n’être, aux yeux de beaucoup, que des hommes qui sourient et serrent
des mains. Ils ressemblent au personnel d’accueil qui reçoit les clients d’un
restaurant tandis que le cuisiner, qui demeure invisible, accomplit sa magie.
L’époque des vieilles familles comme les Roosevelt, les Adams et les Taft
semble révolue, et il est possible que l’influence des Familles de l’Étoile
s’exerce désormais comme un pouvoir dans « l’ombre du trône », plutôt que par
l’intermédiaire de présidents ou de vice-présidents. Peut-être devrions-nous
chercher les Familles de l’Étoile dans les rangs de la haute administration, des
banquiers et des financiers car le vrai pouvoir est dans ces mains-là, bien plus
que dans celles des politiciens.

Les Familles de l’Étoile et l’Église catholique


Et la Vatican - le Maître de l’Ancien Monde ? L’Église catholique joue-t-elle
encore un rôle significatif dans les événements du monde peut-elle encore être
un instrument utile pour les Familles de l’Étoile ? Apparemment non, en raison
de la sécularisation croissante et de la chute dramatique du nombre des chrétiens
pratiquants – quoique nous soyons un peu prudents en lui accordant ainsi un tel
congé.
En avril 1998, peu après la sortie de La clé d’Hiram, devenu un best-seller en
Italie, Chris Knight fut en Italie, à Pérouse, le conférencier orateur lors de la
Conférence annuelle de la Grande Loge d’Italie du Rite Ancien et Primitif de
Memphis Misraïm. C’est une branche internationale de la franc-maçonnerie qui
amalgame deux traditions réunies par son Grand Maître Joseph Garibaldi –
l’homme qui permit la création de l’Italie moderne. Le plus ancien témoignage
du Rite de Misraïm remonte à 1738 mais son rituel invoque une ancienneté plus
grande impliquant les Templiers et des éléments de l’ancienne science
égyptienne.
Quand la loge publia la liste des orateurs, le Grand Maître le professeur
Giancarlo Seri, reçut un appel téléphonique d’un officiel du Vatican demandant
s’il était possible d’envoyer un observateur. Le Grand Maître accepta et demanda
à son correspondant s’il avait lu La clé d’Hiram et, si oui, ce qu’il en pensait. On
lui répondit : « c’est un livre intéressant – mais il y a certaines choses qui ne
devraient pas être dites en public. »
Pendant sa visite de trois jours, Chris entendit du professeur Seri que plusieurs
cardinaux et papes avaient été francs-maçons. Il affirma que le pape d’alors,
Jean-Paul II, n’était pas franc-maçon mais que son prédécesseur l’était.
Giancarlo était du 97e degré – le plus haut niveau de Memphis Misraïm. Il
expliqua que, très curieusement, le Vatican reconnaît son grade maçonnique
comme l’équivalent de celui d’un évêque.
Nous avons montré que depuis longtemps, les Familles de l’Étoile ont mis en
œuvre une politique d’entrisme à l’égard de l’Église catholique. Nous avons
aussi suggéré qu’après la Réforme, la franc-maçonnerie est devenue le principal
moyen utilisé par ces groupes pour promouvoir les changements. Si GianCarlo
Seri nous dit croire que la franc-maçonnerie est au Vatican, la question se pose
de savoir si l’Église romaine est encore une base de la franc-maçonnerie pour
exercer son pouvoir. Un homme mérite ici qu’on s’attarde sur lui. C’est Annibale
Bugnini.
Bugnini avait 24 ans quand il fut ordonné dans la Congrégation des missions
(de Saint Vincent) en 1936. À partir de 1947, il s’occupa d’études liturgiques,
devenant le directeur des Ephemerides Liturgicae, publication spécialisée très
connue en Italie. L’année suivante, le père Bugnini fut nommé secrétaire à la
Commission de la Réforme liturgique du pape Pie XII et devint bientôt
professeur de liturgie dans une institution pontificale nommée l’Université
Propaganda Fide et en 1957 professeur de liturgie sacrée à l’université du Latran.
En 1960, le pape Jean XXIII nomma Bugnini au poste de secrétaire pour la
Commission préparatoire de liturgie en vue du concile de Vatican II – une
position lui permettant d’exercer une influence considérable sur le destin de
l’Église. Il fut étroitement associé à la rédaction des schémas préparatoires, les
documents de travail que l’on devait donner aux pères conciliaires pour leur
discussion.
Le Schéma Bugnini, comme on l’appelle, fut accepté en session plénière de la
Commission le 13 janvier 1962. Mais le cardinal Gaetano Cicognani, président
de cette commission et Secrétaire d’État du Vatican, refusa de la signer quand il
réalisa jusqu’où allaient les réformes.
Bugnini savait que tout serait bloqué s’il ne pouvait convaincre le cardinal de
signer. Il fit rapidement en sorte de pouvoir contacter le pape qui fit instruction
au cardinal Cicognangi de ne pas revenir avant d’avoir signé. Le vieux cardinal
était tout tremblant quand il agita en l’air le document en disant : « Ils veulent
que je le signe mais je ne sais pas si je le veux. ». Il posa alors le document sur le
bureau, prit un stylo et le signa. Quatre jours plus tard, il mourut.
Cependant la victoire de Bugnini fut de courte durée. Le pape Jean ordonna
brutalement au père Bugnini de démissionner de sa chaire à Latran, du
secrétariat de la commission et de toutes ses autres responsabilités. Les raisons
n’en ont jamais été rendues publiques mis elles devaient être très sérieuses pour
que ce pontife tolérant agisse publiquement d’une façon aussi radicale contre un
prêtre qui avait occupé une situation aussi influente dans la préparation du
Concile de Vatican II.
Mais ce n’était pas la fin de l’histoire. Un petit groupe de personnes influentes
dans l’Église se levèrent pour soutenir le schéma de Bugnini. Le père Edward
Schillebeeckx, un Belge professeur de dogmatique à l’université catholique de
Nimègue, le décrivit comme « un admirable travail ». Il fut finalement adopté
sans modification notable, approuvé unanimement par les pères conciliaires le 7
décembre 1962 et devint la Constitution sur la liturgie de Vatican II.
Mais cette Constitution ne renferme que des directives générales. Pour
parachever sa victoire, le père Bugnini et ses amis avaient besoin de recevoir le
droit de l’interpréter et de le mettre en œuvre.
Le pape Jean XXIII mourut en juin 1963 et le jour de la Saint Jean – le
solstice d’été – un nouveau pape fut élu. Giovanni Montini venait d’une famille
noble bien connue pour ses affiliations maçonniques, et devint le pape Paul VI.
Sept mois plus tard, le père Bugnini fut nommé au poste très important de
secrétaire du Concile. Pour quelle raison le pape Paul VI choisit-il de nommer à
cette office le père Bugnini, après en avoir été empêché par Jean XIII ? On ne le
sait pas.
L’influence du père Bugnini s’accrut encore lorsqu’il fut nommé à un autre
poste important, celui de secrétaire de la Sacrée Congrégation pour le culte
divin. Il occupait désormais la meilleure position possible pour consolider les
réformes qu’il avait envisagées. D’autres chefs de commission et de
congrégations se succédèrent – mais le père Bugnini demeura en place.
En 1974, l’archevêque Bugnini expliqua qu’il y avait quatre étapes dans sa
réforme. D’abord passer du latin liturgique aux langues vernaculaires ; ensuite,
réformer les livres liturgiques ; troisièmement, traduire les livres liturgiques ; et
quatrièmement, l’adaptation ou « l’incarnation » de la liturgie romaine dans les
usages et les mentalités des églises locales. Cela devait aboutir à l’élimination de
tout vestige de l’ancienne liturgie romaine.
Mais, au moment même de son triomphe, Bugnini – désormais archevêque –
fut de nouveau limogé. Au premier coup d’œil, on ne pouvait comprendre, de
l’extérieur, ce qui s’était passé. En avril 1976, un écrivain catholique de renom,
Tito Casini, accusa publiquement Bugnini d’être franc-maçon.
La preuve de l’appartenance maçonnique de Bugnini fut directement
communiquée au pape Paul VI, qui était très probablement franc-maçon lui-
même. Mais le pape comprit que si rien n’était fait rapidement, la chose pourrait
devenir publique.3 Le pape n’avait pas le choix ; l’archevêque Bugnini fut libéré
de toutes ses charges et sa Congrégation fut dissoute.
Se pourrait-il que des francs-maçons aient changé l’Église catholique, dans un
passé récent, sans avoir été reconnus ? Cela se pourrait bien. Plus encore, les
énormes changements opérés dans le culte catholique répondent aux souhaits des
Familles de l’Étoile de réunir les églises chrétiennes et de les relier ainsi à
d’autres doctrines qui ne sont pas judéo-chrétiennes.
Une importante autorité du Vatican, le cardinal Ratzinger, chef de la
Congrégation pour la doctrine de la foi (qui a succédé à l’Inquisition), a dit : « Je
suis convaincu que la crise de l’Église que nous vivons est due en grande partie à
la désintégration de la liturgie. »
Ratzinger en accusa la franc-maçonnerie et ne le lui pardonna jamais. En
novembre 1983, il déclara :

Le jugement négatif de l’Église sur les associations maçonniques


demeure donc inchangé, parce que leurs principes ont toujours été
considérés comme inconciliables avec la doctrine de l’Église, et
l’inscription à ces associations reste interdite par l’Église. Les
fidèles qui appartiennent aux associations maçonniques sont en état
de péché grave et ne peuvent accéder à la sainte communion.
Les autorités ecclésiastiques locales n’ont pas compétence pour se
prononcer sur la nature des associations maçonniques par un
jugement qui impliquerait une dérogation à ce qui a été affirmé ci-
dessus.
Le cardinal Ratzinger est aujourd’hui, bien sûr, le pape Benoit XVI.

La mort d’un pape


Le 26 août 1978, un cardinal de 65 ans, Albino Luciani, devenait pape en
succession de Paul VI. Son pontificat dura exactement 33 jours et les
circonstances de sa mort ont suscité plusieurs théories conspirationnistes
impliquant les francs-maçons.
Avant son élévation au trône de Saint Pierre, Luciani avait été tenu pour un
conservateur. Par exemple, il avait publiquement soutenu l’encyclique de Paul
VI sur la sexualité qui avait relancé l’opposition de l’Église catholique au
contrôle des naissances. Mais une fois en place, le nouveau pape exprima des
réserves et causa de grandes inquiétudes au Vatican lorsqu’il reçut des
représentants des Nations Unies pour discuter de la surpopulation du Tiers
Monde.
Quelques libéraux de l’Église exprimèrent l’espoir qu’il puisse renverser
l’enseignement de l’Église sur la contraception. Cependant, au cours d’une
conversation privée avec Chris Knight, un officiel du Vatican affirma que
l’opposition de l’Église à la contraception avait pour but de maintenir un nombre
suffisant de chrétiens en cas de conflit avec l’Islam. De tels plans à long terme
seraient sans effet si l’Église autorisait la contraception, car une fois mise en
place, on ne pourrait plus revenir dessus.
Mais Jean Paul Ier mourut sans avoir opéré une telle révision doctrinale. Le
soutien constant de son successeur à la politique de proscription du contrôle des
naissances a fait supposer par certains que Jean Paul Ier avait été assassiné pour
l’empêcher d’agir. Et les circonstances de sa mort sont en effet plutôt suspectes.
La cause officielle de la mort, annoncée par le Vatican était un « possible
infarctus du myocarde ». Cela ne dit rien car la crise cardiaque est la plus
fréquente des causes de mort. Il n’est donc pas possible de savoir si cette crise
cardiaque était due à des causes naturelles ou non. Nous l’ignorerons toujours
car aucune autopsie ne fut pratiquée. Le Vatican a souligné que l’autopsie d’un
pape est interdite par la loi de l’Église – on sait pourtant qu’une autopsie fut
effectuée sur le corps de Pie VIII.
Nombre d’amis proches du pape défunt ont affirmé qu’on les a obligés à se
retirer lorsque le corps du pape fut examiné, et que, selon certains, il fut
autopsié. En tout cas, le fait qu’aucun résultat n’ait été communiqué suggère
qu’une cause non naturelle à la mort aurait pu être trouvée, que ce soit un
meurtre ou une administration abusive de médicaments que le Vatican se serait
refusé à admettre.
La manipulation par le Vatican de plusieurs événements autour de la mort a
engendré le soupçon. On a dit que le secrétaire du pape l’avait découvert mort,
alors que c’est une nonne, lui apportant son café, qui fit cette découverte. Plus
encore, on a affirmé qu’il était en train de lire L’Imitation de Jésus-Christ de
Thomas a Kempis, alors que son exemplaire de ce livre était à Venise. Le
Vatican a sans doute menti sur l’heure de la mort et des récits contradictoires ont
été rapportés sur sa santé. On a laissé entendre que la dégradation de son état
était due à l’abus de tabac - mais il n’a jamais fumé.

L’affaire de la Banque du Vatican


Le détective et auteur David Yallop dit qu’il a été invité à examiner les
circonstances de la mort de Jean Paul Ier « à la demande de certains résidents du
Vatican qui voulaient rester anonymes ». Il mena une enquête de trois ans avant
d’en publier les résultats,4 et il a montré que le pape était en « danger potentiel »
en raison de la corruption au sein de l’Institut pour les Œuvres de la religion
(communément appelé la Banque du Vatican), lequel possédait de nombreux
liens avec une autre banque, la Banco Ambrosiano.
Yallop a identifié un crime impliquant deux hauts responsables de la Banco
Ambrosiano, à savoir l’archevêque Paul Marcinkus, président de la Banque du
Vatican, et le président de la Banco Ambrosiano, Roberto Calvi – qui fut trouvé
pendu sous Blackfriars Bridge à Londres. Yallop a également mis en lumière une
loge maçonnique dénommée Propaganda Due (P2) qui aurait opéré au sein du
Vatican.
La Banco Ambrosiano avait été fondée en 1896 comme une banque
catholique pour contrer les banques laïques et elle devint très vite la banque des
prêtres. Roberto devint son président en 1975 et étendit les intérêts de la banque
à de nombreuses compagnies offshore aux Bahamas ou en Amérique du Sud, et
en prenant part à diverses affaires. Calvi se lia aussi à la Banque du Vatican et
devint proche de Marcinkus. Le réseau complexe de banques d’outre-mer et de
sociétés établies par Calvi lui permit de sortir d’Italie beaucoup d’argent pour
garantir des avoirs incertains.
La loge P2 poursuivait ses activités de façon officieuse et fut inquiétée par la
police en 1981 ; on y trouva des preuves contre les activités de Calvi qui fut
arrêté, jugé et condamné à quatre ans de prison. Cependant il fut libéré lors
d’une procédure d’appel et conserva sa position dans la banque.
La police avait aussi trouvé la liste des membres de la loge P2 avec plus de
900 noms. Les francs-maçons concernés étaient des politiciens de premier plan
et de hauts officiers. La liste mentionnait notamment Silvio Berlusconi qui
devint plus tard premier ministre d’Italie et Victor Emmanuel, prince de Naples
et chef de la dynastie jadis régnante, la Maison de Savoie – que nous pensons
être une Famille de l’Étoile.
Un autre document trouvé par la police est le « Piano di Rinascita
Democratica » (« Plan de renaissance démocratique ») qui est un exposé du plan
de la loge pour constituer une nouvelle élite économique et politique afin de
conduire l’Italie vers une forme de démocratie plus autoritaire. Cela conduisit à
la chute du gouvernement italien et à la destitution de hauts responsables des
services secrets car, pour quelque raison que ce fût, ils avaient été liés à ce plan.
En 1982, Roberto Calvi étant toujours libre, ayant fait appel, on découvrit que
la Banco Ambrosiano ne pouvait couvrir 1,25 milliard de dollars. Calvi prit la
fuite vers Londres. Son secrétaire personnel se suicida en se jetant par la fenêtre
de son bureau. Calvi fut retrouvé pendu le 18 juin dans des conditions ne
suggérant pas un suicide, mais ce fut pourtant la conclusion de l’enquête
britannique. La Banco Ambrosiano s’effondra et la Vatican dut finalement payer
une somme substantielle pour indemniser les créanciers et échapper à sa
culpabilité.
C’était là des eaux troubles, assurément. Mais il semble bien que le Vatican et
la franc-maçonnerie aient été des compagnons de chambrée depuis des années,
malgré des buts apparemment très différents. L’un et l’autre avaient leurs propres
secrets et tous deux avaient ou cherchaient à avoir de l’influence sur l’avenir de
l’humanité. Lors d’une discussion avec un prêtre catholique romain, nous avons
soutenu que sans doute peu de cardinaux croient aujourd’hui au mythe du Christ
– ou même à l’existence d’un dieu agissant. Nous avons été stupéfaits de la
réponse reçue, selon laquelle c’était un jugement probablement juste et que la
mission actuelle du Vatican était sans doute plus politique que théologique.
Il nous semble assez évident qu’il y a deux factions différentes au sein du
Vatican. D’un côté, on peut ne les voir que comme l’opposition des libéraux et
des conservateurs, mais notre point de vue historique démontre qu’il s’agit
possiblement d’une lutte qui se déroule depuis l’époque médiévale au sein même
de l’élite dirigeante de l’Église catholique. Il est peu douteux que les Familles de
l’Étoile ont parfois bénéficié de positions élevées au Vatican, et que plusieurs
papes ont certainement appartenu aux Familles de l’Étoile. Les événements liés
aux changements majeurs du culte catholique, la mort de Jean Paul Ier et l’affaire
Calvi pourraient indiquer que les Familles de l’Étoile sont toujours bien
présentes entre ces vieux murs.

Un monde qui change


Les gouvernements et les organisations internationales cherchent à maitriser
notre avenir à tous. Soit grâce à eux, soit malgré eux, il est vrai que la vie
s’améliore pour nombre de gens dans les pays occidentaux et qu’elle est un peu
moins désespérante dans les pays du Tiers Monde.
S’il est difficile d’obtenir l’accord de tous, peuples et gouvernements
s’efforcent de trouver des politiques communes pour contrer les injustices du
passé, non seulement contre les êtres humains mais aussi contre la planète sur
laquelle nous vivons. En Occident du moins, la responsabilité individuelle, en
des domaines jadis réservés aux élites dirigeantes, peut maintenant s’exercer et
nous donne toutes sortes de moyens d’agir sur nos destins et ceux de nos
semblables. En temps de crise, les Occidentaux n’hésitent pas à aider les gens à
se nourrir et les malades à se soigner en des endroits désolés et lointains avec
lesquels ils n’ont aucun lien direct. Il y a de nombreuses circonstances où les
gens et les États agissent indépendamment de leurs propres intérêts et nous
continuons à tenter d’améliorer le monde pour en faire un endroit plus équitable.
Comme l’a dit le Dalaï-lama, le fait que les « informations » soient toujours de
mauvaises nouvelles montrent que les bonnes nouvelles, ou les nouvelles
simplement ordinaires, sont tellement communes qu’on n’en parle pas.
Quelle qu’en soit la définition nous sommes encore loin d’établir la Nouvelle
Jérusalem qui était dans le cœur et les esprits des visionnaires d’il y a 3 000 ans.
Mais le concept demeure vivant en nous et même s’il y a encore du chemin à
faire, nous devons nous souvenir d’un vieux proverbe chinois : tout voyage
commence par le premier pas.
Le groupe Bilderberg
Il se peut que les Familles de l’Étoile soient encore bien installées dans les plus
hauts échelons de la franc-maçonnerie, mais nous en doutons. Comme nous
l’avons indiqué, l’Ordre a fait le travail pour elles. Il est possible, toutefois, que
l’influence des Familles de l’Étoile soit perceptible dans le développement du
groupe Bilderberg, une conférence annuelle officieuse uniquement sur invitation
qui rassemble environ 1000 personnes influentes dans le domaine des affaires,
de l’Université, des médias et de la politique. Cette élite se réunit tous les ans
depuis 1954, le plus souvent en secret, partout dans le monde, habituellement en
Europe mais parfois aux États- Unis ou au Canada.
L’intention initiale du groupe Bilderberg n’était rien d’autre qu’une meilleure
compréhension entre l’Europe et l’Amérique du Nord. Chaque année, un comité
directeur sélectionne les invités au nombre maximum de 100. Le lieu de la
réunion annuel n’est plus secret, l’agenda et la liste des participants sont
accessibles au public. Mais pour encourager un libre échange entre les invités,
les sujets de discussion sont gardés confidentiels et ceux qui y assistent
promettent de ne rien en divulguer.
Parmi les membres récents on compte : l’ancien président Bill Clinton, Tony
Blair, Angela Merkel, Paul Martin (ancien premier ministre du Canada), Stephen
Harper (premier ministre du Canada), Romano Prodi (premier ministre italien et
ancien président de la Commission européenne), Henry Kissinger, Richard Perle
(ancien Secrétaire américain à la Défense) et Donald Rumsfeld (Secrétaire
américain à la Défense).
Nous pensons vraiment que les Familles de l’Étoile y sont présentes car le
groupe Bilderberg semble indiquer une direction indépendante de toute
institution connue. En lui-même, le groupe à peu de pouvoir pour modifier le
cours du monde mais ses différents membres ensemble sont soit des décideurs en
Occident, soit des leaders d’opinion à un niveau élevé. En particulier, si des
membres très puissants de ce groupe, comme Clinton ou Blair, ne sont sans
doute pas issus des Familles de l’Étoile, ils peuvent recevoir l’influence de
membres du groupe qui en proviennent.

Le problème d’Israël
Une autre question importante doit être abordée avant de conclure notre enquête.
Pourquoi les États-Unis soutiennent-ils Israël alors que rien ne vient en retour si
ce n’est la frustration croissante des musulmans qui s’exprime parfois dans les
actes de terrorisme d’islamistes radicaux ? Le désastre du 11 septembre ne serait
probablement pas arrivé si l’argent des Américains n’avait pas été donné pour
des armes et le soutien à la politique d’Israël depuis des décennies, tout en
manifestant apparemment moins d’intérêt pour régler les problèmes des
Palestiniens.
Depuis des années, des observateurs se demandent pourquoi Washington a
continué à consacrer tant de moyens militaires, financiers, diplomatiques pour
aider Israël. Plus de 3 milliards de dollars y sont consacrés annuellement et sont
rarement discutés au Congrès par les libéraux qui pourtant contestent toujours le
gouvernement à propos de l’aide apportée aux États qui violent les droits de
l’homme, ou par les conservateurs qui sont généralement hostiles à toute aide à
l’extérieur. Si tous les pays occidentaux admettent qu’Israël a le droit de vivre en
paix et en sécurité, aucune d’eux ne lui fournit des armes ou un soutien
diplomatique comme le font les États-Unis. La Maison Blanche est souvent
isolée dans son soutien absolu à Israël devant l’ONU et d’autres forums
internationaux quand on accuse Israël de violer les lois internationales.
Bien que le soutien américain à Israël reçoive souvent une justification
morale, il y a peu d’indices que les considérations morales jouent un rôle plus
grand pour guider la politique américaine au Moyen-Orient qu’en toute autre
partie du monde. Beaucoup d’Américains se sentent engagés à défendre la survie
d’Israël, mais c’est sans commune mesure avec le niveau financier, militaire et
diplomatique du soutien apporté par leur gouvernement. L’aide américaine à
Israël va bien au-delà de la défense et de la sécurité d’Israël pour rester dans des
frontières internationalement reconnues. L’assistance des États-Unis concerne
aussi la politique des territoires occupés où sont souvent violées les règles
légales et éthiques du droit international.
Une explication simpliste à cette aide sans réserve des Américains à Israël est
qu’elle est conduite par des Juifs américains fortunés qui font pression sur les
gouvernements successifs pour préserver et accroître l’aide à leur patrie
spirituelle. Mais ce n’est pas une réponse satisfaisante. Nous pensons qu’il y a
autant d’antisémitisme à Washington qu’il y a de soutien à la « cause juive » – et
nombre de politiciens sont ambigus sur cette question. À coup sûr, le prix de
l’aide américaine à Israël est bien trop élevé pour n’être dû qu’au lobbying d’un
groupe minoritaire, même aussi influent que celui de la « communauté juive des
affaires ».
Si le « lobby juif » est l’origine de ce soutien, on devrait s’attendre à ce qu’il
se soit exprimé depuis la fondation de l’État d’Israël en 1948. Cependant, l’aide
économique et militaire américaine n’a pas commencé avant la guerre de 1967.
Le fait que l’assistance militaire des États-Unis est seulement arrivée après que
l’États d’Israël eut prouvé qu’elle était la force dominante autour de Jérusalem –
l’ancienne Terre sainte. Les Israéliens ont montré qu’ils pouvaient se défendre
contre les États voisins, et qu’ils seraient les maîtres de Jérusalem pour
longtemps.
Il semble que Washington souhaite surtout aider quiconque contrôle
l’ancienne Terre sainte, bien plus que l’État moderne d’Israël en lui-même.
L’évolution de l’aide américaine le dit simplement : immédiatement après la
victoire décisive d’Israël en 1967, l’aide américaine s’est accrue de 450 %.
Puis, après la guerre civile de 1970-71 en Jordanie, quand la capacité d’Israël
à contenir les mouvements révolutionnaires hors de ses frontières fut clairement
apparente, les États-Unis ont encore augmenté leur aide de 700 %. Et enfin,
après la victoire contre les Arabes lors de l’offensive de Kippour en 1973, l’aide
a encore augmenté de 800 %.
Plus Israël s’est révélé capable de contrôler la région, plus l’aide américaine a
été importante. En 1983, quand les États-Unis et Israël ont signé des accords de
coopération stratégique et militaire et réalisé les premiers exercices navals et
aériens en commun, Israël reçut une aide supplémentaire de 1,5 milliard de
dollars et en encore 500 000 dollars pour développer un nouvel avion de combat.
Ce soutien dans ce qui paraît être une course pour contrôler la Terre sainte se
poursuit encore. Et cela en dépit des propos prudents des ultra-conservateurs
sous George Bush (y compris Colin Powell), selon lesquels un soutien
inconditionnel à Israël rendrait plus difficile la coopération des États arabes pour
lutter contre Al Qaida.
Un autre facteur à prendre en compte est le fait que la droite chrétienne
américaine, représentant 10 millions de votants pour le Parti républicain, a
accordé son entier soutien à Israël. Ce point de vue semble lié à une théologie
messianique qui voit dans le retour des Juifs en Terre sainte le prélude à la
seconde venue du Messie. La bataille entre Israël et ses voisins arabes, à leurs
yeux, est la poursuite de la lutte entre les Israélites et les Philistins – un signe
précurseur de l’avènement de l’âge messianique : l’aube du Nouvel Ordre
mondial.
Et c’est peut-être ce qu’il y a de plus proche des vraies motivations des États-
Unis.
Il est étrange selon nous que le seul soutien inconditionnel à l’invasion de
l’Irak par George Bush en 2003 soit venu du premier ministre britannique Tony
Blair. C’était comme si les deux hommes possédaient des preuves qu’ils ne
pouvaient partager avec le public et les autres responsables du monde – même au
sein des Nations Unies. Et une fois encore quand Israël a envahi le Liban en
2006, ces deux leaders mondiaux ont été pratiquement les seuls à ne pas tenter
un cessez-le-feu malgré de nombreux appels internationaux en ce sens.
Les deux hommes sont chrétiens. Le président est méthodiste et Tony Blair
anglican mais ses sympathies pour l’Église catholique romaine sont bien
connuesb (sa femme, une avocate de renom, est catholique et assiste à la messe).
Pouvaient-ils réellement connaître de grands secrets affectant Israël ? Pouvait-il
y avoir un plus vaste plan impliquant les Familles de l’Étoile, ou conçu par
elles ?

La fin du jeu : un monde uni


Notre recherche commune de douze années à nécessité l’examen d’une masse
énorme d’informations. L’utilisation de techniques de police scientifique nous a
permis d’identifier des mouvements de l’histoire qui, nous l’avons montré,
révèlent la présence d’un groupe que nous avons nommé collectivement « les
Familles de l’Étoile ». Quand les circonstances de l’histoire du passé sont vues
d’une manière globale, plus que de manière artificiellement parcellaire, il
devient absurde de nier que les événements qui se sont déroulés en Terre sainte
et en Europe au XIIe siècle sont sans lien.
Cependant, il est bien plus difficile de regarder sa propre époque avec la
même lucidité car certains événements clés ont pu ne pas encore se produire. Il
est donc indispensable de spéculer un peu. Nos recherches nous ont conduits à
comprendre et même à apprécier, les valeurs et les objectifs de groupe invisible
d’héritiers fondé à l’époque du roi Salomon. Ainsi, en spéculant sur le présent et
le futur, nous pouvons nous demander : « Que ferions-nous si nous étions eux ?
Le grand dessein des Familles de l’Étoile est d’unifier – de créer un monde
unique que Dieu pourrait régir. Elles veulent abattre les barrières internationales
et unifier la relation de l’homme avec Dieu sans interférer avec le droit de toute
personne à suivre les choix religieux qui sont les siens. Elles veulent une société
mondiale prospère et tolérante où le commerce est équitable, où la prospérité et
la justice sont également réparties.
Le commerce équitable et la fortune bien partagée, selon elles, sont les
meilleurs moyens de prévenir les guerres, bien mieux que les armes accumulées
et les menaces de destruction. Si nous étions les chefs des Familles de l’Étoile
aujourd’hui, nous chercherions à créer des blocs d’États économiquement
interdépendants pouvant se développer ensemble.
Par exemple, nous essayerons de transformer un ensemble de pays récemment
encore en guerre en une communauté de commerce. Elle grandirait en alignant
ses structures sociales comme sa législation du commerce, ses lois pénales, sa
politique étrangère et sa fiscalité. En même temps, nous tenterions d’accroître ce
bloc en attirant d’autres pays, jusqu’à constituer une région ou un continent une
seule entité – une peuple uni.
Nous avons déjà vu la création de la Communauté économique européenne
dans le sillage du plan Marshall. Aujourd’hui, en une seule génération, c’est
devenu une quasi-confédération de 27 États qui envisagent un avenir commun
sous la bannière de l’Union Européenne. Huit d’entre eux sont des États qui
étaient membres du Pacte de Varsovie – naguère des ennemis de l’Occident et
des satellites de l’Union soviétique, et douze ont déjà une monnaie commune
avec l’euro. La Croatie, la Macédoine et les musulmans de Turquie sont
candidats à l’Union Européenne. Combien de temps avant que la Russie ne s’y
joigne ?
Il est intéressant de noter que l’euro a été émis avec une valeur identique à
celle du dollar. Ce n’est pas un hasard : une telle étape s’impose à quiconque
envisagerait une monnaie mondiale potentielle.
Paul Volker, l’ancien président de la Réserve fédérale américaine a dit : « Une
politique mondiale suppose une monnaie mondiale. »
Combien d’années faudra-t-il pour que les États-Unis et l’Union Européenne
fusionnent leurs monnaies ?
Nous pensons que ce ne sera pas trop long.
Et quand le Canada et la Mexique, les partenaires des États-Unis dans la zone
de libre échange nord américaine, seront absorbés dans les États-Unis et
adopteront le dollar, ce qui se fera sans doute, leurs citoyens se verront-ils offrir
la parité d’un dollar pour un peso ou un dollar canadien ? Exactement comme
l’Allemagne de l’Ouest a courageusement offert un deutschemark pour un mark
allemand de l’est, pratiquement sans valeur, quand les Allemagnes se sont
unies ?
Si l’on regarde une génération plus loin, le monde unifié aura besoin d’une
capitale mondiale. Si nous étions les héritiers de Salomon, il n’y aurait qu’un
seul choix : Jérusalem.
La ville est un carrefour politique et social autant que physique. Au centre de
toute carte du monde on trouve Jérusalem. Elle se situe au centre de l’Europe, au
nord, de l’Afrique au sud, de l’Asie à l’est et de l’Amérique à l’ouest. Une ville
sainte du judaïsme, du christianisme, de l’islam, une localisation unique et neutre
pour un Nouvel Ordre mondial.
Nous pensons qu’il est probable que lorsqu’Israël sera parvenu à une relation
à peu près stable avec ses voisins, quelqu’un proposera Jérusalem pour être le
nouveau quartier général des Nations Unies, une terre politiquement neutre
n’appartenant à aucun pays. Ce sera sans doute le secrétaire général des Nations
Unies. Il ou elle pourra dire les mots mais ce ne sera pas son idée. Elle viendra
du plus profond des Familles de l’Étoile.
À partir de là, avec le rassemblement des nations et la fusion des monnaies, il
y aura un mouvement spontané pour faire de Jérusalem la capitale mondiale de
la Terre unie.
La vision du roi Salomon sera accomplie, mais d’une façon très éloignée de ce
qu’il avait imaginé. La plus mystérieuse et parfois le plus désolée des villes qui
ait jamais existé sur la surface de la terre aura atteint son but final :

L’union harmonieuse de toute l’humanité.

Abbaye de Clairvaux en Champagne, quartier-général de Bernard de


Clairvaux – Alan Butler
La chapelle de Rosslyn en 1917 – cliché dû à l’obligeance de Peter Stubbs,
Edimbourg

Les ruines de l’ancienne chapelle Saint Matthieu, désormais dans un


cimetière proche de l’actuelle chapelle de Rosslyn – cliché dû à
l’obligeance de John Ritchie

Portrait de St Bernard de Clairvaux que l’on peut voir de nos jours dans le
trésor de la cathédrale de Troyes, avec les reliques du saint.
Cathédrale de Troyes en Champagne. Troyes était le quartier-général des
Familles de l’Etoile du XIe au XIVe siècle – Alan Butler
La fenêtre située à l’est de la chapelle de Rosslyn avec le puits de lumière
bien visible au sommet d’une arche – cliché dû à l’obligeance de John
Ritchie
Une étoile à cinq branches, ou pentacle, gravé dans une église du Yorkshire,
en Angleterre. Cet exemple du XVe siècle prouve nettement que le pentacle
était souvent utilisé comme un symbole chrétien – Alan Butler.
L’intérieur du puits de lumière de Rosslyn est très réfléchissant, comme on
le voit ici alors qu’une torche lumineuse puissante est placée dans
l’ouverture – cliché dû à l’obligeance de John Ritchie

Représentation en pierre de la sainte Shekinah sous la forme d’un ange ( ?)


– cliché dû à l’obligeance de John Ritchie
On pense que cette sculpture de la chapelle de Rosslyn représente une
initiation de type maçonnique, bien longtemps avant que la franc-maçonne
soit apparue ! – cliché dû à l’obligeance de John Ritchie

Exemples de sculptures végétales de la chapelle de Rosslyn. On voit ici une


forme d’aloès ou de cactus – cliché dû à l’obligeance de John Ritchie

Le portail sud de la chapelle de Rosslyn – cliché dû à l’obligeance de John


Ritchie
Sculpture très rare trouvée à Rosslyn – celle-ci montre un Homme vert –
cliché dû à l’obligeance de John Ritchie
Une sculpture de l’Homme vert de l’extérieur de Rosslyn – cliché dû à
l’obligeance de John Ritchie
Le Pilier du Comte ou le Pilier du Maître, de la chapelle de Rosslyn - cliché
dû à l’obligeance de John Ritchie
Le Pilier de l’Apprenti de la chapelle de Rosslyn - cliché dû à l’obligeance
de John Ritchie
Un Homme vert grimaçant à l’extérieur de Rosslyn - cliché dû à
l’obligeance de John Ritchie
Les trois piliers de Rosslyn - cliché dû à l’obligeance de John Ritchie

Les sept vertus dans une sculpture de Rosslyn - cliché dû à l’obligeance de


John Ritchie
Les armes municipales de Halifax, en Angleterre, montrant la tête de Jean
le Baptiste et l’Agnus Dei avec l’étendard templier et le bâton de St Jean, le
tout peint sur le portail de Piece Hall – Christopher Knight

Vue orientale de la chapelle de Rosslyn - cliché dû à l’obligeance de John


Ritchie

a. Ou du moins de l’un de ses Rites parmi les plus importants aux États-Unis, le Scottish Rite, ou Rite
Écossais Ancien et Accepté (REAA) [n.d.t.]
b. En décembre 2007, Tony Blair s’est officiellement converti au catholicisme. [ndt]
NOTES

CHAPITRE I
1. Selon Flavius Josèphe, un historien du Ier siècle (Antiquités juives, 2,10), Moïse était devenu général
dans l’armée égyptienne, prenant part à de nombreux combats contre les Ethiopiens. Dans son ouvrage
Works of Josephus, William Whiston fait observer que, même si la Bible ne rapporte pas explicitement
que Moïse était un général, un passage des Actes des Apôtres (7,22) confirme probablement cette
tradition.
2. Deutéronome, 2, 31-35.
3. C. Knight et R. Lomas, Uriel’s Machine, Century, 1999.
4. Les auteurs s’excusent auprès de tout lecteur hindou qui pourrait trouver cette explication, pourtant
bien intentionnée, plutôt simpliste.
5. Le démon ne devint réellement un concept distinct que lorsque l’Église chrétienne transféra la
responsabilité de tout le mal vers l’ange de lumière déchu, Lucifer, plus tard connu sous le nom de
Satan (un mot qui signifie initialement « adversaire » dans les manuscrits de la mer Morte) était
l’ancien nom de Vénus et l’intention de l’Église, en portant le blâme sur Lucifer – le porteur de la
lumière et de la connaissance – pour toutes les choses mauvaises, était de combattre les anciennes
croyances entourant le culte de Vénus, lesquelles ne cadraient pas avec sa propre interprétation de
l’histoire de Jésus. Cela a réussi puisque la vérité a été purement et simplement inversée.
6. C. Knight et R. Lomas, The Book of Hiram, Century, 2003 (trad. fr. Le Livre d’Hiram : Franc-
maçonnerie, Vénus et la clé secrète de la vie de Jésus, 2004 [ndt])

CHAPITRE II
1. Daraul A., Secret Societies, Tandem, 1969.
2. Schonfield H., The Essene Odyssey, Element, 1984.
3. Josèphe écrit, dans les Antiquités juives (Livre 18, Chapitre 5, Paragraphe 2) : « Or, il y avait des Juifs
pour penser que, si l’armée d’Hérode avait péri, c’était par la volonté divine et en juste vengeance de
Jean surnommé Baptiste. En effet, Hérode l’avait fait tuer, quoique ce fût un homme de bien et qu’il
excitât les Juifs à pratiquer la vertu, à être justes les uns envers les autres et pieux envers Dieu pour
recevoir le baptême ; car c’est à cette condition que Dieu considérerait le baptême comme agréable,
s’il servait non pour se faire pardonner certaines fautes, mais pour purifier le corps, après qu’on eut
préalablement purifié l’âme par la justice. Des gens s’étaient rassemblés autour de lui, car ils étaient
très exaltés en l’entendant parler. Hérode craignait qu’une telle faculté de persuader ne suscitât une
révolte, la foule semblant prête à suivre en tout les conseils de cet homme. Il aima donc mieux
s’emparer de lui avant que quelque trouble se fût produit à son sujet, que d’avoir à se repentir plus tard,
si un mouvement avait lieu, de s’être exposé à des périls. À cause de ces soupçons d’Hérode, Jean fut
envoyé à Machaero, la forteresse dont nous avons parlé plus haut, et y fut tué. »
4. 1 QM [Qumran Manuscripts], 11:16.
5. Souligné en italique par l’auteur.
6. Josèphe, La guerre des Juifs, 2, 8, 10.
7. Luc, 7, 22-23 ; Matthieu, 11, 4-5.
8. Eisenman R., James, the Brother of Jesus : The Key to Unlocking the Secrets of Early Christianity and
the Dead Sea Scrolls, Watkins Publishing, 2002.
9. 1Qs, 1, 13-15.
10. 1Qs, 12, 5.
11. Galates, 1, 15-16.
12. 1 Corinthiens, 9, 2-25.
13. Brandon G F, The Fall of Jerusalem and the Christian Church, S.P.C.K., 1951.
14. Furneaux R, The Other Side of the Story, Cassel, 1953.
15. Ces deux derniers passages sont tirés de la Guerre des Juifs (7, 2, 2 [ndt]).

CHAPITRE IV
1. Pour une plus ample discussion, voir Knight C. et Lomas R., The Book of Hiram, Century, 2003 (trad.
fr. Le Livre d’Hiram, 2004 [ndt]).
2. Gesta Francorum Jerusalem Expugnantium.
3. Rapporté par Orderic Vital, un membre d’une Famille de l’Étoile et chroniqueur, qui devint plus tard
prêtre à Cluny en 1132.

CHAPITRE V
1. Kenyon K.M., Digging up Jerusalem, Benn, 1974.
2. Allegro J.M., The Treasure of the Copper Scroll, Garden City, NY, Doubleday, 1960.
3. Allegro J.M., The Dead Sea Scrolls and the Christian Myth, Prometheus Books, 1984.
4. Herbert A.S., The Song of Solomon, Peak’s Commentary on the Bible, Nelson, 1963.
5. Castano, Engels, Haverkamp et Heberer : The Jews of Europe in the Middle Ages, Hatje Cantz, 2005.

CHAPITRE VI
1. Bernier F., The Great Architects of Tiron, The Steps of Zion, ULT, Arizona, 2005. Le document est
entièrement consultable sur http://frontierpublishing.nl/ fb _tirin.pdf.
2. Butler A., The Goddess, the Grail and the Lodge, O Books, 2004; The Virgin and the Pentacle, O
Books, 2005.
3. Charpentier L., The Mysteries of Chartres Cathedral, A B Academic Publishers, 1997 (trad. angl. de :
Les mystères de la cathédrale de Chartres, 1995 [ndt]).
4. Ochsendorf J., « Bridging the void », New Scientist, 10 juin 2006.
5. Voir Chapitre 10.
6. New Cambridge Medieval History, vol. 5, c.1198-c.1300, Cambridge University Press, 1999.
7. Il faut noter que ce mot est encore un usage en France mais aussi en Allemagne (Pfund) pour qualifier
un demi-kilo.
8. Voir http://yale.edu/lawweb/avalon/jeff plan.htm
9. Pour une description complète voir Knight C., Butler A., Civilization One, Watkins, 2004.
10. Butler A., Sheep, OBooks, 2006.

CHAPITRE VII
1. Butler A., Dafoe S., The Warriors and the Bankers, Templar Publishing, Toronto, 1999.
2. Il est intéressant de noter que le nom original des Templiers était « Les pauvres soldats du Christ et du
Temple de Salomon » ; ils ne furent jamais appelés « Les pauvres soldats de Jésus-Christ et du Temple
de Salomon ».

CHAPITRE VIII
1. 1 Rois, 8, 1-2.
2. Le calendrier courant des Juifs est lunaire, de sorte que le début de chaque mois ne peut être lié
exactement à un mois du calendrier solaire occidental. Tishri tombe en septembre ou en octobre, selon
la nouvelle lune, la première apparition de la lune après son occultation définissant le début du mois
juif. Après l’exil à Babylone, les Juifs adoptèrent le calendrier lunaire et Rosh HaShanah (le Nouvel
An) se déplaça de l’équinoxe d’automne à celui de printemps. Mais les Esséniens retinrent le
calendrier solaire. Une lettre trouvée à Qumran conteste l’usage du calendrier lunaire qui fait célébrer
les jours saints au mauvais moment de la semaine ou du mois. De plus, la bibliothèque de Qumran
renferme 18 exemplaires du Livre des Jubilés, lequel décrit le calendrier solaire en détail. En fait, ce
fut le changement de calendrier qui causa la séparation des Esséniens d’avec les prêtres de Jérusalem.
3. Cité dans Wallace-Murphy T., An Illustrated Guide to Rosslyn Chapel, The Friends of Rosslyn, 1993.
4. Crawford Barbara E., William Sinclair, Earl of Orkney and His Family. A Study in Politics of Survival,
Edinburgh, 1985.
5. Hiram Key, Arrow Books, 2001-2006 (trad. fr. La Clé d’Hiram, Paris, 1999 [ndt])
6. Le romancier Dan Brown semble avoir été influencé par cette découverte de Chris car dans son Da
Vinci Code il décrit un énorme Sceau de Salomon sur le sol de la chapelle de Rosslyn. Il ne se trouve
pas là, mais aurait pu tout aussi bien y être.
7. Voir Hiram Key, op. cit.
8. Les livres d’Esdras et de Néhémie de la Bible catholique étaient précédemment connus comme les 1er
et 2e livres d’Esdras et le livre d’Esdras non canonique comme le 3e livre d’Esdras, mais il est
maintenant appelé 1er Livre d’Esdras ou simplement Esdras (en fait, en anglais, le livre canonique
d’Esdras est nommé livre d’Ezra - forme grecque du nom d’Esdras ; dans la tradition française, on
continue à appeler tous ces livres du nom d’Esdras, et on en reconnait trois différents. [ndt]).
9. Fait confirmé par Tessa Randford, Directeur de la Scottish Poetry Library.
CHAPITRE IX
1. The Hiram Key, Arrow Books, 2006.
2. Information fournie par le Dr Jack Miller sur la foi de documents géologiques.

CHAPITRE X
1. Stevenson D., The Origins of Freemasonry, Scotland’s Century (1590-1710), Cambridge University
Press, 1988.
2. Note du 14 mai 1650, dans les Archives publiques de Londres, Papiers d’État A, Interrègne A.
3. Summerson J., Sir Christopher Wren, P.R.S., Notes and Records of the Royal Society of London.
4. Gilbert A., The New Jerusalem, Corgi, London, 2002.
5. Lamentations, 1,1.

CHAPITRE XI
1. On peut voir le tablier maçonnique de George Washington dans le musée du temple maçonnique de
Philadelphie.
2. Pour plus de détails, voir Alan Butler, The Virgin and the Pentacle, O Books, 2005.
3. David Ovason, The Secret Zodiacs of Washington DC, Arrow Books, 2000.

CHAPITRE XII
1. Pages historiques du site web du Grand Orient de France (depuis la première édition de cet ouvrage,
ces passages ont été supprimés de ce site [ndt])
2. La franc-maçonnerie et compatible avec le christianisme bien plus qu’une extension de celui-ci. Bien
que des francs-maçons soient chrétiens, la seule exigence pour appartenir à l’Ordre est de croire en
Dieu (il s’agit là des pré-requis spécifiques en Angleterre et dans le monde anglo-saxon en général. La
situation en France est beaucoup plus diverse [ndt]).
3. Nous considérons que l’on désigne ici les deux sortes de christianismes, catholique et protestant, mais
cela peut aussi vouloir dire « l’Église et le pape ».
4. Crétineau-Joly, L’Église romaine et la Révolution, c.1860.
5. Apocalypse, 17-18.
6. Peu après son entrée en maçonnerie, la Guerre de Sécession ayant éclaté, Pike reçut la charge de
brigadier-général et la charge d’un territoire indien où il entraîna des soldats confédérés (sudistes) dans
la cavalerie indienne. Il porta lui-même souvent des décors indiens. C’est le seul officier confédéré
honoré par une statue à Washington.

CHAPITRE XIII
1. Rig Véda, 1 :164 :46.
2. R. Kipling, Une nuit de banquet.
3. Davies M. , Liturgical Time Bombs in Vatican II, Tan Books, 1998.
4. Yallop D., In God’s Name, Jonathan Books, 1984.
CHRONOLOGIE

AVANT J.-C.
967 - Pose des fondations du Temple de Salomon

586 - Destruction du Temple par Nabuchodonosor

539 - Début de la construction du second Temple par Zorobabel

166 - Fondation de la communauté de Qumran par des prêtres esséniens

19 - Hérode le Grand entreprend de restaurer le second Temple

7 - Naissance de Jésus à la lumière de la Shekinah

4 - Mort de Hérode le Grand

APRÈS J.-C.
env. 32 - Mort de Jean le Baptiste

env. 33 - Jésus commence sa prédiction messianique le jour de son 40e


anniversaire

36 - Date la plus tardive possible de la crucifixion de Jésus

62 - Mise à mort de Jacques, le frère de Jésus, au Temple

66 - Début de la Guerre des Juifs contre les Romains


68 - Manuscrits et trésor enfouis sous le Temple

70 - Destruction du Temple de Jérusalem par Titus

325 - Concile de Nicée convoqué par l’empereur Constantin

1066 - Conquête de la Normandie par Guillaume Ier

1070 - Naissance de Hugues de Payen

1071 - Les Turcs seldjoukides prennent Jérusalem

1090 - Naissance de Bernard de Clairvaux

1095 - Début de la Première Croisade

1099 - Prise de Jérusalem par les Croisés – Godefroy de Bouillon est élu
pour le diriger Henri de St Clair prend le titre de baron de Rosslyn Mort du
pape Urbain II

1100 - Mort de Godefroy de Bouillon, premier roi de Jérusalem Mort de


Guillaume II d’Angleterre Baudouin Ier roi de Jérusalem

1104 - Hugues de Payen se rend à Jérusalem avec le comte Hugues de


Champagne

1113 - Bernard rejoint l’Ordre cistercien

1114 - Hugues de Payen et Hugues de Champagne visitent à nouveau


Jérusalem

1115 - Bernard devient abbé de Clairvaux

1118 - Neuf chevaliers conduits par Hugues de Payen commencent à fouiller


les ruines du Temple

1120 - Foulques d’Anjou fait serment de rejoindre les Templiers

1125 - Hugues de Champagne prête serment à Jérusalem, et fait onze


Templiers
1128 - Le concile de Troyes donne leur Règle aux Templiers

1136 - Mort de Hugues de Payen

1140 - Les Templiers emportent en Écosse des manuscrits du Temple de


Jérusalem

1285 - Philippe le Bel devient roi de France à 17 ans

1292/3 - Jacques de Molay est élu dernier Grand Maître des Templiers

1307 - Philippe le Bel arrête tous les Templiers français

1447 - Les documents trouvés à Jérusalem sont désormais à Rosslyn

1598 - Premières archives d’une loge maçonnique (en Écosse)

1601 - Jacques VI d’Écosse devient franc-maçon

1603 - Jacques VI devient Jacques Ier d’Angleterre

1625 - Mort de Jacques Ier – Charles Ier devient roi

1641 - Robert Moray est initié en franc-maçonnerie à Newcastle

1642 - Début de la Guerre civile

1646 - Fin de la première phase de la Guerre civile à Oxford Elias Ashmole


est initié à Warrington

1649 - Charles Ier exécuté – le Commonwealth (république) est établi

1658 - Mort d’Olivier Cromwell

1660 - Restauration de Charles II sur le trône d’Angleterre

1688 - Glorieuse Révolution en Grande-Bretagne – Fuite de Jacques II –


Guillaume III et Mary règnent ensemble

1714 - Premières archives de la Grande Loge d’York


1715 - Échec du soulèvement jacobite en vue de restaurer les Stuarts

1717 - Fondation de la Grande Loge de Londres

1724 - Fondation de la Grande Loge d’Irlande

1736 - Fondation de la Grande Loge d’Écosse

1745 - Deuxième soulèvement jacobite

1801 - Formation du Suprême Conseil du 33e grade aux États-Unis

1813 - Création de la Grande Loge Unie d’Angleterre

1947 - Découvertes des manuscrits de la mer Morte

1951 - Début des fouilles à Qumran

1954 - Le groupe Bilderberg, rassemblant l’élite politique et intellectuelle du


monde, est formé

1955 - Le Rouleau de cuivre, un inventaire des trésors du Temple, est ouvert


et déchiffré

1976 - L’archevêque Bugnini, réformateur de la messe catholique, est accusé


d’être franc-maçon

1978 - Mort du pape Jean-Paul Ier

1982 - Roberto Calvi est retrouvé pendu sous le pont des Blackfriars à
Londres

1991 - Premier accès du public aux manuscrits de la mer Morte


BIBLIOGRAPHIE

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Books, 1984
Allegro, J.-M., The Treasure of the Copper Scroll. Garden City, New York,
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Williamson, G. A. (trans), Josephus and The Jewish War. Harmondsworth,
England, Penguin, 1981
Yallon, D., In Gods Name. London, Jonathan Cape, 1984
SOMMAIRE

CHAPITRE I
AU COMMENCEMENT

CHAPITRE II
LE FILS DE L’ÉTOILE

CHAPITRE III
AU SECOURS DE L’EMPIRE

CHAPITRE IV
L’ESSOR DES FAMILLES DE L’ÉTOILE

CHAPITRE V
LE RÉVEIL DES DORMEURS

CHAPITRE VI
UN NOUVEL ORDRE MONDIAL

CHAPITRE VII
UN ACTE MAUDIT

CHAPITRE VIII
LE NOUVEAU TEMPLE DE LA SHEKINAH

CHAPITRE IX
LE GRAND SECRET

CHAPITRE X
TOUS FRÈRES

CHAPITRE XI
LE NOUVEAU MONDE ET LA NOUVELLE JÉRUSALEM

CHAPITRE XII
LA FRANC-MAÇONNERIE ET LA RÉVOLUTION

CHAPITRE XIII
LA FIN DU COMMENCEMENT

NOTES
CHRONOLOGIE
BIBLIOGRAPHIE

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