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Jacques Fontaine

Analyse stratégique
de la Franc-maçonnerie
Analyse stratégique
de la Franc-maçonnerie
© L’Harmattan, 2011
5-7, rue de l’Ecole polytechnique, 75005 Paris

http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr

ISBN : 978-2-296-13184-2
EAN : 9782296131842
Jacques Fontaine

Analyse stratégique
de la Franc-maçonnerie

L’Harmattan
Du même auteur

• L’Éveil – De l’initiation au Maître – Detrad aVs – 1995.


• L’Essor – Du Maître secret au Grand élu de la voûte
sacrée – Detrad aVs – 1997.
• L’Élan – Du Chevalier d’Orient au Prince du Liban –
Detrad aVs – 1999.
• L’Envol – Du Chef du tabernacle au Souverain grand
inspecteur général – Detrad aVs – 2001.
• Tintin chez les initiés – Dervy 2001.
• L’Espoir – Vers une réforme de la Franc-maçonnerie –
Detrad aVs – 2007, en trois tomes :
 L’Énigme – La Franc-maçonnerie, une
spiritualité pour agir
 L’Enjeu – Pour une Franc-maçonnerie
libérative
 L’Essence – Au cœur du rite maçonnique.
• L’Étude – Analyse des symboles – Techniques de mise
en application – Exemples concrets – Nombreux
schémas –Detrad aVs – 2010
• La Franc-maçonnerie – Trois clefs vers la conscience –
Grancher 2010
A en croire les déclarations discrètes de quelques
Maçons qui sont ou ont été commandes des obédiences, à
lire des articles prémonitoires sur l’avenir de l’Ordre, à
constater la disparition inexorable des Frères anglo-
saxons, l’on est amené à se demander si nous ne sommes
pas menacés d’extinction, sous la joyeuse, conviviale et
fort excellente apparence de la vie de nos Loges et de nos
obédiences. Car tout va bien, vu de Sirius. Mais à y bien
regarder, nous ne serions plus que dans la queue de la
comète des mouvements humanistes, sous leur double
aspect traditionnel : le social et le spirituel. Alors, comme
les trois singes, ne rien voir, ne rien entendre, ne rien
dire ? Ou bien ôter le bandeau et, chassant l’insu,
affronter la réalité sourde. Fort bien ! Mais encore
faudrait-il que ceux et celles qui jouent les Cassandre
n’en soient pas pour leur frais. Après tout, leur
convergence n’est peut-être que celle de leur subjectivité,
dictée par l’amertume, les déceptions, la lassitude ?
Non, il faut, croyons-nous, une démonstration, une
analyse plus rigoureuse. Suivons en cela la raison, prônée
par nos maîtres du siècles des Lumières. Imaginons que
nous ayons à repositionner une grande organisation,
association humanitaire, entreprise, ministère…
Aujourd’hui comment s’y prend-on systématiquement ?
On réalise un analyse ; c’est-à-dire que l’on dresse un état
des lieux et du fonctionnement, on remet à plat
l’organisation, on l’interroge sur ses choix stratégiques
en rapport avec les opportunités de l’environnement, on
apprécie la pertinence de ses moyens et l’on évalue les
résultats. Ainsi sont analysés les associations, les
entreprises, les administrations, les clubs sportifs… Il y a
toutes bonnes raisons pour que la Franc-maçonnerie
agisse désormais, elle aussi, avec maturité. Après tout,
qu’y a-t-il à craindre à faire ce bilan ? Gageons que ce
sera pour éviter le pire non advenu aujourd’hui et
promouvoir le meilleur en germe dans tant de Loges. Qui
ne le savent guère, bien souvent.
Analysons puisqu’analyse il y a ; et pour cela, menons
aussi bien que possible les étapes de ce que l’on appelle,
en sociologie des organisations, l’analyse stratégique qui
s’applique à toutes formes d’organisation.
Le raisonnement est facile à suivre car il s’appuie sur
un certain bon sens. Il égrène six questions liées que nous
allons poser, libres de tout préjugé, à la Franc-
maçonnerie libérale, adogmatique :

1. Quelles finalités vise la Franc-maçonnerie ?


2. Quelle population correspond-elle à ces finalités ?
3. Quels sont les demandes de cette population ?
4. L’offre actuelle de la Franc-maçonnerie répond-
elle à ces besoins ?
5. Quelle image l’offre maçonnique donne-t-elle ?
6. Quel type de gestion des Loges et des obédiences
cette offre et cette image entraînent-elles ?

Pour chaque question, nous ferons l’état des lieux :


qu’en est-il aujourd’hui ? Est-ce satisfaisant ? Que
faudrait-il faire ? A chaque fois, nous appliquerons donc
la grille suivante1 :
• Forces
• Faiblesses
Diagnostic • Opportunités
• Menaces

• Objectifs
Projet • Actions

Vous le constatez, la grille est simple mais puissante.


Elle passe en revue les questions de fond : finalités,
population, demandes, offre, fonctionnement et selon les

1
Cette grille, bien connu des consultants en stratégie, s’appelle sous
son appellation d’origine : SWOT ; soit Strengths, Weaknesses,
Opportunities, Threats.

6
cas, les répartit en forces ou faiblesses, opportunités ou
menaces. Forces et faiblesses considèrent la Maçonnerie
en soi, comme une structure. Opportunités et menaces la
situent dans son environnement, comme un système. Le
projet et les actions qui en découlent s’appuient sur les
forces et les opportunités pour pallier les faiblesses et
contrer les menaces.
Ainsi, croyons-nous, se dessinera une Franc-
maçonnerie réformée, prête à évoluer avec son temps et
refusent de se laisser engloutir dans l’indifférence et
l’indifférenciation de sa cousine américaine. Une Franc-
maçonnerie d’un nouvel âge peut être, que j’appelle la
Franc-maçonnerie libérative ; néologisme qui marque
bien le changement : opérative, spéculative, libérative1.
Au fond, suivre ce raisonnement, c’est, pour notre
propos, se rallier à cette sage parole de B Spinoza : "Ne
pas oublier, ne pas déplorer, ne pas maudire, mais
comprendre". En effet, devant l’état actuel de la Franc-
maçonnerie on peut fermer les yeux, oublier et se
contenter des aspects glorieux qu’elle fait, en apparence,
briller : effectifs stables, intérêt des questions à l’étude
des Loges, diversité des obédiences, défense remarquable
de la laïcité, compassion pour ceux qui souffrent… On
peut aussi déplorer et maudire les rivalités et les
excommunications, la pauvreté des travaux, l’image
grand public déplorable, l’administration sclérosée et
tentaculaire… Mais on peut enfin s’efforcer de
comprendre les causes pour anticiper les conséquences.
Pour proposer de nouveaux systèmes plus en phase avec
notre époque. Si nous comprenons mieux les enjeux

1
Ce néologisme « libérative » est dû à Gérard Loubignac. Il s’agit
bien de libération ; c’est-à-dire du dépouillement des métaux
dogmatiques qui pèse tant sur le plan collectif (rite, obédience) que
sur le plan individuel (spiritualité). A ce titre, 1876 pour le Grand
Orient de Belgique et 1877 pour le Grand Orient de France sont les
actes de naissance de cette naissance libérative : la croyance en dieu,
révélé ou Principe, n’était plus exigible.

7
actuels de la Franc-maçonnerie libérale, si nous
analysons et au besoin renouvelons ses objectifs et ses
moyens, nous aurons des chances d’avoir apporté un peu
de lumière sur le devenir de notre beau mouvement
humaniste.

Avant de répondre à la première interrogation,


énonçons deux points capitaux.
Premier point : chacune des sept questions n’apportera
pas seulement des réponses abstraites mais aboutira à des
propositions de changement effectif du fonctionnement
maçonnique. Au total, une vingtaine d’actions nouvelles
seront expliquées. Elles dessinent la Franc-maçonnerie
libérative.
Deuxième point : ces actions ne sont pas le fruit de
l’imagination exacerbée ou de la verve réformiste de
l’auteur ; elles existent déjà toutes, mais en vrac, sans
lien encore, au niveau des organisations (obédiences,
Loges) ou aux niveaux individuels (pratique du rite,
comportements du Maçon). Or, toutes ces évolutions
vont dans le même sens, le renouveau de l’Ordre eu
égard aux différenciations nécessaires et aux besoins
actuels. Ce qui est nouveau, c’est la mise en cohérence
de ces innovations, de ces essais dans la Franc-
maçonnerie libérative qui finit par réconcilier les deux
tendances historiques : le social et le spirituel, l’action
militante et le développement de l’être.

8
❶ Quelles finalités vise la Franc-
maçonnerie ?

Cette question interroge les intentions de


l’organisation, ici la Franc-maçonnerie. Si elle ne sait pas
où elle va, il y a peu de chances qu’elle y arrive. Les
Constitutions des obédiences émettent avec force et
certitude des principes qui sont autant de déclarations de
principes, des croyances que des buts. La dispersion du
paysage maçonnique latin milite pour un socle commun
de finalités plus précises. Elles seront alors susceptibles
de fédérer les énergies et de procurer un horizon commun
vers lequel progresser. Dussent les obédiences
s’interroger plus avant sur leur projet.

f
orces – La Franc-maçonnerie libérale,
adogmatique1 fait voisiner deux tendances qui nous
viennent de son histoire ; la tendance philosophique
parvenue au fil des décennies, initiatique. Elle a vocation,
grâce au symbole, de développement personnel ; et la
tendance sociale entendue comme la réflexion sur la vie
de la cité, voire l’action engagée. Aux extrêmes, ces deux
pôles sont bien séparés ; d’une part, les Loges strictement
symboliques, d’autre part, celles qui travaillent
exclusivement sur la société. En fait, dans une majorité
des cas, les deux genres se juxtaposent, voire se mêlent
complètement dans les Constitutions des obédiences, la
recherche de l’amélioration tant individuelle que
collective. Ainsi, dans le chapitre I de la Constitution de

1
« Libéral » à entendre au sens premier de « favorable à la liberté de
penser », bien entendu. « Adogmatique » est plus précis mais plus
étroit.
la Grande Loge de France, les deux dimensions sont
spécifiées : "ordre initiatique traditionnel et universel…"
et "… pour but le perfectionnement de l’Humanité". Les
nuances restent et c’est bien ainsi : le Grand Orient de
France, par exemple, n’emploie pas les adjectifs
« initiatique » et « spirituel ». et on sait la répartition des
choix entre ces deux obédiences, pour ne prendre que
leur exemple. Il n’y a plus de querelles néanmoins. Les
Loges de la première obédience ont à travailler des
questions annuelles sociales et celles de la seconde
pratiquent le rite et un peu de symbolisme, voire pour
certaines, beaucoup plus.
Cette diversité est une force. En outre elle s’appuie
sur un consensus profond sur les valeurs humanistes, de
la tolérance à la fraternité, du respect d’autrui et de soi-
même à la liberté d’expression ; de la pratique de la
solidarité au bien être matériel. La liste serait bien longue
des valeurs morales qui se veulent, et sont, à notre avis,
universelles. La force de la Franc-maçonnerie est de
n’avoir jamais dérogé à cette évolution éthique qui l’a
menée de James Anderson à nos jours. Sur ce socle
incontesté, commun, les obédiences, les Loges peuvent
choisir leur démarche pour inciter Frères et Sœurs à
mener leur quête humaniste, à couleur spirituelle ou/et
citoyenne.
En particulier maintes Loges développent le goût pour
la réflexion philosophique, c’est-à-dire la recherche de la
sagesse. N’est-ce pas là un des vœux des Maçons que de
croître en sagesse ? Devenir celui(celle) qui sait prendre
du recul par rapport aux remous et conflits de la vie ; qui
éprouve une tranquillité d’âme et sait, sans passion
perturbatrice, faire usage de la divine raison, héritée du
Siècle des Lumières. Devenir un Maçon sage qui, en
même temps, est capable de ressentir des émotions
profondes et de les faire connaître avec authenticité. Ce
type d’initié(e) correspond à l’idée que nous nous faisons
d’un certain idéal humain. C’est une force car, à travers

10
cette allégorie, c’est la Franc-maçonnerie qui donne du
sens à ses adeptes et les exhorte à tendre vers cette figure
idéale.
Ce que nous avons pointé jusque là, ressortit à la
tradition maçonnique. Mais celle-ci n’est pas apparue un
beau jour de juin 1717 ; elle est le fruit d’un perpétuel
remaniement, n’en déplaise à René Guénon et à sa
tradition primordiale. Car l’Ordre a toujours évolué. Un
William Shaw, l’Ecossais des Statuts de 1599 et JT
Desaguliers, l’Anglais inspirateur des Constitutions de
1723, auraient du mal à s’y retrouver dans une tenue du
Droit humain avec, à l’affiche, une planche symbolique
et un échange sur l’euthanasie. Pourtant le rite, les
valeurs prônées auraient à leurs oreilles quelque
familiarité !
C’est cela des finalité fortes ; elles maintiennent
l’universel, procurent l’image d’un Frère, d’une Sœur
idéal(e) et permettent l’adaptation à l’époque vécue. La
Franc-maçonnerie a su ainsi, au cours de son histoire,
agréger les courants les plus divers : le christianisme,
l’idéologie newtonienne, l’hermétisme, l’alchimie puis la
cabbale et l’occultisme. En même temps que la démarche
expérimentale et le primat de la raison, la foi et
l’athéisme enfin. Gageons qu’elle va être enfin capable
d’accepter en son sein les apports qui la concernent de
près, les sciences humaines : l’ethnologie, la sociologie,
la psychologie… pour se contenter des mots titres. Force
si nous avons vu juste ou faiblesse si l’Ordre passe à
côté.

f
aiblesses – Le panorama éthique maçonnique est
universel, soit mais aujourd’hui, à le promouvoir, la
Franc-maçonnerie n’invente plus rien et semble
s’enferrer dans des lieux communs, d’une grande
élévation d’âme certes, mais des banalités tout de même

11
dans les démocratie occidentales. La majorité de la
population souscrit aujourd’hui aux valeurs de respect, de
dignité, de solidarité, de sagesse, de tolérance, de liberté
de conscience, de bienfaisance… Ce qui ne veut pas dire
qu’il n’y ait pas, dans nos sociétés, une grande distance
de la coupe aux lèvres. Les comportements ne sont pas
toujours au rendez-vous des déclamations nobles !
Ainsi la Franc-maçonnerie n’a plus grand chose à
proposer. Elle est passée de la forge des valeurs
nouvelles au « patronage d’adultes bien pensants » 1 que
quasiment personne ne songe à contredire. Aujourd’hui
elle ne se renouvelle pas ; elle applique aux sujets de
société les finalités, les principes moraux qu’elle a
édictés il y a plus d’un siècle, pour les plus grandes
obédiences. Mais peut-on, en ce domaine, aller plus
loin ? Puisque ces valeurs sont universelles ne sonnent-
elles pas la fin de la recherche éthique ? Paradoxalement,
à l’opposé de cette éthique universelle tendue vers
l’avenir, une autre éthique sous-tend les principes actuels
de l’Ordre. La référence biblique, récit impressionnant
des tribulations de quelque tribu sémitique, sert de
référence, toujours, à nombre de Maçons. Sagesse
obstinément ancrée dans le passé, révolue et dépassée.
Des faiblesses sans doute qui briseraient l’enthousiasme
de la découverte et qui verraient l’ardeur du néophyte se
transformer en catéchumène soumis. Alors, comme le
serpent qui se mord la queue, il ne reste plus, en tenue,
qu’à psalmodier les trop vieux usages et prescriptions et à
s’interroger sur les limites de ces vertus que nous
professons. Jusqu’où la tolérance ? Jusqu’où la
bienfaisance ? Jusqu’où la dignité de soi ?… Cette
recherche des limites est comme un soupir
d’impuissance.
Faiblesse renforcée, si l’on peut dire, par une autre : il
n’est pas dit que d’autres valeurs ne sont pas en cours

1
Daniel Beresniak.

12
d’accouchement dans notre société. citons deux
occasions immenses. Aujourd’hui, l’Homme commence
à se modifier lui-même. Les progrès de la neurobiologie
sont vertigineux. Que penser, que dire, que faire devant
les gouffres questionnant du clonage et des cellules
souches, des greffes et des transplantations, de la
sélection génétique, de l’empirisme… du rêve ( ?) de
construire de bric et de broc génétique un Homme
meilleur, plus intelligent, plus équilibré, plus fraternel et
vivant très vieux ? La batterie actuelle des valeurs
maçonniques n’en peut mais, même si des commissions
de bioéthique fleurissent ici ou là, la majorité des Frères,
des Sœurs, à l’instar du marais profane, n’en ont cure.
Sortons maintenant un instant de l’anthropocentrisme,
caractéristique majeure et de l’humanisme, maçonnique
en particulier, pour replacer l’Homme dans le système
dont il est un élément : la nature, l’univers. Devant
l’épuisement des ressources, devant les modifications
écologiques dont il est le responsable, devant
l’écrasement de la biodiversité, les valeurs traditionnelles
ont-elles quelque chose à proposer ? Nous ne le
constatons pas. La surpopulation, la frénésie des trois
quarts de la planète à vouloir le niveau vie du quart nanti
et obèse, seront-elles réglées par une incantation
humaniste ? Sans doute pas.
Face à deux mythes, celui du Golem et celui des
bandes hurlantes d’affamés, la Franc-maçonnerie,
aujourd’hui, paraît bien faible dans sa naïveté
désarmante. Cet anthropocentrisme dogmatique est le
talon d’Achille de l’Ordre. Comment celui-ci, enraciné
dans la gloire et le progrès de l’Homme, peut-il faire
éclater cette préoccupation et s’ouvrir réellement à un
vécu, non de simples opinions, écologique ?

13
l
es opportunités – Les faiblesses répondent aux
forces des finalités de la Franc-maçonnerie.
L’environnement présente des opportunités. Deux ;
exactement d’essence différente.
La première est présente dans la vie quotidienne des
démocraties ; soucieuses de respecter les droits humains
et d’éviter de tomber dans le tourbillon infernal des
répressions grandissantes dont les opposants aux régimes
en place font les frais. Il faut peut-être des siècles pour
qu’une population accepte la liberté d’opinion, le refus
des traitements inhumains, cruels ou dégradants. En dépit
des débordements fous du capitalisme financier,
l’ouverture, la tolérance, le respect de l’autre et de la vie
pénètrent de plus en plus finement nos mœurs
quotidiennes et s’inscrivent durablement par les lois et
les décrets.
Et tout ce mouvement encore naissant se déploie
d’autant plus vite qu’il s’appuie sur un socle juridique
solide ; celui de l’affirmation de la dignité humaine
depuis la Déclaration universelle des Droits de l’Homme
de 1948 jusqu’aux conventions, traités et pactes les plus
récents sur les droits civils et politiques, les droits de
l’enfant, ceux des minorités… ; jusqu’aux juridictions
internationales qui amènent à considérer que les crimes
n’ont plus de frontières. Cet humanisme bien réel
contrebalance les excès et les débordements belliqueux
des fondamentalismes et des dictateurs. Or la Franc-
maçonnerie fut certes contributrice à l’émergence de ces
valeurs universelles. Son humanisme est maintenant
entendu et répandu ; c’est une preuve de sa solidité et une
garantie d’écoute pour son affirmation. A l’Ordre de
saisir l’opportunité pour aller plus loin et surtout pour
élargir l’éventail aux préoccupations nouvelles que nous
avons signalées dans les faiblesses.
L’autre opportunité à saisir, indispensable à l’Ordre
repose sur l’accord auquel sont parvenus plusieurs
chercheurs, des neurologues aux psychanalystes sur le

14
lien qui existe entre l’introspection et l’action altruiste.
L’affaire mérite d’être rappelée car, d’une part, elle est le
terreau d’où s’élèvera une nouvelle finalité de la Franc-
maçonnerie, ce qui nous intéresse au plus haut point ici ;
car d’autre part, elle valide une intuition géniale de la
Franc-maçonnerie actuelle. Sait-on que l’aire corticale
des lobes frontaux recèle les facultés dites supérieures,
entre autres le désir d’introspection et l’empathie ? Voilà
pour la neurologie. Sait-on aussi que pour la
psychanalyse, le « Surmoi » est l’instance où se forge le
goût pour l’auto observation et les valeurs sociales
altruistes ? Belle coïncidence vérifiée, dans leur
discipline respective par d’autres savants. Ainsi, on sait
encore aujourd’hui, parce que des neurologues, des
psychologues l’on découvert 1, que la capacité
d’introspection, clef de l’approfondissement spirituel
dans toutes les traditions religieuses ou pas, entraîne
infailliblement les désirs de solidarité, d’entraide, de
bienfaisance… et s’articule entre eux sur base de
fraternité et d’amour universels, prônées par l’Ordre.
Socrate, François d’Assise, René Cassin… une
spiritualité pour agir ! Ce n’est plus la dictature du « ou »
mais le règne du « et ». Ce passage, en chaque initié,
s’il(elle) est allé(e) assez loin, entre l’énergie dégagée par
sa libération intérieure et sa redistribution pour autrui est
une manière de diffraction ; conversion de la
connaissance de soi en compréhension de l’autre et désir
d’agir pour son mieux être.
Cette diffraction, ce phénomène, entraîne pour
conséquence une décision pour la Franc-maçonnerie
libérative : s’il est naturel de passer du dedans vers le
dehors, il faut que la Loge prépare ce chemin. Comment
s’y prendre ? Que faire alors du vieil ukase andersonien,
circonstancié, d’interdiction de parler des questions

1
Paul Mac Lean, Abraham Maslow, Carl Rogers, Lawrence
Kohlberg…

15
religieuses et politiques ? Nous le verrons mais on devine
déjà. Au delà, cette opportunité sera une magnifique
manière de réunir ce qui est épars ; les deux tendances
historiques maçonniques sont en fait1, nous venons de
l’apprendre, fondues l’une dans l’autre. Qui descend en
lui-même s’ouvre progressivement sur l’entraide
altruiste. Cette diffraction, démontrée, est non seulement
souhaitable mais possible. Ne plus tarder, traverser le
gué !

m enaces – L’humanisme est ouvert à tous.


Adogmatique, il semble la réponse pour
les profanes de bonne volonté. En fait,
c’est sur un autre terrain que celui de l’éthique qu’il
rencontre ce qu’il faut bien appeler les concurrents,
même si le mot peut déranger. Concurrence évidente sur
le plan social ; dans une société surinformée qu’apportent
les Loges ? Presque rien sur ce point. Les media, de bien
meilleure qualité que les planches, balaient, sans y prêter
garde, les quelques éléments d’information et de
réflexion issus des tenues. Nous ne sommes plus, depuis
70 ans, sous la Troisième République. Mais il s’agit,
aujourd’hui, d’une autre concurrence, sur l’autre aile de
la Maçonnerie : celle du développement personnel. Après
l’abandon de la frontière sociale, reste celle de la
philosophie de l’être, de la spiritualité. La Franc-
maçonnerie symbolique est souvent mise, dans la tête des
profanes en quête, en compétition avec d’autres
sagesses : le bouddhisme, à la fois lointain et très
proche2. Il est fructueux de comparer les deux démarches,
celle de Bouddha et celle du Franc-maçon ; des
différences certes, sur l’art de vivre mais bien des

1
Oui, nous le savons désormais…
2
C’est une spiritualité athée.

16
ressemblances aussi ; par exemple l’humanisme versus la
compassion et pour les deux, la recherche de la vérité.
Les religions ne sont pas de reste. Les tendances
extrêmes tels les fondamentalistes1 et les sectes
protestantes, comme les pentecôtistes et les mouvements
charismatiques ne nous touchent guère il est vrai 2. Mais
que dire des sectes aux nouvelles assises spirituelles ; les
raëliens, démarche athée par exemple ? Ou la bien
fameuse Scientologie de Ron Hubbard, la dianétique,
basée sur une intelligente3 méthode d’éveil, fondée en
1950 seulement ; elle compte aujourd’hui 7 à 10 millions
d’adeptes. "La Franc-maçonnerie ? Combien de
bataillons ?" aurait demandé l’autre. Même pas la moitié,
elle qui est plus que centenaire !
L’offensive des religions est vigoureuse. Bien sûr
dans les pays théocratiques comme ceux que l’on connaît
en terre d’Islam qui écrasent la liberté et le respect
d’autrui sous les commandements terribles d’un Coran
mal digéré, des hadiths du prophète et de la charia. Mais
nous sommes ici en Occident, en France, en Belgique et
nous n’en sommes plus à ces époques médiévales.
Pourtant cette offensive se déploie au grand jour. Pas
seulement dans les déclarations, celles de présidents de la
République ; pas seulement dans l’évocation des seules
racines chrétiennes de l’Europe au détriment des racines
éclairées de la raison et de l’athéisme. Mais aussi, bien
concrètement, dans les sommes faramineuses prélevées
sur les fonds publics versées à l’église catholique : 10
milliards d’euros en 2006 au titre de l’enseignement
privé, des associations cultuelles, de la fiscalité, de
l’immobilier. De quoi s’étrangler au pays de la laïcité et
de la loi de 1905 qui la promut4. Que l’on soit croyant, et

1
60 millions aux USA, tout de même !
2
Pas encore trop.
3
Pourquoi pas ?
4
Source : La Raison, le mensuel de la Libre pensée – n° 517 janvier
2007.

17
l’on peut tout à fait être laïc et avoir la foi, ou pas, cet état
d’esprit, ces déclarations, ces dispositifs anti-laïcs ne sont
pas favorables à l’ouverture, la tolérance mutuelle, le
respect d’autrui, l’égalité enfin. In fine, la Franc-
maçonnerie libérative se trouve fort menacée par ces tirs
de barrage qui, dogmatiques, apportent le confort d’une
vérité extérieure certaine. La Franc-maçonnerie fait
tomber le bandeau. Les religions le maintiennent ; c’est si
commode pour les croyants ! Mais entre le malaise
ontologique et le confort de l’âme, la victoire revient très
souvent au second.

o bjectifs – Visons à la réconciliation des


finalités entre elles. Sachant, rappelons-le,
qu’il n’a pas fallu attendre les scientifiques
pour relier les deux finalités distinctes de la Franc-
maçonnerie, l’initiatique et la sociale, l’individuelle et la
collective. De nos Frères éminents l’énoncèrent
clairement ; dès 1965, pour J Corneloup, une déclaration
visionnaire : "La Franc-maçonnerie sous peine de
manquer à sa vocation, devra premièrement et
effectivement redevenir initiatique pour faire des hommes
pleinement épanouis et éveillés aux réalités qu’il ont en
eux comme aux réalités du monde extérieur".
L’objectif peut s’énoncer ainsi : formuler des
finalités humanistes cohérentes entre elles. Nous
l’avons dit, les Constitutions, les rituels regorgent de
grandes et belles vertus. Au-dessus d’elles et pour les
englober, nous préférons les couronner par quatre
finalités qui portent en elles les deux vocations liées,
dans un ordre conforme aux découvertes scientifiques :
d’abord la spiritualité, ensuite le social.

18
• la recherche de la vérité
• la libération de l’être,
Une spiritualité pour agir
• la quête de la sagesse.
• l’action altruiste,

Beaucoup de Frères, de Sœurs s’exclament à propos


d’une quelconque de ces finalités : "Mais tout à fait
d’accord ; rien de nouveau c’est déjà le cas". Ce qui est
nouveau, c’est que d’une part, elles se situent au même
niveau de généralité ; ce qui, dans les textes actuels n’est
pas toujours le cas, qui confondent principes, finalités,
moyens ; et que d’autre part, elles sont liées. Il n’y a pas,
entre elles de préséance ; elles sont en totale
interdépendance ; viser l’une draine, dans le sillage, les
trois autres. Par exemple, le sage vise à libérer son être.
Et cette libération tend à retrouver, sous les apparences,
une certaine vérité. Mais elle se duplique aussi dans la
recherche de la libération d’autrui… Ces quatre finalités1
de la Franc-maçonnerie libérative comportent l’étude de
la morale, la pratique de la solidarité, le respect de la
libre expression… et autres que l’on trouve dans les
textes fondateurs actuels des obédiences.
Mais surtout et enfin, ces quatre finalités et le principe
qui les réunit deviennent une pierre de touche pour
réformer l’Ordre. Chaque proposition d’action doit être
contrôlée ; va-t-elle dans le sens d’une finalité et du
principe qui l’engendre : une spiritualité pour agir ? Ces
quatre mots vérifieront, dans la suite de cette analyse
stratégique, la cohérence et la solidité de chaque
proposition. Tel dispositif actuel s’en écarte-t-elle ? A
éviter. Tel autre, nouveau, y souscrit ? A développer.
Dans cette recherche, l’usage de la raison balaiera les
certitudes et ignorera les émotions.
1
Nous avons vu dans les faiblesses, l’incapacité actuelle de la Franc-
maçonnerie à prendre en compte d’autres finalités ; celle issue des
transformations biologiques et génétiques de l’Homme et celle issue
de la prise de conscience de l’écologie planétaire.

19
a ctions – Actions et décisions découlent du
principe et des quatre finalités puisque
désormais, en toute rigueur, tout se décline à
partir de ces prolégomènes.
Pour l’heure, pratiquons l’exercice en reprenant ces
finalités et en en tirant les conséquences pour une Franc-
maçonnerie réformée, libérative :

• La recherche de la vérité – Il ne s’agit pas, cela


va peut-être de soi, de la Vérité, celle d’un Principe, d’un
Dieu mais de sa petite vérité personnelle ; la conviction
que ce que l’on a découvert en soi n’est pas le fruit du
travestissement de sa pensée : mauvaise foi, amour
propre, ignorance et paresse, bonne raison, réassurance…
En tenue, cela se traduit par des prises de parole
modestes, non péremptoires mais authentiques et
sincères ; dénuées de tout jugement de valeur. Prises de
paroles peu fréquentes et réitérées qui donnent
l’impression, l’intuition d’une harmonie entre ce que l’on
dit, l’on fait et ses désirs enfouis, profonds et, le plus
souvent inconscients.

• La libération de l’être – Le Maçon reconnaît en


lui le poids des déterminismes personnels et des
conditionnements sociaux, quand il médite, en tenue, à
partir de la tenue et hors d’elle, à raison d’une réflexion
sur soi, d’un examen de conscience, tous les deux, trois
jours au moins. S’il veut être libéré, il doit ne pas
craindre de discuter politique et religion avec ses Frères
et ses Sœurs, pas en tenue1 mais dans une réunion
profane, l’atelier que nous décrirons plus bas. S’il
s’échauffe ou bloque sur ces points, c’est qu’il n’est pas

1
Tout le monde n’est pas sage !

20
descendu suffisamment en lui-même et n’a pas le SMIC
de tolérance.

• La quête de la sagesse – Qu’est-ce à dire ? Prise


de recul, relativité des points de vue, calme émotionnel,
usage de la raison… très vaste chantier. Une résultante
des actions précédentes, sans doute. Cette quête de la
sagesse parviendrait à l’aboutissement d’une spiritualité
maçonnique réussie.
Nous ne pouvons donc pas aller plus loin sans une
définition de la spiritualité puisque nous avons énoncé le
principe fondamental de la Maçonnerie libérative ainsi :
une spiritualité pour agir.
Nous n’avons pas trouvé d’auteurs ni de dictionnaires
qui fournissent une définition claire et complète de la
spiritualité. Peut-être est-ce un pari impossible. Nous
allons nous efforcer de le tenir néanmoins de trois
façons :
 par les connotations – Vous trouverez dans
L’Énigme1, douze propositions pour cerner le concept. A
vous de juger !
 de manière docte par une phrase serrée :
"Recherche consciente d’une plénitude intérieure qui
donne sens à la vie, dans l’apaisement des tensions ;
plénitude orientée vers un absolu2 et qui donne
l’impression confuse d’un sentiment d’infini, d’indicible,
d’intemporel et d’inaccessible". Lourd sans doute, mais
dense certainement.
 grâce au poète William Blake qui exprime
l’émotion spirituelle, en quatre vers que la traduction ne
gâche pas :
Voir un monde en un grain de sable,
Un firmament dans une fleur des champs,

1
Jacques Fontaine – L’Énigme – Premier tome de la trilogie L’Espoir
– Detrad 2007.
2
L’UN, Dieu, le Principe, la Nature…

21
L’infini dans le creux de la main,
Et l’éternité dans une heure.

• L’action altruiste – Quatre touches sur ce clavier


par degré de difficulté. En premier lieu, on agit par les
paroles, avec son discours, dans ses arguments,. C’est le
minimum. Puis on modifie ses attitudes ; l’action est
plus intense car elle touche plus les émotions. En
troisième lieu, on agit en modifiant ses comportements
quotidiens, auprès de ses proches, ses amis puis les
inconnus. Enfin, dans quelques rares cas, on s’engage
dans une action altruiste, ponctuelle1 ou permanente2. Le
Vénérable, les Maîtres expérimentés amènent les moins
aguerris à dépasser le stade du discours. Encore faut-il
qu’ils aient valeur d’exemple et qu’eux-mêmes prouvent,
dans leurs comportements, suffisamment d’écoute et
d’attention à l’autre.

Au terme de cette analyse des finalités de l’Ordre et


de leur recomposition, il est plus facile et souhaitable,
maintenant, de proposer une définition de la Franc-
maçonnerie, ni trop ample, ni trop serrée ; et qui servira
de cadre aux développement ultérieurs de ce livre : "Un
parcours moral et spirituel progressif, fondé sur la
fraternité et les symboles, pour vivre des relations
harmonieuses à soi, aux autres et au monde". A amender
bien sûr !

1
Aider un voisin, soulager quelqu’un qui souffre.
2
Adhésion à une ONG, mandat électoral, bénévolat…

22
➋ Quelle population correspond-elle à ces
finalités ?

Pour mesurer jusqu’où la Franc-maçonnerie répond


aux demandes des profanes et pour, le cas échéant,
modifier soit l’offre, soit la promotion, il est
indispensable de savoir qui peut être concerné et qui ne
l’est pas. C’est ce que nous allons déterminer maintenant
en suivant le raisonnement : quelle est cette population
attirée par les quatre finalités et sensible à la vocation
« une spiritualité pour agir » ?

f
orces – La Franc-maçonnerie prétend, ou fait
comme si, le processus initiatique qu’elle propose
aux cherchants convenait à tous et à toutes. Peut-
elle argumenter sur le fait que ses valeurs étant
universelles, elle est fondée à s’adresser à tout le monde ?
C’est ainsi que pourrait se réaliser l’idéal de 1723 ; être le
centre de l’union. Des personnes se retrouvent et
s’appellent Frères qui, sans l’initiation, ne se seraient
jamais rencontrés.
En fait, la force de la Franc-maçonnerie est de coopter
des hommes, des femmes, des jeunes, des anciens, des
intellectuels, des manuels sur la base la plus large
possible. Les distinctions de race, de culture, de pouvoir,
de fortune n’ont pas cours dans l’Ordre. Le strict respect
de l’autre, de son unicité, de sa valeur humaine, induit
cette indifférence aux distinctions profanes. Et sans doute
est-on allé trop loin en systématisant cette non
discrimination. Il y a bien des qualités qui caractérisent
l’initiable, au delà du bourgeois libre et de bonnes
mœurs. René Guénon, entre autres, a beaucoup insisté sur
l’initiabilité. Nous en proposerons d’inévitables dans les
pages qui suivent.
Autre force, cette cooptation ne s’opère pas en
aveugle. Il est difficile d’entrer dans la Franc-
maçonnerie, facile d’en sortir dit-on. La sélection des
profanes est bien balisée ; trois enquêtes et un passage
sous le bandeau, parfois plus : rencontre première avec le
Vénérable, dîner avec des Sœurs, des Frères, vote à la
majorité qualifiée ou à l’unanimité… Ces tris successifs
garantissent, théoriquement, la qualité du(de la)
candidat(e) et le(la) fait admettre aux épreuves de
l’initiation.

f
aiblesses - Elles découlent des forces qui sont, en
bonne part, des trompe-l’œil. En effet, le large
spectre de diffusion par lequel la Franc-maçonnerie
se fait connaître, touche tout le monde et, de ce fait, ne
vise aucune population en particulier. Il n’y a pas,
comme disent les stratèges de « ciblage », d’où une perte
d’efficacité assez considérable. Est-ce pour autant qu’une
grande variété de personnes frappent à la porte du temple,
dans leurs différences bariolées ? Pas du tout. Sinon
pourquoi observerait-on des caractéristiques qui tiennent
à la profession, au milieu social, à la fortune, pour chaque
obédience ? La majorité des Frères de la Grande Loge
nationale française appartiennent à une catégorie socio
professionnelle bien distincte de celle qui prévaut au
Grand Orient de France. Les profils, comme l’on dit, ne
sont pas si mêlés et la promesse du centre de l’union a
fait long feu. Les tendances politiques, religieuses sont
aussi repérables. Pourquoi ces compositions à tendance
monochromes des obédiences et a fortiori des Loges ? A
cause de la procédure de la cooptation.
Deux voies pour entrer dans la Franc-maçonnerie :
faire sa demande sur sa propre initiative ou avoir été

24
sollicité par un proche, initié. On ne connaît pas la
distribution des candidats entre ces deux voies. Et c’est
dommage car cela gêne une approche efficace de la
cooptation : où porter ses efforts ? Sur ce que disent les
présentateurs ou sur la promotion de l’Ordre ?
L’approche par recommandation est toutefois si
importante qu’elle pousse à la cooptation affective : "Je
te presse de devenir Maçon parce que je te connais bien.
Et je connais bien parce que tu es un collègue, un
membre de notre association commune, de mon parti… ;
parce que nous fréquentons les mêmes lieux, avons les
mêmes plaisirs, partageons les mêmes idées…". C’est
bien cette constellation de similitudes qui fait que le
même attire le même. Au XVIIIe siècle, les ducs attiraient
les ducs ; au XIXe siècle, les intellectuels, les scientifiques
s’appelaient les uns les autres… Aujourd’hui les
professions libérales, les fonctionnaires, les salariés de
grandes entreprises sont surreprésentés au détriment des
ouvriers, des commerçants, des agriculteurs, des artisans.
Il y a dans cette cooptation, plus fondée sur l’émotion
que sur la raison, un réel danger d’affaissement social de
l’Ordre. N’est-il pas grand temps de réagir ? Il est
stupéfiant de constater que les obédiences, bien au fait du
profil moyen de leurs adhérents, ne réfléchissent pas à la
mise en œuvre de moyens pour attirer d’autres profils
également attrayants.

o pportunités – C’est la psychologie, en


particulier celle de Carl Gustav Jung, qui va
nous aider à mettre en relief la première
opportunité. Ce savant a été celui qui a modélisé ce que,
plus ou moins intuitivement, les hommes ont toujours
su : l’évolution psychique au fur et à mesure des âges de
la vie. En particulier, il a beaucoup étudié l’époque de la

25
mi-vie, disons aux alentours de 40-45 ans 1. A cet âge,
note-t-il2, les désirs de maîtrise du monde ont moins de
vigueur. L’envie du pouvoir, le goût de paraître, le besoin
d’avoir, deviennent moins pressants ; le travail est chose
faite, la famille est fondée, les biens ne sont plus aussi
désirables… En outre, tout ce qui touche la dispersion de
l’énergie dans l’obtention des meilleures places, dans la
pression d’obtenir toujours plus et mieux s’estompe peu à
peu. Le monde extérieur a moins d’attrait et l’être
amorce, à la mi-vie, un retour à son monde intérieur. Les
questions sur le sens de la vie, la vanité du monde, le
destin et la mort fouillent profondément l’esprit. A l’âge
de désir se substitue progressivement l’âge de la
profondeur. A l’allégresse de vivre succède, les années
passant, la sagesse de l’être. "Ah si jeunesse savait et si
vieillesse pouvait !". L’autre alors n’est plus un bien
potentiel mais un lien fraternel.
La Franc-maçonnerie libérative propose, entre autres
finalités, la quête de la sagesse, la recherche de la vérité.
Ce n’est pas à trente ans que l’on a envie d’être sage et
que l’on descend en soi pour trouver sa vérité. C’est plus
tard, quand le Temple extérieur est bâti 3 et que le Temple
intérieur en est aux fondations. La Franc-maçonnerie est
philosophique, métaphysique et introspective. L’âge idéal
pour entrer avec enthousiasme dans l’Ordre est la mi-vie.
Avant la vie n’est pas faite et, cela arrive, l’initié peut
parfois se dévoyer en profitant de la Maçonnerie par
envie de pouvoir et d’argent ; les affaires et le noir réseau
que les médias se complaisent à dénouer. Après, au delà
de 60-65 ans, le chemin de maturité est tracé et la Franc-
maçonnerie ne peut guère ajouter de réponse spirituelle.
L’opportunité est claire. L’Ordre doit essentiellement
viser les hommes, les femmes entre 45 et 55 ans ; c’est,
1
Avec l’allongement de la vie et de la durée du travail, on dirait
aujourd’hui : 45-55 ans.
2
Mais qui ne l’a éprouvé sur lui-même ?
3
Tant bien que mal…

26
comme disent les consultants, le « cœur de la cible ».
C’est en tout cas la tranche d’âge qui correspond le
mieux à la proposition maçonnique libérative. En
quelques traits grossiers on pourrait faire la caricature
suivante. Pour les jeunes initiés(es), l’Ordre est un réseau
utile : les échanges, les services rendus, l’estime de
soi…. Pour ceux qui franchissent le cap de la
quarantaine, la Loge est le lieu de l’introspection
enthousiaste et de sa redistribution altruiste. Pour les
anciens, elle devient un club convivial et tranquille. Ainsi
les profanes à mi-vie forment le plus grand réservoir des
questions sur eux-mêmes et le sens de la vie. Pour
eux(elles), la Franc maçonnerie apporte une belle
réponse. Cette mine de cherchants, que l’évolution
psychique naturelle fait émerger, est plus que
prometteuse. A la Franc-maçonnerie de savoir l’exploiter
intelligemment et avec détermination. Ce qui n’est pas
encore le cas dans le ratissage tous azimuts des profanes.
C’est pourquoi il est affligeant d’entendre des édiles
maçonniques proférer : "Il faut rajeunir l’obédience ; il
faut faire venir des jeunes". Bien vu si l’Ordre confirme
sa vocation de fluidité sociale ; c’est un risque actuel, on
l’a vu. Erreur funeste si on veut une Maçonnerie centrée
sur la quête d’une spiritualité pour agir.
Une autre opportunité, si l’on pense toujours aux
caractéristiques de la population visée, est la mixité.
C’est un sujet délicat car les positions, de tous côtés, sont
passionnelles. Comment ne le seraient-elles pas
puisqu’elles mettent en jeu la sexualité, fondatrice du
psychisme1 ? En résumé, voici notre position.
Physiquement, psychiquement, une femme n’est pas un
homme. La Franc-maçonnerie a été faite par des hommes
pour des hommes. En d’autres termes, la structure
inconsciente du psychisme masculin est différente sur
certains points fondamentaux de la structure inconsciente

1
Fondation du psychisme, pour la psychanalyse bien entendu.

27
du psychisme féminin. Or le propre d’une partie des
symboles maçonniques est de s’alimenter à une structure
masculine, l’autre partie étant indifférente au sexe.
Demandez donc à une Sœur, vous-même peut-être, si elle
tuerait Hiram comme le font les Compagnons ? Sans
doute pas. Dans ce cas, quelle est la portée de l’élévation
au troisième degré ? Il y en a une certainement !
Cherchez… Les Sœurs la connaissent plus ou moins
confusément. Les interprétations symboliques, les
dispositifs rituels, l’espace temps… tout cela est très
masculin ; ainsi que le démontrent les « gender studies »
américaines. Mais ces études montrent aussi que les
femmes sont capables de s’adapter aux représentations et
modes de pensée des hommes 1. En outre, on peut, dans le
sillage de CG Jung, admettre qu’en chaque homme il y a
une part psychique féminine et réciproquement. C’est
bien sûr très simplifié mais à l’arrivée à quoi ces données
confuses mènent-elles ? Voici des conclusions
temporaires :
• Les Sœurs peuvent sans difficultés personnelles
travailler avec des Frères.
• Les Frères ont le droit d’avoir envie de travailler
ensemble par connivence spirituelle2 sans être accusés de
sexisme.
• Il est donc bon que le choix existe entre les deux
voies, mono sexuée et mixte.
• Sœurs et Frères, mixité indispensable s’il s’agit
de traiter de questions sociales, politiques, culturelles…
• Les Sœurs peuvent développer une voie
initiatique qui leur est propre, à l’instar des grands
mystères féminins dont l’histoire antique regorge. Des
essais, en France et ailleurs, sont tentés ; ils sont
passionnants.

1
Alors que l’inverse est beaucoup plus rare.
2
Les Sœurs aussi de leur côté.

28
• Si les obédiences mixtes ou féminines
n’existaient pas, nous serions les premiers à les fonder.
• Un Frère ne peut se mettre à la place d’une Sœur.
Et une Sœur ne peut se prétendre un Frère. La raison
commande donc le libre choix de sa voie. D’autres
positions, fussent-elles républicaines, campent dans
l’intolérance.

La mixité est donc une opportunité pour tous les


profanes qui désirent travailler, en Loge, avec le sexe
opposé. Cette opportunité, de fait, a déjà sa réponse avec
les obédiences mixtes ; elles-mêmes de finalités variées :
le Droit humain, l’Ordre initiatique et traditionnel de
l’Art royal 1, la Grande Loge mixte de France, la Grande
Loge mixte universelle, la Grande Loge traditionnelle
symbolique… Le choix est complet. L’opportunité réside
ici dans la présentation faite à tout profane de l’éventail
des choix, sans chercher à « draguer » pour sa propre
obédience mono sexuée.

m enaces – On pose qu’il n’y a pas de


critères objectifs pour coopter un Franc-
maçon, du type profession, diplômes,
érudition, responsabilité sociale, revenus… Tout est
affaire de sensibilité : le présentateur « sent-il » le
profane ? La menace est donc réelle d’accepter n’importe
qui avec n’importe quelle motivation. Les professionnels
savent bien que lors d’un entretien de recrutement,
l’embauché éventuel dit tout ce qu’il pense pouvoir plaire
au recruteur. Dans une entrevue entre un(e) initié(e) et
un(e) profane, ce phénomène est démultiplié ; la
confiance s’appuie quasiment sur la seule subjectivité. Il
n’est question que de sympathie éprouvée pour l’un et de

1
OITAR.

29
promesse d’engagement pour l’autre. A l’arrivée,
qu’observons-nous ? Trois catégories de Maçons : ceux
qui sont actifs, ceux qui cotisent mais ne participent plus,
ceux qui ont démissionné. La proposition ? Il y a plus de
Maçon dehors que dedans. La menace de voir se vider les
rangs ne brûle pas car les candidats à l’entrée cachent les
départs. Moins de demandes et ce sera le désastre.
Comme ça l’est aux Etats-Unis où on compte dix Maçons
non actifs pour un Maçon qui participe régulièrement aux
tenues.
L’autre menace que l’on peut repérer tient à
l’approche des profanes. Celles-ci sont remarquablement
discrètes et ne se font guère connaître ; peu médiatisées,
si ce n’est pour être diabolisées, jamais consultées dans
les commissions éthiques nationales, peu présentes ès
qualités dans les débats de société, plutôt absentes à la
radio ou à la télévision ; sauf dans les émissions qui sont
spécialisées dans le « dévoilement » maçonnique, qui
attirent1 beaucoup de Grands Maîtres. C’est une lourde
question car elle touche le secret maçonnique. Faut-il
toujours être une société de pensée discrète ? N’est-ce
pas travailler à notre disparition ? Car les choses vont
ainsi, dans notre société, que celui qui ne se manifeste
pas est engagé sur la voie de l’oubli. Nous comprenons
les répugnances qu’il peut y avoir à diffuser, par
exemple, des « spots » publicitaires sur l’Ordre, comme
le font nos Frères des USA. Ne risquons-nous pas, dans un
bain de marchandisation et de surexposition, de perdre
notre âme ? Mais comment s’y prend l’église catholique,
et les autres ? Il n’y a plus guère de débat national
éthique2 où ne figure un abbé ou un pasteur, un imam, un
rabbin officiellement et ce dans un pays laïc ! Alors que
les Francs-maçons ne sont nullement représentés ès
qualités ; du moins à notre époque. Ils ont pourtant autant

1
A tort ou a raison ?
2
L’euthanasie par exemple.

30
de légitimité que des clercs à approfondir les questions
d’éthique et à faire des propositions. Sinon plus puisque
plus libre de toute oppression dogmatique.
Une dernière menace quand même : l’extrémisme. La
Franc-maçonnerie n’accepte pas les extrémistes religieux
et politiques car ils bafouent les droits de l’Homme, le
respect et la dignité d’autrui. Cette menace est très
relative en fait. Car ces extrémistes détestent la Franc-
maçonnerie et lui imputent le désir de plier,
sournoisement, la société à ses fins. Paranoïa, quand tu
nous tiens !

o bjectif – Les effectifs de la Franc-maçonnerie


sont maigres eu égard à la grande mission
humaniste qu’elle promeut. D’autant plus que
le cotisant n’est pas toujours, loin s’en faut, le(la)
présent(e) en tenue. Les effectifs de l’Ordre doivent
croître plus qu’actuellement. On sait que le robinet de
sortie1 est trop ouvert et met en péril le débit du robinet
d’entrée. Si nous sommes plus nombreux et de qualité
adéquate, nous propagerons plus efficacement notre
message humaniste. D’où la formulation : initier plus de
profanes qui répondent à ces critères d’âge, de variété
et de qualité définis.
Nous avons évoqué plus haut ce « profil » idéal du(de
la) cherchant(e) profane.

a ctions – Six actions sont possibles, parfois


faciles à mettre en œuvre :
• Pas d’action particulière à propos de la
mixité. Les trois voies maçonniques sont en place.

1
Ceux(celles) qui nous quittent, déçus(es).

31
Simplement, . Dans les premières, la plus grande variété
des points de vue est requise ; la mixité en est un des
facteurs. Dans les secondes, qui touchent aux
représentations inconscientes, il vaudrait mieux les Loges
sexuées.
• proposer à un profane intéressé la possibilité
qui s’offre à lui(elle) et ne pas se cantonner à faire du
chiffre pour sa « chapelle » obédientielle.
• Ne pas hésiter à affirmer publiquement sa
qualité de Franc-maçon ; en particulier, dans les
milieux où l’on possède de l’influence, où l’on bénéficie
d’estime. Le secret d’appartenance1 est désormais une
vieille lune. Nous avons à porter bien haut la bannière de
l’Ordre et la puissance de ses rites. Ne pas se cacher. Un
chrétien, un socialiste, un écrivain… se cachent-ils ? "Ce
n’est pas pareil ! objectera-t-on. Il y a le secret
d’appartenance". Oui mais si on l’enlève, il ne se passe
rien d’autre que d’être connu(e) sous un bon jour.
Aujourd’hui peu à perdre ou beaucoup à gagner ; dans la
famille, avec les amis bien sûr, mais aussi dès que
l’occasion s’en présente.
• Approcher de préférence des cherchants qui
sont au mitan de leur vie, et qui appartiennent à des
professions autres que la nôtre. Pour éviter les horizons
plats et mornes des Loges de cooptés(es). Voilà au
niveau individuel.
• Au niveau collectif, peu d’actions à mener. A
noter toutefois une obédience française qui fait sa
promotion : la radio, la télévision, les revues. Un
exemple à méditer. La moitié du raisonnement a donc
fonctionné : se faire connaître. L’autre moitié : "Auprès
de qui et avec quel message ?" n’a pas été pris en
compte. Le résultat ? Un arrosage dispendieux tous
azimuts. Avec des effets réels mais, vu l’effort, bien
insatisfaisants.

1
La sienne ! Pas question de dévoiler la qualité maçonnique d’autrui.

32
Retour à l’individu pour un point primordial : de la
qualité de la cooptation découle la qualité des travaux, de
la fraternité, bref l’existence à terme de l’Ordre. Or
personne ne se préoccupe de la qualité des entretiens
avec les profanes. Comme si, intuitivement, chacun(e)
savait se débrouiller ; certes un peu mais il reste
nécessaire de se former.
• se former, même succinctement, à quelques
techniques basiques de recrutement indispensables
même pour une cooptation. C’est quand même dommage
à l’heure où les professionnels usent de techniques
éprouvées, de constater que des Frères, des Sœurs
enquêteurs(trices) en sont encore à tenir une conversation
avec les profanes qu’ils ont pour charge de découvrir et
de prendre ce que le profane dit pour argent comptant.
Toutes les pollutions de la relation humaine ordinaire
masquent la réalité du profane. Et l’entretien se clôt in
petto par un "Je le sens bien !", "Je ne la sens pas !".
C’est quand même trop juste si l’on désire coopter nos
futurs(es) initiés(es) autrement que par les seules et
grossières émotion et intuition. Le cri du cœur sans
doute, mais la voix de la raison certainement.

33
➌ Quelles sont les demandes de cette
population ?

En nous appuyant sur les finalités et le principe : Une


spiritualité pour agir, nous avons répondu à la question :
Qui est concerné ? Il est temps maintenant de se
demander si la population de cherchants repérés a des
attentes, des demandes, des besoins1 en matière de
développement personnel ou/et d’engagement citoyen.
Alors seulement, après, nous pourrons confronter l’offre
maçonnique à ces demandes et en tirer des conclusions
sur l’adéquation des deux.

f
orces – A quelles demandes supposées, la Franc-
maçonnerie répond-elle ? Ce qu’elle est aujourd’hui
repose en effet sur une demande sociale qui a
évolué au cours du temps. Elle possède un capital de
talents impressionnant, constitué au long des siècles. On
en dénombre une bonne dizaine. Certains sont caducs
aujourd’hui : l’encyclopédisme, l’acquisition des
connaissances scientifiques ou la régulation du métier
opératif. D’autres sont bien vivants : l’usage des
symboles ou l’étude de la morale. Les derniers enfin sont
discutables ; ainsi les valeurs humanistes confondues
aujourd’hui avec celles des démocraties occidentales.
Elle a su répondre à ces besoins en s’adaptant
progressivement aux données de son époque. Il est
remarquable que dès les débuts anglais, elle juxtapose les

1
« Demandes » plutôt que « Besoins » qui évoquent un manque et que
« Attentes », qui connotent trop la passivité.
tendances les plus diverses1 : surplombant cette variété,
l’approche scientifique de la nature, dans la sérénité des
débats de la Royal Society for improving natural
knowledge ; la philosophie tolérante représentée alors par
la pensée newtonienne et, plus tard dans le siècle,
l’influence de l’alchimie et de la pensée Rose✜Croix. La
Franc-maçonnerie maintient cette double osmose
qu’aujourd’hui on pourrait caractériser par l’approche
expérimentale, le primat de la raison d’une part ; la
mystique, la théosophie, l’hermétisme d’autre part. Ou
bien encore le goût pour une méthode expérimentale
voisinant avec le frisson devant les secrets invisibles du
monde. La tradition est en fait un flux continu de
variations sociales et géographiques autour de quelques
points repères plus stables : constitution en Loge,
cérémonie de réception2, réunions régulières : les tenues,
usage de rite et symboles, degrés. Le secret n’est plus un
critère partout.
Aujourd’hui, en France, en Belgique, l’Ordre s’est
éloigné progressivement de la prégnance religieuse.
Même dans les obédiences « régulières », le théisme s’est
mué pour beaucoup de Frères qui l’avouent à titre
individuel, en déisme souple et métaphysique. Les
empreintes de l’occultisme sont plus que marginales,
essentiellement dues à la présence de Frères adonnés à
l’ésotérisme, spécialistes de la Kabbale, de l’astrologie et
autres hermétismes.

Les demandes de la société ont donc amené la Franc-


maçonnerie à faire évoluer deux types de réponses,
mutations des deux orientations primitives que nous
venons de rappeler.

1
Notamment, au plan de la politique avec une partition des Loges
entre Jacobites et Hanovriens.
2
Les formes de l’initiation sont distinctes selon les pays.

36
D’un côté, le discours sur le destin de l’Humanité, sur
la morale universelle, sur les vertus du Franc-maçon, qui
résonne dans les Loges, voisinant les exposés
scientifiques, est devenu réflexion sur la société et, plus
avant, sur l’engagement citoyen. Nos Frères du XVIIIe
siècle seraient interloqués s’ils lisaient les questions à
l’étude des Loges.
De l’autre côté, le travail sur les symboles a déserté
les rives des occultismes qui subsistent toutefois mais à
seul titre historique, au cours d’une planche. L’astrologie,
seule, a gardé une certaine vie, mais à titre individuel.
Rappelons à ce propos qu’il y a plus de Français qui
croient en l’influence des astres sur le destin humain qu’il
n’y a de croyants en Dieu. Et encore, la Maçonnerie ne
s’est intéressé à l’astrologie qu’à la mesure de l’influence
de tel ou tel, mais pas au titre de l’appareil lui-même.
Le symbolisme, jamais disparu même dans les Loges
les plus sociales du Grand Orient de France, répond ou
répondra désormais à un nouvelle demande de la société ;
celui de développement personnel par une meilleure
connaissance de soi même. Le trait n’est pas nouveau.
Le précepte delphique apparaît, mezzo voce, dès la
deuxième moitié du XVIIIe siècle. De germe il est devenu
jeune pousse aujourd’hui. Notre avis est qu’il sera, dans
les décennies prochaines, le cœur vivant de la Franc-
maçonnerie libérative parce qu’il répond à une demande
de spiritualité croissante.

Il est enfin deux autres forces actuelles de la Franc-


maçonnerie qui ont répondu et paraissent toujours
répondre à un fort besoin de la population visée par
l’Ordre. Elles sont contiguës. Voici d’abord
l’indéboulonnable fraternité, vertu première et dernière,
invariable et traversant tous les siècles. Cette fraternité,
vertu fondatrice de tout un bouquet humaniste qui lie les
valeurs de respect de l’autre, de confiance, de solidarité,
de tolérance mutuelle. Fraternité qui, par la largeur même

37
du concept, a su s’adapter à chaque époque pour coller
aux demandes. Fraternité sociale pour fonder et faire
vivre une Loge dans l’harmonie ; fraternité pour que les
hommes fort différents puissent converser, réfléchir et
s’approfondir entre eux et grâce à l’un à l’autre.
Fraternité enfin des grandes utopies sociales du XIXe
siècle qui fonde la relation du bourgeois avec l’ouvrier
dans l’amour du genre humain. Cette fraternité revêt les
habits neufs de la Franc-maçonnerie libérative. Si celle-ci
vise à développer chez ses adeptes une spiritualité pour
agir, la méthode concrète de la progression individuelle
passe inévitablement par le miroir de l’autre, lors des
travaux symboliques en tenue. Voilà sans doute un des
points forts de la Franc-maçonnerie à venir. Le couplage
de la relation fraternelle et de l’approfondissement
spirituel. Je ne peux m’approfondir, prétend cette
Maçonnerie, qui prend peu à peu conscience d’elle-
même, que dans la mesure où l’autre, mon Frère, ma
Sœur, en s’exprimant sur un symbole, me fournit une
occasion de confronter ma sensibilité ésotérique à a
sienne. Il ne s’agit nullement de « rebondir sur les idées
de l’autre » comme on le dit facilement et naïvement. Il
s’agit de mettre en regard, en miroir, dans le secret de son
cœur son vécu profond du symbole et l’expérience de
l’autre, en parallèle. Les différences de perception
signent l’approfondissement spirituel. Parée d’un
costume nouveau et brillant, la fraternité, entendue en ce
sens, est une force essentielle de la Franc-maçonnerie de
demain, car elle rencontre la demande de reliance des
profanes.
Reliance1, oui, car la Franc-maçonnerie est ce système
social qui ne cesse de réunir ce qui est épars ; l’ancienne
formule est plus que jamais renouvelée et vivante.

1
Le concept de « reliance » a été porté et développé par Marcel Bolle
de Bal.

38
Reliance psychologique à soi-même, reliance aux autres
et reliance à l’Humanité, voire au cosmos.

Voilà la grande force de l’Ordre : s’être toujours


adapté à la sinuosité des demandes du siècle. Il est tout
prêt aujourd’hui à répondre à la nouvelle demande de
développement spirituel couplé à l’action.

f
aiblesses – Il n’est pas dit, pourtant, que l’Ordre,
aujourd’hui, tel qu’il est, soit prêt à répondre aux
demandes de la population, même celle des
cherchants. Ce qu’il est encore, aujourd’hui, rencontre de
moins en moins les demandes des profanes. Distinguons
trois volets.
D’abord la croyance au progrès, puisqu’il s’agit bien
de croyance. Il n’est plus sûr du tout que cette conviction,
datée sans doute, que l’Homme actuel est moins heureux
que l’Homme futur soit désormais dans toutes les têtes ;
comme elle le fut jusqu’à la première guerre mondiale.
L’idée que l’humanité allait vers, sinon son âge d’or, du
moins vers des âges meilleurs, a fait désormais long feu.
Les conflits meurtriers du début du XXe siècle, les
génocides, le surarmement, les excès d’un capitalisme
devenu fou ne compensent pas très bien les avancées,
pourtant incontestables : droits de l’Homme, recul de la
pauvreté. Traumatismes d’hier, Auschwitz, ou
désespérance d’aujourd’hui, la misère africaine, lestent
trop lourdement la quille de l’espoir et du progrès.
Face à ce doute profond, cette aporie métaphysique
touchant la nature même, désespérante peut-être de la
condition humaine, la Maçonnerie paraît bien tendre et
peu réaliste avec sa panoplie de belles valeurs
humanistes. Le discours, qui verse parfois dans le « tout
amour », peut paraître décalé, voire ringard face aux
robustes réalités planétaires qui aujourd’hui, à la

39
différence d’hier, bouscule l’optimisme occidental sinon
béat1, du moins tranquille.
Puis, second volet, l’intérêt et la qualité des planches.
N’est-ce pas un jeu puéril, un bavardage léger que de se
consacrer à la dissertation érudite sur le delta ou/et à
l’explication du fonctionnement du Dow Jones ? Sachant
que la performance des Sœurs, des Frères, amateurs, est
souvent médiocre, au mieux chaleureuse et vaine. Les
initiés(es) ne sont pas nécessairement des orateurs, des
conférenciers de bon niveau ; ce n’est pas leur métier.
Alors que le profane attend plus de professionnalisme,
d’enthousiasme et d’engagement, épris qu’il est de
sport/spectacle, de faits divers ; quand il réduit ou lui fait
réduire la politique à la vie personnelle et aux petites
phrases des gouvernants. Des jeux et du cirque2
réclamaient les Romains de l’Empire. Pas de changement
en fait. La Maçonnerie est désarmée. Fait-elle le poids
face à une excellente manifestation profane, à une
émission de télévision de grand niveau ? Pas sûr ! Notons
bien que cette faiblesse n’induit pas nécessairement qu’il
faille que nous nous transformions en histrions et que les
tenues deviennent des raouts publicitaires. Voyons cela
dans un instant. Ce n’est pas parce que les profanes ont
telle ou telle demande que l’Ordre doit nécessairement y
souscrire. Seulement avoir conscience de ces demandes,
de leur gamme et décider ; répondre en se modifiant,
ignorer, compenser par une autre réponse…
Troisième volet : les profanes progressistes attendent
de la Franc-maçonnerie des positions claires et
courageuses sur les sujets de société actuels. La
réputation, à défaut de la réalité, joue encore. Quelle
surprise quand on constate le très faible rayonnement de
ses travaux et de ses idées. Il y a belle lurette que les
grandes conquêtes sociales auxquelles les Maçons ont

1
Nous ne sommes pas de sots esprits…
2
Panem et circenses.

40
participé, n’animent plus leur esprit de pionnier, les
Convents et les réponses aux questions à l’étude des
Loges. Laboratoire d’idées, prétend-on mais qui cela
intéresse-t-il, hormis les initiés eux-mêmes ? Les temps
glorieux de la IIIe République sont bien dépassés. Que tel
Frère très connu et actif promeuve des positions
courageuses sur l’euthanasie, le prélèvement d’organes,
l’homosexualité… n’est plus un symbole de
l’engagement de l’Ordre. Sait-on, par exemple, à propos
de l’homosexualité, qu’en 1978, c’est-à-dire trois avant la
déclaration de F Mitterrand sur ce sujet, le Convent du
Grand Orient de France estimait, pour moitié, que les
homosexuels étaient des déviants, voire des malades ?
Stupéfiant pour une société de progrès et une obédience
réputés avant-gardiste ! Les Français, les Belges, les
Italiens n’ont rien à faire de ce que pense la Franc-
maçonnerie des grands problèmes qui les assiègent :
emploi, protection sociale, capitalisme financier,
retraites, service public, environnement… Et les
questions sociales à l’étude des Loges tournent en rond
dans la synthèse molle sans positions plus affirmées et
dans l’indifférence complète de la société.

Trois faiblesses donc au passif. Qui ne signifient pas


que nous devons renoncer à les pallier. Loin s’en faut.
D’ailleurs des opportunités nous laisse entrevoir des
champs d’action à notre portée.

o pportunités – Quelles demande émergent-elles


actuellement de la population des profanes qui
sont en recherche de sens ? Trois opportunités
qu’elle peut saisir : le besoin d’être utile à l’autre, et plus
loin la cause humanitaire ; le développement des réseaux
si aptes à diffuser le feu de la fraternité ; le rejet des

41
conditionnements sociaux et la quête de la liberté
intérieure.
Voyons cela. D’abord un regard rapide sur l’état des
lieux. L’entraide, la solidarité ne se joue pas au
pourcentage du PIB que la France accorde aux pays
émergents. D’ailleurs elle est lanterne rouge puisqu’elle
est loin d’atteindre les 0,7% prévus dans les accords
internationaux. Non cette solidarité joue dans
l’engagement individuel. C’est par dizaine de milliers
que l’on compte les adhérents d’Amnesty International
Section française, d’Aides 1, de l’Association pour le droit
de mourir dans la dignité2, d’Aide et action 3, d’Action
contre la faim… pour en citer cinq d’essence différente
sur les milliers qui existent. C’est au total des centaines
de milliers de bénévoles en France, en Belgique qui se
dévouent pour autrui. Phénomène impressionnant ! Tout
comme le développement des réseaux, grâce au support
informatique, qui permet de relier, par delà les frontières,
des personnes de bonne volonté. Nous gageons d’ailleurs
que les Francs-maçons y sont statistiquement
surreprésentés… Jamais les associations à but
humanitaire, d’entraide locale, professionnelle n’ont
recruté autant de bénévoles. Jamais les réseaux qui, en
leur essence, sont des outils de vraie reliance, n’ont aussi
bien fonctionné ; réseau Internet, cela va de soi qui
charrie le pire et draine le meilleur mais aussi réseaux de
proximité ou de large couverture, dédiés aux échanges
sociaux, de loisir, pour des consommateurs, des citoyens,
des passionnés, politiques… des usagers ; réseaux de
défense, d’entraide, d’information ; concrets, immédiats
ou réflexifs, érudits.
La Franc-maçonnerie trouve là un terrain propice à
son rayonnement et à son expansion. Elle a toujours

1
Lutte contre le Sida.
2
ADMD.
3
Education des enfants des pays pauvres.

42
promu la fraternité et encore aujourd’hui, sous toutes les
latitudes, n’en démord pas. La Franc-maçonnerie trouve
dans le réseau une occasion inespérée et on voit déjà les
Frères, les Sœurs se mettre en relations, échanger ; sans
compter les multiples sites maçonniques
jusqu’aux… Loges virtuelles ! En ce sens les
fraternelles, parfois décriées, devraient trouver un fort
regain de jeunesse et d’élan. Les Loges, de plus en plus,
s’organisent ensemble sur une aire géographique,
nonobstant les obédiences et c’est une bonne chose. Il
existe, à notre connaissance, déjà quatre ou cinq réseaux
de Loges.
Bénévolat d’entraide, réseau à vocation de maillage
social, voilà deux opportunités qui répondent à la menace
de l’enfermement social dans des rôles, dans le maquis
des droits, des devoirs et des procédures qui ne cessent de
s’entasser. Libération par rapport au contexte social qui a
perdu ses valeurs les plus solides. Libération de l’être
ligoté par les liens de contrôle social, de sa vie collective
et de sa vie privée. La Franc-maçonnerie y trouve là une
troisième opportunité : rendre aux individus enchaînés à
leur insu, la conscience de leur liberté intérieure.
Liberté qui n’a jamais cessé d’être un appel parfois
sourd, parfois tonitruant de l’être humain. Un animal
métaphysique, voici l’Homme dit le philosophe. Nous
tendrions tous à une réalisation la plus complète de nous
même au cours d’une vie orientée vers un sens. Nous
sommes tous appelés à gagner ce point infini et
délectable de la toute sagesse, de la parfaite harmonie.
Qu’on le nomme Absolu, l’Un, le Tout, Dieu ou la
Nature. Cet endroit où les tension s’apaiseraient, où les
lions lèchent les agneaux et où nous flotterions dans
l’éther soyeux et tout enveloppant de l’accomplissement
inénarrable. Voilà ! chaque être vibre, au plus profond de
lui, et quelle que soit sa bonté ou sa perversité, dans cet

43
appel pansophique1, fruit des amours du roi et de la reine,
comme le chantent les alchimistes. La Franc-maçonnerie
est, certes, une de ces voies, pour aider à vivifier cet
appel pansophique et à l’habiller de titres transitoires qui
s’appellent sens de la vie, liberté, amour et don, par le
pardon et l’abandon. Elle n’est pas la seule. Nous verrons
dans l’offre, qu’aujourd’hui, répondent à ces demandent
qui se font de plus en plus pressantes, un nombre
croissant de démarches de développement personnel,
supportées par les découvertes des sciences humaines. En
bref, la Franc-maçonnerie actuelle recèle de solides
réponses aux demandes des profanes, en plusieurs points.
Mais elle ne le fait pas encore bien savoir.

m enaces – La surconsommation nous


scotche à une frénésie d’avoir ; toujours
plus nouveau, toujours plus « excitant ».
La surinformation, via la publicité et le réseau numérique
nous laisse entendre qu’une vaste bande d’amis(es) et
d’entreprise attentionnées veulent, avec énergie, notre
bien. L’individualisme : "Tout pour moi, tout de suite,
sans effort" est en passe de devenir le maître mot
décomplexé et arrogant des nantis ; mais non sans effet
d’attirance sur le « menu peuple ». Or si la résistance
s’organise, l’évolution de nos sociétés rend la condition
humaine décervelée et emmurée dans cet individualisme,
sans conscience. Elle fabrique dans ses usines de la
production de masse, les citoyens asservis à leurs besoins
les plus centrés sur la jouissance de l’instant, le paraître
et l’avoir. Il n’est que de regarder, avec un œil critique et
distancié, la pression constante et perversement
alléchante qui pèse sur les consommateurs. Mai 68 l’avait

1
« Appel pansophique » - De la pansophie, notion de toute sagesse ou
sagesse du tout, formulée par H Kunrath (≈ 1560-1605).

44
annoncé. C’est arrivé. Un exemple ! Aujourd’hui, le bon
consommateur, celui qui veut se sentir une identité
sociale1 et la faire paraître se doit de s’habiller avec des
vêtements de marque et se payer les objets dits d’un
« luxe abordable ». La course est épuisante. Elle crée au
mieux des gogos pour les riches de plus en plus riches et
des révoltés pour les pauvres de plus en plus pauvres. Les
six mètres de linéaires de yaourts égarent la tête dans des
choix inutiles et dégradent la personne en un individu
obsédé par le meilleur prix du petit pot.

Mais au delà cette représentation de l’Homme asservi


et écervelé du siècle peut-elle nuire à la Franc-
maçonnerie et à ses propositions actuelles ? Reprenons.
« Avoir toujours plus » rime mal avec le dépouillement
des métaux 2 préconisé dans l’Ordre. L’argent et ce qu’il
procure n’a pas l’heur de convenir aux Maçons. Avoir de
quoi vivre décemment, la juste mesure, voilà qui est
sensé. « Se gaver d’informations, communiquer » est un
antidote à la solitude de l’être. De cette boulimie, l’Ordre
n’en a cure. Ce n’est pas une ligne de combat. « Paraître
pour être dans le coup ? ». Là, la Franc-maçonnerie est
révulsée. Tout Frère, toute Sœur doit renoncer
progressivement à toutes les apparences qui lui servent
de béquilles. On attend qu’il soit loyal, claire, honnête.
Reste l’individuation. Insupportable pour les Maçons. Ne
sont-ils pas là pour améliorer la société, tant sur le plan
moral que sur le plan matériel ? La fraternité est, pour
eux, un commandement, quasiment un postulat.
Ainsi, la Franc-maçonnerie refuse plusieurs
évolutions de l’Homme contemporaines. Elle risque en
proposant de renoncer à l’Homme robotisé et en
promouvant l’unicité et la profondeur de chacun(e) de ne
pas répondre à ce genre de demandes profanes.

1
De carton…
2
Les possessions.

45
Entre les opportunités réelles et les menaces vraiment
terribles, quels choix peut faire une Franc-maçonnerie
libérative ?

o bjectifs – Les demandes de la population visée


prioritairement, les personnes autour de 45 ans,
rencontrent parfois ce qu’offre la Franc-
maçonnerie, en particulier la fraternité affichée et vécue
et les demandes de ce que Marcel Bolle De Bal appelle
les reliances. D’autres besoins, tous ceux liés à la
surconsommation, en particulier l’immédiateté de la
jouissance, l’ivresse du libre choix sans contre partie
d’engagement, le désir de briller, n’ont guère d’écho chez
nous, dans la Franc-maçonnerie libérale. Chez les
Maçons anglo-saxons la réponse est plus « convenable » :
peu de tenues, passage très rapide des degrés, rôle de
l’apparat… Pas question, à notre avis, qu’en France, en
Belgique, nous devenions ainsi ; sous peine de déclin
rapide puis de disparition, comme on le constate outre
Atlantique. Les objectifs seront donc volontaristes :
• Formuler des réponses spécifiques à la Franc-
maçonnerie en fonction des nécessités de l’appel
pansophique et de différentes acceptions 1.
• Développer le goût de l’effort, la patience et
l’engagement indispensables dans le parcours
initiatique.

1
Psychologues, psychanalystes et philosophes ont identifié les formes
que peur revêtir l’appel pansophique, au niveau du substrat
inconscient, donc sous les croyances. Ce sont l’idéal du moi, le repos
absolu des tensions, la conjonction des opposés, la sécurité totale, a
régression utérine, le paradis perdu, l’univers ordonné… Une forme
n’est pas exclusive de l’autre>.

46
a ctions – Elles découlent des objectifs ci-dessus,
ceux de la Franc-maçonnerie libérative.
• Choisir des thèmes de travail en
fonction, non point des sujets sociétaux à la mode, mais
en fonction de leur capacité symbolique et philosophique
à s’inscrire dans l’appel pansophique. Ce qui donne sens
à la vie, ce qui tend à formuler et à faire vivre un idéal, ce
qui amène à une plus grande fraternité, ce qui pousse à
l’introspection.

Bref, comme nous l’avons démontré plus haut, les


sujets sociaux n’ont pas leur place en tenue, réservée au
"Connais toi toi-même" mais sont à l’honneur dans
l’atelier. L’atelier est une réunion de la Loge qui se tient
tous les deux mois environ. Ce n’est pas une tenue. Il n’y
a pas de rituel ni de préséances. Mais la structure de
communication peut rester la même ; exposé bien
documenté1 suivi d’échanges : questions d’élucidation,
commentaires. Le fil rouge, rappelé par le Vénérable est
le suivant : "En quoi ce que nous venons d’entendre
pourrait modifier nos opinions, nos comportements, nos
engagements profanes ? Sommes-nous prêts à
changer ?". En application du précepte, fondement de
notre modèle : une spiritualité pour agir. A chaque lieu sa
vocation.
• Définir très clairement la structure des trois
degrés, au delà de leurs différences symboliques : bien
mettre en évidence l’intérêt que l’initié(e) tire de chaque
degré ; dégager ses principes, concepts forts qui, sous les
symboles, caractérisent le degré. Par exemple, pour le
Compagnon : le voyage, le partage avec, en ligne de
mire, la réalisation du « Moi », deuxième étape de la
libération intérieure. Ce qui entraîne, par voie de
conséquence, de prévoir 3-4 tenues annuelles au second

1
Le Darfour, les traders, la retraite…

47
degré et autant en Chambre du Milieu 1. Et ce qui
implique surtout de mettre au point des méthodes de
travail différentes à chaque degré.
Cette action ouvrira, pour la Sœur, le Frère, la
compréhension du degré. Rien n’est donné, tout de suite,
sans effort. Tout est question de temps, de travail donc de
patience et d’humilité. Avec de surcroît l’apprentissage
de la responsabilité de ses actes. En tenue, les adeptes ne
jugent pas la planche d’un autre, serait-ce pour le
remercier, le gratifier ou l’encourager. Car le bon La
Fontaine l’a prestement prouvé dans la fable du renard et
du corbeau, la flatterie asservit. Quand bien même le
compliment est sincère2, il ligote le destinataire dans les
liens de la dépendance. D’ailleurs n’est-il pas dit
couramment qu’on ne se félicite pas entre Frères, Sœurs ?

1
Hors celles ouvertes au coup de maillet.
2
a fortiori si c’est une critique.

48
➍ L’offre actuelle de la Franc-maçonnerie
répond-elle à ces besoins ?

les finalités s’adressent à une population précise


souhaitable. Celle-ci émet des demandes
d’approfondissement intérieur, de compréhension du
monde, de recherche de sens. Croisons maintenant ces
demandes avec ce que la Franc-maçonnerie propose
comme contenu, derrière son appareil d’obédiences, de
Loges, de tenues et de degrés.

f
orces – L’Ordre, du moins en Europe continentale,
a de grandes forces. La majorité de son histoire,
celle d’une organisation qui n’a jamais failli, des
Frères qui se sont illustrés dans les meilleurs combats
menés pour la dignité de l’Homme… tout cela rend fier
de leur appartenance, les Frères, les Sœurs.
Aujourd’hui, nous parlons de la Maçonnerie avec des
propos qui frisent l’hyperbole : art de vivre, science du
bonheur… C’est peut-être beaucoup demander pour deux
réunions mensuelles ; mais c’est bien la conviction de
plusieurs d’entre nous et cela seul compte. Ce qui paraît
beaucoup plus fondé est le lieu de fraternité, de
convivialité et de gentillesse qu’est une Loge. Même si
celle-ci n’échappe pas aux règles des groupes humains,
aux phénomènes des bandes et des conflits, nous
gageons, qu’à l’intérieur même de la Loge, ils sont moins
fréquents, moins vindicatifs, plus facilement réglables
que dans maintes autres organisations.
En outre, le climat de liberté de conscience qui est une
des figures de proue de la nef des valeurs, éloigne du
dogmatisme. Si chez les Frères « réguliers », en majorité
des conservateurs, l’obligation de croire en un Dieu
révélé est exigible suite à l’Acte d’union de 1813, les dits
Frères, dans le secret de leur cœur, ont souvent tendance
à prendre de la distance avec le dogme. A fortiori dans la
Maçonnerie libérale pour laquelle le Grand architecte de
l’univers, quand il est encore mentionné, est devenu un
ectoplasme métaphysique après avoir clairement désigné
Dieu dans les temps anciens 1. Or si nous suivons notre
critère, celui de la spiritualité libérative, la transcendance
de type religieux n’est nullement requise. L’on peut être,
au regard de notre définition, sur le chemin de la
spiritualité sans être embarrassé par une croyance quelle
qu’elle soit. Nous dirions même à fortiori, un dogme, par
nature, « mange » la liberté de conscience.
L’Ordre a progressivement transformé la cérémonie
de réception en cérémonie d’initiation avec l’abondance
des épreuves, des exhortations, des symboles et des
surprises que l’on connaît bien, directement ou pas
notamment. En se rappelant d’ailleurs que le style
français a enrichi le nombre de séquences de la
cérémonie, en particulier avec le passage, si essentiel,
dans le cabinet de réflexion. Pour les ethnologues
l’initiation maçonnique est un avatar des rites de passage
que l’on trouve dans le monde entier, encore un peu dans
les religions, dans les sectes, dans l’animisme tribal. Ces
rites de passage eux-mêmes sont l’expression sociétale
d’un mythe de l’inconscient collectif, le mythe du héros,
qui structure le mouvement même de la vie avec sa
succession d’épreuves, de réussites et sa visée de l’idéal.
la vie de Bouddha, de Jésus sont redevables de cette
matrice universelle comme les aventures de Tintin ou le
scénario d’un western quelconque.
La Franc-maçonnerie possède donc cette force
considérable qui emprunte au langage de l’Humanité, par
delà les lieux ou les âges. L’initiation est, au sens propre,

1
Constitution de 1849 en France.

50
fabuleuse et mythique. La partager c’est se sentir partie
prenante de l’Humanité.
Pour transmettre ce message sans âge, donc sans
rides, la Franc-maçonnerie a forgé en quelques trois
siècles1 une méthode en trois points, que nous appelons
le palladium : les mythes + le rite + les symboles. Cette
offre, dégagée de toute pesanteur dogmatique, est une
superbe promesse de communion fraternelle et de
libération.
Les éléments du palladium se croisent avec les degrés
du parcours. Eux aussi structurent toutes les traditions
initiatiques et ésotériques. On ne naît pas sage en une
soirée, un jour, voire dix ans. Il y faut du temps et ce
temps est rythmé par des paliers. Très usuellement, les
traditions spirituelles considèrent deux étapes
d’accomplissement, toujours précédées d’une étape
préalable de nettoyage, de prise de conscience des
insatisfactions de l’état actuel de l’être. La Franc-
maçonnerie, avec les trois degrés, loin d’y déroger, exalte
ce dispositif de manière superbe pour qui regarde au delà
de l’apparence rituelle et administrative et cherche à
pénétrer le sens du message insu sous le glacis de la
conscience.
La première étape, celle de l’Apprenti, vise à nettoyer
le profane de ses déterminismes sociaux, ses
conditionnements : c’est la catharsis du « Je », la
personne visible à ses yeux et aux yeux des autres. Le
deuxième degré, celui de Compagnon, ouvre la voie à
l’autre. Le « Moi » dans sa partie consciente se relie en
paix et en fraternité avec ses semblables. Le « Moi » se
réalise. Au degré de Maître, une vision plus large intègre
le « Soi », zones accessibles les plus sombres ; vivre
l’expérience de se sentir partie prenante de la nature,
élément de l’univers. Et tout ce chemin, théorique et

1
Mais avec une assise religieuse, par où est passé le sacré, beaucoup
plus ancienne.

51
idéal, est parcouru plus ou moins loin, plus ou moins
superficiellement selon les individus et leur capacité
d’introspection. Ce schéma psychagogique1 est simplifié
renaissance

7 ans Catharsis
du « JE »

Réalisation
du « MOI »

Intégration
du « SOI »

naissance
Apprenti Compagnon Maître

Conscience Conscience Conscience


éveillée illuminée rayonnante

Niveau Etoile à 5 Acacia


perpendiculaire branches

Delta lumineux Etoile Dehbir illuminé


illuminée

2e naissance vie Mort/renaissance

de beaucoup, cela s’entend. Mais il constitue peut être


une trame universelle2 où s’inscrit le parcours
maçonnique.

1
Terme ancien qui remonte sans doute à la Renaissance : "Qui
conduit l’esprit".
2
L’Énigme, la Franc-maçonnerie, une spiritualité pour agir – Detrad
2007.

52
f
aiblesses – Il faut bien l’avouer, les forces de
l’offre maçonnique sont formidablement puissantes
puisqu’elles paraissent puisées dans l’âme
universelle. Ce serait bien dommage qu’elles fussent
dégradées par une adaptation aux mœurs de l’époque qui
fût maladroite. Non qu’il n’y ait nécessairement, pour des
motifs de bonne communication, une adaptation. Encore
faut-il qu’elle ne fasse pas prendre des vessies pour des
lanternes ; les enveloppes sociales et passagères du
message au détriment du contenu profond et humain de
ce message1.
L’histoire de l’Ordre n’a pas toujours été propice à la
bonne mesure ; entre l’adaptation à tout prix qui sent trop
fort son époque et le refus de faire l’impasse sur les
éléments du palladium superflus. Par exemple, fallait-il
garder la ruche, symbole napoléonien ; facilité concédée
à l’air du temps ou innovation porteuse de sens
initiatique ?
Or, l’offre maçonnique actuelle, dans le secret des
cœurs et du langage, pour magnifique qu’elle soit, est
assez souvent dans sa présentation en décalage avec les
avancées de notre siècle, scientifiques et sociales.
L’aile spiritualiste de la Maçonnerie, à savoir celle qui
prétend que le rite, les mythes et les symboles ont le
pouvoir d’aider les initiés à descendre en eux-mêmes,
n’affirme pas toujours pas clairement sa doctrine et, par
conséquent, emploie, avec une manière de consensus
suspect, les termes de liberté, de sacré et de spiritualité.
A chaque Loge, chaque obédience d’y aller de ses essais
sans qu’ils ne soient convaincants. La preuve : les Frères,
les Sœurs ne les reprennent pas dans leur pratique
initiatique. Une Franc-maçonnerie libérative devra
1
On a un bon exemple de cette soumission aux goûts de l’époque, au
détriment du message symbolique, avec les cartouches du passage au
degré de Compagnon, inventées en 1884. Ils se plient au scientisme
d’alors, sans plus value introspective.

53
donner du contenu à ces notions qui s’étirent et
floconnent comme les nuages dans le ciel. Nous ne
manquons pas de Sœurs, de Frères talentueux pour,
d’abord, considérer que c’est une question majeure ; et
pour ensuite y répondre. Le profane doit pouvoir
comprendre quelque chose à la profondeur de notre offre
qui ne se résume pas à la pelure du fruit.
L’autre faiblesse tient au confort chaud de la Loge où
on se sent si bien, si protégé par la fraternité, une histoire
séculaire, de beaux tabliers clinquants et des cérémonies
bien faites que plus aucune envie de réflexion sur l’état
des lieux et des pratiques ne peut plus émerger.
La paresse intellectuelle étayant le confort de bon aloi,
on en arrive à ne plus suivre l’évolution de la société. Le
rituel est appliqué avec moins de rigueur, les planches
baissent en qualité1 et on risque, ce faisant, d’en arriver
au « clubisme » américain où surnagent, derniers témoins
de la clef sacrée des symboles, les cérémonies de
réception, de passage…, vite suivies de l’impression de
cartes de visites mentionnant les distinctions
maçonniques ; tout cela dans la vanité des décors,
tabliers, cordons, manchettes, chamarrés et tape-à-l’œil.
Ah ! certainement, dans ces conditions, les Frères ne sont
plus les portefaix des symboles. Ils en sont réduits, ils se
réduisent eux-mêmes, à la décoration mentale de
l’allégorie. C’est vrai, la majorité de la Maçonnerie
belge, italienne et française n’en est pas là mais, à
fréquenter les Loges, des lignes de faiblesse depuis
quelques décennies, fissurent légèrement çà et là
l’édifice. Libre aux Frères qui ne souhaitent pas de rituel
et symboles de les enlever. Mais ils sortent, de ce fait, de
la Franc-maçonnerie et de son offre actuelle et, après
renouvellement, future.
Nous évoquions tout à l’heure la pauvreté croissante
des planches, qui souvent se contentent de répéter de

1
Reprise de vieilles planches, copié/collé d’Internet…

54
« l’appris ailleurs », enrobé des valeurs maçonniques
inamovibles et répétitives. Il en est de même aux
échelons administratifs au-dessus de la Loge : Région 1 et
obédiences. Les conclusions synthétiques tirées des
questions à l’étude des Loges sont souvent d’une grande
pauvreté. Non pas que les questions elles-mêmes soient
inintéressantes2 mais le jeu des synthèses, des moyennes
successives joint aux manques d’engagement de la
majorité aboutit à un ventre mou, une soupe tiède qui est,
trop souvent, un compromis de bon aloi ; celui qui
ménage la chèvre et le chou, sans originalité par rapport à
l’opinion populaire. Comment, dans ces conditions, faire
part à un profane intéressé, de nos positions sociales
affirmées et de notre doctrine initiatique avérée ?
L’Ordre, en France, n’a plus de combat à mener, sauf
pour la laïcité3, car il ne s’engage plus. Vous-même,
lecteur, lectrice, estimez-vous peut-être que la Franc-
maçonnerie ne doit surtout pas s’engager, qu’elle y
perdrait son âme. Ce n’était pas l’avis de nos Frères, de
nos Sœurs qui nous ont précédé dans la chaîne d’union.
Mais expliquons nous bien. Il ne s’agit nullement de faire
passer des mots d’ordre politique dans les Loges. Les
obédiences doivent se cantonner dans un exécutif réduit
au minimum. Elles n’ont pas à penser. La Loge, pas plus.
C’est au Frère, à la Sœur d’oser avoir, grâce au travail
dans sa Loge et dans l’atelier, des opinions plus
enthousiastes, généreuses et décidées que le ballottement
moyen d’une opinion fade, issue d’un troisième point de
synthèse malencontreusement entendu comme un
compromis.

La dernière faiblesse, et non des moindres, touche à la


quasi ignorance des sciences humaines : ethnologie,
1
Territoire ou Province.
2
C’est même le contraire la plupart du temps…
3
Et là, c’est un vrai combat utile socialement et qui soutient une
spiritualité libre

55
sociologie, psychologie pour brosser le tableau à grandes
touches. Or la Franc-maçonnerie, par nature, est une
école de l’épanouissement humain individuel et collectif.
Rien de ce qui est humain ne peut donc lui rester
étranger ; a fortiori les nouvelles sciences, que ne
connaissaient pas nos ancêtres initiés, qui éclairent
l’Homme sur son propre fonctionnement, sa nature
même. C’est indispensable. Songeons que nous en
sommes toujours à la lecture d’exposés quand on a
démontré depuis 60 ans que cette méthode est bassement
efficace. Songeons que la transmission, à laquelle nous
tenons tant…, des anciens vers les jeunes, est figée dans
le modèle de l’imitation, au mieux de l’instruction
catéchétique par un Surveillant. Songeons enfin que la
trame de circulation de la parole rituelle ne convient pas
du tout à un échange et que notre tradition devient, en ces
cas, une gêne. Nous verrons, dans les actions, qu’il ne
s’agit pas de toucher à la tradition, par exemple la prise
de parole, mais de modifier les lieux et les règles du jeu.

o pportunités – Des forces puissantes, des


faiblesses sans doute inévitables au prix d’un
gros effort. Des opportunités, il n’en manque
pas non plus. La population visée, ses demandes, notre
offre pourraient rencontrer un écho beaucoup plus vif.
L’intérêt pour la spiritualité libre, éloignée de tout
dogmatisme religieux ou pas, fait des émules dans toutes
les couches de la population et surtout chez ces jeunes
qui sont nos Sœurs, nos Frères de demain. Regardons
seulement le nombre de sympathisants du bouddhisme,
évalués à presque cinq millions, qui se déclarent attirés
par cette spiritualité athée qui n’est pas du tout, pour les
pratiquants, sans demander de réels efforts de discipline
sur soi-même. Preuve s’il en est que le sens du travail, la
patience poussent encore bien sur les terreaux favorables.

56
Or que se passe-t-il à propos de cette demande ? Trouver
un sens à sa vie, développer ses facultés, devenir
meilleur, s’approfondir et tout cela pour suppléer aux
galimatias bruyants, aux séductions obscènes de notre
société de surinformation, de surconsommation. De plus
en plus nombreux sont ceux(celles) qui, en quête
authentique, rejoignent les berges plus prometteuses des
spiritualités et autres lieux mentaux de recueillement. Au
risque de s’égarer, c’est vrai et de se perdre dans de
douteux charlatanismes. Et pendant ce temps, la Franc-
maçonnerie ne paraît pas être assise au banquet des
cherchants. Qui sait d’ailleurs que, sous une forme
traditionnelle et renouvelée, elle frappe aussi à la porte de
la salle ?
Opportunité également dans l’habituation aux
sciences humaines. Les applications à la fois talentueuses
et perverses de la publicité, du marketing politique
rendent leur application visible. Les termes de la
psychanalyse font partie du vocabulaire courant :
fantasme, projection, inconscient, complexe… Alors que
dans le même temps, maints Frères et Sœurs
s’effarouchent dès que l’on commence à évoquer cette
démarche arguant que "la psychologie n’a strictement
rien à voir avec la Franc-maçonnerie". Bel aveu pour
dire que la comparaison est bien là et fructueuse de
surcroît comme nous l’expliquons ailleurs1. Comment le
processus initiatique qui vise à modifier le psychisme,
pourrait-il n’avoir rien à gagner en s’aidant de la science
qui l’explique : la psychologie ? Sait on qu’aujourd’hui,
un magazine a priori peu populaire, Psychologie
magazine, fondé par Jean-Louis Servan Schreiber en
1970 diffuse en 370000 exemplaires pour une couverture
de 2,8 millions de lecteurs2. Ce n’est pas le tirage
d’Humanisme !

1
L’Espoir – Vers une réforme de la Franc-maçonnerie – Detrad 2007.
2
Chiffres 2007.

57
Beaucoup de profanes s’associent en rêve à cette belle
phrase de Marguerite Yourcenar : "Le véritable lieu de
naissance est celui où l’on a porté un regard sur nous
même". La Franc-maçonnerie ne peut-elle saisir cette
occasion pour que cela soit une réalité ?

m enaces – Toutes les démarches de


développement personnel qui, dans le
sillage de la formation des adultes, des
thérapies et du New Age, visent des buts distincts et
convergents à la fois : estime de soi, libération,
spiritualité, confiance en soi, assertivité, épanouissement
intérieur. Ce sont des menaces. Ces démarches
amalgament les apports des différentes branches de la
psychologie, de la vie des groupes et pour certaines de
l’occultisme. On peut brocarder les mouvements de
retour à la nature ; ceux qui provoquent les états hors
conscience… Il n’empêche que, même s’ils sont parfois
dangereux, ils peuvent tailler des croupières à la Franc-
maçonnerie ! Les techniques corporelles peuvent être
convoquées ; les médecines douces en sont le produit ; la
naturo-thérapie peut y voisiner avec la récitation de
mantras et pourquoi pas la magie, la prière ; toutes
formes propices à impressionner l’inconscient et parfois à
parvenir à des changements effectifs de l’être. Toutes ces
démarches côtoient, dans leur attrait et leurs promesses
de mieux être, la Franc-maçonnerie symbolique qui peut
se sentir, à juste titre, menacée.
Quant à la branche sociale de l’Ordre, elle est
menacée tout autant ; nous l’avons remarqué plus haut.
Les médias, journaux, télévision, et leur impressionnante
qualité de forme, dépassent de fort loin ce que peut
produire comme réflexions sur la société une Loge et une
obédience qui ne fait bien souvent aujourd’hui,
qu’ânonner ce qui a été pensé et diffusé par lesdits

58
médias. Tout le monde en Occident, peut être informé et
bien informé, éduqué et bien éduqué.
Les réseaux, avons-nous dit tout à l’heure, peuvent
être une opportunité pour la Franc-maçonnerie… ou une
menace. Que penser des dizaines de millions
d’internautes qui échangent, sans qu’il y ait crépuscule ni
aube, sur « skyblog », « face book », « daily motion »…
Moyens pour rendre une information, une rumeur ou une
pétition, assourdissante. Moyens pour créer l’événement.
Enfin la Franc-maçonnerie sociale, dans sa volonté de
bienfaisance doit affronter les multiples associations
humanitaires, caritatives, d’entraide sociale, de taille
modeste ou planétaire. Elles sont nombreuses, utiles,
respectables et respectées.
On sait que la Franc-maçonnerie anglo-saxonne,
harcelée par cette concurrence, figée dans l’apparat
cérémoniel, oublieuse de la rigueur initiatique et
transformée en club service profane est en train de
s’effondrer. Une mort annoncée ? Sans doute. Mais on ne
saurait la confondre avec la Maçonnerie européenne
continentale, en France en particulier, bien différente et,
nous le verrons, capable de faire pièce à la concurrence.

o bjectifs – il s’agit de s’appuyer sur la force


considérable de la Franc-maçonnerie. Elle
présente une offre tout à fait différenciée1 que
l’on pourrait résumer ainsi, lapidairement :

introspection x rite x symboles

Chacun de ces termes peut être pris séparément. Il


n’entraîne pas les deux autres. Pendant des siècles, les
théologiens ont pratiqué le symbolisme allégorique des

1
Et c’est un point essentiel dans une stratégie.

59
vices, des vertus, des attributs de Dieu, des qualités du
Christ, de Marie… sans que ceci infiltrât le rite de la
messe. Ce dernier ne pousse pas du tout à
l’introspection ; il va même dans le sens contraire :
l’obéissance au dogme. Quant à l’introspection, elle se
pratique sur un divan, sans recours aux symboles 1.
L’offre maçonnique est donc une multiplication de
trois facteurs, qui sans elle, seraient restés distincts.
Les faiblesses 2 demandent à être compensées d’autant
plus qu’il y aurait une demande réelle de spiritualité à
capter au profit de l’Ordre. Les menaces sont visibles,
tangibles ; des actions fortes pourront les contrer.

Voici les objectifs : • définir l’offre maçonnique


contemporaine,
• décrire les actions qui
découlent de cette offre.

a ctions – Au premier objectif, on peut répondre


ce qui a été annoncé plus haut, quelque chose du
genre : la Franc-maçonnerie contemporaine
diffuse un parcours moral et spirituel progressif,
fondé sur la libération, la fraternité, le rite et les
symboles, pour vivre harmonieusement les relations à
soi-même, aux autres et au monde. Citons un de ces
Frères qui ont senti depuis longtemps la nécessité de
chasser l’occultisme et de fusionner tous les aspects de la
Maçonnerie. Le Frère Louis Amiable3 affirme :
"L’initiation maçonnique n’est pas l’accession d’un

1
L’analysant ne recourt pas aux symboles au sens maçonnique mais
peut explorer les voies de la symbolisation dans son histoire
personnelle. C’est différent.
2
Le manque de professionnalisme dans la gestion des Hommes, la
rigueur enfuie du rituel, la mollesse des opinions sociales…
3
1837-1897.

60
corps défini de connaissances cachés concernant la
nature ou une réalité surnaturelle, non plus que la
disposition de moyens d’action sur la nature. L’initiation
maçonnique est un processus de prise de conscience de
soi-même par le Maçon, lui permettant d’accéder à une
pensée véritablement libre. Mais cette connaissance
largement intuitive pour une large part, ne constitue pas
une fin en soi. Si elle est à la base du perfectionnement
moral de l’individu et de la libération de sa pensée qui
aboutit sur le plan pratique à l’objectivité du jugement et
des actes, c’est dans un but opératif qui permet aux
Maçons d’agir efficacement dans le monde profane".
Bien parler de spiritualité et de sacré eût été décalé pour
ce Frère du Grand Orient. Mais la raison disait déjà tout
de l’union des deux tendances insécables.
• Nantis de cette définition, nous pouvons à présent
lister les changements que réclame une Franc-maçonnerie
libérative. Nous avons évoqué plus haut l’atelier.
Revenons-y car il est la réponse à la question : la tenue
est le moment dédié à l’introspection. Quel lieu pourrait
être consacré au débat social ?
C’est donc dans la tenue, que par une pratique
moderne du symbolisme, nous en reparlerons, que le
Maçon approfondit sa quête spirituelle. C’est dans une
autre réunion de Loge, sans rituel, qu’il effectue le
passage à l’acte. Dans l’atelier il(elle) s’interroge sur les
implications citoyennes et sociales d’un thème
contemporain. Quand les questions à l’étude des Loges,
celles qui concernent les buts, le fonctionnement et
l’organisation de la société, sont traitées en commissions
avec plusieurs Frères ou/et Sœurs, nous sommes proches
de ce dispositif ; il devrait être régulier en avec une
réunion tous les deux mois par exemple. On entend les
objections de prudence : "On risque de déraper s’il n’y a
pas le cadre du rite. Et on va débattre de la religion puis
de la politique. On va en arriver à se disputer. Il n’y aura
plus de fraternité. Il est sage de suivre Anderson". Or si

61
la fraternité existe parce que l’on interdit les sujets qui
l’embarrasserait, alors elle est bien friable. La fraternité
robuste, c’est écouter des propos avec lesquels on est en
parfait désaccord et remercier son Frère pour avoir donné
son point de vue. C’est un comble de penser que la fine
fleur éthique de la Maçonnerie, la tolérance, le respect
des autres, la dignité humaine ne puisse pousser dans le
terreau si nutritif des questions religieuses et politiques.
C’est là au contraire le véritable test de l’amour fraternel
qui ne s’encombre pas des différences d’opinions. Si les
Francs-maçons se battent comme chiffonniers sur ces
sujets, c’est que, faisons-en le triste augure, ils sont
restés(es) des Apprentis(es) !

• Deuxième action… Si on admet que la tenue est


le moment où, à travers les prises de parole,
s’approfondit la relation spéculaire : "Le symbole évoque
cela dans ton vécu – Oui – dans le mien plutôt cela" il
faut que cette prise de parole laisse passer les émotions,
les oublis, les reprises, les hésitations, les phrases
impeccables assénées d’un seul coup… bref, elle doit être
certainement très spontanée. C’est pourquoi les planches
qui consistent à lire un texte qui a été préparé bien avant
et seul(e), ne se prêtent pas du tout, par leur manque de
spontanéité, à un approfondissement en miroir, ferment
de spiritualité. Il devient donc nécessaire de privilégier
l’expression orale et elle seulement. Le Frère, la Sœur
bafouille, s’exprime maladroitement ? Aucune
importance. Il(elle) est là pour livrer son vécu et non
délivrer un exposé scolaire. Oui c’est difficile mais cela
existe et fonctionne fort bien 1.

• Troisième action – Si la Franc-maçonnerie est un


parcours moral et spirituel qui est progressif, cette

1
Nous pensons en particulier à l’Ordre initiatique et traditionnel de
l’Art royal (OITAR) où cet usage est en vigueur, avec succès.

62
progression doit être soigneusement établie et dite. Nous
l’avons évoqué dans la question sur les besoins. Au delà
des cérémonies de passage, des traductions morales
convenues des symboles, il est essentiel de dégager la
pédagogie initiatique particulière à chaque degré. Par
exemple, en appliquant le modèle « JE-MOI-SOI »
expliqué ci-dessus, faire tout ce qu’il faut, dans le choix
des thèmes, dans les interventions pour que les Frères
vivent la catharsis, l’élucidation de leurs
conditionnements et de leurs déterminismes. Et ainsi de
suite pour le deuxième et troisième degré. Le
psychopédagogue aura bien du travail à mener en ce sens.
"Comment transmettre le message subliminal, spirituel,
de chaque degré ?" sera sa question. Il en conclura sans
doute que la méthode de travail doit être différente dans
chaque degré.

Or il existe un maillon faible dans la chaîne des trois


degrés et cela pour des raisons historiques : c’est le degré
de Compagnon. L’augmentation de salaire est affublée de
ces minables cartouches, récents, français1 qui ne sont ni
symboles, ni allégories mais table des matières
d’encyclopédie. Plusieurs Loges, tous rites confondus,
ont déjà réagi et ont introduit le symbolisme de la
croissance du blé, autrement plus porteur et d’accès
simple, et qui, en outre, se relie aux mystères d’Eleusis.
Joli voisinage…

• Quatrième action – La Franc-maçonnerie


promeut, et le fera de plus en plus, un parcours fondé,
entre autres, sur la libération ? Fort bien ! Auquel cas les
initiés(es) doivent apprendre à se remettre en cause et
à renoncer à toutes les réponses a priori qui meublent
indûment leur esprit et entravent son essor : préjugés,
a priori, habitudes de pensée, croyances, stéréotypes…

1
Aux environs de 1884, comme écrit précédemment.

63
Le dogme religieux est, par essence, le grand répondeur à
toutes les questions métaphysiques ou locales. Il ne doit
donc pas y être fait allusion dans une tenue ; la présence
traditionnelle de la Bible est, en ce sens, aujourd’hui, une
immixtion dans la libération de l’être. Qu’il en soit
question en atelier, bien sûr. Que des Sœurs, des Frères
trouvent dans cet ouvrage leurs réponses, c’est leur
affaire et ils(elles) en ont pleinement le droit. La laïcité,
expression collective de la tolérance, ne saurait toutefois
admettre ce livre en tenue qui coince la liberté de
conscience.
De la même manière, le Grand architecte de l’univers
doit être affirmé dès la première rencontre avec un
profane, comme un symbole de l’UN, du Tout, un
Principe de l’Absolu, sans connotation religieuse
obligatoire. Cela doit même être remis, par écrit, comme
cela se pratique dans certaines Loges. Un contrat de
spiritualité en quelque sorte.
Et si débat il y a1, il vaut mieux se passer de
l’Architecte. A condition toutefois et c’est fondamental
pour un champ initiatique, qu’il y brille, à sa place, un
symbole de l’unité : La Lumière, le Delta, l’Humanité, le
cercle tangenté dans certains rites… Car tous les
symboles d’un champ cohérent sont nécessairement
aimantés vers un symbole de l’UN, du Tout.

• Dernière action – Si les opportunités sont aussi


nombreuses qu’il y paraît. Si l’offre de la Maçonnerie
rénovée a de bonnes possibilités de faire venir de
nouvelles pierres, des manœuvres dit-on parfois en
reprenant Anderson, encore faut-il que ces manœuvres
sachent que cette offre existe et leur convient bien. Sans
doute y a t’il à aménager la promotion de la Franc-
maçonnerie pour coopter plus et mieux. C’est l’affaire

1
Des livres, des articles ont été écrits sur le sujet qui tiennent les
propos les plus divers, voire opposés.

64
des Loges, des obédiences, des auteurs, des
conférenciers, des commerçants spécialisés…
Posons la question récurrente : « Promouvoir
ouvertement la Franc-maçonnerie » va-t-il dans le sens
du développement spirituel et du rayonnement ? Peut-être
mais pas nécessairement. Il vaudrait donc mieux être
retenu dans les efforts promotionnels et ne pas s’égarer
dans la publicité. Posons maintenant la sous-question :
« Révéler qu’on est Franc-maçon à quiconque de bon
aloi » aide-t-il à la quête spirituelle ? Là, oui sans doute.
Pour deux motifs. Transmettre sa fierté d’appartenir à un
Ordre prestigieux restaure, dans ce sens, l’image de
l’Ordre. S’ouvrir permet, car le choix est plus vaste, de
mieux retenir les cherchants sincères. Aussi peut-on
recommander de le faire savoir, sans mystère, soupirs et
regards obliques à toute personne de bonne volonté,
ouverte et a priori tolérante. Qui sait ? Ce sera peut être
un cherchant qui attend une occasion pour se mettre en
chemin. Se dévoiler quand on le juge bon sans dévoiler
les autres. Le secret d’appartenance a vécu.

65
➎ Quelles images l’offre maçonnique
actuelle a-t-elle ?

L’image qu’une personne a d’elle-même détermine


une part de son identité, de sa confiance, de son estime de
soi. Une image positive rend les gens plus forts. Elle est
différente de l’image que les autres perçoivent qui, elle,
influe sur l’attrait qu’exerce cette personne. Dans ce
chassé-croisé où nous tâchons de donner une bonne
image pour arriver à nos fins1, les images auto perçues,
envoyées et reçues forment une réalité complexe qui, au
fond, contribue beaucoup au bien être social et tant
personnel que collectif. D’où les nombreux tests et
questionnaires qui se multiplient sur Internet, dans les
entreprises sur le thème : "Quelle est votre image ?".
Il en est de même pour toutes les organisations
marchandes, caritatives associatives ou sociétés de
pensée qui nous intéressent ici. Quelle image les Maçons
ont-ils de leur Ordre ? Et quelle image celui-ci délivre t’il
dans le public, surtout dans la population dont les
demandes correspondent le plus à son offre de quête
spirituelle et de rayonnement social ? Comment faire, si
faiblesses et menaces sont trop fortes, pour les amoindrir
en profitant des opportunités et en s’appuyant sur les
forces internes ?

f
orces – Les Frères et les Sœurs, en majorité, ont
une excellente image interne de l’Ordre et aux trois
niveaux d’organisation administrative2. L’appareil
est bien perçu même si les Convents peuvent être parfois

1
Pouvoir, affection, reconnaissance, acquisition.
2
Loge, région, obédience.
houleux ; comme ce fut le cas au Grand Orient de France,
quand il fut reproché aux dirigeants de l’exécutif d’être
des porte parole aventureux, allant jusqu’à se mêler des
affaires de la République ou passer des mots d’ordre aux
Loges qui, toutes, n’apprécièrent pas cette immixtion.
Néanmoins la vie démocratique exemplaire de nos
grandes obédiences, des petites souvent, emplit de
contentement les uns(es), les autres. La distinction claire
des trois pouvoirs a de quoi convenir aux plus
sourcilleux.
Au niveau de la Loge, l’image est bonne aussi. Bien
sûr certaines Loges vont mal et se déchirent, se divisent
mais le fait n’est pas si courant sauf pour ceux et celles
qui généralisent vite à partir d’expériences cuisantes. Au
contraire c’est un fort sentiment de satisfaction qui
prévaut. Là encore, la vie démocratique, le rôle de la
Chambre du Milieu, les responsabilités des officiers et les
pouvoirs du Vénérable forment un ensemble équilibré et
délicat qui respecte tous et chacun(e). Les Francs-maçons
sont fiers de vivre dans un système de groupe, la Loge,
où il n’y a d’autre hiérarchie que celle, temporaire, des
fonctions. Où la répartition claire des pouvoirs freinent
les audaces déstabilisantes de tel ou tel. Car ils tiennent à
l’égalité de traitement, quel que soit le niveau de
connaissances, le rang social, la fortune. Le tutoiement
est un symbole social clair. Et tout cela renvoie à
chacun(e) la belle image d’un bon groupe. chacun(e) a la
liberté de parole, est assuré(e) d’être écouté(e) sans que
jamais le ton ne soit haussé, sans que jamais l’un ou
l’autre ne soit vilipendé. Cette image porteuse de la Loge
nourrit l’image personnelle positive que chacun(e) a de
lui-même comme Franc-maçon. "Si tu appartiens à une
élite, une fleur de la civilisation, ne peux-tu en déduire,
mon Frère, ma Sœur que tu es toi-même, comme initié(e),
un être d’élite ?". Et de fait, on se complaît, à tort ou à
raison à se reconnaître pour tel.

68
f
aiblesses – Plusieurs faiblesses à mettre au débit de
l’image interne que les Francs-maçons ont de leur
Fraternité ; sur des points sans grand lien.
Grande entente, disions-nous, il y a quelques lignes
sur la qualité de l’obédience, celle de la Loge et la sienne
propre. On note pourtant des « couacs » discordants dans
cette belle symphonie de gens heureux. Un Grand Maître
récent du Grand Orient de France, affirmait qu’il existe
toujours 5 à 10% de Frères qui s’ingénient à détruire
l’harmonie de l’organisation, sous les plus nobles
prétextes bien entendu. De même dans les Loges. La
fraternité et la confiance, le manque de pugnacité a priori
d’une obédience, d’une Loge vis à vis des siens favorise
en effet les comportements méchants, déviants, voire
pervers. Les mal intentionnés, qui se présentent comme
les chevaliers blancs d’une cause, à leurs yeux, de
salubrité publique existent, c’est vrai, et donnent une
image interne déplorable ; du Frère qui rompt son
serment en déversant sa bile sur Internet, au dirigeant
national qui pourchasse un Frère, une Sœur innocents
jusqu’à obtenir son exclusion, cela existe vraiment… ; et
jusqu’à la Loge, au Frère qui rompt les fondamentaux de
son serment en portant une affaire obédientielle devant la
justice civile. C’est exact, tout cela arrive et les troubles
occasionnés sont parfois préjudiciables à la bonne image
interne.
Ce ne sont pas ces troubles qui occasionnent les
départs de la Franc-maçonnerie. Le taux de démission est
élevé1 et il est toujours de mauvais effet de constater
qu’un Maître aguerri souhaite quitter l’Ordre, comme
lassé. Il est des Loges qui ainsi se vident en quelques
années du quart de leur effectif, à nombre constant en
comptant les entrées. Dans ce cas de figure, c’est l’image

1
Nous n’avons pas pu obtenir de pourcentages…

69
de la Loge, au plus de l’obédience, qui « trinque » car la
perception des autres obédiences que la leur des Frères,
des Sœurs est très floue. De la Grande Loge de France,
on ignore sans doute ce qui se passe à la Grande Loge
féminine de France. Du Grand Orient de France, la
connaissance de l’évolution du Droit humain est
sommaire. C’est bien une faiblesse ; la majorité des
Frères et des Sœurs ont une vue limitée dans le meilleur
des cas à leur propre obédience et, le plus souvent, à leur
seule Loge.
Une autre faiblesse est l’inverse de la variété des
sujets abordés. Le large éventail des conceptions
philosophiques et politiques de la Franc-maçonnerie est
une richesse certes. Elle diffuse néanmoins une image
floue, insaisissable qui ne se prête guère à la définition
des convictions unanimes de l’Ordre. Exemple par
excellence, le Grand Architecte de l’univers est bien le
symbole même de la liberté d’interprétation et, par là, le
concept est le lieu de toutes les confusions d’image. Dieu
révélé, voilà qui est clair mais devient vite confus quand,
ailleurs, on prétend qu’il est un Principe1 ; et qu’ailleurs
encore, on admet qu’il soit la Nature ou l’Inconscient. Si
en plus on affirme qu’il est un symbole ouvert mais que,
dans le rituel, on ouvre les travaux "à la gloire du
GADLU", ce qui convient à une personne, un dieu, on nage
en pleine contradiction. Cette faiblesse est-elle aussi une
richesse ? Pourquoi pas ? En tout état de cause, le
manque de lisibilité des positions religieuses et politiques
barre l’accès à toute universalité dont se targue pourtant
la Maçonnerie. L’image interne, sur ces points, est
complètement brouillée et il faut bien admettre qu’il
existe des Franc-maçonneries et non une seule. Ne pas
rechercher les « coupables » dans l’histoire, mais
composer avec ses faiblesses d’image ; d’ailleurs plutôt
bien vécues en interne.

1
Plus ou moins créateur…

70
Cet à peu près religieux et politique ne nous affecte
pas beaucoup dans la mesure où les Frères, les Sœurs
sont, somme toute, malgré les exclamations, assez
indifférents à l’image que leur organisation donne à
l’extérieur. On imagine que peu se mobiliseraient et
manifesteraient sur un mot d’ordre tel : "Défendons la
Franc-maçonnerie !". C’est dommage car si l’image de
l’Ordre n’est pas défendue et protégée il se met en grand
péril. Le fait de se sentir une élite sociale, intellectuelle
suffit à remplir la coupe de l’autosatisfaction. C’est une
insuffisance, pis, c’est une grave faiblesse.
Si les initiés(es) ne transmettent pas assez une image
positive, c’est surtout parce que, autre faiblesse, ils sont
cadenassés par le serment du secret. Secret
d’appartenance bien sûr. Le secret des échanges, lui, est
mieux accepté par le monde profane par analogie avec le
secret banal des groupes : ce qui se dit, se décide et se fait
dans la famille, avec ses amis, au comité de direction, au
conseil d’administration, dans des instances
dirigeantes… N’évoquons pas le troisième secret, le
secret initiatique. Celui-ci est réputé indicible, ce qui ne
laisse pas, tout de même, le monde profane s’interroger à
son propos. Enfin, le secret des échanges devient une
interdiction de prendre la parole ès qualité de Maçon
dans le monde profane ; ce qui, reconnaissons-le, entrave
le rayonnement de l’Ordre. C’est si vrai qu’aujourd’hui,
toujours dans les grandes obédiences, l’administration et
le serment interdisent qu’un Frère, une Sœur puisse, en
public, émettre un avis oral ou écrit, même laudatif, sur la
Maçonnerie. Il faut une permission pour la plus petite
tenue blanche… Où est le "Maçon libre dans une Loge
libre", précepte si prisé par la Franc-maçonnerie
libérative ? La faiblesse est, si l’on ose dire,
constitutionnelle. Nous sommes pourtant au XXIe siècle
et, dans nos pays, la liberté d’opinion et d’expression
n’est pas un vain mot.

71
o pportunités – Existe t’il un état d’esprit, dans
le grand public, qui soit favorable à la Franc-
maçonnerie ? Plutôt léger ; sauf pour les
personnes averties parce qu’elles ont lu quelque livre ou
ont un proche qui est initié.
Un point paradoxalement intéressant. Nous allons
examiner dans un instant les menaces qui pèsent sur
l’Ordre. On peut positiver. La Franc-maçonnerie est
connue, très connue même puisqu’elle fait les choux gras
des hebdomadaires racoleurs comme Le Point, Le Nouvel
Observateur, L’Express… qui titrent sur elle comme ils
titrent sur tout ce qui allèche morbidement les lecteurs :
les juifs, les homosexuels, les génocides, les immigrés…
tous sujets réputés délicats traités sous couvert de
noblesse de cœur et de transparence de l’information,
flatte les bas-fonds du psychisme humain. Mais grâce à
cela, il faut bien l’écrire, la Franc-maçonnerie est connue
par beaucoup et superficiellement si on considère sa
véritable vocation et ses finalités. Ce serait, en ce sens,
une erreur de monter des actions pour juste faire
connaître l’Ordre ; ce but est atteint mais il est mal
atteint.

m enaces – Les menaces sont le reflet exact


et négatif des opportunités. La Franc-
maçonnerie est connue, oui, mais
comment ? L’image est plutôt catastrophique. Les médias
dénoncés plus haut, des livres nauséabonds qui livrent :
"Enfin, le vrai secret des Francs-maçons !" nous font un
très grand tort. Dans le meilleur des cas elle passe pour
être ridicule avec ses rites surannés, sa discipline, son
serment et ses bavardages à n’en plus finir. Il n’est que
de lire ce que l’ethnologue connu Mircea Eliade écrit sur

72
les Maçons : un peuple de bavards, confus et impénitents,
aux symboles achetés dans les petites brocantes de la
tradition. Hélas, tout n’est pas aussi aimable… Les
attaques en règle n’ont jamais cessé depuis la naissance
du mouvement. Les papes, plus que les catholiques, n’ont
pas hésité à fulminer des bulles excommunicatrices
depuis la vindicte de Clément XII avec la bulle In
eminenti 1, jusqu’à aujourd’hui où, progrès oblige, les
positions sont plus floues ; en passant par l’excellent
Léon XIII qui n’hésite pas dans la bulle Humanum genus2
à alourdir les accusations : les Maçons sont sectaires et
comploteurs ! Ratzinger en 1983 les interdit de
communion. Cette hostilité vive a fait le lit de l’anti-
maçonnisme qui n’a jamais cessé et dont l’acmé se situe,
sous le régime nazi et, en France, sous l’Occupation. Ils
sont soupçonnés d’être une pieuvre tentaculaire qui
manipule, avec les juifs, les pauvres peuples et
s’engraissent de pouvoirs et d’argent à leur dépens. On
ne reviendra pas sur les temples saccagés, les archives
confisqués et les Maçons déportés. « Le complot judéo-
maçonnique » a laissé des traces ; aujourd’hui même.
Preuve à rebours, les dictatures et régimes autoritaires
frappent d’interdiction les Loges.
Au XXIe siècle, il ne reste pas que des souvenirs de
tous ces siècles et individus, religieux ou non, hostiles à
la liberté de pensée et, ce faisant, à l’Ordre qui s’en
nourrit et en es un défenseur. L’anti-maçonnisme n’est
certes plus cruel mais vit toujours alimenté par les ragots
et la plume purulente des journalistes et auteurs qui
mesurent leur fierté professionnelle au nombre de
lecteurs ; éthique de caniveau ! Résumons. Nous sommes
en fait une secte d’hypocrites ; notre fraternité est
poisseuse car elle favorise les affaires douteuses entre
nous ; nous avons une influence sur le gouvernement et

1
1738.
2
1884.

73
les choses du monde. Que nous sachions, les Mormons,
les raéliens, les scientologues, les mouvements
charismatiques ne sont pas mal non plus en tant que
sectes, fières de leur gourou, de leur télévangélistes
talentueux et mégalomanes. Que nous sachions, les
affaires fleurissent également chez les chrétiens, les
grands patrons, les boursiers, les politiques et autrement
plus joliment ! Que nous sachions, notre influence sur le
cours politique de la France avoisine le degré zéro ! Pas
le cas de l’ENA, de Polytechnique, de Sciences Po…

o bjectif – Les menaces sont toujours aussi


brûlantes pour engendrer une bien peu
reluisante image de l’Ordre. C’est un des
premiers chantiers à ouvrir pour la Franc-maçonnerie
libérative. Même si, reconnaissons-le, les obédiences
consentent de véritables efforts pour renverser la
tendance. Les Frères, les Sœurs les plus éminents :
historiens, auteurs, Grands Maîtres, n’hésitent pas à
accorder des interviews, à rédiger des articles, des livres.
Parfois, c’est ambigu quand l’intervention est sous la
bannière racoleuse du « dévoilement des mystères ». En
tout état de cause, c’est à l’heure actuelle, insuffisant
pour renverser la tendance. Il y a tout à faire.

L’objectif s’impose, limpide : Restaurer l’image


externe de la Franc-maçonnerie. L’image interne, elle,
est solide et , au bilan positive. Le feu ne prend pas au
temple de ce côté.

a ctions - Une première action peut venir à


l’esprit, suite aux faiblesses recensées ; la
recherche de positions sinon communes, c’est

74
impossible, du moins claire en ce qui touche la politique
et la religion. Seules, les obédiences optant pour la laïcité
sont, sur ce point, transparentes ; on devine la tendance
politique dominante et on suppute le choix religieux.
Mais au fond ne vaut-il pas mieux considérer ces
flottements comme une richesse de choix plus que
comme le brouillon d’un mauvais élève ? Une action
dans ce sens, outre qu’elle est improbable1 ne bonifierait
que trop peu l’image publique.
D’autres actions de promotion de l’Ordre sont
possibles. Elles existent d’ailleurs de-ci, de-là. Il serait
bon d’insister et surtout de mieux « cibler » :
• Manifestation collective publique, le fait d’une
ou plusieurs obédiences, ou d’un réseau de Loges. Avec
une réflexion affirmée : quelle population, pour dire quoi,
où, quand, comment ? Se développe aujourd’hui avec
bonheur, les salons maçonniques des livres, véritables
carrefours d’échanges entre initiés(es) et profanes.
• Dévoilements individuels. Nous l’avons déjà
évoqué plus haut. Renforçons donc l’idée avec le
questionnement sur l’image. Faire sauter les pudeurs et
les peurs ; les Maçons ne risquent plus rien et n’ont pas
fait le serment de ne pas révéler leur appartenance
individuelle2. Repérer dans son entourage, au sens le plus
large ; les proches, les voisins, les relations, les collègues
d’entreprise ou les adhérents de leurs associations, ceux
et celles qui paraissent gagner à connaître la Maçonnerie.
Car il n’y a pas une vraie et définitive raison pour haïr la
Franc-maçonnerie, on le sait bien. Au plus, les
dogmatiques, les extrémistes opposeront un refus
courroucé. Et alors ? Que cela vaut-il par rapport à trois
succès, plus, sans doute ?

1
Les montagnes obédientielles et les méfaits ségrégationnistes du
fantasme de « régularité obédientielle ».
2
Mais celui de ne pas révéler celle d’un autre.

75
• Manifestations à amplifier. Trop peu de
Maçons se réunissent dans la rue pour faire connaître leur
opinion. Comment voulez-vous que les caméras nous
repèrent ? C’est toujours, timidement, en délégation que
les plus téméraires d’entre nous défilent sur les
boulevards, se regroupant dans des lieux historiques avec
leur écharpe. Une délégation exonère les Frères, les
Sœurs de l’engagement citoyen,. Oui, il risque d’y avoir
des représentations antagonistes, pour une cause donnée1.
L’idée est, au delà des clivages, de montrer au public que
rien de ce qui est humain ne leur est étranger.
A trop être absents de la scène publique, les Maçons
une image bien vague. Ce qui est pis c’est que d’autres,
pendant le temps de cette vacuité, font connaître leur
cause, leurs convictions. A être trop discrets, ils seront
les premières victimes. Jean Rostand fut clair là-dessus :
"Si tu refuses ton propre combat, on fera de toi le
combattant d’une cause qui n’est pas la tienne".
Précision importante. Manifester pour une idée, cela ne
veut pas dire défiler sous la bannière des syndicats2 ou
sous les banderoles des politiques. La Franc-maçonnerie
nulle part, les Francs-maçons partout, soit, mais bien
distincts des autres formations.
• Rédaction de livres, d’articles pour d’abord
informer les profanes de notre réelle qualité et
générosité ; et ensuite pour réagir quand tel ou tel
journaliste pond un article nauséeux, un livre de
caniveau, sur la Franc-maçonnerie. Des pétitions plus
offensives dans ce cas, font aussi l’affaire. Des livres à
destination des initiés(es) eux-mêmes ? Il y en a
pléthore !

Et pour pouvoir agir aussi, faut-il faire encore sauter


les verrous des interdictions sacramentelles du serment et

1
Versaillais et Communards…
2
ouvriers ou patronaux.

76
administratives des obédiences. Le Président de la
République dit ce qu’il veut, dans le cadre juridique de la
liberté d’opinion et d’expression. Le simple citoyen a le
même droit et peut critiquer les décisions du
gouvernement et les actions du Président. La
représentativité démocratique du premier n’empêche pas
le second de parler sur les mêmes sujets. Pourquoi un
Grand Maître a t’il le droit d’émettre des opinions sur la
Franc-maçonnerie et que la Loge Helvétius n° 198 ne
pourrait le faire en toute liberté et légalité ? Il y a là une
petite révolution à mener mais indispensable. Comment
peut-on développer une spiritualité pour agir, qui a, entre
autres pour finalité, la libération de l’être, en muselant la
parole et la lettre des initiés(es) ? Là encore, la cohérence
entraîne des choix. Ici, en particulier, sur la répartition
des pouvoirs dans une obédience et par là, sur son mode
d’organisation.

77
➏ Quelle gestion des Loges et des
obédiences cette offre et cette image
entraînent-elles ?

Maintenant que nous avons redéfini les finalités puis


repassé au marbre l’offre de la Maçonnerie et avons
suggéré des actions pour contrebalancer sa mauvaise
image, il nous revient de décliner les conséquences que
peuvent avoir ces propositions sur la gestion des
obédiences, des Loges. Nous continuons à garder le
critère de décision, le précepte qui est celui de la Franc-
maçonnerie libérative, une spiritualité pour agir. Les
dispositifs actuels qui ne vont pas dans ce sens seront
réputés hors de course puisque, selon notre point de vue,
ils ne favorisent pas, voire ils entravent la réforme de
l’Ordre.

f
orces – Les obédiences existent et, apparemment,
sont utiles. Nous y reviendrons en ajoutant
plusieurs nuances à explorer dans les faiblesses. Les
Loges existent elles aussi et leur fonctionnement convient
à tous ; leur organisation historique s’ajuste fort bien au
précepte fondamental, dans la stricte mesure où elles ne
confondent pas une tenue avec le débat social. La tenue
devrait être vouée au travail introspectif, par la médiation
des sujets symboliques et philosophiques. Le débat, lui,
est l’objet de l’atelier qui redistribue, sur la scène
citoyenne, l’énergie jaillie de la libération intérieure ;
elle-même fondée sur un flux d’échanges et de
reconnaissance fraternels. Cette distinction entre les
genres, voilà la première force.
Beaucoup de Loges, à l’heure actuelle, dans maintes
obédiences, confondent les genres. Et c’est plus que
dommage ; c’est, pour l’avenir, désolant. Gageons qu’en
10-20 ans ces Loges, pour heureuses qu’elles soient,
finiront par se recroqueviller sur elles-mêmes, dans
l’indifférence de leur disparition générale. la Franc-
maçonnerie ne se confond pas, dans ses choix de gestion,
avec sa sœur La libre pensée.
Une deuxième force : le mode de gestion d’une Loge,
quelle qu’elle soit, a des fondements solides qu’il faut à
tout prix conserver : respect de l’écoute de l’autre et de sa
parole, chèque confiance accordée à chacun, rythme
convenable des deux tenues, au minimum, par mois,
démocratie parfois épanouie dans la règle de l’unanimité,
claire répartition des pouvoirs entre les officiers
temporairement élus, distinction des degrés
d’avancement… Tout cela constitue une forte et saine
armature de la vie du groupe ; qui n’a pas pris une ride.
Bien au contraire, cette gestion de la Loge maçonnique
est, sans doute à notre époque, plus que jamais requise
comme exemplaire et doit être préservée.
Enfin, il est une autre force, bien contemporaine celle-
là ! La large distribution, sur Internet, des informations
sur les obédiences et leurs caractéristiques. Cette
évolution, bien qu’elle s’accommode peu avec le secret
dont s’entoure traditionnellement l’Ordre, s’est effectuée
en douceur. C’est bien ainsi, bon pour l’image et
clarifiant pour l’offre de chaque obédience. Bien sûr, il y
a des dérives et des internautes initiés(es) qui prennent un
plaisir, grâce à la toile, à critiquer et à démolir. Mais la
liberté d’opinion recommande de supporter ces errances.
Connexe à l’idée de réseau informatique et parfois lié,
les échanges entre les Loges vont croissant ; et pas
nécessairement de la même obédience. On voit ainsi
parfois des « réguliers » fréquenter, ô horreur ! des Loges
mixtes « irrégulières ». Mais n’en disons pas plus pour ne
pas faire rougir les landmarks… On constate aujourd’hui

80
que les reconnaissances, les traités d’amitié sont de plus
en plus nombreux entre obédiences. Quelle bonne chose !
Enfin les appareils guindés rejoignent la pratique usuelle
des Loges qui se visitent les unes, les autres ; qui
organisent des célébrations1 communes et qui ne
craignent pas de se fréquenter et de s’aimer. De-ci, de-là
s’ouvrent des Loges indépendantes. Suivons-les
attentivement ; le renouveau est peut-être de ce côté.
Elles sont leur propre maître et profitent, en innovant, de
leur liberté. Un peu partout naissent des associations
maçonniques philosophiques, culturelles, géographiques
qui regroupent, intuitu personæ, des Frères, des Sœurs
d’obédience variées. Les Fraternelles, loin d’être des
regroupements souvent stipendiées par les appareils
obédientiels, devraient, dans les temps prochains,
retrouver une vitalité réelle. Il ne sera plus bientôt
étonnant de rencontrer des Maçons qui, en dehors de leur
Loge bleue, appartiennent à deux, trois Fraternelles,
préférant ce choix à la rigide accession des degrés
supérieurs. Mais ceci est une autre et complexe histoire.
Avec ces forces, allons-nous toujours plus loin dans la
mise en œuvre de l’adage Un Maçon libre dans une Loge
libre ? Oui, sans précipitation ; parce que les pesanteurs
autoritaires administratives sont encore considérables et
pèsent sur le développement spirituel des adeptes. Des
faiblesses de gestion, nous en trouvons de bien lourdes.

f
aiblesses – La fragmentation de la Maçonnerie
française peut être un atout, nous l’avons vu,
puisqu’elle privilégie la liberté de choix. C’est une
faiblesse aussi. Ne revenons pas sur les débats de la
Grande Loge unie d’Angleterre qui décida, figée dans des
positions passéistes, de faire une Maçonnerie mondiale à

1
Solstices.

81
sa botte1. Pensons plus simplement à l’éclatement de
l’Ordre en six grandes obédiences, cinq ou six moyennes
et une poussière de petites formations. Le danger,
pourrait-on arguer, est que nous ne parlions pas d’une
seule voix. Nos modes de gestion, écrasants pour chaque
obédience, freinent la diffusion de pensées communes.
Actuellement, l’équilibre est fragile car la fraternité se
fraie un chemin difficile dans le dédale des lourdeurs et
interdits administratifs. Parfois, tel journaliste parle à
l’antenne de « la Franc-maçonnerie », vite repris par tel
ou tel porte parole d’obédience qui met en avant sa
spécificité. Ecoutez-les bien. Ces spécificités ne sont pas
seulement d’ordre spirituel, ce qui au nom de la liberté de
choix serait bien acceptable. Non, ces spécificités sont
également d’ordre administratif : "Moi, obédience X…,
voici comment je fonctionne, le nombre de mes membres,
les relations avec les Loges, les niveaux intermédiaires :
régions, provinces, territoires et secteurs…". Quand on
prend du recul, on ne peut que s’étonner de ces papiers
nécessaires pour la reconnaissance des « puissances
maçonniques » entre elles. Comme des États ! Quelle
fatuité ! Qu’y a t’il d’étonnant à ce que, dès que des avis
divergent dans une obédience, celle-ci se divise avec
fracas ? Les particularités riches cèdent sous la férule des
particularismes desséchants.

Passons maintenant au niveau de la gestion des Loges.


Nous avons proclamé, dans les forces, qu’elle était
remarquable, évoluant peu avec les siècles. Pourtant on y
note quelques faiblesses qui pourraient bien, dans les dix
ans, devenir un handicap.
D’abord le nombre excessif des membres. Si une
Loge vise à créer les conditions de l’épanouissement
1
Soulignons, dans cette Maçonnerie « régulière », le bon niveau de
plusieurs Loges et individuellement, celui des Frères. Souvent
fraternels, sans raideur et, si cela reste discret, volontiers
participatifs.

82
spirituel, il est indéniable que chaque adepte doit
travailler et témoigner oralement. Les mathématiques de
groupe enseignent qu’au delà de 25/30 membres, les
planches se transforment en discours profanes, écrits et
de qualité moyenne. Au delà de ce nombre, la Loge
devient un club, ce qu’elle est outre-atlantique et parfois
en Europe où des effectifs de 100 membres et plus
paraissent convenables. Des auditeurs, plus des
cherchants.
Nous l’avons souligné plus haut, le recrutement,
l’animation de la Loge, le choix des thèmes, la manière
de présenter une planche, la transmission par les anciens,
tout cela se détaille aujourd’hui dans un fonctionnement
à la « grand papa ». Aujourd’hui, dans le monde profane
et ce n’est pas d’hier seulement, les techniques de
cooptation et de recrutement se sont considérablement
perfectionnées ; le choix des thèmes dans un séminaire
n’est plus une table de matière universitaire ; l’animation
de groupes vivants des réunions quelles qu’elles soient,
est bien maîtrisée. Sur ces points cruciaux pour la vie de
la Loge, où en est-elle ? En 1950, tout au mieux. On fait
comme si les modèles vieillis fonctionnaient toujours,
sanctifiés par une tradition qui n’est qu’habitude sociale.
La présentation lue de planches écrites est dépassée et la
transmission ne bénéficie pas des progrès de la
psychopédagogie. Nous aurons donc tout à l’heure
quelques actions salutaires à lister pour réformer la vie et
le fonctionnement d’une Loge, dans les interstices que
permet la tradition.

o pportunités – Revenons aux obédiences.


Après être descendus au niveau de la gestion
des Loges, pour laquelle nous ne notons pas,
dans l’environnement, d’opportunités
remarquables sauf à dire que la Loge ferait bien

83
d’adopter et d’adapter l’exemple des groupes de travail
profanes 1 dont l’objet est la réflexion éthique, le
développement culturel ou l’étude philosophique. Sans
renoncer à la tradition, nous y reviendrons. On observe
dans ces groupes bien des méthodes et des techniques de
gestion, d’animation qui redonneraient à nos Loges une
jeunesse attendue. Voilà un chemin de vrai
renouvellement. Sans confondre une Loge avec une
entreprise, on peut profiter des qualités de cette dernière.
Par exemple, pour un Vénérable, apprendre à animer un
groupe et réguler la parole ; ce qui ne se fait presque
jamais, sauf à l’intuition et à l’habitude. Nous verrons,
dans les actions, le grand intérêt, pour les Surveillants, à
faire un tour dans la pédagogie des adultes… Bref, les
groupes profanes ont bien changé dans leur vie et leur
fonctionnement. La Loge, qui est un groupe spécifique,
ne pourrait-elle pas s’enrichir de ces pratiques qui
démontrent chaque jour, sur la scène profane, leur
efficacité ?
Pour les obédiences il convient de relativiser les
inconvénients relatés ; les bonnes volontés et les actes
mêmes ne manquent pas pour réunir les obédiences
éparses au sein d’organisations nationales, voire
internationales2. En outre, cette diversité a la force de sa
faiblesse. Elle offre une palette de choix incontestable. La
propension réputée bien française à vivre en villages
gaulois est, dans ce cas, tout bénéfice. Toutes les
sensibilités ou presque sont vivantes. La Franc-
maçonnerie multicolore est la plus sûre garantie du libre
choix. Au fond, la fragmentation en diverses obédiences
est-elle vraiment une faiblesse comme on le dit trop

1
Associations, comités, commissions officielles ou non…
2
IMF : institut maçonnique de France – CLIPSAS : centre de liaison et
d’information des puissances maçonniques signataires de l’appel de
Strasbourg – Associations de Suprêmes Conseils – Ligue universelle
des Francs-maçons et d’autres encore…

84
souvent ? A bien peser le pour et le contre, c’est plutôt
une opportunité.

m enaces – La grande menace pour la Franc-


maçonnerie est de suivre le modèle de
l’administration française traditionnelle.
Culture française oblige, l’ex toute puissance de
l’appareil public a servi de référence d’organisation à la
Franc-maçonnerie. Nous prétendons que l’administration
actuelle des obédiences, presque sans exceptions, est le
décalque de ce que fut la gestion de la Sécurité sociale,
celle des ministères et la lourdeur vétilleuse et
anachronique des Services publics. Sait-on qu’ici il faut
demander des autorisations pour qu’une Loge tienne une
tenue blanche ? Sait-on que là, l’accord d’admission d’un
profane demande la constitution d’un dossier en plusieurs
pièces ? Sait-on que si une Loge n’est pas représentée à
une réunion régionale ou nationale, elle doit payer une
amende ? Sait-on encore que l’impétrant jure de respecter
les dispositions du règlement ; et même ses dispositions
futures1… Oui vous savez sans doute tout cela.
Cette manie de tout contrôler, tout savoir est, hélas,
dans l’air du temps, au nom de la sécurité, du principe de
précaution. Nous avons grand-peur que ces modèles de
l’administration se conjuguent sans évoluer, avec la
menace sécuritaire. Le Grand Orient de France a connu
l’affaire des fiches. Un de ses Grands Maîtres travaillait
aux Renseignements généraux. A quand le suivi
génétique ? Nous exagérons certes mais les menaces de
l’environnement sont, elles, bien là, et pèsent de tout leur
poids social et politique sur la gestion et le
fonctionnement des Loges ; plus contrôlées que les

1
Mais où a-t-on vu une telle allégeance à des textes sans portée autre
que réglementaire, donc transitoire ?

85
salariés(es) d’une entreprise. Se mêle à ces habitudes
fossiles, l’apparat qui maintient pseudo symboliquement
l’édifice obédientiel. Il est des obédiences, pas
nécessairement les plus grandes, ou la cratophilie1
explose dans le paraître des tabliers, bijoux et les
considérations dérisoirement flatteuses. Ah ! le
"Dignitaires qui décorez l’Orient" ! Comme l’a dit un
Frère à une manifestation littéraire maçonnique récente :
"La Franc-maçonnerie, ça commence par la porte basse
et ça continue par vingt kilomètres de superlatifs". On se
croirait dans l’appareil de certains partis de certains
pays… Quand fraternité ne rime plus avec humilité.

o bjectifs – Vous le sentez bien après


l’accumulation des faiblesses et des menaces,
la gestion des obédiences doit être
sérieusement réformé. Voici les deux objectifs simples à
formuler :
• Définir des structures obédientielles et
centrales très légères pour soutenir les Sœurs , les Frères
dans leur quête d’une spiritualité pour agir. Tout ce qui
ne va pas dans ce sens strict est donc à écarter.
• Mettre en place dans la Loge les techniques
professionnelles pour favoriser la quête spirituelle. Elles
sont détaillées dans les actions.

a ctions – Elles concernent soit l’obédience, soit


la Loge. Elles sont radicales et peuvent choquer.
Pourtant, rappelons-le, ces propositions ne sont

1
« Cratophilie » - mot forgé par Daniel Beresniak, à partir du grec :
le goût du pouvoir.

86
pas utopiques ; on trouve des essais prometteurs de ci, de
là :
• Suppression de l’administration centrale des
obédiences ; elles-mêmes recentrées sur la gestion
administrative des associations qui donnent les moyens
légaux et particuliers aux Loges de fonctionner. Les
Loges sont souveraines. Tout au plus communiquent-
elles le nombre et le nom des adeptes qu’elles ont décidé,
seules, d’initier. Reste la cotisation à la confédération
pour que l’obédience fasse son travail de promotion de
l’Ordre. Exit toutes les autorisations. Pas une seule ne
concourt à la qualité de la quête spirituelle et à celle de la
réflexion sociale. Reste enfin un niveau d’appel
judiciaire, mobilisable dans des cas spécifiques et limités.
Sur le plan profane, sociétaire, association, fédération
territoriale et confédération, en conformité avec la loi de
1901.
Les Convents, dans le schéma initiatique d’un Maçon
libre dans une Loge libre, ne sont guère utiles puisqu’il
n’y a plus de règlement administratif central mais
seulement des usages initiatiques qui sont consignés et
que les initiés(es) doivent respecter. Ainsi les décisions
de l’exécutif seront légères et, hors de ce qui touche au
rite, à la quête, il n’y a plus qu’un fil d’autorité qui relie
les obédiences/associations aux Loges, celui de
l’emboîtement légal.
• Restauration du pouvoir des Suprêmes
conseils, là où c’est nécessaire et où ils ont été relégués à
l’arrière plan. Leur rôle de gardien des rites est évident.
Ne participent-ils pas directement à la recherche d’une
spiritualité pour agir ? C’est aux Suprêmes conseils,
parce qu’ils sont les veilleurs et les sages, qu’il appartient
de décider des évolutions dans les usages et les rites. Le
ciment entre les Frères, les Sœurs n’est pas fait
d’administration et d’obsession réglementaire. Il est ce
qui différencie l’offre de la Franc-maçonnerie libérative
de tous les autres groupements : l’introspection x les

87
symboles x le rite. Ce qui dévie de cet objet serait à
examiner avec beaucoup de prudence car les loups de la
domination sur les autres, de l’obsession administrative
rôdent en permanence dans les têtes ; tout autant que les
bons démons de l’humilité et de la fraternité.

Passons au niveau de la Loge :

• Calibrage des Loges – Pas plus de 25/30


membres. Ainsi, chacune est assuré(e) de pouvoir
s’exprimer au moins deux fois par an, outre les
interventions ponctuelles. A 25/30, le risque de clans,
inévitable dans les groupes, peut encore être contenu. A
25/30 membres, plus d’auditeurs passifs sur les colonnes
mais des participants qui confrontent, grâce aux mythes,
rite et symboles, leur vécu.
• Formation des trois premiers maillets
 à la conduite d’un groupe en général et
maçonnique en particulier ; techniques du regard, de
l’écoute, de la relance, de la reformulation… bref
techniques d’animation.
 à gérer la vie du groupe, à en sentir
l’évolution et à proposer les activités qui s’en déduisent ;
règlement des conflits aussi. Cette formation, le Jardin
des Vénérables, est un séminaire de quatre à cinq jours ;
ce qui correspond bien à ce qui se pratique pour les
responsables d’entreprise qui ont su prendre le train
depuis trente ans environ. Suivons leur bon exemple ;
vivre un Jardin des Vénérables est une expérience que les
bénéficiaires se rappellent longtemps.
• Sensibilisation de 0,5 jour à 1 journée des
Maîtres expérimentés et des Surveillants en priorité, à
transmettre un message, à aider l’autre à apprendre.
Comment voulez-vous qu’un Apprenti sache travailler,
jouer avec les symboles, rompre l’os pour sucer la
substantifique moelle ; en imitant les anciens avec, au
fond de la tête, le souvenir des méthodes scolaires ? En

88
se débrouillant avec son intuition ? Mais c’est très
insuffisant pour qui veut progresser dans la quête. La
psychopédagogie des adultes nous apprend aujourd’hui
bien autre choses que le ressassement des méthodes
d’enseignement toujours dominantes dans la transmission
maçonnique. Un vaste chantier est à ouvrir, celui des
techniques au moyen desquelles un Maçon peut faire le
meilleur profit du symboles qu’il lui a été donné de
travailler.
• Reformulation claire pour tous de la différence
entre fraternité et amitié. La dernière vient de surcroît
car une Loge qui fonctionne très bien ne nécessite pas un
réseau amical dense. L’oralité des planches, les
interventions subséquentes, l’attention et l’écoute
attentives portées à ses Frères, ses Sœurs, la disponibilité
suffisent pour progresser dans la quête spirituelle. Si le
groupe est chaleureux tant mieux, pour le plaisir !
L’amitié procède d’abord de l’émotion, la fraternité
découle d’abord du devoir. Que la dernière teinte la
première, pourquoi pas ?
Cette fraternité contraignante, comme l’amitié l’est
sur les individus d’un groupe, ouvre la possibilité
pratique de l’adage Un Franc-maçon libre dans une Loge
libre. Nous avons décliné plus haut la liberté de la Loge.
A présent, il convient de concevoir la liberté du Frère, de
la Sœur. Ne pas s’accrocher à une Loge si on ne s’y sent
pas bien, ou si on ne progresse pas. La quitter et tant pis
si l’on est taxé de nomade. L’essentiel c’est la liberté de
la personne.
Cette fraternité, enfin, draine avec elle la notion
d’égalité. Hormis les distinctions entre les offices, les
Frères et les Sœurs, revêtus de décors très sobres, sont
sur le même plan. Bravo pour les robes noires des Sœurs,
les bourgerons de quelques Frères ! L’apparat, c’est
l’appareil. L’appareil c’est l’apparence. Et l’apparence
tue l’authenticité.

89
• Fixer les critères selon lesquels, un Frère, une
Sœur peut accéder au degré suivant. Aujourd’hui, le
brouillard flotte dans la plupart des ateliers ;
l’avancement à l’ancienneté et la gentillesse du Frère, de
la Sœur en question sont les plus fréquents. Avancer dans
la quête spirituelle se mérite. A la différence de la
conception américaine, le franchissement des degrés
réclame efforts et preuves de cet effort. Nous préconisons
une évaluation1 triple : la fraternité démontrée, l’assiduité
et le paiement des cotisations, la qualité du travail de
passage. A ce propos, estimer non pas si l’initié(e) parle
bien2 mais s’il(elle) a mené une véritable introspection
pour ce travail.

Avec les actions, la Franc-maçonnerie actuelle peut se


réformer. Certes elles chamboulent bien des habitudes.
Mais il y a péril en la demeure. N’est-il pas temps de
pourvoir à la sécurité d’abord, au rayonnement ensuite,
d’un Ordre aussi glorieux ? Dans la quête inlassable, seul
et ensemble, d’une spiritualité pour agir ?

1
Ne pas avoir peur du mot puisqu’il traduit la réalité !
2
Attention aux beaux parleurs !

90
L’analyse stratégique de la Franc-maçonnerie
française est terminée. Au bilan, un plan de réforme avec
8 objectifs qui se traduisent en 26 actions. Ce nombre
découle d’un raisonnement clair qui considère que la
Franc-maçonnerie est une organisation avec de grandes
spécificités, une société de pensée originale. Dès l’abord,
un principe est posé : l’Ordre, sans renier l’essence de
son passé, vise à développer chez ses adeptes Une
spiritualité pour agir. Quatre finalités en découlent, qui
servent de référence au choix des objectifs et des actions.
Programme calibré, orienté et précis. Au delà des
incantations habituelles, friandises appréciées des
maçons. La transparence concrète de ce programme
assure-t-elle la réussite de la réforme, la transformation
d’une Maçonnerie assoupie en Maçonnerie libérative ?
Pour faire un pronostic, il convient de se rappeler, en
bref, les forces, faiblesses, opportunités et menaces. Vue
de l’intérieur de l’organisation, la Franc-maçonnerie
convient plutôt bien à ses membres mais on ne peut taire
le nombre de départs qui exprimeraient une
insatisfaction. Elle semble tenir pour une bonne moitié de
ses troupes, une promesse. Pour autant, celles-ci, au fond,
sont solubles dans la fraternité, réduite à la portion
congrue de la convivialité. Ce n’est pas si mal ! Mais sur
cette frontière entre le dedans et le dehors, l’Ordre, s’il ne
réagit pas, risque d’accroître cet avantage qu’est la
convivialité. Risque en effet car, à ce prix, la différence
entre la Maçonnerie et les multiples groupes, sociétés et
clubs imprégnés de convivialité, les habitudes
affectueuses, l’amitié bon enfant, s’efface. La Franc-
maçonnerie risque de se dissoudre dans un nuage de
courtoisie et de gentillesse. Il faut, d’un coup de rein,
réorienter l’Ordre. Sans nier la fraternité, plus voie
princière de la spiritualité que tendresse et caresse
échangées dans un club bourgeois.
A l’heure actuelle, nous hésitons à affirmer que cette
évolution souhaitable est inéluctable. Qui dit programme

91
dit metteur en scène. Sans lui, rien ne se fait bien, en un
temps donné. Or la Franc-maçonnerie ne peut plus, à
notre sens, attendre et lanterner, fière de ses Loges
ronronnantes et agréables à vivre. Si réforme il y a et
nous le souhaitons pour la pérennité de l’Ordre, elle
pourrait se faire sur une période de temps ramassé, plus
proche de la rupture que de l’évolution continue.
Le metteur en scène, qui est-il pour faire changer avec
détermination et précaution l’organisation maçonnique ?
Pour que le rite redevienne le vecteur indispensable,
subtil du déploiement spirituel. Les responsables des
obédiences ne semblent pas, a priori, les réformateurs
présumés d’un système qui les a choisis et les maintient
dans leur pouvoir, souvent fantasmé. Alors qui ? Peut-
être des Frères, des Sœurs à forte carrure qui, dans
l’ombre des Suprêmes Conseils1 sont moins empêtrés par
les élections, par le fonctionnement profane et par
l’administration. Existent-ils aujourd’hui ? Qui sait ?
Mais l’impulsion peut jaillir hors obédience. Par des
Loges qui, chatouillées par le vent du grand large,
voudront prendre leur libre essor. Ou par celles,
indépendantes, qui ne se cognent pas à chaque tenue aux
prescriptions et cornières du règlement. Les bien
nommées « sauvages » qui ont assez d’énergie et de goût
pour les expériences, l’aventure. Ou encore, ces réseaux
de Loges, plutôt distendues qui se méfient des sirènes
administratives.
Paradoxalement, le Centre de l’union ne naîtra pas au
milieu de ce qui existe, dans la tiédeur courtoise des
échanges. Ce centre n’est pas dans la matérialité de
l’organisation ; il est, intangible et puissant, dans
l’épanouissement spirituel de l’être.

1
Ou de leurs équivalents.
TABLE DES MATIÈRES

➊ Quelles finalités vise la Franc-maçonnerie 9

➋ Quelle population correspond-elle à ces


finalités 23

➌ Quels sont les demandes de cette population 35

➍ L’offre actuelle de la Franc-maçonnerie


répond-elle à ces besoins ? 49

➎ Quelles images l’offre maçonnique actuelle


a-t-elle ? 67

➏ Quelle gestion des Loges et des obédiences


cette offre et cette image entraînent-elles ? 76
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(00237) 458 67 00
(00237) 976 61 66
Analyse stratégique
de la Franc-maçonnerie
Depuis toujours, la Franc-maçonnerie a considéré – et considère
toujours – que ses fortes spécificités l’exonèrent d’être analysée
comme toute organisation de grande taille. Car, à n’en pas
douter, ses finalités, sa structure, son fonctionnement relèvent des
approches modernes en ce domaine. Elle a donc grand intérêt, si
elle ne veut pas se fossiliser, à renouveler son regard sur elle-même,
tant au niveau des obédiences que dans chaque Loge en particulier.
Doivent être ainsi convoquées la psychologie, la vie des groupes,
la mythologie et, ce qui détermine l’usage de ces approches, la
stratégie, objet du présent volume.
A ce jour, aucune réflexion stratégique n’anime les Frères,
les Sœurs. Or, celle-ci, à mener, n’est pas si difficile ; c’est
une question de remise en cause et de volonté. Il est judicieux
d’utiliser un modèle reconnu d’analyse stratégique. Le choix s’est
ici porté sur le modèle connu sous le nom de « SWOT » ; soit
en français, « Forces, Faiblesses, Opportunités, Menaces ». Six
points stratégiques sont alors traités avec cette grille : Finalités,
population, demandes, offre actuelle, images, gestion. Et comme
il est difficile d’analyser sans proposer, deux rubriques, à chaque
fois, complètent chaque tableau : Objectifs et Actions.
Ainsi se dessine un panorama de la Franc-maçonnerie,
rationnellement observé et sans concession émotionnelle. A
chacun(e) de pondérer ses choix et d’agir.
Cet ouvrage s’adresse aux Francs-maçons bien sûr, mais
pas seulement. Ceux et celles qui, en entreprise ou ailleurs, ont
pour charge de définir la stratégie : dirigeants, consultants en
management, responsables associatifs, trouveront, ici, un exemple
développé et précis d’analyse stratégique.

Jacques Fontaine, linguiste, expert en formation des


adultes, a été initié il y a 41 ans. Il appartient à deux
obédiences. Consultant, il a été amené à pratiquer,
en grandeur réelle, l’analyse stratégique. A ce
jour, il a écrit une vingtaine de livres. Il s’efforce
d’y promouvoir et de transmettre les approches professionnelles,
supports de l’analyse de la vie et du fonctionnement des
organisations.

™xHSMCTGy131842z ISBN : 978-2-296-13184-2


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