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Le silence, le secret,
le sacré , une trinité
initiatique
Dans l’intérieur des temples, le rite opère une osmose entre le silence
et la conscience de l’initié. Ce qui émane du silence conduit à un
enseignement « secret » venant de l’intérieur. C’est une découverte
de l’espace sacré, dans lequel « plus on descend en soi-même plus on
monte vers la lumière ».
Colonne
sans fin,
par Constantin
Brancusi
(1938).
Une ville, une rue : n’importe lesquelles. La foule est là, affairée,
insouciante, anonyme. Bref, le quotidien ! Chaque individu est en
marche, côtoyant autrui, mais seul, irrémédiablement seul. Même
accompagné, la solitude est là car chaque être humain est unique, donc
seul. Cette foule est brassée par des tintamarres de toutes sortes… les
Le Silence
Après s’être détendu physiquement, biologiquement pourrait-on
dire, le candidat au silence va pouvoir commencer ses premiers
pas dans son Temple intérieur. Le manque d’expérience du début,
inévitable, lui fera rencontrer maintes pensées parasites, simiesques,
qui pourront à la longue le décourager. Mais il sait qu’il doit faire
preuve de ténacité et de persévérance : tous les rituels ne cessent
de le dire, ce qui signifie que ces déboires sont courants. Avec le
temps, une faille va s’entrouvrir, qui conduira à une porte, le
Portail du Silence. Totalement concentré, il va s’enfoncer un peu
plus. Paradoxalement, il faut dire que totalement concentré, dans
ce cas-là, ne signifie en aucun cas tendu, arc-bouté, et en position
de combat, prêt à défoncer les idées adverses. C’est une lutte où
la défaite est assurée, sans autre forme de procès ! Être totalement
concentré c’est, au contraire, rester complètement détendu, muni
d’une calme vigilance et dont le but
est de contourner l’obstacle plutôt que
de l’affronter. Seule, l’expérience du
guerrier pacifique lui fera comprendre
ce que contourner veut dire ! Au fur
et à mesure des ses investigations,
le silence se manifestera, s’ouvrira,
s’évasera, se confiera à lui. Il peut aussi
se transformer en dragon, ou gardien
du seuil et, s’adressant au cherchant,
il le questionnera :
- Qui es-tu, toi, qui viens troubler mon
domaine ?
- Un humble postulant, plongé dans les
Ténèbres !
- Alors, viens !
Hayagriva (gardien de la doctrine dharmapala) et
sa parèdre, cuivre doré et incrusté, fin XVe-début
XVIe siècle, Tibet. Musée Guimet, Paris.
À partir de ce moment, il se
créera une osmose entre le
silence et la conscience de
l’initié, une amitié naissante, un
amour qui, selon la définition
de Saint-Exupéry, fera regarder
dans la même direction. Petit à
petit, le silence va s’épaissir
au point de devenir tactile,
modelable, modulable. L’initié
pourra le malaxer, le pétrir,
le façonner à sa guise. Il le
sentira, le touchera, le verra
même, avec les yeux de l’esprit.
Sans un mot, il lui parlera. Le
profane ne dit-il pas qu’il y
a des silences éloquents ? De
Vue sur le portail d’entrée de l’enceinte du disparate qu’elle était, la pensée
grand temple d’Hathor de Denderah avec un deviendra unique, performante,
sphinx acéphale du dromos.
perforante : elle transpercera
doucement le silence qui se
pliera de bon gré, à la volonté créatrice. D’homme passif qu’il était,
au mental turbulent, le nouvel initié, voyageur vers le centre de lui-
même, découvrira les multiples méandres, les cavernes et quelques
lumières vacillantes, les sources souterraines et apaisantes. Le silence
deviendra une thérapie et guérira, par de multiples onguents, mais
qui n’en font qu’un, certaines plaies que la vie aurait pu aviver. Le
silence, unique, est un compagnon, un médecin, un éveilleur, un
maître, un guide pour une seule direction, celle de l’être intérieur.
Hors du silence, point de salut ! Hors du silence, ce sera l’égarement,
la déroute, le chaos, l’impasse. Il est le passage obligé, l’entonnoir
de la voie du cœur pouvant conduire des profondeurs abyssales
aux sommets himalayens, de l’Hadès à la béatitude. Sur ce fleuve
silencieux, l’initié pilotera la barque pharaonique de sa voie royale.
Le silence lui évitera les écueils possibles, certains, pernicieux.
Compagnon de route, le silence conduira l’initié dans
Le Secret
Si quelqu’un entreprenait la rédaction d’un traité sur le vin et que
ce livre, vu sa performance, sa technicité et sa précision de détails
sur tous les plans, fût une référence en tous points, il lui manquerait
toutefois l’essentiel, intraduisible, incommunicable, indéfinissable :
le goût ! En effet, tant que les papilles gustatives ne seront pas entrées
en contact avec ce produit, il sera impossible au lecteur de s’en faire
une idée précise. Il en est et il en sera toujours de même pour ce
qui émane du silence et qui restera un secret absolu. Le silence,
qui vient d’être défini, conduit par des méandres insoupçonnés à
un enseignement venant de l’intérieur et que l’on pourra nommer
intuition ou inspiration. Cet enseignement se dispense de deux
manières, connues en tout cas : soit par une réponse à une question
posée, soit par une sorte de fulgurance indiquant une voie à suivre,
une chose à faire, un « endroit » intérieur vers lequel se tourner afin de
progresser. Plusieurs grands scientifiques ont avoué avoir découvert,
subitement, ce sur quoi ils avaient travaillé depuis longtemps, ou un
domaine particulier, à créer justement. D’où provient cet excès de
lumière subite, infaillible et, en même temps, correspondant à un
besoin immédiat ? C’est encore un mystère et Socrate n’est plus là
pour nous parler de son daïmon.
Texte du rite de confirmation en hiéroglyphes micmacs (système d’écriture employé par les
Indiens Micmacs, qui peuplent la côte est du Canada). Le texte signifie
« Pourquoi toutes ces différentes étapes sont-elles nécessaires ? ».
intérieur enfoui chez chaque humain sans exception, même s’il n’en
sait rien. C’est la vocation de l’écossisme de lui en faire prendre
conscience. Pour aller au plus court, il suffit d’essayer et de constater.
Oui, de constater ! Et après, mais après seulement, il en pensera ce qu’il
voudra. Tout commentaire ou glose antérieurs, sont non seulement
prématurés, mais stériles. Ils émanent d’un des ennemis farouches
de l’homme, l’ignorance, qui se divise en deux parties : celle qui
relève de ce que l’on ne sait pas, ce qui est normal puisqu’on ne peut
tout savoir ; l’autre, la pire, qui provient de ce que l’on croit savoir !
L’initié-cherchant, imbibé de silence, s’ouvre à ce qui est sa
propre vérité, parcelle de la grande Vérité universelle impossible à
connaître. Proportionnellement à son ouverture de conscience, cette
vérité intime se dévoilera, se révélera, tout doucement, sans bruit ni
tapage, mais comme un liquide bienfaiteur inoculé par une invisible
seringue. Comme au premier jour de la Genèse, il va pouvoir, à
sa mesure, à son échelle, séparer progressivement les ténèbres de
la lumière, afin qu’une nappe blanche l’envahisse peu à peu. Ses
premiers pas se feront à tâtons, par manque d’habitude. Comme
l’apprenti conducteur qui doit simultanément gérer tout ce qu’il y
a à faire lorsqu’il prend place pour la première fois au volant d’un
véhicule, dans cette nouvelle lumière, sans manettes ni pédales,
il faut qu’il s’initie (on s’initie soi-même !) à sa propre conduite, en
même temps qu’à son orientation dans un contexte sans carte ni
boussole. Guidé uniquement par son hiérophante intérieur, dans
le secret de son cœur, ce dernier lui ouvrira, le moment venu, une
porte impalpable, immatérielle, celle de son propre sanctuaire, son
arche d’alliance, où réside
Le Sacré
Écrasé d’humilité, mais distendu dans la lumière, l’initié pénètre
dans son nouveau royaume qui, tout en étant du monde n’est pas de
ce monde. Être humble ne signifie pas se sous-estimer, mais savoir
se situer dans le Cosmos sachant que la vie humaine n’est qu’un
point dans l’éternité. Être distendu dans la lumière signifie que la
conscience s’étire à l’infini et que plus l’humilité sera profonde, plus
la conscience grandira et s’évasera, ouverte à l’intuition qui vient
d’en haut. Un dialogue sans paroles pourra maintenant s’engager et,
de même qu’un voyageur fait confiance à un pilote ou un conducteur
de train pour le transporter à bonne destination, ainsi l’initié se
laissera conduire, en toute confiance, vers des horizons inconnus de
lui jusqu’à présent. C’est le domaine du sacré ! Par ses recherches et