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Une injustice : l'affaire Calas, Voltaire, Le Traité sur La tolérance, 1763

Le 12 octobre 1761, Marc-Antoine Calas, fils aîné d'un commerçant protestant de Toulouse, est trouvé
pendu. Afin de lui éviter le traitement infamant réservé aux suicidés, son père camoufle la mort en crime.
Mais la rumeur publique accuse le père d'avoir lui-même tué son fils pour l'empêcher de se faire
catholique. Jean Calas, le père, est condamné à mort et périt sur la roue, en 1762. Sa veuve obtient du
philosophe Voltaire qu'il plaide leur cause. En 1763, celui-ci écrit le Traité sur La tolérance et obtient du roi
en 1765 la réhabilitation de Calas. Cette erreur judiciaire restera symbolique de l'arbitraire de la Justice
sous l'Ancien Régime

Quelque fanatique de la populace s'écria que Jean Calas avait pendu son propre fils Marc-Antoine. Ce cri,
répété, fut unanime en un moment ; d'autres ajoutèrent que le mort devait le lendemain faire abjuration;
que sa famille et le jeune Lavaisse l'avaient étranglé par haine contre la religion catholique: le moment
d'après on n'en douta plus; toute la ville fut persuadée que c'est un point de religion chez les protestants
qu'un père et une mère doivent assassiner leur fils dès qu'il veut se convertir.

Les esprits une fois émus ne s'arrêtent point. On imagina que les protestants du Languedoc s'étaient
assemblés la veille; qu'ils avaient choisi, à la pluralité des voix, un bourreau de la secte; que le choix était
tombé sur le jeune Lavaisse; que ce jeune homme, en vingt-quatre heures, avait reçu la nouvelle de son
élection, et était arrivé de Bordeaux pour aider Jean Calas, sa femme, et leur fils Pierre, à étrangler un ami,
un fils, un frère.

Il paraissait impossible que Jean Calas, vieillard de soixante-huit ans, qui avait depuis longtemps
les jambes enflées et faibles, eût seul étranglé et pendu un fils âgé de vingt-huit ans, qui était d'une force
au-dessus de l'ordinaire ; il fallait absolument qu'il eût été assisté dans cette exécution par sa femme, par
son fils Pierre Calas, par Lavaisse1 et par la servante. Ils ne s'étaient pas quittés un seul moment le soir de
cette fatale aventure.

Mais cette supposition était encore aussi absurde que l'autre : car comment une servante zélée
catholique aurait- elle pu souffrir que des huguenots2 assassinent un jeune homme élevé par elle pour le
punir d'aimer la religion de cette servante ? Comment Lavaisse serait-il venu exprès de Bordeaux pour
étrangler son ami dont il ignorait la conversion prétendue ? Comment une mère tendre aurait- elle mis les
mains sur son fils ?

Comment tous ensemble auraient-ils pu étrangler un jeune homme aussi robuste qu'eux tous, sans
un combat long et violent, sans des cris affreux qui auraient appelé tout le voisinage, sans des coups
réitérés, sans des meurtrissures, sans des habits déchirés. Il était évident que, si le parricide3 avait pu être
commis, tous les accusés étaient également coupables, parce qu'ils ne s'étaient pas quittés d'un moment ;
il était évident qu'ils ne l'étaient pas ; il était évident que le père seul ne pouvait l'être ; et cependant l'arrêt
condamna ce père seul à expirer sur la roue4. Le motif de l'arrêt était aussi inconcevable que tout le reste.
Les juges qui étaient décidés pour le supplice de Jean Calas persuadèrent aux autres que ce vieillard faible
ne pourrait résister aux tourments5, et qu'il avouerait sous les coups des bourreaux son crime et celui de
ses complices. Ils furent confondus6, quand ce vieillard, en mourant sur la roue, prit Dieu à témoin de son
innocence, et le conjura de pardonner à ses juges.

1. Lavaisse : Ami de la famille


2. Huguenot : protestant
3. Parricide : Meurtre d’un père, d’une mère ou d’un enfant
4. La roue : Supplice où le bourreau utilise une roue de charrette
5. Tourments : torture
6. Confondus : dévoilés, découverts
1. Analysez la nature des témoignages. Ces témoignages sont-ils crédibles ? Pourquoi ?
2. Quels sont les principaux arguments qui permettent à Voltaire d’affirmer l’innocence de Jean Calas et la
culpabilité des juges ?
3. Montrez comment les raisonnements dépendent logiquement les uns des autres dans les paragraphes 1
et 2

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