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Le travail
psychique
de la formation
Entre aliénation et transformation

René Kaes
Catherine Desvignes
G. Gimenez O.Nicolle
B. Guettier M.Pichon
G. Bayle E. Sechaud
P.H ery N.Vander EIst
D. Hirsch

DUNOD
Dessin de couverture :
© Jacques Van den Bussche

© Dunod, Paris, 2011


ISBN 978-2-10-055825-4
LA COLLECTION « INCONSCIENT ET CULTURE »

La collection Inconscient et culture, créée en 1972 par René Kaës et Didier


Anzieu, s’est donné pour ligne éditoriale de publier des ouvrages à
plusieurs voix sur des questions qui font débat dans le champ de la
psychanalyse. Un fil rouge traverse ces questions : il attire l’attention sur
les rapports entre l’espace subjectif organisé par les effets de l’inconscient,
et les espaces du lien intersubjectif, de la culture et des institutions.

Chaque ouvrage rend compte de recherches originales sur un thème précis


et innovant, l’ensemble visant une articulation entre la clinique, la réflexion
méthodologique et l’élaboration théorique. Une caractéristique de la
collection Inconscient et culture est d’accueillir des auteurs chevronnés aux
côtés desquels de plus jeunes exposent leurs recherches.

À ce jour plus de deux-cent soixante auteurs ont contribué à l’édification de


cette entreprise, qui compte plus de cinquante titres, dont vingt-cinq sont
encore au catalogue et témoignent de la vitalité de la collection et de la
longévité de plusieurs ouvrages.

Au fil des années, le profil de chaque livre s’est précisé : chaque volume
rassemble quatre ou cinq auteurs, qui rédigent des chapitres substantiels
d’une cinquantaine de pages chacun. Leurs contributions, coordonnées par
un responsable de l’ouvrage, sont complémentaires ou forment un
contrepoint à l’intérieur du thème principal.

Une table des matières détaillée, une bibliographie soignée, deux index (des
concepts et des noms propres), des mises à jour au fil des retirages et des
rééditions font des ouvrages de cette collection des outils de travail
particulièrement appréciés.
LISTE DES AUTEURS

G ÉRARD BAYLE , psychanalyste (S.P.P).


C ATHERINE D ESVIGNES , psychanalyste (S.P.R.F), membre du
CEFFRAP.
G UY G IMENEZ , psychanalyste de groupes, Maître de Confé-
rences en psychologie et psychopathologie cliniques à l’uni-
versité d’Aix-en-Provence, membre du CEFFRAP.
B LANDINE G UETTIER, psychiatre, psychanalyste (S.P.P),
membre du CEFFRAP.
P HILIPPE H ERY, psychologue clinicien, psychanalyste, psycho-
dramatiste.
D ENIS H IRSCH , psychanalyste (S.P.B), membre du CEFFRAP.
R ENÉ K AËS , psychanalyste, professeur émérite de psycholo-
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

gie et de psychopathologie cliniques à l’université Lyon II,


membre du CEFFRAP.
O LIVIER N ICOLLE , psychanalyste, maître de conférence à
l’université d’Amiens (UPJV), membre du CEFFRAP.
M ARTINE P ICHON , psychanalyste (S.P.P) membre du
CEFFRAP.
É VELYNE S ECHAUD , psychanalyste (A.P.F).
NADINE VANDER E LST, psychanalyste et psychodramatiste à
Bruxelles, membre du CEFFRAP.
TABLE DES MATIÈRES

LISTE DES AUTEURS VII

TABLE DES MATIÈRES IX

AVANT-PROPOS XIII
PAR P HILIPPE H ÉRY

1. Désir de former, formation par le groupe


et transmission de savoirs 1
PAR R ENÉ K AËS
Le désir de former dans un groupe de psychanalystes au
début des années soixante 4
Première période : le métissage entre la
psychosociologie et la psychanalyse, 4 • Seconde
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période : fantasme et formation. Formation du sujet


et intersubjectivité, 8 • Troisième période. Processus
personnel et inscription sociale de la formation, 13
L’expérience psychanalytique de groupe comme dispositif
de formation 15
Le travail psychanalytique dans la cure et dans
le groupe, 16 • Un modèle du groupe, 18 • Les groupes
internes et la groupalité psychique, 19 • Le lien et les
alliances inconscientes, 20 • Le travail psychanalytique
de groupe et le processus de formation, 21 • Quelques
fonctions de l’autre dans le processus de formation : le
X TABLE DES MATIÈRES

formateur et l’accompagnement en position méta , 22 •


La violence de la rencontre dans la formation, 23 •
Formation et/ou psychothérapie ?, 24
Ce qui se transmet dans la formation 24
Le processus de la formation est la formation même, 25 •
Ce qui se transmet est l’à-venir. Reproduire et/ou
transformer, 25 • Ce qui se transmet est une expérience
subjective de l’inconscient, 26 • Ce qui se transmet, c’est
l’institution elle-même, 27 • L’exigence épistémologique
de la formation, 28
Sur la spécificité de la formation à une fonction
psychanalytique 29
Une double expérience du travail psychanalytique, 29 •
L’élaboration des enjeux imaginaires de l’offre et de la
demande de formation, 30 • Du narcissisme et des
narcissismes dans la formation, 32 • Le narcissisme de
mort dans la formation, 34 • Que faire avec les figures
des formateurs ?, 35

2. Destins de la perte, forme(s) et formation 37


PAR O LIVIER N ICOLLE
« In cauda venenum... » 37
Alors ?! en (bonne) forme ?... 40
Déjà tout petit, puis, à l’adolescence... 48
Bildung/training 52
Deuil ou mélancolie dans la formation 54
« Une génération s’en va, une génération s’en vient... » 58

3. De l’assujettissement à la subjectivation dans le travail


psychique groupal 63
PAR B LANDINE G UETTIER
Spécificité du travail psychique en groupe 63
Un exemple : un idéal assujettissant 68
Illustration de l’assujettissement au groupe ou à soi-même 71
TABLE DES MATIÈRES XI

Conclusion 76

4. Du plaisir et de la souffrance dans la formation 79


PAR NADINE VANDER E LST ET G UY G IMENEZ
Introduction 79
Séquences cliniques 80
S’approprier sans transformation : le vol
des manuscrits fondateurs, 81 • Accepter le risque de
(se) perdre dans le processus de transformation, 82 •
Aliénation ou/et subjectivation dans la formation, 84
La transmission : filiation et affiliation 85
Commentaire : filiation et affiliation, 86
Quatre axes de travail sur la formation et la transmission 87
Premier point : la formation a une dimension ludique,
maturante et narcissisante : on apprend et on se forme en
jouant, 88 • Deuxièmement : la formation est une
transformation potentiellement anxiogène et porteuse
de souffrance : on se transforme, on perd et on se perd en
se formant, 89 • Troisièmement : la formation permet
de travailler le complexe fraternel
et de « trouver-créer » des frères et des sœurs, 90 •
Quatrièmement : le travail de l’héritage : se former
c’est hériter et s’approprier un héritage, 91
Conclusion 93
La formation est porteuse de souffrance, 93 • La
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formation est source de plaisir, 94

5. Du groupe au divan fauteuil 95


PAR C ATHERINE D ESVIGNES , G ÉRARD BAYLE , D ENIS H IRSCH ,
M ARTINE P ICHON , É VELYNE S ECHAUD
Les spécificités de l’expérience psychanalytique de groupe
et du psychodrame psychanalytique 96
XII TABLE DES MATIÈRES

Effets de l’expérience groupale et psychodramatique


sur l’écoute analytique dans la cure 99
Intervention psychodramatisée et surmoi analytique
(E. Sechaud), 99 • Apport du psychodrame dans la
pratique de la cure (G. Bayle), 101 • Trauma, pacte
dénégatif et travail de subjectivation dans la cure
(M. Pichon), 102 • Les rêves de séance, entre névrose
de transfert et transmission transgénérationnelle
des traumas (D. Hirsch), 108 • L’agir en séance, la
dramatisation et le surmoi analytique de l’analyste
(C. Desvignes), 113
L’impact de l’expérience du groupe et du psychodrame sur
la formation de l’analyste 115
Conclusion 121

POSTFACE. LA POSITION DU PSYCHANALYSTE


DANS UNE FONCTION DE FORMATEUR 125
PAR R ENÉ K AËS

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES 129

INDEX 135
AVANT-PROPOS
Par Philippe Héry

E N ’ ÉTAIT PAS SANS UNE APPRÉHENSION certaine que le


C CEFFRAP proposait d’organiser à l’automne 2009 un
colloque invitant à remettre sur le métier – était-ce pour une
centième fois ? – cet ouvrage sans cesse à reprendre que repré-
sente toute tentative sérieuse d’une réflexion sur les problé-
matiques fondamentales de la formation, singulièrement dans
les domaines relevant, comme il en est question ici, de la
psychanalyse ! Personne n’ignore à quel point ce problème a pu
être cause, depuis des décennies, de déflagrations violentes dans
le champ psychanalytique, et d’aucuns pouvaient penser qu’il
nous fallait une certaine dose d’inconscience pour, encore une
fois, oser nous aventurer sur ce terrain miné. Mais la formation
est – avec la recherche – un des objets fondamentaux et une
des raisons d’être premières du CEFFRAP depuis ses origines,
voici bientôt cinquante ans déjà, et il nous est apparu que nous
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

ne pouvions ni ne souhaitions faire l’économie d’une mise au


point approfondie sur ce qu’il en est de nos positions, de nos
conceptions et de nos questionnements en la matière.
Nous n’ignorons toujours pas, bien sûr, en prenant dans
l’après-coup l’initiative de la publication écrite d’un tel ouvrage
(de même que nous ne l’ignorions pas lorsque nous organisions
un colloque) qu’une telle exposition – ici forcément partielle
et qui mériterait de plus amples développements – comporte
forcément un risque de confrontation à la critique ou à des
attaques plus ou moins virulentes venant de divers horizons.
Mais nous préférons considérer ce risque comme une chance,
XIV A VANT- PROPOS

et c’est avec la conviction que nous avons tous à gagner à


cette inévitable confrontation que nous nous sommes lancés
dans cette aventure et que nous souhaitons encore et toujours la
poursuivre !
Il ne s’agira nullement pour nous de prétendre offrir ici un
modèle de ce que pourrait être le cursus de formation type
proposé à des cliniciens qui ont pour objectif le travail psy-
chanalytique avec le groupe, le psychodrame ou les institutions :
et en disant cela, je parle ici bien évidemment de praticiens
qui se soucient d’instaurer et de maintenir non seulement une
écoute, mais aussi des modalités d’intervention authentiquement
psychanalytiques, dans l’un ou l’autre de ces trois domaines,
voire dans ces trois domaines à la fois, qui sont ceux que le
CEFFRAP explore prioritairement.
Il s’agira d’autant moins d’offrir un tel modèle – même si nous
sommes tout à fait conscients qu’il n’y a pas d’avancée possible
en la matière sans nécessaire prise en compte de processus de
modélisation – que les membres du CEFFRAP ont toujours fait
preuve d’une extrême vigilance vis-à-vis de toute proposition de
modèles qui se présenteraient comme uniques, qui s’avéreraient
trop rigides et qui s’offriraient à ce qu’il en soit fait trop
rapidement des usages normatifs et aliénants.
Voilà une première position que l’on pourra retrouver de
manière plus ou moins explicite dans quelques-uns des chapitres
de ce livre : position qui a probablement ses limites, et qui peut
être légitimement interrogée ou contestée. Mais il me semble
qu’il y a là une position qui à elle seule viendrait justifier et
légitimer, si besoin était, l’initiative prise par le CEFFRAP de
proposer une réflexion un tant soit peu soutenue sur la formation.
Car reprendre en ce début de XXIe siècle le débat maintes fois
relancé par le passé autour de cette thématique de la formation,
voilà qui revêt un caractère particulièrement vif d’actualité
et d’impérieuse nécessité dans le contexte sociétal que nous
traversons à l’aube de ce siècle. En effet, que ce soit dans le
champ du soin psychique, de la psychothérapie, de la psychiatrie,
etc., ou que ce soit dans le champ de la formation, nous savons
A VANT- PROPOS XV

tous trop bien à quel point nous sommes quotidiennement et


frontalement confrontés à des injonctions contraignantes très
fortes, convergeant toutes vers un même mode de contrôle de
nos pensées et de nos actions : je pense en disant cela à toutes
ces réglementations édictant des protocoles, des procédures, des
modèles ou des normes à respecter, imposant des classifications,
prétendant soumettre à des critères d’évaluation souvent contes-
tables le travail effectué, les soins dispensés ou les formations
délivrées. Avec en arrière-plan des préoccupations d’accrédi-
tation sur fond de considérations normatives, judiciaires ou
franchement sécuritaires. Je ne m’attarderai pas plus longuement
sur ces tendances très lourdes, qui peuvent avoir en partie leur
justification, mais qui viennent à l’heure actuelle surdéterminer
de tout leur poids les modes de pensée et les pratiques des uns
et des autres, risquant trop souvent de les stériliser, voire les
pervertir et les déshumaniser. Tout cela est bien connu de tous.
C’est pourquoi, s’efforçant de se déprendre de cet esprit du
temps, il nous semble urgent de maintenir une réflexion appro-
fondie sur ce qui fait selon nous le vif de la formation, d’une
formation qui soit pleinement du côté du « transformer » (ou :
« se transformer »), plutôt que du côté du « conformer » (ou :
« se conformer »). Et cela même s’il est certainement impossible,
et fort probablement non souhaitable, d’opposer radicalement
ces deux visées, comme si elles ne pouvaient entretenir entre
elles que des rapports d’exclusion réciproques : car s’agissant de
processus de formation, fût-il psychanalytique, la question des
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

« représentations-buts » que l’on peut s’en donner, la question


des finalités que l’on assigne à cette avancée formative, la
question de son achèvement ou de son inachèvement, toutes
ces questions ne se posent pas dans les mêmes termes et avec les
mêmes enjeux que ceux relatifs au processus psychanalytique
proprement dit ou même encore au processus psychothérapique.
Il y a là tout un ensemble de questionnements qui traversent
toutes nos actions de formation au CEFFRAP. Que ce soit plus
généralement dans les groupes de formation ou dans les sessions,
cycles ou séminaires avec psychodrame psychanalytique de
XVI A VANT- PROPOS

groupe que nous proposons dans nos programmes de formation


depuis les origines de notre association. Ou que ce soit plus
spécifiquement encore dans la formation de psychodramatiste
que nous avons décidé d’assurer depuis de longues années
maintenant, et qui, tout au cours de son déroulement, viendra
se nouer et se renouer à cette expérience première de mise au
travail psychique personnel, sans cesse reprise et approfondie
dans les différents dispositifs de groupe et de psychodrame que
le CEFFRAP instaure.
Nous n’avons jusqu’à maintenant, et ce malgré de forts
vents contraires, jamais voulu définir de cursus de formation
pour cette formation de praticiens du psychodrame. Nous nous
sommes toujours refusé à instituer un cursus en prêt-à-porter
qui établirait d’avance le nombre d’années, d’heures, de niveau
d’expérience ou de connaissances qui seraient requis pour se
dire psychodramatiste et être habilité et reconnu comme tel.
Nous avons toujours privilégié et fait porter l’accent sur
la notion de processus de formation, individuel et groupal,
afin de préserver au mieux cette dimension fondamentale –
fabuleuse et fragile à la fois – de mouvement, de changement, de
transformation, de mise au travail incessante et d’appropriation
la plus authentiquement subjective possible de ce qui se trouve
transmis au cours de la formation.
L’absence de cursus prédéfini n’empêche pas, bien au
contraire, l’existence de dispositifs rigoureux et de règles
très précises, constituant le creuset indispensable à l’intérieur
duquel tout ce qu’il y a de fondamentalement processuel dans la
formation va pouvoir se développer et se poursuivre aussi loin
que possible ou souhaité.
Sans entrer dans des détails relatifs aux dispositifs de for-
mation qui ne sont pas l’objet de cette introduction, mais afin
de mettre en perspective les considérations plus théoriques –
qui seront développées tout au cours de cet ouvrage – avec
la pratique formative qui est la nôtre, je mettrai toutefois très
brièvement l’accent sur deux éléments de cadre particulièrement
significatifs de l’esprit qui guide nos actions de formations,
A VANT- PROPOS XVII

et qui représentent pour nous deux piliers essentiels de notre


dispositif de formation de psychodramatiste :
1) Les moments dits de « regroupement », rassemblant deux
fois par an les psychodramatistes en formation avec trois
membres du CEFFRAP. Ce lieu et ce temps offrent la possibilité
d’une perlaboration groupale et institutionnelle des avancées
des uns et des autres dans le processus de formation. C’est aussi
l’occasion d’une reprise collective des points de butée pouvant
éventuellement faire obstacle à la progression des uns ou des
autres, que ces points de butée soient personnels, groupaux, ou
plus structurellement institutionnels, je veux dire par là liés aux
dispositifs de formation eux-mêmes tels qu’ils sont conçus et
proposés par l’institution CEFFRAP.
2) Les entretiens avec un « référent », lieu d’analyse et
de reprise singulière des aléas du processus de formation de
chaque formant avec un des psychanalystes/psychodramatistes
du CEFFRAP, rencontré plusieurs fois par an au cours de toutes
les années que dure cette formation, dont l’aboutissement se
trouvera ponctué par la production d’un écrit présenté oralement
devant trois membres du CEFFRAP.
C’est dans cette mise en tension entre une perlaboration grou-
pale, plurielle, rendue possible par les « regroupements » et une
réflexion singulière menée dans un cadre duel avec le « référent »
que nous nous efforçons de maintenir un cheminement formatif
qui soit le plus authentiquement du côté de la transmission, de
la transformation, de l’appropriation subjective, et non du côté
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

du conformisme et de l’aliénation. Je reviendrai un peu plus tard


sur ces notions essentielles pour nous et qui seront le fil rouge
de cet ouvrage.
C’est donc en lien très étroit avec cette pratique formative
dans le champ de la psychanalyse groupale qu’a germé entre
nous, au CEFFRAP, l’idée de proposer le colloque dont est
issu ce livre (qui n’en constitue pas les actes), colloque et
livre venant marquer une étape dans une recherche collective
toujours en cours. Se reflètent donc là les fruits d’une réflexion
commune qui se garde bien de se constituer en pensée unique
XVIII A VANT- PROPOS

comme on pourra certainement le constater au travers des écrits


qui vont suivre. Cette œuvre commune aurait plutôt à voir,
pour reprendre une expression chère à René Kaës, avec une
polyphonie à laquelle nous accordons quelque vertu, même si
d’aucuns pourront parfois y entendre quelques dissonances.
Mais je reviens sur le titre que nous avons souhaité donner à
cet ouvrage et qui ordonne le fil rouge que je viens d’évoquer :
« Le travail psychique de la formation ». L’accent y est donc
mis très explicitement – au travers de la notion de travail
psychique – sur la dimension essentiellement processuelle de la
démarche formative. Cette dimension est encore rappelée dans
le sous-titre, où insiste la notion de « transformation », notion
qui implique celle de modifications de forme et d’appropriation
d’une forme bien à soi, et qui posera plus particulièrement la
question des remaniements narcissiques à l’œuvre dans ce type
de formation, ainsi que la question de tout le travail psychique
des identifications qui s’y effectue. Sans méconnaître les enjeux
cruciaux de la perte et du deuil que ce travail de transformation
ne manquera pas de convoquer. Avec le risque toujours présent,
au décours de ce long cheminement rarement linéaire, d’une
possible « aliénation » qui viendrait signer un échec regrettable
dans la poursuite du projet formatif. Cette notion d’aliénation
permettra de reprendre, dans toute sa complexité et avec toutes
les nuances qui s’imposent, les questions du conformisme et de
la conformité que j’ai déjà évoquées de manière bien trop rapide
un peu plus haut.
Ce qui aura probablement le mérite de nous inciter à prendre
en compte le risque, inhérent à toute démarche formative, de
se retrouver dans la simple reproduction du même et dans la
production de structurations psychiques en « faux self », comme
nous en connaissons tous, et dont nous savons tous depuis
Winnicott à quel point ce mode d’organisation narcissique
défensive vient marquer un arrêt dans ce qui est processus,
mouvement authentique, dynamique réelle de transformation
et de progression. Nous serons tout particulièrement vigilants à
repérer comment cette problématique peut venir infiltrer, voire
A VANT- PROPOS XIX

pervertir, les dynamiques de transmission, de filiation et d’af-


filiation inhérentes à tout projet formatif. Et quand je parle de
transmission, je vise aussi la délicate question des rapports entre
formation et transmission de savoir que nous ne manquerons pas
de croiser au cours de la réflexion se développant tout au long
de ce livre.
Je ne reprendrai pas ici point par point l’intitulé de chacun
des chapitres qui vont suivre : ce faisant, je craindrais d’être
un peu trop dans un formalisme peu stimulant, pour ne pas
dire dans un conformisme dont je viens de pointer les risques
d’immobilisation qu’il porte toujours en lui.
Je souhaiterais simplement ponctuer cette introduction à
ce qui va suivre en soulignant à quel point nous disposons,
avec le psychodrame psychanalytique de groupe – qui est
l’un des moteurs essentiels de notre mise au travail de pensée
au CEFFRAP – d’un outil extraordinaire d’exploration, de
compréhension et de mobilisation de la vie intrapsychique
consciente et inconsciente dans ses interactions permanentes
avec les mouvements intersubjectifs à l’œuvre dans les groupes.
J’espère que cet ouvrage témoignera de cette vitalité que nous
apporte le psychodrame dans les différentes facettes de notre
travail psychique : ce psychodrame où les effets de surprise et
le plaisir de jouer si souvent rencontrés viennent aiguiser notre
écoute, et réactiver la pulsion épistémophilique des uns et des
autres, celle qui sera particulièrement convoquée ici même d’un
écrit à l’autre !
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

C’est d’ailleurs en partant de cette leçon de vie que nous


donne si souvent le psychodrame, à nous autres psychanalystes,
que nous avons souhaité organiser un débat avec deux invités,
Évelyne Sechaud et Gérard Bayle. Avec eux, venus de l’exté-
rieur, porteurs d’autres pratiques cliniques et d’autres références
théoriques que les nôtres mais solidement ancrées dans le
champ psychanalytique, nous avons souhaité approfondir cet
enseignement que le psychodrame nous délivre, et commencer
à explorer comment, et à quelles conditions, notre expérience
du groupe et du psychodrame peut infléchir notre écoute dans la
XX A VANT- PROPOS

situation clinique individuelle, et notamment dans la cure ? Et


dans quelle mesure cette expérience peut-elle bien participer à
la formation des psychanalystes ? Voilà une piste de réflexion
tout à fait novatrice, quasiment restée inexplorée jusqu’à ce jour
et dans le défrichage de laquelle le CEFFRAP aimerait pouvoir
s’avancer, avec l’intuition très forte que cette piste ne pourra
manquer de s’avérer très fructueuse dans les temps à venir !
Et peut-être permettra-t-elle de fournir des éléments de
réponse à la perplexité teintée de pessimisme de l’un de nos
aînés qui fit un bout de chemin avec le CEFFRAP, dans un
temps passé certes, mais dont il nous a déjà averti lui-même
qu’il est « un temps qui ne passe pas » ? Je veux dire, on l’aura
reconnu, J.-B. Pontalis qui dans son ouvrage Le Songe de
Monomotapa (2009) nous interpelle ainsi :

« ...Si chaque cure est une invention riche en trouvailles, en


surprises, la psychanalyse, cette “jeune science” selon Freud,
est-elle encore inventive ? Transmettre un savoir n’est pas bien
difficile. Faire état de ses interrogations, de ses incertitudes,
pourquoi pas ? C’est plutôt bien vu. Mais transmettre ce qu’on ne
possède pas est une autre affaire ; pourtant cela seul permettrait
aux nouveaux venus d’inventer à leur tour. La fonction de toute
institution est de reproduire du même, du conforme. J’imagine
mal qu’elle puisse favoriser l’invention. »

Espérons que les textes qui vont suivre permettront, à leur


façon, de répondre à cette perplexité et de relever ce défi
de l’inventivité que nous lance Pontalis, en restant toujours
extrêmement attentif à cette affaire tout à fait primordiale qui
est aussi la nôtre, celle de « transmettre ce qu’on ne possède
pas »...
Chapitre 1

DÉSIR DE FORMER,
FORMATION
PAR LE GROUPE
ET TRANSMISSION
DE SAVOIRS
Par René Kaës
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

A FORMATION S ’ INSCRIT dans la raison sociale du CEF-


L FRAP dès sa fondation, en 1962. Elle s’y inscrit comme
un de ses objectifs, comme une dimension de sa tâche primaire.
La « recherche sur les petits groupes » et la « dynamique de la
personnalité » – selon le terme qui évitait alors de parler de psy-
chanalyse – ont été les deux autres dimensions des objectifs du
CEFFRAP : elles ont été pensées dans leur étroite corrélation
avec la visée pratique de la formation. Notre conception de la
formation, celle du groupe et de la « dynamique de la personna-
lité » ont évolué au cours de l’histoire du CEFFRAP, sous l’effet
de la dynamique interne de notre association et sous l’effet du
2 L E TRAVAIL PSYCHIQUE DE LA FORMATION

contexte social et culturel, notamment celui qui a marqué le


mouvement psychanalytique français. Je voudrais brièvement
évoquer cette évolution pour ensuite en développer quelques
aspects.
Au début des années 1960, le groupe a été conçu comme
l’objet et le moyen de ce que nous nommions, d’un concept
encore vague, la formation. L’esprit de l’époque proposait de
comprendre la formation comme un apprentissage, un entraî-
nement, un « training » disait-on sous influence anglo-saxonne.
La formation consistait ainsi à s’entraîner à la connaissance
des « phénomènes de groupe », à apprendre à les « diagnosti-
quer ». Plutôt que d’une formation qui aurait pu viser la dyna-
mique de la personnalité, il s’agissait en fait de mettre en œuvre
un apprentissage en vue de la conduite d’un groupe, par l’expé-
rience de la participation à un groupe. Résistance aux change-
ments, créativité, communication, cohésion du groupe étaient
quelques-uns des concepts majeurs de l’époque. C’étaient là des
concepts et des pratiques inspirés par ceux de la psychologie
sociale d’orientation lewinienne appliquée aux petits groupes et
à la formation. Toutefois, peu à peu, nous découvrions que les
processus psychiques propres au groupe sont efficaces, lorsqu’ils
sont mobilisés dans un dispositif approprié, pour produire des
changements dans la personnalité de ses membres. Il restait à
en comprendre les processus, la nature et les conditions, et pour
cela, nous avons dû changer de paradigme et inventer en quoi
consistaient le travail psychique et le travail psychanalytique
dans les groupes et dans les processus de formation qui s’y
trouvent activés. Ce fut la tâche de la fin des années soixante et
du début de la décennie suivante.
Lorsqu’en 1962 D. Anzieu et quelques autres fondent le
CEFFRAP, ils réunissent des psychanalystes et des psycho-
sociologues pour mettre en œuvre la recherche sur les petits
groupes, la formation et la « dynamique de la personnalité ». La
diversité des origines de ses membres, les différences entre leurs
points de vue a servi un débat fécond ; elle a aussi maintenu
pendant quelques années un compromis pratique, bâtard, entre
D ÉSIR DE FORMER , FORMATION PAR LE GROUPE ET TRANSMISSION... 3

la référence psychosociologique et la poussée épistémologique


(risquée) vers une conception proprement psychanalytique du
groupe et de la formation.
L’alliance sur laquelle étaient fondés nos liens et notre groupe
était en quelque sorte conquérante, structurante : rappelant ce
que fut pour lui cette aventure, D. Anzieu titrait son étude
« Œdipe supposé conquérir le groupe » (1976). Cependant cette
alliance avait aussi tous les traits d’un pacte dénégatif, dont
l’existence même et donc le sens nous échappaient, mais dont les
effets surgissaient dans nos relations comme dans nos pratiques.
Les tensions que ce pacte générait, les compromis intenables qui
se multipliaient, les séparations et les ruptures, l’intense travail
de théorisation feront évoluer le CEFFRAP plus nettement vers
la référence épistémologique, méthodologique et éthique à la
psychanalyse. Le CEFFRAP s’est construit dans cette référence
à partir des questions théorico-pratiques qui s’imposaient à
ses membres dans leurs pratiques et que ne parvenait pas à
résoudre l’approche psychosociologique. Après-coup, nous ne
pouvons que reconnaître combien nos propres résistances à nous
engager dans la voie du travail psychanalytique en situation de
groupe ont été puissantes. Nous devons à notre propre travail
de groupe d’avoir surmonté ces résistances et d’avoir trouvé
dans le dénouement de celles-ci un moteur de notre recherche.
Depuis bientôt cinquante ans, nous nous réunissons chaque mois
et durant quelques journées d’étude annuelles, pour élaborer nos
pratiques, nos concepts et nos propres relations de groupe dans
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

le cadre de notre institution.


Le fil rouge qui s’est entre-tissé dans nos liens et dans nos
associations d’idées au cours de ces dix premières années nous
a conduit à cette conception que le groupe ouvre l’accès à
une expérience de l’inconscient inaccessible autrement, et c’est
précisément cette expérience qui a valeur formative. Mais cet
énoncé est trop général, il ne rend pas compte d’une tension
permanente et dynamique entre deux propositions distinctes
quant aux objectifs de la formation. La première vise essen-
tiellement l’expérience personnelle que chacun peut faire des
4 L E TRAVAIL PSYCHIQUE DE LA FORMATION

processus et des effets de l’inconscient dans un dispositif de


travail psychanalytique en groupe : cette expérience est celle
de sa subjectivité dans la rencontre avec soi-même et avec plus
d’un autre ; par conséquent, cette expérience s’inscrit dans l’in-
tersubjectivité des processus et des formations de l’inconscient.
La seconde proposition met l’accent sur la connaissance des
processus inconscients dont le groupe est le lieu et l’agencement.
Selon la prévalence de l’une de ces visées, nous écoutons
différemment les suites associatives de chaque sujet et celles qui
forment la chaîne associative groupale. Nous recevons et traitons
différemment les transferts et la matière psychique transférée,
nous organisons autrement les processus de transmission de
nos savoirs sur l’inconscient, nous avons d’autres stratégies
interprétatives.
Dans la première partie de ce chapitre, je voudrais exposer,
à travers trois moments de l’histoire du CEFFRAP, quelques
réflexions sur l’évolution de nos conceptions de la formation.
J’essaierai ensuite de dire en quoi les processus psychiques mis
en travail dans le dispositif de groupe produisent, dans certaines
conditions, un effet de formation. Je poursuivrai en interrogeant
ce qui se transmet, se transfère, se répète et s’invente dans le
processus de la formation ainsi conçu. Je terminerai par quelques
réflexions sur la spécificité du travail des psychanalystes lors-
qu’ils assument la formation à une fonction psychanalytique.

L E DÉSIR DE FORMER DANS UN GROUPE DE


PSYCHANALYSTES AU DÉBUT DES ANNÉES
SOIXANTE
Première période : le métissage entre la
psychosociologie et la psychanalyse
De 1962 à la fin des années soixante, notre conception de la
formation s’est superposée avec les objectifs et les méthodes
de l’entraînement au diagnostic des phénomènes de groupe. Le
mot anglais training, venu en l’occurrence d’Amérique du Nord,
D ÉSIR DE FORMER , FORMATION PAR LE GROUPE ET TRANSMISSION... 5

était passé dans le vocabulaire français avec les autres apports du


plan Marshall. Nous proposions un apprentissage, des méthodes
actives, une psychopédagogie, mais nos références étaient le
training-group, ou, en français, « groupe d’entraînement au
diagnostic des phénomènes de groupe ». Ces groupes étaient
conduits par des « moniteurs ». La théorie de la Forme qui
soutenait ces applications était aussi, de fait, une théorie de
la norme. Je veux dire par là que l’objectif de ces groupes était
non seulement d’entraîner à un diagnostic de leurs phénomènes
(leadership, cohésion, tensions et conflits, réseau de commu-
nication, représentation de la tâche, résistance au changement),
mais de travailler sur la « bonne forme », celle qui serait capable
d’engendrer la meilleure synergie entre l’organisation du groupe,
la représentation (consciente) de sa tâche et le réseau de com-
munication entre ses membres1 .
J’ai récemment relu des documents de cette époque, notam-
ment l’annonce de notre premier séminaire de formation en
septembre 1963. Il était intitulé « Séminaire national de psy-
chosociologie dynamique » et l’équipe d’alors l’avait organisé
à partir d’un thème général : « La créativité dans les groupes
et les organisations ». Conférences et tables rondes, groupes
de diagnostic et groupes d’exercice de résolution de problèmes
alternaient chaque jour pendant une semaine. Ces méthodes
de « recherche active », comme nous disions alors (traduisant
l’anglais action research, pratique mise en place par l’Insti-
tut Tavistock de Londres), visaient à placer les participants
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

dans une situation qui en feraient, à terme, des « experts ».


C’est aussi cette qualité qui définissait notre propre identité
dans cette fonction et dans un champ d’application très large :
« l’éducation, l’hygiène mentale et sociale, la psychanalyse, la
vie collective » ! Nous nous adressions explicitement, comme
d’autres associations, à des « responsables », c’est-à-dire à des
personnes en position de devenir elles-mêmes des experts. Nous

1. Sur ce rapport, voir les travaux expérimentaux de C. Flament (1959) sur les
correspondances entre structure du groupe, structure de la tâche et systèmes
de représentation.
6 L E TRAVAIL PSYCHIQUE DE LA FORMATION

étions un groupe sachant expertiser et diagnostiquer s’adressant


à des futurs experts à leur tour capables d’expertiser et de
diagnostiquer. Nous étions loin de ce que nous sommes devenus
aujourd’hui : un groupe de psychanalystes qui s’interrogent sur
leur supposé savoir et sur leurs incertitudes, et qui tentent de
penser le champ transférentiel qui se met en place autour de la
fonction du psychanalyste dans un groupe. Un espace de pensée
– pour penser – a été conçu pour comprendre ce qui se joue dans
cette expérience psychanalytique.
Ce type de formation à « l’expertise » s’est progressivement
modifié autour d’un schéma relativement stable (maintien d’un
thème inducteur du travail en groupe) jusqu’à la fin des années
soixante, c’est-à-dire après 1968.
Au cours de cette période nous avons mis en place des groupes
de libre association et des séances plénières, puis des groupes
de psychodrame. Nous prenions aussi conscience de certaines
fonctions défensives que nous avions sollicitées entre nous et les
participants. Toutefois, les « résistances au changement » qui
s’en suivaient, thème de notre séminaire de 1964, étaient alors
écoutées et commentées dans une perspective psychosociale et
à peine dans un registre psychanalytique.
À peine en effet : alors que prévalait la référence psychoso-
ciale, une autre écoute pointait l’oreille, une écoute psychana-
lytique des « phénomènes de groupe », des transferts et de ses
objets (A. Bejarano) des processus identificatoires (A. Misse-
nard) des angoisses archaïques (D. Anzieu), des représentations
fantasmatiques du groupe (R. Kaës). Toutefois, la plupart du
temps, nous ne faisions qu’appliquer à la situation de groupe
et au groupe lui-même quelques concepts et modèles de la
psychanalyse, avec fruit certainement, mais sans faire la révo-
lution décisive qui nous conduirait à prendre en considération
nos propres mouvements contre-transférentiels, individuels et
induits par les effets de groupe.
Nous avons entrepris ce travail, Anzieu et moi, hors CEF-
FRAP, en 1965-1966 à Aix-en-Provence, Nous vivions alors
au sein de notre propre groupe un double décalage : entre les
D ÉSIR DE FORMER , FORMATION PAR LE GROUPE ET TRANSMISSION... 7

pratiques innovantes portées par quelques-uns d’entre nous et


leur adoption par notre groupe, entre la critique épistémologique
de notre position et l’intégration de cette critique dans la pensée
du CEFFRAP.
J.-B. Pontalis, qui fut membre de notre Association à ses
débuts, fut le premier à défaire ce métissage – ce mauvais tissage,
entre la psychosociologie et la psychanalyse. Il commença à
critiquer l’idéologie de l’intégration aux normes de groupe qui
sous-tendait les pratiques inspirées par les courants lewinien
et morénien. Il introduisit à la même époque (1963) l’idée
décisive que le groupe a une fonction inconsciente et qu’il
opère comme fantasme dans le champ de la psyché individuelle :
pour des psychanalystes, le groupe est avant tout un « objet
d’investissements et de représentations ». Cette idée m’a inspiré,
au milieu des années soixante, dans mes premières recherches
sur les représentations inconscientes du groupe : j’ai poursuivi
l’investigation en montrant comment ces représentations du
groupe sont mobilisées par la mise en situation de groupe et en
quoi elles constituent un élément majeur de la réalité psychique
de groupe. Je pense que c’est une idée de ce type qui m’a conduit
quelques années plus tard à considérer la formation à partir des
investissements et les fantasmes inconscients qu’elle reçoit dans
l’espace interne et dans les processus de formation.
Une autre idée décisive fut proposée par D. Anzieu : il publia
en 1965 un article dans lequel il précisait en quoi consiste
la rupture épistémologique avec la psychologie sociale dans
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

notre approche psychanalytique de la formation par le moyen


des groupes : « Nous ne travaillons pas à former à la “bonne
communication”, mais à l’expérience de ce qui s’engage de nos
désirs inconscients dans le groupe et de ce qui y fait obstacle du
point de vue du moi de chacun. »
Ces textes ont eu un important effet de travail interne parmi les
membres du CEFFRAP. Ils ont aussi accompli une fonction de
communication externe en direction de la communauté psycha-
nalytique : il était opportun, et même nécessaire d’affirmer que
les psychanalystes qui travaillent en dispositif de groupe ne sont
8 L E TRAVAIL PSYCHIQUE DE LA FORMATION

pas des psychosociologues ou, pire, des psychanalystes dévoyés.


En proposant l’analogie du groupe et du rêve Anzieu introduira
une référence décisive aux processus primaires et plus tard, en
1971, le concept fondamental de l’illusion groupale. De mon
côté, tout en développant le modèle de l’appareil psychique grou-
pal, je commençais à travailler sur la fantasmatique inconsciente
qui soutient le désir de former, d’être formé et de se former, la
rencontre formative articulant ces trois positions, active, passive
et réflexive.

Seconde période : fantasme et formation.


Formation du sujet et intersubjectivité
Cette question proprement psychanalytique du désir incons-
cient qui est à l’œuvre dans l’offre de formation et, corrélative-
ment, dans la demande de formation a émergé dans le même
temps que notre « révolution » psychanalytique dans l’approche
des groupes, à la fin des années 1960. Elle a pris corps lorsque
nous avons commencé à travailler sur nos investissements et
sur nos représentations contre-transférentielles et, conjointe-
ment, sur les inductions qu’ils suscitent dans les mouvements
transférentiels des participants. Ces nouvelles approches ont été
étroitement associées à l’avancement de nos théorisations sur le
groupe. Quelques concepts en sont les jalons : j’ai cité l’illusion
groupale, les formations de l’idéal et la position idéologique, les
processus d’identification et de désidentification, la théorie des
organisateurs, et l’analyse des transferts et des intertransferts.
À la question : qui formons-nous, à quoi et par quels moyens,
une autre question s’est formulée en surimpression : qu’en est-il
du désir de former et des fantasmes qui le soutiennent, mais aussi
des défenses qui sont à l’œuvre contre ce désir ? Nous avons
travaillé cette question au CEFFRAP conjointement avec les
propositions d’A. Missenard (1971, 1972) sur les identifications
menacées dans le processus groupal.
D ÉSIR DE FORMER , FORMATION PAR LE GROUPE ET TRANSMISSION... 9

La fantasmatique de la formation
Pour la part qui me revient, je m’étais intéressé de près à
la fantasmatique de la formation. J’avais regroupé sous cette
nomination les organisations de fantasmes qui soutiennent et
organisent les scénarios inconscients de la formation, chez le
formateur et chez les personnes en formation. La structure
et la fonction de ces fantasmes me paraissaient devoir être
analysés dans la mesure où ils définissent des emplacements
subjectifs dans un dispositif psychique de réalisation de désirs
et de traitement des énigmes relatifs à l’origine, à la violence et
à la sexualité.
J’avais repéré une organisation fantasmatique fondamentale
dont l’énoncé le plus adéquat me semblait être : « On (dé)forme
un enfant. » Je trouvais là un modèle d’énonciation qui pouvait
contenir la formule de la fantasmatique de la formation : « On
forme/on déforme un enfant. » On reconnaîtra ici la formule
par laquelle Freud décrit le fantasme de fustigation en 1919 :
« On bat un enfant » dont j’avais relevé et analysé la structure
et les fonctions organisatrice et distributrice d’emplacements
subjectifs dans les groupes. Ce qui m’intéressait dans cette
conception structurale du fantasme – J. Laplanche et J.-B Ponta-
lis en avaient dégagé les principaux traits –, c’était qu’il devenait
lisible comme un scénario à plusieurs personnages, dont les
emplacements sont permutables, dont l’action se développe sur
le mode de la dramatisation des enjeux de désir et de défense et
qui admet un retournement des positions actives et passives du
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

sujet et de l’objet.
La formule « On forme/on déforme un enfant » se déclinait
dans la clinique sous de nombreuse : « on re-forme un enfant »,
« on transforme, on conforme... un enfant », « on séduit un
enfant », etc.
Sur la base de cette structure organisatrice, plusieurs questions
pouvaient être posées : à quelles représentations, à quels affects
et à quels mouvements régressifs renvoie la formation ? à la
formation de l’embryon (la fantasmatique de la formation a alors
pour scène et contenant le ventre maternel) ? à la formation
10 L E TRAVAIL PSYCHIQUE DE LA FORMATION

de l’image de soi (et aux jeux du miroir) ? à la formation de


l’adolescence et à d’autres moments de passage et de crise ?
En déployant cette formule générique de la fantasmatique de
la formation, les articulations de la formation avec la pulsionna-
lité, avec la scène des origines, avec l’incestualité, avec le roman
des origines, avec la filiation et l’affiliation, apparaissaient plus
clairement. Je développais quatre propositions :
La formation mobilise chez le formateur et le sujet en for-
mation le travail des pulsions antagonistes et complémentaires :
des pulsions narcissiques et des pulsions dirigées vers l’objet,
des pulsions de mort (dé-former) et les pulsions de vie (former,
re-former...). Le mythe de Pygmalion transpose parfaitement
les intrications pulsionnelles et leurs conflits à l’œuvre dans la
formation. Il nous dit aussi que former, c’est rêver une forme,
la forme de soi-même et celle de l’autre, la forme de l’autre
réfléchissant la toute-puissance de la forme de soi. Il nous
indique aussi que les fantasmes sexuels sont engagés dans la
formation. Ce désir d’une forme, d’être une forme, est fortement
connecté au désir de remplir une forme, ou d’être rempli par
une forme : que la scène originaire et l’ensemble des fantasmes
originaires soient toujours convoqués dans les groupes et7 dans
le processus de formation en est une indication décisive.
1. Plus largement, le concept de contrat narcissique, mais aussi
la problématique de la séduction narcissique (originaire)
trouvaient dans cette analyse des fondements inconscients
de la formation assez de pertinence pour rendre compte des
effets structurants qu’ils accomplissent dans la formation du
sujet. Ils nous permettaient aussi de penser les effets aliénants
de la formation lorsqu’elle se développe en miroir ou en
emprise.
2. En suivant le modèle que j’avais construit pour le groupe,
je proposais de considérer la formation comme un proces-
sus ancré dans une double scène. D’une part une scène
interne, régie principalement par le fantasme générique de
la formation et ses déclinaisons, et d’autre part une scène
externe, externalisée, celle du groupe dans lequel se déploient,
D ÉSIR DE FORMER , FORMATION PAR LE GROUPE ET TRANSMISSION... 11

s’accordent et s’appareillent dans une rencontre avec l’autre,


avec plus-d’un-autre, des positions subjectives orchestrées
par ce fantasme organisateur. Une des questions à traiter était
la suivante : comment ces deux scènes s’articulent-elles entre
elles ? Autre question : dans ces scènes interférentes, quelles
places occupons-nous et quelles fonctions accomplissons-
nous, lorsque, psychanalystes, nous organisons et soutenons
un dispositif de formation ? À cette seconde question, les
travaux d’A. Missenard sur les identifications et sur le narcis-
sisme (1976) nous ont apporté des contributions importantes.
3. Si la formation implique de rêver la « forme idéale » de soi
et de l’autre, elle confronte aussi formateurs et sujets en
formation aux angoisses persécutoires et dépressives de la
déformation (« On forme/on déforme un enfant ») associées
aux désirs de destruction. Nous sommes alors conduits à
penser la formation dans son rapport à la formation première,
matricielle. C’est ce qu’actualisent les transferts dans le
processus de formation, par les voies de la régression non
seulement vers les formes archaïques du narcissisme et du
moi, mais aussi vers les conflits propres à cette période de
formation qu’est l’adolescence1 . Nous sommes confrontés
à notre propre désir face au désir de la mère, for-matrice
des états internes de l’infans, aux fascinations du miroir
maternel et du moi spéculaire, aux premiers dispositifs de
défense mis en œuvre contre les risques de confusion que
scellent les pactes narcissiques et les jeux de séduction qui
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

l’accompagnent.
Cet investissement narcissique de séduction mutuelle n’est
pas sans lien avec la dimension de l’incestualité dans le lien
de formation. P.-C. Racamier (1991) a défini l’incestuel comme
une relation narcissique associée à un attrait sexuel. Il le décrit
comme ce qui dans la vie psychique individuelle et familiale
« porte l’empreinte de l’inceste non fantasmé, sans qu’en soient

1. Sur la formation comme « réadolescence, cf. R. Kaës, 1973b (reprise en


2000),
12 L E TRAVAIL PSYCHIQUE DE LA FORMATION

nécessairement accomplies les formes génitales ». La catégorie


de l’incestuel fonctionne aussi dans les groupes et dans les
institutions : elle trouve d’une certaine manière sa dimension
habituelle dans les institutions de formation lorsqu’elles se
fondent – le plus souvent sans réalisation génitale – sur la
séduction mutuelle qui lie formateurs et personnes en formation
dans ce miroitement d’une forme parfaite, tenant ensemble dans
une unité imaginaire l’origine et la descendance. Cette conden-
sation du narcissisme et du désir incestueux et de la violence
destructrice qui lui est inhérente est au cœur du fantasme « On
forme/déforme un enfant ».

Rêver la forme
Rêver la forme parfaite, idéale, imaginaire, ou entrer dans le
cauchemar des désagrégations. Le processus de la formation,
pour mettre en œuvre des identifications structurantes et pour
s’engager dans un processus de subjectivation doit buter sur les
interdits et les désillusions maturantes, sur les limites au-delà
desquelles s’ouvrent alors les voies d’accès à la symbolisation,
aux différenciations majeures.
Ces découvertes, on s’en doute, ne furent pas sans susci-
ter entre nous des malaises et des replis. Elles exigèrent un
travail qui ne ménageait ni nos identifications héroïques, ni
nos fantasmes incestueux, ni nos connivences narcissiques. Il
nous fallait penser comment tous ces enjeux pulsionnels et
fantasmatiques de la formation sont mobilisés et mis en travail
dans les dispositifs groupaux que nous mettions en œuvre avec
une visée de formation. Nous prenions aussi la mesure que toute
formation s’inscrit à la fois dans des effets de subjectivation,
dans l’espace de l’intersubjectivité et dans celui des effets de
groupe, par exemple dans l’illusion groupale partagée, ou dans
des contrats narcissiques pathogènes.
Nous partagions cette idée à laquelle le dispositif de groupe
nous confrontait nécessairement : il n’y a pas de formation stric-
tement « individuelle », toute formation est multiréférentielle,
processuelle, conflictuelle, à l’épreuve de la double réalité de la
D ÉSIR DE FORMER , FORMATION PAR LE GROUPE ET TRANSMISSION... 13

tâche (se former à telle tâche, à telle compétence) et de l’autre


(se former avec l’autre, en sa présence, à l’épreuve de l’autre).
Le désir de (se) former est à la fois intime et il est adressé à un
autre, il est mis en œuvre par plus d’un autre.

Troisième période. Processus personnel et


inscription sociale de la formation
Cette conception de la formation en termes de désir incons-
cient d’une forme à trouver, parce que nous la proposions et
qu’elle nous était demandée, nous a fait parcourir ce chemin.
Nous ne savions pas a priori et nous ne savons pas toujours –
dans la rencontre avec l’inconnu, ce que nous proposons et ce
qui nous est demandé. C’est un travail incessant : de cela nous
sommes toujours convaincus.
Il nous fallait encore franchir, dans la crise, une autre étape.
L’accent que nous avions mis sur la fantasmatique inconsciente
de la formation laissait de côté un autre niveau de la réalité
impliquée dans la formation : celui de la réalité sociale, poli-
tique et culturelle, en l’occurrence la dimension institutionnelle
de la formation. Nous nous sommes longtemps éprouvés et
organisés comme un petit groupe permanent, quasiment à l’état
natif, et seulement plus tard comme une institution, instituée
et instituante, inscrite dans le sociétal. Le CEFFRAP est aussi
un cadre institutionnel dans lequel les processus et les enjeux
psychiques de la formation sont intriqués avec les enjeux et
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

les dispositions sociales et économiques de la formation. Les


formateurs et les personnes en formation sont confrontés à ces
niveaux de réalité organisés par une logique différente de celle
des processus inconscients mais liés d’une manière constante et
complexe à la réalité psychique.
Cette nouvelle problématique est apparue plus précisément
lorsque nous nous sommes engagés, dans le long terme, dans un
processus de formation de psychodramatistes. Avec cette entrée
en jeu de l’institution, de la transmission et du long terme, un
autre modèle de la formation a émergé.
14 L E TRAVAIL PSYCHIQUE DE LA FORMATION

L’objet de la formation s’est précisé : la formation est assu-


rément une formation personnelle, fondée sur l’expérience
de l’inconscient dans les espaces et ordres de réalité où se
manifestent ses effets. Mais la formation est aussi formation
à une tâche dans un dispositif spécifique : la formation par le
moyen du groupe à la pratique du psychodrame psychanalytique
de groupe.
Le but visé par le CEFFRAP s’est modifié : il ne s’agissait plus
seulement de rendre possible une expérience de l’inconscient
en situation de groupe, mais de transmettre d’une manière plus
organisée et complexe ce que nous avions acquis dans notre
expérience et dans nos savoirs. Nous avons à réfléchir sur cette
proposition que la formation est un projet qui engage le temps :
le temps des matrices passées, obsolètes ou trop conformes, le
temps actuel de la crise des modèles de formation, mais aussi
le temps de la transmission de l’avenir, d’un à-venir possible
pour le sujet. Je voudrais souligner, de ce point de vue, la valeur
structurante du contrat narcissique, en ce qu’il contient un appel
à une place et à un discours où le sujet n’est pas encore advenu,
où il est appelé à devenir en s’appropriant cette place. J’ai
souvent souligné la violence que la mise en œuvre de ce contrat
recèle, et les modalités qui en permettent le dégagement.
Notre conception de la formation a été mise en débat : à la
formation conçue en termes de cursus, ordonnant a priori un
parcours établi pour tous par l’institution, nous opposions une
formation conçue en termes de processus mettant chacun en
face de son parcours singulier, selon le rythme qui lui est propre.
Dans cette seconde option, des points de passage obligés étaient
indiqués, mais leur ordre et leurs effets étaient élaborés dans
un double dispositif : des rencontres dans un colloque singulier
avec des référents membres du CEFFRAP, un regroupement des
personnes en formation en séances de travail avec les membres
de l’institution CEFFRAP.
L’inscription de cette formation dans le champ social se
caractérise par des procédures fixées par la loi : la soumission
des institutions de formation aux critères légaux d’agrément,
D ÉSIR DE FORMER , FORMATION PAR LE GROUPE ET TRANSMISSION... 15

mais aussi la publicité des critères de validation de la formation.


La formation s’inscrit aussi dans le champ social par la demande
de reconnaissance sociale de la formation elle-même. Les com-
posantes juridiques, économiques et narcissiques sont ici étroi-
tement intriquées et elles appellent un dispositif d’analyse de
leurs effets psychiques. De ce point de vue, la situation du
CEFFRAP est celle de toutes les associations de formation : elle
comporte une zone de conflit avec les objectifs et les modalités
de la formation lorsqu’elle est conçue avec les critères de la
psychanalyse. Le principal conflit se situe dans les interférences
entre l’inscription de la formation dans un projet social et
institutionnel, et donc nécessairement sensible aux normes, aux
valeurs, aux idéaux, à la conformisation, et le but du travail
psychanalytique. En effet, ce projet met précisément en travail,
et quelquefois à vif, ces adhérences normatives (et ces adhésions
conséquentes). Ce sont elles qui captent et qui maintiennent
des processus et des formations de l’inconscient chez les sujets
engagés dans une formation, et entre eux. La spécificité d’une
formation conçue selon les critères de la psychanalyse est
d’ordonner le processus de la formation à l’analyse de ces effets
de l’inconscient, dans tous les espaces où la formation s’effectue
et où cette conflictualité reste à reconnaître et à élaborer.

L’ EXPÉRIENCE PSYCHANALYTIQUE DE GROUPE


COMME DISPOSITIF DE FORMATION
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

Il est temps d’aborder plus directement une autre question : en


quoi l’expérience psychanalytique de groupe agit-elle comme
processus de formation ? Je laisserai de côté ici l’histoire de
la découverte psychanalytique du groupe au CEFFRAP : j’ai
évoqué nos résistances internes, mais il faudrait évoquer aussi
celles des sociétés de psychanalyse à l’égard de notre démarche.
C’est une autre histoire1 .

1. Je l’ai esquissée à plusieurs reprises, notamment dans Les Théories psycha-


nalytiques du groupe (1999)
16 L E TRAVAIL PSYCHIQUE DE LA FORMATION

Je limiterai mon propos à quelques réflexions sur les processus


psychiques mis en travail par le dispositif de groupe lorsque
l’offre et la demande s’organisent autour d’un projet de forma-
tion. J’en rappelle le postulat : la formation est multiréférentielle,
processuelle, conflictuelle, à l’épreuve de la double réalité de la
tâche et de la réalité de l’autre.

Le travail psychanalytique dans la cure et dans


le groupe
Commençons par différencier le travail psychanalytique dans
la cure et dans le dispositif psychanalytique de groupe. Cette dis-
tinction relève autant de l’épistémologie (comment se forme la
connaissance des objets de la psychanalyse et en quoi consistent-
ils ?) que de la pratique psychanalytique (quelle méthode pour
quel objectif ?).
Les concepts classiques de la psychanalyse rendent compte
de la réalité psychique (intrapsychique) d’un sujet singulier,
dans sa structure et dans son histoire. Ils décrivent la matière
psychique interne, ses formations et ses processus inconscients,
son organisation pulsionnelle et ses étayages, les instances et
systèmes d’un espace psychique propre à un sujet singulier, les
effets de subjectivité qu’ils produisent en lui : ses fantasmes, ses
relations d’objet, ses identifications, ses mécanismes de défense,
etc.
Nos concepts changent lorsque l’espace psychanalytique
s’étend à des ensembles intersubjectifs (un couple, une famille,
un groupe) ou transsubjectifs (une institution). En situation de
groupe, nous sommes en présence de plusieurs espaces de la
réalité psychique. J’en distingue trois principaux1 :
• l’espace du sujet singulier. Ce sujet qui n’est pas « l’individu »
interchangeable, le n’importe qui ou l’élément de base du
« collectif ». Ce sujet est sujet de l’inconscient. Il est aussi
sujet du lien et des alliances inconscientes dans le groupe ;

1. La présentation de ce triple espace est développée Dans Le Groupe et le


Sujet du groupe (1993) et reprise dans Les Alliances inconscientes (2009).
D ÉSIR DE FORMER , FORMATION PAR LE GROUPE ET TRANSMISSION... 17

• l’espace du lien, Le lien n’est pas la somme de deux ou


plus de deux individus, ni même de deux ou de plus de
deux sujets : c’est un espace psychique construit de leurs
relations, notamment à travers les alliances inconscientes qui
les organisent. Je préciserai ce point de vue un peu plus loin ;
l’espace du groupe. Le groupe est un agencement des psychés
singulières et des liens entre sujets, et cet agencement de
plusieurs espaces de la réalité psychique confère au groupe une
consistance spécifique.
Deux autres espaces sont en arrière-fond de ces trois espaces
et ils interfèrent avec eux : l’institution et le sociétal. Chacun
de ces deux autres espaces possède une dimension proprement
psychique et des dimensions non psychiques : sociale, juridique,
économique, politique, culturelle, etc.
Sur ces bases, nous avons à penser la réalité psychique de
chacun de ces espaces, les logiques de l’inconscient qui y sont à
l’œuvre. Pour ce qui concerne le groupe, nous avons à penser les
rapports entre l’ensemble, les sujets et les liens qui le constituent
et qui en sont constitués. Pour cela nous devons avoir recours
à des logiques et à des modèles pour penser les continuités
et les interfaces, les discontinuités et les ruptures entre ces
espaces et entre les dimensions de la réalité psychique qui les
traversent1 . Ces modèles sont des représentations rationnelles
et symboliques des processus et des formations de la réalité
psychique, et ils doivent rendre compte de la complexité de
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

ces rapports. Mais notre tâche se complique encore car nous


avons à conjuguer deux types de modèles : un modèle du groupe
qui inclut la position du sujet et de ses liens, et un modèle de
la formation. On aura compris que ces modèles ne demeurent
vivants que s’ils ne se donnent pas comme des exemplarités,
mais comme une démarche d’intelligibilité ajustée à la fois à
la connaissance des processus de groupe, à la singularité des

1. Sur les modèles des logiques collectives de l’inconscient, des groupes et de


l’intersubjectivité, cf. Kaës 2009b.
18 L E TRAVAIL PSYCHIQUE DE LA FORMATION

personnes et au but de la formation. Ils sont modulables et


malléables.

Un modèle du groupe

Quels modèles sont capables de rendre compte, dans le champ


de la psychanalyse, de la réalité psychique propre au groupe ?
Je connais quatre réponses : les trois premières sont celles de
Pichon-Rivière, celle de Bion et celle de Foulkes. Ces trois
modèles classiques sont fondateurs : dans leurs différences, ils
conçoivent le groupe comme une entité. Le quatrième modèle
est celui que j’ai essayé de formuler parce que j’étais saisi par
d’autres questions que celles de mes prédécesseurs, et parce que
je vivais dans un autre contexte de la culture psychanalytique.
Mon modèle, celui de l’appareil psychique groupal (Kaës, 1976),
articule les trois niveaux d’organisation de la réalité psychique
que j’ai distingués, et non seulement le groupe comme ensemble.
J’ai soutenu qu’il n’y a pas seulement collection d’individus,
mais groupe, avec des phénomènes spécifiques, lorsque s’est
opérée entre les individus constituant ce groupe une construction
psychique commune et partagée comportant un niveau indiffé-
rencié et un niveau différencié d’investissements, de relations
d’objet, d’identifications, de mécanismes de défense.
L’appareil psychique groupal est un appareil qui accomplit
un travail psychique particulier : produire et traiter la réalité
psychique de et dans un groupe. C’est un dispositif de liaison
et de transformation des contributions psychiques de ses sujets.
Mais il est irréductible à l’appareil psychique individuel : il n’en
est pas l’extrapolation. Il a ses propres formations et ses propres
processus.
Pour assurer le passage et la transformation entre les psy-
chés individuelles et l’espace intersubjectif groupal l’appareil
psychique groupal comporte des opérateurs spécifiques. Deux
concepts en décrivent les principaux.
D ÉSIR DE FORMER , FORMATION PAR LE GROUPE ET TRANSMISSION... 19

Les groupes internes et la groupalité psychique

Le premier est celui de groupes internes et de groupalité


psychique. De mon point de vue, la groupalité psychique qualifie
une propriété générale de la matière psychique : son associati-
vité. Les groupes internes sont une expression de la groupalité
psychique. La forme, la structure et la fonction de ces groupes
internes sont particulièrement mobilisées dans le processus
groupal : ils sont les organisateurs psychiques inconscients
de l’assemblage des psychés. Les principaux groupes internes
mobilisés dans les groupes sont les fantasmes originaires, les
complexes œdipiens et fraternels, les imagos corporelles et
psychiques, et toutes les configurations d’objets internes obtenus
par les différentes modalités des identifications.
J’ai commenté à plusieurs reprises et sous des angles dif-
férents comment un groupe s’est organisé sur la base d’un
organisateur fantasmatique dont l’énoncé décrit la structure
générique : « Un parent séduit/menace un enfant. »
Un organisateur comme celui-ci a pour fonction de mobiliser,
canaliser, dériver, distribuer et lier l’énergie psychique, les
identifications, les fantasmes et les mécanismes de défense des
membres du groupe. Le groupe et la plupart des participants de
ce groupe s’appareillent sur cet organisateur, puis ils s’agencent
sur un autre, le passage d’un organisateur à un autre constituant
un aspect majeur du processus de travail psychanalytique dans
le groupe. Cette transformation s’effectue à travers des déforma-
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

tions, des déplacements, des condensations et des diffractions


de la matière psychique (1976, 1993, 1994, 2007).
De ce point de vue, l’appareil psychique groupal est un
appareil de formation, de transformation et de liaison de la
réalité psychique entre les sujets constituant le groupe. Il est
aussi l’appareil qui produit, contient, lie, transforme et traite la
réalité psychique spécifique du groupe.
20 L E TRAVAIL PSYCHIQUE DE LA FORMATION

Le lien et les alliances inconscientes


Le second concept qui décrit les opérateurs spécifiques de
l’appareillage est le lien et les alliances inconscientes. Un lien
est ce qui lie ensemble plusieurs sujets dans un ensemble irréduc-
tible à ses sujets constituants. Un lien a sa propre consistance
psychique. Sa logique est aussi celle qui régit les processus
de groupe : une logique des corrélations de subjectivités. Sa
formule pourrait être énoncée de la manière suivante : « Pas
l’un sans l’autre, sans les alliances qui soutiennent leur lien,
sans l’ensemble qui les contient et qu’ils construisent, qui les lie
mutuellement et qui les identifie l’un par rapport à l’autre. »
Cet énoncé implique une logique de la conjonction et de
la disjonction. Il supporte des développements qui décrivent
le lien des aspects opposables. Par exemple sous l’angle de
la différenciation (pas l’un sans l’autre, mais l’un distinct de
l’autre) ou de l’indifférenciation (pas l’un sans l’autre, l’un
incluant l’autre), ou sous d’autres combinaisons qui associent
des équivalents aux séries « différence » ou « non-différence ».
Les alliances inconscientes sont une condition constitutive
du lien, et plus précisément, elles sont une des formations
principales de la réalité psychique des liens qui se nouent entre
plusieurs sujets. Chacun d’entre nous a besoin de l’autre pour
réaliser ceux de ses désirs inconscients qui sont irréalisables
sans l’autre, et réciproquement.
Plusieurs types d’alliances inconscientes sont à distinguer :
certaines sont structurantes (comme le contrat narcissique, l’al-
liance des Frères, l’alliance symbolique avec le Père, le contrat
de renoncement à la réalisation directe des buts pulsionnels) ;
d’autres sont défensives (le pacte dénégatif), et parmi celles-ci
nous avons affaire à des alliances aliénantes et pathologiques
(le déni en commun, le pacte pervers, les alliances narcissiques
incestuelles), d’autres enfin sont offensives.
Je m’arrêterai un instant sur les alliances défensives : leur
but est de maintenir refoulé, rejeté, dénié ou effacé ce qui entre
chacun des sujets d’un lien peut mettre en péril leur lien. Mais
D ÉSIR DE FORMER , FORMATION PAR LE GROUPE ET TRANSMISSION... 21

ce but se double d’autres buts, individuels : les alliances sou-


tiennent ce que chacun, pour son propre compte, doit refouler,
dénier ou rejeter. L’accord qui en résulte est le plus souvent
inconscient et ces accords inconscients sont co-constitutifs
de l’inconscient de chacun. De cette manière, les alliances
inconscientes participent à la structuration de la vie psychique
de chaque sujet, en tant qu’il est sujet de l’inconscient et sujet
de ces alliances. Par structure et par fonction, les alliances
inconscientes sont donc destinées à produire de l’inconscient et
à demeurer inconscientes.

Le travail psychanalytique de groupe et le


processus de formation
Sur la base de cette brève analyse et avec ces concepts,
comment qualifier sur quoi repose l’expérience formatrice dans
l’expérience groupale ? Le groupe met en travail les identifi-
cations, le narcissisme, l’imaginaire en jeu dans la construc-
tion d’un groupe et dans les processus qui conduisent à en
être membre à s’y affilier. Chacun, selon sa structure et son
histoire, est mobilisé, travaillé, transformé dans ces processus
de construction du groupe pour autant que ce sont ces processus
qui ont contribué à sa formation comme sujet de l’inconscient.
C’est pourquoi je pose une équivalence partielle mais décisive,
entre le sujet de l’inconscient et le sujet du groupe.
Un travail psychique est exigé pour participer à l’expérience
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

du groupe : ce travail confronte le sujet avec les conditions


intersubjectives et groupales de sa propre formation en tant
que sujet. Le travail psychanalytique en situation de groupe est
l’invention de nouvelles formes de soi et de nouveaux processus
de son accomplissement.
Ce travail est une découverte, il est aussi marqué de plaisir
mais aussi de souffrance1 . Des traversées douloureuses se pré-
sentent lorsque, dans le processus groupal, nous avons à traiter

1. C’est de cette souffrance que nous parlent N. Vander Elst et G. Gimenez


dans le chapitre 4 de cet ouvrage.
22 L E TRAVAIL PSYCHIQUE DE LA FORMATION

le déliement des idéaux, des identifications aliénantes, du désir


d’emprise, et des alliances inconscientes qui les soutiennent,
dans leur visée de se rendre ou de rendre l’autre « conforme » à
une norme. Dans le parcours de la formation, chacun est saisi par
les figures du Maître et de l’Institution idéale, par les diverses
modalités de l’illusion : individuelle, groupale, institutionnelle.
Le dispositif de travail psychique en groupe est particulière-
ment adéquat pour se dégager du malentendu inhérent à toute
offre et à toute demande de formation. Le travail de la désillusion
est le processus terminal de toute formation. Chacun, seul et avec
les autres, peut alors éprouver quelles résistances majeures se
sont opposées à l’appropriation de son processus de formation,
une fois élaborée la confrontation à l’inconnu qui accompagne
tout changement de forme.
Le travail en groupe est aussi l’occasion de mettre en œuvre
et de travailler les collages identificatoires que l’adhésion aux
idéaux ou aux normes de groupe suscite chez certains sujets.
Chacun peut y faire l’expérience de ce que décrivent dans leur
chapitre N. Vander Elst et G Gimenez : que le groupe sollicite
le désir de s’emparer de quelque chose qui n’est pas à soi, mais
à un autre, que cet autre est objet d’envie et qu’il est aussi objet
constitutif de l’identification, avec le risque de l’identification
en faux-self, si le processus d’introjection des transformations
qu’il implique est insuffisant.

Quelques fonctions de l’autre dans le processus


de formation : le formateur et l’accompagnement
en position méta
Ces questions sur la fonction de l’autre et de plus d’un autre
dans le processus de groupe prennent un sens lorsqu’il s’agit
aussi de penser la fonction de l’autre dans la formation. Il
ne suffit pas de la penser dans les termes de la complexité
des processus d’identification qui soutiennent les figures du
semblable, de l’altérité, de l’idéal et de l’adversaire ou du rival,
comme Freud le précise dans l’introduction de « Psychologie
des masses et analyse du moi ». Il est aussi important de penser
D ÉSIR DE FORMER , FORMATION PAR LE GROUPE ET TRANSMISSION... 23

ensemble une série de fonctions qui vont des fonctions de garant


du dispositif et de conteneur, à celles de soutien aux processus de
croissance et de symbolisation. La position du formateur le situe
entre un « soutenir » et un « lâcher » dont on pourrait dire qu’il
est aussi un laisser « partir ». S’il soutient trop, le formateur
risque d’être intrusif et de faire prévaloir des rapports d’emprise
aliénante. S’il ne soutient pas assez, le formateur conduit les
personnes en formation à s’exposer à des angoisses destructrices
et dépressives dont les voies de dégagement partiel sont l’acting
agressif la dépression ou l’abandon de la formation. La néces-
saire expérience de la solitude, nécessaire à la (re)structuration
du moi qu’implique la formation, ne se confond pas avec la
déréliction.
L’ensemble de ces fonctions définissent la position méta du
formateur et de l’institution en charge d’une formation : la posi-
tion méta est celle qui organise un processus, qui l’accompagne
dans ses transformations successives, qui les reprend dans un
autre niveau, celui de la pensée sur le processus de la formation.

La violence de la rencontre dans la formation


Quelques mots sur les diverses formes de la violence qui tra-
versent le processus de formation et les différents sujets engagés
dans ce processus : former, se former, se transformer confronte
chacun avec un changement de forme et avec l’antagonisme
des pulsions de vie, des pulsions narcissiques et des pulsions
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

destructrices : déformer, se déformer, maintenir en l’état. La


violence associée à l’amour et à la haine de soi se double de
la violence de l’amour et de la haine de l’autre, du (ou) des
formateurs. Elle s’amalgame aussi à la violence de l’emprise,
fantasmée ou réelle, à la violence des assignations spéculaires
fantasmées ou réelles, mais encore à la violence associée à
la reconnaissance ou à la non-reconnaissance (fantasmées ou
réelles) de la formation acquise par la personne en formation.
Une des applications de la fonction méta du formateur et de
l’institution en charge d’une formation est l’aménagement d’un
espace pour penser et intégrer cette violence.
24 L E TRAVAIL PSYCHIQUE DE LA FORMATION

Formation et/ou psychothérapie ?

Dans ce chapitre, j’ai considéré la formation comme un


processus dans lequel se conjuguent plusieurs dimensions de
la réalité psychique et de la réalité sociale. Je n’ai pas encore
abordé une question importante que ne manquent pas de se
poser et de nous poser toutes les personnes qui entreprennent
une formation à la pratique du psychodrame psychanalytique de
groupe : quels sont les rapports de similitude et de différence
entre formation et psychothérapie ? Ni l’offre ni la demande
manifestes ne sont celles d’une psychothérapie, et ne le sont pas
non plus le dispositif et les modalités qui lui sont spécifiques.
Mais dans ce type de formation, nous faisons régulièrement
l’expérience que des effets psychothérapeutiques sont attendus,
qu’ils sont redoutés et qu’ils se produisent. Pontalis écrivait en
1963 que « toute formation suivie, dès l’instant où elle vise
plus que la transmission d’un savoir-faire et prétend s’exer-
cer en profondeur est, de façon plus ou moins explicite, une
psychothérapie ». Une psychothérapie, est-ce à dire que des
transformations s’accomplissent dans la dynamique, la topique
et, dans une certaine mesure, dans l’économie de l’espace
intrapsychique ? Oui, nous pouvons le constater, mais ce sont
là des effets indirects du processus de formation. Et s’ils sont
réels et consistants, s’ils se caractérisent par un dégagement de
formes nouvelles et de nouveaux savoirs – être, ils ne se donnent
pas comme le but d’une psychothérapie. Ils en sont des effets
« de surcroît », qu’ils soient source de processus de création
inattendus ou qu’ils soient occasion de dévoiler des souffrances
qui appelleraient, cette fois, un dispositif psychothérapeutique.

C E QUI SE TRANSMET DANS LA FORMATION


Après avoir travaillé de nombreuses années sur les processus
et les modalités de la transmission de la vie et de la mort
psychiques entre les générations et entre les contemporains, je
reviens sur une dérive de la pensée de la transmission. Celle qui
D ÉSIR DE FORMER , FORMATION PAR LE GROUPE ET TRANSMISSION... 25

ne se manifeste dans le conservatisme, ou dans l’automatisme


ou encore la causalité univoque et linéaire dont ce concept est
souvent chargé. La transmission se pense trop souvent comme
destin, et non comme condition d’une création, d’une expérience
de l’imprévu. Le processus de la formation est au centre de ces
dérives lorsqu’elle est pensée comme une transmission sans
transformation.

Le processus de la formation est la formation


même
Si je résumais mon propos, je dirais que le processus de la
formation est la formation même. Autrement dit la formation
consiste dans le processus sur lequel elle se construit et sur les
effets de capacité (P. Ricœur, 2004) qu’elle engendre : capacité
à conduire un psychodrame psychanalytique, à organiser les
conditions d’une psychothérapie, à élaborer sa propre position
de psychodramatiste, de thérapeute ou de formateur.
Proposer cette perspective, c’est se dégager de la primauté
accordée aux contenus de la formation. Ce n’est en aucun cas
les ignorer ou les négliger, c’est au contraire les inscrire dans
une activité générative qui sollicite les propriétés conjointes du
sujet en formation et celles du dispositif qui met en travail son
projet de formation. Parmi les effets de transformation auxquels
le travail psychanalytique avec les groupes et les institutions
ouvrent un accès remarquable, j’inclus comme capitale l’expé-
rience de ce qui se transfère, se transmet, se répète et s’invente
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

dans la formation.

Ce qui se transmet est l’à-venir.


Reproduire et/ou transformer
La formation, si elle s’ancre dans le passé et dans l’actuel
du sujet, s’inscrit surtout dans un projet qui engage l’avenir :
assurément l’avenir du sujet en formation, mais aussi l’avenir
du formateur, l’avenir de l’institution qui en organise et en
soutient le processus. Ce rapport de la formation à une forme
de soi et de l’autre projetée dans l’à-venir est pensable avec le
26 L E TRAVAIL PSYCHIQUE DE LA FORMATION

concept de contrat narcissique. Considéré du point de vue du


sujet, le contrat narcissique est, dans sa fonction structurante,
un dispositif d’appel à une place et à un discours où le sujet
n’est pas encore advenu, où il est appelé à devenir. À lui de
s’approprier cette place mais à lui aussi de s’en dégager quand
cette place devient une impasse, lorsque le contrat devient un
mandat impératif, lorsque la formation est imposée comme
une transmission sans transformation de formes préétablies,
lorsqu’elle se soumet à l’emprise de l’institution formatrice.

Ce qui se transmet est une expérience subjective


de l’inconscient
Ce qui se transfère dans la situation de formation par le moyen
du groupe ce sont toutes les expériences antérieures du sujet
lorsqu’il s’est trouvé engagé dans un processus de formation :
dans sa famille, et dès les liens premiers, à l’école et dans les
groupes secondaires d’appartenance, dans les institutions qui
ont soutenu suffisamment ou non, son parcours de formation.
La situation de groupe est aussi l’expérience de ce qui, au-delà
de la répétition, peut être inventé ou aménagé dans ce processus
d’appropriation subjective par le travail de l’intersubjectivité.
C’est ce travail qui est mis en mouvement pour donner figure et
contenant de pensée à ce triple rapport : d’une forme passée
et d’une forme à venir, de soi à soi, de soi à l’autre. Cette
expérience est orientée vers la croissance psychique, vers la
reconnaissance de sa propre capacité par soi-même et par un
tiers (Ricœur). Cette expérience est aussi à considérer comme
une tentative de réponse aux diverses modalités du Négatif.
Je suis en accord avec O. Nicolle lorsqu’il écrit1 que la for-
mation est une réponse personnelle à la finitude, au deuil des
formes de soi perdues ; qu’elle est une recherche du possible.
Mais la formation par le moyen du groupe rend possible cette
expérience sur d’autres dimensions que celle de la cure. Elle
la constitue dans l’expérience complexe de l’intersubjectivité

1. Au chapitre 2 de cet ouvrage.


D ÉSIR DE FORMER , FORMATION PAR LE GROUPE ET TRANSMISSION... 27

et des conjonctions de subjectivités, dans l’interrelation entre


les trois espaces psychiques que j’ai distingués. C’est pourquoi
il est important, pour les psychanalystes, de confronter ce que
l’expérience psychanalytique du groupe éclaire quant à l’écoute
en situation de cure individuelle et quant aux espaces psychiques
différents qu’elle met en travail1 .
La formation transmet des formes de soi et des énoncés de
savoir. Elle les transmet dans le transfert, dans l’expérience
de l’inconscient en groupe, avec un psychanalyste. Mais la
formation n’est pas seulement une transmission, elle n’est pas
non plus seulement une appropriation des formes proposées.
Elle est une mise en crise de ces formes et invention de formes
nouvelles, imprévues.

Ce qui se transmet, c’est l’institution elle-même

Ce qui se transmet, c’est aussi l’institution elle-même. Elle


assure son autoconservation par la formation, la permanence
de son fondement et de son patrimoine. Une des fonctions
de l’institution est de conserver et de transmettre les énoncés
fondateurs sur lesquels elle se base et qui rassemblent ses
membres en les identifiants comme tels. Le contrat narcissique
assure cette fonction d’alliance et d’affiliation, au risque de
la reproduction en miroir, de la formation à l’identique et de
ses captations mortifères. On dira alors qu’un processus de
formation devrait mettre en œuvre les conditions pour penser
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

l’impensé de l’institution formatrice. Mais n’est-ce pas ouvrir


la porte de la fabrique, et devant ses gardiens et nos propres
tremblements, la refermer aussitôt pour revenir aux mystères de
l’initiation et au pouvoir des initiateurs ? Ce qui distingue une
formation d’une « initiation », c’est que la première inclut un
travail de pensée sur ce qui l’origine dans une histoire et dans
une ascendance et sur le processus même qui l’a engendrée2 .

1. C’est l’objectif même du chapitre 5 de cet ouvrage : il rend compte des


réflexions de cinq psychanalystes sur cette question.
2. Réponse à une question posée par Ph. Héry, que je remercie
28 L E TRAVAIL PSYCHIQUE DE LA FORMATION

L’exigence épistémologique de la formation

C’est pourquoi la formation, et spécialement dans le champ


des pratiques psychanalytiques, exige que soient mises en œuvre
les conditions d’une connaissance critique de ce qui fonde et
anime l’institution formante dans son projet de formation. Il
s’agit assurément de la connaissance des désirs fondateurs, de
l’origine et de son obscurité, des moments où ceux-ci s’in-
carnent, s’instituent et se réalisent, dans les plaisirs et dans
les conflits. Il s’agit, pour l’institution, de rendre possible
l’historisation de son propre processus : on pourrait alors parler
d’une subjectivation des liens institutionnels. Mais il s’agit aussi,
et au-delà de la part irréductible de l’illusion, de l’appropriation
d’un savoir partagé et de sa fabrication d’un processus d’ap-
propriation et de transmission d’une expérience qui toujours
dépasse l’acquisition d’instruments pour « faire ».
Ce savoir est inscrit dans des textes qui ont eu et peuvent
avoir encore une puissance génératrice de pensées, de processus
de création, de garants. Certains sont obsolètes et doivent être
traités comme des étapes, des traces, des jalons. Ces textes trans-
mettent aussi des certitudes provisoires, recours indispensables
dans toutes les émergences de l’incertitude – et la formation est
coulée dans cette brèche ; mais ce sont aussi des constructions
d’appoint, au mieux des dispositifs d’interlocution. Ce sont
aussi des emblèmes, des marques d’appartenance, de référence,
au pire de révérence : des fétiches, des dogmes, des objets à
s’injecter, à posséder, à voler, dont se revêtir.
La connaissance des processus de fabrication du savoir est la
dimension épistémologique du processus de formation. C’est
aussi un débat avec un fantasme nodal : il importe de ne pas
demeurer sur ce point dans la confusion des origines.
D ÉSIR DE FORMER , FORMATION PAR LE GROUPE ET TRANSMISSION... 29

S UR LA SPÉCIFICITÉ DE LA FORMATION
À UNE FONCTION PSYCHANALYTIQUE
Au terme de ce chapitre, je voudrais reprendre et réélaborer
trois propositions que j’avais formulées il y a quelques années à
propos de la spécificité de la formation à la fonction psychana-
lytique lorsque celle-ci trouve son champ d’application dans le
travail en situation de groupe. J’y ajoute une note sur la position
du psychanalyste lorsqu’il exerce une fonction de formateur.

Une double expérience du travail psychanalytique

J’insistai tout d’abord sur cette exigence aujourd’hui large-


ment admise que cette formation doit être conçue, conduite et
pensée sur la base de l’expérience de la méthode psychanaly-
tique : l’expérience de la cure est indispensable, mais elle ne
suffit pas dès lors que la formation est dispensée en vue de cette
fonction spécifique. L’expérience du travail psychanalytique en
situation de groupe est une seconde condition nécessaire.
Corrélativement, les psychanalystes qui assument une fonc-
tion dans cette formation doivent être en mesure de penser avec
la psychanalyse cette situation, c’est-à-dire : le groupe comme
ensemble psychique distinct de l’individu, les liens qui se nouent
entre eux dans cet ensemble, le sujet de et dans cet ensemble.
Penser avec la psychanalyse ces objets concrets et théoriques
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

ne va pas de soi. Ils ne peuvent pas être pensés seulement à


partir de l’expérience de la cure individuelle ni avec les seuls
concepts de la métapsychologique formée à partir de la cure. Il
est donc indispensable de concevoir comment l’inconscient se
manifeste, s’agence, s’appareille, se noue et produit ses effets
de subjectivité dans cette configuration.
Il est tout aussi nécessaire d’avoir recours aux apports d’autres
disciplines – comme ce fut et c’est encore le cas pour tous les
efforts de théorisation qui ont été entrepris dans l’histoire de
la psychanalyse. En l’occurrence, s’agissant des conceptions
psychanalytiques du groupe, nous savons les emprunts faits de
30 L E TRAVAIL PSYCHIQUE DE LA FORMATION

près ou de loin à la théorie de la Forme et à la théorie du Champ,


aux disciplines de l’ethnologie et de la psychologie sociale, et
d’autres encore. Sous prétexte de sauvegarder une pureté psy-
chanalytique qui n’est rien d’autre que la rétroprojection d’un
roman des origines, ces métissages sont ignorés, la connaissance
de leurs apports dégradée. Un effort est cependant requis pour
comprendre comment ces apports ne « s’appliquent » pas tels
quels à la psychanalyse, mais comment ils sont « naturalisés »
dans la culture psychanalytique, par le travail du bricolage
théorique, si rigoureux soit-il. L’exigence de la théorisation se
crée sans cesse, en fonction de ce qui s’impose à la découverte.
Il me semble que la transmission de cette fabrication de nos
références est une partie essentielle de la formation.
Les psychanalystes qui ont la fonction de former aux pratiques
de groupe doivent aussi être en mesure de penser, de mettre
en œuvre et de transmettre les conditions méthodologiques qui
rendent possible ce travail psychanalytique. Ils ont enfin à penser
les interférences entre le processus individuel et subjectif de la
formation, les effets du travail de groupe dans ce processus et,
dernière dimension aujourd’hui moins négligée, les institutions
qui forment le cadre intermédiaire entre l’espace psychique et
l’espace social.

L’élaboration des enjeux imaginaires de l’offre


et de la demande de formation
Toutes ces questions traversent les chapitres de cet ouvrage.
Dans une étude de 1972 sur le travail psychanalytique dans les
séminaires de formation, j’ai soutenu que l’offre de formation
est ce par quoi l’institution relaie et organise la fantasmatique
qui l’a originée. La formation prend naissance à partir de
l’illusion que l’institution possède un objet réel, celui-là même
que (re)cherche le demandeur : des objets imaginaires perdus ou
abîmés et dont la formation est censée assurer les retrouvailles,
accomplir la réparation, colmater la faille. De ce point de vue,
le travail de formation consiste dans la reconnaissance de cette
D ÉSIR DE FORMER , FORMATION PAR LE GROUPE ET TRANSMISSION... 31

illusion dynamique, créatrice, et dans le travail de la désillusion


que le travail psychanalytique rend possible.
La question est que l’institution est infiltrée par ce double
temps de l’expérience et par les fantasmes qui l’accompagnent,
et que les formateurs en sont eux-mêmes saisis, tant que leur
propre travail n’est pas engagé pour rendre possible la déprise de
leurs illusions mutuellement entretenues. L’analyse intertransfé-
rentielle est le moyen de cette élaboration, elle établit ou rétablit
les garants symboliques nécessaires pour que s’accomplisse le
processus de formation. Ce rétablissement soutient la suspension
de la réalisation des rêves qui sont à l’origine des demandes
comme de l’offre1 .
C’est en effet à suspendre la réalisation immédiate des désirs
(des formateurs et des sujets en formation) et à en analyser le
sens et notamment celui que prend la formation elle-même, que
les formateurs accèdent à l’analyse de leur offre comme à celle
des demandes qui leur sont adressées. Seule cette suspension
de la réalisation des désirs incite à leurs manifestations dans le
transfert, au dévoilement de la fantasmatique qui les soutient et
aux déploiements défensifs qui s’activent dans les situations de
formation.
Si cette suspension critique ne se produisait pas, si le rêve
et l’illusion se logeaient entièrement dans le processus de la
formation, formateurs et sujets en formation seraient les co-
acteurs d’une séduction mutuelle généralisée, et la formation
ne serait qu’un endoctrinement, et à la limite une mystique
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

perverse.
Cette proposition introduite le second point sur lequel je vou-
drais attirer l’attention. Former, avons-nous dit, c’est transmettre
une formation, une forme et un processus. C’est une opération
qui ne s’anime que par les mouvements du transfert et du

1. Dans le chapitre 2 de cet ouvrage, O. Nicolle insiste à juste titre sur la


question de la fin (terminaison et finalité) de la formation. Cette question,
écrit-il, « se fait aussi alors nécessairement l’écho symbolique d’une pro-
blématique inaugurale, demeurée telle, ou insuffisamment maturée : la fin
contient toujours au moins une part d’un retournement de l’origine. »
32 L E TRAVAIL PSYCHIQUE DE LA FORMATION

contre-transfert. Dans la formation à la fonction psychanalytique


appropriée à un travail en situation de groupe, nous sommes de
nouveau confrontés à l’expérience des modalités spécifiques du
transfert et de la résolution de leurs effets sur le formateur, sur le
groupe et sur l’institution. Former, c’est transmettre, mais c’est
aussi créer une nouvelle forme, et cette création implique de
« rêver » la forme avant de s’en défaire, pour lancer la formation
hors de la répétition de l’ancienne.

Du narcissisme et des narcissismes dans la


formation
La formation ne peut s’accomplir que si le traitement des
diverses expressions et modalités du narcissisme a fait l’objet
d’un travail particulier. Cette question est évoquée à plusieurs
reprises dans ce chapitre et dans cet ouvrage. Je voudrais toute-
fois la reprendre d’un point de vue qui a orienté ma réflexion en
ce domaine, en insistant sur le contrat qui règle ces rapports du
narcissisme et des narcissismes dans la relation de formation.
Je partirai une fois encore du contrat narcissique, en rappelant
que P. Castoriadis-Aulagnier a décrit l’investissement narcis-
sique de l’ensemble par chacun des sujets de cet ensemble
(groupe, famille) comme le corrélat – et plus précisément :
la condition de l’investissement narcissique du sujet par l’en-
semble. Cette réciprocité inscrit chacun dans la continuité d’une
transmission de la vie psychique et assure ainsi la continuité
de l’ensemble : les énoncés fondateurs de l’ensemble sont
transmis, repris par chacun des sujets de l’ensemble. Ce que
P. Castoriadis-Aulagnier souligne ici c’est l’aspect trophique et
structurant du narcissisme de vie.
À partir de ce fondement narcissique des liens qui, dans la
formation, lient le sujet à l’institution et celle-ci au sujet, nous
pouvons considérer les vicissitudes de la reconnaissance du
sujet en formation par l’institution et de la reconnaissance de
l’institution par le sujet en formation. Une partie des enjeux de
l’affiliation peut se loger dans ces questions : quel écart peut être
toléré, et jusqu’à quel point, à ce que fonde le contrat narcissique,
D ÉSIR DE FORMER , FORMATION PAR LE GROUPE ET TRANSMISSION... 33

c’est-à-dire l’alliance inconsciente sous-jacente au lien de forma-


tion ? Si, pour une part, la formation est mise en forme d’un sujet
conforme aux énoncés fondateurs et aux conduites identifiantes,
jusqu’à quel point cette visée de la formation peut-elle être
tolérée dans la formation psychanalytique, quelle qu’elle soit ?
Comment assurer la capacité et de l’aptitude des institutions de
formation de reconnaître parmi ceux et celles qu’elles forment
suffisamment de conformité et assez de différence ?
En développant la recherche sur le contrat narcissique, j’ai
mis l’accent sur l’une de ses impasses pathogènes : j’ai appelé
« pacte narcissique » cette configuration de l’alliance incons-
ciente où aucun écart n’est possible entre la position assignée
par le contrat narcissique et l’espace nécessaire au devenir du
sujet. Le pacte ne peut que répéter inlassablement les mêmes
positions. Ce sont là les dérives extrêmes des diverses formes
d’abandon de pensée, de l’aliénation dans l’idéal.
Mais il y a un autre aspect de la reconnaissance, il concerne
la reconnaissance réciproque de la formation par d’autres ins-
titutions que celle qui l’a dispensée et qui s’inscrivent aussi
dans une fonction de formation à la pratique psychanalytique
groupale. Cette deuxième reconnaissance est un point épineux
du narcissisme des petites différences. Nous devons constater
qu’il est difficile d’en débattre.
Ce qui est en jeu dans ce débat est fort complexe. Mais
il existe un point fixe : c’est la difficulté à établir une aire
transitionnelle mutuelle que se consentiraient les différentes
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

institutions de formation qui, alors, pourraient se reconnaître


comme n’étant pas identiques, mais comme n’étant pas non
plus radicalement différentes les unes des autres. Une aire
transitionnelle mutuellement reconnue et allouée pourrait être le
véritable espace psychique d’une formation pluri-référentielle,
condition pour que s’instaure le débat sur les objets que nous
avons en partage, sur ceux qui nous sont propres, mais que nous
savons aussi utiliser pour nous diviser.
34 L E TRAVAIL PSYCHIQUE DE LA FORMATION

Le narcissisme de mort dans la formation


Les années m’ont rendu de plus en plus attentif à une forme
particulière du narcissisme de mort à l’œuvre dans la tâche for-
mative des institutions. Cette modalité est caractérisée – comme
A. Green l’a proposé – par le travail de désobjectalisation, par un
assèchement narcissique de l’investissement de l’objet. Ce reflux
mortifère du narcissisme sur les représentants imaginaires du
moi se produit lorsque l’institution ou le sujet ne parviennent pas
à nouer leurs intérêts narcissiques dans un contrat structurant.
Il existe encore une forme remarquable de ratage narcissique
dans le processus de la formation. Je l’ai nommée « réaction
formative négative » sur le modèle de la réaction thérapeu-
tique négative. Elle pourrait s’exprimer dans deux formules qui
témoignent de l’effet du narcissisme de mort du côté du sujet et
du côté de l’institution.
Du côté du sujet, la formule pourrait être : « Rien ne sera
assez identique à l’objet perdu idéalisé, aucun objet ne peut me
former comme l’objet idéal avec lequel je me tue, et je dénie à
tout formateur, à toute institution formatrice, toute capacité de
me former. » S’engager dans la formation équivaudrait d’une
certaine manière à entreprendre le deuil de l’objet perdu, et à
se perdre comme enfant qui ne peut rien acquérir par l’expé-
rience, car ce serait mettre en péril l’idéalisation de l’enfant
merveilleux.
Du côté de l’institution, la réaction formative négative s’ex-
prime souvent ainsi : « Aucun nouveau membre ne peut se
former à notre image, à l’image de notre idéal avec lequel nous
nous préservons de tout nouvel investissement sur des objets qui
ne seraient pas identiques à nous idéalisés. »
Je pense que nous pourrions reconnaître aisément certains
fonctionnements de chacune de nos propres institutions. Chacun
de nous a été confronté dans son activité de formateur avec
la réaction formative négative, et avec le travail du deuil de
l’enfant merveilleux. Toute entreprise de formation relance la
position de l’enfant merveilleux, toute demande de formation
D ÉSIR DE FORMER , FORMATION PAR LE GROUPE ET TRANSMISSION... 35

nous confronte au maintien de cette position, elle nous confronte


aussi au reproche adressé aux parents de ne pas nous avoir
faits, ou maintenus, dans une forme complète, dans une forme
magnifique, incastrable.
Il y aurait donc encore une autre perspective à dégager : c’est
la confrontation avec l’envie, l’envie destructrice, l’envie asso-
ciée à l’emprise dans la formation, et d’une manière peut-être
plus courante, banale, mais néanmoins forte, à la culpabilité liée
au désir de formation, qui implique d’une certaine manière une
mise à mort des parents et de soi comme enfant idéalisé des
parents idéalisés.

Que faire avec les figures des formateurs ?

Que se passe-t-il lorsque « l’ombre des figures tutélaires pèse


sur la créativité psychique des analystes », comme l’évoque
C. Desvignes à la fin du chapitre 5 de cet ouvrage ? Est-ce
là un des destins de la formation : un deuil impossible, une
incorporation, une conformation ? Assurément, la question a
son poids. Mais s’il est un autre destin (une autre voie) de ces
figures, qui serait d’ouvrir sur la créativité de l’analyste – comme
de toute autre personne engagée dans une formation personnelle
–, n’est-il pas nécessaire, au contraire, que ces ombres demeurent
vivantes pour ceux qui prenant avec eux leur essor puissent
prendre aussi leurs propres risques en se séparant d’elles : celui
de les traduire dans leur propre langage, et quelquefois de les
trahir ?
Chapitre 2

DESTINS DE LA PERTE,
FORME(S) ET FORMATION

Certaines logiques narcissiques de l’entreprise formative


et de ses fins

Par Olivier Nicolle


 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

« I N CAUDA VENENUM ... »


« C’est à la queue qu’est le venin » : l’aphorisme qui, au sens
propre, se dit facilement d’un argument dont les premiers mou-
vements apparaissent plutôt avantageux, alors que le mouvement
négatif est gardé pour la fin, me semble aussi pouvoir s’appliquer
figurativement à certains processus expérientiels. Ceux-ci n’ap-
paraissent investissables aux sujets, ou aux groupes de sujets
concernés, que pour autant que leurs dimensions négatives, ou
appréhendées comme telles, ont pu en être inconsciemment
expurgées (clivage, déni, projection), sembler l’avoir été assez
38 L E TRAVAIL PSYCHIQUE DE LA FORMATION

en tout cas pour être déplacées sur la fin du processus. Tout se


passe comme si le négatif s’y était ainsi retiré, réfugié presque
hors l’entreprise en cours, illusoirement pour que celle-ci puisse
advenir, et être vécue : c’est évidemment de la mort qu’il s’agit,
ce dont la référence au scorpion ne laisse pas douter, d’ailleurs.
C’est donc aussi de la perdition narcissique absolue, dont la mort
constitue pour chacun la figure imaginaire, figure qui s’évoque
dans l’angoisse en chacun, directement ou symboliquement, lors
de chaque crise narcissique.
Cette courte étude empruntera donc comme angle d’approche
de certains des enjeux narcissiques dans la formation la question
de sa fin, qui est aussi celle de ses fins, en tant que cette question
chemine dans le sujet tout au long de son processus, ab origine.
Un fait tout d’abord : dans le paysage si divers de la for-
mation des « psychistes », chacun peut faire cette expérience
de rencontrer des personnes qui apparaissent comme arrêtées
dans leur parcours formatif individuel, comme immobilisées
pendant des années, parfois pour toujours, sujets comme fixés
dans une phase intercurrente de ce processus, et bien souvent
dans un avant-coup de sa dernière étape. Fréquentation du même
séminaire « didactique » pendant deux décennies, deuxième ou
dernière supervision introuvable, ou interminable, ou encore
« non validable », impossibilité d’investir pragmatiquement un
mémoire théorico-clinique « terminal »... mais ce peut être par-
fois aussi un effacement progressif de tout regroupement avant
une disparition complète du paysage institutionnel, quelquefois
la rupture brutale à l’orée d’un dernier cycle annuel d’enseigne-
ment : les modalités de cette position sont nombreuses, sans
être innombrables, mais elles signalent toutes une « fin impos-
sible » ; qu’elle soit retardée indéfiniment, évitée, escamotée,
ou parfois encore rendue impossible par un mouvement groupal
de l’institution formative elle-même, le terme ne sera sans doute
pas atteint, et la fin ne sera pas vécue.
Quant à ces situations, remarquer d’une part que sous divers
repérages cliniques, il s’agit là d’une position inconsciente du
sujet quant à la réalisation de ses ambitions, que cette position
D ESTINS DE LA PERTE , FORME ( S ) ET FORMATION 39

est évidemment à référer entre autres à une défensivité phobique


et/ou inhibitrice dérivant de la névrotisation des conflits de
ce sujet, en lui et dans ses positionnements identificatoires,
est évidemment nécessaire. Questionner par ailleurs la part
inconsciente que chacun de nous est amené à prendre à son insu
dans les enjeux de la problématique groupale de l’institution
formative, comme de toute institution et de tout groupe, apparaît
également incontournable. Incontournable, certes, mais à mon
sens insuffisant. À s’en tenir là, on manquerait une dimension
autre de cette « clinique de la fin », dimension que je tenterai
de dégager au moins un peu dans ce chapitre. Autre dimension
qui m’apparaît interroger certaines logiques narcissiques, indivi-
duelles et groupales, de l’entreprise formative et de ses fins.
C’est que par le biais de ce retard indéfini, cet évitement ou cet
escamotage, il s’agira dans ces configurations cliniques « d’être
celui/celle qui ne connaîtra pas la fin de l’histoire », ou plus
exactement « la fin de sa propre histoire ». Cet investissement
spécifique d’une réalisation inatteignable ou inassumable est
aussi l’investissement d’un objet, ou d’une part d’objet psy-
chique qui perd son terme et ses limites, investissement d’une
durée qui s’immobilise et d’un objet qui devient immuable,
éternel peut-être. Inatteignable désormais et parfois à jamais,
il évoque en tout cas le lien figé à l’objet de la dépression, et
parfois le temps immobile de la mélancolie.
Cette énigmatique « fin impossible1 », maintenant qu’elle
s’impose comme telle, de quoi fait-elle signe quant au processus
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

de la formation en général ? Que symbolise-t-elle dans les pro-


cessus de formation particuliers qui sont ceux des « psychistes »,
c’est-à-dire dans des formations dont la réalité psychique est
l’objet, ou visant certains des aspects de la psyché, chez l’autre
et en soi, comme objet d’un savoir ? Quels enjeux condensent

1. ...que je suis amené à questionner ici pour m’en être trouvé dans le passé
concerné, comme pour l’avoir constatée chez un certain nombre de collègues
de sociétés et de formations psychanalytiques diverses, et aussi bien chez des
personnes engagées dans différentes formations de « psychistes », comme
également dans notre formation de psychodramatistes du CEFFRAP.
40 L E TRAVAIL PSYCHIQUE DE LA FORMATION

cette « fin impossible » quant à la groupalité, nécessairement


convoquée par ce type d’expérience formative : supervisions
collectives, groupes thématiques, groupes de travail, séminaires,
cartels, « promotion », institution formative dans son ensemble,
société, association, fédération etc. ?
La question de la fin est aussi lancinante que la fin elle-même
est universelle... Mais lorsqu’elle devient ainsi une probléma-
tique de la fin, elle se révèle comme un manque à élaborer
les voies de levée d’un obstacle dont le sens reste impensé,
inconnu, inconscient. Elle se fait aussi alors nécessairement
l’écho symbolique d’une problématique inaugurale, demeurée
telle, ou insuffisamment maturée : la fin contient toujours au
moins une part d’un retournement de l’origine. Ici, la fin en
devient le retour, et une voie de la répétition d’enjeux initiaux.
L’origine, en l’occurrence, c’est évidemment l’origine du projet
de formation, mais cette origine-là s’enracine dans les moments
inauguraux de la vie, c’est-à-dire de la formation de cet individu
comme sujet, puis dans l’adolescence, quand cet individu est
devenu pour la première fois sujet de sa formation. Cette problé-
matique de la fin évoque donc celle de la demande formative, la
problématique des attentes initiales, et donc celle de leur perte
nécessaire, devenue possible, ou, pour ce qui nous importe dans
cette étude, impossible à assumer. Problématique de la fin qui
met aussi à la question ce que sont essentiellement les objets
de la formation, ce que sont les liens à ces objets, ce que sont
les liens aux autres investis dans un semblable projet, objets et
liens tels que les modalités de leur fin ne puissent être vécues,
par aucun de nous, sans crise. Mais tels aussi que pour certains
d’entre nous, ces objets, et ces divers liens, ne puissent être
l’objet d’une perte vécue, et du travail psychique de cette perte.

A LORS ?! EN ( BONNE ) FORME ?...


À partir de cette arête, on pourrait proposer diverses formula-
tions de cette question, confluentes et susceptibles de nous aider
à la penser. Par exemple, et puisqu’on vient d’évoquer les objets
D ESTINS DE LA PERTE , FORME ( S ) ET FORMATION 41

de la formation : de la « forme » de quel(s) objet(s) s’agit-il dans


« la formation » ? Et s’agissant de la/ma « formation », s’agit-il
de la formation de « moi », de la formation de soi, du « Soi » ?
Ou, pour reprendre ici un style qui déjà fait flores sous plusieurs
plumes : analytiquement, de quoi « formation » (et « forme »)
sont-elles les noms ?
Pour situer ces interrogations et avancer quelques proposi-
tions, je ne vois pas de meilleure voie que de revenir d’abord
un moment, ne serait-ce que pour me contenter de les ébaucher,
sur les champs lexical et sémantique où se déploient forme et
formation, et pour rappeler, brièvement, certains au moins des
éléments « généalogiques » de nos notions et des pensées qui
s’y amarrent, éléments d’un héritage que nous essayons à la fois
de conquérir et de réaliser, fut-ce en le transformant (toujours) et
en le dépassant (parfois, rarement). Un instant, forcément bien
trop court, trop allusif en considération de l’immense matière
concernée, il s’agira d’évoquer une problématique proprement
« épistémique » de la forme : j’entends par là une probléma-
tique du savoir, et de la construction d’un champ de savoir où
s’articulent des objets de savoir et des pratiques cohérentes ; la
forme comme objet de connaissance, et la forme de l’objet de
connaissance.
Dans un deuxième mouvement, au-delà d’une dialectique
possible des notions de Bildung/training désignant l’entreprise
formative proprement psychanalytique, je chercherai à éclaircir,
dans la formation des « psychistes », certaines potentialités du
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

projet formatif, quant au demandeur et quant au groupe des


formateurs (l’institution formative). Il s’agira là évidemment de
dynamiques narcissiques individuelles et groupales mobilisées
par les objets (épistémiques, entre autres) idéalisés, et par les
enjeux de leurs mutations à mesure que le « projet formatif
d’origine » du sujet tend à se perdre, possiblement à travers une
trans-formation, ce qui en est à mon sens une nécessité logique,
pour autant qu’il y ait processus et pas seulement programme.
Quelques repères : la « forme », nous l’héritons du mot latin
forma, et notre « formation », de formatio, c’est-à-dire du verbe
42 L E TRAVAIL PSYCHIQUE DE LA FORMATION

de même radical formare. Forma, ce sont en fait deux choses,


un effet et sa cause. C’est d’abord la configuration sensible d’un
objet, et en cela même que ce contour témoigne de son origine ;
c’est en même temps un objet qui est à l’origine d’une série
d’autres objets, qui les configure : un modèle, donc, un moule
à gâteaux ou à fromage, une forme de cordonnier, le cadre ou
la monture d’un tableau. Puis aussi une image, une figure, voire
une structure : un type de société ou de savoir, les figures ou
schèmes de pensée et du discours. Et forma, dans sa nébuleuse
sémantique d’origine présente déjà les valences esthétiques
tendant vers l’idéal (mais donc aussi vers sa déception...) bien
à l’œuvre dans nos « forme » et « formation ». Forma, c’est en
effet aussi la bonne et belle forme, la beauté. Une belle femme
est formosa. Forma sera donc aussi la symétrie, l’harmonie
réussie, ainsi que le type originaire et idéal d’une série, son
« Idée » au sens platonicien. Mais forma c’est aussi l’emprunt,
voire l’usurpation d’une telle belle forme, dès lors une bonne
forme feinte, fausse de fait, ce que rendra le doublet français
« frime ». Le verbe formare, « former » signifiera donc donner
une forme, créer, produire, mais aussi ramener au type idéal,
conformer, voire donc aussi : déguiser. Formare c’est encore
organiser, instruire mais aussi modeler, dresser, régler les études,
façonner les esprits, et même : arranger une armée. Ces valences
collectives, du coup aussi politiques et stratégiques du nuage
sémantique de formare/formatio, nous en héritons à travers les
divers sens de notre mot « formation », qui désigne aussi bien un
processus que l’effet (collectif) résultant d’un processus : si une
« formation au combat » n’est pas une « formation de combat »
ou « de combattants », si une « formation à l’orchestre » n’est
pas une « formation orchestrale », on ne devrait pas se priver de
s’interroger, même avec un grain de sel, quant à l’impensé d’ex-
pressions telles que notre « formation de psychodramatistes »,
ou que « la formation psychanalytique ». Et dans le mouvement
psychanalytique comme dans d’autres et jusqu’à nos jours,
combien de fois avons-nous été les témoins, les acteurs ou
les héritiers de figurations et de configurations ambiguës de
la « formation », quand certaines dynamiques narcissiques des
D ESTINS DE LA PERTE , FORME ( S ) ET FORMATION 43

individus groupés investissent la pulsion d’emprise, muant les


liens formatifs en projets et stratégies politiques, autorisant les
petites tactiques et les grandes violences, souvent mortifères à
divers titres.
Et par ailleurs, sans être un Urwort, un « vocable originaire »
au sens freudien, former/formation se développe en de multiples
composés dont certains présentent précisément des sens logique-
ment opposés : ainsi « informer » signifiera donner une forme
première, mais précisément la donner à ce qui n’en a pas encore,
à ce qui est « informe » ; « réformer » signifie tantôt donner une
forme nouvelle, tantôt à l’inverse renvoyer à la forme ancienne,
des soldats ou des matériels par exemple.
Nous ne sommes dès lors pas surpris de ce que, sous-jacente
à la problématique de la formation, nous trouvions une pro-
blématique plus fondamentale, celle de la Forme comme objet
épistémique. C’est une problématique du sujet connaissant. Elle-
même exprime et symbolise (métaphore et métonymie) la pro-
blématique de la Forme comme objet intra- et inter-psychique,
et comme fonction même du sujet existant1 .
Quelques jalons : à l’instar d’autres (sujet/objet, esthé-
tique/éthique, raison/révélation), la question proprement
épistémique de la Forme, comme objet et comme moyen
du savoir, parcourt la pensée occidentale à partir de ses deux
origines – Athènes et Jérusalem – et elle constitue l’un de
ses axes structurants, partant l’une de ses problématiques
rémanentes, presque toujours organisée autour de couples
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

ou de séries de couples, éventuellement dialectisables. Ici,


on est aux prises avec la doxa, dont il s’agira de se dégager,
pour déterminer ce qui fut l’arkhè, l’origine chronologique
et logique des objets du monde tels que nous en pouvons
disposer. Est-ce un Eidos, une Figure ou forme originaire
au sens platonicien, une Idée idéale imprimée et répétée

1. Je ne fais ici qu’allusion à la rencontre complexe entre psychanalyse et


phénoménologie (E. Husserl, M. Heidegger, L. Binswanger), et à ses acquis,
rencontre qui se pense notamment au fil des échanges entre S. Freud et L.
Binswanger. ainsi que dans l’œuvre conclusive de ce dernier.
44 L E TRAVAIL PSYCHIQUE DE LA FORMATION

dans la présence même de l’objet perçu, et que l’effort de


la pensée permettrait de retrouver ? Est-ce une Hylè, une
matière originaire unique, qui demeure et va éternellement en
se différenciant par transformations successives sous toutes
les formes que nous pouvons connaître, transformations dont
l’effort de pensée doit révéler les diverses causalités ? Là, à
partir d’un tohu-bohu (état informe, et vide de sens) d’avant le
temps, un Dieu qui restera à jamais irreprésentable crée par une
parole toute-puissante la différenciation de toutes les formes
sensibles du monde, parole instaurant pour l’homme un ethos
de différenciation des « formes vraies », fondé sur le langage,
le sens et la loi, et la prohibition des formes séductrices et
trompeuses, qu’on désignera en Occident par eidolon, l’idole.
On connaît les différents destins des platonismes et de l’aris-
totélisme, les multiples croisements des traditions classiques
et orientales dans le monde hellénistique puis romain, le sur-
gissement de la religion de l’Incarnation, puis l’organisation
progressive de la pensée chrétienne, la richesse de ses théologies
et de ses mystiques, les premières retrouvailles des problé-
matiques classiques à travers la philosophie scolastique, les
deuxièmes retrouvailles avec les langues et les textes originaires,
classiques et bibliques, lors de la Renaissance, laquelle ouvrira
le chemin des philosophies des Lumières dans les différentes
aires culturelles européennes, puis occidentales. À l’orée du
monde que nous connaissons, Descartes puis Kant (avec les
« formes a priori de la sensibilité ») posent les bases d’une
épistémologie qui révoque progressivement toute métaphysique,
mais ouvre la porte à l’ambition d’une psychologie scientifique.
On pourrait avancer que cette – ou plutôt – ces psychologies,
pour autant qu’on puisse viser à les subsumer sous une défi-
nition, se posent comme objet (qu’il soit objectivé, réflexif ou
intersubjectif) la connaissance et la spécification des formes
de la subjectivité et de lois qui l’ordonneraient. C’est là que
S. Freud les trouve, et l’on se rappelle du destin qui fut celui
de « L’Esquisse », moment d’une rupture épistémologique que
nous sommes encore à élaborer. Tant qu’à mener cette évocation
trop allusive jusqu’à notre temps, comment ne pas mentionner,
D ESTINS DE LA PERTE , FORME ( S ) ET FORMATION 45

entre tant d’autres et chacune en leur propre champ, l’immense


entreprise de clarification de formes existentielles fondamentales
mené par la phénoménologie, comme par ailleurs la psychologie
de la Gestalt, celle de la « bonne forme » ?
Forme et matière, forme et substance, forme et contenu, forme
et figure, forme et fond, forme et structure... mais aussi forme
et sens, forme « belle » ou « vraie » ou « bonne » forme : au
cours de cette longue histoire, qui à certains égards est une
longue « quête des formes », il s’agira que, par de multiples
relations et mises en rapport, les formes se dégagent et que leur
mise en perspective ait un effet de vérité, et de connaissance.
Cette quête épistémique se dédouble à son tour : elle est d’une
part celle de la forme originaire (de soi et/ou du monde, de
l’objet), forme originaire et originairement perdue, qu’il s’agirait
de retrouver, ou de reconstruire – elle est d’autre part celle de
la forme vraie, de la « forme bonne » parce qu’idéale : de soi,
de l’autre, du monde où l’on est lié à l’autre et à des autres,
forme précaire qu’il s’agirait de réaliser, et à tout le moins de
confirmer, parfaire, conserver. Cette problématique proprement
épistémique de la forme peut aussi être retracée comme un
lancinant souci : souci nostalgique qu’après qu’une perte sans
doute irrémédiable l’ait fait disparaître, la forme originaire soit
devenue à jamais introuvable, inconnaissable et ne puisse plus
être restituée – souci inquiet de la menace que l’incertitude
et les limites de la réalité actuelle ne corrompent, n’altèrent
ni ne perdent « la bonne forme » de soi et/ou de l’objet grâce
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

à laquelle le sujet connaissant s’assure, et à laquelle le lien


épistémique peut l’arrimer.
Et c’est bien là que cette problématique proprement épis-
témique de la Forme se révèle à nous le plus évidemment
comme une expression et une symbolisation de la problématique
fondamentalement psychique de la Forme. La Forme et sa
problématique y apparaissent comme le champ représentatif
des processus d’appropriation/désappropriation caractéristiques
du travail psychique de la dépressivité, et de ses ombres et
lumières portées sur le narcissisme du sujet, et du coup sur
46 L E TRAVAIL PSYCHIQUE DE LA FORMATION

la mobilisation ou l’immobilisation de ses investissements. Et


là aussi en deux mouvements : d’une part celui de l’angoisse
de la perte de l’objet actuel, qui si elle advenait ne manquerait
pas d’apparaître comme une nouvelle occurrence de la perte
originaire, celle de l’objet primaire ou d’un de ses aspects, avec
ses effets de dérobement de la forme de soi. Celui, d’autre part,
de la dépendance narcissique et de l’arrimage spéculaire à l’objet
idéalisé actuel, avec ses dimensions identificatoires d’assurance
de la forme de soi.
Ce qui s’appréhende alors comme coalescence entre la problé-
matique proprement épistémique de la Forme et la processualité
psychique fondatrice du sujet unifié, celle de la forme du soi,
désigne ainsi la prégnance des intérêts narcissiques (et particu-
lièrement phalliques narcissiques) du sujet dans les mouvements
de connaissance qu’il initie, dans les liens qu’il construit avec
les objets de savoir, et avec les autres sujets groupés auxquels
il se lie à l’occasion du tissage de ces liens épistémiques. Le
mot de « prégnance », s’il est choisi ici pour être descriptif,
reste sans doute pourtant en deçà de ce qui est au fond en cause
dans l’entreprise formative, et c’est bien en considérant cela
que je rejoins R. Kaës, pour qui « la formation transmet des
formes de soi et des énoncés de savoir1 ». Cette « transmission
de formes de soi », et donc la demande à laquelle les formateurs
et l’institution formative répondent par un dispositif formatif,
m’apparaissent dès lors revêtir des enjeux fondamentaux : entre
subjectivation et assujettissement. Enjeux assez fondateurs pour
que la fantasmatique de l’aboutissement, de la fin et des fins de la
formation convoque dans ses replis la naissance et la renaissance
(ou deuxième naissance : palingenèse), la reconnaissance, la vie,
la mort et le meurtre.
Car la forme qui chez le sujet se trouve tantôt confirmée,
tantôt appauvrie ou en perdition de par les vicissitudes du lien
internalisé à un objet de « bonne forme » voire de « forme
idéale », c’est bien en effet la « forme de soi » idéalisée telle

1. Cf. R. Kaës, supra.


D ESTINS DE LA PERTE , FORME ( S ) ET FORMATION 47

que le moi la perçoit, c’est-à-dire aussi la valence narcissique


trophique dans le sujet telle qu’elle est sédimentée et condi-
tionnée par les constituants identificatoires du moi, selon le
mot de Freud projetée « en avant de soi », celle dont l’objet
idéalisé en tout ou partie atteste, et qu’il propose spéculairement.
Ce qu’annoncerait la perte de cette « bonne forme », c’est la
déréliction dépressive, et si cette perte s’avérait définitive, alors
au fond la mort, et c’est bien là la pointe mélancolique de cette
problématique.
C’est d’ailleurs dans la détresse narcissique angoissant chacun
de nous, en même temps que comme un gage de l’ambivalence
attestant que certaines pertes pourraient n’être que relatives, et
donc réparables, que s’ancre le fait que la problématique psy-
chique de la Forme est aussi, et entre autres, une problématique
de la multiplicité des formes où elle peut se représenter. Mul-
tiplicité, c’est-à-dire variabilité anthropologique, et mutabilité
au cours de la vie d’un sujet. Ne pas oublier ici que forma
est en latin la métathèse (c’est-à-dire le retournement) du grec
morphè : le Morphée même dans les bras duquel on s’endort ;
puisque Morphée, le premier des mille fils d’Oneiros, le Songe,
Morphée donc, est ainsi nommé parce qu’il peut prendre toutes
les formes « rêvables ». Notons le ici en passant : on pourrait
interroger le rapport sommeil-rêve en tant qu’il est, ici encore, la
poursuite nocturne de la dialectique entre désirs et narcissisme.
Le principe selon lequel « le rêve est le gardien du sommeil »
rend alors ici compte de ce que l’expérience onirique, dans sa
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

toute-puissance hallucinatoire, construit et propose les multiples


formes nouvelles susceptibles d’héberger une idéalité que le
dérobement ou la déception d’un objet précédent a rendue
douteuse, réparant ainsi l’Enfant-roi merveilleux qui veille au
creux de chaque rêveur. En quoi je retrouverai ici par d’autres
voies, mythiques, et du point de vue du sujet en qui se lève un
désir de se former, du « formand » donc, une autre formulation
48 L E TRAVAIL PSYCHIQUE DE LA FORMATION

de R. Kaës : « Former c’est rêver la forme idéale1 . » Former, et


se former.
À cette étape, on peut donc proposer de la formation la
définition temporaire suivante : la « formation » est le nom
du travail psychique, transformatif quant à la forme du soi,
qu’entreprend le moi, et qui le traverse en ce sens qu’il remanie
des liens à des objets, à des idéaux et à des identifications
narcissiques. Ce processus, pour autant qu’il puisse trouver
et atteindre son terme, comprend une grande part de deuils et
d’appropriations, et, projetée comme une réparation narcissique,
la formation est toujours, au moins un peu, un travail de la perte.
On y reviendra plus bas.

D ÉJÀ TOUT PETIT, PUIS, À L’ ADOLESCENCE ...


Que, comme on l’a écrit plus haut, la problématique psychique
de la formation, et bien sûr de sa fin, renvoie à l’origine du
projet de formation, et que cette origine-là s’enracine elle-même
dans les moments inauguraux de la vie, c’est-à-dire de la
formation de cet individu comme sujet, puis dans l’adolescence,
quand cet individu est devenu pour la première fois sujet de
sa formation, voilà qui apparaît encore plus évidemment dès
lors qu’il s’agit particulièrement des logiques narcissiques de
l’entreprise formative.
Freud situe la fondation du narcissisme primaire d’un sujet
dans le champ de la projection par les parents sur « Sa Majesté
le Bébé » des fantasmes de réalisation de leur propre illusion
narcissique, soit aussi de ceux d’une réparation de la désillusion
en cours de leur narcissisme, individuel et en tant que couple. De
cette leçon freudienne on trouve le fondement anthropologique
dans la mythique de « l’Exposition à la naissance » magistra-
lement explorée par O. Rank, et dans les rites qui l’expriment,
tel celui de l’Antiquité classique qui voit le paterfamilias, mis

1. Cf. R. Kaës, supra.


D ESTINS DE LA PERTE , FORME ( S ) ET FORMATION 49

face au nouveau-né posé sur le sol, choisir de le reconnaître


en l’élevant de terre dans ses bras (educere), ou, au contraire,
face à une déformation notamment, préférer le laisser à terre
et « l’exposer », l’abandonnant ainsi à la mort, ou aux hasards
de l’adoption par un second couple, narcissiquement moindres.
Sous nos cieux en tout cas, ce rite-là a depuis longtemps disparu,
et de toutes autres pratiques sociales et familiales (consultations
médicales et imagerie des formes externes et internes du bébé
à naître, mais aussi diagnostic anténatal, conseil génétique
etc.) organisent l’attente anxieuse de l’enfant et de ses formes.
Cependant l’universel que constituent l’angoisse et la culpabilité
narcissiques des parents, et le destin de ces affects, lors de
l’attente de la naissance et à l’heure de leurs premiers contacts
perceptifs, notamment visuels et tactiles, avec la forme et les
formes de leur nouveau-né, sont parmi les arêtes saillantes de
la niche psychique où s’hébergeront les relations fondatrices et
les mouvements de l’identification primaire, c’est-à-dire au fond
la construction du fantasme narcissique du sujet, notamment à
travers l’unification de ses formes partielles dans le regard de la
mère.
Un étudiant de psychologie, sortant de l’adolescence, écrivait
(m’écrivait devrais-je dire) dans une copie d’examen portant
sur l’adolescence : « Le corps est ce qui nous reflète le plus,
surtout qu’il est présent tout au long de la vie... » Le correcteur
que j’étais en le déchiffrant sourit une seconde à la lecture de
cette tautologie. Mais bien souvent, l’évidence s’avère être un
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

retournement de l’énigme, et l’imputation de naïveté n’est-elle


pas fréquemment l’écho que provoque à travers nos remparts
psychiques une formulation frappante de simplicité, de cette
simplicité « enfantine » ou « biblique », originaire ? Corps,
reflet, présence, vie : aujourd’hui, cette formulation m’apparaît
condenser plusieurs des premiers enjeux proprement « forma-
tifs », au sens classique, dans la vie d’un sujet, ceux du couple
puberté-adolescence, de ce moment à bon droit appelé tradition-
nellement dans la médecine des familles « la formation », et que
le sujet adolescent vit, à certains moments du moins, comme
une « déformation » de soi. Ce moment constitue d’ailleurs lui
50 L E TRAVAIL PSYCHIQUE DE LA FORMATION

aussi un autre universel anthropologique, celui de l’initiation,


et de ce fait, un des axes anthropo-analytiques de l’écoute du
sujet. C’est en effet la première fois que dans la vie d’un sujet
son épopée inaugurale et la sédimentation initiale de son Soi
deviennent le champ d’un tel travail transformatif, et formatif,
d’une telle « réforme » dans les deux sens opposés du terme.
La puberté (la lancée de la « formation », donc) déclenche
en effet la perte du corps d’enfant et le refoulement de très
nombreux de ses éprouvés, en même temps qu’elle se signifie
aussi au sujet par l’irruption simultanée d’éprouvés radicale-
ment nouveaux, qui pour certains d’entre eux resteront encore
longtemps « innommables », ici aussi dans les différents sens
du terme. Elle est bien trans-formation du corps propre où se
reconnaissait le moi jusqu’alors, et dans lequel il était reconnu
et investi par l’autre et par les autres. Elle devient du coup aussi
transmutation interne des potentialités d’expérience du monde,
dans et à partir de ce corps, mutation aussi de sa présence à
l’autre, au sexe, au groupe, au temps.
L’adolescence comme processus est donc, aussi et entre autres,
celui d’un « endeuillement », contemporain d’appropriations
(libidinales, objectales, identificatoires, narcissiques idéalisantes
etc.) parfois prodigieusement nombreuses, souvent riches, les-
quelles deviennent précisément possibles du fait même de ce
travail psychique de la perte. Appropriations que je ne détaillerai
pas ici plus avant, sinon pour remarquer que c’est au cœur de ce
double mouvement : détachement et perte des objets hérités à
travers la latence, et appropriation de « l’objet adéquat » au
sens freudien (c’est-à-dire « de tous les objets qui me sont
adéquats »), que se joue la réorganisation des investissements
épistémiques présidant à la mise en place par le sujet de son
projet d’adulte par le biais de sa première véritable formation
(intellectuelle, sociale, esthétique, professionnelle etc.). Pour
remarquer aussi que ce processus de l’adolescence est aussi
celui au cours duquel les maîtres-fantasmes de l’ancien petit
Œdipe, nommément l’inceste et le meurtre, seront ravivés à la
D ESTINS DE LA PERTE , FORME ( S ) ET FORMATION 51

mesure même de la violence de l’irruption des nouveaux éprou-


vés, des vécus sexuels et agressifs dans un corps en mutation
immaîtrisable, si difficilement contenus dans le dispositif et le
cadre de l’institution en général, et notamment de celle qu’est
en train de devenir pour lui/elle la famille.
Même si les mots se prêtent aussi à un usage politique, les
technocrates actuels de la formation sont donc cependant dans
le vrai lorsqu’ils désignent lycée, enseignement supérieur ou
professionnel en termes de « formation initiale ». En fait, ils
sont plus dans le vrai qu’ils ne le savent : car l’histoire subjective
de l’adolescence, et ses éléments critiques, se sédimenteront en
chacun de nous telle une structure disponible (une « forme », en
fait...) des voies disponibles pour les remaniements internes lors
des crises psychiques à venir, dont la vie de chacun (pourvu
qu’elle soit assez longue...) ne sera pas chiche : crises uni-
verselles, comme celle liée au passage et à la succession des
générations, ou comme celle du « milieu de la vie », parce qu’il
est aussi la mi-chemin vers la mort ; et crises individuelles,
intercurrentes, précipitées par les séparations, les pertes d’objets,
ou les blessures narcissiques, mais parfois aussi par les réussites
culpabilisantes. Crises qui ébranleront d’autant plus le moi que
l’objet en perdition désormais se trouvait y être investi, partiel-
lement ou en totalité, comme une assurance narcissique, et une
composante structurale de la forme de soi. Cette trace subjective
de l’adolescence contient aussi l’histoire des vicissitudes des
investissements épistémiques du sujet, de ses positions quant
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

aux objets, individus et groupes qui y ont pourvu ou s’y sont


dérobés, et des liens tissés avec ces objets, puis détissés...
Constituant un réinvestissement majeur du narcissisme, c’est
aussi au décours de ce processus (dans la seconde partie de l’ado-
lescence, en général) que s’instaurent dans la pensée du sujet les
possibilités de positions réflexives quant à sa propre expérience,
et quant aux sens imaginaires divers qui peuvent en être saisis ;
quant à son actualité psychique et à sa traversée d’autres expé-
riences passées, souhaitées ou refusées pour l’avenir. Parmi ces
expériences : les liens aux objets du savoir, les liens avec ceux
52 L E TRAVAIL PSYCHIQUE DE LA FORMATION

qui les proposent, les refusent ou les réservent, les liens avec
les autres sujets groupés autour des mêmes objets, les liens à
l’institution hébergeant cette expérience, et favorisant ce qui lui
apparaît, après-coup, se révéler un mouvement subjectivant, ou
au contraire un assujettissement. C’est dans ce mouvement-là
que se met en place pour le sujet la capacité d’envisager les
enjeux existentiels de sa formation personnelle : par exemple et
entre autres, celui d’entrevoir la question de l’inconnu dans la
transformation subjective qui s’avère être au cœur de son propre
projet formatif.

B ILDUNG / TRAINING
Dans le monde de la psychanalyse, les conceptions de la
formation se sont originairement formulées en deux langues :
l’allemand et l’anglais. C’est d’elles dont nous héritons les deux
termes à travers lesquels ces conceptions se sont déployées, et,
au moins partiellement, actualisées. Dans la langue de Freud, de
Ferenczi, d’Abraham etc., la formation c’est la Bildung, dans
celle de Jones, de Glover, d’Anna Freud, etc. (pour ne citer que
ceux-là dans chacun des cas) la formation est presque toujours
un training1 , parfois une education. Mais Bildung et training
renvoient à une sémantique bien différenciée.
Bildung (dérivation de Bild, essentiellement : une « image »,
parfois une « forme ») nous arrive, pour dire vite, parée
de l’idéal formatif des philosophes allemands du XVIIe au
XIX e siècles. Elle descend de la mystique médiévale germanique,
où elle désigne un long effort personnel analogue à l’imitatio
Dei de la catholicité, évidemment dans un lien à un Vorbild,
un modèle de référence, un Mentor, un prototype sanctifié.
Mais par la suite, aux âges classique puis romantique, et enfin
pour les fondateurs de ce monument de civilisation que fut

1. On rappellera après R. Kaës (cf. supra) que longtemps, au CEFFRAP même,


les petits groupes d’expérience s’appelaient des training-groups, et étaient
conçus comme tels.
D ESTINS DE LA PERTE , FORME ( S ) ET FORMATION 53

l’université germanique, elle désignera un idéal de formation


« optimale » de soi à travers une séparation du foyer d’origine,
grâce à des liens tissés avec des maîtres choisis, ainsi qu’au
vécu d’expériences fondatrices : la perte, la solitude, le lien
sexuel et amoureux, la rencontre de sujets absolument autres, la
déception, l’effort de tendre à une culture universaliste de soi
etc. La Bildung, ainsi, ne va pas sans Bildungsreise, départ au
loin et voyage de formation, sans aventure formative résolument
personnelle (Bildungsroman, le « roman de formation »). C’est
dire qu’elle ne va donc pas sans remaniement profond de soi,
ni sans crise psychique au contact de la multiplicité et de la
variabilité des formes du monde et de l’autre ; cette crise de
passage aux positions adultes est dès lors ressentie comme l’une
des nécessités de la vie humaine et de son pan tragique : la perte
de l’enfance, puis de l’adolescence et de leurs illusions. C’est
cette crise narcissique et sa traversée qui font formation, parce
qu’elles sont le creuset d’une transformation subjective.
Le training est toute autre chose, même s’il ne conviendrait
pas à mon sens d’opposer trop facilement les deux, trait pour
trait. Il s’agit là (je cite les dictionnaires) : 1) d’enseigner une
habileté (skill) ou un comportement particulier, à travers la
pratique et l’instruction durant une certaine période de temps ;
2) d’entraîner, de faire en sorte qu’une plante croisse dans
une direction particulière ou sous une forme requise ; 3) de
viser, pointer (une arme, une caméra) ; 4) d’attirer quelqu’un
en lui offrant plaisir ou récompense. Un train est toujours une
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

« série organisée » (de véhicules, de wagons, de personnes ou


d’événements reliés entre eux). Et si training il y a, il y a alors un
trainer (« entraîneur ») et un trainee (une « personne en forma-
tion », c’est-à-dire ici « une personne soumise à un training en
vue d’un travail (job) ou d’une profession particulière »). Il n’y
a donc de training que dans un lien entre trainer et trainee,
et ce lien se fonde dans la représentation-but partagée d’un
fonctionnement favorable ou d’une habileté optimale.
On pourrait considérer qu’il s’agit là des deux « formes a
priori de la formation »... : l’une insiste évidemment sur les
54 L E TRAVAIL PSYCHIQUE DE LA FORMATION

enjeux narcissiques idéaux de la « formation du soi » dans


le cadre psychique critique d’un travail de la perte ; l’autre
privilégie ouvertement le désir et le lien de transmission et
d’appropriation, la prescription et la performance, l’entrée dans
l’ordonnancement social, et la reconnaissance. Plutôt que de
s’en tenir à leur opposition, sans doute vaut-il mieux constater
leur altérité, leur tension, voire leur complémentarité, et la
part que chacune d’entre elles laisse en négatif, et au négatif,
pour travailler nos problématiques formatives dans un rapport
dialectique à élaborer entre ces deux « préformes ».
L’insistance très différente en chacune d’entre elles sur les
mouvements de désappropriation et d’appropriation des objets
du savoir, sur les voies du détachement et de l’investissement,
sur le destin des objets perdus et celui des « nouveaux objets »,
nous questionne donc quant au travail de la perte, en tant
qu’il est au cœur du processus formatif ; quant aux enjeux
de l’économie des idéaux et de la dynamique narcissique qui
font les différents destins de ce travail de la perte ; quant aux
vicissitudes des positions du moi sur la finalité et le moment
final de l’entreprise formative.

D EUIL OU MÉLANCOLIE DANS LA FORMATION


Il me faut ici faire mémoire des travaux (« réformateurs » si
l’on veut, dans leur relecture de Ferenczi) de N. Abraham1 et
M. Torok. Certains d’entre eux portent sur la disjonction entre
deuil et mélancolie dans leur lien différencié aux dynamiques
introjective et incorporative. Disjonction donc, des introjections
véritablement élaboratives du deuil, qui intègrent/réintègrent au
moi les affects mobilisés dans le lien à l’objet perdu, d’une part
– d’avec, d’autre part, les incorporations magiques de l’objet
perdu ou de certaines de ses parts, certes à visée identificatoire,

1. ...Mémoire qui convoquera aussi, et bien que le temps ait passé, le souvenir
du caractère précisément tragique de la fin du premier de ces deux auteurs, en
regard du thème de cette étude, et notamment de ses dernières parties.
D ESTINS DE LA PERTE , FORME ( S ) ET FORMATION 55

mais qui ne sont au fond que les caricatures de l’introjection,


laquelle reste échouée : ces fantasmes incorporatifs, symptoma-
tisés ou non, signalent et signent en fait cet échec, et l’insistance
d’une dynamique mélancolique sous-jacente.
Or le projet même de « s’acquérir une formation », au-delà de
la « formation initiale », est au moins en partie la symbolisation
de la réaction du moi à sa perception, anxiogène, d’aspects vécus
comme carents dans la « forme du soi ». Ces carences narcis-
siques résultent en chacun de sources multiples : certaines sont
héritées des compromis du processus d’adolescence, d’autres
des pertes d’objets narcissiques et des parts narcissiques du
lien à certains objets libidinaux perdus, d’autres encore de
blessures de différentes sortes : maladie physique, handicap,
vexations, échecs. D’autres enfin, découlent tout simplement
de désillusionnements narcissiques – à commencer par ceux
inhérents au processus d’une psychanalyse personnelle...
« Endeuillement » et « mélancolisation » m’apparaissent
alors, inverses et complémentaires, comme les deux dynamiques
potentielles d’un continuum, au cœur du traitement psychique
qu’entreprend le sujet de la blessure portée à la forme du
soi par le dérobement, la destitution ou la perte de ses objets
narcissiques idéalisés. Dès lors la finalité de la formation
(définie par les objets de savoir proposés par les formateurs
et l’institution dont ils s’originent et/ou qu’ils constituent,
groupés), et sa fin (son terme) se détermineront au moins en
partie, et parfois massivement, dans le champ des vicissitudes
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

intra- et inter-psychiques de l’objet narcissique en perdition, ne


serait-ce que parce qu’il est en instance de désidéalisation, par
un retour (maturatif...) de l’ambivalence.
Il s’agit maintenant pour mon propos de préciser plus
avant dans cette dualité endeuillement/mélancolisation divers
moments dynamiques en cause dans la position de « formand »,
dans son issue, et dans la position du groupe des formateurs, et
de l’institution formative.
Du côté de la « mélancolisation », que l’objet perdu soit un
objet narcissique, ou un objet libidinal dont l’investissement
56 L E TRAVAIL PSYCHIQUE DE LA FORMATION

insu est grandement narcissique, dans les deux cas sa quiddité,


son « essence narcissique » reste voilée, inconsciente : « cela »
qui s’est en avant-coup dérobé de sa disponibilité narcissique
pour le moi, c’est-à-dire dans cette fonction « formatrice de
soi », n’est pas reconnu en tant que tel. Seul est vécu par le
moi le « besoin » d’un « complément d’être » qui « fera de lui »
ce qu’il vise à être, ou mieux, à perdurer dans l’être. Du coup,
l’investissement de la finalité de la formation, de ses objets, et de
son terme, tireront vers un « être (être analyste, être le psycha-
nalyste, être psychodramatiste, être psychothérapeute) à faire
reconnaître », et donc vers les modalités spéculaires, directes
ou déplacées, de la reconnaissance, de la « reconn-essence »
ai-je plutôt envie d’écrire. C’est dire que cet investissement
sera celui d’un complément « essentialisant », susceptible d’être
désigné, approprié, incorporé comme un étayage de la « forme
de soi », en sorte que la détresse narcissique découlant de
l’avant-coup ne se réveille pas, ni ne se révèle. Il faudra donc
par ce biais « savoir pour ignorer », c’est-à-dire savoir le nouvel
objet idéalisé pour continuer à ignorer l’essence de l’ancien.
Il faudra dévorer avant que ne s’éprouve la faim, et la fin ; il
faudra « se former » pour ne pas vivre l’évidence douloureuse
d’une vacuité plus ou moins lancinante de la « forme de soi »,
et d’un dérobement dépressiogène. C’est de ce côté que l’acqui-
sition d’un savoir convoité comme un objet avant tout externe,
susceptible de disparaître, est vécue comme une appropriation
dont l’urgence est elle-même dévorante. Vécue comme une
contrainte et une violence, cette oralité est coupable, et du coup
souvent immobilisée dans des fantasmes angoissants d’envie,
de destruction et de représailles. Ce sont ceux-là qui émaillent
alors les liens groupaux, ainsi que ceux tissés avec les forma-
teurs. C’est bien aussi dans cette dynamique qu’une « fin de la
formation » assumée s’avère bien difficilement envisageable :
c’est que son approche risque de faire réapparaître pour le moi
le danger de la carence narcissique. C’est dans ce creuset que
surviennent l’assujettissement à l’institution formative réifiée, et
les allégeances à des objets et à des liens idéalisés. Allégeances
qui ne sont que des changements d’allégeance. C’est là que
D ESTINS DE LA PERTE , FORME ( S ) ET FORMATION 57

surgit la tentation de la « formation sans fin », et maintenant en


deux sens : sans renonciation conflictuelle assumée à l’élément
narcissique dont la perte avait été voilée par la ripaille formative,
et, sans que le terme de l’entreprise actuelle ne puisse être
rencontré.
Sur le versant de l’endeuillement, l’objet de la formation
désirée par le sujet m’apparaît être bien plus appréhendé comme
un processus, et s’éprouve plus comme une série d’expériences,
avec un autre et quelques autres, qui s’avéreront pour certaines
refondatrices en après-coup, expériences de constructions et de
ruptures de liens autour d’objets partagés, objets dont l’essence
projetée se transforme peu à peu en se désidéalisant, en même
temps que la représentation de la finalité même de l’entreprise
formative se modifie. Ces expériences d’investissements et de
désinvestissements, qui s’élaborent dans la solitude de soi et
dans les liens de groupe, peuvent se sédimenter lentement en
un savoir « de soi et des autres », de « soi avec les autres »,
mais aussi « des autres qui font soi ». Car dans ce mouvement,
le moi tolère (relativement...) la reconnaissance des enjeux
identificatoires et contre-identificatoires dans la construction
de soi. Ce parce que le moi se reconnaît essentiellement comme
une histoire vivante, comme à jamais non finie, et consent
(relativement...) à des lendemains en partie inconnus.
Lors, même si ce mouvement inclut une demande épistémique,
une demande d’objets « de savoir » (et il l’inclut toujours aussi),
ces derniers sont plutôt visés en tant qu’ils sont susceptibles
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

de concourir à la formulation ou à l’élucidation des processus


qu’il expérience, par le sujet formand-se formant lui-même. Ce
savoir-là est vécu plus comme une « appropriation de soi » (une
définition de la subjectivation ?) et beaucoup moins comme
l’incorporation « formelle » d’une technique, d’une position
sinon parfois d’une posture, d’une forme idéalisée en tout cas,
visée comme complémentation définitive (a priori...) d’un soi
menacé.
Il ne s’agit plus ici d’un savoir acquis par arrachement et par
dévoration actives, mais d’un savoir constaté en après-coup, et
58 L E TRAVAIL PSYCHIQUE DE LA FORMATION

comme un après-coup, une « leçon de la vie telle qu’elle est ».


Il est comme déjà sédimenté, et s’est déjà édifié en soi et par
soi, à l’occasion de liens avec d’autres à travers lesquels le Soi a
continué à se construire, construction qui se poursuit. Ce savoir
inclut la leçon qu’on peut ainsi peu à peu formuler de ce qu’on
a fait des liens rompus, des objets (y compris épistémiques)
disparus, des êtres chers et haïs morts, des groupes dispersés
ou laissés, et des liens internes construits entre tous ceux-là
au fil d’un processus, qui s’avère avoir débuté bien avant cette
« formation », et se poursuivra évidemment après. La vie du
sujet est alors comprise comme sa « formation », et « cette
formation-là » n’en aura été qu’un des moments, même s’il
en aura été un moment fondamental, parce que refondateur. Dès
lors, la « fin de la formation » est « une nouvelle fin », cette
fin-là est encore une autre fin, après et avant d’autres fins, une
nouvelle occasion de reconnaître en soi ce qu’est la fin, dans
l’angoisse de ce qui n’est pas encore advenu.

« U NE GÉNÉRATION S ’ EN VA , UNE GÉNÉRATION


S ’ EN VIENT ... »
Comme le notait en passant J.-P. Valabrega dans un ouvrage
consacré à « la formation », celle-ci est toujours plus ou moins
un lieu où se met en œuvre, sinon en scène le paradigme célèbre
de la grammaire latine : Doceo pueros grammaticam – « c’est
aux enfants que j’enseigne la grammaire... ». Ce doceo est la
position complexe qui peut voir la théorisation et l’expérience
se muer en doctrine1 , dans une rencontre assujettissante des
attentes narcissiques croisées.

1. À ce sujet, on gagnerait sans doute à questionner le texte freudien dans


son lexique même, puisqu’il paraît témoigner chez Freud déjà de mouvements
éventuellement fort significatifs quant à cette problématique. Par exemple et
entre autres, il existe en allemand comme en anglais des couples de mots,
traductibles, et souvent (peut-être trop souvent) traduits par le même vocable
en français, couples de termes dont l’un est de provenance gréco-latine, l’autre
de provenance germanique. Ainsi de « théorie » dans les traductions françaises,
D ESTINS DE LA PERTE , FORME ( S ) ET FORMATION 59

La rencontre entre formand et formateur sous le soleil de l’ins-


titution, rencontre de deux générations réelles et/ou symboliques,
catalyse certes toujours la résurgence des enjeux infantiles
libidinaux et narcissiques (le rougeoiement derechef des braises
incestueuses et meurtrières œdipiennes et contre-œdipiennes, les
flamboiements persécutifs et la déréliction abandonnique, de fait
la fantasmatique prégénitale) et de ceux de l’adolescence (les
fantasmes d’ambition ou de rébellion héroïques, par exemple et
entre autres). Ce, en chacun, et chez tous les protagonistes en
cause, groupalement.
Mais par ailleurs « Une génération s’en va, une génération
s’en vient... », ainsi que le dit l’Ecclésiaste (I, 4). Il faut en effet
en toute institution qu’une génération s’en aille pour qu’une
autre arrive et prenne sa propre place, qui est en partie au moins
celle des morts : l’expérience de la transmission, et la position
psychique de formateur, qu’il est bien rare d’occuper (j’entends :
d’assumer) avant la mi-chemin entre la naissance et la mort,
se soutient au fond quant à la mort qui attend la génération
(réelle ou symbolique) qui transmet, et chacun de ses membres
à son tour. Les sujets se rejoignent toujours dans l’institution
autour d’un vouloir-survivre, de sorte que toute institution est
aussi l’institution d’une transmission, avant et contre la mort,
transmission reconnue ou non comme telle, d’ailleurs. Et si
la perte narcissique absolue attend, comme chacun, chaque
formateur dans l’institution formative, la mort est l’ombre portée
par la position même de celui qui transmet. La question de la
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

fin, et des fins de la formation doit être pensée à cette aune-là


également : celle de la fin des fins.

qui est dans l’original tantôt Theorie, tantôt Lehre (« doctrine, enseignement »)
sous la plume de Freud. Ainsi écrit-il ici Neurosentheorie, et là Neurosenlehre,
ici Sexualtheorie, et là Sexuallehre. Au-delà de la thématique des schibboleth,
ou de celle des définitions programmatiques de la psychanalyse exposées
par Freud lui-même, on ne s’est pas encore (me semble-t-il) interrogé avec
précision sur l’arrière-plan rhétorique, ni donc fantasmatique, ni groupal
ou encore politique de tels choix lexicaux, bien que parfois d’autres textes
contemporains ou les travaux historiographiques nous en donnent quelque
idée.
60 L E TRAVAIL PSYCHIQUE DE LA FORMATION

Si de cette fin-là aussi la « fin de la formation » est donc lestée


chez formand et formateurs, une part toujours importante de la
vie groupale de l’institution formative en est porteuse en creux,
comme en sont lestés le commerce avec les objets du savoir (et
notamment du « savoir théorique ») qui lui sont propres, ainsi
que les mouvements d’idéalisation concomitants. Objets que,
dans certaines configurations groupales au moins, leur statut
phallique-narcissique peut désigner à l’appropriation dévorante
et assujettie d’élèves affamés d’une Bonne Forme, Graal sur
lequel puisse être projeté un fantasme d’immortalité partagé à
leur insu par formands et formateurs.
Par ailleurs et inversement, il n’y a pas de formation sans
institution, j’entends sans « forme institutionnelle » de laquelle
la forme même de la formation est réputée s’originer : ne
s’agirait-il que de l’institution dont le formateur est issu, et qui
continue à l’instituer comme tel, et quand bien même le formand
n’aurait avec cette institution qu’un rapport imaginaire.
Et chez les « psychistes » tout particulièrement1 , reconnue ou
non, l’une des perspectives sous-jacentes à l’entreprise formative
elle-même, perspective dont les enjeux ne peuvent qu’être en
travail alors que la question de la fin se pose, est bien l’agréga-
tion à une forme groupale, à un « groupe de psychistes » formés,
souvent l’institution formative elle-même (ainsi, l’université),
parfois une « forme groupale » qui puisse en constituer un
déplacement imaginaire : association, fédération, mouvement,

1. J’écris ici « tout particulièrement », car d’autres raisons encore, différentes,


contribuent dans ce cas à cette « fantasmatique de l’agrégation ». Entre
autres, le fait que le psychiste, a fortiori le psychanalyste, a comme objets
épistémiques et praxéologiques l’angoisse, la fantasmatique incestueuse et
meurtrière refoulées, les affects dépressifs, la négativité, l’inconscient. Ce
commerce quotidien est ressenti par ses proches non psychistes et dans le
socius comme un contact avec les objets tabous, dont on se tient, comme on
sait, prudemment éloigné. En cela, la « fantasmatique de l’agrégation » rend
compte elle aussi d’un mouvement de la défensivité du sujet quant à des liens
en perdition, réelle ou appréhendée, qui menacent de se dérober ou au moins
de s’évider de leur consistance.
D ESTINS DE LA PERTE , FORME ( S ) ET FORMATION 61

école théorique, parfois simple liste, parfois inversement, pro-


jet d’ampleur articulant institut de formation, vie sociétale et
scientifique à long terme, comme dans le cas des sociétés de
psychanalyse. Dans la fantasmatique autour de cette agrégation,
et bien sûr dans les pratiques où celle-ci s’opère, se jouent entre
autres pour formands et formateurs sur des versants évidemment
différents, la question de la filiation et de la reconnaissance
(souvent donc aussi celle de la reconn-essence...), celle de la
perduration dans l’être et dans les liens groupaux préexistants,
celle du passage des générations, toutes problématiques mettant
en crise chez les uns et les autres les investissements narcissiques
de chaque sujet, et le narcissisme groupal.
Plus précisément, la fantasmatique de l’agrégation à l’insti-
tution formative ou à celle qui en tient lieu se présente souvent
comme l’aboutissement d’un imaginaire palingénétique : le pro-
cessus formatif a été soutenu des espoirs d’une renaissance, ou
d’une seconde naissance, espoirs s’enracinant dans les éléments
restés insuffisamment élaborés de l’expérience adolescente. Les
mouvements de rassemblement et de croisement des intérêts
et fantasmes narcissiques, et des idéalisations (bonne forme,
acquise par la bonne formation auprès du groupe des bons
formateurs) amènent la procédure proposée (jury, commission,
comité, session d’habilitation ou d’affiliation) à toujours convo-
quer une dimension groupale, qui réalise une sorte de métonymie
transitoire de l’ensemble de l’institution. Et comme dans le
rite de reconnaissance romain évoqué plus haut, cette instance
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

mobilisera toujours aussi l’ombre angoissante portée par le


danger de l’Exposition, et de la déréliction narcissique, si la
reconnaissance demandée n’était pas au rendez-vous1 .

1. Une clinique des processus vécus au cours de ces instances institutionnelles


et de leurs après-coups, quand l’agrégation ou la reconnaissance est refusée,
montre régulièrement que les différents protagonistes en gardent des souvenirs
résolument différents, que ces souvenirs sont lacunaires, qu’ils témoignent de
l’incompréhension mutuelle des attentes et des affects des uns et de l’autre,
en fait qu’il n’y a pas eu là de travail psychique en commun autour d’objets
partagés, ni même de « négoce », tout comme si un clivage avait de bout en
62 L E TRAVAIL PSYCHIQUE DE LA FORMATION

Ainsi, les vicissitudes bien différentes des objets de la for-


mation chez le formand, de la construction psychique de la
finalité de cette formation et de son terme possible, ont des
relations profondes, quoiqu’évidemment pas linéaires, avec
les dynamiques narcissiques des formateurs, dans leur propre
précarité narcissique en tant qu’individus et en tant que groupe,
aux prises avec les crises individuelles incontournables, et avec
les moments tout autant imparables de la conflictualité groupale.
Au-delà, la définition temporaire que l’on proposait plus haut
de la formation pourrait ainsi se compléter : la formation est
toujours, aussi, un travail de la perte, et c’est dans la dialectique
entre pertes et appropriations que se rejoignent formands et
formateurs.
Les mots clairs de plus d’un poète nous avertissent qu’au-delà
de la transformation « formative », les enjeux de la perte et de la
mort constituent bien le creuset où chacun façonne les formes,
et la forme que prend sa vie. Ainsi dans la « Bienheureuse
nostalgie » du « Divan », Goethe lance-t-il :

« ... Et tant que tu n’as pas


Ce : Meurs et Deviens !
Tu n’es qu’un terne invité
Sur la terre obscure. »

bout structuré les « échanges ». Ce clivage (dont d’autres formes éventuelles


sont bien connues, ainsi : position analytique/position « institutionnelle »,
ou encore intérêt scientifique/intérêt politique) a d’autant plus de risque
de s’agir que le narcissisme groupal est ressenti comme précaire, que dès
lors le fonctionnement groupal s’ordonne à la défense des formes, ou des
représentants des objets narcissiques idéalisés et de leurs « petites différences
partagées », fonctionnement qui peut rejoindre et croiser celui de l’impétrant,
dont la problématique narcissique et l’histoire personnelles sont évidemment
sollicitées.
Chapitre 3

DE L’ASSUJETTISSEMENT
À LA SUBJECTIVATION
DANS LE TRAVAIL
PSYCHIQUE GROUPAL

Par Blandine Guettier

N QUOI , LE TRAVAIL PSYCHIQUE en groupe est-il spéci-


E fique ? Et comment nous éclaire-t-il dans la formation et la
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

transmission de connaissances ou d’expériences ?

S PÉCIFICITÉ DU TRAVAIL PSYCHIQUE EN GROUPE


Il s’agit de transmettre, mais aussi dans ce domaine de
développer la compréhension de l’autre en ayant approfondi
la connaissance de soi-même, comme patient dans la cure type
et comme participant dans un groupe avant d’accéder à une
formation d’analyste de groupe.
64 L E TRAVAIL PSYCHIQUE DE LA FORMATION

Approfondir la connaissance de soi-même permet de différen-


tier dans l’appréhension du fonctionnement psychique ce qui
est objectivable (ce qui appartient à l’objet), de ce qui viendrait
de soi comme perception, et pourrait altérer l’appréhension de
l’autre.

« Tant qu’il n’a pas été analysé dans une cure elle-même indi-
viduelle, le fantasme individuel altère ou paralyse la perception
et l’intelligence de tout ce qui se rapporte au fonctionnement de
l’appareil psychique » (Anzieu, 1973, p. 93).

Pouvoir s’identifier aux processus à l’œuvre, au patient mais


aussi pouvoir objectiver la différence de l’autre et en même
temps repérer des invariants structuraux, individuels et groupaux
(développementaux, régressifs, défensifs...) sont essentiels dans
le travail psychanalytique.
Aussi pouvoir éprouver, se souvenir, être attentif à ses propres
processus inconscients en situation d’analyse, au contact des
processus inconscients du patient, font partie intégrante du
travail analytique, être « patient à soi-même ».
Le mécanisme essentiel de fonctionnement des groupes
humains que Freud décrit dans « Psychologie collective et
analyse du moi » (1921) est l’identification. Son étude concerne
la foule ou les groupes institutionnels.
La mise en groupe de participants, ne se connaissant pas,
entraîne des ressentis d’étrangeté, de perte identitaire et d’ur-
gence identificatoire (Missenard, 1972).
À la phase orale, l’incorporation de l’objet est le précurseur
de l’identification (cf. « Les trois essais 1905 » de Freud) et
constitue l’identification primaire : l’enfant au moment même
où il s’unifie dans le rapport bouche sein avec la mère « s’aliène
dans le désir maternel », de la fusion avec la mère, à la séparation
avec l’apparition du besoin et de la tension. Elle entraîne l’iden-
tification narcissique : il s’agit là aussi d’incorporation (comme
dans la mélancolie, dans le registre oral) ou d’introjection des
aspects de l’autre (niveau anal ou phallique).
D E L’ ASSUJETTISSEMENT À LA SUBJECTIVATION 65

L’identification œdipienne est plus complexe impliquant trois


protagonistes, le sujet, le père et la mère. C’est le renoncement
œdipien dans la rencontre de la rivalité et de l’interdit par le
parent du même sexe, qui fait s’identifier à celui-ci dans un
processus introjectif concernant des aspects de l’autre et non
l’autre totalement.
Dans l’ébranlement identitaire, provoqué par la mise en
groupe, sont à l’œuvre ces problématiques rendant vulnérable
chacun dans sa relation au groupe, aux formateurs ou théra-
peutes, aux participants. Les aspects développementaux sont
repris, remis en mouvement dans le travail psychique groupal,
pouvant remettre en travail le péril d’un assujettissement, d’une
aliénation, reprenant la dépendance aux objets originaires (la
mère, le père...).
Voici un exemple critique de la dépendance au formateur :
j’aimerais évoquer la conception d’une formation, utopiste
(?) du XIXe siècle, dans ce passage par une dépendance au
formateur, au maître, critiquée par J. Jacotot (1835) dans le
Journal de l’émancipation intellectuelle, écrit dans une période
post-révolutionnaire française, et avant la découverte freudienne
de la psychanalyse. Elle a été étudiée et remise à jour par le
philosophe Jacques Rancière dans Le Maître ignorant (2004). Il
y est question de la formation de l’enseignement socratique et
de sa critique. Je cite J. Jacotot à travers J. Rancière :

« Socrate par ses interrogations amène l’esclave de Ménon à


 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

reconnaître les vérités mathématiques qui sont en lui. Il y a


peut-être le chemin d’un savoir mais aucunement celui d’une
émancipation. Socrate doit prendre l’esclave par la main pour que
celui-ci puisse retrouver ce qui est en lui-même. La démonstration
de son savoir est pour autant, celle de son impuissance : il ne
marchera jamais seul et d’ailleurs personne ne lui demande de
marcher, sinon pour illustrer la leçon du maître. Socrate en lui,
interroge un esclave qui est destiné à le rester » (Rancière, 2004,
66 L E TRAVAIL PSYCHIQUE DE LA FORMATION

p. 52).

Plus loin Rancière cite encore Jacotot qui écrit :

« Il n’y a pas intelligence là où il y a agrégation, reliure d’un esprit


à un autre esprit. Il y a intelligence là où chacun agit, raconte ce
qu’il fait et donne les moyens de vérifier la réalité de son action »
(p. 56).

Il poursuit :

« L’acte de l’intelligence est de voir et de comparer ce qu’elle


voit. Elle voit d’abord au hasard. Il lui faut chercher à répéter,
à créer les conditions pour voir à nouveau ce qu’elle a vu, pour
voir des faits semblables, pour voir des faits qui pourraient être
la cause de ce qu’elle a vu. Il lui faut aussi former des mots, des
phrases, pour dire aux autres ce qu’elle a vu. Bref n’en déplaise
aux génies, le mode le plus fréquent d’exercice de l’intelligence,
c’est la répétition » (p. 94-95).

Dans cette démarche pédagogique critique et novatrice, l’ac-


cès au savoir est affaire de volonté, d’attention, il ne se donne
pas, il se prend. Ainsi, J. Jacotot prétend enseigner une langue
étrangère par exemple sans la connaître et cela fonctionne,
ses étudiants apprennent cette langue. Il n’enseigne pas des
contenus, mais une méthode d’observation, de déduction.
Il n’est pas précisé ses raisons de dénoncer à ce point la dépen-
dance au maître, ni dans son histoire personnelle, ni dans sa
pratique, au risque d’une certaine solitude dans l’apprentissage.
Le déplacement de l’étude de la transmission des savoirs du
maître vers le disciple ou l’élève, avec l’exploration de ses
conditions d’apprentissage nous intéresse. Cette réflexion est
proche de la démarche clinique auprès du lit du malade avec
le recensement des symptômes et la mise en lien avec des
maladies déjà connues, à moins que ce soit la découverte d’une
nouvelle maladie. Elle est proche aussi de l’analyste écoutant
son patient, le reconnaissant, révélant par le cadre, le transfert et
D E L’ ASSUJETTISSEMENT À LA SUBJECTIVATION 67

l’interprétation ce qui a échappé à la conscience du patient, dans


des liens méconnus, appartenant aux logiques de l’inconscient.
Ce passage par la pédagogie nous a paru nécessaire pour
revenir sur l’expérience proposée dans les dispositifs psycho-
dynamiques, individuels (psychothérapie, psychanalyse...) et
groupaux (groupes de formation ou thérapeutiques). Nous ten-
terons de cerner ce qu’apportent spécifiquement ces dispositifs
groupaux aux problématiques de la formation.
En effet, il est question de définition de cadre, de dispositif,
permettant un processus, de changement, de formation, de prise
de conscience de soi-même, de connaissance de soi-même, en
présence de l’autre (l’individu ou le groupe). Entre la répétition
(présente dans l’inconscient) et la perlaboration permettant des
dégagements, des variations même dans la répétition, peuvent
advenir des changements.
Les règles, dans les dispositifs groupaux, sont particulière-
ment complexes puisqu’il s’agit de donner un cadre qui préserve
une enveloppe groupale pour l’ensemble des participants et
les formateurs (ou moniteurs ou thérapeutes dans les groupes
thérapeutiques ou psychodramatistes pour la formation des
psychodramatistes).
Qu’apportent les groupes de sensibilisation, de base, cliniques,
de recherche à la connaissance du processus de formation ?
Il est indispensable pour un futur analyste de groupe d’être
confronté en tant que participant, à un groupe (selon le même
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

schéma qu’un analyste doit avoir été un analysant) afin de


connaître de l’intérieur, dans l’intrapsychique sa relation au
groupe, aux participants, et aux formateurs. Cette connaissance
intrapsychique et cet éprouvé sont garants d’un travail psychique
nécessaire au thérapeute dans le contre-transfert, dans une
rencontre intersubjective avec un patient, un groupe de patients.
Entre le transfert, la transformation, la création, l’élation,
l’Idéal du Moi, le Moi Idéal, qui suggèrent l’au-delà, l’au
travers, et la répétition, la défense ou le retour, le retrouvé, le
refoulement, se situe le travail psychique dans la cure analytique,
ou dans l’analyse de groupe.
68 L E TRAVAIL PSYCHIQUE DE LA FORMATION

La formation témoigne d’un désir de changement, de trans-


formation au début d’une carrière professionnelle ou au cours
d’une vie professionnelle et personnelle. Il y a un Idéal projeté
sur la formation, le savoir à acquérir, l’apprentissage, un idéal,
projeté sur le corpus de savoir des fondateurs, de la psychanalyse
(S. Freud et ses disciples), de la psychanalyse comme mode de
compréhension du groupe (S.-H. F OULKES, W.-R. Bion et bien
sûr D. Anzieu, R. Kaës et leurs collaborateurs, et aussi d’autres
fondateurs d’autres associations de formation qui sont dans cette
démarche analytique).
Qu’en est-il du groupe de sensibilisation proposé, dans une
démarche de formation ? Le groupe alors, sollicite des aspects
émotionnels dans une régression, aux confins de l’identitaire,
loin du projet conscient qu’il questionne.

U N EXEMPLE : UN IDÉAL ASSUJETTISSANT


Un ailleurs, un autre lieu de formation que le CEFFRAP
illustre cette problématique : un participant à un petit groupe
que j’anime seule (sauf dans les plénières qui réunissent deux
petits groupes avec un co-formateur) m’interpelle sur le fait, que
plusieurs années auparavant, il aurait été présent dans un groupe
que je co-animais au CEFFRAP dans un séminaire résidentiel.
Je suis perplexe, car je ne me souviens pas de lui, je ne
retrouve aucune trame de thème de jeu... Je fais des recherches.
Plusieurs fois, ce thème revient chez Robert, avec une sorte de
dépit, sur un registre très affectif, « pour ce que les formateurs
se souviennent de nous ! ». L’ensemble des participants adhère à
sa déception et à sa désapprobation. Robert semble très affirmé,
sthénique, puis... moins affirmé.
Nous sommes alors dans des zones de confusion, d’étrangeté,
de faux souvenir, de date à corriger, etc. De mon côté, je fais des
recherches et constate que j’ai participé à un séminaire où Robert
était participant... dans un autre petit groupe que celui que je
co-animais. Bien sûr, j’ai pu le voir, peut-être l’entendre dans les
D E L’ ASSUJETTISSEMENT À LA SUBJECTIVATION 69

séances plénières, en grand groupe réunissant tout le séminaire


et lui de même, a pu me voir, m’entendre. L’investissement et
le souvenir d’un participant en sont pourtant différents dans un
grand groupe et dans un petit groupe.
La trame du souvenir, le fil rouge est : il m’a confondue
avec une collègue certes, mais une autre trame apparaît, il
aurait préféré dans ce séminaire être dans le groupe de mon
co-formateur. Il y a effacement des deux formatrices, par contre,
Robert différencie les deux hommes formateurs dans la compa-
raison, l’un, mon co-formateur étant plus connu, plus reconnu
que l’autre.
En dehors d’une problématique personnelle peu évoquée
et qui n’est pas ici notre propos, dans cette diffraction du
transfert (Kaës, 1988, 2007), sur les formateurs du groupe de
sensibilisation où l’investissement est très affectif (ici sur le
registre du reproche), sur l’organisme de formation, se profile un
autre transfert concernant le co-formateur dans une lignée plus
ancienne et plus prestigieuse pour aboutir « at last but not least »
à D. Anzieu et R. Kaës. La trame est alors de l’ordre de l’Idéal
du moi, avec ces représentants les plus connus, « touchés » à
travers l’organisme de formation (CEFFRAP) mais atteints de
manière distante, par des intermédiaires (les formateurs présents
dans la session), certains étant plus idéalisés que d’autres, ou
pouvant être des obstacles ou des rivaux. « De quelle génération
êtes-vous, de celle des fondateurs ou de la nôtre ? » est une
question souvent posée.
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

Comment interpréter ce processus dans le groupe, cette cli-


nique du groupe dans le travail psychique groupal ? Il y a bien un
dessaisissement de soi-même, dans l’altération de la mémoire,
du souvenir. Pour autant, ce trouble par sa mobilisation possible
reste de l’ordre du névrotique, mobilisé par ces différentes mises
en tension.
Pour illustrer la conflictualité par rapport à l’idéalisation,
pouvant aboutir à un sentiment d’étrangeté, nous recourons à
un autre témoignage. Nous pensons à « Un trouble de mémoire
sur l’Acropole » décrit par S. Freud (Lettre à Romain Rolland
70 L E TRAVAIL PSYCHIQUE DE LA FORMATION

de 1936). Freud exprime un sentiment d’étrangeté lors de sa


visite de l’Acropole et Athènes en 1904 « ainsi tout cela existe
réellement comme nous l’avons appris à l’école ! », avec un
phénomène de dédoublement, « la première (personne) devait
croire à quelque chose dont jusque-là la réalité lui avait apparu
incertaine ... et l’autre personne s’étonnait à bon droit parce
qu’elle ignorait que l’existence réelle d’Athènes, de l’Acropole
et de ce paysage eût jamais été un objet de doute » (op. cit.,
p. 408). La logique aurait été qu’il y ait eu une expression
d’exaltation et de ravissement.
Il y a donc une différence, entre « voir quelque chose de
ses propres yeux et le connaître par des lectures ou par ouï-
dire » (p. 409) et de l’avoir idéalisé. Il s’agit là du sentiment
d’étrangeté (concernant la perception), de dépersonnalisation
(altération d’une partie du moi). S. Freud le relie au sentiment
de culpabilité d’avoir été plus loin que le père, « comme s’il était
toujours interdit que le père fût surpassé... Ainsi ce qui nous (S.
Freud et son frère) empêchait de jouir de notre voyage était un
sentiment de piété » (ibid., p. 414). La réalisation d’un projet
mythique est possible au prix d’une expérience de sentiment
d’étrangeté.
Nous sommes bien dans le registre narcissique avec des
transformations, des changements profonds, des vacillements.
Pour autant, nous restons dans le registre névrotique de l’interdit,
de la culpabilité, de la castration, de la rivalité, du registre
œdipien, de la séduction. Il est important de le rappeler.
C’est le mouvement et la souplesse de tels ressentis qui mobi-
lisent l’individu, qui peuvent l’enrichir et être féconds. D’autres
registres peuvent être travaillés dans les groupes différemment
que dans la « cure classique » ou dans la psychothérapie indivi-
duelle.
D E L’ ASSUJETTISSEMENT À LA SUBJECTIVATION 71

I LLUSTRATION DE L’ ASSUJETTISSEMENT
AU GROUPE OU À SOI - MÊME
Nous relatons ici un groupe de formation au CEFFRAP, dit
groupe avec psychodrame, en session de quatre jours avec A.-M.
Blanchard : il y a onze participants.
Une thématique commune retient notre attention curieuse-
ment liée à des souvenirs de vacances ou au travail des parents
dans un monde rural, il y est question du sacrifice nécessaire
des animaux pour les consommer, pour les manger. Les cris
des bêtes qu’on tue et le silence après leur mort évoquent Le
Silence des agneaux, le film (Denne, 1990) d’après le roman de
T. Harris (1988), le traumatisme de l’enfant identifié à l’animal
sacrifié, en danger dans le monde des adultes cruels et barbares,
ou identifié au parent en danger lors des disputes violentes
du couple parental. Le désir de déjouer ou de rompre une
chaîne, une filiation pathologique a amené certains participants
à renoncer à avoir un enfant. Transmettre dans une filiation
comporterait le risque de répétition intégrale plus que l’espoir
de transformer.
Un jeu est proposé à la troisième séance de cette session :
un groupe de naufragés sur une île déserte doit subvenir à ses
besoins de nourriture de manière crue en tuant des animaux,
car n’y est plus, le supermarché avec ses produits enveloppés et
aseptisés. Il s’agit de chasser un porc sauvage ou un sanglier ou
un métis. Une participante Anne prend le rôle du porc chassé.
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

La chasse implique un trop rapproché entre les chasseurs et


l’animal, le groupe décide alors de creuser un trou et construit
un piège afin de saisir la bête et de la tuer à distance sans la
voir. L’animal paraît trop humain et sa mort ne doit ni être
vue, ni touchée, ni entendue. Dans ce jeu, il est question de
jouer pour de faux, pour de vrai, de faire semblant (règle du jeu
psychodramatique) ou de faire semblant de jouer (détournement
de la règle).
Anne s’est rendu compte au cours du jeu que malgré ses
tentatives de se libérer, elle était condamnée d’avance, au fond
72 L E TRAVAIL PSYCHIQUE DE LA FORMATION

du trou, seule face au groupe. Elle s’interroge, pourquoi a-t-


elle accepté ce rôle sacrificiel, était-ce par rapport au groupe,
parce que personne d’autre ne voulait prendre ce rôle ? Elle se
sent prisonnière de son dévouement habituel, reconnaissant son
histoire dans le déroulement du groupe, différentiant ce qui lui
a été demandé et ce à quoi elle s’est prêtée.
L’aspect persécuteur du groupe et l’assujettissement sont
très présents concentrés, projetés sur Anne. Anne s’est sentie
poussée par le groupe à prendre ce rôle mais elle s’y est sentie
seule, abandonnée par le groupe. Pourtant, elle s’interroge sur
elle-même, son histoire et s’approprie le fait de pouvoir se mettre
en difficulté pour que « les choses marchent ». Il s’agit là d’un
travail psychique de réappropriation et de liaison à ce qu’« elle
est », il s’agit là d’un travail de subjectivation.
Nous étions attentives avec A.-M. Blanchard à ce que le
groupe puisse se dégager de l’assujettissement en reliant les
problématiques de la répétition, de l’assujettissement individuel,
et en s’ouvrant à un espace nouveau, transitionnel, avec l’espoir
d’un changement.
D’autres jeux viendront ponctuer cette session, dénouant cette
pression du groupe. Ainsi, A.-M. Blanchard jouera un mari qui
accepte de modifier ses projets de vacances en tenant compte de
l’avis de sa femme. La participante jouant ce rôle avait annoncé
que souvent elle ne savait pas ce qu’elle voulait et qu’ensuite elle
se laissait imposer des décisions qu’elle regrettait, elle voulait
donc a contrario jouer une scène de ménage, où l’homme et
aussi la femme dans une affirmation de chacun se disputaient
sur un projet nécessairement différent, sans concession et donc
sans possibilité de réalisation commune.
Plusieurs séances plus tard, je suis sollicitée pour jouer un
« Corps Calleux » entre deux hémisphères cérébraux : le droit
est le cerveau affectif commandant la partie gauche du corps et
le gauche est le cerveau de la parole et de la raison commandant
la partie droite du corps. La définition est précise, anatomique,
médicale. Il s’agit du « cerveau d’une jardinière », selon la
précision du groupe.
D E L’ ASSUJETTISSEMENT À LA SUBJECTIVATION 73

Je suis dubitative sur l’étroitesse du jeu et du rôle qui m’est


proposé. J’accepte ce rôle étroit du Corps Calleux, lieu de
transmissions croisées. Une indication étoffe ce jeu, Julia qui
joue le cerveau droit affectif, annonce l’âge de son rôle, 56 ans
et Sylvie, le cerveau gauche 25 ans. Ce décalage interrogera le
jeu.
Le « Calleux », deviendra le bien calé entre les deux
« actrices » et non la callosité. Je joue le rôle du « passeur »
entre le cerveau droit qui représente l’affectif lié, à l’histoire
infantile avec des souvenirs trop forts, trop crus cannibaliques
(reprenant ainsi l’histoire du groupe) bloquant le « cerveau
gauche » de la raison dans des contemplations mièvres, très
« fleur bleue ». L’histoire pesante et ses impacts traumatiques
provoqueraient le blocage de son infantile, voire la niaiserie du
« cerveau de la raison ». C’est une hypothèse que je propose et
formule dans le jeu en tant que « Corps Calleux » au milieu des
deux hémisphères cérébraux asymétriques.
Ce rôle étroit, défiant l’entendement, m’était dévolu par retour-
nement (Roussillon, 1992). Le psychanalyste est mis à la place
du sujet, dans des zones indicibles, intraduisibles, de manière
projective. Le psychanalyste est sollicité pour transformer le
processus après en avoir éprouvé les aspects entravant. Le
cerveau de la raison se plaint de solitude ne se contentant plus
d’émerveillement devant la nature, d’en être rempli et accepte
d’aller vers un homme, de le séduire et d’être séduit.
Plus loin, dernier jour, dernière séance : le groupe se demande
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

comment profiter de cette dernière séance ensemble, avant de


se quitter, en se remémorant toutes les scènes jouées ? Un jeu
est élaboré : le paradis où des morts se retrouvent autour d’une
partie de cartes : il y a un mort vieux avec ses souvenirs de
guerre, des morts plus jeunes, un mort enfant. Il s’agit d’éternité,
le temps n’étant marqué que par les souvenirs terrestres. Le jeu
de cartes est soit de l’ordre de l’infantile : « la bataille » ou de
jeux d’adulte dont « le poker » qui intéresse particulièrement
l’enfant. La souffrance n’est évoquée que par ceux, restés sur
74 L E TRAVAIL PSYCHIQUE DE LA FORMATION

terre, ayant perdu un parent ou un enfant, un être cher. La


souffrance de la perte n’est abordée que par les humains.
Le jeu est calme, symbolisant la fin du groupe, sa mort pro-
chaine, le souvenir en chacun du groupe est possible, au-delà de
sa fin. La souffrance n’est envisageable que dans un intemporel
défensif par rapport à cette fin annoncée irrémédiable.
Cependant, Emma qui n’a pas joué, qui a regardé la scène
fixement, les larmes aux yeux, dit qu’elle était ailleurs sur une
autre scène, plongée dans un souvenir d’enfance où elle a assisté
à une scène violente. Le rire de Jean dans le jeu lui a rappelé
le rire sardonique de l’agresseur. Elle a été replongée dans un
moment traumatique de son histoire personnelle, et elle s’est
alors détachée du groupe et de sa mise en scène.
L’ensemble du groupe a pu élaborer les termes de la dépen-
dance, de l’emprise entre participants, de l’assujettissement aux
formateurs métaphorisés par les jeux psychodramatiques. Les
liens se sont faits pour chacun avec sa propre histoire, permettant
au sujet d’advenir et de se différentier dans le groupe dans un
travail de subjectivation.
Qu’en est-il pour Emma ? Le débordement émotionnel, l’évo-
cation de ce souvenir in fine, posent une question au-delà de
la temporalité de ce groupe court dans le temps (4 jours). Il ne
s’agit pas d’un souvenir refoulé, mais d’un affect refoulé lié à
cette représentation qui peut s’exprimer en face de cette scène
psychodramatique vue et entendue, étrange, étrangère ? comme
dans l’enfance où elle a été spectatrice impuissante à empêcher
un drame. Reste-t-elle aliénée à ce trauma de l’enfance que le
groupe révèle dans sa force émotionnelle ?
Ici le groupe propose un espace où « les conflits intrasub-
jectifs, eux-mêmes reliquats des relations intersubjectives de
l’enfance, réelles ou fantasmatiques »sont revisités. Ils peuvent
se manifester soit dans l’espace de jeu ou dans l’espace de parole.
Emma s’est retrouvée à sa place de spectatrice dans l’enfance.
Elle ne jouait pas, elle était. Elle avait évoqué qu’elle faisait un
travail personnel pour « se sauver ».
D E L’ ASSUJETTISSEMENT À LA SUBJECTIVATION 75

Le statut du groupe, le déploiement dans l’espace des conflits


psychiques, permet par la remise en jeu des identificationss, de
se délier, de se dénouer. Pour autant, il révèle des fixations, des
identifications aliénantes, qui demanderont un travail à long
terme en individuel ou en groupe où seule une névrose de
transfert permettra une reconstruction, et l’acceptation, de mou-
vements psychiques internes en lien avec des représentations
intersubjectives.
La formation par le travail psychique groupal peut révéler
des aliénations, des fixations, des enclavements, entraînant des
répétitionss traumatiques, des enfermements dans le travail
thérapeutique. Alors, ce travail psychique groupal ne crée pas
une dépendance mais au contraire libère des chaînes de l’enfer-
mement d’un destin inexorable dans sa répétition, inconscient.
Qu’en est-il du groupe, de l’objet groupe, révélateur (exemple
de la problématique d’Emma), passeur (exemple du jeu du
Corps Calleux) ? L’histoire groupale se crée reliant des histoires
individuelles, qui résonnent entre elles, font écho. Le temps
imparti de la formation rend sensibles en chacun les effets
du groupe (réveillant des problématiques individuelles) et le
temps d’un travail thérapeutique, est différent permettant des
remaniements identitaires.
Le groupe attire vers l’actuel, l’histoire du groupe, les rela-
tions entre les participants, avec les formateurs. Il est de bon aloi,
que ce déroulement provoque chez chacun, des associations sur
sa propre histoire. C’est alors plus qu’un actuel, un présent qui
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

trouve ses racines dans le passé et se reconnaît pour chacun.

« La question de l’appropriation subjective commence à se poser


quand la contrainte de répétition se manifeste et produit une
réaction de type hallucinatoire des traces de l’expérience subjec-
tive. L’expérience traumatique revient, elle est réactualisée, elle
revient “de l’intérieur” compulsivement. C’est là que la question
de l’appropriation subjective commence à devenir une exigence
pour la psyché : la psyché va devoir trouver des “solutions” pour
s’approprier ce à quoi elle ne peut se soustraire durablement.
C’est là le sens de la contrainte de répétition, elle indique que la
psyché ne peut se soustraire à l’expérience subjective, que celle-ci
76 L E TRAVAIL PSYCHIQUE DE LA FORMATION

soit chargée de plaisir ou qu’elle soit traumatique » (Roussillon,


2006, p. 65).

« La subjectivation se tient dans une co-émergence du sujet


et de sa réalité psychique. Elle est donc ce processus, en
partie inconscient, par lequel un individu se reconnaît dans sa
manière de donner sens au réel (constitué du corps propre, de
ses pulsions, de l’environnement) au moyen d’une activité de
symbolisation » (Wainrib, 2006, p. 22).
R. Kaës (2007) reprend l’étude de la subjectivation et de
l’intersubjectivité. Il écrit :

« Le Je peut advenir pour autant qu’il se dégage du sujet aliéné


dans les identifications et dans les alliances inconscientes qui le
maintiennent dans l’assujettissement... Le sujet en devenir dans le
Je recompose son histoire au fur et à mesure qu’il se subjectivise...
Dans la suite des après-coups » (p. 215-217).

Le psychanalyste en groupe, de groupe est dans l’investigation


des élaborations du groupe, il le transforme par sa présence,
ses interventions, ses interprétations. Il accepte aussi d’en être
transformé.

C ONCLUSION
Nous formateurs sommes ignorants du groupe qui va commen-
cer. Cependant nous sommes dans un avant, le contre-transfert
précédant la rencontre avec le patient, avec le groupe, avec ce
que nous sommes, et le corpus théorique qui nous habite.
Nous connaissons le dispositif mis en place, les règles énon-
cées qui permettent au groupe de fonctionner. Nous le connais-
sons, nous l’avons intégré au cours de nos expériences de groupe
comme participants, puis comme formateurs.
Nous nous soumettons à ces règles comme les participants,
en lien avec notre association de formation. L’intertransfert
nous lie avec notre co-formateur, dans un registre de nécessaire
D E L’ ASSUJETTISSEMENT À LA SUBJECTIVATION 77

confiance, mais aussi avec notre altérité. Nos accords, nos


différents font partie de la clinique du groupe et en éclairent sa
problématique. Nous travaillons sous le regard d’un collègue, le
dialogue est primordial dans cette collaboration, cette présence
à l’autre, cette confiance en l’autre, ce travail en couple.
Nous relayons une pratique, une recherche sur les groupes,
transmise par les écrits des fondateurs, aussi par les échanges de
nos réunions, ou les échanges singuliers. Cette transmission est
vivante, évoluant en lien avec nos questionnements, sollicités
par les groupes que nous organisons. Nous l’acceptons, nous
l’intégrons mais pouvons la transformer avec ce que nous
sommes.
Nos questions aussi émergent de notre pratique clinique indi-
viduelle (psychanalyse et psychothérapie) en tant que soignants.
Nous savons que le groupe peut engendrer du chaos, de la
violence. Nous organisons, nous structurons donc les espaces,
les temps de parole et de jeu afin que l’élaboration advienne dans
le regroupement de pensées, de fantasmes communs. La rigueur
du cadre est essentielle pour que la parole circule librement et
que « tout puisse être joué » dans le faire semblant, pour ce qui
concerne le psychodrame.
Nous savons que le groupe se déroule, non dans un ordre
développemental, même s’il existe une construction du groupe
qui avance mais comme le patient dans la cure individuelle,
il peut résister, se défendre, reculer. Nous reconnaissons, par
contre, les capacités régressives spécifiques du groupe. Un
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

psychodrame où se joue un repas totémique ou cannibalique ne


nous effraie pas, il fait partie de la possibilité de régression orale
ainsi métaphorisée. Nous sommes dans le face-à-face avec les
participants du groupe, nos expressions, notre présence physique
sont inspectées, démasquées.
Nous avons des affiliations dans le CEFFRAP, hors du CEF-
FRAP, psychanalytiques, pour nous tous. Nous avons des repré-
sentations des uns et des autres, comme appartenant à des
Sociétés différentes. C’est ce dialogue qui nous intéresse dans
un groupe restreint. Il ne m’est pas arrivé d’être en désaccord
78 L E TRAVAIL PSYCHIQUE DE LA FORMATION

profond sur la compréhension d’un groupe. C’est cette liberté


de pensée qui nous intéresse avec des effets d’altérité, de même,
l’évocation de la cure individuelle et sa référence dans le champ
du groupe. Ces deux approches du groupe et de l’individu
ne me paraissent pas antinomiques mais au contraire, peuvent
s’enrichir dans les corpus théoriques et les cures des patients.
L’approche ceffrapique, a inspiré d’autres associations de
formation, qui ont pu développer d’autres aspects du groupe, la
group analyse, le psychodrame en groupe, la thérapie familiale
psychanalytique... ce dialogue avec les autres associations est
pour moi une nécessité, sans y perdre son âme. C’est bien une
thématique groupale, souvent rappelée : être ouvert à l’autre
et être enveloppé dans son identité et aussi... une thématique
individuelle.
Chapitre 4

DU PLAISIR
ET DE LA SOUFFRANCE
DANS LA FORMATION
Par Nadine Vander Elst et Guy Gimenez

I NTRODUCTION
Lorsqu’on parle de formation, il est classique d’évoquer le
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

fameux triptyque « savoir – savoir-faire – savoir-être » et si


l’on voulait simplifier au maximum et répondre en une seule
phrase à la question « À quoi formons-nous ? », nous aurions
envie de répondre qu’au CEFFRAP nous tentons de « former
à une écoute des processus et des formations de l’Inconscient
qui sont en jeu dans un espace psychique groupal ». Et cela,
quelles que soient les représentations buts de ceux qui viennent
se former, que ce soit pour devenir thérapeutes, formateurs ou
psychodramatistes... Pour nous « former » n’est pas former à un
statut ou à une technique, c’est, « former à une fonction », ici
celle de psychodramatistes de groupe.
80 L E TRAVAIL PSYCHIQUE DE LA FORMATION

Notre étude a pour but, à partir de la présentation de séquences


cliniques, de mettre au travail la question de la formation et de la
transmission à travers le dispositif psychodramatique : en quoi le
dispositif psychodramatique est-il un lieu privilégié pour laisser
émerger, repérer et traiter certains des enjeux de la filiation
et de l’affiliation, du lien aux formateurs, et, à côté du plaisir
de la formation, ce qu’il peut y avoir de souffrance dans la
transmission ? Qu’en est-il de la singularité et de la dynamique
du lien entre celui (ceux) qui transmet(tent) et ceux qui reçoivent
cette transmission ? Comment comprendre les difficultés intra-
psychiques et intersubjectives à transmettre mais aussi à recevoir
la transmission ? Comment les dispositifs psychodramatiques
favorisent-ils une transmission et une appropriation spécifique
de l’héritage permettant l’élaboration de certaines probléma-
tiques inconscientes inhérentes au processus de formation :
mouvements d’envie, d’emprise ou de destruction, violence de la
perte et du deuil, blessure narcissique et fantasmes paranoïdes ?

S ÉQUENCES CLINIQUES
L’exemple clinique que nous allons présenter provient d’un
séminaire résidentiel, dispositif qui permet à une trentaine de
participants de faire une expérience du groupe, en groupe, dans
un dispositif qui alterne les séances de petits groupes (en général
trois) d’une dizaine de participants et de deux psychanalystes
– avec des jeux psychodramatiques dans les petits groupes –
et des séances en grand groupe de l’ensemble des participants
et des six psychanalystes, là sans psychodrame. Ce séminaire
dure cinq jours. Pour rappel, les jeux psychodramatiques, dans
nos dispositifs, sont élaborés à partir d’un scénario qui est
une construction groupale et joués par ceux des participants
qui le désirent et éventuellement par un des deux psycha-
nalystes. Chacun lorsqu’il prend un rôle choisit une identité
imaginaire, qui se traduit concrètement par le choix d’un statut
social/professionnel, d’une place dans la famille, d’un prénom
et d’un âge fictifs.
D U PLAISIR ET DE LA SOUFFRANCE DANS LA FORMATION 81

S’approprier sans transformation : le vol


des manuscrits fondateurs
Rêves violents liés au fondateur de l’institution et jeu
Dans le petit groupe conduit par l’un d’entre nous (N. Vander
Elst) et un autre collègue (Ph. Héry), on en est au quatrième jour
lorsque plusieurs participants amènent des rêves assez violents
et où il est question, pour l’un d’eux, de Didier Anzieu. La
violence qui émane de ces rêves retient l’attention du groupe
ainsi que l’émergence de l’image de Didier Anzieu, auquel est
assez vite associée celle de René Kaës. La thématique de la
violence, et l’évocation des fondateurs de l’institution formatrice
CEFFRAP, s’organisent dans une proposition de jeu : on irait
voler des manuscrits d’Anzieu et de Kaës réputés être d’une
valeur inestimable. Ceux-ci sont conservés dans la maison de
l’héritière des manuscrits, qui vit avec une vieille gouvernante
de 85 ans, ainsi qu’avec un jardinier qui est aussi un peu
« gardien de la maison ». Les voleurs sont au nombre de deux,
accompagnés d’une « apprentie voleuse » de 16 ans. Le jeu se
déroule dans une grande agitation et une certaine confusion.

Commentaire
On voit bien, dans ce scénario, que la violence initiale repérée
dans le groupe à travers la production de rêves et les histoires
de vies évoquées dans le groupe (agression, intrusion, viol) se
figure dans le vol d’objets fondateurs que chacun semble vouloir
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

posséder, mais peut-être sans faire le travail d’appropriation


(introjection) et donc de transformation intérieure. Il semble que
le mouvement envieux rende ici difficile, voire impossible, la
transformation intégrative et élaborative, alors que la rivalité
peut exciter la pensée au sens de la pulsion épistémophilique
(lien K = Knowledge ou C = Connaissance, selon Bion, 1962).
Au niveau transférentiel, nous repérons que l’institution CEF-
FRAP pourrait être représentée par l’héritière des manuscrits
et le couple des psychodramatistes par le couple « gouvernante,
jardinier/gardien ».
82 L E TRAVAIL PSYCHIQUE DE LA FORMATION

Accepter le risque de (se) perdre dans le processus


de transformation
Le lendemain, cinquième et dernier jour du séminaire résiden-
tiel, le groupe évoque que nous approchons de la fin de cette
formation « pas comme les autres ». Une question est soulevée :
« Mais finalement qu’est-ce qu’on est venu chercher ici ? »
Un jeu est alors proposé : un groupe d’adolescents partirait
dans la forêt à la recherche d’essences rares. Un participant se
propose de jouer « l’Orage » qui pourrait bien gronder et deux
autres participants se proposent de jouer les habitants d’une
petite maison dans la forêt où, éventuellement, les adolescents
pourraient se réfugier. Le jeu se met en place et se déroule ainsi :
quatre adolescents partent dans la forêt à la recherche d’essences
végétales rares et précieuses. Tout en marchant, ils échangent sur
le parfum et l’intérêt de chaque plante rencontrée et semblent
ravis de leurs découvertes. Tout à coup, le participant qui tient le
rôle de l’orage le joue très violemment, cela les surprend et rend
ce moment du jeu assez confus... Heureusement les adolescents
aperçoivent la maison, dans laquelle ils sont accueillis par le
couple d’habitants autour d’un bon feu de bois bien chaud, on
leur sert à boire et à manger. Le couple les interroge sur ce qu’ils
font là, mais les adolescents restent assez évasifs. Pendant ce
temps, une des adolescentes (joué par une participante qui avait
pris en toute inconscience le prénom de la psychodramatiste)
se faufile pour aller voler un livre sur les essences rares dans la
bibliothèque des hôtes de la maison, les autres jeunes essayent
de l’en dissuader...

Commentaire
L’approche de la fin de la formation réactive chez les parti-
cipants la question de leur demande, de leur désir, du chemin
parcouru ensemble, mais aussi peut-être la question du deuil
qu’ils auront à faire du groupe qui va bientôt s’arrêter. Est ainsi
figurée, en miroir, dans la proposition de jeu, la situation même
de la formation : le départ ensemble, le fait de perdre ses repères
et de devoir affronter les angoisses archaïques de « se perdre »,
D U PLAISIR ET DE LA SOUFFRANCE DANS LA FORMATION 83

d’avoir à remanier ses identifications, et l’espoir d’un accueil


dans un lieu protecteur et réparateur lorsque l’orage intérieur
devient trop menaçant. Nous retrouvons ici la dimension trian-
gulaire évoquée plus haut : la maison (institution CEFFRAP) et
le couple homme-femme qui protège.

Interprétation jouée : le sauvetage par une directrice


de L’Oréal
C’est à ce moment l’un des deux psychodramatistes (N. Van-
der Elst) décide d’entrer dans le jeu – en ayant bien évidemment
en tête les thématiques évoquées les jours précédents autour de
la transmission. Elle annonce son rôle : « Je suis Paulette, une
directrice chez L’Oréal. » Elle se montre ravie de retrouver les
adolescentes et explique aux hôtes de la maison que c’est son
Institution qui avait initié cette expédition et envoyé ces jeunes
apprentis à la recherche d’essences rares en vue de créer un
nouveau parfum pour L’Oréal. Elle se désole un peu que, comme
souvent les années précédentes, les jeunes se soient de nouveau
perdus et qu’ils aient été surpris par l’orage ! Heureusement,
cela fait partie de leur formation chez L’Oréal ! Enfin, elle
est venue avec son minibus et va pouvoir les ramener tous
au laboratoire. À la question des accueillants sur pourquoi ces
jeunes n’ont-ils pas dit qu’ils étaient « en mission », elle dira
que les jeunes gens ont été vraisemblablement très « coincés »
et ne se sont pas sentis autorisés à en parler. En effet, nous
leur imposons un certain nombre de règles de fonctionnement
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

lorsqu’ils travaillent avec/pour nous et notamment une exigence


de discrétion...

Commentaire
L’intervention de la psychodramatiste, liant ce qui vient d’être
joué et le vécu actuel du groupe, a valeur d’interprétation : il
figure l’accueil (accueil dans la maison-institution) du groupe
(l’expédition) et de chacun et répond au mouvement de pertur-
bation lié à la situation de groupe de formation (perdus dans la
84 L E TRAVAIL PSYCHIQUE DE LA FORMATION

forêt) et la crainte du déchaînement pulsionnel représenté par


l’orage menaçant, et y répond (le raccompagnement en minibus).
Un lien est également établi entre un élément du cadre (règle
de la discrétion) et un élément du jeu (ne pas avoir dit qu’ils
étaient en mission). L’élaboration de ce jeu se poursuivra lors
de la seconde séance de la matinée : on s’interroge sur qui
est finalement à l’origine de cette expédition de recherche
d’essences rares, le jeu ayant permis aux membres du groupe
de prendre conscience que cette expédition figurait aussi la
formation au CEFFRAP. On repère que la problématique du
vol, qui tente de se réactualiser ici, laisse place à celle du
mystère de l’origine : celle de chaque « un », du groupe, mais
peut-être aussi de l’institution CEFFRAP. Cette problématique
du vol d’un objet fondateur laissé en suspens le jour précédent
revient aussi dans un redoublement « le vol » du prénom d’un
des psychodramatistes par un participant du jeu qui – non
content de rejouer le vol d’un livre – s’approprie dans un
collage identificatoire, non subjectivé, l’identité de l’un des
deux psychodramatistes. D’un autre côté, ce vol peut participer
à la construction de l’identité : s’emparer de quelque chose qui
n’est pas à soi, mais à autrui est aussi un mouvement constitutif
de l’identification, mais avec le risque de l’identification en
faux self, si le processus d’introjection les transformations qu’il
implique est insuffisant.

Aliénation ou/et subjectivation dans la formation

Sujets ou objets de l’institution CEFFRAP ?


Le groupe de participants tente alors de démêler ce qu’il
en est des places de sujet ou d’objet dans ladite recherche :
étant participants à ce séminaire, sont-ils sujets d’une recherche
personnelle, ou sont-ils objets d’une recherche du CEFFRAP ?
Comment peuvent s’articuler ces deux mouvements ? La psy-
chodramatiste avait – faut-il le dire – en entrant dans ce jeu le
fort souvenir d’un groupe dans lequel elle avait été participante
au CEFFRAP et où elle avait eu et exprimé le fantasme que les
D U PLAISIR ET DE LA SOUFFRANCE DANS LA FORMATION 85

participants étaient de la « chair à penser » pour les analystes du


CEFFRAP !

Commentaire : formation et fantasmes de (de)formation,


et mouvement anxiogène
L’inquiétude face à l’inconnu et la violence de la possible
transformation qu’implique la situation formative semblent ici
se retrouver dans les fantasmes souvent exprimés dans les
groupes de formation : fantasme d’être dé-formé sous l’emprise
du désir du formateur, de sa violence (Kaës, 2002).
La formation met en opposition, en essayant de les organiser
et les lier, le processus de construction d’une nouvelle forme
et le processus de désorganisation également présent dans cette
mise en forme. C’est quand ces deux processus de formation
et de déformation s’articulent l’un à l’autre que l’on réunit les
conditions d’une transformation (Kaës, 2002).
On peut repérer ici la tentative, des membres du groupe,
d’exister en tant que sujets de ce groupe partageant avec d’autres
sujets – dans des identifications réciproques – ce que l’on
peut apprendre ensemble, tentative entrant en conflit avec des
mouvements plus archaïques d’emprise (vol) sur des objets
partiels relevant de l’incorporation (et non plus de l’identifi-
cation) : le désir de transformation doit-il trouver issue dans le
vol, les mouvements rivalitaires et d’envie ou dans le partage
avec l’autre ? Nous voyons clairement ici comment la situation
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

formative peut générer des mouvements anxiogènes figurés dans


des scénarios comprenant une dimension légèrement paranoïde :
on utilise les participants, on agit sur eux.

L A TRANSMISSION : FILIATION ET AFFILIATION


Dans le jeu, la question de la transmission est également
présente. Le groupe se demande si apprendre passe par les
livres (volés dans la bibliothèque), par les sens (les essences,
86 L E TRAVAIL PSYCHIQUE DE LA FORMATION

peut-être aussi les directions à prendre ou à éviter), par l’ex-


périence (apprendre par l’expérience comme dit Bion [1962]),
ou bien par les sentiments ? La question d’apprendre, grandir,
en s’appropriant ce qui appartient à autrui (par le vol) est
posée. Serait-il possible de faire sien quelque chose dans une
dynamique d’échange et de partage ?
Les questions de la reconnaissance et de la filiation/affiliation
apparaissent : quelqu’un souligne qu’en amenant l’idée de les
avoir engagés chez « L’Oréal », la psychanalyste leur disait
peut-être, en écho à la célèbre formule publicitaire : « Qu’ils
le valaient bien ! »... Ce à quoi, elle n’avait pas du tout pensé,
consciemment ! L’interprétation narcissique par le groupe de
son choix de « L’Oréal » semble exprimer, en réaction, l’in-
quiétude identitaire, le besoin de reconnaissance, la fragilité
narcissique des membres du groupe : va-t-on continuer à exister
pour nous-même dans le groupe, est-on reconnu par les psycho-
dramatistes (les formateurs) ?

Commentaire : filiation et affiliation


Nous repérons dans cette séquence clinique, comme souvent
dans la formation, que chacun est confronté aux questions de la
filiation et de l’héritage : ces questions sont suspendues, mises
en cause, retravaillées, et le dispositif formatif de groupe permet
d’explorer une autre « filiation » possible, de se découvrir d’une
certaine manière d’autres « parents » et d’autres « frères et
sœurs » (Kaës, 2008a, p. 196). Dans la filiation se rejoue « un
double mouvement de reconnaissance : pour les formateurs, de
la place du formé dans la continuité narcissique dont il est
un moment du trajet ; pour la personne en formation, de sa
propre position dans l’ordre des générations, de la précession
du désir des formateurs sur son existence. La filiation formative
est l’avènement du sujet singulier dans le groupe formatif par
la place qu’on lui donne (et/ou qu’il prend) » (Kaës, 2008a,
D U PLAISIR ET DE LA SOUFFRANCE DANS LA FORMATION 87

p. 195-196)1 . Si le groupe de formation n’est pas une famille,


s’y rejouent, on le voit, des mouvements psychiques de filiation
et de liens fraternels (Kaës, 2008a, p. 195-196) permettant à
chaque sujet de reprendre, de façon si possible décalée, ce qui
s’est joué dans sa propre famille et ses propres liens de filiation.
Est ainsi relancé le mouvement dynamique (le processus) par
lequel chacun se constitue comme sujet singulier, en rejetant, en
suspendant, puis en acceptant la filiation. Cette remise en travail
s’effectue par le moyen du groupe (formatif), et par le travail de
l’inter-subjectivité. Dans la formation, « le groupe travaille le
sujet à travers le travail psychique des autres » (Kaës, 2002).

Q UATRE AXES DE TRAVAIL SUR LA FORMATION ET


LA TRANSMISSION
À partir de cette situation clinique, nous dégagerons mainte-
nant quatre axes de travail sur la formation et la transmission.
Les dispositifs formatifs du CEFFRAP remettent en travail la
question de la transmission : ses fondements, son objet, son
processus et la participation de chacun à cette dynamique :
que transmettre, pourquoi, comment transmettre, et comment
s’approprier ce qui est transmis ? Nous pensons que ce que
nous repérons, et qui se joue dans ce type de formation au/avec
psychodrame est exemplaire des processus et mécanismes en
jeu dans tout type de formation psychanalytique, et pourrait en
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

constituer un modèle.
Voici ce que nous repérons de façon spécifique dans les
formations au CEFFRAP.

1. Nous appliquons ici à la situation formative les hypothèses de René Kaës


sur double mouvement de reconnaissance dans la filiation.
88 L E TRAVAIL PSYCHIQUE DE LA FORMATION

Premier point : la formation a une dimension


ludique, maturante et narcissisante : on apprend
et on se forme en jouant
La formation permet d’apprendre : sur soi, sur soi en groupe,
sur les autres, sur les groupes, sur le lien entre les groupes.
La formation est alors source de plaisir et de satisfaction : elle
développe la capacité à jouer, au sens du play, le jeu créatif
de Winnicott (1971) qui peut être accompagné de l’affect de
jubilation. Le jeu est aussi, comme le dit René Roussillon (2004),
à l’origine d’un type de plaisir particulier, spécifique, qui est sans
doute le plaisir prototype des sublimations. Jouer devient alors
« répéter avec des décalages » des transformations faisant sortir
de l’ornière du même... Répéter, de façon un peu différente,
pour apprivoiser ce qui restait encore trop étranger en soi. Ces
décalages développent la capacité à être à la fois pleinement
présent dans la situation et dans une position « position méta »,
à côté, décalé, observateur et commentateur de ce qui se passe,
et apte à échanger avec son superviseur interne au sens de
Casement (1985). Il s’agit de la capacité à dialoguer entre deux
parties de soi : la première qui expérimente et éprouve ce qui
est en train de se passer, alors que la seconde, simultanément,
observe et commente ce qui se passe (Casement, p. 41). Il s’agit
aussi de la capacité à maintenir co-présent deux vertex : celui
du patient et celui du clinicien et leur permettre de dialoguer.

« Avec la pratique, il devient possible d’utiliser ces deux points


de vue simultanément, celui du patient et le sien propre, un
peu comme l’on suit les différentes voix dans la musique poly-
phonique. Cette capacité d’être à deux endroits à la fois, à la
place du patient et à la sienne propre simultanément, ne peut être
circonscrite que si les thérapeutes sont à même de développer une
capacité de synthétiser ces états du moi apparemment paradoxaux.
C’est ici, je crois, que la fonction opérante du superviseur interne
passe au premier plan. C’est plus qu’une auto-analyse, c’est plus
qu’une auto-supervision » (Casement, p. 46-47).

La formation analytique devrait permettre de développer la


capacité à de tels dialogues intérieurs.
D U PLAISIR ET DE LA SOUFFRANCE DANS LA FORMATION 89

La formation permet de développer l’aptitude du sujet à


repérer et « jouer » avec les scénarios renvoyant à des impasses,
des impensés, ou des inscriptions pas ou peu symbolisées. Le
sujet apprend également à explorer sans trop de risques les
différentes places de ces scénarios et ainsi mieux les intégrer.
La formation permet que se délient ainsi, pour se réorganiser de
façon plus fluide, les différentes parts de chacun et les différentes
composantes des groupes internes des participants. Se développe
alors la malléabilité du clinicien (Milner, 1977 ; Roussillon,
2004), la capacité à s’adapter de façon fluide à la situation et à
l’autre. De façon concomitante, la formation, dans son dispositif
de groupe, permet que soient remises en travail l’organisation
des enveloppes individuelles et groupales et leur articulation.

Deuxièmement : la formation est une


transformation potentiellement anxiogène et
porteuse de souffrance : on se transforme, on perd
et on se perd en se formant
La formation est une trans-formation s’opérant au travers du
lien intersubjectif et de groupe (Kaës, 2002) qui peut avoir une
dimension anxiogène et quelquefois paranoïde pour les formants.
La transformation implique un changement de forme, avec les
fantasmes de destruction qu’elles impliquent : détruire ce qu’on
m’a donné, transformer ce que j’ai été, laisser détruire et trans-
former ce que j’ai à transmettre. C’est ici un aspect paradoxal de
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

la formation : celle-ci, d’une part, met en œuvre un processus de


construction d’une nouvelle forme et d’autre part un processus
de désorganisation qui en est le fondement et la condition. Se
repère ici dans le processus formatif sa double composante : de
destruction, d’anéantissement, de réduction des formes, de mise
à l’informe ; mais aussi de dé-liaison de ce qui est trop lié, et qui
par cet excès empêche le mouvement. Cette seconde composante
de la pulsion de mort est au service de la transformation ; « elle
travaille la déliaison nécessaire à la reformation » (Kaës, 2002,
p. 5). Le scénario fondamental (ou nucléaire) de la formation tel
que l’a mis en évidence cet auteur (1973) : « On (dé)forme un
90 L E TRAVAIL PSYCHIQUE DE LA FORMATION

enfant » condense ce double mouvement de formation d’une


nouvelle forme et de construction (sous l’effet des pulsions
libidinales et narcissiques), mais aussi de déformation et de
dé-construction (sous l’effet de la pulsion de mort).
Ainsi, s’il y a du plaisir à former (comme à être formé),
la formation implique parfois frustration et souffrance dans
la difficulté à transmettre, dans les sentiments d’impuissance
à ne pas (pouvoir) transmettre. Certaines de nos institutions
analytiques individuelles ou groupales quelquefois vieillissantes
en sont, hélas, le témoin... Les difficultés intrapsychiques et inter-
subjectives à transmettre mais aussi à recevoir la transmission
seraient à analyser plus précisément.

Troisièmement : la formation permet de travailler


le complexe fraternel et de « trouver-créer »
des frères et des sœurs
Notre dispositif de formation par le psychodrame psychanaly-
tique de groupe permet particulièrement de remettre en travail
le complexe fraternel qui organise les liens fraternels, les liens à
l’autre semblable et différent. Le complexe fraternel est, comme
le décrit René Kaës (2008a, p. 1), une organisation (intrapsy-
chique triangulaire) des mouvements psychiques (narcissique et
objectaux, des désirs amoureux, de la haine et de l’agressivité,
des mouvements identificatoires, des scénarios fantasmatiques)
vis-à-vis d’un « autre semblable » et différent. Plus précisément,
le complexe fraternel organise les mouvements de rivalité et de
curiosité, d’attrait et de rejet qu’un sujet éprouve vis-à-vis de cet
autre semblable qui occupe la place d’un frère ou d’une sœur.
Si le complexe d’Œdipe organise le lien sur un axe vertical (lien
parental : différence des sexes et des générations), le complexe
fraternel organise le lien sur un axe horizontal (frère sœurs entre
eux, et le lien à l’autre semblable et différent).
La formation permet ainsi de remettre en chantier ce qui
fonde les structures de liens, les figures de l’intrus, figures des
concurrents de même génération, les mouvements de rivalité et
de curiosité, de jalousie, d’envie, de haine, d’exclusion et de
D U PLAISIR ET DE LA SOUFFRANCE DANS LA FORMATION 91

rejet, mais aussi les mouvements de tendresse, de confiance, de


solidarité, de gratitude, d’attention à l’autre et de don de soi,
ainsi que les pactes qui permettent de contrôler la rivalité, la
violence, et les envies meurtrières des différences fraternelles.
Comme nous l’avons vu dans l’exemple clinique, le psycho-
drame est un dispositif qui permet de laisser émerger, de repérer
et de traiter certains des enjeux de la filiation et de l’affiliation, à
travers les liens aux formateurs et à l’institution formatrice. On
observe un transfert à la fois sur les psychodramatistes (sujets
garants de cette entité complexe qu’est le groupe en tant que
constitué des sujets en présence, et des groupes internes de
chaque un) et sur l’institution formatrice (idéalisant, projectif,
ambivalent). La formation fonde des liens de filiation (je suis
fils de, je pense dans tel courant de pensée) et d’affiliation (je
suis membre cette institution). Souvent filiation et affiliation
sont superposées. Au CEFFRAP elles sont différenciées ou non
directement liées : on peut faire sa formation de psychodrama-
tiste sans être affilié au CEFFRAP, on peut être membre du
CEFFRAP en ayant fait sa formation ailleurs.

Quatrièmement : le travail de l’héritage :


se former c’est hériter et s’approprier un héritage
La transmission dans la formation remet également en travail
la question de l’origine (de la fin, et de la mort) : celle du
sujet et celle de son institution formatrice. Elle implique un
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

questionnement des représentations de l’origine (Kaës, 2008,


p. 47) : qui sommes-nous, d’où venons-nous, qui nous a fait,
quelle est l’histoire et l’origine de notre groupe formatif, quels
sont les mythes fondateurs de l’institution formante ? Elle ouvre
également à des questions plus bouleversantes concernant notre
finitude (ou castration) du type : qu’en est-il de la fin, de la mort
de chaque « un » et de l’institution, qu’en est-il de ma propre
disparition, et qu’aurais-je alors transmis ?C’est le travail de
l’originaire dans la formation qui met en crise ce que René
Kaës (2008a, p. 47) a appelé les « garants métapsychiques » des
membres de l’institution et qui sont les appuis de la formation et
92 L E TRAVAIL PSYCHIQUE DE LA FORMATION

du fonctionnement de la psyché de chaque membre de celle-ci,


comme :
• les alliances fondatrices (ce qui nous fait tenir ensemble) ;
• les reconnaissances identitaires (ce qui fait qu’on se reconnaît
mutuellement) ;
• les énoncés de certitude (ce qui fonde notre croyance à un
savoir commun) ;
• les illusions nourricières (ce qui vectorise nos désirs com-
muns) ;
• les interdits fondamentaux (ce qui cadre et structure nos
mouvements pulsionnels).
La formation articule un sujet à d’autres sujets dans un projet
de transmission, et d’appropriation Elle implique un « travail
de l’originaire » (Kaës, 2002) : c’est-à-dire un travail sur les
représentations de l’origine et une élaboration qui traverse les
rapports d’union et de rejet par rapport à l’objet perdu jusqu’aux
remaniements des mythes fondateurs de l’institution formante.
Une part de ce qui se transmet, se transmet en négatif.
Le dispositif psychodramatique favorise ainsi une transmis-
sion et une appropriation spécifique de l’héritage permettant
l’élaboration de certaines problématiques inconscientes inhé-
rentes au processus de formation : mouvements d’envie, d’em-
prise ou de destruction, violence de la perte et du deuil, blessure
narcissique et fantasmes paranoïdes.
De façon plus spécifique, le psychodrame psychanalytique de
groupe présente souvent des situations qui mettent en scène
une fratrie confrontée à la transmission d’un héritage. « Le
travail psychique de l’héritage est ce travail que les enfants
doivent effectuer dans leur travail de deuil au moment de la
perte des parents » (Kaës, 2008a, p. 191). On peut repérer
ici deux pôles de ce travail de l’héritage : l’un centré sur le
sujet lui-même (narcissique), avec le partage de l’origine (on
provient des mêmes parents, du même organisme de formation
de psychodramatistes) et un autre centré sur la relation (objectal)
avec le partage des objets d’amour (les parents, les formateurs
D U PLAISIR ET DE LA SOUFFRANCE DANS LA FORMATION 93

très connus, les théories brillantes des organismes de formation,


etc.). Chacun hérite alors à la fois d’une part de l’origine
(fils de, appartenant à tel groupe formatif) et d’autre part de
l’amour parental (reconnu par les siens, membre aimé, investi
par son groupe formatif d’origine). Ces parts sont à partager
avec d’autres, ce qui ne manquera pas de convoquer, comme
nous l’observons chacun les questions de la place des formés
mais aussi des formateurs : rivalité, envie, exclusion etc.

C ONCLUSION
Nous avons tenté de montrer, à partir d’une situation clinique
issue d’une session de formation par le psychodrame psychana-
lytique de groupe, que le plaisir et la souffrance font intimement
partie de l’expérience formatrice.

La formation est porteuse de souffrance

La formation est porteuse de souffrance : nous l’avons vu,


la formation est potentiellement anxiogène dans son projet
même : en tant qu’accompagnant un légitime processus de
trans-formation, elle peut générer la crainte de se perdre, de
ne plus se reconnaître soi et d’être devenu un autre autant
espéré que redouté... La formation implique ici ce mouvement
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

difficile de lâcher ce qui est connu pour un inconnu improbable


auquel on aspire. Le processus formatif réveille, le plus souvent
dans la souffrance, les parts « obscures » et douloureuses du
complexe fraternel dans ses mouvements envieux, déchirants et
destructeurs. La formation est possiblement porteuse de décep-
tion : celle de n’avoir pas reçu (pour les formés ou formants)
et de n’avoir pas réussi à transmettre (pour les formateurs). La
formation implique potentiellement cette grande souffrance que
le « transmis » si précieux ne soit pas (ou si peu) reçu et intégré,
ré-approprié, ou pire : incorporé et mimé au grand désespoir des
formateurs...
94 L E TRAVAIL PSYCHIQUE DE LA FORMATION

La formation est source de plaisir

La formation est source de plaisir dans sa dimension ludique


(on prend du plaisir à jouer créativement) et narcissisante (il est
réconfortant de voir certaines parts de soi reconnues par autrui).
La formation est également source de bien-être et de satisfaction
en ce qu’elle permet d’accompagner la croissance psychique :
le développement de sa propre « malléabilité psychique », et sa
capacité à appréhender l’autre, le lien à l’autre différemment, de
façon décalée (« méta »), laissant advenir un espace pour se pen-
ser soi-même en présence d’autrui. La formation accompagne
l’épanouissement de cette capacité d’appréhender autrement
notre vécu subjectif et d’approfondir la connaissance que l’on
peut avoir de soi : découvrir d’autres facettes de nous-mêmes
(notre groupe interne), avec un nouveau regard, avec un nouveau
point de vue (un nouveau vertex dirait Bion).
Il s’agirait ici d’un développement épanouissant d’un équi-
valent de la pulsion épistémophilique du côté de l’être : le
mouvement qui nous pousse, chacun, à nous connaître mieux,
plus intimement, tel que peut le révéler le partage avec un
groupe, « par le travail de l’intersubjectivité » (Kaës, 2002). La
formation accompagne aussi, de façon satisfaisante et maturante,
la remise en travail des parts constructives, stimulantes et
apaisantes du complexe fraternel : du côté de l’amour et du lien à
l’autre. La formation est source d’un apaisement structurant par
la possibilité de s’approprier et faire sien un héritage fondateur
et de se constituer ainsi maillon d’une chaîne de transmission.
Chacun peut ainsi se relier aux autres par le lien contenant
de la filiation et trouver sa place dans une histoire, celle de
l’institution formatrice.
Pour conclure, nous dirons que, par son exploration du lien
intersubjectif et de groupe, le dispositif psychodramatique est
pour nous un lieu privilégié de formation à l’écoute psychanaly-
tique.
Chapitre 5

DU GROUPE AU DIVAN
FAUTEUIL
En quoi l’expérience psychanalytique du groupe
et du psychodrame modifie-t-elle l’économie de l’écoute
et du travail interprétatif dans la clinique de la cure
individuelle ?

Par Catherine Desvignes, Gérard Bayle, Denis Hirsch,


Martine Pichon, Évelyne Sechaud
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

: « Le travail psychique de
L ORS DU COLLOQUE INTITULÉ
la formation, entre aliénation et transformation », des psy-
chanalystes de générations et d’appartenances analytiques dif-
férentes1 ont travaillé en table ronde autour de questions qui

1. Cinq analystes ont participé à ce débat : d’une part E. Sechaud (Association


psychanalytique de France) et G. Bayle (Société psychanalytique de Paris),
d’autre part M. Pichon (Société psychanalytique de Paris), D. Hirsch (Société
belge de psychanalyse) et C. Desvignes (Société psychanalytique de recherche
et de formation) tous trois membres du Cercle d’études françaises pour la for-
mation et la recherche : approche psychanalytique du groupe, du psychodrame,
de l’institution (CEFFRAP).
96 L E TRAVAIL PSYCHIQUE DE LA FORMATION

les mobilisent activement, à partir de leurs expériences de la


cure, des groupes et du psychodrame. Les échanges ont porté
sur des thématiques communes, telles que : l’interprétation des
transferts, le travail de contre-transfert, l’assise identitaire de
l’analyste, le trauma, le rêve et le surmoi analytique autour de
trois axes principaux :
• les spécificités de l’expérience psychanalytique de groupe et
du psychodrame ;
• ses effets sur l’écoute analytique dans le cadre de la cure ;
• son impact dans un parcours de formation analytique.

L ES SPÉCIFICITÉS DE L’ EXPÉRIENCE
PSYCHANALYTIQUE DE GROUPE ET
DU PSYCHODRAME PSYCHANALYTIQUE
Dans le travail analytique groupal (Kaës, Missenard et al,
1999), les membres du groupe se retrouvent face à des souve-
nirs, des inquiétudes, voire des angoisses, qui sont réactualisés
tout autrement que dans un cadre analytique individuel. Cette
expérience psychanalytique, du fait de la précarité identitaire,
de l’intensité des mouvements régressifs et de l’ébranlement
des assises narcissiques qu’elle peut générer, place les sujets
dans une économie psychique spécifique. Elle confronte tout un
chacun – analystes et participants – à l’inconnu de soi, de l’autre
et du groupe. Elle engage la pluralité à l’intérieur de soi.
Ces différents mouvements mobilisent les participants d’un
groupe particulièrement dans son temps inaugural. A. Missenard
(1972) a ainsi conceptualisé la mise en œuvre d’un processus
d’identification « en urgence » entre les sujets d’un groupe, en
réponse à ce moment d’indifférenciation originaire. Pour R Kaës
(2002, p. 103) :

« L’exigence d’être à la fois indivis et membre d’un groupe


mobilise des angoisses de casse ou de dissonance interne (voire
D U GROUPE AU DIVAN FAUTEUIL 97

de clivage), résultat d’un conflit qui divise le Moi entre son auto-
conservation et les parts de lui-même qu’il va devoir abandonner...
pour réaliser le désir d’être intégré à un groupe uni. »

Aussi, la situation analytique groupale est-elle difficilement


pare excitante et, par conséquent, génératrice d’angoisses et
d’éprouvés traumatiques.
Il s’agit là d’une expérience partagée, vue et entendue par
plusieurs, dans le même temps et dans le même espace. La
parole donnée à voir et à entendre met en demeure d’éprouver,
de parler, de se positionner sans avoir ni le recul, ni le temps de
l’après coup.
Dans le psychodrame psychanalytique, le « penser-jouer »
peut prendre le pas sur le « penser-rêver » de la cure. Jouer
met face à l’imprévu, à l’effroi de la décharge, à des émotions
et des fantasmes bruts de décoffrage. Le jeu implique le corps,
l’acte et la parole dans un espace groupal où le spéculaire et « le
spectaculaire » (G. Bayle) entrent en scène.
Les analystes, parfois pris de court, sont amenés à saisir au
vol un affect, un mot ou encore des mouvements corporels, afin
de les inscrire psychiquement puis de les intégrer dans le travail
interprétatif. Dans le vif du jeu, le risque d’être débordé, la
peur d’être dépassé par le mouvement pulsionnel, tout à la fois
dans sa parole et dans son corps, met l’analyste qui joue face à
plusieurs registres et plusieurs transferts en même temps.
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

Dès lors, l’asymétrie entre participants et analystes est solli-


citée de façon singulière dans le temps du jeu et de sa mise en
place.
G. Bayle, se référant à sa pratique du psychodrame psychana-
lytique individuel thérapeutique, précise certains mouvements
psychiques à l’œuvre du côté du thérapeute acteur. Que se
passe-t-il au moment où le thérapeute va jouer, se lève pour
entrer dans l’aire de jeu ? « Bien sûr, sur la chaise on a peur, on
est soi. Et puis sur scène on va être un autre. On va quitter son
petit chez soi pour habiter ailleurs. » Il s’agit là d’un mouvement
d’investissement et de désinvestissement partiel, un mouvement
98 L E TRAVAIL PSYCHIQUE DE LA FORMATION

d’« anti-narcissisme » (Pasche, 1964) que l’on peut retrouver


dans d’autres lieux : psychodrame de groupe, supervision d’un
groupe d’analystes en formation, pratique de la cure.
G. Bayle précise :
« Dans ce moment étrange où l’on n’est plus soi et pas
encore un autre, on passe en quelque sorte brièvement par le
fantasme de la relation d’inconnu. Ce qui advient en premier
chez l’analyste est une figuration qui a vocation à devenir
représentation, à travers les aléas du transfert. »
Dans L’Interprétation des rêves, Freud (1900) souligne que
tous les personnages du rêve sont des représentants du rêveur.
Ceci renvoie à la notion de groupe psychique. Ainsi, comme
dans un rêve, tous les acteurs qui sont sur scène ont vocation
à être représentants du patient. De ce fait, le décalage entre
le scénario proposé par le patient et la réponse de l’acteur-
thérapeute crée un espace dans lequel un jeu va pouvoir se
déployer.
Par exemple, pour des patients perdus dans le temps et dans
l’espace, la technique du « double » peut leur permettre d’être
soulagés d’une gestion interne de leurs clivages et de supporter
un certain vacillement identitaire.
G. Bayle en rappelle différentes modalités :
• « le double en face » du patient, double contrôlable ;
• « le double à côté » qui peut lui dire des choses à l’oreille et
qui peut être contrôlé du coin de l’œil ;
• « le double derrière » qu’il convient de ne pas installer trop
vite car cela se rapprocherait trop du dispositif divan-fauteuil.
Au regard de ces réflexions, nous pouvons ajouter que, lorsque
l’on joue, « le ça est plus fort que le moi » (E. Sechaud), les
limites entre ça et moi ne sont plus vraiment différenciées, c’est
un moment étrange que celui où l’on n’est plus soi et pas encore
l’autre du patient. Jouer c’est se lancer, s’entendre dire, se voir
faire sans anticipation aucune. De tels moments régressifs se
retrouvent bien sûr dans la cure classique. Cependant l’asymé-
trie, précisée par le setting, permet de faire le pas de côté, de se
D U GROUPE AU DIVAN FAUTEUIL 99

rétablir et de passer de l’émotion à la représentation. Jouer peut


s’apparenter à la mise en scène d’un rêve, figuration qui, dans
un second temps, permettra un travail de symbolisation.

E FFETS DE L’ EXPÉRIENCE GROUPALE


ET PSYCHODRAMATIQUE SUR L’ ÉCOUTE
ANALYTIQUE DANS LA CURE
La question posée fait référence à deux expériences, celles
du groupe et celle du psychodrame. E. Sechaud et G. Bayle
proposent de saisir comment ces expériences ouvrent notre
écoute à des interprétations, voire à des modifications, de notre
technique classique du maniement du transfert.
Nous poursuivrons en évoquant trois séquences cliniques de
cure type, à partir des questions du trauma, du travail du rêve,
du surmoi analytique. Ces trois séquences auront pour points
communs de montrer la mobilisation d’une écoute groupale
chez l’analyste lorsque des zones psychiques traumatiques, des
dépôts transgénérationnels ou des secteurs psychiques encryptés
apparaissent chez l’analysant.

Intervention psychodramatisée et surmoi


analytique (E. Sechaud)
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

Freud écrit dans la première page de « Psychologie des masses


et analyse du moi », en 1921 :

« Dans la vie d’âme de l’individu, l’autre entre en ligne de compte


très régulièrement comme modèle, comme objet, comme aide et
comme adversaire, et de ce fait la psychologie individuelle est
aussi, d’emblée, simultanément, psychologie sociale, en ce sens
élargie mais tout à fait fondée. »

D’emblée, le groupe, donc. La personnalité psychique n’est


pas comme la République, une et indivisible. Elle est bien au
contraire plurielle et Freud en 1933 la décompose dans cette
100 L E TRAVAIL PSYCHIQUE DE LA FORMATION

XXXIe Leçon des « Nouvelles Conférences d’introduction à la


psychanalyse » où il déploie notamment les rapports entre les
instances surmoi/idéal du moi, moi/ça ainsi que les résistances
que le moi et le surmoi imposent à la levée du refoulement.
Les différentes formes d’identifications, les expériences
sexuelles infantiles liées aux premiers objets, la culture qui
nous imprègne dès avant la naissance sont constitutives de
la personnalité dont les aspects et les figures sont convoqués
par le dispositif analytique. La pluralité des identifications
et des objets investis fait de tout individu le précipité d’un
ensemble de relations groupales. L’analyse de groupe en permet
le déploiement mais l’analyse individuelle a à traiter de ses
configurations.
Ces figures ne sont pas statiques, elles sont au contraire
animées par des scénarios fantasmatiques. Le travail analytique
aura notamment pour effet de les modifier, les nuancer, leur faire
jouer des rôles différents. La métaphore du théâtre qui vient
spontanément à l’esprit de Freud lorsqu’il parle du transfert,
l’amour de transfert en l’occurrence, manifeste le déroulement
d’une action avec des personnages souvent en « quête d’au-
teur ».
Comment l’analyste se situe-t-il par rapport à cette scène ?
En dehors comme spectateur plus ou moins pris à parti ? Ou
bien va-t-il monter sur scène et apostropher directement les
personnages en action ? À quel niveau va-t-il intervenir dans
la représentation ? Où va se situer son interprétation ? Dans le
jeu ? ou en dehors du jeu ?
La formation « classique » des analystes les cantonne dans
une fonction interprétative, dissymétrique et neutre par rapport
au patient. La familiarité avec le jeu et un mode plus hystérique
de figuration ne permettent-ils pas de s’identifier au patient avec
plus de mobilité psychique et dans un rapport moins surmoïque
au cadre ?
L’expérience du psychodrame ne bénéficie pas seulement
à la compréhension et au maniement du transfert dans les
D U GROUPE AU DIVAN FAUTEUIL 101

pathologies narcissiques, voire psychotiques. Elle permet éga-


lement une plus grande souplesse et créativité face à certaines
impasses transféro-contre-transférentielles dans des cures de
patients névrosés.
Deux règles sont essentielles dans la mise en place de l’ana-
lyse : la règle fondamentale qui institue l’analyse, fonde la
méthode d’association libre et permet l’interprétation. Quant
à la règle du payement des séances manquées, elle est l’élément
majeur du cadre qui présentifie le Surmoi et permet de rejouer
l’origine externe de l’autorité parentale. Le rappel de ces règles
précise bien dans quel cadre peut se situer l’inventivité de
l’analyste.
Ainsi, une intervention psychodramatisée – par le change-
ment de position et l’introduction de la perception directe et
réciproque – permet d’introduire de nouvelles conditions qui
mobilisent les affects et mettent en scène le corps. Plus de jeu
entre le moi et le surmoi apporte un certain degré de tolérance
au surmoi.
L’expérience du groupe et du psychodrame ouvrirait non
seulement l’écoute mais aussi l’éventail des modes d’interpréta-
tion. Lorsque l’agieren du transfert est à l’œuvre et fonctionne
dans le sens de la résistance, l’acte interprétatif peut ne pas suf-
fire et nécessiter alors une mise en jeu psychodramatique. L’effet
mobilisateur de ce type d’interprétation par le jeu contient une
dimension séductrice ou agressive. Cette modalité technique
confronte l’analyste à la question de la transgression et de la
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

culpabilité.

Apport du psychodrame dans la pratique


de la cure (G. Bayle)
Dans le setting analytique, si les différences entre analysant
et analyste sont essentielles et fondamentales, il s’agit d’une
rencontre entre deux sujets pris tout deux dans le fil transféro-
contre-transférentiel.
Dans cette perspective, des moments de « surplomb » sont
nécessaires. Ils sont favorisés par l’expérience du psychodrame.
102 L E TRAVAIL PSYCHIQUE DE LA FORMATION

Ainsi, une intervention psychodramatisée, en résonance avec


une impasse clinique dans la cure, peut en permettre le dégage-
ment.
Soulignons dès lors la complexité de ce qui se met en jeu : le
danger d’une psycho-dramatisation systématique de la séance
d’analyse, comportant le risque d’une aliénation de la relation
analytique. « On se retrouverait comme Socrate avec l’esclave
en train de lui apprendre la géométrie. Le psychodrame n’est
pas une arme absolue. » Il s’agit là de la prise en compte de
la dimension défensive que la référence au psychodrame peut
revêtir. La possibilité pour l’analyste de se laisser prendre, de
passer par un temps de désarroi est un moment « obligé » pour
que le psychodrame n’apparaisse pas comme « une recette ».
Dans le même temps, l’analyste psychodramatiste est aussi
en butte avec sa conflictualité interne et sa double référence :
« Bien sûr, le rapport au canon de l’éthique psychanalytique et
traditionnelle n’est pas évident lorsque nous envisageons une
psycho-dramatisation en séance. »
B. Grunberger (1972) évoquait que « neutralité bienveillante
signifie neutralité pulsionnelle et bienveillance narcissique ». La
bienveillance narcissique fait que, justement, dans certaines cir-
constances, il est important de faire quelque chose qui aurait pu,
dans d’autres, passer pour un défaut de neutralité pulsionnelle.
Ce « faire quelque chose » – soit la dramatisation en séance –
permet la figuration et l’apport de libido.

Trauma, pacte dénégatif et travail


de subjectivation dans la cure (M. Pichon)
L’expérience personnelle de l’analyse est le socle de l’écoute
et du style analytique. Mais qu’en est-il de l’expérience du
groupe et du psychodrame ? Qu’en est-il de cette double réfé-
rence ? Comment rendre sensible, dans le champ de la cure, les
effets de cette expérience dans ses dimensions intersubjectives ?
Comment figurer ces effets ?
Vouloir se focaliser plus spécifiquement sur l’écoute, ainsi
que le propose notre argument, implique non seulement ce qui
D U GROUPE AU DIVAN FAUTEUIL 103

se joue dans le temps de la séance entre l’analysant et l’analyste


dans le champ transféro-contre-transférentiel, mais aussi ce qui
influence et construit cette écoute, à savoir la formation de
l’analyste, ses expériences personnelles et analytiques et ses
constructions théoriques. Cela posé, tenter de rendre compte de
son « écoute » et de ce qui finalement la constitue, l’infléchit, la
modifie, apparaît une tâche pour le moins complexe. Ce n’est
plus démêler le tien du mien mais les tiens qui se sont faits
miens !
Cette formulation renvoie au concept d’alliances incons-
cientes1 proposé par R. Kaës (2009) dans son ouvrage récent.
Alliances où s’origine la construction de chacun, à l’articulation
des espaces psychiques individuels et des espaces intersubjectifs,
communs et partagés. Le sujet se constitue par et dans ces liens
intersubjectifs, tout en étant constituant de ces liens.
Une situation clinique, où la question du trauma est d’emblée
prégnante, nous permettra de reprendre ces réflexions sur ce
qui s’inscrit en nous, trace repérable ou trace en négatif, en
attente de « développement ». Situation clinique dont ne seront
évoquées que quelques lignes de force.
C’est un état d’angoisse réactivé par un contexte de pertes
narcissiques et objectales qui conduit Gaétan à me rencontrer.
Lors des premiers entretiens, il m’apparaît comme un « encore
adolescent » dégingandé, aux rires tristes. Il me donne des
éléments de sa biographie : le décès accidentel de sa mère alors
qu’il était encore un tout-petit, le départ à ce moment-là de
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

son père qu’il n’a jamais revu, et son accueil par sa famille
maternelle. Le nom de son père a été, dit-il : « effacé ». Des

1. Pour R. Kaës, l’alliance inconsciente est « une formation psychique inter-


subjective construite par les sujets d’un lien pour renforcer en chacun d’eux
des processus, des fonctions ou des structures issues du refoulement, du déni
ou du désaveu. Chacun tire de l’alliance un bénéfice tel que le lien qui unit
ces sujets prend pour leur vie psychique une valeur décisive ». La réalité
psychique de l’ensemble est constituée par les alliances, les contrats et les
pactes inconscients que ses sujets concluent. L’idée d’alliance inconsciente
implique celles d’une obligation et d’un assujettissement (Kaës, 2009).
104 L E TRAVAIL PSYCHIQUE DE LA FORMATION

éléments biographiques, parce que au-delà de ces faits, c’est le


silence.
C’est « l’effacement ». Personne ne lui parle jamais de sa
petite enfance et lui, il n’a jamais posé de question. Il dit ne
pas connaître son histoire. Notre cheminement commun sera
un cheminement vers une représentation de cette histoire, de la
place qu’il y a occupé et qu’il y occupe.
Il associe son mal-être à ce silence. Ce silence est le sien mais
aussi celui du groupe familial, tant du côté maternel que de celui
de son père, de cette famille paternelle qu’il ne connaît pas ; ces
silences, devenus les siens, il les héberge en lui.
Tout se passe comme s’il avait été essentiel pour lui de
maintenir le lien avec sa famille maternelle, en évitant non
seulement le risque de perte ou d’exclusion, mais aussi les
vécus de haine et de destruction. Il a dû ainsi mettre en place
des modalités d’alliance aux fonctions protectrices, nécessaires,
à un moment donné mais présentant une valence destructrice
si elles deviennent pérennes. Gaétan paraît s’être positionné
dans cette nécessité absolue, afin de sauvegarder le groupe et
de se sauvegarder lui-même. Et le groupe familial dans son
ensemble s’est organisé à partir d’un pacte dénégatif1 , qui a
créé « [...] des zones de silence, des poches d’intoxication, des
espaces-poubelles (Roussillon, 1987) et des lignes de fuite qui
maintiennent le sujet d’un lien étranger à sa propre histoire »
(Kaës, 2009, p. 121).
Comment exister comme sujet, exprimer ses désirs, ses idées
propres dans de telles modalités de liens où une part de soi est
mise à l’écart, sacrifiée ? Durant les premiers temps de l’analyse,
Gaétan oscille entre des moments de forts investissements trans-
férentiels et d’autres moments marqués par un fonctionnement
plus opératoire, me donnant à entendre et à éprouver comme un

1. « Le pacte dénégatif se situe aux points de nouage des rapports qu’entre-


tiennent les sujets singuliers et les ensembles auxquels ils sont liés et dont ils
sont partie prenante. La spécificité de ce pacte est qu’il est conclu pour assurer
les besoins défensifs des sujets lorsqu’ils forment un lien et pour maintenir ce
lien » (Kaës, 2009, p.114).
D U GROUPE AU DIVAN FAUTEUIL 105

kaléidoscope d’images, de sensations, d’affects en manque de


continuité.
Ceci se retrouve au moment des week-ends et des vacances
qui seront longtemps vécus par lui comme une sorte de « trou »,
de « blanc » effaçant ce qu’il avait pu vivre précédemment sur
le divan, comme si n’était pas assurée pour lui la permanence
de l’objet. Il dit un jour : « Le week-end ça part en déconfiture,
comme si je perdais mes repères. »
Puis lors d’une séance, Gaétan part en oubliant de me régler
mes honoraires. À son retour, il « s’excuse » de cet oubli et
poursuit en évoquant une séquence où il a craint d’être « mis
dehors » par sa famille. Nous pourrons l’associer à ses craintes
à l’égard de son analyste. Il dit : « Oui j’ai pensé que vous alliez
m’en vouloir à mort, ne plus me vouloir... enfin j’ai pensé aussi
qu’il n’y avait pas mort d’homme. » Et la mort à laquelle il
est ramené c’est la mort de sa mère, mais cela renvoie aussi
à ses deuils non faits, à sa violence sous-jacente trop souvent
masochiquement retournée sur sa personne propre.
Ce mouvement transférentiel s’accompagne d’émergence
d’images, dans une tonalité créative et ludique nouvelle. Pour
figurer son investissement de l’analyse et de son analyste, il
dira : « En pensant à l’analyse c’était comme plusieurs écrans,
genre écrans de télé, tout ce que j’ai pu comprendre, puis en
pensant à vous c’est un arbre qui est apparu, qui met les écrans
en relation, qui met de l’ordre. » Comment ne pas penser en
l’écoutant à une image d’arbre généalogique qui se construirait,
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

s’érigerait peu à peu ? Sortons-nous de la « déconfiture » ? Un


arbre, qui s’étayant sur le transfert, permettrait la projection sur
un seul écran – écran du rêve, de représentations – de plusieurs
« écrans » où se figureraient des scènes mettant en jeu différentes
combinatoires entre lui, des parts de lui-même et ses objets : le
groupe familial, le couple des parents, le groupe des pairs.
Mais les avancées sont suivies de recul. Une des constantes
sera alors ses fréquentes absences ou retards. Gaétan s’ac-
croche en recherche de réassurance, mais peine à pouvoir vivre
l’engagement et la dépendance. Tout se passe comme s’il voulait
106 L E TRAVAIL PSYCHIQUE DE LA FORMATION

à la fois être et ne pas être là. On pourrait dire : tout garder, la


bobine, le fil et le fort da ! Ou encore, en référence au pacte
dénégatif : tout est ainsi préservé, rien ne se perd et... rien ne
peut se dire.
Ses agirs me laissent dans une sorte d’entre-deux très incon-
fortable. Ceci a sur moi, dans un premier temps, un effet quelque
peu sidérant, avec une tonalité dépressive, comme si j’étais
contre-transférentiellement dans une position impossible, entre
poursuivre et arrêter, dans une sorte de « blanc » moi aussi. Et
comme si ses blancs réveillaient en moi mes propres blancs,
sorte de « taches aveugles » (Guignard, 1996) qui appellent à
être prises en compte.
Mais, dans ce temps de vacillement identitaire où les limites
se brouillent entre soi et l’autre, ce qui prédomine, tout d’abord,
est une sorte d’assignation à un arrêt sur une non-image, arrêt sur
du négatif. Me reviendront en appui la formule de J.-B Pontalis
(1975) : « être touché au mort », et la conceptualisation des
alliances inconscientes, associée à plusieurs séquences de jeu
psychodramatique centrées sur la question de l’absence et de
la perte dans des versions plurielles. Que se noue-t-il là entre
nous ? La prégnance de la thématique maternelle, de la mère
morte, paraît écraser en effet toute polysémie et faire oublier
l’imago paternelle dont pourtant l’on peut retrouver des signes
notamment dans la figuration proposée par Gaétan où peut
s’ériger l’« arbre générationnel ».
La répétition est à l’œuvre. Comment garder ouverte sa
dimension de tentative de reprise de l’expérience traumatique ?
Comment s’en déprendre ? Ou encore, en référence aux travaux
de J.-B Pontalis (1997) : comment pouvoir être à la fois dans
un passé présent immobile1 où s’inscrit ce qui n’a pu être et
un passé présent mouvant où puissent se mettre en jeu pertes et
retrouvailles ?

1. Voir aussi « le temps immobile de la mélancolie » évoqué par Olivier


Nicolle dans son chapitre du présent ouvrage.
D U GROUPE AU DIVAN FAUTEUIL 107

Une perspective a été d’entendre que se rejouait là avec


moi un pacte dénégatif, que je formulerais ainsi : être et ne
pas être ensemble pour ne rien perdre, éviter d’exprimer toute
agressivité, toute violence – comme lorsque Gaétan « s’excuse »
– avec le risque de mort en toile de fond, pour ne pas se perdre,
mais au risque de se figer dans une immobilisation mortifère.
Une autre perspective a été de percevoir ces mises en acte
comme des tentatives de figurer l’irreprésentable, telle une scène
psychodramatique où les actes et les actions témoignent d’une
potentialité représentative et élaborative.
En séance, si j’ai parfois l’impression de « courir après une
ombre », ombre de l’objet, des objets disparus ou morts, les
paysages deviennent alors habités d’images, d’éprouvés, de pen-
sées renvoyant à ma propre histoire, analytique et personnelle,
à mes expériences de psychodrame et bien sûr à notre histoire
analytique commune.
Dans le transfert, je suis convoquée en tant que l’enfant laissé
tout seul, la bonne mère qui est partie trop tôt et devenue la
mauvaise, les membres de son entourage familial, si nécessaires
mais si intrusifs, le père qui disparaît et qui manque, celle ou
celui qu’on abandonne pour ne pas être abandonné, l’objet mis
à l’épreuve pour prouver qu’il ne tiendra pas tout en souhaitant
qu’il y parvienne – autant de figurations transférentielles qui
viennent là figurer le trauma.
Reviennent alors dans le discours de Gaétan des questions
mêlées d’inquiétudes à propos de sa famille paternelle. Je dirai,
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

reprenant une phrase qu’il venait d’énoncer : « Comment faire


avec les deux familles, retrouver l’une sans mettre à mal l’autre,
sans la perdre ? » Gaétan, après un silence, poursuit : « Je me
rends compte, je n’ai jamais vraiment pensé à la famille de mon
père, elle était effacée, en tout cas floue. Mais en fait, moi aussi,
j’ai deux parties, j’ai deux familles. » Il dira un peu plus tard :
« Je me sens moins qu’avant un passager clandestin. »
Son mouvement répétitif de retrait par rapport aux séances
dans le cheminement analytique, peut commencer à prendre
sens, en lien avec ce qu’il implique de changements, de pertes.
108 L E TRAVAIL PSYCHIQUE DE LA FORMATION

« C’est comme si j’avais une boîte dans ma tête... comme s’il


y avait eu besoin de laisser sous clef ce coffret à secret ». Je
questionne, intéressée par ce « coffret », ce « trésor identitaire »
(Desvignes, 1999) : « Un coffret que vous voudriez garder en
vous ? » « Oui, dit-il, parce que j’ai du mal à ce que quelqu’un
y touche... Je suis tellement habitué à rester dans mon monde. »
Gaétan tentait de « rester dans son monde » pour ne pas avoir
à revisiter l’expérience de la détresse et des défaillances de son
environnement. Désormais, il s’ouvre à d’autres représentations,
et de ce fait, à d’autres possibles.
Soulignons que l’appropriation de ses deux familles a pris
appui et racine sur le processus d’intégration de mes deux
familles « analytiques » : le groupe et la clinique individuelle.

Les rêves de séance, entre névrose de transfert et


transmission transgénérationnelle des traumas
(D. Hirsch)
Ainsi, il apparaît que la clinique et la théorie groupale
conduisent à des perspectives nouvelles à propos de certaines
dimensions des processus transférentiels et contre transférentiels
dans la cure individuelle.
La fondation d’un processus de cure-type nécessite la création
d’un espace onirique, commun et partagé à partir des groupes
internes1 de l’analysant et de l’analyste. Dans la cure indivi-
duelle, l’approche groupale tente de repérer les communautés
de déni et de refoulement qui se tissent entre l’analysant et

1. Les groupes internes, dont le paradigme structural est le fantasme, sont


définis par R. Kaës comme : « des formations de liens intrapsychiques qui
comportent une structure de groupe qui ordonne les relations entre les éléments
qui les constituent. Ils mettent en scène différentes versions du rapport du sujet
à ses pulsions, à ses objets, à son désir et au désir de plus d’un autre ». Ils
sont à la fois les organisateurs psychiques inconscients de chaque sujet, de
l’interface entre la réalité intime et la réalité partagée, et des liens du groupe.
Ils rendent compte des différentes assignations de place pour chaque sujet du
groupe lorsqu’un groupe interne commun et partagé devient organisateur de
l’espace psychique groupal (Kaës, 1995).
D U GROUPE AU DIVAN FAUTEUIL 109

l’analyste, ses effets fondateurs mais aussi potentiellement


entravants pour le processus analytique. Ces alliances incons-
cientes œuvrent dans le dispositif individuel de la cure-type, à
l’intersection des espaces intrapsychiques (de l’analysant et de
l’analyste) et de l’espace intersubjectif qui les relie.
Certes, des différences opposent le dispositif de la cure-type
par rapport au dispositif groupal : le face à face ou le divan
fauteuil, la pluralité du groupe ou la dyade de la cure, la
temporalité différente des cadres groupaux ou individuels.
Cependant, le processus de la cure implique l’articulation de
l’espace psychique groupal ou de l’espace intrapsychique, ce
dont rendent compte la complexité des mouvements à l’œuvre et
les turbulences au sein du champ transféro-contre-transférentiel.
J’aborderai ici cette question par l’intermédiaire du travail
interprétatif des rêves d’analyse, notamment ceux qui figurent
un groupe ou une séance d’analyse. En effet, le rêve met spécifi-
quement en jeu les dimensions interpsychiques de l’inconscient,
dans ses articulations avec les groupes internes intrapsychiques
de chaque sujet (Kaës, 2002). Grâce à leurs propriétés com-
munes de liaison, de diffraction, de figurabilité et de dramatisa-
tion, le rêve, tout comme le psychodrame et le groupe, favorisent
la figuration des traumas et de l’indicible.
J. Press (2008) a cherché à distinguer dans les contenus des
rêves les effets du refoulement de la névrose infantile d’une
part, les clivages et dénis des zones traumatiques d’autre part.
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

Il propose le repérage d’une dynamique montré/caché entre les


contenus manifestes de certains rêves, en lien avec une zone
traumatique non symbolisable, tandis que les contenus latents
figureraient la névrose infantile du patient. L’accent est mis
sur les conditions intersubjectives nécessaires pour relancer le
fonctionnement préconscient chez des patients qui n’ont pu
rencontrer des conditions de liens primaires suffisamment bien
tempérées.
L’analyste est à la fois l’objet transférentiel des mouvements
pulsionnels figurés dans le rêve de l’analysant mais il est aussi
le destinataire de son récit au sein du lien analytique.
110 L E TRAVAIL PSYCHIQUE DE LA FORMATION

S. Freud a progressivement découvert que le transfert est


le cœur des défenses du patient mais aussi, paradoxalement,
le levier du processus thérapeutique. S’il n’a jamais théorisé
le contre-transfert comme outil analytique, il mentionne dès
1908 dans une lettre à Abraham (Freud-Abraham, 2003, p.
109-111) l’effet de la présence de l’analyste sur le processus
analytique : « Il m’est arrivé que des cas auxquels je prenais un
intérêt personnel trop grand échouassent, justement, peut-être
précisément en raison de cette intensité. »
Comment se figure et se métabolise cette intensité de l’inves-
tissement personnel, narcissique et objectal, de l’analyste pour
son analysant ?
Je propose l’idée que certains rêves, tels les rêves de séance,
figureraient la névrose de transfert sur l’analyste en tant qu’objet
de la pulsion, mais qu’ils seraient simultanément rêvés par l’ana-
lysant en position de porte-rêve, afin de figurer les achoppements
d’alliances inconscientes dans le couple analytique. Le rêve de
l’analysant est rêvé pour le sujet lui-même et pour donner sens
à la collusion inconsciente.
Ainsi, le rêve émerge à la fois des processus de désirs pulsion-
nels inconscients au plus intime du patient mais il retrouve et
figure également les racines intersubjectives de la vie psychique
que R. Kaës appelle « espace onirique commun et partagé ». Il
le précise en ces termes : « Cette hypothèse n’invalide pas l’idée
que l’espace du rêve est un espace personnel, mais elle l’inscrit,
quant à sa source, ses contenus et ses fonctions dans une autre
expérience » (Kaës, 2002, p. 34).
En voici une illustration clinique. Il s’agit d’un premier rêve,
un « rêve de séance1 », raconté par une patiente dès la quatrième

1. Pour M. Neyraut (1974), les rêves dits « de séance » mettent en scène


l’analyste et l’analysant dans un cadre analytique imaginaire. Ils figurent
à la fois l’inscription de la névrose de transfert et le désir inconscient de
l’analysant de transgresser les règles analytiques. Ils présentent souvent des
figures de groupes, représentant d’autres patients, des membres de la famille
de l’analyste ou ses collègues, etc. Pour C. Desvignes (2008), ces rêves de
D U GROUPE AU DIVAN FAUTEUIL 111

séance préliminaire en face à face, une fois arrêté le principe


d’une cure sur le divan.
« J’étais en séance dans votre bureau ; vous me donniez
un album photo de votre enfance, à regarder après la séance,
chez moi ; finalement, nous le regardions ensemble, côte à
côte ; dans l’album, vous aviez d’abord une seule sœur, et puis
apparaissaient d’autres frères et sœurs ; mais pas de parents ;
c’était bizarre que vous me communiquiez des choses sur vous,
dont j’étais censée ne rien savoir.
Ensuite, j’ai fait un second rêve : “J’organisais une soirée
chez moi avec un groupe d’amis ; vous étiez là aussi. Quand les
amis partaient, vous restiez ; en fait vous étiez dans ma chambre,
en présence de mon mari et de moi ; on avait une séance ; je
me demandais si c’est ainsi que cela se passait, l’analyse, si
vous alliez rester là, dans notre chambre à coucher ; mon mari
s’en allait, j’étais contente de vous parler en tête à tête mais
aussi inquiète de cette situation nouvelle ; finalement vous vous
allongiez sur le lit dans la chambre d’amis ; c’était comme dans
le rêve de l’album photo, quelque chose était inversé, c’était vous
qui étiez allongé pendant qu’on parlait ; après je me mettais à
côté de vous, dans un autre lit ; cela se passait dans une grande
maison, pas la nôtre, pas la vôtre non plus, peut-être était-ce une
maison commune à votre famille et la mienne.” »
La question de la séduction entre générations et de la symé-
trie/asymétrie du couple analytique est au cœur de ce rêve
princeps de la cure. Il annonce dans un registre névrotique
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

des conflits psychiques centrés sur les fantasmes originaires, à


l’intersection d’un complexe fraternel et d’un complexe œdipien
(Kaës, 2008). Le désir de la patiente, projeté sur l’analyste, qu’il
lui montre son album photo intime pourrait se transformer en
angoisse quant à une inversion des rôles et des générations à
laquelle l’analyste l’assignerait.

séance psychodramatisent la situation analytique, la névrose de transfert de


l’analysant, mais aussi le contre-transfert de l’analyste.
112 L E TRAVAIL PSYCHIQUE DE LA FORMATION

Quelle maison commune analytique sommes-nous en train de


construire ? Quelles alliances inconscientes entre nous fonde-
raient la cure à venir ? Quels groupes d’imagos internes com-
muns (l’album de photos), sommes-nous en train de « relier » à
partir de nos histoires individuelles, semblables et différentes ?
Serait-ce là une figuration des conditions intersubjectives (symé-
triques) nécessaires à l’exploration et l’analyse de l’histoire
psychique de la patiente, cette fois dans l’asymétrie des positions
analytiques ?
Quel fantasme commun et partagé – autant craint que désiré –
est figuré et imposé par le récit du rêve de séance, à l’aube de la
cure ?
Transposé au rêve de l’analysante, on pourrait traduire cet
appareillage groupal initial par : « Un couple de semblables,
unis par un lien horizontal fraternel, regardent ensemble un
album reliant des photos d’enfance de fratrie attribuées à l’un
mais qui les concerne tous deux. »
Dès lors se pose la question d’une oscillation entre asymétrie
et symétrie dans le lien analytique, d’une circulation, libre ou
entravée, entre les espaces intrapsychique et intersubjectif. Elle
ouvre sur le nécessaire travail d’élaboration des moments de
collusion contre-transférentielle chez l’analyste.
Émerge une question que posent les figurations de ce rêve.
L’imposition du renversement des places est-elle non seulement
un fantasme sexuel infantile mais n’est-elle pas aussi la marque
d’une répétition traumatique : celle de l’envahissement, entra-
vant et excitant, de l’espace psychique de l’analysante par une
scène originaire traumatique ? Cette transmission se rejouerait
d’emblée avec l’analyste. Ainsi, « le rêve du sujet singulier,
espace intrapsychique, va s’alimenter dans l’activité psychique
d’un autre (l’analyste)...et par là même, il en fait un des lieux
d’historisation du transfert » (Kaës, 2002, p. 74).
C’est là un autre mouvement de transfert sur l’analyste que
celui du transfert infantile névrotique : transfert, ici et mainte-
nant, dans la cure, du mode de transmission des cryptes et de
l’inaudible transgénérationnel, qui s’est joué, avant et ailleurs,
D U GROUPE AU DIVAN FAUTEUIL 113

y compris avant la naissance du sujet analysant. Il ne s’agit


pas seulement d’un transfert d’imago sur l’analyste mais d’un
transfert qui concerne non pas des contenus fantasmatiques,
mais des signifiants bruts, « objets de transmission marqués
par le négatif, objets munis de leurs liens à ceux qui précèdent
chaque sujet, n’ayant pas trouvé d’inscription symbolique dans
la psyché des parents et qui se déposent ou s’enkystent dans la
psyché d’un enfant » (Kaës, 2008, p. 58).
Cette forme de transfert des modes de transmission psychique,
en négatif, est particulièrement repérable dans les dispositifs
groupaux, de par les « connexions de transfert » (Kaës, 2007, p.
62) et leur diffraction sur les participants et sur les analystes du
groupe.
Certains rêves (les rêves de séance, les rêves princeps, les
rêves de groupes) semblent ainsi à la fois figuration du transfert
infantile du sujet analysant et tentative d’imposition, autant
que de dégagement, d’un pacte dénégatif partagé. Ce pacte
pourrait, s’il n’est pas entendu et élaboré par l’analyste, entraver
le processus analytique.
Par sa double écoute, individuelle et groupale, des objets psy-
chiques de la cure, par son écoute préconsciente des oscillations
entre symétrie et asymétrie au sein du champ transfert contre
transfert, l’analyste pourra saisir et interpréter les enjeux de répé-
tition de ces pactes dénégatifs. Apparaît alors l’articulation entre
névrose de transfert et transfert des traumas transgénérationnels,
dans le vif de la séance.
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

L’agir en séance, la dramatisation et le surmoi


analytique de l’analyste (C. Desvignes)
L’expérience des différentes formes de transferts, intertrans-
ferts et contre transferts à l’œuvre dans les groupes et analysés
dans un cadre autre que celui de la cure, ne modifie-t-elle pas les
rapports moi/surmoi et, de ce fait, la façon de gérer, par exemple,
ce que l’on nomme souvent à tort « attaques contre le cadre » ?
L’écoute des transferts dans leurs diversités et leurs singulari-
tés, ne permet-elle pas de se représenter et de traiter autrement
114 L E TRAVAIL PSYCHIQUE DE LA FORMATION

ce qui concerne les parts traumatiques du transfert, notamment


dans les cures de névrosés ?
Il s’agit là de moments particuliers où la dramatisation peut
permettre de mettre en scène, en jeu, un temps particulier du
transfert. Peut-on alors penser que les liens avec le surmoi s’en
trouvent affectés ?
Les oublis, erreurs ou retards sont des expériences que tout
analyste fait. L’inconscient joue des tours à l’analyste le plus
chevronné. La question est non pas de les éviter, mais de rendre
ces événements moteurs de la poursuite du travail psychanaly-
tique.
Je proposerai une séquence clinique pour éclairer ce débat.
Prise par un travail d’écriture hors de mon cabinet, je laisse
passer l’heure d’une séance. La patiente se trouve devant la
porte close, ses coups de sonnette restent sans réponse. Elle me
téléphone aussitôt pour m’informer de sa présence. J’arrive et,
après m’être excusée, j’explicite la situation : « J’étais prise par
un travail ailleurs et j’ai laissé passer l’heure du rendez-vous. »
On peut discuter du bien-fondé de cette intervention qui n’est pas
sans lien avec la culpabilité. Pourtant, elle a pour effet d’alléger
la sidération dans laquelle ma patiente a pu être figée face à la
porte close.
La séance démarre sur le vécu traumatique suivant : « Vous
n’étiez plus là, il n’y avait personne derrière », derrière la porte
mais aussi sans doute derrière elle sur le divan, dans le vif
du transfert de la séance. Cet épisode analytique traumatique
a convoqué l’absence de regard et l’indifférence maternelle
rencontrées à un âge précoce et sources de vécus de détresse.
C’est comme si j’avais mis en mots un ailleurs habité, incarné,
alors que l’impact traumatique de la porte close convoquait des
expériences, non pas de perte mais de disparition, de néantisa-
tion de l’objet.
L’expérience du groupe et du psychodrame a, sans doute,
favorisé un penser-jouer et permis un mode de traitement de
l’événement à mi-chemin entre l’interprétation classique et le
jeu psychodramatique.
D U GROUPE AU DIVAN FAUTEUIL 115

Dans la mesure où l’événement traumatique – « Il n’y avait


rien derrière » – peut être reconnu comme vrai psychiquement
par l’analyste, son oubli n’est plus placé prioritairement sous
le sceau de l’impensable et peut se mettre en jeu sur la scène
transférentielle. De ce fait, des images et des mots arrivent
chez les deux partenaires de la cure et favorisent l’insertion
de l’événement analytique traumatique dans l’histoire infantile
et transférentielle de la patiente.
L’appui du jeu et du psychodrame n’aurait-il pas aussi comme
effet un certain assouplissement des défenses obsessionnelles et
des positions surmoïques de l’analyste ?
Une plus grande mobilité des rapports entre moi et surmoi est
la visée de toute analyse, l’expérience de l’analyse sans divan
peut, me semble-t-il, participer de cet assouplissement dans la
mesure où jouer mobilise toujours la culpabilité et la peur de
dépasser les limites à son insu.

L’ IMPACT DE L’ EXPÉRIENCE DU GROUPE


ET DU PSYCHODRAME SUR LA FORMATION
DE L’ ANALYSTE
« Chaque outil apporte avec lui l’esprit dans lequel il a été
créé » a écrit le physicien Werner Heisenberg (1958).
Cette citation étayera notre questionnement à propos de
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

l’impact de l’expérience du groupe et du psychodrame sur


la formation de l’analyste. Bien plus qu’une formation à la
pratique de la cure type, celle-ci est avant tout un processus de
transformation et de remaniement identitaire. En effet, l’analyse
personnelle permet, idéalement, de perlaborer ces enjeux identi-
taires, archaïques, narcissiques et névrotiques qui sous-tendent
le choix d’être analyste. S’y développent l’écoute analytique
et la capacité à s’identifier à l’analysant, tout en menant la
cure dans la position asymétrique au sein du champ transfert
contre-transfert.
116 L E TRAVAIL PSYCHIQUE DE LA FORMATION

Cette assise identitaire se tisse à partir de processus identifi-


catoires : identifications intégratives et aliénantes, introjectives
et adhésives, à ses analystes et aux analystes de ses analystes, à
ses superviseurs, à ses théoriciens d’élection, à la fratrie de ses
pairs.
L’ensemble de ces identifications de formation doit pouvoir
faire groupe à l’intérieur de l’analyste en devenir, et s’intégrer
en un « groupe interne de formation », groupe d’identifications,
de fantasmes et d’objets de formation. Le sujet analyste est donc
un groupe en soi !
La cure personnelle et le travail psychique au cours de la
formation sont indispensables pour que cette fantasmatique
inconsciente de l’analyste en formation soit élaborée. Le travail
de subjectivation et d’intégration identitaire de l’analyste y
trouve son inscription singulière, intrapsychique.
Toutefois, l’expérience des dispositifs analytiques pluriels
favorise – autrement que la cure et le cursus « classique » –
la mobilisation inconsciente et la mise en représentation, non
seulement des groupes internes du sujet analyste, mais aussi de
ce groupe interne de formation.
En situation de groupe, la multiplicité des transferts à l’œuvre
– sur les analystes, sur les membres du groupe, sur le groupe, sur
l’institution de référence – donne une configuration transféren-
tielle particulière et complexe qui sollicite l’assise narcissique
des analystes. Les repères identitaires sont ébranlés. Des mouve-
ments émotionnels régressifs, liés notamment à la persécution
et au négatif, sont (re)mobilisés et se réverbèrent sur la pluralité
des transferts.
Les enjeux de filiation et d’affiliation, de fondation et de
transmission font traces chez l’analyste. Ces traces sont cor-
porelles et psychiques, individuelles et groupales, verbales et
psychodramatiques. Elles sont intériorisées par l’analyste en
lien avec le dispositif groupal qui les a fait émerger et sont alors
mobilisées par les champs transférentiels pluriels spécifiques au
groupe.
D U GROUPE AU DIVAN FAUTEUIL 117

Elles nous semblent également entrer en résonance, contre-


transférentiellement, à certains moments clefs d’une cure indivi-
duelle.
L’expérience du groupe peut favoriser ainsi la perméabi-
lité des enveloppes psychiques de l’analyste, soit un certain
état de réceptivité et d’acceptation préconsciente à se laisser
pénétrer et à laisser exfiltrer des productions interpsychiques,
polyphoniques, pluri-transférentielles.
Cette expérience favorise ainsi le déploiement d’une « intui-
tion groupale », d’une écoute contre transférentielle particulière.
Il s’agit d’une écoute que l’on peut qualifier de « bifocale », pre-
nant en compte simultanément les dimensions intrapsychiques
et intersubjectives.
Cependant, l’écoute groupale en situation de cure individuelle
est potentiellement conflictuelle pour l’analyste car elle est en
prise avec un corpus théorique qui confronte la psychanalyse
freudienne à une remise en question de la centralité et de
l’unicité de l’ombilic intrapsychique de l’inconscient (Kaës,
2002).
Cette conflictualité apparaît aussi paradigmatique de la
conflictualité inhérente à la construction même du sujet et de
son sentiment d’identité. Ceci se retrouve dans la question du
narcissisme des petites différences entre membres de diffé-
rentes sociétés analytiques et révèle les assujettissements ou
du moins les appartenances identitaires à telle ou telle école et
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

parcours formatif.
Des questions telles que le respect du cadre et la place de
l’argent sont sous-tendues par « des positions inconscientes qui
sont aussi le fruit de la rencontre, au niveau intrapsychique, de
l’histoire institutionnelle et de l’histoire de chacun, analyste et
patient » (Frisch, Bleger, Sechaud, 2010, p. 117).
Les dispositifs groupaux mettent ainsi en lumière la part
d’identité archaïque et les contrats narcissiques que chacun
inscrit au sein de ses propres institutions familiales, sociales,
professionnelles... et également les sociétés d’appartenance
118 L E TRAVAIL PSYCHIQUE DE LA FORMATION

analytique. Ainsi, l’analyste peut-il appréhender le déploie-


ment et la mobilisation de ces enjeux inconscients groupaux
et institutionnels convoqués par tout processus de formation
(analytique) qui a pour enjeu la transmission de la psychanalyse
– y compris l’histoire des pactes fondateurs et des communautés
de refoulement et de déni dont il s’apprête à devenir l’un des
héritiers.
Dès lors, il serait pertinent de proposer des dispositifs grou-
paux dans le cadre des cursus au sein des sociétés d’analyse,
ainsi qu’une formation aux théorisations groupales.
Par ailleurs, ceci rejoint l’intérêt des discussions cliniques
entre analystes, développés en particulier par J.-L. Donnet
(2005) lorsqu’il développe la notion d’« échanges inter-
analytiques ».
La prise en compte de l’articulation de l’intrapsychique et
de l’interpsychique et des différents transferts joue dans la
façon de traiter, par exemple, l’interruption de l’analyse dans
le cadre d’une supervision (C. Desvignes). Souvent, une super-
vision de contrôle d’un cursus de formation d’analyste au sein
d’une société psychanalytique de l’IPA1 s’arrête si le patient
interrompt ses séances. La supervision ne reprend qu’avec une
nouvelle cure.
La prise en compte de différents paramètres peut permettre
de penser plus largement aux interférences à l’œuvre dans cette
interruption.
J’évoquerai ici ceux que nous pouvons rencontrer prioritaire-
ment :
• l’enjeu de reconnaissance narcissique, tant pour l’analyste en
formation que pour le superviseur, présent dans le contrat nar-
cissique structurant et nécessaire au travail de la supervision ;
• les alliances inconscientes défensives et pathogènes à l’œuvre
dans le lien établi entre analyste en formation et superviseur,
constitutives d’un éventuel pacte dénégatif ;

1. IPA : International Psychoanalytic Association.


D U GROUPE AU DIVAN FAUTEUIL 119

• les reliquats transférentiels des deux partenaires sur les ana-


lystes, les superviseurs et l’institution psychanalytique qui ont
marqué leurs formations respectives et la construction de leur
être analyste.
La prise en compte de ces paramètres permet d’entendre
et d’interpréter le poids de l’enjeu narcissique dans le lien
intertransférentiel. Cependant il se peut que cet enjeu se vive en
miroir entre les deux sujets impliqués dans ce travail. Un pacte
dénégatif peut alors se mettre en place.
De ce fait, on peut percevoir les multiples paramètres qui tra-
versent l’espace d’une supervision. Le fait qu’elle soit soumise
à validation en fin de parcours accroît le poids des enjeux de
reconnaissance pour chacun des partenaires.
On pourrait imaginer le cas de figure suivant : un analyste se
forme, il cherche à s’assurer de la légitimité de sa pensée, de ses
positions, ce qui est tout à fait pertinent. Dans la mesure où le
superviseur attend, lui aussi, de la supervision, de l’analyste en
formation et des collègues de son institution, une garantie de la
légitimité de sa place et de sa pensée, des alliances inconscientes
peuvent se constituer en vue d’écarter de cet espace les doutes,
les incertitudes et les différends qui fragiliseraient l’assise
identitaire de chacun d’eux.
Nous ne pouvons minimiser le poids des alliances que nous
formons à notre insu avec les analystes que nous supervisons.
De ce fait, l’élaboration ne peut se faire à partir d’un travail
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

psychique exclusivement centré sur ce qui se passe dans le


transfert-contre-transfert entre l’analyste et son patient.
Différents transferts sont à l’œuvre : sur l’analysant, sur le
superviseur, sur la supervision et sur l’institution analytique
de référence. Ces transferts impliquent toujours l’analyste en
formation d’une part et l’analyste superviseur d’autre part. Leur
prise en compte permet de dénouer et de mettre à jour les
alliances inconscientes qui entraveraient, sinon, un travail sur le
manque, la castration et la mort, mais aussi sur la destructivité
et son impensable.
120 L E TRAVAIL PSYCHIQUE DE LA FORMATION

L’expérience de la diffraction du transfert1 (Kaës, 2007)


donne à l’analyste un outil lui permettant d’interpréter autrement
des événements tels que l’interruption d’une cure, et ce d’autant
plus s’il se réfère à une expérience groupale où la répartition éco-
nomique du transfert sur différents objets est particulièrement
repérable.
Un passage par la clinique peut permettre de préciser mon
propos. J’évoquerai l’interruption d’une analyse supervisée,
suite à l’arrêt des séances par la patiente. L’élaboration de ce
qui a présidé à cette interruption a pu se référer à l’économie
de l’écoute dans la supervision, c’est-à-dire à ce qui s’est passé
entre superviseur et supervisé et aux effets de l’économie à
l’œuvre dans cet espace sur le déroulement puis sur l’interrup-
tion de la cure.
Les deux analystes, superviseur et analyste en formation, ont
réalisé qu’ils avaient créé un espace de travail associatif, une
aire de plaisir et de réassurance narcissique qui, à leur insu, avait
exclu la patiente de leurs champs d’investissement réciproques.
On peut penser que cette mise en place a eu pour visée d’exclure
non seulement la patiente mais tout ce qui mettait en question
la pertinence de l’indication d’analyse. La priorité donnée à
la prime de plaisir et de réassurance narcissique leur a évité
de prendre conscience des aspects opératoires et limites de la
problématique de la patiente.
Le temps donné au travail d’élaboration a permis, entre autre,
de réinterroger l’indication posée au départ et a abouti à un
travail plus précis quant au choix du patient pour une cure
supervisée. Par conséquent, la supervision d’un nouveau patient

1. La première conséquence de la pluralité est que le groupe est un lieu


d’émergence de configurations particulières du transfert. Ce qui est transféré,
ce ne sont pas seulement des objets, mais des connexions d’objets avec leurs
relations...Dans le dispositif de groupe, les transferts pluriels, multilatéraux
et connectés entre eux sont diffractés sur les objets prédisposés à les recevoir
sur la scène synchronique du groupe... La diffraction du transfert est aussi
une répartition économique des charges pulsionnelles associées à l’objet du
transfert (Kaës , 2007, p. 61-62).
D U GROUPE AU DIVAN FAUTEUIL 121

a bénéficié du travail fait en amont, entre l’interruption de la


cure et le démarrage d’une nouvelle cure.
L’expérience du groupe, du psychodrame de groupe et la prise
en compte des transferts à l’œuvre, a entraîné une compréhen-
sion plus large de l’interruption de cure dans le cadre de la
formation analytique. Suite à cette interruption, un retour de
plusieurs mois sur le déroulement de cette cure, sur la dimen-
sion meurtrière du transfert à partir d’un rêve ayant précipité
l’arrêt, sur les enjeux de reconnaissance dans une première cure
supervisée, a été nécessaire. Cela a permis de repenser la place
de la supervision dans le parcours de formation de l’analyste, la
nécessité d’une supervision réussie et la définition des critères de
réussite pour chacun des partenaires. Ce travail fait en amont de
la reprise d’un second cas de contrôle permet de situer ce second
patient dans toute l’histoire de la supervision La cure de ce
patient peut alors bénéficier du travail des analystes concernant
les limites, les zones de surdité et l’expérience de la perte pour
chacun.

C ONCLUSION
Prise et déprise, liaison et déliaison, plongée dans l’inconnu et
remontée vers la représentation sont autant d’expériences vécues
par l’analyste dans le jeu psychodramatique et dans le groupe.
Nous avons ici tenté de spécifier le bénéfice de telles expériences
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

pour la pratique de la cure. Nos interventions ont, chacune dans


leur singularité, mis en évidence l’effet de la rencontre des
différentes parts de soi et de l’autre, dans le champ transfert
– contre transfert.
L’articulation de l’intrapsychique et de l’intersubjectif ouvre
en effet sur de nouvelles perspectives pour penser les enjeux
psychiques du lien entre l’analysant et l’analyste.
Les perspectives théorico-cliniques ouvertes par la pratique
du groupe et du psychodrame s’inscrivent dans la réflexion
contemporaine.
122 L E TRAVAIL PSYCHIQUE DE LA FORMATION

La psychanalyse s’est en effet progressivement intéressée


entre autres aux questions du trauma narcissique, des violences
collectives, de la transmission transgénérationnelle.
Dans cette clinique du clivage et du déni, de l’agir, du
non-subjectivé et de la souffrance narcissique, le psychisme
de l’analyste devient une matrice intersubjective nécessaire pour
penser et sentir ce qui justement n’a pu être ni psychisé ni
nommé dans un lien primaire bien tempéré.
Les possibilités de symbolisation et de subjectivation des
secteurs de fonctionnement désymbolisés passent par ce lien
intersubjectif. Ce sont alors les alliances inconscientes – tant
structurantes que pathogènes et défensives – entre l’analysant et
l’analyste, en tant que sujets du lien analytique, qui sont mises
en tension et auxquelles l’analyste porte une écoute spécifique.
De plus, ne peut-on penser que l’impact de telles expériences
se retrouve dans la gestion du cadre et dans la transmission
de l’analyse ? Cette réflexion mobilise la double dimension du
surmoi et de l’idéal chez l’analyste.
La question du surmoi et de ses liens conscients et incons-
cients avec l’institution analytique reste également centrale,
ainsi que le dégagement toujours nécessaire de l’idéalisation
à l’œuvre dans les processus de formation.
Pour rester fidèle au thème du colloque, « Le travail psychique
de la formation : Entre aliénation et transformation », nous ne
pouvons conclure sans évoquer l’emprise théorique et clinique
à l’œuvre dans l’écoute analytique, et ce, quels que soient les
dispositifs thérapeutiques. Les enjeux de reconnaissance, avec
leurs dimensions narcissiques présentes dans tous les groupes
humains, le sont aussi dans les groupes d’analystes. L’ombre des
figures tutélaires pèse sur la créativité psychique des analystes.
L’intensité des mouvements fratricides à l’œuvre dans le groupe
des premiers analystes autour de Freud est toujours d’actualité.
L’évocation de ce temps de l’histoire rappelle que toute forma-
tion mobilise haine, amour, rivalité et envie meurtrière.
D U GROUPE AU DIVAN FAUTEUIL 123

Ceci souligne l’importance d’un travail personnel et groupal


concernant les liens d’emprise théorique et clinique, travail de
dégagement toujours à reprendre.
Postface

LA POSITION
DU PSYCHANALYSTE
DANS UNE FONCTION
DE FORMATEUR

Par René Kaës


 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

parcourt cet ouvrage : quelle est la posi-


U NE QUESTION
tion du psychanalyste lorsqu’il exerce une fonction de
formateur ? La question déborde évidemment le cadre de la
formation que proposent et mettent en œuvre des psychanalystes
qui forment à la pratique du psychodrame. Elle se pose dans
toutes les institutions psychanalytiques qui forment à la fonction
de psychanalyste, mais elle prend une allure particulière dans
toutes les institutions qui mettent en œuvre une formation à des
pratiques dérivées de la méthode de la cure individuelle. Elle
se pose donc au Ceffrap et pour plusieurs raisons. Tout d’abord
parce que nous ne sommes pas une société de psychanalyse, au
126 L E TRAVAIL PSYCHIQUE DE LA FORMATION

sens où celle-ci forme à la fonction de psychanalyste. Ensuite


nous ne formons pas des psychodramatistes dans le but de les
intégrer à notre institution : nous ne concevons pas la formation
comme un dispositif endogène qui assurerait le recrutement des
membres du Ceffrap et en effet les psychodramatistes formés
ne deviennent pas, pour la quasi-totalité d’entre eux, membres
du Ceffrap. L’admission au Ceffrap s’effectue sur des critères
différents de ceux des sociétés de psychanalyse. .
Il n’en demeure pas moins que la question « comment être
psychanalyste en dehors des situations proprement psycha-
nalytiques ? » se pose régulièrement aux psychanalystes du
Ceffrap. Dans cet ouvrage, plusieurs d’entre nous (B. Guettier,
C. Desvignes, G. Bayle, É. Sechaud, M. Pichon, D. Hirsch) ont
entrepris de décrire en quoi le travail psychanalytique dans la
cure diffère de celui qui est mis en œuvre dans le groupe ou dans
le psychodrame, comment s’articulent et se distinguent le travail
psychanalytique personnel en situation de groupe, le processus
thérapeutique et le processus de la formation. J’ai essayé de
montrer, comment dans sa tâche d’accompagnement des per-
sonnes en formation, le psychanalyste soutient le déliement et
l’élaboration des enjeux imaginaires de l’offre et de la demande
de formation.
Les distinctions que nous avons apportées ne se définissent
pas seulement par les différences de dispositif et d’objectif et
par leur congruence. Elles engagent une réflexion plus générale
qui touche à en dispositif de cure individuelle et en dispositif
réunissant plusieurs sujets : groupes avec ou sans psychodrame,
thérapies familiales, thérapie de couple. Elles engagent plus
précisément encore la représentation que l’analyste se fait de
sa fonction et de ses limites lorsqu’il poursuit un objectif de
psychanalyse, de psychothérapie ou de formation.
Pour ce qui concerne les fonctions qu’exercent au Ceffrap
les psychanalystes engagés dans la formation de praticiens
du psychodrame, deux d’entre elles me paraissent particuliè-
rement importantes. Il est très probable que ces fonctions sont
L A POSITION DU PSYCHANALYSTE DANS UNE FONCTION DE FORMATEUR 127

à interroger par psychanalyste qui collabore à un processus de


formation–avec ou sans fonction « didactique ».
La première concerne la fonction de référence que nous avons
mise en place au Ceffrap : dans cette fonction, nous sommes
confrontés à des résidus du travail analytique personnel des
personnes en formation, et notamment aux transferts antérieurs
qui se réactivent et apparaissent dans les mouvements trans-
férentiels, contretransférentiels et intertransférentiels auxquels
elles ont à faire face dans leur pratique. Comment travailler
ces résurgences sans transformer la situation de référence en
situation d’analyse ? La réponse n’est pas simple : pour ma
part, je pense que l’axe qui spécifie le travail de référence doit
demeurer celui de l’analyse du processus de formation dans
ses dimensions personnelles et institutionnelles et que les résur-
gences transférentielles et leurs contenus et modalités actuelles
doivent seulement être pointées dans ce contexte pour qu’elles
puissent prendre sens dans ce processus et, éventuellement être
reprise dans un autre dispositif. Il peut arriver en effet que les
répétitions soient telles qu’elle conduise de nouveau la personne
en formation dans un groupe d’élaboration personnelle, dans un
dispositif de supervision ou chez son psychanalyste.
Une autre fonction fait question, et là encore elle se pose
dans d’autres dispositifs de formation à la pratique de la psy-
chanalyse : il s’agit des enseignements, des séminaires et des
dispositifs de transmission des savoirs psychanalytiques. La
question est doublement difficile : diffuser un savoir par la
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

voie publique ouvrages, revues, colloques, conférences est une


chose : la transmission n’est pas contrainte par les exigences
d’un cursus, mais les effets de transferts ne sont pas écartés
pour autant. Il en va autrement lorsque cette fonction s’exerce à
l’intérieur d’un dispositif de formation. Cette fonction place le
psychanalyste non plus en position non de sujet supposé savoir,
mais de sujet sachant non seulement un savoir de l’Inconscient
(celui-là il le partage avec l’analysant), mais un savoir sur
l’Inconscient. Les inductions de transfert sont inévitables et
elles demeurent en stase si aucun dispositif n’est disponible
128 L E TRAVAIL PSYCHIQUE DE LA FORMATION

à leur déliement. Cette fonction de transmission d’un savoir


sur l’Inconscient place l’analyste à la place du Maître. Elle
s’approche de celle du pédagogue : non seulement un second
« métier impossible », qui viendrait perturber ou contaminer le
premier, mais un métier qui ferait alliance avec les résistances
au processus analytique proprement dit.
Comment traiter cette fonction de transmission des savoirs
dans la pratique de la formation ? Poser cette question, c’est
admettre qu’il est indispensable qu’elle soit assumée, car la
seule expérience de l’analyste ne suffit pas à penser – et à
penser dans la solitude, les dimensions de la clinique, de l’épis-
témologie et de la méthode qui soutiennent la connaissance
de l’Inconscient et de la manière d’y avoir accès. En outre,
il importe que l’institution dans laquelle cette formation est
dispensée ouvre un espace pour l’exposer, pour expliciter ses
théories de référence, les confronter avec d’autres conceptions
et en débattre avec les personnes en formation. Dès lors que
nous admettons cette nécessité, comment la mettre en œuvre ?
Une question surgit alors qui bute sur des tensions dont les
composantes narcissiques ne sont pas les plus légères qui soient.
Quels sont les enseignements exposés et qui les assumera ? Un
des arrière-fonds de ces questions est celle des orthodoxies, lit-
téralement celle des savoirs « droits », conformes à la doctrine :
que convient-il de savoir et de faire connaître sans risque de
déviation ? Corrélativement, qu’est-ce qui habilite à transmettre
un discours spécifique de l’institution, s’il existe, sur lequel
pourront se fonder les certitudes et se découvrir les incertitudes
des personnes en formation ?
Les deux questions que je soulève – celle de la référence et
celle des transmissions de savoirs constituants – furent laissées
de côté dans cet ouvrage. Elles appellent un développement.
Elles impliquent que notre conception devienne encore plus
claire sur les enjeux transférentiels et contretransférentiels de
l’exercice de ces deux fonctions.
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INDEX

A B EJARANO 6
Bildung 41, 52
A BRAHAM 52, 54
B ION 18, 81, 86
accompagnement en position méta
22 B LEGER 117
adolescence 11
affiliation XIX, 10, 27, 32, 61, 80,
C
86, 91, 116
agir en séance 113 C ASEMENT 88
aliénation XVII, XVIII C ASTORIADIS -AULAGNIER 32
allégeance 56 ce qui se transmet dans la
alliances défensives 20 formation 24
alliances inconscientes 16, 17, contrat narcissique 10, 12, 20, 26,
20–22, 76, 103, 106, 109, 110, 27, 32, 33, 118
112, 118, 119, 122 critiquer l’idéologie de l’intégration
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

analogie du groupe et du rêve 8 aux normes de groupe 7


A NZIEU 2, 3, 6–8, 64, 68, 69, 81 culpabilité liée au désir de
appareil psychique groupal 8, 18, formation 35
19
appropriation subjective XVI, XVII
assujettissement 56, 63–78 D
asymétrie 111 déformation 11, 49, 85, 90
désir de former 4, 8
D ESVIGNES 35, 95, 108, 110, 113,
B 126
BAYLE 126 deuil de l’enfant merveilleux 34
136 I NDEX

dimension institutionnelle de la formation comme un processus 10,


formation 13 14, 24
dispositif analytique pluriel 116 formation est un projet qui engage
dispositif de travail psychique en le temps 14
groupe 22 formation et/ou psychothérapie 24
doctrine 58 formes a priori de la formation 53
formes a priori de la sensibilité 44
F OULKES 18
E
F REUD 9, 22, 43, 44, 47, 48, 52, 58,
élaboration des enjeux imaginaires 59, 64, 68–70, 98–100, 110,
de l’offre et de la demande de 122
formation 30 F REUD A. 52
emprise dans la formation 35 F RISCH 117
endeuillement 55
envie destructrice 35
G
espace du groupe 17
espace du lien 17 G IMENEZ 21, 22
espace du sujet singulier 16 G LOVER 52
exigence de la théorisation 30 G OETHE 62
exigence épistémologique de la G REEN 34
formation 28 groupe, fonction inconsciente 7
expérience psychanalytique de groupes internes 108
groupe comme dispositif de groupes internes et groupalité
formation 15 psychique 19
expérience subjective de G RUNBERGER 102
l’inconscient 26 G UETTIER 126
exposition à la naissance 48 G UIGNARD 106

F H
fantasmatique de la formation 9, 10 héritage 86
F ERENCZI 52, 54 H ÉRY 27, 81
filiation 85, 87, 91 H IRSCH 126
fin impossible 38, 39 histoire du CEFFRAP 1, 4
F LAMENT 5
fonction de référence 127
fonctions de l’institution 27
I
formand 47, 55, 57, 59, 60 idéal du Moi 67, 69
formation à une tâche 14 idéalisation 122
I NDEX 137

identification 64, 65, 75 M ISSENARD 6, 8, 11, 64, 96


illusion groupale 8, 12 modalités spécifiques du transfert
incestualité 11 et de la résolution de leurs
inconnu 52, 57 effets 32
initiation 50 M ORPHÉE 47
inscription de la formation 15 multiplicité des transferts 116
Institut TAVISTOCK 5
interpsychique 118 N
intersubjectif 67
intrapsychique 118 narcissisme de mort 34
intrasubjectif 74 narcissisme de vie 32
narcissismes dans la formation 32
N ICOLLE 26, 31, 106
J
J ONES 52 O
Œdipe supposé conquérir le groupe
K 3
K AËS XVIII, 6, 11, 17, 18, 46, 48, on (dé)forme un enfant 9
52, 68, 69, 76, 81, 85–87, O NEIROS 47
89–92, 94, 96, 103, 104, organisateurs psychiques
108–113, 117, 120, 132 inconscients 19, 108
K ANT 44
P
L pacte dénégatif 3, 20, 102, 104,
L APLANCHE 9 106, 107, 113, 118, 119
lien XVII, 11, 16, 17, 20, 33, 39, pacte narcissique 33
 Dunod – La photocopie non autorisée est un délit

45, 46, 52–55, 66, 75–77, 80, PASCHE 98


81, 84, 88–90, 94, 103, 104, P ICHON 126
107, 109, 112, 114, 116, 118, P ICHON -R IVIÈRE 18
119, 121, 122 P ONTALIS XX, 7, 9, 24, 106
position du psychanalyste dans une
M fonction de formateur
125–128
mélancolisation 55 position idéologique 8
méthode 66 position méta du formateur et de
métissage entre la psychosociologie l’institution en charge d’une
et la psychanalyse 4 formation 23
M ILNER 89 P RESS 109
138 I NDEX

principaux groupes internes 19 rupture épistémologique avec la


processus de la formation XVII, 4, psychologie sociale 7
12, 15, 23, 25, 31, 34, 39
processus personnel et inscription
sociale de la formation 13
S
processus psychanalytique XV savoir pour ignorer 56
psycho-dramatisation 102 S ECHAUD 117, 126
psychodrame 80, 91, 92 séduction 10, 11, 31, 70, 111
psychodrame psychanalytique 97 séduction narcissique 10
psychologie sociale d’orientation spécificité d’une formation conçue
lewinienne appliquée aux selon les critères de la
petits groupes et à la psychanalyse 15
formation 2 spécificité de la formation à une
pulsion épistémophilique 81, 94 fonction psychanalytique 29
P YGMALION 10 subjectivation 57, 63–78
surmoi analytique 96

R
T
R ACAMIER 11
R ANK 48 théorie de la Forme 5, 30
rapports de similitude et de T OROK 54
différence entre formation et training 41, 52
psychothérapie 24 training-group 5
réaction formative négative 34 transfert 66, 67, 69, 75
réalisation immédiate des désirs 31 transformation XVIII, 67, 70
reconn-essence 56, 61 transmission XVII, XIX, 80, 85, 87,
reconnaissance 15, 23, 26, 30, 32, 92
33, 61, 86, 87, 118, 119, 121, transmission des savoirs
122 psychanalytiques 127, 128
référence psychosociale 6 transmission transgénérationnelle
répétition 67, 71, 72, 75 108
reproduire et/ou transformer 25 trauma 96
résistances au travail travail analytique groupal 96
psychanalytique en situation travail de l’originaire 92
de groupe 3 travail de la perte 48, 54, 62
rêve 96 travail de subjectivation 102
rêver la forme (idéale) 10–12 travail des pulsions 10
R ICŒUR 26 travail psychanalytique dans la cure
ROUSSILLON 88, 89 et dans le groupe 16
I NDEX 139

travail psychanalytique de groupe VANDER E LST 21, 22, 81, 83


et le processus de formation violence de la rencontre dans la
21 formation 23

V
VALABREGA 58 W
valeur structurante du contrat
narcissique 14 W INNICOTT 88

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