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L’utilitarisme est une théorie dont on peut faire remonter les origines au
XVIIIè siècle avec les travaux de J. Bentham (1748-1832) et qui se développe
au XIXe siècle sous l’impulsion de J.. Mill (1806-1873).
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ner du plaisir pour l’acteur mais également créer un sentiment de peine chez
d’autres individus. En conséquence, pour juger une action, faut-il prendre
en considération le plaisir et la peine qu’elle procure à l’acteur ou doit-on
considérer l’ensemble des effets de cette action au niveau de la collectivité ?
Les utilitaristes apportent une réponse nette à cette question par l’in-
termédiaire du principe d’utilité. Selon ce principe, les actions justes sont
celles qui accroissent le bonheur collectif. Une action est alors décrétée juste/bonne
si la somme des plaisirs qu’elle entraine auprès des individus excède les peines
causées 1 . Dans un tel cas, l’action améliore le bonheur collectif et est qua-
lifiée d’utile.
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élément contribuant au bonheur. Autrement dit, ils associent le bonheur et
le plaisir. Aussi, la théorie utilitariste peut être qualifiée de théorie hédoniste
(hèdoné signifiant plaisir en grec).
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prend tout son sens dans une analyse temporelle/dynamique. Elle per-
met d’intégrer une ignorance sur les usages/actions possibles et leurs
conséquences. L’utilité qualifie ce qui peut servir pour répondre à des
besoins susceptibles d’apparaı̂tre dans certains environnements (mais
qui ne sont pas nécessairement identifiés a priori).
En résumé, “de même qu’un homme s’apprêtant à partir en promenade
emportera son couteau de poche non pas pour un usage défini qu’il
envisage, mais afin d’être outillé en vue de diverses occasions possibles,
ou pour faire face à diverses sortes de situations susceptibles de se
présenter, de même les règles de conduite qui se sont développées dan
un groupe ne sont pas des moyens en vue de buts particuliers connus,
mais des adaptations à des types de situations que l’expérience passée
a montrées récurrentes dans le monde où nous vivons” (F. Hayek,
Droit, législation et liberté, t.2, p.5, Quadrige, 1995).
Cette distinction entre deux sens des termes utilité-utile revêt un en-
jeu important. L’utilitarisme suppose que les effets d’un acte quel-
conque (action/loi) en terme de plaisir peuvent être connus a priori.
Si la prévision de telles conséquences est impossible, alors, la règle de
d’évaluation utilitariste devient caduque. L’objectif des lois/institutions
est à modifier : les lois/institutions doivent créer des conditions suscep-
tibles de favoriser la satisfaction des besoins individuels. Elles doivent
constituer des instruments polyvalents, adaptés pour faire face à cer-
tains types de situations. Et cette adaptation a pour base l’expérience
passée (concernant les types de situation rencontrées et les institutions
efficaces dans ces situations). Une règle/loi/institution est adoptée
parce que précédemment elle s’est révélée plus adaptée, plus efficace.
On voit apparaı̂tre deux modalités de mise en place des institutions.
D’un côté, chez les utilitaristes, les institutions sont créées de façon
à répondre à un objectif précis (et en supposant que les connais-
sances nécessaires pour cela sont disponibles). D’un autre côté, les
lois/institutions sont sélectionnées par un processus d’évolution, d’ap-
prentissage (cf., Hume).
Au total, on remarque que l’utilitarisme ne se démarque par l’introduction
des termes utilité-utile. Par contre, l’utilitarisme se distingue par le sens
accordé au concept d’utilité et par la définition d’un critère de justice/morale
original du fait de sa dimension collective. Comme on va le voir, cette avancée
conceptuelle se double de l’adoption d’une méthode spécifique.
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2.2. Méthodologie et nature humaine
J.S. Mill range les questions de méthode dans ce qu’il appelle la logique.
Ses réflexions sont présentées dans son ouvrage intitulé Système de logique
(1843). Pour lui, la logique établit la méthode par laquelle toutes les connais-
sances doivent être jugées et acquises. Or, il soutient que la définition cou-
rante de la logique est trop étroite. En effet, cette définition renvoie à la
méthode déductive. Cette méthode met au coeur de l’analyse scientifique
la déduction, c-à-d la formulation de propositions en partant de lois uni-
verselles et en prenant appui sur un raisonnement logique. L’illustration de
cette méthode est le syllogisme : on part d’une connaissance générale (par
exemple, “tous les hommes sont mortels”), on considère un cas particulier
(“Socrate est un homme”) et on en tire une conclusion (“Socrate est mortel”).
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Mill défend l’idée selon laquelle la méthode mixte doit être adoptée dans
toutes les sciences. Toutefois, il reconnait l’existence de difficultés dans l’ap-
plication d’une démarche inductive dans certaines sciences. Particulièrement,
il souligne la difficulté de mener à bien des expérimentations dans les sciences
sociales. Ceci conduit à y adopter une démarche essentiellement déductive.
Toutefois, contrairement à certaines interprétations, cela ne signifie pas
que Mill défende deux positions méthodologiques distinctes (en fonction
des domaines d’étude). La démarche inductive doit être présente dans les
sciences sociales. Ces disciplines (comme les autres) doivent s’appuyer sur
des prémisses qui sont connues de manière inductive. Et ces éléments de
connaissance prennent la forme de lois psychologiques.
En effet, selon Mill, les actions et les sentiments des êtres humains en
société sont entièrement gouvernés par des lois psychologiques. La psycholo-
gie, en tant que science expérimentale, fournit des lois générales de l’esprit
humain. Donc, c’est au niveau de la psychologie qu’il faut chercher la garan-
tie expérimentale des lois sociales. Autrement dit, la psychologie constitue
le fondement inductif sur lequel se développe la déduction utilisée dans les
sciences sociales.
Cette position révèle que Mill applique une démarche similaire à ce que
l’on appelle aujourd’hui l’individualisme méthodologique. Les phénomènes
sociaux peuvent être analysés en faisant appel à des éléments concernant les
individus (composant la société). Ainsi, il écrit : “Les lois des phénomènes
d’une société sont et ne peuvent être autres que les lois des actions et des
passions des êtres humains rassemblés dans un état social. Les êtres humains
sont cependant toujours humains. Ils ne sont pas, mêmes rassemblés, trans-
formés en une autre sorte de substance dotée de propriétés différentes. Les
êtres humains en société n’ont d’autres propriétés que celles qui sont dérivées
des lois de la nature de l’être humain individuel” (J.S. Mill, Le système de
logique). Cette démarche méthodologique présente pour Mill un double avan-
tage. Premièrement, elle assure de l’existence de lois sociales stables (car les
lois psychologiques individuelles sont elles-mêmes stables). Deuxièmement,
en faisant dériver par voie déductive les lois sociales des lois de la nature
humaine, elle offre une garantie expérimentale.
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humain extrêmement complexe. Afin de rendre possible la construction d’ana-
lyses sociales, Mill restreint l’ensemble des lois psychologiques considérées.
Précisément, pour chaque science sociale-morale, Mill retient une loi psy-
chologique spécifique en supposant qu’elle est suffisante pour expliquer les
motivations des individus pour le domaine considéré. Autrement dit, Mill
introduit dans chaque science sociale une représentation tronquée, simplifiée
de l’être humain. Cependant, cette démarche ne peut être assimilée à une
démarche consistant à travailler à partir d’une représentation abstraite de
l’être humain (ayant un statut d’hypothèse).
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réforme du système législatif anglais. C’est dans cette perspective qu’il faut
comprendre la volonté de Bentham de se doter d’un critère de justice. Ce
critère doit principalement servir de guide à la réforme des lois et institutions.
Cette proposition revêt une double dimension : elle a une portée positive
(description de ce qui est) et un volet normative (description de ce qui doit
être). Elle conduit à deux principes centraux dans l’analyse de Bentham : le
principe de l’individu calculateur (volet positif de l’analyse) et le principe de
l’utilité (volet normatif). Ces deux dimensions sont ensuite conciliées par un
troisième principe : le principe de l’harmonisation par le législateur.
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ses plaisirs et ses peines et il est capable de les comparer. Il est donc possible
d’effectuer des calculs sur les peines et les plaisirs. Autrement dit, les plaisirs
et peines peuvent être quantifiés.
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2. Pour justifier la logique de calcul, Bentham introduit un système
métrique des plaisirs et peines. Il s’agit de définir des plaisirs et des
peines élémentaires servant d’unités de mesure. Il est alors possible
d’exprimer tous les plaisirs et peines sous la forme de quantités de
plaisirs et peines élémentaires.
Grâce à ce système métrique des peines et plaisirs, le législateur est
capable d’évaluer les plaisirs et les peines de chaque individu. Il est
également possible d’établir des comparaisons de plaisirs et peines
ressentis par différents individus 3 .
En outre, les plaisirs et les peines peuvent être l’objet d’opérations
algébriques (c-à-d être additionnés et soustraits). Dans ces opérations,
les plaisirs sont considérés comme des éléments positifs alors que
les peines sont prises comme des éléments négatifs. Pour une ac-
tion donnée, la somme des plaisirs et des peines engendrés permet
de déterminer si le bonheur collectif est amélioré par cette action (c-
à-d la somme des plaisirs et des peines est positive) ou détérioré (c-à-d
somme des plaisirs et des peines est négative). De la sorte, le législateur
peut déterminer si une action, une loi, une institution est bonne/juste
ou mauvaise/injuste.
Finalement, notons que le calcul du bonheur collectif respecte le prin-
cipe d’égalité entre les individus. Chaque individu compte pour un.
Aucun système de pondération n’est intégré dans le calcul du bonheur
collectif 4 .
Une spécificité de la doctrine utilitariste est donc de prendre appui sur une
nature humaine essentiellement égoı̈ste et d’arriver à prescrire la recherche
d’un bonheur collectif.
Naturellement, cette double dimension individuelle et collective conduit à
un certain nombre de tensions. Bentham introduit un moyen d’harmonisation
artificiel, confié au législateur.
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grand nombre. En effet, de nombreuses actions bénéficient à ceux qui les
conduisent mais sont défavorables pour la collectivité.
Pour Bentham, la réconciliation des intérêts personnels et du bonheur col-
lectif ne peut être qu’artificielle. Elle passe par l’intermédiaire d’un système
de récompenses et de sanctions institutionnalisé. Bentham met essentielle-
ment l’accent sur un ensemble de sanctions politiques visant à promouvoir le
bonheur collectif. Il s’agit d’un ensemble de lois et de punitions qui doivent
être conçus en respect du principe d’utilité.
Au total, la réconciliation entre le niveau individuel et le niveau collectif
passe par l’introduction d’une entité supérieure : le législateur accompagné
du système juridique-pénal. Toutefois, notons que cette entité supérieure agit
en prenant appui sur la nature humaine : le calcul individuel des plaisirs
et peines est le levier pour l’action du législateur. Pour Bentham, tout le
travail du législateur consiste à mesurer les conséquences d’une action sur
le bonheur collectif et à établir les sanctions dissuadant de la réalisation
les actions jugées vicieuses. Le législateur doit donc établir des lois, calculer
des punitions qui soient juste suffisantes pour dissuader l’individu qui les
incorpore dans son propre calcul de plaisirs et peines individuels. A ce titre,
les lois ne doivent donc pas être des instruments de vengeance de la société
mais plutôt appartenir à un dispositif incitatif.
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sur Bentham (1838) joue un rôle clé. En effet, Mill après avoir fait l’éloge de
Bentham jette un oeil plus critique sur ses écrits. Il s’associe ainsi à certaines
critiques faites à l’encontre de Bentham par des auteurs opposés au courant
utilitariste. La critique majeure concerne la conception de la nature humaine
retenue par Bentham. Mill reproche à Bentham d’avoir donnée une vision
trop étroite de l’être humain. Cette critique comporte deux volets. D’un
côté, Mill pense que Bentham développe une conception trop mécaniste de
l’homme. Pour Mill, la réduction de l’homme à un être calculateur, dont les
actions s’expliqueraient uniquement par la recherche du plaisir et l’évitement
des peines, revient à simplifier à l’excès la complexité de l’homme. D’un autre
côté, Mill reproche à Bentham d’avoir éluder les sentiments spirituels et le
phénomène de conscience morale.
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hédoniste : une action n’est pas jugée à partir du motif qui la sous-tend mais
toujours sur la base du plaisir qu’elle génère.
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Pour apporter une réponse à ces questions, Mill introduit une dimen-
sion temporelle, historique. Initialement les hommes ne connaissent
pas les plaisirs spirituels. Ils ne développent pas une conscience mo-
rale de manière innée. La découverte des plaisirs/peines de niveaux
différents se fait par l’accumulation d’expérience. La société peut et
doit intervenir afin de faciliter le développement de la sensibilité aux
plaisirs et peines supérieurs. Le système éducatif constitue alors un
élément important.
3. Le développement de l’aspect spirituel, mental de l’homme, tant du
côté des plaisirs que des peines, doit faciliter la réalisation de l’ob-
jectif de l’utilitarisme, à savoir la recherche du plaisir collectif maxi-
mal. En effet, d’un côté, la poursuite de plaisirs spirituels implique
que chaque individu soit davantage ouvert sur les autres individus et
prennent en considération leur propre bonheur. D’un autre côté, le
développement des sanctions internes incite à éviter les actions qui
détériorent le bonheur des autres. Au total, l’introduction de plai-
sirs/peines de différentes qualités permet à Mill d’harmoniser les ni-
veaux individuel et collectif de l’utilitarisme sans avoir nécessairement
recours au législateur.
4. L’intégration de différences qualitatives dans les plaisirs et les peines
soulève une difficulté au niveau des calculs de plaisirs/peines. Mill
considère des plaisirs/peines qualitativement différents. En conséquence,
ces plaisirs et peines sont incomparables. Un plaisir de qualité supérieure
ne serait échangeable contre aucune quantité d’un plaisir inférieur.
Ceci implique que l’on ne puisse plus comparer les différents plai-
sirs/peines sur une échelle quantitative. Toute la logique de calcul
effectué au niveau de chaque individu et à un niveau agrégé est alors
remise en cause.
Mill en étoffant sa conception de l’être humain s’oriente vers un système
d’harmonisation moins centralisé que Bentham. Par là, il réconcilie utilita-
risme et libéralisme : le critère de poursuite du bonheur collectif peut être
poursuivi sans qu’il y ait nécessité d’une intervention dans les choix indivi-
duels.
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