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Le problème majeur de la notion de bonne gouvernance tel que conçut et mise en œuvre par

la banque mondiale et les autres institutions financières et communautaires résident en la


focalisation sur la croissance économique, en dictature du PIB/PNB qui promeut de façon
exclusive la richesse des objets de conforts au détriment de la richesse des vies humaines.
Cette vision étriquée de la notion de la bonne gouvernance a été mise en cause de façon
radicale par la théorie des capabilités entre autres. Mais, en fait, que recouvre le concept de
capabilités ? Et quelle est sa conception de la bonne gouvernance ? Les lignes qui suivent
s’efforcent de répondre à ces interrogations

1/ L’approche par les capabilités : une théorie centrée sur la liberté humaine

L’approche par les capabilités est, en général, une théorie de l’éthique et de la philosophie
politique et, en particulier, une théorie de la justice, inaugurée par Amarthya Sen en 1982
dans son article « right and agency ». En tant que théorie de la justice, l’approche par les
capabilités, comme toutes autres théories de la justice, « doit choisir une base
informationnelle, c’est-à-dire décider sur quels aspects du monde se concentrer pour juger
une société et mesurer la justice et l’injustice. Il est particulièrement important, dans ce
contexte, d’avoir une idée de la façon dont il convient d’estimer l’avantage global d’un
individu » (Amartya sen, 2010, l’idée de justice….. p283-284). Sur cette base, l’approche par
les capabilités s’est posée et imposée en s’opposant à d’autres théories de la justice telle
que l’utilitarisme, inauguré par Jérémie Bentaham et les études économiques sur le
développement orienté vers la perspective du PNB. Pour l’utilitarisme, en effet, le plan, le
meilleur pour juger et mesurer l’avantage global d’une personne en comparaison à celui des
autres est, selon BENTAHAM la satisfaction du plaisir individuelle et, selon John Stuart Mill,
le bonheur ; ou encore tout autre version de l’utilité individuelle telle que la préférence
individuelle. Quant à la méthode de l’estimation quantitative du revenu national, exploité à
fonds par de nombreuses études d’ordre pratique en économie, elle choisit le niveau de
fortunes, de revenus ou de ressources comme base informationnelle pour évaluer l’avantage
d’un individu par rapport aux autres. Ces 2 approches fondées sur l’utilité et les ressources
contrastent avec l’approche par les capabilités, initiées par Amartya Sen qui se fondent sur
la liberté humaine.
Suivant cette approche, l’avantage d’un individu doit être jugé «  à sa capabilité de faire des
choses qu’il a des raisons de valoriser. L’avantage d’une personne, en termes de
possibilités, est jugé inférieur à celui d’une autre si elle a moins de capabilités (moins de
possibilités réelles) de réaliser ce à quoi elle a des raisons d’attribuer de la valeur » (Sen,
….., p.284).
De toute évidence, l’approche par les capabilités est exclusivement centrée sur la liberté
humaine, la liberté que l’on a de faire ou d’être ceci ou cela, de faire ou d’être ce que bon lui
semble, de pouvoir être et faire ce à quoi nous accordons le plus de valeur. Cependant, le
concept de liberté à l’œuvre dans la théorie des capabilités est certes du domaine des
possibilités, mais ressorti aussi à l’autonomie de la personne et englobe le processus de
choix lui-même. Ainsi non seulement il faut que l’on soit libre de faire ceci et d’être cela, mais
aussi que le « faire ceci » et l’« être cela » soit déterminé en toute indépendance sans
aucune contrainte imposé par d’autres nous oblige à faire ceci et à être cela. C’est dans ce
sens que Sen note que «  le concept de capabilité est donc étroitement lié à la dimension de
possibilité de la liberté vue sous un angle ‘’ global ‘’ et pas simplement focaliser sur ce qui se
passe ‘’finalement’’ » (Sen…p 285). Dans cette perspective, «  œuvrer pour le
développement, ce n’est pas décider à la place d’autrui sa manière de vivre monde mais
c’est lui permettre d’augmenter ses possibles » (Gael Giraud et Jean Luc Dubois, 2008,
« Amarthya Sen, l’économie d’ ‘’acteur capable’’ in revue projet n° 306, p.8). Bref l’approche
par les capabilités inaugurée par Sen généralise le concept d’accessibilité à tous types de
bien social et celui de capacité à toutes formes de fonctionnement. Un fonctionnement c’est
ce que toute personne peut faire ou être (faire de la bicyclette ou être médecin). Et c’est en
combinant ces fonctionnements que l’individu devient capable de faire, d’être ou de devenir :
c’est la capabilité effective et potentielle de l’individu. Ainsi, selon la théorie des capabilités,
chacun choisit individuellement et librement dans la gamme des fonctionnements ce qu’il
fera ou ce qu’il sera ; il choisit ce à quoi sa capabilité lui donne accès. Aussi « derrière la
théorie des capabilités, il y a une vision de l’épanouissement de la plénitude des potentialités
humaines » (Marc-Saint Upéry, in l’économie est une science morale, 2003, Paris, La
Découverte, introduction, p.30). L’approche par les capabilités se focalisent donc sur les vies
humaines, les existences humaines réelles et non pas uniquement sur les objets de confort
comme les revenus, la fortune, et la richesse. Elle invite à abandonner la concentration
exclusive sur les moyens d’existence pour s’intéresser aux possibilités réelles (de la vie ou)
de vivre. Liberté objective, agir sans contrainte, liberté négative qui s’exprime en dehors de
tout contacte venant de l’extérieur.

2/ La bonne gouvernance comme valorisation des capabilités humaines

L’approche par les capabilités, entant que centrée sur les possibilités réelles de vivre,
conçoit la bonne gouvernance, non plus en terme d’accroissement des revenus et des
ressources, mais comme le développement des modes de fonctionnement humains
fondamentaux, qui permettent de mener une vie digne d’être vécue. Dans cette perspective,
le revenu ou la recherche des objets de conforts demeure un indicateur certes important
mais très relatif dans l’appréciation du bien-être, lequel suppose une infrastructure de biens
publics beaucoup plus varié et complexe qu’un simple mécanisme de redistribution de
richesses.
Que l’accumulation de richesses soit un indicateur relatif du véritable bien être et les
capabilités la véritable source du bien-être, Sen l’illustre à partir de l’exemple des
handicapés. Pour lui, en effet, « le fait que des êtres affligés d’incapacités physiques
possèdent une quantité égale de biens premiers ne les empêchent pas d’être moins libre de
poursuivre leurs propres bien être. De plus, les personnes souffrant d’infirmité peuvent non
seulement être handicapées dans la poursuite de leurs biens être, mais elles peuvent aussi
se trouver désavantager (à moins de bénéficier de faciliter particulière) quant aux rôles
qu’elles jouent dans le choix des institutions sociales communes et quant à l’influence
qu « elles exercent sur les décisions de politique générale » (l’économie est une science
morale, p.63)
Ainsi, dans le contexte du bien-vivre, ce qu’il convient plus de développer, ce ne sont pas les
ressources mais les capabilités, d’autant plus qu’une inégalité de capabilités à niveau égale
de ressources empêchent plutôt qu’elle ne favorise le développement humain. Développer
les capabilités revient à améliorer les fonctionnements humains aussi bien que l’organisation
sociale susceptible d’avoir une influence positive sur les dits fonctionnements. Développer
les capabilités revient en définitive à élargir l’horizon des faits aussi bien que des objectifs
que les êtres humains peuvent poursuivre en toute liberté. Tel doit être l’objectif de la bonne
gouvernance.
Il ne suffit donc pas pour un Etat ou pour les pouvoirs publics d’accroître le niveau du
PIB/PNB pour faire de la bonne gouvernance une réalité. Martha Nussbaum établit une liste
de capabilités fonctionnelle de base ayant une certaine validité transculturelle que les
pouvoirs publics doivent promouvoir comme gage de bonne gouvernance ainsi il y a bonne
gouvernance lorsque les pouvoirs publics aident les hommes à : « 1 : Pouvoir vivre, autant
que possible, une vie humaine complète jusqu’à la fin ; éviter une mort prématuré, ou
pouvoir avant que notre vie soit diminuée au point de ne plus valoir la peine d’être vécue/ 2 :
pouvoir jouir d’une bonne santé, d’une alimentation adéquate, d’un foyer décent ; avoir des
opportunités de satisfactions sexuelles ; pouvoir se déplacer d’un endroit à un autre/ 3 :
pouvoir éviter toutes douleurs inutiles et connaitre l’expérience du plaisir./ 4 : pouvoir utiliser
nos 5 sens ; pouvoir imaginer, penser, raisonner./ 5 : pouvoir éprouver un attachement pour
des personnes et des réalités extérieures à nous-même ; pouvoir aimer ceux qui nous
aiment et se soucient de notre sort, pouvoir pleurer leurs absences, en général, pouvoir
aimer et éprouver douleur, désir et gratitude./6 : pouvoir se former une conception du bien et
s’engager dans une réflexion critique sur la planification de notre propre vie./7 : pouvoir vivre
pour et avec les autres êtres humains, leur manifester notre capacité de reconnaissance et
d’attention, nous consacrer à diverses formes d’interactions sociale et familiale./8 : pouvoir
vivre dans le souci de et en relations avec les animaux, les plantes, le monde de la
nature./9 : pouvoir rire, jouer et nous adonner à des activités récréatives./10 : pouvoir vivre
notre propre vie, et pas celle de quelqu’un d’autre./ 10-a : pouvoir vivre notre propre vie dans
un environnement et un contexte de notre propre choix. »
L’idée qui sous-tend une telle liste des capacités fonctionnelles de base proposée par
Nussbaum est qu’une vie qui serait privé d’une de ces dimensions serait une vie humaine
diminuée. Aussi, les pouvoirs publics doivent ils en tenir compte dans la formulation des
diverses libertés et opportunités et des diverses ressources minimales à garantir aux
citoyens.
Cependant, au lieu de dresser une liste des capabilités fonctionnelles de base à réaliser,
œuvre onéreuse par définition, vu que les capabilités se soucient d’une pluralité d’aspect des
vies et des préoccupations humaines et varient d’une personne à une autre, il convient, ainsi
que le souligne Sen, de combattre les différents types de contingences qui peuvent
provoquer des variations dans la convention du revenu ou de la richesse en mode de vie
accessible, autrement dit il convient de combattre les différentes caractéristiques humaines
et environnementales (tant naturel que social) qui rend les hommes pauvres, c’est-à-dire qui
les empêchent de convertir leurs revenus en capabilités. Sen identifie au moins 4
contingences importantes : l’hétérogénéité personnelle, la diversité des environnements
physiques, la variété des climats sociaux et les différences de perspectives relationnelles.
L’hétérogénéité personnelle concerne les caractéristiques physiques disparates des
individus liés à l’âge, au sexe, à la vulnérabilité aux maladies, à l’invalidité, etc..., qui
diversifient énormément les besoins humains. Pour accomplir les activités élémentaires, une
personne malade ou handicapée aura besoin d’un revenu supérieur à un autre individu
moins éprouvé. Certains un désavantage, par exemple de graves invalidités, sont
impossibles à corriger entièrement, même en recourant à des traitements ou protège très
onéreux.
La diversité des environnements physiques touche quant à elle, aux conditions climatiques
telles que l’amplitude thermique, les inondations, etc. Ce que permet de faire un revenu
donné dépend en effet aussi du contexte environnemental. Les conditions
environnementales ne sont pas nécessairement figées : elles peuvent être améliorées par
des efforts collectifs ou aggravé par la pollution ou l’épuisement des ressources naturelles.
Mais au niveau individuel on doit plutôt les prendre comme une réalité non modifiable dans
la conversion des ressources et revenus personnelles en fonctionnement et en qualité de
vie. La variété des éléments sociaux concerne les conditions sociales. La conversion des
ressources personnelles en fonctionnement est aussi influencée par les conditions sociales,
notamment la qualité du système de santé publique et de l’épidémiologie, l’organisation de
l’instruction publique, la persistance ou l’absence de la criminalité et de la violence dans la
localité où l’on se trouve. Outre les équipements publics, la nature des relations sociales
peut être très importante. Enfin, les différences de perspectives relationnelles : les modes de
comportements établis dans telle ou telle société peuvent faire variés substantiellement les
besoins financiers nécessaires à l’accomplissement des mêmes fonctionnements
élémentaire. « Se montrer en public sans honte » peut exiger des tenues vestimentaires et
d’autres dépenses d’un montant plus élevé dans une société riche que dans une société
pauvre il en va de même des ressources personnelles nécessaires pour prendre part à la vie
de la communauté, voire, dans de nombreux contextes, pour satisfaire aux exigences
élémentaires du respect de soi. Il s’agit essentiellement d’une variation entre les sociétés,
mais elle influence les avantages relatifs de 2 personnes situées dans des pays différents.
(Sen, l’idée de justice, p.311-315).
En fin de compte, il peut y avoir cumule de désavantages issus de sources différentes, et
c’est une réalité qu’il faut impérieusement prendre en compte pour comprendre la pauvreté
et concevoir des politiques publiques qui la combattent. Des handicaps tels que l’âge,
l’invalidité ou la maladie réduisent la possibilité de gagner sa vie, mais il complique aussi la
conversion du revenu en capabilité, puisqu’une personne âgée, handicapée ou gravement
malade a besoin d’un revenu plus important pour accomplir les mêmes fonctionnements
qu’une personne valide. Il est donc facile de conclure à partir de ce qui précède que la
pauvreté réelle en termes de privation de capabilité est beaucoup plus profonde que nous ne
pouvons le déduire des chiffres du revenu. La finalité de la bonne gouvernance n’est donc
pas d’accroitre uniquement la richesse mais de procéder à une amélioration des différents
aspects de la vie humaine en vue de l’épanouissement de l’être humain. Dès lors, la bonne
gouvernance ne doit pas être pensée en termes de gouvernance économique
exclusivement, elle doit être également pensée en termes de gouvernance institutionnelle ou
politique, de gouvernance sociale, de gouvernance administrative ou bonne administration et
de gouvernance environnementale ou d’environnement durable.

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