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Développement durable :

Quelques apports issus des SHS

Pr. HDR. Dr. Jean-Pierre LLORED


Maître de conférences-HDR
JeanPierre.Llored@centrale-casablanca.ma
jean-pierre.llored@centralesupelec.fr

Vendredi 8 décembre 2023. ECC. 2A. CM5

1
Partage préliminaire

2
Faire le bien et faire le mal

« C’est parce que nous sommes capables du bien que nous


pouvons volontairement faire le mal. L’un comme l’autre sont le
fruit d’un choix, et non les caractéristiques d’une nature, d’un
tempérament. Le mal n’annule pas la possibilité du bien ; il
consiste à lui préférer autre chose (son confort, ses
habitudes…). » (p. 177)
« Être, ce n’est pas vivre enfermé sur soi, c’est être moralement
préoccupé. » (p. 46)

Laurence Devillairs, Être quelqu’un de bien. Philosophie du bien et du mal,


Presses Universitaires de France, Paris, 6ème tirage, 2022 [1er édition, 2019].
Lier l’interhumain et la responsabilité (sociale et
environnementale)
Dans le tableau, le paysage brûle et les deux
combattants s’enfoncent dans le sable
mouvant à mesure qu’ils s’agitent…
« L'interhumain proprement dit est dans une
non-indifférence des uns aux autres, dans
une responsabilité des uns pour les autres. »
Emmanuel Lévinas, Entre nous. Essais sur le penser-
à-l’autre, Paris, Grasset, 1998, passage « La
souffrance inutile », p. 100-112, p. 110.

Cette dimension interhumaine doit


s’inscrire, nécessairement, dans les
Duel au gourdin, Goya, 1874.
écosystèmes et respecter les milieux de vie.
Le développement des capacités humaines n’a pas de sens si les conditions du vivre ne sont
pas assurées. Mais la nature n’est pas qu’un environnement. C’est aussi une source
d’expériences constitutives de notre rapport à soi et de nos rapports aux autres… La nature
est, pour nous, notre milieu ; un milieu qui nous rend plus attentifs à tout ce qui est
fragile, la responsabilité envers ce qui est fragile joue un rôle structurant dans nos vies,
la beauté aussi.
Plan de la séance d’aujourd’hui

I. Partir de l’action pour comprendre une notion : intervention de Madame


Amal BENMAKHLOUF ANDALOUSSI (ingénieure ECC)

II. Analyser et comprendre le développement durable : apports de SHS

II.1) Analyse du développement durable et de ses critiques

II.2) Paradigme relationnel et dimensions épistémique et ontologique du


développement durable

II.3) Complexité, éco-ingénierie et développement durable

5
I. Partir de l’action pour comprendre une notion :
intervention de Madame Amal
BENMAKHLOUF ANDALOUSSI (ingénieure
ECC)

6
II. Analyser et comprendre le développement
durable : apports de SHS

7
Pouvez-vous définir le
développement durable
en reprenant les points
essentiels des cours
précédents ?

8
Formulation de départ

1980 : Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN)


puis Conférence des Nations Unies sur l’Environnement et le
Développement (CNUED) :

« Le développement durable est l’ensemble des processus de changement


par lesquels l’exploitation des ressources, l’orientation des
investissements et des institutions se trouvent en harmonie et
renforcent le potentiel actuel et futur de satisfaction des besoins
humains. »
Développement durable

1987 Commission des Nations Unies


(Commission Brundtland).
Attention : le développement
économique pourrait conduire à
une détérioration au lieu d'une
amélioration de la qualité de vie.
Conclusion : le développement doit
satisfaire les besoins présents sans
compromettre la capacité des
générations futures de répondre
aux leurs « a development that melts
present needs without compromising
the ability of future generation to
meet their own needs » .

Le développement durable est un développement économiquement efficace,


socialement équitable et écologiquement durable.
Schéma associé, de plus en plus, à la notion de « gouvernance » et à celle de
« démocratie participative ».
II.1) Analyse du développement durable
et de ses critiques

11
Développement durable, croissance économique et
justice sociale

Insistance sur les liens de dépendance réciproque entre d’une part la


dégradation de l’environnement, d’autre part la dégradation de la vie
ensemble telle qu’elle résulte du creusement des inégalités et de la
pauvreté.
Les tenants du développement durable entendent promouvoir les moyens
d’une croissance durable, c'est-à-dire d’une croissance économique soutenue
mais préservant l’environnement. Pour ce faire, disent-ils, il est nécessaire de
lutter contre la pauvreté et contre les inégalités trop criantes.
L’objectif prioritaire, c’est l’objectif économique de croissance : une politique
de justice sociale n’a de pertinence que dans la mesure où elle s’inscrit dans un
programme plus large dont l’ambition réside dans la mise en place d’un mode
de production durable, c'est-à-dire respectueux de la qualité de
l’environnement.
Diversités des approches durables : nuance (1)

L’environnement est vu comme un ensemble de ressources qui sont soit


renouvelables, soit substituables. L’objectif d’efficacité consiste à maximiser
le niveau de bien-être social, étant donné les ressources disponibles. L’objectif
d’équité consiste à distribuer équitablement les biens entre les humains des
générations présentes voire futures, de sorte que le bien-être individuel soit
justement réparti.

Dans l’approche du développement économiquement durable, le bien-être


social dépend directement de la richesse : l’accroissement du P.I.B. est
considéré comme étant le moyen prévalant pour améliorer le bien-être social.
Aussi, les considérations d’efficacité l’emportent-elles sur les
considérations d’équité. En matière d’action publique, tout le problème se
résume donc à savoir comment accroître le PIB durablement dans le temps,
sans pâtir des effets pervers d’une croissance fondée massivement sur
l’exploitation de ressources non renouvelables.
Diversités des approches durables : nuance (2)

Dans l’approche du développement socialement durable, l’accent


est mis sur le fait que le bien-être social dépende à la fois du
niveau de richesse et de la juste répartition de cette dernière entre
les membres de la société considérée. En matière d’action publique,
tout le problème consiste donc à tenir compte en même temps de
considérations d’équité et d’efficacité. Les politiques publiques
efficaces sont celles qui contribuent à accroitre le bien-être total,
sachant que ce dernier dépend, pour une population donnée, de la
dotation globale en biens économiques et sociaux, mais également de
la dotation globale en biens environnementaux.
Diversités des approches durables : nuance (3)

Enfin, dans l’approche du développement humainement durable,


l’accent est mis sur les déterminants pluriels du bien-être
individuel. Celui-ci dépend quantitativement des biens auxquels
l’individu a accès ; mais, il dépend également qualitativement des
moyens, individuels ou collectifs, dont l’individu dispose pour utiliser
au mieux ces biens.
L’expression ‘au mieux’ signifie ici que l’individu soit réellement en
capacité de réaliser le projet de vie qu’il valorise, c'est-à-dire qu’il
dispose réellement des moyens lui permettant de réaliser son
projet. En conséquence, les politiques publiques valorisées le sont
moins dans leurs principes que par leurs résultats : ce sont celles
qui contribuent à améliorer effectivement le bien-être de chacun.
Diversités des approches durables : nuance (4)

Malgré la diversité de toutes les approches ainsi évoquées, il convient de noter que,
dans leurs argumentaires, elles opèrent toutes selon un même procédé : les discours
de justification dont elles se nourrissent reposent sur une opération de
décomposition puis de recomposition des notions du juste et du bien. De fait,
seuls certains aspects du juste et du bien sont mis en valeur : ces aspects varient
selon les théories considérées…

Développement durable : définition précise mais renvoie à des pratiques et des


politiques publiques très différentes. Les personnes pensent parler de la même
chose, mais en réalité ils ne le font pas. Ceci explique une partie des difficultés
liées à la compréhension et à l’implémentation de cette notion.

Besoin de clarification : apports des SHS.


Un exemple d’introduction d’une nuance clarificatrice pour
relier justice sociale et durabilité environnementale (1/3)

« [L]es problèmes croisés de justice [sociale] et de durabilité environnementale


mettent en jeu le lien consubstantiel entre notre rapport à la nature et notre
conception du bien. En effet, notre rapport à la nature varie selon que notre
conception du bien est anthropocentrique ou ne l’est pas et réciproquement.
D’autre part, les problèmes croisés de justice et de durabilité environnementale
mettent en jeu la manière dont nous entendons satisfaire, dans le même temps,
notre souhait de vie bonne et nos exigences de justice. Ainsi, chaque approche
de la durabilité environnementale se caractérise par une certaine manière de
d’articuler nos exigences de justice à la conception du bien que nous
défendons, cette dernière étant elle-même dépendante de la manière dont
nous concevons la nature. »

Kandil Feriel, « Justice sociale et durabilibité environnementale, Communication », in La


démocratie face aux enjeux environnementaux. La transition écologique, Y. C. Zarka (dir.),
Editions Mimésis, 2017, pp. 120-162, p. 155.

17
Un exemple d’introduction d’une nuance clarificatrice pour
relier justice sociale et durabilité environnementale (2/3)

Kandil Feriel, « Justice sociale et durabilibité environnementale, Communication », op. cit., p. 162.
18
Un exemple d’introduction d’une nuance clarificatrice pour
relier justice sociale et durabilité environnementale (3/3)

Le tableau précédent nous permet de comprendre que les partisans du


développement durable, de la justice environnementale et des éthiques
environnementales ne se comprennent pas et se combattent.

En se référant à Boltanski, Thévenot et Chiapello, pouvez-vous expliquer


cette différence de vue ?

19
Economies de la grandeur :
justification écologique et critique du développement durable (1)

Les acteurs recherchent des équivalences entre leurs arguments et ceux des autres
acteurs qui sont en désaccord avec eux.
L’accord renvoie à un principe général, que Boltanski et Thévenot appellent
« grandeur », qui peut, d’un point de vue métaphorique, être comparé à un « étalon »
en physique ou en chimie.
La grandeur « permet d’opérer des rapprochements entre les personnes et entre les
objets en fonction de leur importance dans la situation, de procéder à des opérations
de qualification et de rapprochement ainsi qu’à l’attribution d’équivalence entre les
êtres ». Nachi M., Introduction à la sociologie pragmatique, Armand Colin, 2009, p. 101, l’usage de
l’italique marque mon insistance et non celle de l’auteur.
La possibilité d’un accord repose sur le « sens moral » des individus qui les
conduisent à reconnaître d’une part, l’identité commune des êtres humains
avec qui l’accord doit se faire et d’autre part, un principe de grandeur
commun autour duquel les uns et les autres vont se mesurer en établissant des
équivalences et des ordres entre eux.
20
Economies de la grandeur :
justification écologique et critique du développement durable (2)

Le postulat fort de cette approche tient au fait que, dans des situations de désaccord,
de critique, de dénonciation, les acteurs sont amenés à se justifier, à expliquer, à
expliciter, clarifier, à faire valoir leurs points de vue, en rendant leurs arguments
acceptables par autrui. Pour ce faire, ils mobilisent leur sens moral et mettent à
l’épreuve les principes de justice qui leur paraissent s’ajuster à la situation vécue.

Les individus peuvent se référer à plusieurs grandeurs, il y a des « économies » de la


grandeur, pas seulement au sens « économique », mais, plus largement, des façons de
s’accorder, de s’entendre autour de conventions dans une organisation, c’est-à-dire des
systèmes d'attentes réciproques entre les personnes sur leurs comportements, des
systèmes d’équivalence partagés. Il faut identifier les « grammaires » de chaque
« cité ».

« Une grammaire est ce qui permet aux membres d’une communauté de juger correctement,
c’est-à-dire de lier correctement à des discontinuités survenant dans le monde (corps,
objets, matériaux, gestes, paroles…) des descriptions et d’éprouver vis-à-vis de certaines de
ces descriptions un sentiment d’évidence », Cyril Lemieux, Le Devoir et la grâce, Paris,
Economica, coll. Études Sociologiques, 2009, p. 21-23.
21
Les critiques du développement durable

• Un développement insoutenable : dénonciation de la prépondérance du


terme développement sur celui de durable.
• Une durabilité techniciste : mise en cause de la conception techniciste sur
laquelle reposent par exemple, les projets urbains et architecturaux «
durables ».
• Une démocratie par les instruments : critique de la dimension procédurale
des dispositifs de développement durable supposés capables de renouveler
la démocratie.
• Une gouvernementalisation des conduites : attaque du développement
durable comme instrument d’auto-contrôle, de surveillance et
d’orientation de conduites qui relevaient jusque-là de différences
culturelles ou du domaine privé.
• Une valeur verte (« greenwashing ») : remise en cause de l’omniprésence
de la nature dans les justifications données par les acteurs qui portent les
démarches de développement durable.

22
Economies de la grandeur :
justification écologique et critique du développement durable (3)

Jérôme Boissonade, « Une approche pragmatiste dans la critique du développement durable » (chap. 1 de
l’ouvrage La ville durable controversée). Petra. La ville durable controversée. Les dynamiques urbaines dans le
mouvement critique, 2015, Collection « Pragmatisme », p. 41-72, p. 55).
23
Travaux de Pierre Caye

24
Travaux de Pierre Caye :
penser la durée du développement durable
Durer. Eléments de transformation du système productif de Pierre CAYE (Les Belles
Lettres, 2020).
« Si l’on pense le développement "durable", à partir du sens du temps et de la construction
de la durée et non à partir de la transformation de la matière et de l’évolution socio-
économique, alors le développement durable prend une toute autre dimension, qui entraîne
nécessairement une profonde transformation du système productif » (p. 41).
« Enfin, l’éco-conception qui s’efforce de concevoir et de développer de nouveaux produits
en vue d’en améliorer la maintenance, c’est-à-dire d’en faciliter le démontage, d’en
standardiser les pièces de rechange, de favoriser le réemploi du produit lui-même ou de ses
composants, et de faciliter le recyclage optimal de ses matériaux, constitue à cet égard un
pas supplémentaire. L’éco-conception ne se contente pas de donner une place plus
importante à la maintenance ; mieux encore, elle renverse la logique productive elle-même :
la maintenance ne vient plus après la production, comme une simple auxiliaire de service
après-vente soumise à la logique du produit, mais ce sont au contraire les propres logiques
de la maintenance qui déterminent la conception même du produit » (p. 215) .
Question : En quoi, selon vous, l’éco-conception et le renversement de l’importance
de la maintenance qu’elle réalise permettent-ils d’avancer vers la durabilité,
d’implémenter un développement « durable », au sens d’une création de durée ?
25
II.2) Paradigme relationnel et
dimensions épistémique et ontologique
du développement durable

26
Les humains et les non-humains « embrouillés » :
Latour, Montebello, Maniglier, Margulis, Lovelock,
Stengers, Viveiros de Castro, Escobar, Haraway,
Tsing, Descola, Danowski, Tristan Garcia,
DeLanda…

27
« La prise en compte des co-relations et des co-agencements que nous impose
le fait d’être terrestre (magnétiques, physiques, vitales envers les êtres autres)
retentit non seulement sur l’homme mais sur nombre d’êtres qui appartiennent
à la Terre vivable. La Terre vivable, résultat d’une histoire contingente,
délimite en retour nos actions possibles dans le futur. La nécessité d’un
changement de cap théorique naît donc de cette rupture : la Terre n’est pas
objet, posé devant nous, objet de corrélation, objet d’intention, objet de
connaissance, objet de maîtrise, objet technique, objet de droit, elle n’est pas
seulement ce qui rend possible qu’il y ait pour nous des objets, un horizon qui
contient des objets et des sujets. Par son nom s’exprime maintenant l’infinie
complexité des relations dans laquelle toute existence terrestre est prise,
consiste et perdure, se crée et se prolonge. La Terre est l’irrelatif des relatifs,
l’incorrélation de toutes les corrélations. Elle ne surgit comme problème qu’au
moment où les relations qui constituent les êtres terrestres se défaisant, ces
êtres sont menacés dans leur existence même, de même que le tissu relationnel
qui constitue la Terre vivable. »

Pierre Montebello, « Métaphysique située. La consistance du réel et de la Terre », in Choses en


soi. Métaphysique du réalisme, sous la direction de Emmanuel Alloa et Elie During, Presses
universitaires de France, Collection Métaphysiques, Paris, 2018, p. 563-575, spéc. p. 572 et p.
573.
28
« Elle [la Terre] est aussi le système autorégulateur auquel tous les terrestres
participent à divers degrés et à divers titres : en respirant de l'oxygène (pour les
animaux), en émettant des pets de méthane (pour les bovins), en nitrifiant des
sols (pour les champignons), en absorbant du carbone (pour les océans), en
mélangeant les minéraux (pour la pluie), et de bien d'autres façons encore, les
terrestres font la Terre. » (p. 98)

« On ne peut parler de système (ou d'entité globale [La Terre]) que lorsque ces
embrouilles [dépendances] mutuelles forment des cycles à longue distance :
typiquement, les plantes qui absorbent du carbone pour produire de l'oxygène
grâce à la photosynthèse, ont besoin d'animaux qui absorbent de l'oxygène et
émettent le carbone même dont les plantes se nourriront pour recommencer
l’opération. Et encore, ça n’est pas assez: le phénomène devient véritablement
global lorsque ce mécanisme en boucle produit une masse d'oxygène stable, et
stable parfois sur des millions d'années. » (p. 99-100)

Patrice Maniglier, Le philosophe, la Terre et le virus. Bruno Latour expliqué par


l’actualité, Editions Les Liens qui Libèrent, Paris, 2021, insistance de l’auteur.
29
« La Terre comme réalité globale n'est pas cette surface prise en gros qui se
trouve être réchauffée par l'action des Modernes [notre action depuis le XVIIIe
siècle dans les sociétés où l'industrialisation a prévalu] ; elle est cet ensemble
de mécanismes qui se met en route du fait du réchauffement, produisant ici des
sécheresses, là des inondations, la montée des eaux d’un côté, la disparition de
nombreuses espèces de l’autre, bref un ensemble très varié de phénomènes. Et
on ne saura rendre compte de ces phénomènes à la fois dans leur diversité et
dans leur unité que si on se rappelle qu'il existe un système climatique global -
mieux, que le climat lui-même fait partie d'un système plus large et encore plus
complexe, celui de la Terre. La civilisation industrielle a réveillé la Terre au
sens tout à fait séculier [c'est-à-dire au sens non religieux] où il existe des
mécanismes de régulation qui mobilisent et affectent potentiellement tous les
habitants de la Terre et qu’un équilibre étant brisé, un autre sera recherché, au
prix de toutes sortes de transformations particulières (qui vont de l'acidification
des océans à la disparition des vignobles bordelais en passant par le
détournement du Gulf Stream, etc). » (p. 102)

Patrice Maniglier, Le philosophe, la Terre et le virus. Bruno Latour expliqué par


l’actualité, op.cit., insistance de l’auteur.
30
« Les biologistes le disent clairement : il n'y a pas de relation de face à face
entre l'homme et les virus, puisque certains de nos fragments d'ADN et
certaines des pièces maîtresses de notre vie biologique viennent précisément
de rencontres avec des virus à une date antérieure de l'histoire évolutive. On
évalue à 8 % la proportion de notre ADN qui serait d'origine virale. Le
placenta lui-même, qui définit toute la lignée des mammifères, est dû à un
épisode infectieux advenu à une époque très lointaine de l'histoire de la vie.
Mais il n'est même pas nécessaire d’aller jusqu’à l'échelle de l'histoire
évolutive des espèces pour s’apercevoir que nous sommes avec les virus dans
une relation embrouillée. On peut remarquer plus simplement que nous vivons
"dans" le virus (le virus nous environne, c'est pourquoi on craint de sortir) pour
la même raison qui fait que le virus vit "en" nous (nous sommes le milieu du
virus, c'est bien pour cela qu’on veut le tenir à distance). Le dedans est aussi le
dehors. On peut appeler les relations de ce type des relations d’imbrication
mutuelle (entangled hierarchy) et ce sont ces relations qui constituent
l’opérateur formelle de l’embrouillement caractéristique des êtres terrestres. »
(p. 58-59)
Patrice Maniglier, Le philosophe, la Terre et le virus. Bruno Latour expliqué par
l’actualité, op.cit., insistance de l’auteur.
31
« Ces hiérarchies intriquées sont elles-mêmes en permanence emmêlées avec
d'autres. Ainsi, la relation embrouillée des corps humains aux virus ne saurait
se comprendre sans être rapportée à d'autres relations tout aussi embrouillées,
des humains à d'autres choses que les virus et des virus à d'autres choses que
les humains. Si les humains n'avaient pas de relations avec les avions, ils
n'auraient pas les mêmes relations avec les virus non plus ; si les virus
n'avaient pas de relations à des chauves-souris, ils n'auraient pas les mêmes
relations avec les humains... Nos embrouilles sont enchevêtrées les unes dans
les autres. Ma relation endosymbiotique aux bactéries croise celle qui me lie à
ce virus et il en va de même pour la relation des microbes entre eux d’ailleurs :
la pandémie de Covid-19 a été un coup dur à de nombreux virus, notamment
gripaux, et pas mal de bactéries ont été les victimes collatérales des défenses
que nous avons érigées contre le SRAS-CoV-2. » (p. 60)
Patrice Maniglier, Le philosophe, la Terre et le virus. Bruno Latour expliqué par
l’actualité, op.cit.

32
« Ainsi, toute relation binaire entre actants [un actant est un terme générique
incluant les humains et les non-humains] est non seulement circulaire, mais
encore nécessairement prise dans des chaînes de relations avec d'autres actants,
chaque boucle apparaissant à un autre niveau comme un arc de cercle pour
d'autres boucles plus longues ou plus courtes, divergentes ou convergentes.
Les mondes ressemblent à des pelotes de relations embrouillées, elles-mêmes
enchevêtrées les unes dans les autres. Telle est la complexité du monde dans
lequel nous nous trouvons et dont la pandémie nous a obligés à prendre
conscience au moins partiellement. » (p. 61)
Patrice Maniglier, Le philosophe, la Terre et le virus. Bruno Latour expliqué par
l’actualité, op.cit.

33
Pour décrire cette situation en termes de philosophie, il faut relier les notions
suivantes et produire des concepts pour penser des solutions. Pour cela, Maniglier,
dans la lignée de Bruno Latour, propose la grille ontologique suivante :

• Horizontalité : Tous les êtres sont plats, sur le même plan. Il n'y a pas d'êtres
transcendants. Tous les êtres appartiennent au même plan immanent (« ontologie
plate » façon Latour avec un petit détour par Deleuze et DeLanda).
• Multiversité : Les êtres forment des mondes hétérogènes par composition.
• Agentivité : Les êtres sont des actants, des puissances d'action, des sujets.
• Embrouillement : Les êtres n'existent que par leurs relations, mais ces relations
sont des relations de dépendance circulaire (d’imbrication mutuelle) de telle
sorte que les frontières identitaires sont constamment brouillées.
• Enchevêtrement : Les êtres existent toujours à l'intersection de plusieurs
chaînes d’embrouilles qui peuvent englober plusieurs temporalités.
• Le vivant possède toutes ces caractéristiques réunies au niveau global.
Exister, c'est être d'une seule Terre. Nous avons besoin du concept de
"terrestrialité" pour penser notre situation sur Terre.

Patrice Maniglier, Le philosophe, la Terre et le virus. Bruno Latour expliqué par l’actualité,
op.cit., p. 61-62.
34
Affordance : dimension épistémique

The door handle, its shape, its specificity induces, according to


our physical, perceptive and cognitive characteristics, a certain
grip, it affords a certain behaviour linked to both the
characteristics of the handle and our biological and human
characteristics. It is about us and things at the same time, and not
about nature and culture separately. 35
Affordance

Gibson argued that certain invariant structural properties of the energy flux
within which a person was embedded afforded perceptions of material
things to people and animals as they explored the flux of electromagnetic
and sonic energy within which they lived. Gibson pointed out that we do
not perceive a thing in general, but as an instrument for action.
Most people who see a strip of metal as a knife, see it as a cutting instrument.
In this terminology, we say a knife affords cutting. But only in a human
context does a certain piece of steel have that attribute. We can also say that
a floor affords walking to people, while a lake does not, though it was said
to have for Jesus.
An affordance is relative to context, in particular to the settings of specific
interactions between sentient beings and the material world.

Rom Harré & Jean-Pierre Llored, “Procedures, Products, and Pictures”, Philosophy, The Royal
Institute of Philosophy, Cambridge University Press, 2018, 93, pp. 167-186.
Avec un fort accent mis, à des degrés divers,
sur les affordances (1)
Les concepts précédents sont associés à plusieurs types d’affordances avec les
définitions suivantes :
Affordance : propriété attribuée à un actant du fait de l’action qu’un autre
actant peut lui faire produire à condition de le rencontrer.
Affordance existentielle : action attribuable comme propriété à un actant du
fait qu’une forme le constitue en subsistance en improvisant son engendrement
à partir de lui.
Subsistance : relation d’une forme à l’ensemble des facteurs qui
l’entretiennent.
Milieu : ensemble localisé – ou cadré – de lignées terrestres embrouillées, doté
en tant que tel – comme ensemble – d’affordances propres.

Patrice Maniglier, Le philosophe, la Terre et le virus. Bruno Latour expliqué par


l’actualité, op.cit., Annexe : Récapitulation systématique des concepts d’une ontologie
terrestre, p. 235-265.
37
Avec un fort accent mis, à des degrés divers,
sur les affordances (2)
Affordances circulaires : propriétés d’au moins deux lignées évolutives
embrouillées fonctionnant comme subsistance l’une de l’autre.

Affordance écologique : propriétés d’un milieu fonctionnant comme


subsistance pour une forme, une lignée ou un monde.

Monde : association de lignées subsistant sur un milieu. Pour qu’un ensemble


de lignées évolutives (une association) constitue un monde, il faut qu’il
réponde à deux conditions : (1) ces lignées sont embrouillées les unes avec les
autres (c’est-à-dire s’engendrent réciproquement de manière circulaire) ; (2)
leurs engendrements respectifs et/ou leur association dépendent des
affordances écologiques d’un milieu, autrement dit d’un autre embrouillement
de lignées évolutives.
Patrice Maniglier, Le philosophe, la Terre et le virus. Bruno Latour expliqué par
l’actualité, op.cit. 38
Des milieux et des vivants : biosémioétique,
mésologie, médiance, trajection et l’absence des
dimensions ontologique et épistémique dans la
définition du développement durable

39
Qu’est-ce que le mot « environnement »
signifie pour vous ?

A quoi ce mot renvoie-t-il pour vous et selon


vous ?

Quelle(s) différences faites-vous entre un


environnement et un milieu ?

40
ENVIRONNEMENT
Pas de définition unique de l’environnement (sujet de débats intenses),
mais plusieurs conceptions ou représentations en fonction des
individus, des pays, du type de pratique servant à le définir :

Les géologues appréhendent l’environnement par l’étude des sols.


Les écologues le font par la dynamique des êtres vivants.
Les géographes par l’occupation du territoire, la gestion du territoire.
Les ingénieurs et techniciens en fonction de leurs domaines d’expertise (eau,
air, sol, énergie).
Les économistes par la gestion des ressources naturelles.
Les juristes sous l’angle des contraintes réglementaires.
Les philosophes par la morale et l’éthique ...

41
ENVIRONNEMENT

L'environnement est l'ensemble des éléments qui constituent le voisinage d'un être
vivant ou d'un groupe d'origine humaine, animale ou végétale et qui sont
susceptibles d'interagir avec lui directement ou indirectement. C'est ce qui
entoure, ce qui est « aux environs ».

Depuis les années 1970, le terme environnement est utilisé pour désigner le
contexte écologique global, c'est-à-dire l'ensemble des conditions physiques,
chimiques, biologiques, climatiques, géographiques et culturelles au sein
desquelles se développent les organismes vivants, et les êtres humains en
particulier.

L'environnement inclut donc l'air, la terre, l'eau, les ressources naturelles, la flore,
la faune, les humains et leurs interactions sociales.

42
Von Uexküll (1864-1944) : Biosémiotique (1)

Le monde de la tique est fait de lumière, d’odeur, de température,


de texture.
La lumière est celle de la cime des arbres dans lequel la tique
attend l’odeur qui est celle de l’acide butyrique, celle de votre
sueur de mammifère ; la température est celle de 37 degrés
Celsius, celle de votre sang de mammifère ; la texture est celle
de la peau, de ses poils et de ses vaisseaux de mammifères.
Que devient la tique lorsqu’elle n’accède à aucun de ces porteurs
de signification ?

43
Von Uexküll. Biosémiotique (2)

L’umwelt (monde propre ou vécu, milieu de comportement) doit être compris


dans son opposition à l’umgebung (l’espace, l’environnement, l’entourage
géographique) et dans sa correspondance avec l’innenwelt (le monde
intérieur).
L’umwelt d’un animal est indissolublement son merkwelt, l’ensemble des
stimulants possibles, le milieu des signes, et son wirkwelt, l’ensemble de ses
réponses possibles, le milieu de l’action.
L’Umgebung, que nous supposons objectif et dans lequel on place l’animal, est
en réalité notre propre Umwelt. Cette thèse radicale autorise des propositions
comme : ce n’est pas l’espace et le temps qui rend le vivant possible, mais le
sujet vivant, sans qui, il n’y a ni temps ni espace . Un animal ne peut entrer
en relation avec un objet comme tel, mais seulement avec ses porteurs de
signification.
« Tout sujet tisse ses relations comme autant de fils d’araignée avec certaines
caractéristiques des choses et les entrelace pour faire un réseau qui porte son
existence. » Von Uexküll, J. Mondes animaux et monde humain, suivi de Théorie de la
signification, trad. Ph. Muller, Denoël, Paris, 1965, p. 29.
44
Von Uexküll. Biosémiotique (3)

Dans cette perspective, un objet (une tige de fleur par exemple) n’existe pas en
soi mais pour un sujet vivant qui lui donne sens ; ce pourquoi un même objet
est, selon les milieux, à la fois habitat, obstacle, nourriture, refuge, symbole,
objet de connaissance, ou tout simplement inexistant.
« Théorie de la signification » et « théorie des milieux » sont en fait la même
chose, puisque la signification de la signification biologique ne peut advenir
que là où il y a un centre d’action, un centre non pas dans un milieu mais au
milieu. L’animal et le milieu forment un tout.
Il n’y a rien entre l’animal et son milieu, ils sont collés (comme l’araignée est
collée à la mouche). Si l’animal et son milieu se touchent, c’est qu’il n’y a
pas de mi-lieu entre eux.

45
Environnement et milieu :
Médiance et subjectité
Dans son essai Fûdo (1935), Watsuji introduit le concept de fûdosei qu’il
définit comme « le moment structurel de l’existence humaine ». Il s’agit ici
du couplage dynamique des deux versants de l’être humain, l’individu et son
milieu ; couplage qui produit l’humain dans son unité plénière, terme
courant au sens d’« être humain », mais qui chez Watsuji en arrive à prendre
le sens particulier d’« entrelien humain »).
Pour rendre ce moment de couplage, Augustin Berque traduit fûdosei par
« médiance », à partir du latin medietas, qui signifie « moitié ». L’humain
dans sa plénitude est en effet composé de deux moitiés complémentaires et
indissociables : l’individu et son milieu. (Berque, A. (1986). Le Sauvage et l’artifice.
Les Japonais devant la nature, Paris, Gallimard).
Or ce concept de médiance, Watsuji l’accompagne de l’affirmation que le milieu
ne doit pas être confondu avec l’environnement naturel. L’environnement est
un objet (celui de la science écologique), alors que le milieu est vécu par un
sujet, individuel ou collectif, dont la subjectité se trouve donc être le
présupposé de la médiance.
Selon les philosophes du milieu
(Canguilhem, Merleau-Ponty, Simondon, Deleuze)

L’environnement environne, il est extérieur,


tandis que le mi-lieu est extérieur et intérieur.
L’environnement est absolu, le milieu est relatif
(à l’être vivant dont il est le complémentaire).
Le milieu n’est pas l’environnement, ce dernier
se réfère à la « nature », tandis que le milieu
est indissolublement éco-techno-symbolique.

47
De la notion d’environnement à celle de milieu :
Trajection 1 (Berque)

- BERQUE Augustin, Écoumène. Introduction à l’étude des milieux


humains, Paris, Belin, 2000 (poche 2008).
- Id. Poétique de la Terre. Histoire naturelle et histoire humaine,
essai de mésologie, Paris, Belin, 2014.
- Id. La mésologie, pourquoi et pour quoi faire ?, Nanterre La
Défense, Presses universitaires de Paris Ouest, 2014.

48
De la notion d’environnement à celle de milieu :
Trajection 2 (Berque)

Que l’herbe soit pour une vache un aliment correspond en termes logiques à la
prédication « S est P », où S est le sujet, i.e. ce dont il s’agit (de l’herbe), et P
le prédicat, i.e. ce que l’on dit de S (« ça se mange ») ; mais cette opération
dépasse le champ verbal de la logique. À la fois logique et ontologique, elle
est onto-logique. C’est plus qu’une prédication ; c’est une trajection, qui fait
exister (ek-sistere « se tenir hors de ») S hors de son en-soi pour devenir
(gignomai : genesis) une certaine chose selon l’être concerné : un aliment (P)
pour la vache, un obstacle (P’) pour la fourmi, un abri (P’’) pour le scarabée,
etc.
Cet « exister en tant que », soit S en tant que P, c’est ce qui engendre la réalité
concrète, laquelle – tiers lemme – n’est ni simplement objective (ce n’est pas
l’en-soi d’un objet S), ni simplement subjective (ce qui serait un pur P, i.e. un
simple fantasme), mais trajective. Cela se représente par la formule r = S/P,
qui se lit : « la réalité r, c’est S en tant que P » pour un interprétant I.

49
De la notion d’environnement à celle de milieu :
Trajection 3 (Berque)

En effet, dans la réalité concrète, la ternarité S-I-P est mouvante. Elle


bouge non seulement dans l’espace, parce que I (une vache) n’est pas
I’ (une fourmi), mais aussi dans le temps, parce les générations se
succèdent, chacune héritant de la précédente une réalité S-I-P qu’elle
va interpréter à son tour, autrement dit surprédiquer en (S-I-P)-I’-P’,
puis la génération suivante en ((S/P)/P’)P’’, la suivante en
(((S/P)/P’)/P’’)/P’’’… et ainsi de suite.

(NB : ici, par simplification graphique, les I ne sont pas représentés


et sont implicites).
Comment définir « la nature » dans ce cadre ? La Terre serait-elle ce
sol commun que nous pourrions habiter de multiples manières, là où
la nature marquerait une manière particulière de s’y rapporter ?
50
5 dimensions du développement durable et non 3 :
dimensions épistémique et ontologique en plus du social, de l’économique et
de « l’environnemental »
Les choses du monde ne sont pas seulement physiques, écologiques. Elles ne sont
pas non plus uniquement des symboles : elles sont des « écosymboles ». Les
mots, les choses et les sujets humains croissent ensemble, cum-crescere en
latin (lien : cum et le devenir : crescere).
Notre milieu n’est ni une projection de notre esprit sur le monde ni un reflet fidèle
du monde en lui ; milieu et humains se déterminent mutuellement (médiance).
Un processus d’interaction, ni entièrement objectif ni entièrement subjectif,
prend place tout au long de la vie humaine, il est dit « trajectif » par Augustin
Berque. Notre savoir se construit à partir des affordances, de la dépendance
mutuelle des vivants et des milieux (dimension épistémique).
Le rapport au lieu prend activement part à la constitution de ce que nous sommes
(comme en chimie). L’humain n’est pas l’humain en soi, il est l’humain en tant
qu’il habite la Terre, et réciproquement (dimension ontologique). Nous avons
des « devoirs » envers les lieux qui font de nous un « sujet » (le corps, la
société, l’espèce humaine, l’animalité, la biosphère, la planète, etc.). Ces
lieux emboités, à partir desquels notre vie et notre conscience émergent,
sont l’assise et la condition nécessaire de notre humanité. Lorsque notre
action nuit à la Terre, nous ne sommes pas véritablement humains.
II.3) Complexité, éco-ingénierie et
développement durable

52
Autre apport clarificateur en reliant
philosophie et étude des systèmes complexes

53
Recours à un schémas complexe pour comprendre le monde en mutation et le
développement durable

(Rapport Pour un Maroc des Emergences. A la recherche d'une société inclusive et durable, Policy paper,
Economia, 2020, p. 27).
Postulat de reliance dialogique

Unir deux notions antagonistes, concurrentes qui apparemment


devraient se repousser l’une l’autre, mais qui sont indispensables
pour comprendre une même réalité, complémentaires.

La société est le produit d’interactions entre individus humains,


mais la société se constitue avec ses émergences, sa culture, son
langage, qui rétroagit sur les individus et ainsi les produit comme
individus humains en leur fournissant le langage et la culture.
Nous sommes produits et producteurs.

55
Postulat de globalité récursive

Ce n’est pas de la causalité circulaire uniquement (ex :


océan et réchauffement climatique).
Une boucle génératrice dans laquelle les produits et les
effets sont eux-mêmes producteurs et causateurs de ce
qui les produit.
Ainsi le processus de reproduction animale (ou du vivant
en général) est entièrement dépendant des individus
qu'elle produit pour se perpétuer.

56
Postulat d’organisation hologrammatique (1)

« Dans un hologramme physique, le moindre point de l’image de


l’hologramme contient la quasi-totalité de l’information de l’objet
représenté. Ce principe est présent dans le monde biologique et
dans le monde sociologique. Dans le monde biologique, chaque
cellule de notre organisme contient la totalité de l’information
génétique de cet organisme. L’idée donc de l’hologramme
dépasse, et le réductionnisme qui ne voit que les parties et le
holisme qui ne voit que le tout. »
Edgar Morin, Introduction à la pensée complexe, EME, 1991, p.100

57
Postulat d’organisation hologrammatique (2)

La partie est inscrite dans le tout ET le tout est inscrit dans la


partie.
Les cellules constituent le corps humain ET l’individu est présent
dans chaque des cellules avec l’ADN.

La partie est plus qu’une fraction du tout.


Une cellule intègre les signaux chimiques de ses voisines.
Un individu socialisé ne se comporte pas indépendamment mais
en fonction des autres.

58
Postulat d’organisation hologrammatique (3)

Le tout est plus (autre) que la somme des parties ET le tout


est moins que la somme des parties.
Un corps vivant est plus que ses cellules constitutives, dans le
sens où il agit différemment d’un simple amas de cellules, ET il
est moins que l’ensemble de ses cellules, à cause des contraintes
qu’elles opèrent les unes sur les autres, en se limitant
mutuellement.
Une population est plus qu’une collection d’individus, puisqu’ils
forment une « société », ET la société est moins que la somme
des individus, qui n’expriment pas, chacun, la totalité de leur
potentiel, pour respecter la place et l’intégrité des autres.
59
Tout, parties, émergence et complexité

« Le système est à la fois plus, moins, autre que la somme des parties. (…)
L’idée d’émergence est inséparable de la morphogénèse systémique, c’est-à-dire
de la création d’une forme nouvelle qui constitue un tout : l’unité complexe
organisée. Il s’agit bien de morphogénèse, puisque le système constitue une
réalité topologiquement, structurellement, qualitativement nouvelle dans
l’espace et le temps.
Les émergences sont les propriétés, globales et particulières, issues de cette
formation, inséparables de la transformation des éléments. Les acquisitions
et les pertes qualitatives nous indiquent que les éléments qui participent à un
système sont transformés, et d’abord en parties d’un tout. Nous débouchons
sur un principe systémique clé : la liaison entre formation et transformation.
Tout ce qui forme transforme. Ce principe deviendra actif et dialectique à
l’échelle de l’organisation vivante, où transformation et formation constituent un
circuit récursif ininterrompu. »

Edgar Morin, La Méthode, Volume 1, La Nature de la Nature, 1977, p. 115.


60
Définitions : complexité, pensée
complexe, objets et systèmes
complexes

61
Définitions : pensée complexe et complexité

Une pensée qui repose sur les postulats de reliance dialogique, de


globalité récursive, d’organisation hologrammatique, et qui
intègre, ce faisant, les notions d’auto-organisation ou d’auto-éco-
organisation, est une pensée complexe. C’est une pensée causale
non réductionniste qui repose sur une autre conception des
rapports tout-parties-milieu.
Penser complexe, c’est prendre en compte les interactions
dynamiques entre les parties d’un système ouvert. Lorsque ces
interactions dynamiques s’équilibrent, un système tend vers une
organisation qui lui est propre et qui dépend du milieu : auto-éco-
organisation (E. Morin).
Le mot « complexité » est attribué au monde pour traduire un
type de relation cognitive à ce monde ; relation mobilisant les
postulats complexes. 62
Définitions : objets et systèmes complexes
Comment définiriez-vous un objet complexe ?

Un objet complexe est un objet qui n’est pas cartésien. P. Dufourcq,


Reliances, Les éditions du Net, Paris, 2017.

Comment définiriez-vous un système complexe ?

« Un système est dit "complexe" quand il est perçu comme une


dynamique d’interactions non exhaustivement dénombrables d’où
émerge un ordre qui s’exprime par une cohésion structurelle et
une cohérence fonctionnelle durables, au sein d’un
environnement évolutif et actif sur le système. » J.-Y. Rossignol,
Complexité : Fondamentaux à l'usage des étudiants et des professionnels, EDP Sciences, Paris,
2018, p. 80.
63
Modèles complexes

64
Les questions qui guident une
modélisation non complexe (1)

Quels sont les questions que nous posons quand nous


voulons modéliser un objet ?

65
Les questions qui guident une
modélisation non complexe (2)

Objet : De quoi est-il fait ?

Fonctionnement de l’objet : comment fonctionne-t-il ?

Vision diachronique de l’objet : Que devient-il au cours


du temps ?

66
Quelles questions faudrait-il rajouter pour que
cette modélisation devienne complexe ?

67
Les questions qui guident une
modélisation complexe

Objet : De quoi est-il fait ?


Fonctionnement de l’objet : comment fonctionne-t-il ?
Vision diachronique de l’objet : Que devient-il au cours
du temps ?
Qu’est-ce que cela fait avec le contexte et pour quoi
faire (projet) ?
Quel est le point de vue du modélisateur ?

68
Eco-ingénierie et systèmes
complexes

69
Éco-ingénierie comme science éco-systémique car elle
appréhende son objet en tant qu’écosystème, et dans le sens où
elle fait appel à un écosystème de méthodes et de spécialités
« bricolé » au cas par cas.
Il s’agit de relier des approches, des méthodologies différentes,
en fonction des contextes, des problèmes à résoudre, ou des
projets.
Pour développer une approche de développement durable, il
est nécessaire d’appréhender, d’emblée, toutes les
problématiques d’un projet, techniques, économiques,
réglementaires, sociales, environnementales, éthique, etc.,
comme étant reliées et interdépendantes (cours de Mme
Gazagnes).
Les questions de l’éco-ingénierie

• Quelle est la question posée ?


• Quel est le projet affiché ?
• S’inscrit-il dans un projet plus fondamental et implicite ?
• Quels sont les contextes ?
• Les usagers expriment-ils un besoin, une attente, un souhait ?
• Quels sont les parties prenantes (sans oublier les acteurs faibles) ?
• Quels acteurs constitueront le collectif des concepteurs ? (Chercheurs, experts,
usagers, responsables institutionnels, etc.)
• Quelles seront les modalités de participation et de délibération ?
• Quelles disciplines mobiliser ?
• Quelle sera la méthode de gestion et d’évaluation du projet ?

Chaque question peut, récursivement, amener à reconsidérer les autres problématiques.


Merci de votre attention et pour nos échanges

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