Vous êtes sur la page 1sur 21

1

INSTITUT UNIVERSITAIRE D’ABIDJAN (I. U. A.)

DÉPARTEMENT DE SCIENCE POLITIQUE

UE : ÉTHIQUE DE LA GOUVERNANCE

ANNÉE ACADÉMIQUE : 2020-2021

LA BONNE GOUVERNANCE
DE LA DICTATURE DU PIB/PNB À LA VALORISATION DE
L’EXISTENCE HUMAINE

Prof OBOUMOU Ibrahim


2

LA BONNE GOUVERNANCE
DE LA DICTATURE DU PIB/PNB À LA VALORISATION DE
L’EXISTENCE HUMAINE
3

SOMMAIRE

Sommaire……………………………………………………………………………………...4
Syllabus du cours……………………………………………………………………………..5
Introduction………………………………………………………………………………….10
I. Naissance et définitions de la bonne gouvernance………………………………………
II. L’approche par les capabilités : de la richesse des objets à la richesse des existences
humaines réelles…………

III. De l’approche par les capabilités aux différentes dimensions de la bonne


gouvernance, pour une définition du développement humain
durable...............................
Conclusion……………………………………………………………………………………

Références bibliographiques………………………………………………………………..
Table des matières…………………………………………………………………………...
4

Institut Universitaire
d'Abidjan
01BP 12159 Abidjan 01, Tél. 22 42 22 65/ 22 42 27 24 / 22 52 55 67 /07 23 18 62 / 05 23 52 35

Année universitaire : 2020 - 2021

SYLLABUS DU COURS IUA


*INTITULE DU COURS : Éthique de la gouvernance
Code : UE………….
*Type : CM et TD
*Volume horaire : 30 h
UE de rattachement : UE 505 : Éthique et gouvernance
*Niveau du cours : Master II
*Département : Science politique
*Semestre : II
*Nombre de crédit : 3
*Nom de l’enseignant : OBOUMOU Ibrahim
*Contact téléphonique : 05 55 52 94 69
*Email : ioboumou@yahoo.fr
*Statut de l’enseignant: Enseignant-chercheur à l’Université

*L’objectif général du cours


Montrer que la richesse des existences humaines est l’objectif ultime de la bonne gouvernance

*Les objectifs spécifiques du cours


Indiquer le contexte d’émergence de la notion de bonne gouvernance
Critiquer l’approche économiquement centrée de la bonne gouvernance telle que véhiculée
par la Banque mondiale et les autres institutions internationales
Démontrer l’apport de l’approche par les capabilités dans la redéfinition de la notion de bonne
gouvernance
Déterminer les aspects essentiels de la bonne gouvernance

Les pré-requis
Bonne base en science politique, en philosophie politique et en économie politique
5

*Le contenu/Plan du cours


Chapitre I : La bonne gouvernance : critique de la dictature du PIB/PNB
Chapitre II : L’approche par les capabilités : de la richesse des objets à la richesse des
existences humaines réelles
Chapitre III : De l’approche par les capabilités aux différentes dimensions de la bonne
gouvernance, pour une définition du développement humain durable

*Progression du cours
N° de Séance Contenu Lectures/travaux
Séance 1 Le contexte d’émergence de la notion
Date : bonne gouvernance
Exposé : la bonne
Séance 2 Développement économique et bonne gouvernance
Date : gouvernance économique en Côte
d’Ivoire
Séance 3 L’approche restrictive de la notion de
Date : bonne gouvernance
Le caractère instrumental de la notion de
Séance 4 bonne gouvernance telle que conçue par la
Date : Banque mondiale et les institutions
internationales
La définition de la bonne gouvernance par
Séance 5
la Banque mondiale : une approche
Date :
étriquée de la gouvernance
Séance 6 La bonne gouvernance économique : la
Date : dictature du PIB/PNB
Lecture : Amartya
Sen, 2010, L’idée de
justice, trad. P.
Séance 7
La théorie des capabilités Chemla, Paris,
Date :
Flammarion,
Troisième partie,
Chapapitres 11 et 12
Séance 8 Du passage de la dictature des objets à
Date : celui des vies humaines
Séance 9
Des capabilités fonctionnelles de base
Date :
Exposé : la Côte
d’Ivoire et la
Séance 10
La gouvernance institutionnelle question de la
Date :
gouvernance
institutionnelle
Exposé : Stratégies
de lutte contre la
Séance 11
La gouvernance sociale pauvreté et bonne
Date :
gouvernance selon le
PNUD
6

Exposé : la bonne
Séance 12 administration : le
La bonne administration
Date : cas de la Côte
d’Ivoire
Séance 13
Le redimensionnement
Date :
Séance 14
La rationalisation des objectifs
Date :
Séance 15
La redynamisation des structures
Date :
Séance 16
La modernisation de l’administration
Date :
Séance 17
L’objectif de la régulation
Date :
Séance 18
Les contrôles
Date :
Exposé : Écologie et
Séance 19
La gouvernance environnementale développement
Date :
durable

*Méthodes et stratégies pédagogiques


Cours magistral suivi d’exposés

Langue d’enseignement : français

Modalités d’évaluation
Evaluation continue : 60%
Participation 10%
Interrogations 15%
Devoirs sur table 20%
Travaux à rendre 15%
Examen final en fin de semestre 40%
1ère session : à la fin du cours

Session de rattrapage (2ème session)

*Les références bibliographiques


AMARTYA Sen, 1999, L’économie est une science morale, trad. M. Canto Sperber, N.
Guilhot, Paris, La Découverte.
Amartya sen, 2010, L’idée de justice, trad. P. Chemla, Paris, Flammarion,
BANQUE MONDIALE, 1997, World development reports : the State in changing world.
7

BANQUE MONDIALE, 1989, L’Afrique subsaharienne. De la crise à une croissance


durable. Étude de prospective à long terme, Washington.
BANQUE MONDIALE, 2000, Attacking poverty.
BANQUE MONDIALE, 2002, Building institutions for markets.
CHEVALLIER Sophie, Le concept de bonne gouvernance dans les politiques de
développement des institutions de Bretton Woods et de l’Union Européenne,
http://blogs.u-paris10.fr/content/le-concept-de-bonne-gouvernance-dans-les-politiques-
de d%C3%A9veloppement-des-institutions-de-bre
Déclaration de la Commission européenne, 20 décembre 2005, Consensus européen pour le
développement.
DEMERS Jolle FERNANDEZ Alex E. HOGENBOOM Jilberto and Barbara, Good
governance and democracy in a world of neoliberal regimes, in http://m2bde.u-
paris10.fr/#_ftnref3, consulté en juin 2016.
EIDE Asbjørn, 9 mars 2011, « Exigences pour la bonne gouvernance du point de vue des
droits de l’homme », in Commission européenne pour la démocratie par le droit,
commission de Venise, Étude n° 470/2008, Strasbourg, Annexe I, p. 21-24.
HALLER Gret, 9 mars 2011, « La notion de bonne gouvernance », in Commission
européenne pour la démocratie par le droit, commission de Venise, Étude n° 470 /
2008, Strasbourg.
HAUT CONSEIL DE LA COOPÉRATION INTERNATIONALE, 2001, Les non-dits de la
bonne gouvernance. Pour un débat politique sur la pauvreté et la gouvernance, Paris,
Éditions Karthala.
KASK Olivier, 9 mars 2011, « Sur les notions de “bonne gouvernance” et de “bonne
administration” » in Commission européenne pour la démocratie par le droit,
commission de Venise, Étude n° 470 / 2008, Strasbourg , pp. 1-20.
NUSSBAUM Martha, 1990, « Aristotelian Democracy », in R. B. Douglas, G. M. Mara et H.
S. Richardson, Liberalism and the good, Routledge, Londres.
PNUD, 1997, Rapport mondial sur le développement humain.
PNUD, 1999, La lutte contre la pauvreté en Afrique subsaharienne, Paris, Economica.
PNUD, 2000, Rapport mondial sur le développement humain,.
PNUD, 2007, Bonne gouvernance et croissance économique.
8
9

INTRODUCTION

Ce cours porte sur l’Éthique de la gouvernance. En tant que tel, il s’efforce d’interroger
et de critiquer les normes et les valeurs qui fondent la bonne gouvernance. Notion
relativement récente, la bonne gouvernance apparaît, pour la première fois, dans un rapport de
la Banque mondiale (BM) en 1989. Dans ce rapport, la BM rendait compte des difficultés qui
ont entravé et rendu inopérante l’application des programmes d’ajustement structurel (PAS)
qu’elle avait savamment élaborés, mue certainement par un souci d’humanisme intégral, en
vue d’aider les pays endettés, essentiellement les pays pauvres, à sortir de la crise économico-
financière des années 1970 – qui, depuis lors, n’a de cesse de s’aggraver – pour amorcer une
croissance durable. Très vite, la notion de bonne gouvernance est reprise par toutes les
institutions financières et les organisations internationales. Le contexte de son émergence
ainsi que les objectifs visés à sa naissance ont conduit ses concepteurs à la définir comme la
bonne gestion des affaires publiques en vue du développement économique. Ainsi, est-elle
perçue comme un simple outil d’enrichissement dont la finalité est de promouvoir et de
garantir un développement économique stable et compétitif. La mesure de son être est donc
clairement identifiée : l’accroissement du produit intérieur brut (PIB) et du produit national
brut (PNB).

Or, à y regarder de près, cette approche de la bonne gouvernance est foncièrement


restrictive, instrumentale et étriquée et ne rend pas justice aux motivations profondes qui ont,
au fil des siècles, guidé dans leurs recherches les penseurs et éthiciens du social aussi bien que
les concepteurs de la mesure du revenu national : le bien-être et la richesse des vies humaines.
Pour remédier à cet état de fait et faire de la bonne gouvernance une véritable éthique du
développement, il convient donc de sortir de la focalisation sur l’estimation quantitative du
revenu national au profit de l’approche du développement humain. Inaugurée dans les années
1990 par l’économiste pakistanais Mahbub ul Haq, l’approche du développement humain
connaît d’illustres penseurs tels que Amartya Sen et Martha Nussbaum qui ont contribué, à
travers la théorie des capabilités, à asseoir l’idée que l’on se fait désormais de la bonne
gouvernance.

Définie dans la perspective du développement humain, la bonne gouvernance pourrait


s’entendre comme l’élargissement des possibilités et des choix offerts aux individus. Trois
possibilités essentielles sont tenues par le Programme des Nations Unies pour le
développement (PNUD), qui souscrit à une telle approche de la bonne gouvernance, pour
10

désigner le développement humain : il s’agit de « celles de vivre longtemps et en bonne santé,


d’acquérir des connaissances et un savoir, et de pouvoir accéder aux ressources nécessaires
pour vivre dans des conditions décentes ». Ainsi dire de la bonne gouvernance qu’elle est une
éthique du développement, c’est reconnaître que sa finalité est de permettre aux hommes de
« vivre une vie longue, saine, constructive, et [de] jouir d’un niveau de vie décent, ainsi que
de la liberté, de la dignité, du respect de soi-même et d’autrui » (PNUD, Rapport mondial sur
le développement humain, 1997, pp. 15-16).

Le passage de la perspective du PNB et du PIB à la perspective du développement


humain permet ainsi d’affirmer que la bonne gouvernance ne saurait être confinée dans une
approche purement économique marquée par la dictature du PIB et du PNB. Si la finalité de la
bonne gouvernance est d’aider à promouvoir des vies humaines dignes d’être vécues, il faudra
alors adjoindre à cette approche économique de la gouvernance d’autres approches : la
gouvernance politique ou institutionnelle, la gouvernance administrative ou la bonne
administration, la gouvernance sociale et la gouvernance environnementale.

Ce cours, qui se propose d’interroger la notion de bonne gouvernance pour en saisir la


transcendantalité, s’articule autour de trois chapitres. Le premier chapitre expose le contexte
d’émergence de la bonne gouvernance, la conception qui en a découlé et fait la critique de
cette conception. Le deuxième chapitre démontre l’apport de l’approche du développement
humain telle que développée par la théorie des capabilités à la définition de la bonne
gouvernance. Le chapitre troisième détermine les différents aspects dont la prise en compte et
la mise en œuvre concomitante permet à la bonne gouvernance de se poser comme une
éthique du développement humain durable.
11

I. LA BONNE GOUVERNANCE : CRITIQUE DE LA DICTATURE DU PIB/PNB

1. Le contexte d’émergence de la notion de bonne gouvernance

Tout le monde s’accorde à reconnaître que la notion de bonne gouvernance tire son
origine des institutions financières ; précisément, elle a été d’abord élaborée par la BM, dans
l’intention de trouver des critères applicables à l’octroi de prêts, puis adoptée, par la suite, par
d’autres organisations internationales. Aussi, est-il important de ne pas perdre de vue le
contexte de sa genèse.

Dans le contexte d’une économie internationale d’endettement dans les années 1970, la
BM et le Fonds monétaire international (FMI) sont intervenus dans la détermination des
politiques des pays endettés, notamment au travers des PAS, aussi appelés « programmes de
réformes économiques ». L’un des critères applicables majeurs retenus par la BM, pour
l’octroi de prêts aux pays endettés, particulièrement aux pays pauvres, afin de les aider à
combattre la crise économique et financière qui sévissait alors, préconisait la mise en place
par ces pays respectifs d’un État minimum. Mais, vu les nombreuses critiques dont elle a été
l’objet du fait de l’inefficacité de ses programmes, la BM délaisse le critère qui promeut l’État
minimum au profit de celui promouvant l’État au service du marché. Nonobstant ce
changement de paradigme, les PAS conçus, pensés et mis en œuvre par la BM sont demeurés
inefficients. Cette inefficacité des PAS à mettre un terme à la crise économique transparaît
dans la publication par la BM d’un rapport sur l’Afrique sub-saharienne intitulé L’Afrique
sub-saharienne. De la crise à une croissance durable. Étude de prospective à long terme
(Washington, 1989). Dans ce rapport, la BM justifie l’inefficacité d’application de ses PAS
par le manque de bonne gouvernance des pays qui en ont bénéficié. Ainsi apparaît pour la
première fois, en 1989, dans le lexique économique et politique la notion de bonne
gouvernance.

Consciente des apories qui ont rendu inopérants ses programmes, la BM préconisa
d’autres réformes ou critères applicables à l’octroi de prêts. Ces réformes, essentiellement
d’ordre institutionnel, pour les pays en voie de développement, sont contenues dans deux
rapports : « Governance and Development » en 1992 et « Governance. The World Bank’s
perspective » en 1994. Ainsi, suivant ces nouvelles réformes, la gouvernance, pour la BM,
inclut-elle tout à la fois le type de régime politique, le processus par lequel le pouvoir s’exerce
dans la gestion des ressources économiques et sociales d’un pays en vue de son
12

développement et la capacité des gouvernements à concevoir, formuler et mettre en œuvre des


politiques et à s’acquitter de leurs fonctions (BM 1991, 1992, 1994 ; BM 2000a). La BM a
donc fait de la bonne gouvernance un élément central de sa stratégie de développement. La
finalité de toutes ces réformes successives est de rendre l’appareil étatique encore plus
efficient, fort et autonome afin de l’aider à mettre en place les programmes de la BM et
développer ainsi une économie stable et compétitive. Depuis son apparition en 1989, la notion
fut reprise par de nombreuses organisations telles que le FMI, l’Organisation de coopération
et de développement économique (OCDE), les gouvernements européens, l’Union européenne
(UE).

2. Développement économique et bonne gouvernance

Puisqu’aucune pensée ne naît ex-nihilo, la définition de la bonne gouvernance, telle que


formulée par la BM qui est à l’origine de sa naissance, est marquée par le contexte de son
émergence. Pour la BM, la raison de l’échec des réformes envisagées, visant à corriger les
dysfonctionnements structurants qui empêchaient les prêts octroyés dans le cadre des PAS de
relancer l’économie des pays en voie de développement fortement impactée par
l’endettement, est à chercher dans le manque de bonne gouvernance des pays incriminés. Ce
qui revient à lier l’inefficacité d’application des PAS à la pratique de la mauvaise
gouvernance par les pays bénéficiaires. Autrement dit, la mauvaise gouvernance se pose
comme le principal obstacle au développement identifié par la BM. Ainsi, initialement, la
bonne gouvernance fut définie en opposition à la mauvaise gouvernance.

La mauvaise gouvernance, telle que définie par la BM en 1989, est l’absence de


transparence, d’obligation de rendre des comptes et d’administration efficiente combinée à la
corruption dans l’exécution des dépenses publiques. En opposition à cette définition de la
mauvaise gouvernance, la BM définit, en 1992 et en 2007, d’une part, la « gouvernance »,
entendue la bonne gouvernance, comme « la manière dont le pouvoir est exercé dans la
gestion des ressources économiques et sociales d’un pays pour le développement », d’autre
part, comme « la manière dont les institutions et les responsables publics obtiennent et
exercent le pouvoir de définir les politiques publiques et fournissent des biens et des services
(Banque mondiale, Indicateurs de gouvernance : où sommes-nous, où devrions-nous aller ?
Document de travail 4730 consacré à la recherche sur les politiques, Daniel Kaufmann, Aart
Kraay, p. 4).
13

Reprenant à leur compte la notion de bonne gouvernance, les organisations


internationales ont procédé peu ou prou à quelques ajustements sémantiques qui n’ont, en fait,
rien perdu du sens initial. Le FMI, par exemple, qui reprit la notion de bonne gouvernance,
notamment en septembre 1996, dans le « Partnership for sustainable Global growth », en
donne une définition similaire à celle de la BM qui met l’accent sur le développement
économique. Dans les années 90, l’UE inscrit à son tour la notion de bonne gouvernance au
cœur de ses politiques de développement. La résolution du Conseil européen de 1991 sur les
droits de l’homme, la démocratie et le développement propose des lignes directrices pour la
coopération avec les pays en voie de développement. La résolution insiste sur l’importance
des droits de l’homme et de la démocratie qui deviennent des conditions nécessaires pour un
développement équilibré et durable. L’article 21 du Traité sur l’UE marque ce lien étroit entre
développement et droits de l’homme ; et plusieurs accords de coopération consacrent les
droits de l’homme comme l’objectif premier de la politique extérieure de l’UE (Accord de
Cotonou du 23 juin 2000, Déclaration de Bamako du 3 novembre 2000, Déclaration de la
Commission européenne, Consensus européen pour le développement, 20 décembre 2005).

Toutes ces définitions ont ceci en commun qu’elles identifient bonne gouvernance et
développement économique. Elles estiment, en effet, que le propre de la « gouvernance » est
de favoriser la croissance économique, que le développement économique est en lui-même
suffisant pour caractériser la bonne gouvernance. Or, cette approche économique de la bonne
gouvernance est, à n’en point douter, restrictive, instrumentale et étriquée.

3. Développement économique et gouvernance, une approche restrictive,


instrumentale et étriquée de la bonne gouvernance

L’approche initiale de la gouvernance qui conçoit la bonne gouvernance en termes de


développement économique a fait l’objet de maintes critiques, au moins trois : elle a un
caractère à la fois restrictif, instrumental et étriqué. Cette approche, telle qu’élaborée par la
BM, a fini, en effet, par conférer à la notion une interprétation restrictive, considérant que le
caractère démocratique ou non d’un gouvernement dépasse le cadre de son mandat. En
conséquence, elle a mis l’accent sur les dimensions économiques de la bonne gouvernance,
assimilée à une « bonne gestion du développement » (C. Santiso, Bonne gouvernance et
efficacité de l’aide  : la Banque mondiale et la conditionnalité,
http://www.sti.ch/fileadminuser_upload/Pdfs/swap108.pdf, consulté en juillet 2008). Elle a
14

délibérément évité d’utiliser le terme de « gouvernement » de manière à ne pas porter atteinte


à la souveraineté des États. L’étude sur la bonne gouvernance visait alors à mesurer de
l’extérieur la performance économique des États et de leurs institutions, sans que les acteurs
concernés dans les pays eux-mêmes soient directement impliqués. Elle s’est caractérisée par
des procédures de suivi largement informelles, et par le fait que les acteurs privés ont été
traités sur un pied d’égalité avec les gouvernements.

L’étude a reposé exclusivement sur les facteurs économiques et a privilégié les résultats,
à la fois des entités privées et des institutions publiques. Ainsi, par exemple, pour accorder un
prêt, la BM se fondait exclusivement sur des considérations économiques, tandis que les
considérations d’ordre politique étaient expressément exclues (article IV, section 10, des
Statuts de la Banque internationale pour la reconstruction et le développement « BIRD »). La
notion de bonne gouvernance, développé par la BM, ignore ainsi largement certains aspects
importants de la démocratie. Cette vision est indissociable de la nature même de la Banque et
de ses principales caractéristiques, qui permettent difficilement de s’opposer, même au moyen
d’un processus démocratique dans le pays concerné, à une évaluation fondée sur l’efficience
économique.

De même que la BM, l’approche du FMI était strictement économique qui mettait
l’accent sur la gouvernance économique. Selon la vision du FMI, les institutions publiques
doivent être contrôlées et responsables de leurs actions. L’État doit pouvoir assurer la stabilité
des marchés à travers une réelle politique monétaire et fiscale. Ainsi, l’objectif de
développement était-il purement économique et ne tient-il pas compte des facteurs sociaux et
culturels. Dès lors, l’instauration d’institutions stables a pour objectif d’attirer les
investissements du secteur privé.

L’intervention de l’État, selon ce type de gouvernance, doit donc, de façon générale, se


borner à stimuler les investissements en créant, pour les entreprises, un cadre macro-
économique optimal, c’est-à-dire en organisant le développement économique et, non plus,
comme par le passé, en le conduisant directement. Ainsi les gouvernements doivent accentuer
la recherche des mesures propres à accroître la compétitivité des entreprises, en agissant, par
exemple, sur les contraintes les plus inhibantes : l’énergie, les procédures administratives, la
fiscalité, etc. Par ailleurs, l’élargissement du marché apparaît comme un objectif
incontournable. À cet égard, les efforts actuels d’intégration conduits au niveau sous régional
par certains pays (comme dans le cas de l’Union Économique Monétaire Ouest Africaine)
sont encouragés.
15

Il faut également assurer aux entreprises une politique qui rende le crédit fluide et bon
marché, quelles que soient les garanties dont les banques ne manqueront pas de s’entourer, le
tout dans le cadre d’une politique monétaire rigoureuse. L’État devra mettre en place un
système d’incitation fiscale encourageant l’investissement, l’exportation et la création de
nouveaux emplois, tandis que les infrastructures, de manière générale, devront être
renouvelées et bien entretenues. Ainsi pour des institutions telles que la BM et le FMI, la
bonne gouvernance est une affaire purement économique. Cependant, à partir des années 90,
l’approche de ces deux institutions de la bonne gouvernance, omettant, entre autres, la
démocratie et les droits de l’homme, fut largement critiquée.

Pour faire face à ces critiques et espérer ainsi atténuer leurs effets, la BM et le FMI
développent ensemble l’initiative des pays pauvres très endettés (PPTE) en 1996.
L’éradication de la pauvreté intègre alors les conditions de bonne gouvernance des institutions
financières. Désormais, les principes afférant à la bonne gouvernance sont le management du
secteur public, la responsabilité, l’implantation d’un cadre juridique, la transparence,
l’information, la règle de droit et la lutte contre la corruption. À partir de cette époque, se
développe une multitude de recommandations morales au nom de la bonne gouvernance au
sein des organisations internationales.

L’UE a identifié la bonne gouvernance sous l’angle des droits de l’homme et de la


démocratie. Selon cette approche, les principes de la bonne gouvernance sont la séparation
des pouvoirs, l’indépendance judiciaire, la liberté d’expression, d’association, des élections
libres et un système politique multipartite. Cette vision considère le rôle de la société civile
comme hautement importante (J. Demers, A. E. Fernandez, J. and B. Hogenboom, Good
governance and democracy in a world of neoliberal regimes, p. 182). Cette approche de la
notion de bonne gouvernance de l’UE paraît se rapprocher davantage de celle des institutions
de Bretton Woods, qui imposent, en effet, la conditionnalité du respect de la démocratie et des
droits de l’homme dans l’aide au développement. Le FMI et l’UE ont la même approche du
contenu normatif de la bonne gouvernance. Les principes communs sont la démocratie par des
élections et le pluralisme politique, l’État de droit à travers la séparation des pouvoirs, le
système judiciaire indépendant, le respect des droits de l’homme, la transparence à travers la
lutte contre la corruption et, enfin, la lutte contre la pauvreté (A. Saldomando, « Quelques
interrogations sur la gouvernance », in Haut Conseil de la coopération internationale, Les
non-dits de la bonne gouvernance, pour un débat politique sur la pauvreté et la gouvernance,
Éditions Karthala, 2001, p. 102).
16

Or, à y regarder de près, cette inflexion de l’approche initiale de la notion de bonne


gouvernance, à travers la prise en compte d’autres critères que ceux de la maximisation du
profit ou de la croissance économique par la BM, le FMI, l’UE…, s’avère, à l’analyse,
purement instrumentale en ce qu’elle finit par poser ces nouvelles conditions constitutives de
la bonne gouvernance comme des paravents derrière lesquels les organisations internationales
se cachent en vue de légitimer et d’imposer l’implantation du néolibéralisme dans les pays les
plus défavorisés. Nonobstant ces nouvelles conditionnalités, La BM, le FMI et l’UE
poursuivent, en réalité, le même objectif que celui visé dans la première approche de la bonne
gouvernance : l’ouverture des marchés dans les pays en voie de développement.

Dans les trois rapports de la BM de 1997, de 2000 et de 2002 (Rapports de la Banque


mondiale, World development reports : the State in changing world, 1997, Attacking poverty,
2000, Building institutions for markets, 2002), la bonne gouvernance et la démocratie sont les
préconditions à l’ouverture des marchés. Les principes démocratiques tels que la participation,
un système judiciaire indépendant, la responsabilité des dirigeants sont conçus de manière
purement économique et dans un objectif libéral, et ne sont pas reconnus comme des droits
fondamentaux appartenant aux citoyens. L’objectif est alors l’implantation de « démocraties
de marché ou de démocraties capitalistiques » (A. Saldomando, Op. cit., p. 104). La
participation des citoyens est présentée comme une précondition à la compétition nécessaire à
l’instauration d’un État plus fort et compétitif. La participation n’est pas définie comme un
droit mais comme étant « l’articulation de préférences et de demandes », ce qui montre bien
son caractère économique.

La réforme du système judiciaire est indispensable pour assurer un État de droit capable
de garantir « un environnement stable et prévisible pour les transactions économiques et pour
garantir la croissance et l’équité » (A. Saldomando, Ibid., p. 104). La sécurité judiciaire est
essentielle pour attirer les investisseurs. L’absence d’un système judiciaire adéquat constitue
un obstacle au développement du pays. « Les investisseurs sérieux cherchent un système légal
qui protège et respecte le droit de propriété et les contrats, qui échappe à l’action du
gouvernement et aux pressions des groupes d’intérêts » (A. Saldomando, Ibid., p. 104).

De même, l’UE ne cache pas ses intentions derrière la notion de bonne gouvernance,
notamment lorsque la Commission définit les principes de la politique commerciale de l’UE
dans sa communication de « Europe  : Competing in the World ». En effet, dans le cadre de sa
politique de développement, celle-ci multiplie les accords de libre-échange établissant un
processus d’ouverture des marchés et de désarmement tarifaire principalement en Amérique
17

latine et en Asie. Les processus de réformes juridiques et institutionnels, s’insérant dans les
programmes de la bonne gouvernance, combinés avec les processus d’uniformisation
régionale des règles en matière d’investissement et de concurrence, poursuivent l’objectif de
la pénétration des multinationales européennes dans les pays en voie de développement, ceux
dont les marchés sont émergents. Même si l’UE tente de se différencier des autres
organisations internationales dans ces accords commerciaux, l’objectif poursuivi est le même,
l’ouverture et l’accès à de nouveaux marchés.

La BM, le FMI, ainsi que l’UE ont donc pour objectif commun l’économie de marché
déréglementée et insérée dans la mondialisation, avec un État minimaliste mais normatif. La
démocratie est aussi normative ; cependant, elle ne doit pas empiéter sur la liberté de marché.
« La bonne gouvernance est la compétence du gouvernement et des institutions pour
administrer le pouvoir et les ressources économiques et sociales » (A. Saldomando, Ibid., p.
104). L’UE comme la BM et le FMI ne permettent pas l’implantation de la démocratie dans
les pays partenaires, notamment en soutenant les acteurs privés et en délaissant les
institutions. Cependant, l’UE tente de se démarquer en imposant dans ces accords
commerciaux une « clause démocratique » qui est en principe contraignante.

À la différence des autres organisations internationales, l’UE a la capacité de


contraindre ses États membres et les pays tiers. Les politiques de développement de l’UE
reposent en partie sur des instruments juridiques contraignants alors que les instruments de la
BM et du FMI font parties de la soft law, c’est-à-dire qu’ils sont non contraignants mais
incitatifs. La « clause démocratique », insérée dans les accords de partenariat de l’UE, oblige
au respect des droits de l’homme en tant que condition préalable de l’aide publique au
développement. La première clause démocratique est contenue dans l’article 5 de la
Convention de Lomé IV. Alors que l’UE a recours à des instruments juridiques obligatoires
pour imposer la démocratie en dehors de ses frontières, cette condition n’est pas toujours
respectée. Cette clause constitue une disposition essentielle dans les accords de partenariat et
d’aide au développement. Son non-respect devrait alors entraîner la suspension de l’accord,
en théorie. Mais l’UE, dans la pratique, n’a quasiment jamais suspendu un accord pour non-
respect de la clause démocratique. Cette condition du respect de la démocratie est
presqu’inexistante.

La clause démocratique, contenue dans les accords de partenariat entre l’UE et d’autres
États, n’a qu’un seul objectif, légitimer l’action de l’UE. Pour exemple, l’UE et la Colombie
et le Pérou ont signé un accord de libre-échange, qui contient cette clause démocratique. Mais,
18

vu la situation des droits de l’homme dans ces pays, notamment en Colombie, il est certain
que cette clause ne sera pas respectée, avant même que l’accord ait été ratifié. Par ailleurs, la
Chine échappe constamment à cette clause démocratique dans les accords de partenariat avec
l’UE. Cette clause ne constitue alors qu’une apparence donnée par l’UE.

D’autre part, la condition de respect de la démocratie et des droits de l’homme s’insère


davantage aujourd’hui dans la logique de sanctions économiques ; elle n’est plus une
condition préalable d’accès aux aides au développement. Par conséquent, le non-respect de
ces clauses entraîne l’interruption des aides financières. Cette conditionnalité démocratique,
qui se voulait d’être préventive, se trouve finalement punitive. La BM et le FMI insèrent
également cette clause démocratique en tant que sanction économique dans leurs instruments
de soft law d’aide au développement. Ce qui confère une certaine force obligatoire aux
instruments de ces organisations financières. La BM et le FMI tentent ainsi d’influencer les
pays au respect des droits de l’homme. La condition démocratique, en tant que sanction
économique, a eu des effets dévastateurs sur les économies des pays concernés, qui étaient
devenus indépendants de l’aide accordée par ces politiques de développement. Les
conditionnalités de bonne gouvernance apparaissent alors en contradiction avec les principes
démocratiques.

La bonne gouvernance, en tant que condition de financement des politiques de


développement, est perçue comme une influence informelle de l’extérieur, des institutions
financières. Cette influence informelle a empêché l’exercice d’une influence démocratique
dans les relations intérieures. En effet, la démocratie, telle que perçue par ces organisations,
favorise l’implantation des acteurs privés ; ce qui fragilise les institutions publiques. De
nombreux domaines de la réglementation de la sphère publique ont été transférés au secteur
privé, ont été « placés dans une zone d’accord contractuel à caractère privé » alors que
l’influence démocratique s’exerce avant tout sur la sphère publique (G. Haller, « La notion de
bonne gouvernance » in Commission européenne pour la démocratie par le droit, Strasbourg,
9 mars 2011, Étude n° 470 / 2008, Annexe II, pp. 25-32, p. 27). De plus, la revalorisation des
acteurs privés a limité l’implantation des principes démocratiques. Cette importance donnée
aux acteurs privés par les institutions de Bretton Woods nous permet de penser que leur
conception de la démocratie se définit comme « un système dans lequel un petit groupe fait
les règles, et une participation massive se limite au choix de dirigeants dans des élections
soigneusement gérées par les élites concurrentes » (J. Demers, A. E. Fernandez, J. and B.
19

Hogenboom, Op. cit., p. 185). Les droits humains, politiques et sociaux sont instrumentalisés
et ne servent qu’à des objectifs économiques.

La notion de démocratie dans les politiques de développement a été introduite pour que
ces politiques extérieures acquièrent davantage de légitimité. L’implantation de la démocratie
n’est pas un objectif des politiques de développement. En effet, on peut constater que dans le
cas où les pays en développement ouvrent leurs marchés, alors l’UE, le FMI et la BM
poursuivent leur coopération avec ces États, même si ceux-ci ne respectent pas la démocratie
et les droits de l’homme, comme, par exemple, la Colombie et la Chine. Il existe des pays
pourtant non démocratiques et qui connaissent un développement économique important.

Ainsi l’initiative de la BM, du FMI et de l’UE, face aux critiques, d’intégrer à


l’approche initiale de la bonne gouvernance, entre autres, les notions de démocratie et de
droits de l’homme, est restée improductive. Les notions susmentionnées n’ont été mises en
avant qu’en vue de voiler le caractère purement économique de leur conception de la bonne
gouvernance. En tout cas, ainsi que l’a noté Sophie Chevallier, ces notions de droits de
l’homme, politiques et sociaux ont été instrumentalisées en vue de servir les objectifs et
intérêts économiques des institutions internationales incriminées. En fait, depuis le début, ces
institutions internationales n’ont jamais pu se départir, dans leur vision de la bonne
gouvernance, du développement économique et se sont toujours, ainsi que le note Sen,
« concentré[e]s sur la croissance d’“objets de confortˮ inanimés (tels le produit national brut
[PNB] et le produit intérieur brut [PIB], qui sont au cœur d’innombrables études économiques
sur le développement) ». Ce faisant, la Banque mondiale et les institutions internationales se
sont éloignées de ce pourquoi il vaut la peine d’accroître les objets inanimés : la valorisation
des vies humaines. L’accroissement de la richesse des objets n’a, en effet, de sens que s’il
aide à l’accroissement de la qualité de la vie. Tel était initialement ce que visait la mesure du
revenu national. William Petty qui en est l’instigateur estimait, en effet, que la justification
dernière de l’évaluation par la méthode des revenus aussi bien que par celle des dépenses du
revenu national était la richesse des vies humaines, que « la croissance d’“objets de confortˮ
inanimés » n’a d’intérêt que si elle permet d’impacter, d’améliorer les vies humaines.

Dans ses trois traités rassemblés sous le titre de Genèse de l’arithmétique politique,
écrits en 1676 et publiés en 1691, Petty indiquait sa motivation : il se proposait d’examiner si
« les sujets du roi » se trouvaient « dans une situation aussi mauvaise que l’ont dit des
hommes mécontents » ; et les deux mesures qu’il avait avancées pour juger ladite situation
étaient « la sécurité commune » et « le bonheur particulier de chaque homme ». Cette noble
20

intention au fondement de l’estimation quantitative du revenu national qui mettait l’accent sur
« le bonheur particulier de chaque homme », la richesse des existences humaines concrètes, fit
place à la dictature du PNB/PIB, laquelle a fini par faire des moyens d’existence le terminus
a quo et le terminus ad quem de toute sur le revenu national. C’est contre cette vision étriquée
de l’estimation quantitative du revenu national que se dresse la théorie des capabilités qui
s’efforce d’y introduire la richesse des existences humaines.
21

II. L’APPROCHE PAR LES CAPABILITÉS : DE LA RICHESSE DES OBJETS À LA


RICHESSE DES EXISTENCES HUMAINES RÉELLES

Vous aimerez peut-être aussi