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Ia
1 - Est-il nécessaire qu’il y ait une autre doctrine que les sciences philosophiques ?
Pour que l’homme pût obtenir le salut éternel, il était nécessaire qu’il y eût, outre les sciences
philosophiques créées par les lumières naturelles, une autre science appuyée sur la révélation,
concernant les choses qui surpassent la portée de notre intelligence et plusieurs de celles que nous
pouvons connaître par nos propres forces.
La théologie est une science qui dérive des principes d’une science, supérieure qui est la science
de Dieu et des bienheureux.
Comme la théologie considère toute chose au point de vue de la Révélation divine, elle est une
science une.
La théologie, science d’un ordre supérieur, est éminemment pratique et spéculative tout à la fois,
mais elle est plus spéculative que pratique.
La théologie, soit comme science spéculative, soit comme science pratique, surpasse en dignité
toutes les autres sciences. Donc au dogme, la première place !
La théologie, traitant de Dieu comme de la première cause, est la plus haute sagesse ici-bas, non
seulement dans tel ou tel ordre de connaissance, mais d’une manière absolue.
Comme la théologie considère toute chose relativement à la Divinité connue par la Révélation,
Dieu est l’objet de cette science.
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8 - La théologie est-elle argumentative ?
La science sacrée n’argumente pas pour prouver ses principes ; mais elle argumente pour tirer les
conséquences qu’ils renferment, pour convaincre ses adversaires par leurs concessions et pour
réfuter leurs sophismes.
Comme la doctrine sacrée s’adresse à tous les hommes, il est très convenable qu’elle expose les
choses divines par des métaphores et sous des figures sensibles.
Comme Dieu embrasse toute chose à la fois dans son intelligence, l’Ecriture sainte renferme des
sens multiples sous une seule lettre : d’abord plusieurs sens littéraux, puis trois sens spirituels :
l’allégorique (les choses de l’ancienne loi signifiant les réalités de la nouvelle), le moral ( les
actions du divin modèle représentant ce que nous devons faire ) et l’anagogique les institutions
présentes symbolisant la gloire future ).
Q. II - De l’existence de Dieu.
Puisque Dieu est son être et que nous ne savons pas ce qu’Il est, cette proposition : Dieu existe,
est connue par elle-même intrinsèquement, mais elle n’est pas connue par elle-même pour nous.
On ne peut prouver a priori que Dieu existe, mais on peut le prouver a posteriori, par ses effets
qui nous sont plus connus.
3 – Dieu existe-t-Il ?
Il faut qu’il y ait dans la nature un être premier moteur, cause efficace, nécessaire par lui-même,
souverainement parfait, et gouvernant toute chose par son intelligence ; il faut qu’il y ait un Dieu.
Dieu étant le premier moteur, le premier être et la souveraine perfection, Il ne peut être un corps.
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Dieu étant un acte pur, le souverain bien et le premier agent absolu, Il ne renferme point de
matière.
Dieu n’étant pas composé de matière et de forme est la même chose que son essence.
Dieu étant la première cause efficiente, l’acte pur et l’être absolu, il n’a pas une essence distincte
de son être.
Comme Dieu est un acte pur, que son être ne diffère point de son essence et qu’Il est l’auteur de
tous les genres, Il ne peut appartenir à aucun, ni directement, ni indirectement.
Comme Dieu est un acte pur, le premier être et la première cause, Il ne peut avoir aucun accident.
Dieu étant le premier être, l’être même, la cause première et l’acte pur, Il est absolument simple.
Comme Dieu est la première cause efficiente, le premier agent et l’être simple, Il ne peut entrer,
ainsi que certains l’ont cru, dans la composition des créatures, ni comme âme du monde, ni
comme sa forme et sa matière.
Comme Dieu est la première cause efficiente et l’être même existant par soi, Il renferme
suréminemment les perfections de toute chose.
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Puisque, d’une part, Dieu est l’agent universel et le principe de tous les êtres ; puisque, d’une
autre part, Il n’a ni genre ni espèce, les créatures lui sont semblables, non par le genre ou par
l’espèce, mais par une certaine analogie.
Le bon et l’être sont la même chose dans la réalité, mais ils sont distincts dans l’idée ; car le bon
renferme l’appétibilité, mais l’être ne la renferme pas.
Comme tout bien est par sa forme, que précède la commensuration des principes et que suit la
tendance à l’action ou à la fin, il consiste dans le mode, l’espèce et l’ordre.
Comme le bon, soit relatif, soit absolu, forme le terme du mouvement appétitif, il se divise dans
les trois catégories de l’honnête, de l’utile et de l’agréable.
Q. VI – de la bonté de Dieu.
Puisque Dieu est la cause efficiente de tous les êtres et souverainement appétible, il est de toute
nécessité la bonté même.
Puisque Dieu seul possède la perfection absolue, qu’Il trouve son essence dans son être, qu’Il a
essentiellement tout ce qu’Il a et qu’Il forme la fin dernière de toute chose, Il est seul bon par
essence.
Toutes les choses sont bonnes de la bonté divine extrinsèque et virtuellement ; mais elle sont
bonnes formellement de leur propre bonté.
Comme Dieu n’a pas l’être dans un sujet, mais qu’Il est Lui-même son être subsistant, il est infini
et parfait.
2 – Y a-t-il autre chose que Dieu qui puisse être infini par essence ?
Dieu seul est infini par essence et absolument ; les autres êtres sont finis absolument et infinis
relativement.
Une multitude infinie ne peut être en acte ni par soi ni par accident, mais elle peut être en
puissance.
Puisque Dieu est l’être même par essence, il est intimement dans toute chose.
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Dieu est en tous les lieux, parce qu’Il leur donne la vertu de contenir les objets et qu’Il les
remplit, non en en bannissant les autres êtres, comme les corps, mais en créant toutes les choses
qui les occupent.
4 – Dieu est-il en tout lieu par son essence, par sa présence et par sa puissance ?
Dieu est en tout par sa puissance, parce que tout lui est soumis ; Il est en tout par son essence,
parce qu’Il a tout créée immédiatement ; enfin Il est en tout par sa présence, parce qu’Il connaît
tout.
Dieu seul peut être en tout lieu primitivement, c’est à dire tout entier et non en partie.
Q. IX – de l’immutabilité de Dieu.
Dieu étant le premier être, souverainement simple, infini par essence, il est absolument immuable.
Dieu est immuable, mais tous les autres êtres sont muables de quelque manière, ou par la
puissance d’un autre, ou par leur propre puissance, ou dans leur substance et leurs accidents, ou
dans leurs accidents seulement.
Q. X – de l’éternité de Dieu.
1 – L’éternité peut-elle être définie la possession entière, simultanée et parfaite d’une vie
sans terme ?
L’éternité est la possession entière, simultanée et parfaite d’une vie sans terme.
Dieu seul étant véritablement et proprement immuable, Il est aussi seul éternel ; les autres êtres ne
le sont qu’autant qu’ils participent plus ou moins à son immutabilité.
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L’éternité diffère du temps en ce qu’elle est simultanée et le temps successif, et non pas en ce que
le temps a un commencement et une fin, tandis que l’éternité n’a ni l’un ni l’autre.
La perpétuité est le milieu entre l’éternité et le temps, car elle participe de l’un et de l’autre.
Il y a plusieurs perpétuités en ce sens qu’il y a plusieurs êtres perpétuels ; mais il n’y en a qu’une
comme mesure de cette sorte de durée, c’est celle qui s’applique au premier être perpétuel, le plus
simple de tous.
Q. XI – de l’unité de Dieu.
Un et multiple sont opposés de deux manières : un principe du nombre, est opposé à multiple
comme la mesure l’est à la chose mesurée ; un, synonyme de l’être, est opposé à multiple comme
l’indivis l’est à la chose divisée.
3 - Dieu est-il un ?
Puisque Dieu est entièrement simple, infiniment parfait et l’auteur de l’ordre établi dans l’univers,
Il est absolument un.
Comme la suprême béatitude de l’homme consiste dans l’acte le plus élevé de son esprit, dans la
claire vision de l’essence infinie, l’intelligence créée peut voir l’essence de Dieu.
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L’intelligence créée ne voit pas l’essence divine par une image qui exprime cette essence ; mais
elle la voit par une image qu’imprime en elle la lumière de gloire.
Puisque Dieu est absolument incorporel, il ne peut être vu ni par les sens extérieurs, ni par les
sens intérieurs.
4 – L’intelligence créée peut-elle voir l’essence de Dieu par ses propres forces ?
Comme l’essence divine est au-dessus de la nature de toute intelligence créée, l’intelligence créée
ne peut connaître l’essence divine par ses forces naturelles, mais seulement par la grâce.
5 – L’intelligence créée a-t-elle besoin d’une lumière créée pour voir l’essence de Dieu ?
Puisque l’essence divine surpasse la nature de toute intelligence créée, l’intelligence créée a
besoin d’une lumière aussi créée pour voir l’essence divine.
6 – Ceux qui voient Dieu par essence le voient-ils d’une manière plus parfaite les uns que
les autres ?
Comme les bienheureux sont différemment éclairés par la lumière de gloire, ils voient l’essence
divine plus parfaitement les uns que les autres.
Comme la lumière qui éclaire les bienheureux n’est pas infinie, l’intelligence créée ne peut
comprendre Dieu, c’est-à-dire le connaître autant qu’il est connaissable.
Puisque l’intelligence créée ne comprend pas Dieu, elle ne voit point en lui tout ce qu’il fait ou
peut faire ; mais elle y voit plus ou moins de choses, selon qu’elle le voit plus ou moins
parfaitement.
9 – Ceux qui voient Dieu dans son essence voient-ils les choses en lui par des images ?
Ceux qui voient Dieu ne voient pas les choses en lui par des images, mais par l’essence divine
unie à leur intelligence.
10 – Ceux qui jouissent de la vision béatifique voient-ils simultanément tout ce qu’ils voient
dans l’essence divine ?
Tout ce qu’on voit dans le Verbe, on ne le voit pas d’une manière successive, mais
simultanément.
Nous pouvons connaître Dieu dans cette vie par la lumière naturelle, non pas tel qu’il est en lui-
même, mais comme la cause première et éminente de toute chose.
13 – L’homme connaît-il Dieu plus parfaitement par la grâce que par la raison naturelle ?
L’homme connaît Dieu , dans cette vie, plus parfaitement par la grâce que par la raison.
Puisque nous ne connaissons pas Dieu dans cette vie selon ce qu’il est en lui-même, mais comme
le principe suréminent de toute chose, nous pouvons lui donner des noms qui expriment cette
qualité, mais nous ne pouvons lui en donner qui expriment d’une manière adéquate son essence
infinie.
Les noms négatifs et les noms relatifs n’expriment point la substance de Dieu ; mais les noms
affirmatifs et absolus l’expriment imparfaitement, comme nous la connaissons.
Les noms qu’on donne à Dieu ne lui conviennent pas dans le sens propre quant à l’expression,
mais quant aux choses exprimées.
Les noms qui se disent de Dieu dans le sens propre, ne sont pas synonymes.
Les noms communs à Dieu et aux créatures ne sont ni univoques ni absolument équivoques ; ils
sont analogues, exprimant certains rapports entre la cause première et ses effets.
Les noms qu’on donne à Dieu métaphoriquement se disent par priorité des créatures ; les noms
qui expriment l’essence infinie se disent par priorité de Dieu quant à la chose exprimée, et des
créatures quant à l’expression.
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7 – Les noms qui impliquent relation aux créatures se disent-ils de Dieu avec une idée de
temps ?
Comme Dieu n’appartient pas à l’ordre des choses finies, et que les créatures se rapportent à lui
sans qu’il se rapporte à elles, les noms qui expriment cette relation lui conviennent sous des
rapports temporels, et non de toute éternité, à moins qu’ils n’expriment des actes de son
intelligence ou de sa volonté.
Le mot Dieu désigne la substance infinie, si on l’envisage relativement à l’être auquel il est
imposé ; mais il désigne les opérations de cette substance, si on le considère à l’égard de la chose
qui l’a fait imposer.
Le nom de Dieu est incommunicable dans sa signification propre, mais il ne l’est pas dans telle
ou telle signification qu’on peut y attacher.
10 – Le nom Dieu se dit-il univoquement de l’être appelé Dieu par nature, et des êtres
appelés dieux par participation ou par erreur ?
Comme l’idée des êtres appelés dieux par participation ou par erreur dérive de l’idée de Dieu par
nature, le mot qui les exprime ne s’entend, dans ces trois acceptions, ni univoquement, ni
équivoquement, mais analogiquement.
11 – Le nom Celui qui est est-il avant tous le nom propre de Dieu ?
Comme l’esprit humain ne connaît pas Dieu d’une manière conforme à son unité, mais sous des
idées diverses, il peut former à son égard des propositions affirmatives.
Puisque Dieu est absolument immatériel, la science est en lui de la manière la plus parfaite.
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3 – Dieu se comprend-il lui-même ?
Comme Dieu est son être et qu’il ne reçoit point sa perfection des choses extérieures, sa
connaissance ne se distingue pas de sa substance.
Puisque Dieu se connaît parfaitement lui-même, il connaît aussi les autres être non par des images
particulières, mais par son essence.
Comme dieu connaît les choses par son essence, et que son essence renferme toutes leurs
perfections, il connaît les autres êtres non-seulement en général, mais d’une manière propre et
distincte.
Puisque l’être et l’intelligence ne diffèrent pas l’un de l’autre dans Dieu, sa science est la cause
des choses avec sa volonté.
Dieu connaît par science de vision les non-êtres relatifs, et il connaît par science de simple
intelligence les non-êtres absolus.
Puisque Dieu connaît le bien, il connaît aussi le mal qui peut l’altérer par accident.
Puisque c’est une perfection pour les créatures de connaître les choses particulières, Dieu les
connaît aussi comme auteur de la forme et de la matière ; il les connaît non par leurs causes ou
par l’application des principes universels, mais en les voyant distinctement dans son essence.
Puisque Dieu connaît tout ce qui est en acte et tout ce qui est en puissance, soit par sa vertu, soit
par les créatures, il connaît même de science de vision les infinis.
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13 – Dieu connaît-il les futurs contingents ?
Puisque Dieu connaît non seulement les choses qui existent, mais encore les choses qui sont
possibles ou par lui-même ou par les créatures, il connaît de toute éternité, simultanément et par
une science infaillible, les futurs contingents tels qu’ils sont en eux-mêmes, dans leur existence
actuelle.
Puisque Dieu connaît tout ce que peut faire la créature, il connaît nécessairement les propositions,
non par composition ou division, mais par la vue de son essence.
Puisque la science de Dieu ne diffère point de sa substance immuable, elle ne peut subir aucune
variation.
Puisque Dieu ne peut être le sujet d’aucune opération et que tous les autres êtres tombent sous la
sienne, il se connaît lui-même d’une science spéculative seulement, et les autres êtres d’une
science pratique et spéculative tout à la fois.
Q. XV – des idées.
Puisque c’est Dieu, et non le hasard qui a fait le monde, les idées des êtres préexistent dans son
intelligence comme types et modèle de tout ce qui a été créé.
Puisque Dieu renferme les exemplaires de tous les êtres, il a nécessairement plusieurs idées, qui
sont des conceptions.
Dieu a, comme exemplaires et types des êtres, les idées des choses qu’il a fait ; puis il a, comme
connaissance spéculative et pratique, les idées des choses qu’il peut faire et ne fait pas.
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Q. XVI – de la vérité.
Puisque le vrai est l’objet de l’entendement, comme le bon est celui de l’appétit, la vérité est
primordialement dans l’intelligence, et secondairement dans les choses par leurs rapports avec
l’intelligence dont elles dépendent.
2 – La vérité est-elle seulement dans l’intelligence qui procède par voie de composition et de
division ?
La vérité n’est que dans l’intelligence qui compose et divise les idées ; elle n’est ni dans les sens
qui perçoivent les formes extérieures, ni dans le concept qui perçoit les essences des choses.
Puisque les choses sont connaissables et vraies par cela qu’elles ont l’être, la vérité implique,
comme le bon, cette dernière entité en y attachant un rapport à l’intelligence.
Le vrai précède le bon, d’abord parce qu’il est plus près de l’être, ensuite parce qu’il se rapporte à
la connaissance qui est antérieure à l’appétit, sujet du bon.
Puisque Dieu est non-seulement son être et son intelligence, il est vérité première et suprême.
6 – N’y a-t-il qu’une seule vérité qui rende toutes choses vraies ?
Considérée dans la faculté de connaître, où elle existe avant d’exister dans les choses, la vérité se
multiplie avec les intelligences ; mais quand on l’envisage dans les choses, il n’y a qu’une vérité
première, qui communique sa nature à tous les êtres.
La vérité créée n’est pas éternelle ; mais la vérité divine possède cette prérogative, parce qu’elle
ne diffère pas de l’intelligence suprême, qui n’a ni commencement ni fin.
La vérité de l’intelligence divine est immuable ; la vérité de notre intelligence est muable, parce
que nous changeons nous-mêmes d’opinions ; enfin la vérité des choses naturelles est immuable .
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Q. XVII – de la fausseté.
Les choses qui se rapportent à l’intelligence divine ne sont pas fausses absolument, si ce n’est
peut-être dans le domaine de la liberté qui peut se soustraire à l’ordre universel ; mais les choses
qui se rapportent à notre intelligence peuvent être fausses relativement, par expression et par
causalité .
Comme les sens perçoivent immédiatement les sensibles propres et médiatement les sensibles
communs, ils ne trompent dans cette première catégorie des choses que par le défaut des organes,
mais ils se trompent par eux-mêmes dans la seconde .
La fausseté n’est qu’accidentellement dans l’intelligence qui conçoit l’essence des choses, mais
elle est simplement dans l’intelligence qui compose et divise les idées.
Comme le vrai et le faux s’attachent à un sujet et en affirment quelque chose, ils sont contraires
l’un à l’autre.
Comme le mouvement est le signe caractéristique de la vie, on appelle vivants les êtres qui se
meuvent eux-mêmes.
Dans le sens propre, le mot vie désigne la substance et la nature de l’être qui se meut
spontanément ; dans un sens moins propre, il signifie quelquefois les opérations vitales.
Puisque la nature de Dieu est l’être même et l’intelligence, il possède la vie suréminemment.
Puisque la vie de Dieu est son intelligence, tout ce qu’il connaît a vie en lui.
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Q. XIX – De la volonté de Dieu.
Dieu a la volonté puisqu’il a l’intelligence, car la première de ces facultés suit la seconde.
Comme la bonté de Dieu est l’objet propre de sa volonté et que toutes les choses s’y rapportent
comme à leur fin, Dieu veut sa bonté d’une nécessité absolue ; mais il veut les autres choses
d’une nécessité hypothétique : car supposé qu’il les veuille, il ne peut pas ne pas les vouloir.
Puisque Dieu est le premier agent, il est la cause de tout par son intelligence et par sa volonté.
Puisque Dieu veut toute chose dans sa bonté par un acte simple, sa volonté n’a point de cause.
Comme la volonté de Dieu est la plus universelle de toutes les causes, elle obtient toujours son
accomplissement.
Puisque la substance et la science de Dieu sont immuables, sa volonté l’est aussi nécessairement.
La volonté de Dieu n’entraîne pas la nécessité de toutes les choses, mais de plusieurs ; car il a
soumis les unes à des causes nécessaires, et les autres à des causes contingentes.
Puisque Dieu ne veut rien plus que sa bonté, mais qu’il veut tel et tel bien plus que tel ou tel
autre, il ne veut point le mal de la coulpe qui est opposé à sa bonté, mais il peut vouloir le mal de
la nature et le mal de la peine.
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10 – Dieu a-t-il le libre arbitre ?
Dieu a le libre arbitre à l’égard des choses extérieures, car il les veut librement ; mais il ne l’a pas
à l’égard de lui-même, parce qu’il se veut nécessairement.
La volonté de Dieu se connaît à cinq signes qui sont : la défense et la permission à l’égard du
mal ; le commandement, le conseil et l’opération à l’égard du bien.
Q. XX – de l’amour de Dieu.
Puisque Dieu a la volonté, il a nécessairement l’amour, qui est la cause et le principe de tout
mouvement appétitif.
Puisque tout ce qui existe est bon et vient de Dieu, il aime tout ce qui existe, mais autrement que
nous aimons ; tandis que c’est la bonté des choses qui produit l’amour en nous, l’amour de Dieu
crée les choses et leur donne la bonté.
Dieu aime toutes les créatures également sous le rapport de l’intensité de son affection, puisqu’il
les aime toutes d’un acte simple de sa volonté ; mais il les aime inégalement sous le rapport du
bien qu’il leur veut, parce qu’il en veut plus aux unes qu’aux autres.
Puisqu’il y a des choses meilleures que d’autres parce que Dieu leur veut plus de bien, il les aime
davantage.
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Q. XXI – de la justice et de la miséricorde de Dieu.
Comme tout ce que nous avons vient de Dieu, et qu’il n’a rien reçu de nous pour qu’il soit tenu de
nous donner à titre de retour, la justice commutative n’est pas en lui ; mais il a la justice
distributive, accordant à tous les êtres ce qui est nécessaire à leur développement, afin que l’ordre
de l’univers soit conservé.
La justice divine est justement appelée vérité, cette sorte de vérité qui est la conformité des
choses avec l’intelligence.
Comme Dieu ne s’attriste pas de la misère d’autrui, mais comme il veut y porter remède, la
miséricorde lui convient comme effet, mais non comme passion affective.
Puisque, d’une part, Dieu fait toujours ce qu’il se doit à lui-même et à la créature ; puisque,
d’une autre part, il ne doit rien qu’en vertu d’un premier effet de sa bonté, il y a nécessairement
justice et miséricorde dans toutes ses œuvres.
Puisque Dieu renferme dans son intelligence les idées de toutes les choses en tant qu’elles sont
coordonnées à une fin et principalement à la fin dernière, il a nécessairement la providence, qui
est la connaissance de la coordination des choses à leur fin.
Puisque Dieu est la cause première des êtres et qu’il les connaît individuellement, il les gouverne
tous par sa providence non-seulement en général, mais en particulier.
La providence de Dieu s’exerce immédiatement sur tous les êtres quant à l’ordre auquel ils sont
soumis, mais elle s’exerce médiatement quant à l’exécution de cet ordre.
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4 – La providence rend-elle nécessaires les choses qu’elle préordonne ?
Puisque la providence doit, pour la perfection de l’univers, produire tous les degrés de l’être, elle
n’entraîne pas la nécessité de toutes les choses, mais de quelques-unes seulement, de celles
qu’esse soumet à des causes nécessaires.
Q. XXIII – De la prédestination .
Comme la providence, idée de l’ordre qui met les choses en rapport avec leur fin, n’existe pas
dans les choses ordonnées, mais dans l’ordonnateur ; ainsi la prédestination suppose seulement
dans l’intelligence divine l’idée de l’ordre auquel sont soumis les élus.
Puisque la providence permet que certains hommes n’arrivent pas au salut éternel, elle les
réprouve par cela même.
Tous les prédestinés sont choisis et chéris de Dieu, car la prédestination vient après l’élection et
l’élection après la dilection.
Si l’on considère la prédestination dans Dieu, comme action, elle n’a point de cause, parce qu’elle
est éternelle ; mais si on la considère dans l’homme, comme effet, elle peut avoir une cause en ce
sens que ses effets, tels que le mérite et la récompense, la grâce et la gloire, dérivent les uns des
autres ; et encore l’effet total de la prédestination a pour cause la bonté divine.
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7 – Le nombre des prédestinés est-il certain ?
Le nombre des prédestinés est certain, et dans sa quantité et dans son objet ; non-seulement Dieu
a compté ceux qui doivent obtenir le salut, mais il les a choisis et prédestinés. Il n’en est pas ainsi
du nombre des réprouvés.
Quand l’on considère la prédestination en elle-même, elle ne peut être aidée par quoi que ce soit ;
mais quand on la considère dans ses effets, elle peut être aidée par les prières des saints et par les
bonnes œuvres.
On appelle métaphoriquement livre de vie, la connaissance certaine que Dieu a des prédestinés.
Le livre de vie regarde proprement la vie de la gloire, puisqu’il renferme les noms de ceux qui
sont élus de Dieu.
Puisque le livre de vie renferme l’inscription de ceux qui sont ordonnés à la vie éternelle par la
prédestination et par la grâce, on peut être effacé du livre de vie non-seulement selon l’opinion
des hommes, mais réellement.
Puisque Dieu peut tout ce qui est possible, on dit avec raison qu’il est tout-puissant, bien qu’il ne
puisse faire les choses contradictoires.
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4 – Dieu peut-il faire que les choses passées n’aient pas été ?
Dieu ne peut faire, car cela implique contradiction, que les choses passées n’aient pas été.
Puisque Dieu fait tout pour sa bonté, qui dépasse infiniment les êtres créés, rien ne limite sa
puissance au monde actuel, mais il peut produire un monde beaucoup plus grand et plus parfait.
Dieu ne peut pas rendre une chose meilleure dans sa substance, mais il peut faire de meilleures
choses que celles qu’ils a faites.
Puisque Dieu est l’Etre intelligent qui possède au suprême degré toutes les perfections, il est
souverainement heureux.
Puisque la béatitude est la perfection de l’intelligence, Dieu est heureux par l’opération de cette
faculté.
Dieu est la béatitude objective de tous les bienheureux ; mais il n’est la béatitude formelle
(subjective) que de lui-même.
Puisque Dieu est une nature intellectuelle au-dessus de tout, il n’y a pas en Lui d’autre procession
que celle que produit l’opération de son intelligence.
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2– Y a-t-il en Dieu une procession qu’on puisse appeler génération ?
La procession spéciale au Verbe adorable est une génération prise dans le sens propre, et non
dans le sens général ; c’est-à-dire elle est l’origine d’un être vivant qui dérive, avec la
ressemblance de la même nature, d’un principe conjoint.
Outre la génération du Verbe résultant de l’acte de l’intelligence, il y a dans la nature divine une
autre procession qui dérive de l’acte de la volonté, la procession de l’amour.
Comme la procession de l’amour n’implique pas l’idée de similitude, elle ne constitue point une
génération, et le terme qu’elle produit n’est ni engendré ni fils, mais esprit.
Comme les processions divines sont déterminées par des actions immanentes et que l’Etre
suprême n’a que deux actions de cette nature, connaître et vouloir, il n’y a que deux processions
en Dieu, celle du Verbe et celle de l’amour.
Comme les relations divines reposent sur les processions dans l’identité de nature, il y a
nécessairement des relations réelles en Dieu.
La relation et l’essence divine sont réellement la même chose ; mais elles diffèrent
rationnellement, en ce que la relation implique rapport à un terme, et non l’essence.
3 – Les relations divines sont-elles réellement distinctes les unes des autres ?
Les relations se distinguent réellement en Dieu, non dans leur être absolu, mais dans leur être
relatif.
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Q.XXIX – Des personnes en Dieu.
Le mot personne signifie, dans le genre particulier de substances raisonnables, ce que le mots
subsistance, chose de nature, substance ou hypostase expriment dans le genre des substances en
général.
Comme tous les noms qui désignent une perfection s’attribuent à Dieu, on lui applique celui de
personne, mais dans un sens plus élevé qu’aux créatures.
Le mot personne en Dieu signifie une relation d’origine existant comme substance ou comme
hypostase dans la nature divine.
Les nombres numériques, dans la nature divine, ajoutent simplement une négation aux choses
dont on les affirme.
Le nom personne est commun aux trois subsistances divines non réellement, mais
rationnellement, non comme genre ou comme espèce, mais comme individu vague.
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Q. XXXI – De l’unité ou de la pluralité en Dieu.
Comme le mot Trinité signifie d’une manière déterminée ce que le mot pluralité désigne d’une
manière indéterminée, on peut l’attribuer à Dieu ;
L’adjectif autre, au masculin comme au féminin, n’emporte que la distinction du suppôt dans la
nature ; il est donc permis de dire que le Fils est autre que le Père.
La particule seule jointe à un terme essentiel peut s’appliquer à Dieu dans le sens
syncatégorématique, non pour signifier qu’il est solitaire, isolé dans son être, mais pour exprimer
que nul autre ne possède l’attribut de la proposition.
On ne peut joindre le mot exclusif seul à un nom personnel se rapportant à un attribut commun.
1 – L’homme peut-il connaître les personnes divines par les lumières naturelles de la
raison ?
Nous devons mettre en Dieu certaines notions ; car il est nécessaire d’exprimer par des termes
abstraits et par des termes concrets les attributs essentiels, ce qui ne nuit pas à la simplicité divine.
Comme les notions n’appartiennent à la foi qu’indirectement, la différence d’opinions est permise
sur ce sujet, pourvu que ces opinions n’entraînent pas ou qu’on ne voie pas qu’elles entraînent des
conséquences contraires à la foi.
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Q. XXXIII – De la personne du Père.
On peut dire que le Père est principe, puisque le Fils et l’Esprit saint procèdent de lui.
Puisque la première personne se distingue des deux autres par la paternité, le mot Père est son
nom propre .
Il est propre au Père d’être innascible, en ce qu’il n’est point d’un autre.
Puisque le mot verbe implique l’idée de procession, il se dit en Dieu de la personne, et non de
l’essence.
Puisque le mot verbe entraîne l’idée d’émanation intellectuelle, il forme un nom propre du Fils.
Puisque Dieu connaît les créatures en se connaissant lui-même dans la production du Verbe, le
mot verbe implique rapport avec les créatures.
Puisque le mot image implique l’idée d’origine dans la Trinité, il se dit de la personne.
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2 – Le mot image est-il un nom propre du Fils ?
Puisque le Fils procède comme Verbe et le Saint-Esprit comme amour, le nom d’image ne
convient pas à l’Esprit saint, mais il est propre au Fils.
L’Esprit saint procède nécessairement du Fils ; car s’il n’en procédait point, il n’en serait pas
distingué personnellement.
Comme le Fils a reçu du Père la fécondité qui fait procéder de lui l’Esprit saint, le Saint-Esprit
procède du Père par le Fils.
Comme le Père et le Fils ne sont point distingués par l’opposition relative à l’égard du Saint-
Esprit, ils sont un seul principe de cette personne divine.
Le mot amour, pris dans un sens personnel, est un nom propre du Saint-Esprit.
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Q. XXXVIII – Du mot Don attribué au Saint-Esprit.
Comme la personne divine peut être à une autre par origine et devenir la possession de la créature
raisonnable, elle peut être donnée et s’appeler don.
Puisque l’Esprit saint procède comme amour, le mot don est un de ses noms propres.
Puisque les personnes sont les relations subsistantes dans l’essence divine, elles sont réellement la
même chose que cette essence infinie ; cependant elles se distinguent entre elles, réellement aussi,
par l’opposition relative.
2 – Doit-on dire que les trois personnes n’ont qu’une seule essence ?
Puisque l’essence divine s’exprime comme forme, elle appartient aux trois personnes, ou les trois
personnes n’ont qu’une essence.
Les substantifs essentiels se disent des personnes au singulier, et les adjectifs se disent au pluriel.
Les noms essentiels concrets se disent tantôt de l’essence, tantôt d’une ou des trois personnes,
selon qu’ils sont accompagnés de mots qui se rapportent à la personne ou à l’essence.
Les adjectifs personnels ou notionnels ne peuvent se dire de l’essence ; mais les substantifs ont ce
droit.
Il était convenable, pour manifester la foi, d’approprier les noms essentiels aux personnes, soit
par ressemblance, soit par dissemblance.
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8 – Les saints docteurs ont-ils approprié sagement les attributs essentiels aux personnes ?
Quand on considère Dieu dans son être absolu, on attribue l’éternité au Père, la beauté au Fils et
l’usage au Saint-Esprit ; quand on considère Dieu dans son unité, on attribue l’unité au Père,
l’égalité au Fils et l’union ou la connexion au Saint-Esprit ; quand on considère Dieu dans sa
causalité, on approprie la puissance au Père, la sagesse au Fils et la bonté au Saint-Esprit ; enfin
quand on considère Dieu dans ses rapports avec ses effets, on approprie au Père le mot de qui, au
Fils le mot par qui et au Saint-Esprit le mot en qui.
Q. XL – Des personnes considérées dans leurs rapports avec les relations ou les
propriétés.
Les personnes ou les hypostases divines se distinguent par les relations plutôt que par l’origine.
3 – Les hypostases restent-elles quand on abstrait les relations des personnes ?
Quand on fait abstraction totale des propriétés, l’essence reste seule et non les personnes ; quand
on fait abstraction des formelle des propriétés non personnelles, les personnes restent ; enfin
quand on fait abstraction formelle des propriétés personnelles, les hypostases ne restent pas.
L’origine, prise passivement, précède les propriétés même personnelles des personnes
procédantes ; prise activement, elle précède la relation non personnelle de la personne qui produit
la procession.
Q. XLI – Des personnes considérées dans leurs rapports avec les actes
notionnels.
Nous devons attribuer des actes notionnels aux personnes divines pour marquer l’ordre de leur
origine.
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3 – Les actes notionnels produisent-ils de quelque chose ?
Comme le Fils de Dieu est vraiment et proprement Fils, et qu’il est engendré non du néant, mais
de toute la substance du Père, il faut nécessairement que les actes notionnels produisent de
quelque chose.
Puisqu’il y a dans Dieu des actes notionnels, il y a aussi une puissance relative à ces actes : il y a
dans le Père la puissance d’engendrer le Fils, et dans le Père et dans le Fils la puissance de
produire le Saint-Esprit par spiration.
Un seul Père, un seul Fils, un seul Esprit saint est dans la Trinité.
Puisque les trois personnes ont la même essence, elles sont nécessairement égales entre elles.
Puisque ce n’est point par sa volonté, mais par sa nature parfaite de toute éternité que le Père
engendre le Fils dans un acte non successif, le Fils est coéternel au Père.
Il y a nécessairement un ordre de nature dans les personnes divines, parce qu’il y a un principe
d’origine sans priorité.
Le Père est dans le Fils et le Fils dans le Père, et cela selon l’essence, selon la relation et selon
l’origine.
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6 – Le Fils est-il égal au Père en puissance ?
Puisque le Fils est égal au Père dans la perfection de nature, il lui est égal en puissance.
Une personne divine peut être envoyée, en ce qu’elle reçoit d’une autre son origine et qu’elle
commence d’être quelque part d’une nouvelle manière : ainsi le Fils a été envoyé par le Père dans
le monde selon la chair, bien qu’il y ait toujours été par la divinité.
3 – La mission invisible des personnes divines a-t-elle lieu seulement par le don de la grâce
sanctifiante ?
La mission invisible des personnes divines se consomme uniquement par la grâce sanctifiante ;
mais les personnes sont envoyées et données elles-mêmes.
4 – Le Père peut-il être envoyé ?
Comme le Père ne procède pas d’un autre, il n’est pas envoyé ; mais le Fils et le Saint-Esprit le
sont, parce qu’ils procèdent.
Comme le Fils et le Saint-Esprit habitent dans les créatures raisonnables par la grâce et qu’ils sont
d’un autre, ils peuvent être envoyés d’une manière invisible ; mais le Père ne peut l’être, bien
qu’il habite dans les âmes, ainsi que toute la Trinité.
6 – Les personnes divines sont-elles envoyées invisiblement à tous ceux qui ont la grâce ?
Les personnes divines sont envoyées invisiblement à tous ceux qui ont la grâce.
Le Fils et le Saint-Esprit devaient être envoyés, le Fils comme l’auteur et le Saint-Esprit comme
le signe de la sanctification.
8 – Les personnes divines peuvent-elles être envoyées par une autre que celle dont elles
procèdent éternellement ?
Quand on prend le mot mission dans le sens de procession, les personnes divines ne sont
envoyées que par les personnes dont elles procèdent éternellement : le Fils l’est par le Père, et le
Saint-Esprit par le Père et le Fils.
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TRAITE DE LA CREATION
Puisque Dieu est l’être même subsistant, tout autre être est nécessairement créé par Dieu.
La matière première est nécessairement créée par la cause universelle des êtres, c’est-à-dire par
Dieu.
Puisque les formes particulières des choses naturelles viennent de l’intelligence infinie, Dieu est
le premier exemplaire de tous les êtres.
Puisque Dieu est le premier agent, il est aussi nécessairement la première fin de tous les êtres.
Comme il n’y a rien dans l’universalité des êtres qui ne soit l’effet de la cause première, il est
possible, bien mieux, il est nécessaire que tout ait été créé de Dieu.
La création constitue, dans la créature, une relation qui la met en rapport avec le Créateur comme
avec son principe.
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5 – Dieu seul peut-il créer ?
Puisque la création a pour terme le plus général des effets, l’être pur, l’être même, il suit que la
plus universelle des causes, c’est-à-dire Dieu peut seul créer.
Créer est l’acte commun de toute la Trinité, et il n’appartient aux personnes que parce qu’elles
ont les attributs essentiels, la science et la volonté ;
Les créatures raisonnables offrent l’image de la Trinité ; les autres créatures en présentent des
vestiges, car elles renferment des caractères qui en retracent les personnes divines.
La création ne se mêle point aux œuvres de la créature et de l’art, puisque ces œuvres supposent
une matière préexistante.
Puisque le monde a Dieu pour auteur, il n’est pas nécessaire qu’il ait toujours existé, et l’on ne
peut en prouver l’éternité démonstrativement.
La foi seule nous révèle que le monde a commencé ; nous ne pouvons prouver cette vérité par des
argument scientifiques, mais nous devons le croire.
Tout a été fait dans le principe, c’est-à-dire au commencement du temps, ou dans le Fils, ou
encore avant toute chose.
Puisque Dieu a produit le monde pour manifester sa bonté en la communiquant aux créatures, la
pluralité et la distinction des choses ne vient pas de la matière seule ou jointe à un agent ; elle ne
vient pas non plus des causes secondes, mais de l’intention du suprême Ordonnateur.
Comme la sagesse divine a produit la pluralité et la distinction des choses, de même elle a produit
l’inégalité des êtres, et non d’après leurs mérites ou leurs démérites.
Puisque Dieu a coordonné les créatures entre elles et par rapport à lui, nous devons admettre un
seul monde et non plusieurs.
Le mal n’est ni quelque chose d’existant ni une nature, mais il est la privation du bien.
Puisque la perfection de l’univers exige qu’il y ait des choses incorruptibles et des choses
corruptibles qui puissent cesser d’être bonnes, il faut que le mal existe dans le monde non comme
entité substantielle, mais comme corruption et privation du bien.
Le mal existe dans le bien comme dans son sujet, car il en est la privation .
Le mal détruit totalement le bien de la forme, qui lui est opposé ; il ne détruit ni ne diminue le
bien qui consiste dans l’aptitude du sujet à la forme .
Opposé au bien, le mal est, dans les choses volontaires, une peine ou une faute
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Puisque la faute seule nous rend mauvais et qu’elle part de notre volonté, elle est un plus grand
mal que la peine.
Le bien est la cause matérielle du mal comme son sujet, puis la cause agissante d’une manière
accidentelle ; mais il n’en est ni la cause formelle, ni la cause finale, ni la cause directe.
Puisque Dieu, le bien suprême, est infiniment parfait, il ne peut être la cause du mal que par
accident.
Puisque rien n’est mauvais par essence, il n’y a pas un mal suprême qui soit la cause de tous les
maux, comme il y a un bien suprême qui est la cause de tous les biens.
Puisque l’univers doit ressembler à Dieu, qui agit par l’intelligence et par la volonté, il existe des
créatures incorporelles et purement intellectuelles.
Puisque les substances spirituelles ne sont point composées d’une matière et d’une forme, elles
existent dans la même espèce.
Puisque les substances intellectuelles ne renferment aucune matière, les anges sont incorruptibles
de leur nature.
1 – Les anges ont-ils des corps qui leur soient naturellement unis ?
Comme les anges ne reçoivent pas la science des choses sensibles, ils n’ont point de corps
naturels.
Puisque, d’une part, les anges ne sont pas des corps et qu’ils n’en ont point naturellement ;
puisque, d’une autre part, ils ont apparu avec des corps, il suit qu’ils se revêtent quelquefois d’une
enveloppe corporelle.
3 – Les anges exercent-ils les fonctions de la vie dans les corps qu’ils prennent ?
Les anges revêtus d’un corps peuvent exercer les actions vitales dans ce qu’elles ont de commun
avec les actes des êtres non vivants, mais ils ne peuvent les accomplir dans ce qu’elles ont de
propre aux actes des êtres vivants.
Les anges sont dans le lieu par le contact virtuel, sans être mesuré ni contenu par l’espace.
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Puisque la vertu de l’ange est finie et ne produit que des effets particuliers, tandis que la vertu de
Dieu est infinie et la cause de tous les êtres, l’ange n’est pas partout comme Dieu, mais il est
exclusivement dans un lieu déterminé.
Puisque les anges, pour être dans un lieu, doivent le toucher d’une manière immédiate et le
contenir entièrement, il ne peut y en avoir plusieurs dans le même lieu.
Puisque les anges contiennent le lieu, bien loin d’en être contenus comme les corps, ils ne se
meuvent d’un mouvement continu que par accident.
Quand les anges se meuvent d’un mouvement continu, ils traversent nécessairement les lieux
intermédiaires ; mais ils peuvent ne pas les traverser tous, quand ils se meuvent d’un mouvement
discret.
Puisque l’ange a le mouvement continu et le mouvement discret, il se meut non dans l’instant,
mais dans le temps.
Puisque Dieu seul, comme acte pur, est sa connaissance, l’action d’aucune créature, ni partant la
connaissance de l’ange n’est la même chose que sa substance.
Puisque l’être de Dieu seul est absolument infini et que l’action de toute créature est finie sous
quelque rapport, nous devons admettre nécessairement que dans les anges, ainsi que dans toute
créature, l’action diffère de l’être.
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Puisque l’être se distingue de l’action dans les créatures, la puissance active n’est pas non plus la
même chose que l’essence.
Puisque les anges connaissent toujours les objets de leurs connaissances et que ces objets sont
intelligibles par eux-mêmes, on ne peut leur attribuer qu’improprement un intellect actuel ou
potentiel.
Puisque les anges sont de purs esprits, dégagés de toute matière et non revêtus d’un corps naturel,
ils n’ont pour toutes facultés que l’intelligence et la volonté, et c’est pour cela qu’on les appelle
intelligences et esprits.
Les anges ne connaissent pas tout par leur essence, comme Dieu, mais par les espèces qu’ils
renferment.
Puisque les anges n’ont pas de corps, ils ne connaissent point par des espèces reçues des choses,
mais par des espèces innées.
3 – Les anges supérieurs connaissent-ils par des images plus générales que les anges
inférieurs ?
Plus les anges sont supérieurs, plus ils connaissent par des espèces générales.
Les anges se connaissent les uns les autres par les espèces innées, qui représentent tous les êtres
dans leur intelligence.
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3 – Les anges peuvent-ils connaître Dieu par leurs facultés naturelles ?
Puisque les anges sont supérieurs aux choses matérielles, ils peuvent les connaître par les espèces
intelligibles qu’ils renferment dans leur essence.
Les anges connaissent, par des espèces reçues de Dieu, les choses telles qu’elles existent en elles-
mêmes, et non dans les causes générales.
Les anges connaissent avec certitude les futurs qui dérivent nécessairement de leurs causes ; ils
connaissent par conjecture les futurs qui dérivent ordinairement de leurs causes ; ils ne
connaissent d’aucune manière les futurs qui dérivent rarement de leurs causes ; enfin Dieu seul
connaît les futurs en eux-mêmes.
Les anges connaissent naturellement les pensées des cœurs dans leurs effets ; mais Dieu seul les
connaît dans l’esprit.
Comme les mystères de la grâce dépendent uniquement de la volonté de Dieu, les anges ne
peuvent les connaître par leur connaissance naturelle, mais seulement par leur connaissance
surnaturelle et béatifique, dans le Verbe divin.
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1 – L’intelligence des anges est-elle quelquefois en puissance et quelquefois en acte ?
L’intelligence angélique ne considère pas toujours actuellement les choses qu’elle connaît
naturellement ; mais elle considère toujours actuellement les choses qu’elle connaît dans le
Verbe.
Les anges connaissent à la fois toutes les choses qu’ils découvrent dans le Verbe et toutes celles
qui peuvent être représentées par une seule espèce ; mais ils connaissent séparément les choses
qui sont représentées par des espèces différentes.
Les anges perçoivent sans discourir, indépendamment de l’induction, toutes les choses qu’ils
connaissent.
Puisque les anges connaissent tout par la perception, l’erreur ne peut les tromper par soi, mais par
accident.
Il faut admettre dans les anges la connaissance matutinale qui se rapporte aux choses perçues
dans leur premier principe, et la connaissance vespertinale qui a pour objet les choses conçues
dans elles-mêmes.
Quand les anges connaissent les créatures par les espèces innées, la connaissance vespertinale
diffère essentiellement de la connaissance matutinale ; mais quand ils connaissent les créatures
par la vision du Verbe, la connaissance vespertinale ne diffère de la connaissance matutinale que
dans son objet.
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1 – Les anges ont-ils la volonté ?
Puisque les anges connaissent intellectuellement la nature générale du bien, ils ont la volonté.
Puisque les anges sont des créatures intellectuelles, ils ont le libre arbitre.
Puisque les anges n’ont que l’appétit intellectif, on ne peut distinguer en eux la puissance
irascible et la puissance concupiscible ; mais leur appétit reste indivisé sous le nom de volonté.
Puisque les anges ont la nature intellectuelle, ils ont aussi l’amour naturel.
Les anges ont deux sortes d’amour : l’amour naturel et l’amour électif ; mais le premier est le
principe du second.
Puisque tous les anges ont la même nature, ils s’aiment naturellement les uns les autres, dans
certaines choses, comme eux-mêmes ; mais ils ne s’aiment pas réciproquement de cette manière
dans d’autres choses.
Puisque Dieu est le bien universel, les anges l’aiment plus qu’eux-mêmes d’amour naturel, mais
non d’amour de concupiscence.
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Q. LXI – De la production des anges dans l’ordre de la nature.
Puisque Dieu seul est l’être même subsistant, les anges et toutes les choses ont été créées par
Dieu.
Dieu seul est éternel ; tous les autres êtres ont été faits de rien, c’est-à-dire lorsqu’ils n’étaient
pas.
Puisque les anges ont été créés pour la perfection de l’univers, il est plus probable qu’ils ont été
créés avec le monde corporel qu’auparavant.
Puisque les anges forment les plus nobles parties de l’univers, il convenait que Dieu les créât dans
le lieu le plus élevé, dans l’empyrée.
Les anges ont été créés dans la béatitude naturelle, mais non dans la béatitude surnaturelle, que
donne la vision de l’essence divine.
Il est plus probable que les anges ont été créés dans l’état de grâce que dans l’état de nature pure.
Comme Dieu seul est naturellement heureux, les anges devaient recevoir la grâce dès l’origine,
pour mériter la béatitude surnaturelle.
5 – Les anges ont-ils obtenu la béatitude aussitôt après leur premier acte méritoire ?
Les anges ont obtenu la béatitude aussitôt après leur premier acte de charité.
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6 – Les anges ont-ils obtenu la grâce et la gloire d’après l’étendue de leurs perfections
naturelles ?
Les anges ont obtenu la grâce et la gloire selon la mesure de leurs facultés naturelles.
Comme les anges bienheureux ne peuvent rien vouloir ni rien faire qu’en vue de Dieu, le
souverain bien, ils ne peuvent pécher.
Puisque les anges sont conduits à la béatitude par Dieu, ils ne peuvent dépasser le point auquel la
grâce les a élevés.
Toute créature, constituée dans son état naturel, peut faillir et pécher ; Dieu seul ne peut tomber
dans le mal ni dans l’erreur, parce qu’il est seul la règle de ses actions.
2 – Les anges ne peuvent-ils tomber que dans les péchés d’orgueil et d’envie ?
Les anges peuvent avoir tous les péchés dans la réité ;mais ils ne peuvent avoir dans l’affection,
primitivement que le péché d’orgueil, et conséquemment que le péché d’envie.
L’ange a péché par le désir d’être semblable à Dieu, non pas qu’il ait voulu s’égaler à l’Etre
infini, mais parce qu’il a désiré de trouver sa fin dernière dans la béatitude naturelle ou
d’atteindre la béatitude surnaturelle par ses propres forces.
Comme les démons tendent au bien universel, ils ne peuvent être naturellement mauvais.
5 – Le démon est-il devenu mauvais, par la faute de sa volonté, dès le premier instant de sa
création ?
Puisque les anges ont été créés de Dieu, ils n’ont ni péché ni pu pécher, dans le premier moment
de leur existence, par un acte désordonné de leur volonté.
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6 – Y a-t-il eu quelque intervalle entre la création et la chute des démons ?
L’opinion la plus probable, surtout si les anges ont été créés dans la grâce, c’est qu’ils ont péché
tout de suite après le premier instant de leur existence ; mais s’ils n’ont pas été créés dans la
grâce, on peut admettre qu’il s’est passé quelque temps entre leur création et leur péché.
7 – Le plus élevé des anges prévaricateurs était-il le premier dans toute la milice céleste ?
Comme le péché des esprits célestes a procédé du libre arbitre, il est plus probable que le plus
élevé des anges prévaricateurs était le plus sublime de toutes les milices divines.
8 – Le péché du premier ange prévaricateur a-t-il été la cause du péché des autres ?
Le péché du premier ange a causé le péché des autres, non par nécessité, mais par entraînement et
par séduction.
9 – Le plus grand nombre des anges a-t-il péché ou persévéré dans le bien ?
Les anges qui ont persévéré dans la grâce forment un plus grand nombre que ceux qui ont péché.
1 – L’intelligence des démons est-elle obscurcie au point qu’ils aient perdu la connaissance
de toute vérité ?
La connaissance fondée sur la nature n’a été ni détruite ni affaiblie dans les anges prévaricateurs ;
la connaissance fondée sur la grâce, qui avait pour objet les divins mystères, a été affaiblie ; puis
la connaissance également fondée sur la grâce, qui produisait la charité divine, a été entièrement
détruite.
Les bons anges ont été confirmés dans le bien et les mauvais fixés dans le mal, car la chute est
pour les anges ce que la mort est pour l’homme.
La douleur est dans les mauvais anges non comme passion, mais comme acte simple de la
volonté ; car ils voudraient que beaucoup de choses qui sont ne fussent pas, et que plusieurs qui
ne sont pas fussent.
Les mauvais anges ont deux lieux de supplice : l’enfer où ils resteront éternellement pour subir la
peine de leur crime, et l’air ténébreux où ils seront jusqu’au jugement dernier pour exercer les
justes dans le bien.
Q. LXV – De la création corporelle.
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1 – La créature corporelle vient-elle de Dieu ?
Comme les créatures corporelles et toutes choses ont cela de commun qu’elles sont, il faut de
toute nécessité qu’elles dépendent toutes réellement de Dieu quant à l’être.
Tous les êtres visibles et corporels ont été réellement créés par Dieu, non pour le châtiment des
substances spirituelles, mais selon les vues de Dieu et comme une expression de sa bonté.
Les créatures corporelles ont été effectivement et immédiatement produites par Dieu, et non par
l’opération intermédiaire des anges.
Comme c’est en vertu des formes sensibles et corporelles que les êtres composés existent et sont
produits, ces formes ne proviennent pas des substances séparées ; celles-ci ne sont que des
moteurs qui poussent à la réalisation de ces formes, Dieu en est la première cause, et les êtres
composés corporels sont les agents immédiats qui les dégagent de la matière où elles sont en
puissance.
La matière informe n’a pas précédé par le temps la matière formée, mais seulement dans l’ordre
de la nature. La matière informe a cependant précédé la matière formée, si l’on entend par là
l’ornement et la beauté de la matière.
2 – N’y a-t-il qu’une matière informe pour tous les êtres corporels ?
La matière des corps corruptibles et des corps incorruptibles n’est la même que par analogie.
Il était dans l’ordre que le corps entièrement lumineux fût créé dès le commencement, afin que la
gloire dont les bienheureux doivent jouir dans leur corps eût là son principe ; et c’est ce qui se
nomme le ciel empyrée ;
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Dès la première origine du monde le temps fut créé avec la matière informe.
1 – Le mot lumière peut-elle être proprement rangée parmi les choses spirituelles ?
Le mot lumière, quant à l’usage, signifie tout ce qui produit la manifestation et la connaissance ;
mais s’il est pris dans son sens primitif, c’est-à-dire pour exprimer la manifestation visuelle, ce
n’est plus que d’une manière métaphorique qu’on peut l’entendre dans les choses spirituelles.
L’illumination étant une chose instantanée et simultanée dans tous les point du même lieu, la
lumière elle-même n’est pas un corps.
La lumière n’étant pas une substance ni une simple vertu intentionnelle, il faut nécessairement
qu’elle soit une sorte de qualité active attachée par elle-même au corps lumineux.
L’ordre de la sagesse divine exigeait que la lumière fût faite le premier jour.
L’on peut, suivant la diverse acception que l’on donne au mot firmament et les deux ordres de la
nature et du temps dans lesquels on le considère, accorder ou nier qu’il ait été fait le second jour.
Selon l’acception diverse dans laquelle on prend le firmament et les eaux, on entend diversement
que le firmament divise les eaux.
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Si l’on appelle ciel tout ce qui est au-dessus de la terre et de l’eau, il n’y a qu’un ciel ; mais il y a
des cieux différents correspondants aux diverses parties de ce tout : il y a aussi plusieurs cieux
ainsi dits par métaphore.
1 – Le rassemblement des eaux est-il dit avec raison avoir été fait le troisième jour ?
Afin que l’ordre naturel fût conservé, c’est avec raison qu’après la formation de l’eau faite le
second jour, la terre fut formée et distinguée de tout autre élément le troisième jour, lorsque les
eaux qui étaient sous le ciel furent rassemblées dans un seul lieu, et que l’élément aride parut.
Comme la production des plantes est en quelque sorte une formation de la terre à laquelle elles
sont fixément attachées, c’est avec raison que les Livres saints nous la représentent ayant lieu le
même jour que celle de la terre, c’est-à-dire le troisième jour.
Comme il convenait que ce qui avait été formé le premier des trois jours consacrés à l’œuvre de
distinction, fût orné le premier des trois jours consacrés à l’œuvre d’ornement, c’est avec raison
que les luminaires sont produits le quatrième jour.
Afin d’éloigner de l’idolâtrie le peuple qui y était si enclin, Moïse a donné avec raison pour cause
de la production des luminaires, celle qui ferait le mieux comprendre qu’ils ont été produits pour
l’utilité des homme, à savoir, pour distinguer les temps, les jours, les années, ect.
L’âme étant unie aux plantes et aux animaux comme leur forme, et ne l’étant aux corps célestes
que comme le moteur qui se sert du mobile, il est clair que les corps célestes ne sont pas animés
comme le sont les plantes et les animaux ; ils ne sont dits animés que par une sorte d’analogie.
Il a été convenable que la terre fût représentée produisant, le sixième jour, des âmes vivantes
selon leurs genres, des bêtes de somme, des reptiles et des animaux terrestres selon leurs espèces,
et que le même jour le corps de l’homme ait été formé par Dieu, afin que ce jour consacré à
l’ornement de la terre, correspondit au jour dans lequel eut lieu la distinction de cette même terre.
L’achèvement des œuvres divines, quant à leur perfection naturelle et à l’intégrité de l’univers,
est avec raison rapporté au septième jour.
Dieu s’est reposé le septième jour de toutes ses œuvres, en tant qu’il a cessé de créer de nouvelles
créatures, et parce qu’après ses œuvres, il s’est reposé en lui-même, se suffisant à lui-même,
heureux par lui-même, et remplissant tout son désir.
Il convient que Dieu ait béni, dans le septième jour, toutes les créatures sorties de ses mains, et
qu’il ait sanctifié ce jour-là.
Il n’est ni insuffisant ni superflu ce nombre de sept jours parmi lesquels trois sont attribués à la
distinction des parties du monde, trois à l’ornement de ce monde, et le septième à la cessation de
toute œuvre.
2 – Tous ces jours ne forment-ils qu’un seul jour ?
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Ce n’est pas dans un seul jour, mais dans sept jours que toute créature a été faite.
3 – L’écriture sainte emploie-t-elle des termes convenables pour exprimer les œuvres des six
jours ?
L’Ecriture sainte emploie des termes convenables pour exprimer les œuvres des six jours.
Comme l’âme est le premier principe de la vie par rapport à tout ce qui vit en nous, il est
impossible qu’elle soit le corps ; elle en est l’acte.
L’âme humaine ayant la faculté de connaître tous les corps, est par là même incorporelle et
subsistante.
Les âmes des animaux, n’agissant pas par elles-mêmes, ne sont pas subsistantes ; car elles ont
toutes une même manière d’être et d’agir.
Comme on ne saurait appeler homme que ce qui est capable de toutes les opérations de l’homme,
l’âme ne pouvant sans le corps accomplir les opérations sensitives, il est manifeste que l’homme
n’est pas l’âme seule, mais bien le composé de l’âme et du corps.
Comme il est de l’essence de l’âme, considérée en général, d’être la forme d’un corps, et,
considérée en particulier, à savoir en tant qu’intellective, d’être capable de connaître les formes
absolues ou universelles, l’âme ne saurait être composée de matière et de forme.
Comme l’âme humaine est une forme qui subsiste par elle-même et qui est exempte de toute
composition, elle n’est corruptible ni par elle-même ni par accident.
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Comme l’ange est une forme pure et séparée de la matière, il n’est pas possible d’admettre qu’il
soit de la même espèce que l’âme.
Comme le principe intellectif est ce par quoi l’homme comprend, soit qu’on le nomme intellect,
soit qu’on le nomme âme intellective, ce principe est nécessairement uni au corps humain comme
sa forme.
Comme il est impossible que plusieurs êtres numériquement distincts n’aient qu’une seule forme,
aussi bien qu’il est impossible qu’ils n’aient qu’un seul et même être, il faut que le principe
intellectif se multiplie suivant le nombre des corps.
3 – Outre l’âme intellective, y a-t-il, dans l’homme, d’autres âmes distinctes par leur
essence ?
L’âme étant unie au corps, non comme moteur seulement, mais encore comme sa forme, il est
impossible que dans un homme il y ait plusieurs âmes essentiellement distinctes : il n’y a qu’une
seule âme à la fois végétative, sensitive et intellective.
4 – Y a-t-il, dans l’homme, une forme autre que l’âme intellective ?
L’âme humaine étant unie au corps comme la forme qui lui communique sa raison d’être, il est
impossible qu’il y ait dans l’homme une autre forme que l’âme intellective.
5 – Y a-t-il des rapports de convenance entre l’âme intellective et le corps auquel elle est
unie ?
L’âme intellective possédant au suprême degré la faculté de sentir, il a fallu que le corps auquel
elle est unie, fût un corps mixte et qui eût plus que tous les autres une juste proportion d’éléments
divers, tels qu’est le corps humain.
Comme c’est l’âme intellective qui donne à l’homme l’être substantiel purement et simplement, il
est impossible que cette âme soit unie au corps par le moyen de certaines dispositions
accidentelles.
7 – L’âme est-elle unie au corps animé par l’intermédiaire d’un autre corps ?
Comme l’âme est unie au corps, non comme moteur seulement, mais comme forme, il est
impossible que cette union ait lieu par l’intermédiaire d’un autre corps.
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L’âme est tout entière dans chaque partie du corps quant à la totalité de sa perfection et de son
essence, mais non quant à la totalité de sa vertu ; car elle n’est pas dans chaque partie du corps
selon chacune de ses puissances.
Comme aucune opération de l’âme n’est une substance, et que tout être ayant une âme n’opère
pas toujours en acte, il est nécessaire de distinguer la puissance de l’âme de son essence ou
substance.
L’homme étant, selon l’ordre de la nature, placé sur le plus bas degré de êtres appelés à la
béatitude, et par conséquent l’homme ayant besoin d’accomplir des opérations multiples et
diverses, il faut que l’âme humaine possède plusieurs puissances.
Les puissances étant, comme telles, prédisposées à leurs actes, doivent nécessairement être
distinguées par ces mêmes actes et leurs objets.
L’âme étant une, et ses puissances étant multiples, comme c’est d’après un certain ordre que la
nature va de l’unité au nombre dans le but d’éviter toute confusion, il faut nécessairement qu’il y
ait un ordre entre les puissances de l’âme.
5 – Toutes les puissances de l’âme sont-elles dans l’âme même comme dans leur sujet ?
Ce qui agit étant le vrai sujet de la puissance agissante, il est certain que les puissances qui ne
s’exercent pas par les organes, résident dans l’âme seule comme dans leur sujet ; que celles, au
contraire, qui s’exercent par les organes, sont dans le tout composé et non dans l’âme seule.
L’accident propre à une chose étant par lui-même causé par cette chose en tant qu’elle est en acte,
et affectant cette même chose en tant qu’elle est en puissance, il est certain que toutes les
puissances de l’âme émanent de son essence.
49
L’essence de l’âme étant par rapport à ses puissances, tantôt comme leur principe actif et final,
tantôt comme leur principe subjectif, il faut dès lors que les puissances de l’âme soient ainsi
disposées entre elles, que les plus parfaites soient le principe des autres comme fin et principe de
leurs actes, et que les moins parfaites soient le principe des autres comme leur principe subjectif.
8 – Toutes les puissances de l’âme demeurent-elles dans l’âme après qu’elle s’est séparée
du corps ?
Les puissances de l’âme étant les accidents de l’âme elle-même ou de l’être total qui résulte de
l’union de l’âme et du corps, les puissances qui ont l’âme pour sujet restent en elle après la
destruction du corps ; celles au contraire qui ont pour sujet l’être total et composé, ne restent dans
l’âme que virtuellement après que le corps est détruit.
L’animal reçoit et conserve des espèces sensibles et certaines appréciations vagues que ne perçoit
pas le sens extérieur ; il faut donc admettre seulement quatre puissances intérieures de l’âme
sensitive distinguées entre elles par leurs propres fonctions ; et ces puissances sont : le sens
commun, l’imagination, l’appréciation et la mémoire.
Comme dans l’homme comprendre n’est pas la même chose qu’être, il s’ensuit que l’intellect
n’est pas l’essence même de l’âme, mais une de ses puissances.
Puisque comprendre est quelque chose de passif, l’intellect est une puissance passive.
Puisque rien de ce qui est en puissance n’est réduit en acte que par la vertu d’un être déjà en acte,
il faut nécessairement admettre dans l’âme, outre l’intellect possible par lequel l’âme peut devenir
tout ce qu’elle doit être, un intellect actif par lequel tout cela peut être fait, par lequel la puissance
de l’âme à l’égard des choses intelligibles est réduite en acte.
Comme l’âme humaine est le plus parfait des êtres inférieurs, lesquels reçoivent néanmoins des
causes universelles leurs propres puissances ou vertus, il faut nécessairement que l’âme tienne de
l’intellect supérieur une vertu par laquelle il lui soit donné d’éclairer les images des choses et de
rendre intelligibles en acte les choses qui n’étaient intelligibles qu’en puissance.
L’intellect agent étant une puissance de l’âme, il n’est pas possible qu’il soit le même chez tous
les hommes ; il doit nécessairement se multiplier avec le nombre des âmes.
La mémoire, en tant qu’elle est la faculté de conserver les espèces intelligibles, appartient à l’âme
intellective ; mais en tant qu’elle a pour objet les choses passées considérées comme choses
passées, elle appartient plutôt à la partie sensitive de l’âme.
La mémoire ne constitue pas dans l’homme une puissance différente de l’intellect ; ce n’est là
qu’une même puissance, puisque l’objet en est le même.
La raison et l’intellect sont dans l’homme une même puissance, quoique connaître soit tout
simplement percevoir une vérité intelligible, et que raisonner soit aller progressivement d’une
chose connue à une autre qui ne l’est pas encore ; ceci accuse une imperfection, cela convient au
contraire à un être parfait.
51
La raison supérieure et la raison inférieure sont dans l’homme une seule et même puissance, elles
ne sont distinguées que par leurs habitudes et leurs actes, la raison supérieure dirigeant ses vues et
ses soins, sous l’impulsion même de la sagesse, vers les choses de l’éternité, et la raison
inférieure s’élevant par la science des choses temporelles aux choses éternelles.
L’intelligence et l’intellect doivent être distingués, non comme une puissance d’une autre
puissance, mais comme l’acte est distingué de la puissance.
Une chose perçue par l’intellect peut conduire à une application pratique ou ne pas y conduire : il
suit de là que l’intellect spéculatif et l’intellect pratique qui ne diffèrent qu’en cela, ne sont pas
deux puissances différentes.
La syndérèse n’est pas ne puissance spéciale qui soit, comme la nature, supérieure à la raison ;
c’est l’habitude naturelle des principes pratiques, comme l’intellect est l’habitude des principes
spéculatifs ; mais elle n’est pas une puissance.
La conscience, dans le sens rigoureux du mot, n’est pas une puissance, c’est l’acte par lequel
nous appliquons notre science à nos propres actes ; et de cette application résulte notre accusation
ou notre excuse.
Comme les êtres en qui la forme est la plus éminente doivent également avoir une inclination
supérieure, il faut nécessairement que les êtres doués d’intelligence, possédant par là même une
forme éminente, possèdent également une puissance appétitive bien supérieure aux appétits
naturels.
Comme ce qui est perçu par l’intellect est d’un autre genre que ce qui tombe sous le sens, il
s’ensuit nécessairement que l’appétit sensitif et l’appétit intellectif appartiennent à des puissances
différentes.
52
Q. LXXXI – De la sensualité.
La sensualité n’implique pas une puissance intellective quelconque, mais seulement une force
appétitive de l’âme.
Q. LXXXII – De la volonté.
La volonté ne peut rien vouloir sans doute par une nécessité de coaction, mais elle peut vouloir
quelque chose par la nécessité qui résulte de sa fin ou de son état ; elle peut aussi vouloir quelque
chose, à savoir le bonheur, par une nécessité naturelle.
Il est certains biens particuliers sans lesquels l’homme peut être heureux, et voilà pourquoi la
volonté n’est pas nécessitée à vouloir ces biens ; de même que l’intellect n’adhère pas
nécessairement aux propositions qui n’ont pas une connexion nécessaire avec les premiers
principes.
L’objet de l’intellect étant en lui-même plus noble que l’objet de la volonté, l’intellect est
également en lui-même une plus haute puissance que la volonté ; celle-ci néanmoins est
quelquefois plus élevée sous certains rapports, quand, par exemple, son objet est d’une nature
plus élevée.
53
L’intellect meut la volonté comme fin, et la volonté envisageant le bien en général meut
effectivement l’intellect.
Comme le libre arbitre est ce par quoi les hommes se portent également vers le bien ou vers le
mal, il est impossible que le libre arbitre soit une habitude quelconque, ou même une puissance
liée à l’habitude ; il est nécessairement une puissance naturelle de l’âme .
Comme l’acte propre du libre arbitre consiste dans le choix, et comme le choix est principalement
l’acte de la puissance appétitive, il faut dire absolument que le libre arbitre est lui-même une
puissance appétitive.
De même que la raison et l’intellect forment une seule puissance et non deux ; de même le libre
arbitre et la volonté sont une seule et même puissance, et non deux puissances distinctes.
L’âme par l’intellect connaît les corps d’une connaissance immatérielle, universelle et nécessaire.
54
Dieu seul, par la raison qu’il est virtuellement toutes choses, les connaît toutes par son essence ;
mais l’âme humaine ne connaît rien par son essence.
3 – L’âme connaît-elle toutes choses par des espèces qui lui sont naturellement innées ?
L’âme n’étant souvent qu’en puissance par rapport à des choses qu’elle connaît plus tard en acte,
on ne saurait dire qu’elle connaît les corps par des espèces naturellement innées.
4 – Les espèces intelligibles sont-elles, dans notre âme, une émanation de certaines formes
séparées ?
Les espèces intelligibles par lesquelles l’âme comprend n’émanent pas de formes séparées.
5 – L’âme intellective connaît-elle les êtres immatériels par les raisons éternelles ?
L’âme connaît toutes choses dans les raisons éternelles, non comme dans leur objet, mais comme
dans leur cause.
La connaissance intellective est produite par l’objet sensible, non comme par une cause parfaite et
totale, mais bien comme par la matière même de la cause.
7– L’intellect peut-il connaître en acte par les espèces intelligibles qu’il a en son pouvoir, et
sans appliquer son attention aux images sensibles ?
L’intellect uni à un corps passible ne peut connaître qu’avec le secours des images.
8– Le jugement de l’intellect est-il empêché par les entraves qui pèsent sur les sens ?
Comme tout ce que nous connaissons dans l’état de la vie présente nous est connu par
comparaison avec les choses sensibles, il en résulte nécessairement que le jugement parfait de
notre intellect est empêché par les entraves qui pèsent sur les sens.
1- Notre intellect connaît-il les choses corporelles et matérielles en agissant par abstraction
sur les images ?
L’intellect humain n’étant pas l’acte d’un organe corporel, mais étant l’acte de l’âme, laquelle est
la forme du corps en puissance, il faut nécessairement qu’il connaisse les choses matérielles et
sensibles en les abstrayant des images.
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2- Les espèces intelligibles abstraites des images sont-elles, par rapport à notre intellect, la
chose qu’il connaît ou la chose par laquelle il connaît ?
L’espèce intelligible est par rapport à l’intellect ce par quoi l’intellect connaît, et non ce qu’il
connaît, si ce n’est d’une manière secondaire ; car ce que l’intellect connaît essentiellement, c’est
la chose même dont l’espèce intelligible est la ressemblance.
3- Les idées les plus universelles sont-elles les premières dans l’ordre de nos connaissances
intellectuelles ?
Les idées les plus universelles et les plus communes sont les premières qui tombent sous notre
connaissance intellectuelle et sensitive.
L’intellect humain ne peut comprendre plusieurs choses, en tant que ces choses sont multiples, il
le peut en les ramenant à l’unité, c’est-à-dire, en les comparant sous une seule espèce.
Comme l’intellect humain ne peut du premier abord avoir une parfaite connaissance des choses,
ainsi que l’intellect divin ou l’intellect angélique, il doit nécessairement comprendre par
composition, division et raisonnement.
La nature d’une chose étant l’objet propre de l’intellect, l’intellect ne peut jamais se tromper sur
cette nature, si ce n’est par accident, dans l’emploi qu’il est obligé de faire de la composition, de
la division et du raisonnement, cause ordinaire de ses erreurs.
7- Une seule et même chose peut-elle être mieux comprise par un homme que par un
autre ?
La même chose peut être mieux comprise par un homme que par un autre, non quant à l’objet
sans doute, mais quant à la puissance de compréhension, laquelle résulte des dispositions de
l’âme.
L’indivisible en acte, soit sous le rapport du temps, soit sous celui de la raison, est connu avant la
division correspondante ; mais l’indivisible pris dans un sens absolu, comme embrassant l'acte et
la puissance, n’est connu qu’après le divisible.
56
Q. LXXXVI – De ce que notre intellect peut connaître dans les choses
matérielles.
Comme nous ne pouvons connaître qu’en faisant abstraction de la matière, il est impossible que
les êtres particuliers soient directement perçus par l’intellect ; ils ne le sont qu’indirectement et
par une sorte de réflexion.
L’intellect humain ne peut connaître les choses infinies ni en acte, ni en habitude, mais
uniquement en puissance.
Les êtres contingents, considérés comme tels, sont perçus directement par le sens, indirectement
par l’intellect ; mais en tant que les êtres contingents rentrent dans l’ordre des choses nécessaires
et universelles, ils sont perçus directement par l’intellect.
Les choses futures, en tant qu’elles tombent sous les conditions du temps, ne sont pas connues par
notre intellect, puisqu’elles forment autant d’êtres particuliers ; nous ne pouvons en avoir qu’une
certaine connaissance réflexe ; mais en tant que les choses futures ont une raison d’être
universelle, notre intellect peut les connaître directement, puisqu’il connaît l’universel.
L’intellect humain n’étant, dans l’ordre des choses intelligibles, qu’un être en puissance, ne se
connaît pas lui-même par son essence ; il se connaît par l’acte de l’intellect agent, qui abstrait des
choses sensibles les espèces intelligibles.
L’habitude n’étant pas l’acte, mais une sorte de terme moyen entre la puissance et l’acte, rien ne
pouvant en outre être connu s’il n’est en acte, il faut nécessairement que l’habitude soit connue
par son acte, et non par elle-même.
57
3- L’intellect connaît-il son propre acte ?
L’intellect étant en acte par la connaissance, la première chose qu’il doit connaître ou percevoir,
c’est sa connaissance même ; mais cette connaissance n’est pas perçue de la même manière chez
tous les individus.
L’acte de la volonté étant rationnellement intelligible doit nécessairement être connu par
l’intellect.
Q. LXXXVIII – Comment l’âme humaine connaît les choses qui sont au-dessus
d’elle ?
1 – L’âme humaine, dans les conditions de la vie présente, peut-elle connaître les substances
immatérielles par elles-mêmes ?
Comme l’expérience nous montre que nous ne connaissons rien sans images, il est évident que les
substances immatérielles ne tombant pas sous le sens et l’imagination, ne peuvent être
directement et immédiatement perçues par notre intellect, dans les conditions de la vie présente.
La nature d’une chose matérielle, telle que notre intellect la saisit par labstraction, étant
entièrement d’un autre genre que les substances immatérielles, nous ne pouvons pas, au moyen
des êtres matériels, connaître parfaitement les substances immatérielles.
Dieu se révélant à nous par les créatures ne saurait être le premier objet connu de nous.
Le mode d’opération de chaque chose étant en rapport avec le mode de son être, il faut
nécessairement que l’âme séparée du corps connaisse, non par le concours des images qui sont
dans les organes corporels, mais en se portant directement vers les choses intelligibles.
58
2- L’âme séparée du corps connaît-elle les substances séparées ?
L’âme séparée se connaissant elle-même par elle-même, et connaissant les autres choses
incorporelles par comparaison avec sa propre substance, laquelle est inférieure à la substance
angélique, mais conforme à celle des autres âmes séparées, il suit de là que notre âme aura une
connaissance parfaite des autres âmes séparées, et seulement imparfaite des anges.
Les âmes séparées connaissent toutes les choses naturelles, non d’une connaissance propre et
sûre, mais d’une connaissance vague et commune.
L’âme séparée connaît certaines choses en particulier sans les connaître toutes ; elle connaît
seulement celles dont elle a l’impression ou par une connaissance antérieure, ou par une affection
plus grande, ou par une habitude naturelle, ou par une volonté spéciale de Dieu.
L’habitude de la science acquise ici-bas, en tant qu’elle réside dans l’intellect, demeure dans
l’âme séparée ; car elle ne peut être altérée ni de soi, ni par accident.
Comme les espèces intelligibles demeurent dans l’âme séparée, tandis que l’état de l’âme séparée
n’est pas le même que l’état actuel de l’homme, il faut dire que l’acte de la science acquise ici-bas
demeure dans l’âme séparée, mais non suivant le même mode.
Comme l’âme séparée connaît chaque chose en particulier par la communication des espèces
provenant de la lumière divine, lumière qui embrasse également les objets éloignés et les objets
présents, la distance des lieux ne peut, en aucune façon, être un obstacle à la connaissance de
l’âme séparée.
Comme les âmes des morts, suivant l’ordre de Dieu et le mode de leur être, sont séparées de la
conversation des vivants, elles ne peuvent savoir, d’une connaissance naturelle, les choses qui se
passent ici-bas ; et si les âmes des bienheureux en sont instruites, c’est un effet de la grâce.
59
Q. XC – De la première production de l’homme sous le rapport de l’âme.
L’âme humaine n’étant quelquefois intelligente qu’en puissance, Dieu, au contraire, étant un acte
pur, il est impossible que l’âme soit de la substance même de Dieu ; il faut, par conséquent,
qu’elle ait été faite.
Comme il appartient à l’âme raisonnable d’être faite aussi bien que d’exister, et comme elle ne
peut être faite d’une matière préalable, il faut nécessairement qu’elle soit produite par voie de
création.
L’âme raisonnable ne pouvant être produite par la transformation d’aucune matière, mais devant
être faite par création, Dieu seul, en outre, ayant la puissance créatrice, il faut de toute nécessité
que l’âme raisonnable soit produite immédiatement par Dieu.
Dieu ayant primitivement établi les choses dans un état parfait suivant leur nature, et l’âme qui
forme une partie de la nature humaine n’ayant sa perfection naturelle que par son union avec le
corps, l’âme n’a pas été produite avant le corps.
Quoique l’homme, en tant qu’il sert d’intermédiaire ou de terme moyen entre les êtres spirituels
et les substances corporelles, ait un corps qui se compose des quatre éléments, il est dit
néanmoins plus spécialement formé du limon de la terre, c’est-à-dire de terre mêlée d’eau ; car
ces deux substances dominent dans le corps de l’homme.
Comme, à l’origine des choses, il ne pouvait évidemment y avoir un corps humain préexistant qui
pût en produire un autre de même espèce par voie de génération, il a fallu que le premier corps
humain fût immédiatement formé par Dieu.
60
3 – Le corps de l’homme a-t-il été convenablement disposé ?
Un ouvrier quelconque s’efforce de donner à son œuvre la meilleure disposition possible par
rapport à la fin qu’il s’est proposée ; il est donc juste de dire que le corps humain a reçu de
l’ouvrier suprême la disposition la plus parfaite, non absolument, mais par rapport à l’âme
raisonnable et à ses opérations.
De même que nous avons coutume de faire avec plus d’attention et de soin ce que nous avons
principalement en vue, de même l’Ecriture retrace, d’une manière spéciale, la formation du corps
humain, toutes choses ayant été faites pour l’homme.
1 – La femme devait-elle être créée dans cette première création des choses ?
Comme il a fallu, dès la première création des choses, que l’homme eût un aide pour l’œuvre de
la génération, la femme a dû être créée dès ce moment.
Pour que l’homme fût le principe de toute son espèce, comme Dieu est le principe de toutes
choses, il convenait que la femme fût tirée de l’homme.
Pour représenter, d’une part, la société qui devait exister entre l’homme et la femme, et, de
l’autre, les sacrements qui devaient découler de Jésus-Christ mourant sur la Croix, il convenait
que la femme fût faite d’une côte de l’homme.
Comme Dieu seul, qui est l’auteur de la nature, peut amener une chose à l’existence en dehors de
l’ordre de la nature, lui seul a pu faire d’une côte de l’homme le corps d’une femme.
Comme l’homme possède quelques traits de ressemblance avec Dieu, en tant que Dieu est son
modèle, mais sans qu’il puisse y avoir entre eux aucune égalité, l’image de Dieu se trouve dans
l’homme, quoique d’une manière imparfaite.
61
2 – L’image de Dieu se trouve-t-elle dans les créatures privées de raison ?
Les créatures intelligentes, ayant en elles un trait de ressemblance avec l’intelligence et la sagesse
de Dieu, sont seules, à proprement parler, faites à son image.
Comme la nature intellectuelle, principe immédiat et raison essentielle de l’image de Dieu dans la
créature, est plus parfaite chez l’ange, il faut dire simplement que l’ange est fait à l’image de Dieu
plus que l’homme.
L’image qui vient de la création se trouve dans tous les homme, celle qui vient de la régénération
n’est que dans les justes, et celle qui procède de la gloire existe seulement dans les bienheureux.
Comme en Dieu il n’y a qu’une nature existant en trois personnes, il faut dire que l’image de
Dieu est dans l’homme, et quant à la nature divine, et quant à la Trinité des personnes.
La ressemblance de Dieu, considérée comme image, se trouve dans l’homme quant à l’âme
seulement ; mais considérée comme empreinte ou vestige, elle est dans l’homme tout entier, ainsi
que dans les autres créatures.
L’image de la Trinité se voit essentiellement dans la créature raisonnable par les actes du Verbe et
de l’amour, mais secondairement dans les puissances et surtout dans les habitudes.
8 – L’image de la divine Trinité n’est - elle dans l’âme que par rapport à son objet, qui est
Dieu ?
L’âme raisonnable est faite à l’image de Dieu et de la Sainte Trinité, en tant qu’elle se porte ou
doit naturellement se porter vers Dieu par la connaissance et l’amour.
62
Q. XCIV – De l’état et de la condition du premier homme par rapport à
l’intellect.
Quoique le premier homme, dans l’état d’innocence, ait connu Dieu d’une manière bien plus
élevée que nous ne le connaissons, il n’a pas vu Dieu dans son essence, puisqu’il a péché.
2 – Adam, dans l’état d’innocence, a-t-il vu les anges par leur essence ?
Comme l’âme du premier homme, dans l’état d’innocence, était destinée, comme elle l’est
maintenant, à gouverner et parfaire le corps, comme elle a dû, par conséquent, connaître à l’aide
des images, elle n’a pas pu, même dans cet état, connaître les anges par leur essence.
Comme il fallait que l’homme fût établi dans un état parfait, non - seulement quant au corps pour
la génération de ses semblables, mais aussi quant à l’âme pour les instruire et les diriger, il a fallu
dès – lors qu’il ait possédé la connaissance de toutes les choses naturelles qu’il pouvait savoir,
des choses surnaturelles qu’il devait savoir ; mais que tout le reste lui fût inconnu.
L’homme, dans l’état primitif, ayant été fait par Dieu quant à l’intellect, de telle sorte qu’il n’y
eût aucun mal en lui, la partie inférieure de son être étant alors entièrement soumise à la partie
supérieure, il ne pouvait, en aucune façon être trompé, ni pour ce qu’il savait ni pour ce qu’il
ignorait.
Puisque le premier homme a été ainsi fait, que la raison devait être soumise à Dieu, les puissances
inférieures à la raison, et le corps à l’âme, il doit avoir été créé dans l’état de grâce.
Les passions relatives au bien qu’on possède ou qu’on possédera au temps voulu, comme
l’amour, la joie, le désir, l’espérance exempte de peine, existèrent dans l’état d’innocence ; mais
celles qui ont le mal pour objet, comme la crainte ou la douleur, ne s’y rencontre nullement.
63
3 – Adam a-t-il eu toutes les vertus ?
Puisque en Adam, dans l’état d’innocence, la raison fut soumise à Dieu, et les puissances
inférieures soumises à la raison, il eut en quelque manière toutes les vertus : celles-là, selon
l’habitude et l’acte, qui ne renfermaient aucune imperfection inadmissible dans cet état ; et les
autres, selon l’habitude seulement.
4– Les œuvres du premier homme eurent-elles moins d’efficacité pour le mérite que les
nôtres ?
Les œuvres du premier homme étaient plus efficaces pour le mérite que les nôtres, si le mérite est
apprécié à la raison de la grâce ou de la grandeur absolue de l’œuvre ; si c’est la grandeur relative
que l’on apprécie, elles étaient moins efficaces.
Adam, dans l’état d’innocence, avait l’empire sur tous les animaux, puisqu’ils lui étaient tous
naturellement subordonnés : aussi, en punition de la désobéissance de l’homme envers Dieu, les
animaux, à leur tour, refusent leur obéissance à l’homme.
L’homme n’avait pas sans doute l’empire sur les anges ; mais il l’avait sur les animaux, par le
droit de leur commander, et sur les plantes, par le droit d’en user sans aucun obstacle.
Il fallait nécessairement que, dans l’état d’innocence, il y eut une certaine disparité, du moins
quant aux sexes ; on peut même admettre des inégalités quant à l’âme et au corps.
La servitude est une des peines du péché ; dans l’état d’innocence, l’homme n’eût donc pas
exercé sur l’homme le genre de domination qui est l’opposé ou le corrélatif de la servitude ; mais
par la supériorité de la science et de la justice, il eût dirigé les autres pour leur propre bien.
64
Q. XCVII – De ce qui regarde l’état du premier homme quant à la conservation
de l’individu.
L’homme, dans l’état d’innocence, était réellement immortel, non par nature, mais par grâce ; car
il avait reçu une vertu divine par laquelle il aurait, en ne péchant pas, conservé son corps dans une
condition supérieure à celle de la matière corporelle.
L’homme, dans l’état d’innocence, n’était pas sujet aux passions qui tirent l’homme de son état
naturel, mais il était capable de celles qui pouvaient le perfectionner.
L’homme, dans l’état d’innocence, possédant la vie animale, avait besoin d’aliments ; il n’en aura
plus besoin après la résurrection, parce qu’il n’aura plus qu’une vie spirituelle.
4 – L’homme, dans l’état d’innocence, aurait-il acquis l’immortalité par le fruit de l’arbre
de vie ?
Dans l’état d’innocence, l’homme aurait eu par le fruit de l’arbre de vie une sorte d’immortalité
relative, mais non absolue.
Comme dans les choses corruptibles rien n’est permanent, si ce n’est l’espèce, comme chaque
chose néanmoins tend à se perpétuer, il a fallu que la génération eût lieu dans l’état d’innocence.
2 – La génération, dans l’état d’innocence, aurait-elle eu lieu par l’union des sexes ?
L’organisation de la nature humaine montre assez que, dans l’état d’innocence, la génération
devait avoir lieu, non par la seule vertu divine, mais par le concours de l’homme et de la femme,
sans aucune trace, néanmoins, de passion désordonnée.
65
Q. XCIX – De l’état des enfants pour ce qui regarde le corps.
1 – Dans l’état primitif, les enfants à peine nés auraient-ils eu le parfait usage de leurs
membres ?
Dans l’état d’innocence, les enfants n’auraient pas eu, aussitôt après leur naissance, l’usage de
leur corps pour toute sorte d’actes, ils n’auraient pu accomplir que les actes propres à leur âge ;
car c’est là l’ordre naturel, et la divine Ecriture ne dit pas le contraire.
Comme la diversité des sexes concourt à la perfection de la nature humaine, il serait né dans l'état
primitif des enfants des deux sexes.
Comme le semblable engendre son semblable, une œuvre n’étant pas défectueuse dans l’état
d’innocence, il devait nécessairement arriver que tous les hommes naîtraient avec la justice
originelle donnée par Dieu à toute leur espèce.
2 – Dans l’état d’innocence, les enfants auraient-ils été, en naissant, confirmés dans la
justice ?
L’homme est confirmé dans la justice par la claire vision de Dieu ; et comme les hommes
n’auraient pas eu cette vision tant qu’ils fussent restés soumis aux conditions de la vie terrestre,
les enfants, en naissant même dans l’état d’innocence, n’auraient pas été confirmés dans la
justice.
1 – Dans l’état d’innocence, les enfants seraient-ils nés avec une science parfaite ?
La nature veut que l’homme acquière la science par le secours des sens ; d’où il suit que dans
l’état d’innocence, les enfants ne seraient pas nés avec cette science qui perfectionne l’homme ;
mais ils l’auraient aisément acquise dans la suite des années.
Dans l’état primitif, les enfants n’auraient pas eu, aussitôt après leur naissance, le parfait usage
de leur raison ; ils n’auraient eu que la raison nécessaire pour les actions de leur âge ; et cela à
cause de l’extrême humidité de leur cerveau.
66
Q. CII – Du séjour de l’homme, c’est-à-dire du paradis.
Le paradis est une contrée de l’Orient, convenablement disposée par Dieu pour son objet.
Le paradis est un lieu convenable pour l’habitation de l’homme, considéré dans le premier état de
son immortalité.
Il convenait que Dieu, après avoir fait l’homme, le plaçât dans le paradis, pour le double objet
indiqué.
L’homme fut fait hors du paradis, dans lequel il fut ensuite transporté par la grâce de Dieu, pour
être de là transporté au ciel, après le temps de sa vie animale.
Comme tout ce qui est dans le monde doit parvenir à une fin certaine et déterminée, tout doit
nécessairement être gouverné par la divine sagesse.
Comme le principe des êtres est placé en dehors d’eux, il faut aussi que la fin de leur
gouvernement soit quelque chose d’extrinsèque au monde.
Comme la fin du gouvernement du monde est le bien le plus parfait, il faut nécessairement que le
monde soit gouverné par un seul.
L’effet principal du gouvernement du monde est un ; il y a deux effets généraux, et les effets
particuliers sont innombrables.
67
5 – Toutes choses sont-elles soumises au gouvernement divin ?
Comme Dieu est la cause effective de tous les êtres, tout est nécessairement soumis à l’action de
la divine providence, ce qui est supérieur à l’homme, ce qui constitue l’homme même et ce qui
est placé au-dessous de lui.
Toutes choses sont immédiatement gouvernées par Dieu quant à la source même du
gouvernement, mais quant à l’exécution de ses ordres les créatures sont gouvernées les unes par
les autres.
Comme la divine providence est la cause universelle, non d’un seul genre d’êtres, mais de tout
être sans exception, rien ne peut arriver dans l’univers en dehors de son ordre.
Comme toute chose tend au bien, dans son opération, bien qu’une chose puisse s’écarter de
l’ordre d’un bien particulier, il est constant que rien ne peut résister absolument à l’ordre du
gouvernement divin.
1 – Les créatures ont-elles besoin que Dieu les conserve dans leur être ?
Comme Dieu est la première cause de tout, soit par rapport à la création, soit par rapport à l’être,
il faut nécessairement que toutes choses soient conservées par Lui.
Dieu ne conserve pas immédiatement toutes les créatures dans leur être ; Il en conserve quelques-
unes ainsi, et d’autres par des causes intermédiaires.
Comme Dieu produit les êtres et les conserve, non par nécessité de nature, mais avec liberté, Il
peut, selon sa volonté, les réduire au néant.
Comme aucune créature n’est réduite au néant, ni par le cours naturel des choses, ni par miracle,
puisque les miracles ne se font que pour la manifestation de la grâce, il faut dire simplement que
rien ne s’anéantit.
68
Q. CV – Du changement que Dieu fait subir aux créatures.
Comme Dieu tient en son pouvoir la matière qu’il a produite, Il peut la conduire immédiatement à
la forme.
Les corps pouvant être immédiatement mus par des causes créées, nul ne saurait douter que Dieu
ne puisse mouvoir immédiatement un corps quelconque, tout comme Il peut imprimer
immédiatement la forme à la matière.
Comme Dieu est le premier intellect et le premier être, en qui tous les êtres préexistent d’une
manière intelligible, Il peut mouvoir l’intellect créé, soit en lui communiquant la puissance
intellectuelle, soit en lui imprimant les espèces intelligibles par lesquelles Il entre en exercice.
Il appartient à Dieu de mouvoir la volonté, soit en la produisant comme cause, soit en l’inclinant
intérieurement vers son objet d’une manière efficace.
Dieu n’opère pas dans tous les agents de manière à ce qu’ils n’opèrent pas eux-mêmes ; mais Il
opère dans chacun d’eux comme cause finale, effective et formelle, sans toutefois empêcher leur
action propre.
6– Dieu peut-il faire quelque chose en dehors de l’ordre naturel des créatures ?
En tant que l’ordre des êtres dépend de la cause première, Dieu ne peut sans doute rien faire
contre l’ordre des êtres ; mais en tant que cet ordre dépend d’une cause seconde quelconque, Dieu
peut agir en dehors de cet ordre.
7– Doit-on regarder comme des miracles tout ce que Dieu fait en dehors de l’ordre naturel ?
Comme on appelle miracle ce qui est pour nous un sujet d’admiration, il faut regarder comme tel
tout ce que Dieu fait en dehors des causes que nous connaissons.
Un miracle est plus grand qu’un autre, non quant à la puissance divine, mais quant aux forces de
la nature qui peuvent être plus ou moins surpassées.
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Q. CVI – Comment une créature en meut une autre, et d’abord de
l’illumination des anges.
Un ange illumine un autre ange en lui transmettant la vérité qu’il connaît, soit qu’il fortifie
son intellect même, soit qu’il n’agisse que sur la ressemblance de la chose connue.
Comme l’ange n’est pas le bien universel, ne manifeste pas même ce bien ; comme il n’est
pas, en outre, l’auteur de la nature intellectuelle, un ange ne peut pas mouvoir la volonté d’un
autre.
Un ordre étant renfermé dans un autre ordre, comme une cause est renfermée dans une autre
cause, un ange inférieur ne peut pas illuminer un ange supérieur, du moins par sa puissance
ordinaire et naturelle.
Comme un ange peut faire connaître sa pensée à un autre ange, par cela seul que celui qui
veut transmettre sa pensée a le pouvoir de se mettre pour cela en rapport avec un autre, il est
constant que les anges se parlent entre eux.
Un ange inférieur pouvant communiquer à un ange supérieur ce qu’il a conçu dans sa pensée,
en tant qu’il a une volonté propre, et non par l’action directe de la volonté suprême, on doit
reconnaître qu’il lui parle, sans toutefois l’illuminer.
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3- L’ange parle-t-il à Dieu ?
Si les anges parlent à Dieu, ce n’est pas pour lui manifester quelque chose, c’est uniquement,
ou pour consulter sa volonté, ou pour admirer sa grandeur suprême.
La parole des anges, consistant dans une simple opération intellectuelle, ne saurait rencontrer
un obstacle dans la distance des lieux.
Un ange pouvant avoir un motif de communiquer sa pensée à l’un et non à l’autre, sa parole
doit pouvoir être perçue par l’un d’eux, à l’exclusion de tous les autres.
Considérés par rapport à leur chef unique, lequel est Dieu, les anges et toutes les créatures
raisonnables appartiennent à une même hiérarchie ; considérés par rapport à la multitude
rangée sous le gouvernement de ce chef, les anges ne forment une seule hiérarchie ni avec les
hommes, ni entre eux, mais ils constituent entre eux trois hiérarchies.
Dans toute hiérarchie, on distingue trois ordres divers : l’ordre supérieur, l’ordre
intermédiaire, et l’ordre inférieur, d’après les fonctions et les actes divers des anges.
Dans chacun des ordres à nous connus il y a plusieurs anges ; mais chaque ange a un ordre
particulier que nous ne connaissons pas.
Si l’on considère la fin naturelle des anges, leurs ordres se distinguent par les dons naturels ;
si on considère leur fin surnaturelle, leurs ordres se distinguent d’une manière définitive par
les dons gratuits, et quant à ce qui les dispose à recevoir ces dons gratuits, par les dons
naturels ; mais pour les hommes, leurs ordres se distinguent par les dons gratuits seulement.
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5- Les ordres angéliques sont-ils convenablement nommés ?
Les neuf ordres angéliques, les Séraphins, les Chérubins, les Trônes, les Dominations, les
Vertus, les Puissances, les Principautés, les Archanges et les Anges, sont nommés
convenablement, en ce que leurs noms sont en harmonie avec leurs perfections spirituelles et
leurs divers ministères.
Selon l’exposition diverse des noms assignés aux ordres angéliques, ce n’est pas à tort, même
en suivant l’Ecriture, que saint Denis et saint Grégoire assignent différemment les degrés de
certains ordres.
Après le jour du jugement, les ordres angéliques demeureront quant à la distinction de leurs
degrés ; quant à l’exercice de leurs fonctions, ils subsisteront seulement en partie.
8- Les hommes sont-ils pris pour faire partie des ordres angéliques ?
Quoique la différence des natures angélique et humaine doive subsister toujours, cependant
les hommes peuvent, au moyen de la grâce, mériter une gloire telle qu’elle les égale aux
anges dans leurs divers degrés ; ce qui n’est autre chose qu’être pris pour faire partie des
ordres angéliques.
Les démons ne font pas, et n’ont jamais fait partie des ordres angéliques, selon l’état de
gloire ; ils en ont fait partie selon l’état de grâce, dans lequel ils pouvaient mériter : ils en font
encore partie en tant que ces ordres sont fondés sur la nature.
Comme les démons ne sont pas égaux en nature, il est nécessaire que les actions des
inférieurs soient soumises aux actions des supérieurs ; et ainsi il y a parmi eux une
soumission et une supériorité naturelles.
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4- Les bons anges ont-ils quelque supériorité sur les mauvais ?
Puisque les anges ne peuvent faire passer la matière à l’acte de la forme substantielle, ce qui
se fait immédiatement par Dieu ou par quelque agent naturel, on dit avec raison que la
matière n’obéit pas à l’ange, à sa volonté.
La nature corporelle étant inférieure à la nature spirituelle, et le mouvement local étant le plus
parfait, la nature spirituelle est disposée à produire immédiatement le mouvement local.
Le miracle étant quelque chose en dehors de l’ordre de la nature créée, Dieu étant le seul qui
ne soit pas créature, seul il peut faire des miracles par sa propre vertu.
Comme les hommes sont inférieurs aux anges en nature, ils sont illuminés par eux.
Comme à Dieu seul il appartient de donner la volonté, lui seul peut aussi la changer
efficacement : les anges ne le peuvent que par forme de conseil ou en excitant les passions.
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3- L’ange peut-il modifier l’imagination de l’homme ?
Les apparitions imaginaires étant quelquefois causées en nous par le changement local des
esprits et humeurs corporels, et la nature corporelle obéissant en cela aux anges, tant bons que
mauvais, peuvent, par leur puissance naturelle, modifier l’imagination de l’homme.
L’ange peut changer l’état des sens de l’homme, soit en lui présentant un objet sensible
extérieur, soit en ébranlant les humeurs de façon à produire les diverses sensations.
Les anges agissant sur la créature corporelle, en vertu des ordres divins, ils sont dits avec
raison envoyés pour remplir un ministère.
Les anges inférieurs sont seuls envoyés en vertu de la loi générale ; les supérieurs ne le sont
que par une volonté particulière de Dieu.
Les anges envoyés pour un ministère assistent, il est vrai, dans ce sens qu’ils voient l’essence
de Dieu ; mais les anges les plus élevés assistent seuls par l’ intuition des mystères cachés en
lui .
Tous les anges de la seconde hiérarchie ne sont as envoyés ; et cela résulte même de leur
nom.
Q. CXIII – De la garde exercée sur nous par les bons anges, et des attaques
dirigées contre nous par les mauvais.
Il est nécessaire que les anges gardent les hommes et les dirigent dans toutes leurs œuvres,
puisque les hommes sont sujets à tant d’erreurs.
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2- Chaque homme a-t-il un ange particulier préposé à sa garde ?
Comme la divine Providence veille d’une manière particulière sur les êtres qui doivent durer
toujours, et comme à la garde des différents degrés de ces êtres sont préposés divers anges, il
est tout à fait conforme à la raison que chaque homme ait un ange pour le garder, puisque
l’homme est incorruptible dans sa forme.
3- N’y a-t-il que les anges du dernier ordre qui soient préposés à la garde des hommes ?
Tous les hommes, dans l’état de la vie présente, à cause des dangers dont elle est semée, ont
un ange préposé à leur garde ; et quand ensuite ils sont parvenus au terme de cette vie, cet
ange n’est plus que le compagnon de leur gloire ; et les damnés ont, au contraire, un démon
pour bourreau.
La garde exercée sur nous par les anges est un bienfait commun ; ce n’est donc pas au
baptême, mais à la naissance, que nous recevons un ange pour gardien.
Comme la garde exercée par les anges rentre dans le plan de la divine Providence, laquelle
n’abandonne jamais entièrement l’homme, l’ange gardien ne l’abandonne pas non plus,
quoiqu’il permette quelquefois, suivant l’ordre des jugements de Dieu, que les mal de la
peine ou celui de la coulpe arrive à l’homme.
Comme rien, dans le monde, ne saurait être regardé comme étant absolument contraire à la
volonté des anges, les anges ne peuvent pas être attristés par la perte des hommes confiés à
leur garde.
Il peut y avoir lutte entre les anges, non par opposition de la volonté, mais par différence de
mérites, et c’est pour cela qu’on peut dire qu’ils luttent entre eux.
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Q. CXIV – Des attaques des démons.
Les démons attaquent les hommes par l’impulsion de leur propre malice, mais les conditions
de ce combat sont fixées par Dieu.
La tentation qui a pour but d’entraîner au péché est tellement le propre du diable, qu’elle ne
peut être suscitée par l’homme qu’autant qu’il se fait le ministre du diable.
Tous les péchés des hommes proviennent indirectement du démon, et directement du libre
arbitre.
Les démons n’ayant qu’une puissance créée, ne peuvent pas, à proprement parler, faire des
miracles ; mais si l’on étend la signification de ce mot à tout ce qui dépasse la puissance
humaine, il faut reconnaître alors qu’ils peuvent faire des miracles pour séduire les hommes.
5- Le démon qu’un homme a vaincu est-il pour cela mis hors d’état de l’attaquer de
nouveau ?
Le démon, vaincu par un homme, cesse de le tenter, non pour toujours mais pour un temps.
Comme le corps est composé de puissance et d’acte, il est actif aussi bien que passif.
Les raisons séminales, qui sont les principes actifs et passifs de la propagation et de toutes les
transformations des êtres matériels, existent de bien des manières différentes dans la matière
corporelle.
3- Les corps célestes sont-ils la cause de ce qui se passe ici-bas dans les corps inférieurs ?
Les corps célestes n’ayant d’autre mouvement que le mouvement local, sont la cause de tout ce
qui se passe dans les corps inférieurs par la variété de leurs mouvements.
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4- Les corps célestes sont-ils la cause des actes humains ?
Comme l’intellect et la volonté, principes des actes humains, ne sont nullement des
puissances attachées aux organes corporels, il ne peut se faire que les corps célestes soient la
cause directe des actes humains ; ils peuvent seulement en être la cause indirecte, en agissant
sur les organes extérieurs, lesquels concourent à l’exercice des deux grandes puissances de
l’âme humaine.
5- Les corps célestes ont-ils une influence sur les démons eux-mêmes ?
Comme les démons sont des substances intellectuelles, et nullement liées à des corps, ils ne
sont, en aucune façon, soumis à l’action des corps célestes.
6- Les corps célestes agissent-ils par nécessité sur les choses soumises à leur influence ?
Tout ce qui, dans le monde inférieur, est causé par les corps célestes, n’arrive pas par
nécessité.
Q. CXVI – Du destin.
En tant que tout ce qui se passe ici-bas est soumis à la divine Providence, comme ayant été
ordonné et prononcé par Elle, il faut admettre l’existence du destin.
Le destin est dans les choses créées en tant qu’elles sont ordonnées par Dieu en vue de
certains effets à produire.
Le destin, considéré par rapport aux choses secondes, n’est pas immuable ; mais considéré
par rapport à la divine Providence, il est immuable et soumis à une nécessité non absolue,
mais conditionnelle.
Le destin étant la disposition des causes secondes pour des effets prévus par Dieu, ce que
Dieu fait immédiatement ne peut être soumis au destin, cela seul lui est soumis qui dépend
des causes secondes.
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Q. CXVII – De ce qui concerne l’action de l’homme.
Un homme peut en enseigner un autre ou bien en lui fournissant des secours qui le conduisent
à la connaissance d’une vérité qu’il ignorait, ou bien en fortifiant son intelligence, afin qu’il
puisse mieux tirer les conclusions de leurs principes.
De même que les anges inférieurs ne peuvent pas illuminer les anges supérieurs, de même les
hommes encore voyageurs ici-bas ne peuvent, en aucune façon, illuminer un ange
quelconque, quoiqu’ils puissent lui parler.
Comme la matière corporelle ne peut être changée quant à sa forme, si ce n’est par un agent
composé de matière et de forme, ou bien par Dieu même, l’âme humaine ne saurait la
transformer par sa puissance naturelle.
4- L’âme humaine, après qu’elle a été séparée du corps, peut-elle du moins imprimer
aux substances corporelles un mouvement local ?
Comme l’âme unie au corps ne peut, par sa vertu naturelle, mouvoir aucun corps, si ce n’est
celui qu’elle vivifie, et comme l’âme séparée ne vivifie plus aucun corps, elle ne peut non
plus en mouvoir aucun par sa vertu naturelle.
L’âme sensitive ne devant pas être créée par dieu, puisqu’elle n’est pas un être subsistant,
mais devant être produite par les corps qui sont la cause et l’effet de la génération, il est dit
avec raison que l’âme sensitive est transmise dans la génération.
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3- Les âmes humaines ont-elles été créées à la fois dès le commencement du monde ?
L’âme qui existe sans le corps ne possédant pas la perfection de sa nature, et Dieu n’ayant pas
commencé son œuvre par des choses imparfaites, il faut simplement reconnaître que les âmes
sont créées en même temps que les corps auxquels elles sont unies.
1- Y a-t-il une partie des aliments qui soit convertie en la réalité de la nature humaine ?
Pour réparer ce que l’action de la chaleur naturelle enlève incessamment à la réalité de la nature
humaine, il faut qu’une partie des aliments se change réellement en cette nature.
Cum semen sit illud quod generatur ex alimento antequam convertatur in substantiam
membrorum, rectè dicitur semen esse de superfluo alimenti, seu de parte alimenti non necessaria
ad alendum.
Ia IIæ
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8- Toutes les autres créatures ont-elles la même fin dernière que l’homme ?
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Q. V – De l’acquisition de la béatitude.
Q. VI – Du volontaire et de l’involontaire.
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