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Revue d'histoire et de philosophie

religieuses

La théologie du processus et la doctrine de Dieu


John B. Cobb, Ann Trocmé

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Cobb John B., Trocmé Ann. La théologie du processus et la doctrine de Dieu. In: Revue d'histoire et de philosophie
religieuses, 62e année n°1, Janvier-mars 1982. pp. 1-21 ;

doi : https://doi.org/10.3406/rhpr.1982.4629

https://www.persee.fr/doc/rhpr_0035-2403_1982_num_62_1_4629

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Résumé
On entend par " théologie du processus " la reprise, dans le champ de la théologie, de la philosophie
du processus de A.N. Whitehead. Celui-ci, mathématicien et logicien au départ, a développé une
cosmologie philosophique qui lie fondamentalement la réalité du monde et la réalité de Dieu. Le
présent article présente d'abord la Faculté de Théologie de Chicago, fondée à la fin du siècle dernier et
au sein de laquelle renseignement de Whitehead a eu un retentissement particulier de 1927-28 à
1955, surtout sous l'influence de H.N. Wieman et de Ch. Hartshorne. Puis il expose quelques-unes des
idées maîtresses de Whitehead, centrées sur la doctrine de Dieu, et conclut par un rapprochement
entre la théologie du processus et la pensée bouddhiste.

Abstract
By a process theology » is understood the application to the field of theology of the process philosophy
of A.N. Whitehead. A mathematician and a logician to start with, Whitehead developed a philosophical
cosmology which links in depth the reality of the world and that of God. This article begins with a brief
description of the Chicago Divinity School, established at the end of the nineteenth century and where
Whitehead's thought found a special echo from the late twenties to the middle fifties, mostly under the
influence of H.N. Wieman and Ch. Hartshorne. It goes on to express some of Whitehead's key ideas,
centring around the doctrine of God, and concludes with a comparison between process theology and
Buddhist thought.
1

REVUE D'HISTOIRE ET DE PHILOSOPHIE RELIGIEUSES

LA THÉOLOGIE DU PROCESSUS

ET LA DOCTRINE DE DIEU

SOMMAIRE.

On entend par " théologie du processus " la reprise, dans le champ


de la théologie, de la philosophie du processus de A.N. Whitehead.
Celui-ci, mathématicien et logicien au départ, a développé une cosmo¬
logie philosophique qui lie fondamentalement la réalité du monde et la
réalité de Dieu. Le présent article présente d'abord la Faculté de Théo¬
logie de Chicago, fondée à la fin du siècle dernier et au sein de laquelle
renseignement de Whitehead a eu un retentissement particulier de 1927-28
à 1955, surtout sous l'influence de H.N. Wieman et de Ch. Hartshorne.
Puis il expose quelques-unes des idées maîtresses de Whitehead, centrées
sur la doctrine de Dieu, et conclut par un rapprochement entre la théo¬
logie du processus et la pensée bouddhiste.

L'expression de « théologie du processus » a plusieurs sens qui se


recouvrent en partie. C'est un terme dont l'usage devint courant dans
les années 50, autant que je puisse en juger. Il se référait au type de
théologie qui s'était développé à Chicago, particulièrement sous l'in¬
fluence de la philosophie de A.N. Whitehead. Mais le terme fut adopté
volontiers par d'autres, par exemple par les disciples de Teilhard de
Chardin. Il sera peut-être utile d'indiquer les trois acceptions du terme
avant d'en retenir une pour la suite de l'exposé.
La « théologie du processus » peut se référer à toute forme de théo¬
logie qui met l'accent sur l'événement, l'accident ou le devenir par rap¬
port à la substance. Dans ce sens, la théologie inspirée de Hegel est
une théologie du processus tout autant que celle qui s'inspire de White-
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head. Cet usage du terme attire l'attention sur les affinités existant en
ces traditions qui sont par ailleurs entièrement distinctes. Une gra
partie de la théologie biblique, surtout lorsqu'elle souligne la différe
entre les modes de pensée biblique et les catégories de la philosop
grecque, relève de la théologie du processus dans ce sens large.

La « théologie du processus » peut signifier une théologie qui e


ploie systématiquement la conceptualité philosophique de A.N. Wh
head. Il est certain qu'une théologie de cette espèce s'appelle théolo
du processus et a contribué de manière importante à l'essor du m
vement. Mon livre « A Christian Natural Theology » 1 a contribu
cette interprétation de la théologie du processus.

La « théologie du processus » peut se référer à la tradition pro


de la Faculté de Théologie de Chicago. Cet usage est bien plus ét
que le premier et plus large que le second. Bien que la plupart
membres de cette Faculté, depuis la fin des années 20, aient ress
l'influence de Whitehead, beaucoup d'entre eux ne peuvent pas être c
sidérés comme whiteheadiens au sens propre. Et pourtant leur insista
sur le « processus » n'a pas été moindre que la sienne.

C'est dans cette troisième acception que j'utiliserai le terme,


en observant combien l'influence de Whitehead s'est amplifiée dans c
tradition, au point que la troisième acception peut mener à la secon
L'inconvénient de cette approche est qu'il y a plusieurs auteurs qui
subi l'influence de Whitehead et qui ne sont pas par ailleurs asso
avec l'Ecole de Chicago. Puisque l'Ecole de Chicago ne prédomine p
à Chicago, le lien qui réunit ceux qui ont été influencés par Whiteh
tend peut-être à l'emporter sur l'enracinement commun dans la tradit
de Chicago. D'ici une génération, on pourra parler simplement de
théologie whiteheadienne. Mais pour le moment, tel n'est pas encore
cas. Dans la mesure où il existe une communauté de théologiens
processus ou une école de théologie du processus, c'est dans le conte
de l'évolution spécifique de la Faculté de Théologie de l'Université
Chicago qu'on la découvre le mieux.

Une Ecole de Théologie baptiste fut transférée à l'emplacement


l'actuelle Université de Chicago en 1892 pour former le noyau de l'U
versité. William Rainey Harper, un bibliste, devint le premier présid
de cette dernière et se mit d'une manière consciente à développer
Université d'un type nouveau. Elle devait être, d'une part, orientée v
les études avancées et d'autre part être en rapport avec la situat
réelle du Midwest américain. Les éléments de la situation qui revêtai
aux yeux des membres de la Faculté de théologie le plus d'importa
J.B. COBB jr., LA THÉOLOGIE DU PROCESSUS ET LA DOCTRINE DE DIEU

l'opinion ressentait de plus en plus l'incapacité de la Bible à répond


aux problèmes de l'heure. Ce fait leur paraissait en partie dû à des chan
gements dans le climat intellectuel, mais davantage à l'interprétati
de la Bible d'une manière individualiste et non historique qui la rend
inapte à avoir une portée quelconque sur les problèmes sociaux de l'
poque.

Autant dire que les membres de la Faculté de Théologie participaie


au mouvement de l'Evangile social qui gagnait beaucoup en influen
à ce moment-là. Ce mouvement trouvait son unité, non dans une thé
logie, mais dans la conviction que les Eglises chrétiennes avaient à char
de s'attaquer aux injustices de la société de classe secrétée par l'indu
trialisation, et que la Bible bien comprise exigeait qu'on se préoccup
de ces questions sociales. Il est frappant que lorsque Walter Rauschen
busch donna une série de conférences en 1917 sur « A Theology f
the Social Gospel », il commença ainsi : « Nous avons un évangile socia
Il nous faut une théologie systématique assez grande pour l'accompa
gner et assez vivante pour le soutenir ». Même Reinhold Niebuhr, do
toute l'œuvre théologique jaillit de son immersion dans. l'Evangile soci
et de sa reconnaissance des limitations de ce dernier, pouvait écrire e
1920 : « Depuis que j'ai cessé de m'inquiéter tant des problèmes inte
lectuels de la religion et que j'ai commencé à explorer certains de s
problèmes éthiques, cela devient beaucoup plus excitant de prêcher ».

Cette subordination de la théologie à la mission sociale de l'Eglis


rendait un son démodé à la génération suivante, mais elle ressemb
de manière frappante aux écrits publiés depuis 10 ans par les tenan
de la théologie politique. Des théologiens noirs comme James Cone n
considèrent la théologie comme utile que dans la mesure où elle sert
cause de la libération noire. Les théologiens de l'Amérique latine est
ment, comme Rauschenbusch, qu'un mouvement de libération est dé
en marche et que leur tâche est d'élaborer une théologie « assez grand
pour l'accompagner et assez vivante pour le soutenir ». Dorothee Sol
commence ses conférences sur « La théologie politique » en citant
prophétie que Bonhoeffer nous adresse : « Pour vous la pensée et l'actio
acquerront une nouvelle relation entre elles ; votre pensée ne déborder
pas au-delà de vos responsabilités dans l'action. Pour nous, la pensé
était souvent
bordonnée à le
l'action.
luxe du
» spectateur ; pous vous, elle sera entièrement su

Je ne prétends pas que la théologie politique et la théologie de


libération soient identiques au mouvement de l'Evangile Social d'une épo
que précédente. Certes, beaucoup des problèmes qu'elles traitent son
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vail du théologien. Aussi, la première période de l'Ecole de Chic


revêt-elle une nouvelle actualité, une nouvelle importance.

C'est à Chicago que la portée de cette approche fut élaborée le

complètement
tianisme fut considéré
dans ce qu'on
commeappela
un mouvement
la méthode socio-historique.
historique émergeant
Le ch

judaïsme sous l'impact de la personne et de l'enseignement de Jé


On estimait que les doctrines avaient été formulées au fur et à me
des besoins pour soutenir les efforts du mouvement, pour répondr
ses besoins. Leur formulation se faisait donc dans les catégories et
cepts adaptés à l'époque, en vue de fournir appuis et conseils pou
tâche à entreprendre.

Du point de vue de l'école socio-historique, la tâche du systémati


dans le monde moderne était identique. Ceux qui étaient engagés d
le mouvement chrétien devaient formuler un enseignement qui assi
celui-ci dans l'accomplissement de sa vocation actuelle. Cette voca
était perçue en grande partie comme un soutien aux classes opprim
dans leur lutte pour la justice. Donc les doctrines de Dieu et du Ch
ainsi que l'ecclésiologie, devaient être énoncées de façon à encour
et aider l'Eglise dans cette tâche.

Lorsque l'Eglise est considérée de cette façon, la question prem


à propos de son enseignement n'est pas la vérité ou l'exactitude
celui-ci. Le critère premier est fonctionnel ou pragmatique. Cette d
trine contribue-t-elle à atteindre les buts actuels du mouvement? M
une formulation qui n'est pas dans le langage du jour et qui n'est
vraisemblable et convaincante n'est guère utile. Donc, l'intérêt pour
adéquation à la meilleure pensée du moment est une norme importa
De même, la question primordiale n'est pas celle de la fidélité aux
mulations bibliques. Le mouvement chrétien doit formuler les doctr
dont il a maintenant besoin, que celles-ci dérivent directement de
Bible ou non. Néanmoins, dans un mouvement qui remonte pour
inspiration aux récits de ses origines, il est important de démon
le lien entre l'enseignement actuel et les Ecritures. De fait, l'étude
blique joua un rôle primordial dans l'école socio-historique.

Naturellement l'étude de la Bible était elle-même placée sous le


gne de la méthode socio-historique. La Bible elle aussi raconte et
flète l'histoire d'un mouvement. Son enseignement reflète les besoin
les buts de ce mouvement à diverses époques de son développem
socio-historique. L'étude moderne de la Bible peut ressusciter pour n
cette histoire et renouveler notre élan pour continuer le mouvement d
elle raconte les origines et l'histoire primitive.
J.B. COBB JT., LA THÉOLOGIE DU PROCESSUS ET LA DOCTRINE DE DIEU

ronment, publié en 1914, était une sorte de manifeste du programm


socio-historique. Case reconnaissait sa dette envers E. Troeltsch, ma
était également conscient de ce qui le séparait de lui. Case objectait qu
dans les écrits de Troeltsch dont il disposait alors, « Troeltsch peut parl
d'un christianisme essentiel dans l'histoire duquel Γ « idéal » fondamen
tal se réalise par la progression vers le « but absolu ». Pour sa par
Case ne reconnaissait que les phénomènes socio-historiques eux-mêm
dans toute leur diversité.

La figure dominante à la Faculté de Théologie dans les trois pr


mières décennies de ce siècle fut Shailer Mathews. Deux ans après
création de la Faculté de Théologie, il fut appelé à quitter son professor
d'Histoire et d'Economie Politique à Colby College pour enseigner l'hi
toire du Nouveau Testament et après 1906 la Théologie. En 1899,
devint vice-Doyen et en 1908 Doyen de la Faculté de Théologie, post
qu'il garda jusqu'à sa retraite en 1933. Pendant toutes ces années, il con
tinua à enseigner.

Mathews abordait l'histoire du Nouveau Testament dans la perspec


tive qu'il avait acquise comme chercheur en histoire et en sciences pol
tiques. Cette perspective avait été renforcée par une année d'études
Berlin, mais il est frappant de constater qu'en fonction de ce que se
centres d'intérêt étaient à l'époque, il n'y suivit aucun cours en théo
logie, même ceux de Harnack. Quoiqu'il ait acquis plus tard une grand
estime pour Harnack, il élabora et appliqua aux domaines biblique
les méthodes mises au point pour d'autres disciplines. Son premi
livre fut une interprétation de la Révolution française comme mouve
ment socio-historique — livre employé dans les lycées américains pen
dant un quart de siècle — et il aborda également le christianisme comm
un mouvement socio-historique et même révolutionnaire. Peut-être est-c
pour cette raison qu'il y a une naïveté rafraîchissante chez Mathew
et ses collègues de l'Ecole de Chicago des premières années. La lut
pour réconcilier la foi et l'histoire fait défaut. Il est entendu que c'es
l'histoire qui a le dernier mot. Mais l'histoire qui a le dernier mot es
celle d'un mouvement vivant auquel l'historien participe.
Mathews voyait le christianisme comme un mouvement social inspir
par Jésus et tendant à la réalisation de valeurs telles que l'amour-sacr
fice. Comme toutes les religions, il est un moyen d'adapter la vie à l
réalité sociale. Ses doctrines sont le sous-produit de sa vie ; elles re
quièrent donc des transformations successives à mesure que la sociét
et la connaissance changent et se développent. La tentative pour dé
finir un noyau constant de croyances est illusoire et mène à des distor
sions dans l'interprétation du passé.
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nergie à la préparation de publications bibliques pour aider les g


de l'époque moderne à découvrir la portée de la Bible pour la situat
d'aujourd'hui. Dans ce but il fonda et réalisa des périodiques et
magazines et écrivit de la documentation pour les Ecoles du Dimanc

A cette insistance sur le christianisme comme mouvement, l'object


évidente est qu'il risque alors de ne plus avoir de caractéristiques p
manentes. Mathews reconnut ceci, en affirmant que « la seule définit
pouvant inclure toutes les variantes du mouvement chrétien est que
christianisme est la religion de ceux qui s'appellent chrétiens... Le chr
tianisme moderne est le descendant de la religion des hommes qui
écrit le Nouveau Testament, mais n'est pas identique à son ancêtr
Quoique Mathews pensât que « ceux qui se sont appelés chrétiens
considéré Jésus comme l'auteur de leur salut », le domaine des croy
ces, y compris les croyances concernant Jésus, restait entièrement rela

D'après Mathews l'alternative n'était pas avant tout entre sa posit


et l'orthodoxie ou même le ritschlianisme qui prévalait à l'époque, m
entre sa position et la philosophie de la religion. Il constatait que l'ho
me moderne pouvait par la voie de la philosophie essayer d'accéde
des convictions religieuses décisives. Il écrivait : « Ce qui est impli
ici, c'est le choix profond entre la religion comme forme de compor
ment social, rationalisé et dirigé par l'intelligence, et la religion com
philosophie, dans laquelle les éléments historiques et sociaux d'un m
vement organisé sont sans importance ». En fonction de ce choix, «
personnes qui ont des convictions religieuses à peu près semblable
adoptent des attitudes très différentes.

Bien que son choix à lui fût clairement du côté de l'approche his
rique, il y avait dans sa pensée des éléments qui préparaient la v
à un changement de cap prononcé de la part de l'Ecole de Chica
Quoique pour lui le contexte principal de la vie religieuse fût soc
il lui reconnaissait également une dimension cosmique. Le christianis
doit adapter son enseignement à ce que les sciences naturelles n
enseignent du cosmos. Mathews admettait que des actes religieux car
téristiques tels que la prière et le culte pourraient ne pas survivre à
tels ajustements, mais il ne voyait aucune autre possibilité que l'ouv
ture complète et estimait personnellement que la science renfor
l'attitude religieuse.

Le traitement par Mathews de la doctrine de Dieu reflète sa dou


préoccupation pour le contexte social et cosmique. Il écrivait : « Tou
les conceptions de l'objet du culte... sont fonction des besoins conscie
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comme Tillich le fit remarquer plus tard, que « la projection est tou¬
jours sur quelque chose ». Mathews était convaincu que le quelque chose
en question était « les éléments qui, dans notre environnement cosmique
auquel nous sommes organiquement liés, sont créateurs de personnalité
et ont une réaction personnelle ». Que de tels éléments existent est selon
Mathews prouvé autant par les connaissances modernes que cela le fut
à toute autre époque. La tâche de maintenant est de formuler des con¬
ceptions de ces forces appropriées à notre expérience et à nos besoins
sociaux. Le mot « Dieu » se réfère plutôt à ces conceptions qu'aux forces
elles-mêmes ou à leur description scientifique.

Bien que son intérêt pour les forces créatrices de personnalité du


cosmos n'ait pas détourné l'attention de Mathews de la sociologie et de
l'histoire vers les sciences naturelles et la philosophie, il a suscité de
sa part et de la part de ses collègues un intérêt pour la pensée organis
mique d'écrivains tels que Lloyd Morgan, S. Alexander et Jan Smuts,
ainsi que pour les travaux de jeunesse de Henri Bergson. Ils s'intéres¬
saient aussi de façon spéciale à la philosophie naturelle de A.N. White¬
head, et lorsque Whitehead se tourna vers la religion dans ses confé¬
rences Lowell de 1926, les professeurs de Chicago l'écoutèrent avec une
vive attention. Cependant, le livre dans lequel les conférences furent
publiées, Religion in the Making, les gêna par son caractère spéculatif.
Mathews invita Henry Nelson Wieman à Chicago pour expliquer le
livre et le succès de cet événement conduisit en 1927 à l'élection de
Wieman comme membre de la Faculté. Il y enseigna jusqu'à sa retraite
en 1947 et son influence amena un changement de cap pour l'Ecole
de Chicago.

Wieman avait fait ses études au Séminaire Presbytérien de San An-


selmo en Californie et en Allemagne auprès de Eucken, Windelband
et Troeltsch. H écrivit pourtant que « pendant ces années », il n'était « cons¬
cient d'aucune nouvelle perspective qui aurait changé la structure » de
sa pensée. Son inspiration principale jusque là venait de sa lecture de
Bergson, influence qui colora le développement intellectuel de ses an¬
nées d'études pour le doctorat à Harvard sous la direction de Hocking
et Perry. Les autres influences majeures furent celles de Dewey et Whi¬
tehead. Ainsi Wieman vint à Chicago en philosophe de la religion, qui
comprenait le problème religieux de la façon même à laquelle Mathews
opposait
chrétien. son propre engagement dans le mouvement socio-historique
8 REVUE D'HISTOIRE ET DE PHILOSOPHIE RELIGIEUSES

tout asservissement à une autorité du passé. H s'agissait de penser


présent avec les outils à notre disposition et d'être guidés sans rés
par les conclusions auxquelles notre pensée nous amène. Dans sa c
préhension de la situation présente, Wieman s'opposait tout aussi
mement que les autres à toute introduction d'un élément spéculati
nous faut limiter nos affirmations à ce qui peut et doit être acc
par toute personne honnête et ouverte qui considère les faits à n
disposition. Il est défaitiste de lier la foi chrétienne à toute préten
particulière à un assentiment intellectuel. Wieman était d'accord
avec Mathews que Dieu pouvait être identifié d'une certaine ma
avec les forces créatrices de personnalité dans l'univers, quoiqu'il n
pas sienne cette formulation.

Les points de différence, cependant, ne sont pas moins frapp


En premier lieu, Wieman n'avait rien d'un historien et pensait rare
selon des catégories historiques. Pour lui, la voie vers la vérité relig
se trouvait dans l'expérience présente et au moins au début de sa
rière il rejetait l'étude historique de la foi comme n'ayant aucune u
pour la tâche présente. Deuxièmement, Wieman ne se préoccupait q
cidemment de sociologie. Pour lui, la variété des structures sociales
blait d'importance secondaire par rapport à la réalité permanent
l'œuvre de Dieu dans le monde et à la participation de l'homme à cel
Troisièmement, Wieman détournait l'attention des concepts et va
humains pour l'orienter vers la réalité de Dieu, qui est ce qui imp
à l'homme religieux. Quatrièmement, tandis que l'Ecole de Chicag
l'époque précédente avait été très méfiante à l'égard du mysticisme,
man faisait appel au caractère immédiat de la connaissance de Die
lui semblait nécessaire de distinguer entre la « connaissance direct
Dieu » par l'homme religieux et la « connaissance indirecte au suje
Dieu » à laquelle la connaissance scientifique pouvait au mieux abo

Nous pouvons formuler autrement la différence entre la prem


Ecole de Chicago et Wieman. Tandis que celle-là avait fait de la reli
et plus spécifiquement du christianisme, l'objet de ses investigat
Wieman considérait Dieu lui-même comme le juste objet de ses i
tigations. Notre tâche n'est pas d'élaborer des idées religieuses qui
viennent à la situation actuelle de notre société, mais de nous soume
nous et notre situation, à l'action de cette réalité qu'est Dieu. En o
cette réalité, loin d'être une force sombre, mystérieuse et lointaine
connue de tous de manière immédiate. Elle est ce sur quoi repose
ce qui est bien dans la vie humaine, car elle est le processus par l
le bien vient à l'existence. Et cette réalité peut être directement ana
et décrite.
J.B. COBB JT., LA THÉOLOGIE DU PROCESSUS ET LA DOCTRINE DE DIEU 9

tion de l'humanité et des valeurs humaines au bénéfice de l'œuvre de


Dieu, qui doit être comprise comme précédant et dominant l'entrepris
humaine. Mais il doit être également clair que Wieman était très éloi¬
gné de Barth et incapable de toute appréciation vraie de l'œuvre de
celui-ci. La réalité souveraine sur laquelle Wieman attire l'attention es
connaissable immédiatement dans l'expérience de chacun. La question
de savoir si on peut attribuer l'autorité aux Ecritures ou à l'événement
Christ est une question secondaire à discuter seulement après que l'on
a atteint une compréhension fondamentale de Dieu. Quoique la connais¬
sance religieuse soit d'une nature différente de la connaissance scienti¬
fique, elle ne s'en distingue pas par un appel à la révélation historique
mais plutôt par le caractère plus immédiat de cette réalité qu'elle saisit
et décrit empiriquement.

L'opinion de Wieman est que ce qui a une importance extrême, c'est


la croissance du bien en l'homme. Par bien, il entend le sens qualitatif
ou la richesse de l'expérience intégrée. Notre souci devrait être et doit
être d'apprendre comment croît le bien. Wieman décrivait dans le dé¬
tail le processus créateur de communautés ou échanges interpersonnels
où a lieu ce phénomène. Ce processus (que l'on doit reconnaître comme
l'un des nombreux processus qui font le monde) n'est pas maniable
en fonction de buts prévus, car c'est du processus qu'émerge le bien
imprévu et imprévisible.

Le problème de l'homme est que nous nous lions trop souvent à


des produits spécifiques du processus créateur du passé, c'est-à-dire à
des valeurs particulières incarnées dans des idées ou des institutions.
Ces valeurs sont de vraies valeurs, mais l'effort fait pour les préserver
peut aisément agir à l'encontre du processus qui les a fait naître et qui
peut faire naître un bien nouveau. Se lier à des valeurs déjà réalisées
est de l'idolâtrie, et contre cette idolâtrie nous devons sans cesse pro¬
tester au nom même de l'engagement dans le processus créateur.

Bien que nous ne puissions ni prévoir le résultat du processus créa¬


teur ni le plier à nos désirs, nous pouvons apprendre à produire des
conditions dans lesquelles il peut être libéré en vue d'une efficacité ma¬
ximale. Ce n'est possible qu'en dirigeant notre enquête critique vers
une étude tant de la nature du processus que des circonstances qui per¬
mettent son efficacité. C'est à cette enquête, et au prolongement dans
consacra
tous les domaines
et convia ses
de étudiants.
la vie des résultats de celle-ci, que Wieman se

Wieman avait pour coutume d'appeler le processus d'échange créa¬


10 REVUE D'HISTOIRE ET DE PHILOSOPHIE RELIGIEUSES

processus créateur et ce que la tradition chrétienne appelle Dieu n'


pas le problème fondamental. S'il n'y a pas de continuité suffis
tant pis pour les Eglises et leurs traditions. Servir ces Eglises ou co
dérer leurs traditions comme normatives ne serait qu'une forme
plus de l'idolâtrie. Seul le processus lui-même mérite qu'on se dév
complètement à lui. Si le mot Dieu porte à confusion dans ce cont
il doit être abandonné. On fait parfois à l'Ecole de Chicago l'objec
qu'elle ne prend pas assez au sérieux le mal. Ceci provient, je c
d'un malentendu. Les formulations habituelles du problème du mal
rivent d'une autre famille d'idées, à savoir celles qui comprennen
relation de Dieu et du monde de telle façon que le monde devrait
bon. Lorsque ceux qui ont cette attente se trouvent confrontés
réalité de la souffrance et de l'injustice, à l'impureté des meilleurs
biles eux-mêmes, et à l'esprit de destruction réciproque existant m
chez les gens relativement vertueux, ils sont bouleversés par le cont
entre ce qui est et ce qui à en croire leur sentiment profond devrait
S'ils ne sont pas amenés à nier entièrement la réalité de Dieu, ils
tendance à se livrer à des luttes pénibles pour éviter d'avoir à déc
que Dieu est mauvais. Si la réflexion ne se concentre pas sur D
elle peut s'exprimer en une aliénation profonde à l'égard d'un m
qui les a trompés et fraudés.

Ce genre de lutte est évité si on part des postulats de la pensé


Wieman à l'époque de sa maturité. Il n'y a pas de raison de s'atte
à ce que le monde entier soit caractérisé par la bonté. Notre con
sance du monde tirée de la science suggérerait plutôt qu'il est au m
indifférent aux soucis de l'humanité. H y a de toute évidence plus
processus destructeurs à l'œuvre, et il ne peut guère y avoir de d
que la destruction totale de l'espèce humaine n'est qu'une affair
temps. Ce qui rend perplexe, c'est que le bien existe. Mais il existe
et bien, et ce fait est impressionnant. Puisqu'il y a tant de proc
destructeurs, il devient d'autant plus important que nous nous occup
de cet unique processus créateur, et que nous nous situions à son é
de façon à renforcer son action. Ceci ne supprimera pas la souff
et l'injustice, mais peut étendre les sphères limitées où peuvent se
ver la joie et la justice. A la fin tout ceci disparaîtra, mais c'est
raison de plus pour nous consacrer maintenant au processus créa

Prendre cette position ne signifie, me semble-t-il, ni qu'on sou


time le mal ni qu'on est naïvement optimiste. Cela mène cependa
une préoccupation pour le bien, tandis que dans la tradition chrét
une grande part de la meilleure théologie se préoccupe du mal.
J.B. COBB JT., LA THÉOLOGIE DU PROCESSUS ET LA DOCTRINE DE DIEU 11

Charles Hartshorne devint professeur à l'Université de Chicago en


1928, une année après Wieman. Pourtant Hartshorne faisait partie du
Département de Philosophie et n'acquit que progressivement une in¬
fluence à la Faculté de Théologie. De 1943 jusqu'à son départ de Chi¬
cago en 1953, il fut titulaire d'un double poste au Département de Phi¬
losophie et à la Faculté de Théologie. Pendant ces années, il eut une
forte influence sur certains des étudiants qui furent plus tard connus
moi-même.
comme théologiens « du processus ». Parmi eux, Schubert Ogden et

A l'opposé de Peirce et de Whitehead, Hartshorne se concentra dès


le début sur les questions de métaphysique et particulièrement sur l'idée
de Dieu.
Dieu comme
Très tôtréalité
dans idéale
son existence,
et inclusive
il futestconvaincu
immédiatement
que l'existence
sous-en¬

tendue dans toute pensée et dans toute expérience et qu'elle est donc
une certitude rationnelle. Le problème est simplement de faire recon¬
naître aux gens ce qu'ils savent déjà d'une certaine façon. Pour cette
raison, l'argument ontologique de l'existence de Dieu était pour Harts¬
horne l'expression rationnelle la plus adéquate de la nécessité de l'exis¬
tence de Dieu. Pour lui, le problème n'était pas tant l'exactitude du
raisonnement mais la recherche d'une formulation de ce raisonnement
qui impose la reconnaissance de sa justesse.

La conviction qu'avait Hartshorne de la certitude de l'existence de


Dieu le rapprochait étroitement des premiers chefs de l'Ecole de Chi¬
cago, mais elle agissait d'une tout autre manière. Ces derniers avaient
été convaincus que dans le domaine religieux la foi devait être façon¬
née par les même méthodes d'investigation qui réussissaient si bien dans
les sciences naturelles et sociales. Ceci était impossible tant que subsis¬
tait un doute sur la réalité de la matière soumise à enquête. Puisque
Dieu fait partie de cette matière, le mot « Dieu » doit être défini de
manière à ôter la possibilité du doute quant à l'existence de ce que nous
appelons Dieu. Ils eurent un succès remarquable dans cette entreprise.
Il serait difficile par exemple de douter qu'il existe des forces productrices
de personnalité ou des événements d'inter-action entre personnes par
lesquelles la vie des individus est enrichie. Ceci signifie qu'il serait difficile
de douter que Dieu, au sens où l'entendent Mathews ou Wieman, existe.
12 REVUE D'HISTOIRE ET DE PHILOSOPHIE RELIGIEUSES

rent doit être reconnue comme nécessaire, cela ne va pas de soi


d'autres personnes. Même le raisonnement ontologique est un ra
nement, et même un raisonnement très subtil et complexe. Hartsh
dépense une activité intellectuelle considérable pour démontrer qu
réalité de Dieu est donnée dans et avec toute expérience et toute p
de l'homme. Et une grande partie de cette activité est d'un genre pa
tement étranger aux courants dominants de la philosophie contem
raine. En effet, tandis que l'Ecole de Chicago s'était opposée ré
ment à toute interprétation de la foi chrétienne exigeant la défen
positions philosophiques discutables, Hartshorne avait entrepris de
une position métaphysique, ce qui l'isolait des tendances domin
de la philosophie américaine. Ainsi une grande partie de ce qui
été contesté dans l'Ecole de Chicago comme des spéculations y
en force pour la première fois en la personne de Hartshorne.

Le fait que Hartshorne fut pris au sérieux malgré la distance q


séparait de la tradition de Chicago est un hommage à sa stature
sonnelle et à la qualité de son esprit. C'est aussi l'indication d'un n
état d'esprit à îa Faculté de Théologie. Il ne s'agissait pas tant d
formuler la foi d'une façon non problématique, mais de bâtir une
ture de foi vivable dans un contexte où tout, y compris la passio
la justice sociale, était reconnu comme posant problème. En outr
ne se souciait plus guère de guider les Eglises dans leur désarroi
première préoccupation pour une communauté de professeurs et d
diants en situation précaire était plutôt de se trouver une positio
défense. Dans une situation pareille, il s'agissait plus de persuader
lectuellement ces individus que de faire accepter la foi dans un c
plus large.

Très tôt dans sa carrière, Hartshorne fut convaincu qu'il y avait


que chose de fondamentalement pervers dans la théologie chrét
orthodoxe. En continuité avec la pensée grecque, les théologiens
tiens ont conçu Dieu comme parfait, ce que Hartshorne admettait
nement. Il voulait démontrer l'existence de la perfection. Mais en c
nuité également avec la pensée grecque, les théologiens ont conçu
perfection en termes d'absolu intemporel et immuable. Hartshorne cr
que cette conception de la perfection non seulement allait à l'enc
de tout le témoignage biblique, mais était aussi ruineuse du poin
vue philosophique. Aux yeux de Hartshorne, un absolu intempor
immuable ne peut se concevoir que comme une abstraction, donc l'e
fait par les théologiens pour en affirmer l'existence ou la réalité a
duit à des absurdités, qui ont à leur tour entraîné le rejet de l'idé
J.B. COBB IT., LA THÉOLOGIE DU PROCESSUS ET LA DOCTRINE DE DIEU

La conviction de Hartshorne que la Totalité est parfaite, et que

elle est Dieu,


réel une unité
était de
liéesensibilité
à son pan-psychisme.
et toute sensibilité
Selon est
lui,la tout
sensibi
in

d'autres sensibilités. Un de ses premiers livres s'appelait Beyond H


nism. C'est une vigoureuse attaque contre toutes les manières do
êtres humains se sont érigés en réalité ultime et complète. Pour r
cette attitude, il argue que les animaux aussi sont sensibles et
descendant l'échelle des organismes nous trouvons des sensibilit
plus en plus élémentaires, mais ne parvenons jamais à une créatur
ne ressent rien du tout. De même, lorsque nous remontons l'échelle
pouvons aller au-delà de nous-mêmes vers l'univers dans son ense
qui est aussi une unité de sensibilité incomparablement supérie
nous-mêmes. Des entités telles que les pierres, les plantes, qui ne
dent elles-mêmes pas de sensibilité, se composent de molécules
cellules qui en possèdent.

Les arguments en faveur de telles prétentions métaphysiques ne


vent bien sûr pas être empiriques. Ils sont rationnels, et d'un style
ger au reste de la tradition de Chicago. On fait appel à l'intuit
un moment donné, mais l'argument rationnel est que la doctrin
pan-psychisme peut fournir une théorie explicative globale et supér

La prétention est clairement énoncée dans Beyond Humanism e


borée dans le détail dans les livres suivants : « La règle universe
l'induction scientifique est qu'une hypothèse doit expliquer plus q
seule série de faits. La règle en philosophie est également de sys
tiser et de résoudre des problèmes en se référant constamment à
tres problèmes. Or la relation esprit-corps est un problème. La re
sujet-objet en est un autre. Il y a, troisièmement, le problème g
de l'ordre causal dans la nature. Traditionnellement, ces trois prob
ont trop souvent été traités séparément l'un de l'autre. En outre
a d'autres problèmes connexes : la nature du temps, la nature de
vidu, la façon pour un esprit de connaître un autre esprit. Ces six
blèmes relèvent d'une solution unique, qui a nom « la sympathie
nique », appelée ailleurs par Hartshorne « la sensibilité de la se
lité ».

De même que notre expérience humaine consciente ressent les


sations des cellules du cerveau et atteint à une unité dans sa prop
sensible, de même la Totalité qui est Dieu ressent nos sensations
l'unité de l'expérience parfaite. La sensibilité divine du monde
la fois connaissance parfaite et amour parfait. Ceci implique une
bilité parfaite, une mutabilité parfaite, une relativité parfaite. Ce
14 REVUE D'HISTOIRE ET DE PHILOSOPHIE RELIGIEUSES

avec toute chose. Mais cette essence immuable est abstraite, tandis qu
le Dieu concret est constamment enrichi par les sensations nouvell
provenant des événements contingents du monde.

Pour Hartshorne, cette manière de comprendre Dieu n'est pas se


lement source d'inspiration pour le culte et pour la dévotion, mais aus
la réponse à la question fondamentale de l'existence. Cette question surg
de notre expérience de la temporalité. La prise de conscience d'une v
leur à un moment donné demande, pour être sérieusement affirmée,
conviction qu'elle a une importance au-delà d'elle-même. Le fait qu'el
arrive, s'il était suivi d'un passage immédiat à l'oubli, n'aurait pas d
signification. Bien entendu, la mémoire humaine protège une partie d
ce qui arrive d'un oubli total, mais ceci n'est qu'une solution partiel
et fragmentaire du problème. Le moment viendra où la mémoire h
maine aura disparu du monde. Le cours entier de l'histoire de l'homm
sera comme rien — s'il n'y a d'autre mémoire qu'humaine, s'il n'y
rien d'autre à quoi nous contribuons que la mémoire humaine. Ma
si Dieu comme Totalité nous inclut dans la vie divine éternelle, si no
apportons littéralement tout ce que nous sommes à Dieu et marquon
à jamais l'expérience divine, alors tout ce qui se passe a une importan
ultime. La foi en Dieu est ainsi le fondement du sens de toute actio
et de toute expérience humaine. Autrement dit, pour emprunter la fo
mulation de Schubert Ogden, le fait que, quoi que nous pensions con
ciemment, nos actions témoignent de la conviction que ce que no
faisons a une importance, montre qu'au niveau de nos intuitions l
plus
Totalité.
profondes nous savons que nous sommes inclus à jamais dans

IV

J'ai consacré un certain temps à décrire les idées de trois tenan


majeurs de l'Ecole de Chicago pour démontrer pourquoi le terme « thé
logie du processus », même lorsqu'on ne parle que de cette Ecole, pe
avoir toute une gamme de significations. Il peut porter sur l'affirmatio
que le christianisme lui-même est un processus historique, sur l'opinio
que Dieu est le processus d'activité créatrice par lequel tout bien h
main prend naissance, ou sur l'idée que Dieu en tant que Totalité e
un processus d'unification de toutes les autres sensibilités qui compose
J.B. COBB jr., LA THÉOLOGIE DU PROCESSUS ET LA DOCTRINE DE DIEU 1

ou moins unifiée, la théologie du processus comporte en son sein u


dialogue et un débat animés.

Néanmoins, dans le large contexte de l'Amérique des années 40 et 5


les différences entre théologiens du processus paraissaient relativemen
mineures. L'influence de la théologie de l'Europe continentale, compri
surtout sous la forme que lui donna Emil Brunner, conduisit alors a
rejet généralisé du « libéralisme » et l'ensemble de l'Ecole de Chicag
fut ainsi classé. Les pierres de touche de la théologie acceptable devin
rent l'autorité de la Bible, le rejet de la théologie naturelle, la concen
tration sur le péché et la rédemption, l'unicité absolue de la révélatio
de Dieu en Jésus-Christ, la rencontre avec Dieu comme Personne trans
cendante, et l'absence de signification de l'histoire humaine en dehor
du sens qui lui est donné surnaturellement. A tous les représentants d
l'Ecole de Chicago ces thèmes ont semblé autoritaires, supra-naturaliste
exclusivistes et non crédibles. Ainsi, Chicago qui avait été sur le devan
de la scène dans la formation de la théologie américaine, devint u
ghetto dans un monde théologique façonné par les nouveaux mode
de pensée européens. Les diplômés de Chicago, qui avaient naguère jou
un rôle de premier plan dans l'enseignement et dans la vie de l'Eglise
commencèrent à avoir des difficultés pour obtenir l'ordination et leu
intégration dans les institutions ecclésiastiques. La tendance de Chicago
qui à l'origine avait joué un grand rôle dans l'implantation des organi
sations œcuméniques aux Etats-Unis, fut en grande partie privée de pa
role dans le mouvement œcuménique.

C'est pendant ces années d'isolement relatif pour Chicago que l'in
fluence de Whitehead s'accrut. J'ai déjà signalé que Wieman et Hart
horne véhiculèrent tous les deux cette influence, quoique sous des for
mes fort divergentes. Pour la plupart, la tendance était d'accepter le
éléments de la pensée de Whitehead compatibles avec l'une ou l'autr
de ces formes de théologie du processus. Mais il y eut aussi un effor
pour bénéficier de l'ensemble de sa pensée, et de plus en plus il arriv
que des étudiants fussent influencés par Whitehead d'une façon qui s'é
cartait des interprétations de leurs maîtres. Auparavant, ceux qui sui
vaient la ligne de pensée de Wieman se désignaient souvent comme de
néo-naturalistes, tandis que Hartshorne décrivait sa position comme u
théisme néo-classique ou un panenthéisme. Le mot processus {process
était fréquemment employé, mais le terme « théologie du processus
(process theology ) ne devint monnaie courante, en remplacement de
autres termes, qu'après que l'influence de Whitehead l'eût emporté.

Le résultat négatif du succès de Whitehead fut une tendance à un


scolastique whiteheadienne, à laquelle contribua mon propre livre A Chris
16 REVUE D'HISTOIRE ET DE PHILOSOPHIE RELIGIEUSES

nous tenons un des plus beaux fleurons de la philosophie occidenta


dont nous commençons à peine à comprendre l'utilité potentielle da
de nombreuses disciplines.

Il y a un aspect du passage de Wieman et Hartshorne à Whitehe


qui comporte une cassure avec l'ensemble de l'Ecole de Chicago jusqu
là. Jusqu'au ralliement à Whitehead, la tendance avait été d'insister s
le fait que la foi ne doit pas se baser sur une spéculation incertain
Dieu doit être compris de telle façon que son existence soit connue av
certitude. Les objections intellectuelles à la foi doivent être écartées af
que l'appel à la foi puisse être un appel à l'engagement et à la confian
en ce qui est prouvé digne d'engagement et de confiance. Une des pri
cipales objections à Hartshorne était le sentiment que l'existence de Di
devenait discutable lorsqu'on la comprenait à sa manière à lui, m
que ce fût ou non le cas, cela n'était certainement pas l'intention
Hartshorne. Pour lui, l'existence de Dieu est une vérité nécessaire q
doit être acceptée par quiconque comprend vraiment ce qui est affirm

Pour Whitehead, au contraire, un élément spéculatif parcourt tou


pensée. Les théories scientifiques sont spéculatives et à mesure que l'
construit une cosmologie basée sur de telles théories l'élément spéculat
devient de plus en plus apparent. L'affirmation de l'existence de Di
appartient à tout cet élément spéculatif. Il n'y a pas de preuve de Di
sur la base d'une expérience universelle et indiscutable. Et Dieu

s'identifie pas
immédiate. La avec
réalité
ce de
quiDieu
est directement
est affirmée connu
sur lapar
base
uned'une
expérien
visi

globale de la réalité dont la justification est le pouvoir qu'elle a d'éclair


toute expérience et de clarifier les découvertes de toutes les scienc
Une telle vision est elle-même en processus dans le sens qu'elle ne pe
pas être définitive, mais doit céder la place à son tour à de nouvea
aperçus et à des formulations améliorées. Les changements requis p
de nouvelles données et de nouveaux arguments ne peuvent pas êt
prévus à l'avance. Donc, nous ne pouvons que vivre maintenant à
lumière de la vision la plus convaincante que nous puissions atteind
maintenant, et non pas à la lumière d'une compréhension assurée d
vérités éternelles. La philosophie, comme la théologie, est une discipli
confessante et les limites entre les deux s'estompent.

Séparer la doctrine de Dieu chez Whitehead de sa cosmologie gl


bale produit une distorsion bien plus importante que ne serait le f
d'isoler cette doctrine chez Wieman ou Hartshorne. Quoique Dieu e
pris une importance considérable dans la vision de Whitehead, la p
grande partie de son énergie était consacrée à d'autres thèmes. A m
J.B. COBB JT., LA THÉOLOGIE DU PROCESSUS ET LA DOCTRINE DE DIEU

logie avec les sciences naturelles et sociales et par une autre compr
hension de la réalité. Je vais m'efforcer de présenter la doctrine de Die
d'après Whitehead dans les lignes qui suivent, mais je reconnais qu
y a un élément d'arbitraire dans les formulations que je choisis.

D'abord il convient de considérer la totalité de la réalité, l'expé


rience humaine comprise, comme un vaste champ d'événements. Chaqu
événement prend naissance dans son passé, c'est-à-dire, dans les term
de la théorie de relativité, dans tous les autres événements qui se s
tuent dans le cône de lumière défini par sa position dans le tem
et l'espace. Le nouvel événement ne pourrait pas être ce qu'il est s
n'avait pas exactement le passé qu'il a et il ne peut pas être quelqu
chose que son passé ne lui permet pas d'être. Ce qui se passe maint
nant est donc pour une grande part déterminé par ce qui est arri
jusqu'à maintenant.
Deuxièmement, considérons l'approche normale des sciences vis-à-v
de la compréhension du nouvel événement. La tâche de la science e
d'expliquer l'événement, et la tâche de l'expliquer est comprise en génér
comme étant de démontrer . comment les circonstances antérieures o
conduit nécessairement à ce qu'il soit ce qu'il est. C'est dire que l'en
treprise scientifique cherche à expliquer pourquoi l'événement a la form
qu'il a en décrivant le monde dans lequel il prend naissance. En ce q
concerne les travaux scientifiques, virtuellement tous les spécialistes d
sciences naturelles et sociales sont déterministes. Expliquer quelque cho
revient à démontrer pourquoi il devait être ce qu'il est.

Whitehead croit que non seulement la science adopte un déterminism


méthodologique, mais aussi que lorsque nous limitons notre vision à
champ d'événements, nous n'avons pas de fondement pour énoncer aut
chose. Ce que devient le nouvel événement doit provenir de quelqu
chose et, si tout ce qui est est le domaine des événements passés, il do
provenir de celui-ci. S'il provient exclusivement de lui, il doit être d
terminé par lui. Ou si nous rejetons le déterminisme, ce ne peut êt
qu'au nom de l'indéterminisme pur ou du hasard.

Il y a néanmoins des raisons de croire que notre propre expérienc


comme exemple décisif, n'est pas entièrement explicable en termes d
détermination par le passé et le hasard. Nous avons, semble-t-il, un
part de responsabilité pour ce que nous devenons. Et ceci n'est possib
que si nous nous déterminons nous-mêmes dans une certaine mesur
En outre, cette détermination ne peut pas être uniquement l'influen
d'une décision passée sur l'expérience présente ; car à ce moment-là no
présumerions encore que la décision passée était elle-même le résult
18 REVUE D'HISTOIRE ET DE PHILOSOPHIE RELIGIEUSES

Whitehead croit qu'il y a effectivement un élément d'autodéterminati


dans tout événement ou, comme il préfère le dire, dans toute occasio
d'expérience. Mais comment est-ce possible ? Une décision n'est possib
que parmi des choix pertinents, mais le passé ne fournit pas par lui-mêm
le choix. Le passé agit sur le présent, avec la force de la nécessité, comm
cause efficiente. S'il y a des choix pertinents, il doit y avoir une sphè
de possibilités qui peut se distinguer de la sphère de la réalité passé
Une occasion d'expérience doit recevoir comme un don non seuleme
la réalité du passé, mais aussi des possibilités autres d'autoconstitutio
Ces possibilités doivent être en rapport avec la situation réelle, m
doivent aussi la transcender. Elles peuvent inclure la possibilité d'êt
façonnées passivement par le passé, mais elles doivent aussi inclure
possibilité de n'être pas simplement le résultat de la causalité efficien
du passé.
sibilités d'une
En somme,
relative nouveauté.
les possibilités pertinentes comprennent des po

La présence effective de ces possibilités pertinentes nouvelles d'au


constitution ne détermine pas exactement de quelle façon une occasi
d'expérience se constituera. Elles fonctionnent d'une façon convaincan
comme « des pièges à sentiments ». Ce faisant, elles créent la liber
liberté qui est différente et du déterminisme et du hasard. Dans chaq
occasion d'expérience s'ouvre un espace pour la décision de cette occasi
sur elle-même. Naturellement on peut prédire bien des choses à prop
de cette occasion sur la base de la causalité efficiente du passé. Ma
dans les termes de Whitehead, quoique « ce qui peut être déterminé s
déterminé ... il y a toujours un reste pour la décision » de cette occasio
Ce reste est bien entendu plus vaste dans l'expérience humaine que da
d'autres types d'événements, mais aucun événement n'est entièrement d
terminé sans reste par son passé.

Whitehead croit que l'activité cosmique à travers laquelle la pote


tialité pertinente se réalise dans chaque occasion d'expérience a dr
au nom de Dieu. Voici Dieu, dans ce qu'il appelle la Nature Primordia
Dieu organe de la nouveauté et même, dans un certain sens, Créateur
chaque occasion, quoique Whitehead estime le mot Créateur chargé
sens qui faussent notre orientation vers le divin. Aucun événement n
lieu dans le monde sans que la présence de Dieu lui fournisse une po
sibilité, même insignifiante, de transcender son passé.

Ce que Wieman décrit comme le processus d'échange créateur q


fait naître un bien nouveau reçoit chez Whitehead ce fondement mé
physique plus profond. Qu'ils s'approprient ou non ce fondement p
profond, les tenants de la tradition de Wieman trouvaient que beauco
J.B. COBB jr., LA THÉOLOGIE DU PROCESSUS ET LA DOCTRINE DE DIEU 19

Etre, pour Whitehead comme pour Hartshorne, c'est ressentir, ou en


langage plus technique, saisir. Une occasion d'expérience saisit son monde
passé, c'est-à-dire fait entrer dans sa propre constitution des aspects de ce
monde passé. En général, c'est la force des événements passés qui dé¬
termine ce qui est ressenti et à quel degré : ce qui est saisie du point
de vue de l'événement nouveau est causalité du point de vue de l'évé¬
nement passé. D'ailleurs, dès que ce nouvel élément de sensibilité est
achevé, il s'intègre au monde passé et oblige les occasions futures à tenir
compte de lui. La nature de chaque entité est d'être en même temps un
sujet qui se constitue par la saisie des occasions passées et des possibilités
pertinentes et aussi un objet qui participe à la constitution d'événements
ultérieurs.

Nous avons vu que Dieu participe à la constitution de chaque événe¬


ment sous la forme de possibilités pertinentes ou pièges à sentiments.
Pour Whitehead, il y a une intuition religieuse profonde qui sent que
Dieu, comme toute autre réalité, est affecté par toute chose. C'est ainsi
que Whitehead concevait l'immanence de Dieu dans le monde et aussi
l'immanence du monde en Dieu. L'inclusion divine du monde ou la
saisie divine du monde — un monde différent, bien entendu, à chaque
instant — est décrit comme la Nature Conséquente de Dieu. Comme
Hartshorne, Whitehead est convaincu que faute d'un tel couronnement
final et pourtant durable du monde, le terrain sur lequel repose la signi¬
fication de l'action et des préoccupations humaines est sapé.
L'enseignement de Whitehead sur Dieu est d'une grande richesse pour
la pensée théologique. Comme chrétien, je trouve en moi un écho à la
compréhension de la présence miséricordieuse de Dieu dans ma vie qui
me donne la liberté et qui m'appelle à saisir de nouvelles possibilités
de sensibilité et d'action. Je trouve aussi un écho en moi à la conscience
du fait que, quelle que soit ma résistance à l'appel de Dieu et la perversion
avec laquelle j'abuse de ma liberté, Dieu me reviendra encore avec toutes
les possibilités convenant à ma situation. Je dois aussi reconnaître que
mon incapacité à répondre m'interdit à toujours certaines possibilités, et
que les blessures que j'inflige à autrui ne peuvent pas être défaites. Je
trouve en moi aussi un écho à la conscience que ce que je fais aux
autres, je en
contribue le fais
bien aussi
ou enà mal
Dieuà et
la vie
que éternelle
tout ce que
de Dieu.
je fais de moi-même

Whitehead était sensible à une objection qui pourrait être soulevée


ici. Qu'est-ce que cela signifierait que Dieu inclue à tout jamais toute
la souffrance et tout le péché de l'histoire humaine ? Cela signifierait-il
qu'il n'y a pas de rédemption même en Dieu ? La réponse de Whitehead
était de considérer de quelle façon il peut y avoir dans l'expérience hu¬
maine une sorte de rédemption des souffrances et des péchés passés.
Les conséquences de ma souffrance et de mon péché passés restent dans
mon expérience maintenant, mais il est possible qu'elles aient été à tel
20 REVUE D'HISTOIRE ET DE PHILOSOPHIE RELIGIEUSES

point transformées par ma croissance et ma repentance qu'elles enri


sent ma vie présente plutôt que de la dégrader. Whitehead estime
dans la vie divine, bien plus que dans la vie humaine, il y a un
demption qui n'élimine pas le mal, mais qui l'inclut dans un tout au
même le mal des hommes peut contribuer positivement, si peu qu
soit Dieu souffre avec nous, mais la souffrance ne détruit pas Dieu co
elle peut nous détruire.
De telles spéculations sur les deux natures de Dieu soulèvent au
de questions qu'elles fournissent de réponses. Et il y a eu beaucou
discussions parmi les théologiens du processus sur des probl
conceptuels que Whitehead, à notre vive déception, a négligés. J

connais pas
faisante à certaines
de solution
des difficultés.
complètement Je suis
cohérente
donc conscient
ou définitivement
de l'instab

de la théologie du processus. Mais il est bon qu'il en soit ainsi, à


avis, si cette théologie reste fidèle à la conception que Whitehead
du rôle de la pensée et au nom qu'elle porte. La théologie doit tou
être en processus.

La place faite au processus et le rejet du dualisme expriment


affinités entre la théologie du processus et la pensée bouddhiste.
affinités sont plus profondes encore et l'on a beaucoup écrit à ce
sur la relation entre la pensée du processus en général, et de White
en particulier, et le bouddhisme mâhâyana. Ce qui importe dans ce
maine, cependant, n'est pas qu'il existe des affinités. Ce qui est im
tant est la capacité de la conceptualité de Whitehead d'éclairer à la
le bouddhisme et le christianisme, en faisant ressortir leurs différ
et en démontrant qu'ils sont complémentaires.
Whitehead fait la distinction entre Dieu, source de liberté et de
veauté, et la créativité, matériau primitif ou cause matérielle de t
chose. Cette créativité n'est en rien une substance. Elle est, selon
pression de Whitehead, le grand nombre qui devient un et qui augm
d'une unité. Les bouddhistes identifient le processus ultime com
pratitya samutpada, expression traduite parfois par créativité. L'exp
sion est traduite plus souvent par création dépendante, mais sa
cription ressemble souvent de près à la façon dont Whitehead parl
grand nombre qui devient un. Le but des disciplines bouddhistes es
se rendre compte que l'on n'est qu'un cas de cette création dépenda

Whitehead n'envisageait pas la possibilité de ce but, quoique la


ceptualité de sa pensée en montre la validité. Héritier de la trad
biblique, il se préoccupait du Dieu de l'histoire, réalité à laquelle,
l'essentiel, le bouddhisme ne nous encourage pas à nous attacher.
J.B. COBB JT., LA THÉOLOGIE DU PROCESSUS ET LA DOCTRINE DE DIEU 21

Je soutiens que, en nous montrant les aspects complémentaires de

la réalité dont se préoccupent le bouddhisme et le christianisme et en

élaborant un système de pensée cohérent qui démontre la réalité des

deux aspects, la philosophie de Whitehead devrait rendre possible une

compréhension positive du bouddhisme par les chrétiens et du christia¬

nisme par les bouddhistes. A la longue, elle peut préparer la voie à

l'appropriation réciproque des intuitions et des réalisations des deux

communautés. Cette rencontre avec le bouddhisme et avec d'autres gran¬

des traditions orientales ainsi que la réévaluation de la tradition chré¬

tienne devant la crise de l'environnement, constituent deux des frontières

sur lesquelles la théologie du processus a été à l'œuvre dans les dix

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