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30 juin 2023
Mort de Nahel La France en voit de toutes les colères
Libération ... Les circonstances de la mort de l'adolescent, abattu mardi par un policier, ont fait 3
s'embraser spontanément les quartiers populaires. Retour sur des nuits de violences qui
ravivent le souvenir des ...

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news·20230630·LI·188751423
Mort de Nahel La France en voit de toutes les colères
Par JULIEN LECOT, LUDOVIC SÉRÉ, STÉPHANIE MAURICE (à Lille) et THÉO MOURABY (à Villeurbanne)
Les circonstances de la mort de l'adolescent, abattu mardi par un policier, ont fait s'embraser spontanément
les quartiers populaires. Retour sur des nuits de violences qui ravivent le souvenir des émeutes de 2005.
A
près deux nuits de révoltes
urbaines qui, depuis Nan-
terre, ont essaimé un peu
partout sur le territoire, la France s'est
réveillée groggy, jeudi matin, devant le
spectacle de voitures en flammes et de
bâtiments publics dévastés. «Des scènes
de violences [ ] injustifiables» contre
«les institutions et la République», a
condamné Emmanuel Macron. Grigny,
La Courneuve, Villeurbanne, Monsen-
Baroeul partout la colère fait entendre
ses éclats. L'après-midi, dans un Nan-
terre encore marqué
physiquement par les affrontements de
la nuit, des milliers de personnes ont
manifesté pour Nahel, demandant «jus-
tice» et accusant cette police qui «tue».
Quelques heures plus tard, l'agent mis
en cause dans la mort du jeune homme
de 17 ans, tué par balle mardi lors d'un
contrôle routier, a été mis en examen
pour homicide volontaire et placé en dé-
tention provisoire.
Cela suffira-t-il à contenir l'embrase-
ment ? Alors que le ministère de l'In-
térieur a annoncé multiplier ses effectifs
sur le terrain (lire ci-contre), les au-
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Vendredi 10 novembre 2023 à 12 h 31
Page
Nom de la source Vendredi 30 juin 2023 4
Libération
Libération Page 2
Type de source
Presse • Journaux • p. 2,3,4
Périodicité
• 1548 mots
Quotidien
Couverture géographique ÉVÉNEMENT
Nationale
Provenance
France
torités s'attendent, selon une note des
A Nanterre (Hauts-de-Seine), dans la nuit
renseignements citée par une source de mercredi à jeudi. PHOTO CHRISTOPHE
policière et relevée jeudi par l'AFP, à
ENA. AP
. Photo CYRIL ZANNETTACCI. VU
«une généralisation» des violences les
«prochaines nuits», avec «des actions
centaines dès la mi-journée. Certains
ciblées sur les forces de l'ordre et les
sont du coin, mais d'autres - militants,
symboles de l'Etat ou de la puissance
membres d'associations, simples
publique». A Clamart, où un tramway a
citoyens en colère, politiques discrets
été incendié la nuit précédente, un ar-
qui n'arboraient pas leur écharpe tricol-
rêté a instauré un «couvre-feu entre 21
ore - sont venus de plus loin, 6 200 par-
heures et 6 heures [jusqu'au] 3 juillet».
ticipants ont été comptabilisés. On dis-
Le préfet du Val-d'Oise, où la mairie de
tribue des tee-shirts blancs avec une in-
Garges-lès-Gonesse a aussi été in-
scription en lettres noires: «Justice pour
cendiée, a prononcé jusqu'au 4 juillet
Nahel» ou «Justice pour Naël», c'est
«l'interdiction du port et du transport des
selon.
artifices de divertissement et des articles
pyrotechniques [...], l'interdiction du «ON N'A RIEN» Nichée sur un camion
transport par des particuliers des com- qui ouvre la voie à cette marche blanche,
bustibles domestiques, dont le gaz in- une femme essaye d'organiser : «On va
flammable, et de produits pétroliers». leur montrer qu'on n'est pas des
Dans les rues d'une France sous le choc, sauvages. Parce qu'ils nous ont volé un
où le souvenir des émeutes de 2005 est frère, un fils, un voisin. On fait ça pour
loin d'être effacé, Libé est allé écouter Nahel.» La mère de l'adolescent se tient
les voix de cette colère. debout à l'avant du toit du camion, le
poing levé, le regard vers l'horizon et
Une jeune fille tient à bout de bras une
un sourire aux lèvres. Assa Traoré, la
pancarte, devant un grand supermarché
soeur d'Adama, tué par des gendarmes
à Nanterre: «Combien de Nahel n'ont
en 2016, prend la parole: «Quand on
pas été filmés ?» Aux abords du quartier
marche pour Nahel, on marche pour
Pablo-Picasso, dont l'adolescent était
tous les autres qui n'ont pas de
originaire, des personnes affluent par
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caméras.» Dans la manif, Sidi regarde
BFM sur son téléphone: «Je veux voir
ce qu'ils racontent, mais ils mentent. Ils
disent qu'il n'y a pas de journalistes au-
torisés dans le cortège, c'est faux!» Gail-
lard de 38 ans, Sidi pointe du doigt les
quelques caméras qui filment la marche.
Il reste pourtant vrai qu'après deux nuits
d'affrontements et de chroniques en in-
stantané
des tensions dans la cité, les journalistes
ne sont pas toujours bien vus par les
résidents du quartier Pablo-Picasso.
Dans cette manif, on les tolère. «Vous
venez quand ça crame, mais c'est quoti-
dien les violences policières, toute l'an-
née», râle un quinqua. Pour lui, les af-
frontements sont la seule solution :
«Vous connaissez d'autres moyens pour
que les jeunes s'expriment ? Ils brûlent
tout et ça se comprend. A Nanterre, on
n'a rien. Tout autour, les villes sont rich-
es. Nous, on est comme le village
d'Astérix, au milieu des Romains.» Yas-
sine, 22 ans, dit «comprendre, évidem-
ment» la colère et les débordements. Il
critique les élus qui appellent au calme.
«Marre de ce discours paternaliste. Ce
n'est pas le temps de l'apaisement mais
de la justice.» En queue de cortège, une
femme au sticker CGT essaie de parler
de la situation précaire des hôpitaux à
un jeune. «C'est pas mon problème ça
madame, je ne suis pas Macron! On est
là pour Nahel nous !» La tension monte
légèrement. «Vous n'êtes jamais là de
toute façon !» Cette cassure, un autre
homme l'évoquait plus tôt. «Nous les
gens de banlieue, on nous reproche de
ne pas être présents dans les manifes-
tations. Pendant les gilets jaunes, on ne
nous a pas vus, ok. Mais ça fait quarante
ans qu'on est gilets jaunes dans nos
quartiers. On n'a aucune leçon à prendre.
De personne.» A Villeurbanne, les habi-
tants inspectent les dégâts le long de
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l'immeuble du 5, boule- Suite page 4
Suite de la page 3 vard Hon-
oré-de-Balzac. La partie supérieure du
bâtiment de sept étages a été noircie par
les flammes. Le feu semble s'être
propagé dans des appartements dont les
balcons sont en partie détruits. «Il ne
faut pas non plus s'en prendre aux habi-
tations. Il y a des femmes, des enfants
qui vivent ici», regrette Bizon D., un
habitant du quartier. Le jeune homme
de 23 ans partage néanmoins la colère
des quartiers populaires depuis la mort
de Nahel : «Si je n'avais pas ma petite
famille, je serais en première ligne dans
la rue», assure-t-il.
A Mons-en-Baroeul (Nord), beaucoup
se montrent prudents: «Je préfère garder
ma parole pour moi», dit un jeune
homme, avant de tourner les talons. Par-
fois, un mot sort, c'est plus fort qu'eux,
«injustice», puis là, encore, tout le
monde se tait: «Ce n'est pas nous, donc
on n'a pas d'avis.» Pas question de se
mouiller alors que les policiers en civil
sont partout, patrouillent dans les rues.
«On ne parle pas aux journalistes, lâche
un petit groupe vindicatif. Allez, demi-
tour !» Il faut s'éloigner, jusqu'à un
abribus tranquille. Maria (1), 19 ans, est
auxiliaire de petite enfance, et comprend
la colère: «Le gendarme n'avait pas à
donner une balle à l'enfant. Il était arabe.
Le jeune à côté de lui était noir. Il a vu
son ami blessé, la voiture a fini contre
un poteau, et on le brutalise après tous
ces chocs. Pour moi, tout cela, c'est du
racisme», explique-telle posément.
«DU RACISME PUR»
Une dame d'une cinquantaine d'années
écoute avec attention. Elle travaille à la
préfecture du Nord, un hasard. La jeune
fille l'interpelle: «Qu'en pensez-vous?»
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La femme essaye de défendre le policier
: «Il y a de plus en plus de délinquance.»
Maria l'interrompt : «Un défaut de per-
mis de conduire ne vaut pas la mort. On
pouvait relever la plaque d'immatricula-
tion. Ce policier ne connaît pas son tra-
vail.» Sa conviction calme impressionne
la fonctionnaire, qui, en montant dans
le bus, glisse: «Elle est bien, cette jeune
fille.» Plus loin, à Hem, dans le quartier
HLM du Docteur Schweitzer, où des
abribus et des voitures ont été incendiés
la nuit d'avant, l'ambiance est plus pais-
ible en ce milieu d'après-midi. Sous les
arbres, un groupe d'habitants est rassem-
blé, des jeunes gens et des plus âgés.
Khalid regrette la forme qu'a prise la
révolte, mais il n'est pas surpris : «On
est des oubliés, pose-t-il. Ils ne donnent
pas la vraie histoire à la télé. La vraie
histoire, c'est qu'on a largement le po-
tentiel de s'intégrer, mais qu'ils ne veu-
lent pas qu'on s'intègre.» Une mère de
famille intervient, toute colère dehors :
«La vérité, c'est qu'on bute des Arabes,
des noirs. Pourtant, nous avons construit
la France.» Ils racontent en vrac les vex-
ations, ces policiers qui se moquent des
hommes qui portent la djellaba pour
aller à la mosquée, en leur demandant
si c'est un déguisement pour Halloween.
«C'est du racisme pur», estime Khalid.
Il prend un temps de réflexion : «Imag-
inez qu'il n'y ait pas eu la vidéo de la
mort de Nahel, on aurait encore eu un
mensonge d'Etat que tout le monde au-
rait cru.» Retour à Nanterre, cité Pablo-
Picasso, jonché de carcasses de voitures
encore chaudes. Clope sur l'oreille et
café à la main, Mickaël n'a pas reconnu
le quartier ce matin. «Ça ressemblait à
une guérilla.» La révolte des jeunes du
coin pourtant, il dit la comprendre : «Tu
tues quelqu'un gratuitement, forcément
que les gens se rebellent. Ça aurait pu
être n'importe lequel d'entre nous. Dis-
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cuter avec l'Etat ne sert à rien.» Plus

loin, des journalistes de chaînes de
télévision enchaînent des directs. Deux
ados les regardent. A 14 ans, ils jurent
qu'ils n'ont pas participé aux émeutes
des deux derniers jours. «Mais ce soir,
on va y aller.» Pourquoi? Bonnet sur
la tête, banane en bandoulière, l'un des
deux pose: «Parce que depuis 2005, rien
n'a changé. Les plus grands nous racon-
tent, on lit des choses. Il y a eu Théo,
Adama, Zyed et Bouna, maintenant Na-
hel. Depuis des années, il y a des
bavures policières et on se fout de notre
gueule. Pour que les choses avancent, il
faut se révolter, tout saccager, faire un
maximum de bruit.» ?

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