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Du Côté de l’

BULLETIN DE L’ASSOCIATION DES ANCIENS DE L’ONERA

HORS
SERIE Avant-
Avant-propos
Avril 2007
A mes moments perdus, je musarde volontiers sur Inter-
1945 : La chasse net et certain jour, je suis tombée, par hasard, sur le site de
l’Université de Cergy-Pontoise où j’ai découvert un article
aux savants allemands traitant de la chasse aux savants allemands à l’issue de la
dernière guerre. J’ai tout de suite été intéressée par ce sujet
SOMMAIRE et l’ai récupéré.
1 ARTICLE DE l’UNIVERSITE DE CERGY-
PONTOISE Quelque temps auparavant, un de nos adhérents, Jean
Allemagne 1945 : Les Français et la Chazal, nous avait fait parvenir un article, trouvé dans
chasse aux savants allemands. Sciences et Avenir, traitant du même sujet, mais d’avantage
2 ARTICLE DE SCIENCE et VIE ciblé, me semble-t-il, sur l’acquis, pour la France, de la récu-
Histoire secrète d’une collaboration. pération de ces savants allemands.
3 ARTICLE dans LES NOUVELLES DE
l’ONERA En réunion de Conseil de l’AAO nous avons pensé qu’il
La Grande Soufflerie de Modane y avait un certain intérêt à prendre connaissance de ces
4 INGENIEURS ALLEMANDS en poste à écrits en y ajoutant, cependant, puisque la Grande soufflerie
l’Onera le 1er novembre 1948 de Modane était plusieurs fois citée, des éléments Onera.
Or, j’ai retrouvé un texte que Marcel PIERRE avait écrit dans
Auteurs : les Nouvelles de l’Onera de juin 1966 éditées pour le vingtiè-
François Pernot me anniversaire de l’Office.
Caroline Hubert
Serge Brosselin D’autre part, vous trouverez à la fin de ce bulletin une
Marcel Pierre liste, aimablement transmise par Maurice Daniel, un autre
de nos adhérents, des ingénieurs allemands en poste à l’O-
nera au 1er novembre 1948. Je fais le vœu que cette lecture
AAO vous rappelle des souvenirs agréables de cette période
Association des Anciens de sans doute difficile mais certainement exaltante de votre
L’ONERA BP 72 92322 carrière Onera … et vous donne l’envie de rédiger quelques
CHATILLON
lignes de ce vécu pour en faire profiter vos anciens camara-
CEDEX
Tél: 01 46 73 37 78
des.
Mél: aao@onera.fr

Marcelle Poisson

1
Site Internet de l'université de Cergy-Pontoise
Synthèse du 3 février 2005
Référence: http://www.u-cergy.fr/article5317.html- Version du 27/0412005
ALLEMAGNE 1945 :
Les Français et la chasse aux savants allemands

par François Pernot, maitre de conféren- Les Soviétiques et les Américains se lan-
ces en histoire moderne, vice-président cent dans la “chasse aux savants” alle-
du Conseil des études et de la vie univer- mands
sitaire, directeur du département d'histoire
2 l'unlverslté.
de Étant donné la nature essentiellement
“aérienne” de ces armes secrètes, ce sont
surtout des savants travaillant dans les do-
Cette conférence est une synthèse de travaux maines de l'aéronautique, de l'espace et de
effectués à partir de 1995 sur la récupération l'atome qui intéressent les Alliés. C'est pour-
par les Français de scientifiques allemands et quoi, alors que les armées américaines vien-
de technologies développées par ces scienti- nent à peine de franchir le Rhin, la première
fiques allemands pendant la guerre. Une par- structure de récupération de matériels et de
tie de ces travaux a été publiée pour la pre- savants allemands à se mettre en place est
mière fois dans la Revue Historique des Ar- une unité américaine chargée du désarme-
mées en 1995. Les recherches ont été pour- ment aérien de l'Allemagne, l'Air Disarme-
suivies et elles ont aussi ouvert la voie à d'au- ment Division (ADD). Trois missions principa-
tres travaux universitaires plus récents menés les : priver l'aviation allemande de ses armes,
par d'autres chercheurs, notamment une thè- de ses avions et de ses équipements, élimi-
se de doctorat soutenue en 2004 par Olivier ner définitivement le potentiel aérien alle-
Huwart. mand, envoyer un maximum de matériel aux
Etats-Unis et “capturer” tous les savants, des-
1945-2005 ; c'était il y a 60 ans. A l'heure où sinateurs, ingénieurs et industriels qu'elle ren-
l'on se souvient avec émotion de la libération contre. C'est ainsi que les Américains récupè-
des camps de concentration et d'extermina- rent non seulement du matériel aérien, mais
tion nazis, nous avons souhaité placer cette aussi des ingénieurs et des techniciens aéro-
conférence sous le signe du souvenir, en par- nautiques tels que le docteur Lippisch (le
ticulier de celui des déportés du camp de Do- créateur de l'avion-fusée Me 163), des spé-
ra-Nordhausen où près de 20 000 hommes - cialistes des parachutes, des spécialistes des
parmi lesquels quelque 5 000 Français - ont revêtements céramiques résistant aux très
péri victimes de la barbarie nazie en travail- hautes températures (tuiles de la navette spa-
lant et en mourant à la construction des ar- tiale), des experts en avions supersoniques,
mes secrètes allemandes, notamment de la et surtout des fusées V2 et leurs concepteurs,
fusée V2. parmi lesquels Werner von Braun, ancien di-
recteur technique du centre d'essai de Peene-
münde qui sera l'un des principaux concep-
teurs de la fusée Saturn V, un engin célèbre
En 1944, les Alliés constatent avec une gran- pour avoir emmené les astronautes améri-
de inquiétude que les Allemands ont réussi à cains vers la Lune en 1969. L'exemple de la
mettre au point des armes secrètes révolu- conquête de l'Espace est l'un de ceux qui per-
tionnaires, les Wunderwaffen ou “armes mi- met le mieux de mesurer l'héritage scientifi-
racles”, parmi lesquelles les fusées V1 et V2, que allemand, mais celui-ci ne se limite pas
et qu'ils ont acquis une grande avance en uniquement aux domaines des fusées. Dans
matière de technologie militaire, que ce soit la plupart des domaines de l'armement, les
dans le secteur des armements terrestres, réalisations allemandes inspirent la concep-
navals et aériens ou dans le domaine spatial. tion de nouveaux engins soit du côté occiden-
C'est pourquoi, en 1944, il s'agit non seule- tal, soit du côté soviétique. Ainsi, les Alle-
ment pour les Américains, les Soviétiques et mands ont été des pionniers dans le domaine
les Britanniques, mais aussi, par la suite pour des voilures en flèche, comme celles du Me
les Français, d'envahir le plus vite possible le 262 et c'est en assimilant les expériences
territoire allemand de manière à limiter l'utili- allemandes dans ce domaine des ailes en
sation de ces armes, à récupérer ce matériel flèche que les Américains produisent dès les
militaire top secret ainsi que les savants qui lendemains de la guerre des avions très réus-
l'ont élaboré. sis comme le F-86 Sabre.
2
Dans les premiers moments de l'occupation viétiques. Il envoie donc le colonel Pash de la
de l'Allemagne, l'entreprise de récupération mission Alsos ratisser cette région avant les
se fait sans cadre précis : chaque armée, Français (la mission Alsos est une mission
chaque unité de désarmement s'empare de américaine qui, depuis le début de l'année
ce qu'elle trouve. Et si, à la conférence de 1945, sillonne la France, l'Allemagne et les
Postdam, qui se tient du 17 juillet au 2 août Pays-Bas pour collecter tout ce qu'elle peut
1945, des accords sont signés entre le prési- trouver en matière de matériel lié à la fabrica-
dent américain Truman, le Premier ministre tion de la bombe atomique, que ce soit du
britannique Attlee et Joseph Staline, pour que minerai d'uranium, des documents ou encore
des échanges d'informations, de matériels et les chercheurs eux-mêmes). Le 24 avril 1945,
même de scientifiques allemands intervien- le colonel Pash brûle donc la politesse aux
nent entre les Alliés, force est de constater Français en entrant le premier dans la ville de
que, rapidement, chacun s'interroge pour sa- Hechingen, à une soixantaine de kilomètres
voir si un tel partage se justifie. Bref, dès de Stuttgart, et y rafle plusieurs savants ato-
1945, des tensions apparaissent entre les mistes allemands sans que les troupes fran-
vainqueurs et le partage des recherches alle- çaises arrivées peu après ne se doutent de
mandes devient un enjeu politique de la plus rien. Ce n'est que quinze jours après le départ
haute importance. Ce sont finalement les mili- des Américains, qu'une délégation française
taires qui tranchent pour le non-partage : il est conduite par le savant Joliot-Curie se rend à
ainsi hors de question pour les Américains de son tour à Hechingen et découvre, furieuse,
faire profiter qui que ce soit de leurs prises, ni que les services d'Alsos sont déjà passés
les Britanniques, qui pourtant avaient large- avant elle...
ment partagé avec les Américains leurs infor-
mations pendant la guerre, et surtout pas les Morale historique et considérations politi-
Soviétiques. Du côté soviétique, la question
ques
ne se pose même pas. Et, lorsque après la
signature des accords de Postdam, les militai-
res américains apprennent que le camp de La récupération des savants allemands ayant
Dora, près de Nordhausen, où sont fabriqués participé à plusieurs programmes d'armes
dans des usines souterraines des fusées V2, secrètes, notamment le programme V2 qui
des bombes volantes V1 et des composants ouvre la voie aux programmes spatiaux amé-
d'avion à réaction, se trouve dans la zone ricains et soviétiques, soulève une grave
rétrocédée aux Soviétiques, ils expédient en question. L'Histoire a en effet souvent omis
toute hâte des pièces détachées, composant de rappeler que de nombreux progrès scienti-
entre 75 et 100 V2 ainsi que toute la docu- fiques et des avancées technologiques de
mentation disponible à Anvers via Bruxelles l'après-guerre trouvent leurs origines dans
pour l'embarquer sur 14 “Liberty Ship”. Ce l'univers concentrationnaire nazi, où des mil-
que l'on sait moins c'est que ce matériel inté- liers de déportés ont été contraints de travail-
resse aussi les Britanniques et que, furieux ler dans des conditions inhumaines à Dora et
du procédé américain, les Britanniques inter- ailleurs, soumis à la brutalité des SS. Et,
ceptent le convoi en pleine mer pour se faire qu'ils se soient trouvés à Peenemünde, à Do-
remettre la moitié du chargement. L'affaire est ra ou dans bien d'autres camps, ingénieurs et
grave, les négociations diplomatiques âpres techniciens ne pouvaient pas ignorer les trai-
entre les deux alliés, finalement les Britanni- tements que les SS faisaient subir aux dépor-
ques doivent céder, mais l'affaire n'en est pas tés. En 1995, dans un entretien accordé au
moins révélatrice d'un climat particulier de magazine L'Histoire pour un dossier consacré
très fortes tensions. Les Américains prati- à Auschwitz et au système concentrationnaire
quent avec les Français la même politique nazi, Jean Mialet [1], un ancien déporté à Bu-
qu'avec leurs alliés britanniques et peut-être chenwald et à Dora, dressait un terrible cons-
avec moins de vergogne encore... Ainsi, au tat à propos du camp de Dora-Nordhausen et
début de l’année 1945, le général américain de ses tunnels de la mort dans lesquels 20
Groves, responsable du projet Manhattan, est 000 déportés, dont quelque 5 000 Français,
furieux en apprenant que la zone de Fribourg, sont morts en fabriquant les V2 allemandes. Il
Stuttgart et Friedrichsafen doit passer sous écrit : “ Lorsque les Américains sont arrivés à
contrôle français. Il sait en effet que, dans Dora, le 11 avril 1945, ils n'y ont trouvé
cette zone, se trouvent les villes de Hechin- qu'une centaine de malades, les déportés
gen et Haigerloch, où des reconnaissances considérés comme valides ayant été disper-
aériennes ont repéré des signes d'activités sés sur les routes par les Allemands. (...) Do-
bizarres. Par ailleurs, Groves est convaincu ra se trouvant, aux termes des accords de
que tous les savants français sont communis- Yalta, dans la sphère d'influence soviétique,
tes ou à la solde des communistes, à com- les Américains se sont retirés sans faire de
mencer par Frédéric Joliot-Curie, et que leur cas de ce qu'ils avaient pu voir, mais non
premier réflexe en découvrant les secrets ato- sans avoir récupéré, ce qui violait les dits ac-
miques allemands sera de les livrer aux So- cords, une centaine de V2 et nombre de do-
3
cuments. Les Soviétiques, quant à eux, ont beaucoup plus tard que leurs alliés et que ce
utilisé l'usine pendant deux ans et demi. Puis recrutement de savants allemands par les
ils ont évacué matériel et ingénieurs en URSS Français n'est pleinement efficace qu'en 1947,
avant de faire sauter l'entrée des tunnels. Eux c'est-à-dire à une époque où les Américains,
aussi se sont gardés de parler de Dora. Et les Soviétiques et les Britanniques ont déjà
pourtant, il faut savoir que leur Spoutnik est né mis la main sur de nombreux ingénieurs et
là-bas, la fusée qui l'a lancé ayant été créée à techniciens allemands; d'autre part, les Fran-
partir de moteurs-fusées quasiment identiques çais se préoccupent davantage - du moins en
à ceux de la V2, qu'ils avaient récupérés à Do- 1945 - de la récupération de matériel civil et
ra. Cette conspiration du silence est surtout de matériel militaire d'usage courant que de
due au fait qu'il ne fallait pas toucher à la res- celle d'armes secrètes [4]. Nous n'évoquerons
pectabilité de Werner von Braun. Celui-ci, qui pas ici les matériels militaires allemands récu-
avait été l'homme essentiel de la conquête de pérés par les Français et transférés en France
l'espace par les Etats-Unis, celle de la lune en pour équiper les armées françaises : avions,
particulier, avait été, à Peenemünde et à Dora, camions, canons, blindés, moteurs, instru-
le directeur technique du programme de cons- ments de vol, équipements aéronautiques di-
truction des V2. Ce puissant personnage, venu vers, équipements radio, parachutes, pièces
à plusieurs reprises dans l'usine souterraine, détachées, navires de surface, sous-marins,
avait vu les monstrueux traitements qui y etc. Signalons seulement qu'en 1945, près de
étaient infligés aux déportés. N’en était-il pas 20 000 tonnes de matériels pour le secteur
responsable ?” [2]. S'il cherche à répondre à
militaire et plus de 25 000 tonnes de matériels
cette question, l'historien qui interroge les ar-
pour le secteur civil sont expédiées en France
chives désormais ouvertes, qui recueille des
témoignages et cherche modestement à décri- par le service récupération; qu'entre le 1er
re des enchaînements de faits et d'événe- janvier 1946 et le 1er décembre 1948, le servi-
ments, constate que cet ancien déporté ne se ce de récupération expédie en France près de
trompe pas : il est évident qu'à partir de 1945, 28 000 wagons, l'équivalent de 560 trains
les services scientifiques militaires américains lourds, et que, en 1948, 72 000 tonnes pour le
et soviétiques préfèrent fermer les yeux sur le secteur civil et 25 000 tonnes pour le secteur
passé parfois chargé de quelques-uns de leurs militaire sont expédiées en France. Dans la
nouveaux collaborateurs : du côté soviétique, chasse aux savants allemands menée par les
la Guerre froide commence et l'Amérique de- Français, on peut distinguer trois périodes : de
vient l'ennemi ; du côté américain, la guerre l'entrée des troupes françaises en Allemagne
continue dans le Pacifique et l'Union soviétique jusqu'à la mise en place de l'administration
apparaît déjà comme un ennemi potentiel. Des française, il s'agit de récupérer, comme butin
savants comme von Braun et bien d'autres de- de guerre, tous les matériels, documents et
viennent alors des cartes maîtresses pour tenir renseignements scientifiques et techniques.
l'autre en respect. Cependant, comme le prési- Dans une deuxième période s'étendant de
dent Truman a pris des mesures législatives en septembre 1945 à 1947, il s'agit d'assurer la
vue d'interdire à tout criminel de guerre nazi sécurité française en empêchant la reconstitu-
l'entrée sur le sol des États-Unis, le transfert de tion du potentiel de guerre allemand et, dans
ces Allemands se fait dans la plus grande dis- ce but, de limiter le développement de la puis-
crétion et l'OSS [3], puis la CIA n'hésitent pas à sance industrielle allemande en détruisant,
camoufler le passé de certains d'entre eux dispersant ou transférant en France les éta-
dans le cadre d'un programme de recrutement blissements de recherche les plus dangereux
baptisé “Paperclip”. En 1945-1948, les considé- pour la sécurité nationale, en attirant en Fran-
rations morales s'effacent donc parfois devant ce les savants et techniciens, même si leur
les considérations politiques. établissement n'est pas transféré, en séparant
les établissements de recherche des entrepri-
Et les Français ? ses industrielles dans le but de diminuer le
potentiel de recherche de ces dernières, et en
Du côté français, la “chasse aux savants alle- exerçant un contrôle rigoureux sur toutes les
mands” a toujours été enveloppée d'un voile de recherches. Car les Français procèdent aussi
mystères qui en fait l'un des thèmes à la mode au démontage de laboratoires. C'est ainsi que
des romans et des films d'espionnage du début les installations de la station d'étalonnage des
de la Guerre froide. Pourtant, lorsque l'on étudie tuyères de fusées V2 d'Ober-Raderach, près
la manière dont les Français se sont lancés du lac de Constance, sont démontées avec
dans cette “chasse aux savants allemands”, soin par la mission DEFA entre février 1947 et
force est de reconnaitre que la principale carac- février 1948 puis elles sont transférées au
téristique de cette «chasse aux savants” est LRBA (Laboratoire de Recherches Balistiques
d'être beaucoup plus empirique que romanes- et Aérodynamiques) de Vernon où elles sont
que. D'une part, ceci s'explique par le fait que utilisées dans le cadre des premières recher-
les Français commencent leur “recrutement” ches françaises en matière de moteurs de
4
fusées. Le même démontage d'usines ou de che. Dans cette perspective, le général de
laboratoires stratégiques s'effectue dans le Gaulle crée, le 18 novembre 1944, la Mission
secteur naval. En 1947, on démonte et l'on Militaire aux Affaires Allemandes (MMAA), et
expédie en France le laboratoire d'acoustique en confie le commandement au Général
sous-marine de la Kriegsmarine de Kress- Koeltz. Le rôle de la MMAA est de faciliter la
bronn, sur les bords du lac de Constance, le progression et l'installation des armées fran-
laboratoire d'essais de turbines de la Kriegs- çaises en Allemagne et d'assurer une étroite
marine de Frankental, le laboratoire de la coopération avec les Alliés. La MMAA com-
Reichspost-télévision d'Aach-Hegau, le labo- porte de très nombreux services : un service
ratoire Bachem de mesures de haute fré- est chargé de la récupération des oeuvres
quence et le laboratoire Askania d'études sur d'art volées en France par les Allemands ; un
les bombes, les torpilles et les V1 installés autre service de la MMAA se charge des per-
tous deux à Constance, le laboratoire Gerci- sonnes de nationalité française présentes sur
tewerk d'études sur les torpilles d'Immens- le sol allemand (déportés, travailleurs du
taad; le laboratoire KSB d'essai de turbopom- STO, prisonniers de guerre notamment). Ce-
pes de V2 de Frankental, etc. Enfin, dans pendant, à la fin de 1944, il n'est pas encore
une troisième période, à partir de 1948, il question pour les Français de s'emparer du
s'agit essentiellement de contrôler la recher- potentiel technologique allemand, comme s'y
che allemande, ce dont sont chargées la préparent les autres Alliés, pis, les Améri-
Direction générale du contrôle du désarme- cains ne veulent pas reconnaître à la France,
battue en 1940, le statut de grande puissance
ment et la Commission supérieure du contrô-
et de vainqueur. Pour eux, les unités françai-
le de la recherche scientifique.
ses doivent camper sur la frontière du Rhin et
assurer ainsi les arrières des armées améri-
Les Français sont donc très en retard sur caines. C'est pourquoi, il est à ce moment
les autres Alliés puisqu'ils sont largement hors de question pour les Américains que les
tributaires du bon vouloir et des informations Français participent à l'entreprise de désar-
de leurs homologues américains et surtout mement et de récupération de matériels stra-
britanniques qui d'ailleurs ne se gênent guè- tégiques en Allemagne. Cependant, la réalité
re pour les prendre de vitesse, nous l'avons est bien différente puisque les armées fran-
vu. Toutefois, à la fin de 1944, on constate çaises sont très tôt engagées au combat sur
que les Français commencent à accumuler le sol allemand. La MMAA est donc ainsi plus
de plus en plus de renseignements sérieux, ou moins tolérée par les Américains, mais en
précis et originaux, notamment sur les en- février 1945, ceux-ci n'admettent pas encore
gins V2. Pourtant, fin 1944, bien peu de per- que des missions françaises de recherche et
sonnes en France ont entendu parler de la de récupération de matériels ou de person-
fusée V2. Le scientifique français alors le nels scientifiques allemands travaillent sur le
mieux informé est sans doute le professeur sol allemand. Pour tourner les interdictions
Henri Moureu, directeur du Laboratoire mu- américaines, les Français utilisent une mé-
nicipal de la ville de Paris, qui, le matin du 8 thode indirecte et font appel à la DGER
septembre 1944, identifie la nature de l'ex- (Direction Générale des Études et Recher-
plosion qui a dévasté Charentonneau, un ches). Cette direction est en réalité rattachée
quartier de Maisons-Alfort, au sud-est de à la MMAA et sa mission est le renseigne-
Paris, comme étant occasionné par une fu- ment tactique, c'est-à-dire utilisable directe-
sée allemande V2. A Charentonneau, cette ment par les unités combattantes, les person-
fusée a tué et blessé une vingtaine de per- nels de la DGER faisant partie des unités de
sonnes et, au total, ce sont 21 V2, qui reconnaissance précédant l'avancée des
s'abattent, au cours du mois d'octobre 1944, troupes alliées. Le recours à la DGER permet
sur la région parisienne [5]. Henri Moureu donc de tromper la vigilance américaine en
prend alors conscience du fait que si la élargissant discrètement son champ d'activi-
France disposait d'une arme comme la V2, tés et en doublant sa mission habituelle de la
elle y gagnerait une quasi-complète autono- traque des criminels de guerre nazis et de la
mie politique et militaire vis-à-vis de ses collecte de tout renseignement scientifique et
grands alliés. Dans les années suivantes, technique.
c'est Henri Moureu qui, au titre de conseiller
scientifique de l'état-major de l'armée et di-
recteur du CEPA [6], incite les responsables Cependant, comme la MMAA relève plutôt de
de l'armée et du gouvemement à récupérer l'armée de Terre, l'armée de l'Air reconsti-
le plus possible de matériel, de technologie tuée, dans une volonté d'indépendance, se
et de scientifiques en Allemagne, relayé en dote elle aussi d'une structure de collecte de
cela par l'ingénieur en chef Lafargue, chef renseignements liés aux armes secrètes alle-
du service technique de la DEFA [7]. mandes et surtout aux savants allemands qui
A la même époque, à l’automne 1944, il ap- les ont conçues. En effet, dès les lendemains
paraît que l'invasion du sol allemand est pro- de la libération de Paris, l'Etat-Major Général
5
de l'Air (EMGA), dirigé par le général d'avia- près de Stuttgart, les hommes du groupe de
tion Martial Valin, confie au capitaine Albert chasse 1/7 “Provence” de l'armée de l'Air
Mirlesse, chef du 2ème bureau de l'EMGA (et s'emparent de quelques Me 262 endomma-
également l'un des pères fondateurs de l'es- gés ou incomplets. Transporté à Châtillon-
cadrille Normandie-Niemen) le commande- sous-Bagneux, l'un d'entre eux sera remis en
ment de la MIST (Mission d'Information état de vol par la SNCASO, grâce aux lots de
Scientifique et Technique) qui a pour tâche pièces détachées également saisies. Cet ap-
de se saisir non seulement de la documenta- pareil deviendra ainsi le n°1 du lot français et
tion et éventuellement de matériels, mais sera évalué par le Centre d'Essai en vol de
aussi de scientifiques et spécialistes alle- Brétigny-sur-Orge.
mands. En matière de renseignement et de
récupération, l'activité de la MIST est exem-
plaire. Suivant, et parfois devançant les trou- A partir d'avril 1945, les Français intensifient
pes de la 1ère Armée française, le capitaine la collecte de renseignements et le recrute-
Mirlesse atteint et traverse rapidement la Fo- ment de savants allemands. Outre la MMAA,
rêt Noire. A Wildbad, il capture le professeur la DGER et la MIST déjà évoquées, de très
Berthold, spécialiste d'aérodynamique. Ce nombreux autres services français travaillent
dernier lui livre des documents cachés dans alors en Allemagne, de manière plus ou
une forêt et une vingtaine de caisses sont moins coordonnée: nous ne citerons ici que
acheminées au ministère de l'Air à Paris. Ces la DEFA, dépendant du ministère de l'Arme-
documents sont une mine d'or: il y a là des ment, qui envoie le professeur Henri Moureu
rapports d'essais en soufflerie, en vol, des mener une mission en Allemagne dans le but
études sur les ailes en flèche. La traduction de visiter les sites liés à la fusée V2 et de
des quelque 2 500 documents est alors aus- récupérer documentation et matériels; le
sitôt confiée à une centaine de polytechni- Centre National de la Recherche Scientifique
ciens ayant travaillé dans les firmes aéronau- (CNRS), dépendant du Ministère de l'Éduca-
tiques allemandes au titre du STO. La tion Nationale, envoie également des mis-
“chasse aux savants” fait rage et les Français sions de prospection en Allemagne dès la fin
n'ont guère de scrupules à venir “chasser sur du printemps 1945. Il y en a bien d'autres.
les terres” des Américains. Ainsi, en juin
1945, ceux-ci se font damer le pion par les
Français comme cela a été raconté par Mi- Et les Français multiplient les “prises”
chel Bar-Zohar dans un livre paru en 1965 : intéressantes. Ainsi, c'est le commandant
“A l'hôtel Wittelsbacher Hof de Bad Kissingen Lutz, un officier de la 1ère Division Blindée,
habitaient plus de 120 spécialistes allemands qui découvre, le 23 avril 1945, à Biberach, où
avec leurs familles, écrit Bar-Zohar. En dépit elle s'était repliée, l'équipe du professeur
de la garde américaine qui les surveillait et Schardin. Celle-ci appartenait à l'Institut de
les protégeait, deux officiers de renseigne- balistique de la Luftkriegsacademie de Berlin-
ment français réussirent à pénétrer dans l'hô- Gatow, mais elle a fui devant l'avancée des
tel et à faire tranquillement le tour des cham- troupes soviétiques et les bombardements
bres. Ils allèrent de porte en porte, purent alliés. Après avoir négocié avec les autorités
discuter avec les savants, glissèrent dans françaises, Schardin reprend ses travaux. Il
leur esprit des doutes sur leur avenir en Amé- faut noter ici, qu'à l'époque, de nombreux
rique et leur offrirent monts et merveilles si spécialistes allemands offrent leurs services
seulement ils acceptaient de venir en France. spontanément aux vainqueurs : l'interdiction
Lorsque les Américains découvrirent dans les des recherches à vocation militaire en Alle-
couloirs de l'hôtel ces deux visiteurs, il était magne, interdiction qui est imposée par les
trop tard. Ils emmenaient avec eux quelques Alliés, menace en effet de chômage ces per-
savants qui avaient cédé aux arguments fran- sonnels hautement qualifiés à un moment où
çais” [8]. Ailleurs, les Français doublent mê- règne en Allemagne une grande misère. Au
me les “chasseurs de cerveaux” américains milieu du mois de mai 1945, l'Etat-Major Gé-
de plusieurs longueurs : ainsi, ce sont des néral de la Défense Nationale (EMGDN) pro-
hommes de la MIST qui, dépassant les trou- pose de reconstituer les centres de recher-
pes de choc, parviennent à capturer le pro- che allemands sur le sol français avec le ma-
fesseur Willy Messerschmitt alors que le célè- tériel ramené d'Allemagne et d'y attirer les
bre avionneur allemand s'apprête à se réfu- travailleurs bénévoles. Le général de Gaulle
gier en Suisse. Parallèlement, la MIST visite donne alors l'ordre à la 1ère Armée française
également toutes les usines de Bavière où de prendre des dispositions en ce sens: “Il y
sont situées les usines Messerschmitt produi- aura lieu de faire transférer en France les
sant le chasseur à réaction Me 262. Des mil- scientifiques ou techniciens allemands de
liers de pages de renseignements techniques grande valeur pour les faire interroger à loisir
et scientifiques sont saisies et des tonnes de sur leurs travaux et éventuellement les enga-
matériels sont récupérées : à Sachensheim, ger à rester à notre disposition”. A la fin du

6
mois de mai 1945, l'équipe du professeur de l'Air, on lui propose un contrat régulier et
Schardin est mise en résidence surveillée à tout le personnel qu'il désire pour construire
l'hôtel “Bayrischer Hof” à Lindau, sur les bords un moteur à réaction pour la France. Il accep-
du lac de Constance et les négociations com- te. En octobre 1945, Oestrich est emmené à
mencent. Averties, les autorités américaines Lindau-Rickenbach, où se trouvent les bâti-
dépêchent de leur côté à Lindau le colonel Si- ments d'une usine Domier. Il y est rejoint par
mon pour essayer de brûler la politesse aux 150 spécialistes des firmes Junkers, BMW,
Français. Inquiets, ces demiers pressent les Hirth et Daimler-Benz. Le groupe «O» va ain-
négociations et proposent de recruter et de si travailler à l'Atelier Aéronautique de Ric-
faire venir à Versailles toute l'équipe. Cepen- kenbach (ATAR) jusqu'en février 1947, date à
dant cette offre se heurte aux réticences d'une laquelle, une partie des ingénieurs alle-
partie de l'équipe qui craint une réaction hostile mands, ayant signé un contrat avec la SNEC-
de la population française. Finalement une so- MA sont transférés à Decize dans la Nièvre.
lution de compromis est adoptée: les locaux Le groupe de Rickenbach est à l'origine des
d'une usine d'alliage léger de Saint-Louis, ville ATAR, les premiers réacteurs français. Dans
située sur la rive française du Rhin, proche de le domaine des études aéronautiques, la
Mulhouse, sont choisis pour accueillir les 32 France engage aussi des savants “oubliés”
personnes sous la direction du professeur par les Américains comme Helmut von Zbo-
Schardin. Un bus assurera leur transport cha- rowski, un spécialiste du Messerschmitt Me
que jour depuis les villages de Weil et de Hal- 163 qui, en 1947, participe à la conception du
tinger, sur la rive allemande du Rhin. Les ingé- Coléoptère, une machine à décollage vertical
nieurs allemands signent donc un contrat le et à aile annulaire ; le même Von Zborowski
1er août 1945 avec la Direction des Études et fait venir en France plusieurs de ses collabo-
Fabrications d'Armement (DEFA) de qui va rateurs, dont des experts en souffleries su-
dépendre le Laboratoire de Recherche Balisti- personiques qui travailleront pour l'Arsenal
ques et Aérodynamiques de Saint-Louis (en Aéronautique de l'armée de l'Air de Châtillon.
Alsace), lequel deviendra par la suite le Labo- C'est là que, à la fin de 1946, est créée une
ratoire de Recherche de Saint-Louis (LRSL). A petite cellule chargée d'étudier les missiles
la fin de l'année 1946, ce sont au total 77 ingé- que l'on appelle encore “engins spéciaux”,
nieurs allemands et 87 français qui y travail- cellule qui engage une vingtaine d'autres sa-
lent. La direction administrative est assurée par vants allemands. Autre savant “oublié” par
des personnels français tandis que la direction les Américains, le professeur Focke - un spé-
scientifique est laissée à des Allemands, les- cialiste des hélicoptères - et ses collabora-
quels travaillent conjointement avec des ingé- teurs, qui rejoignent la SNCASE en 1945-
nieurs français, chargés de les assister et d'ap- 1946, ou encore 28 aérodynamiciens alle-
prendre les nouvelles technologies apportées mands que les Français transfèrent à Em-
par les Allemands. C'est là que l'ingénieur alle- mendingen au début de l'année 1946 pour y
mand Gessner met au point l'obus G-Gessner constituer un bureau d'études dont le travail
qui constitue la 1ère munition standard de 105 consiste à mettre au point la soufflerie du
mm du char français AMX.30. Un autre recru- LRBA (le Laboratoire de Recherches Balisti-
tement particulièrement important est celui du ques et Aérodynamiques) de Vernon créé le
professeur Oestrich et de son équipe. Ce sont 17 mai 1946 par un décret du ministre de l'Air
en effet les officiers des services techniques et Charles Tillon et qui travaille au projet de la
de renseignements français qui recrutent le fusée Véronique ; il faut souligner aussi le
professeur Herman Oestrich, spécialiste de la recrutement de l'ingénieur Heinz Bringer, le
propulsion à réaction de la firme BMW, et 150 père du moteur Viking du lanceur européen
autres ingénieurs allemands. Le professeur Ariane. Cependant, bien d'autres savants
Oestrich a été capturé par les Américains en allemands sont engagés par les Français
Saxe, où son bureau d'étude s'était replié, puis parmi lesquels le docteur Pauly, qui signe un
ramené à Munich et c'est là qu'un déporté fran- contrat avec la SEPR (la Société d'études de
çais ayant travaillé dans son usine pendant la la propulsion par réaction) ; le docteur Wil-
guerre vient le trouver et lui propose de venir helm Seilbold, un aérodynamicien ; le profes-
travailler en France. Étant en zone américaine, seur Heinrich Hertel, un ancien ingénieur de
Oestrich est alors «kidnappé» par les services Junkers, et deux chercheurs, Eugen Sanger
français : il est emmené dans une voiture ré- et Irene Bredt, Rolf Engel, un ingénieur en
quisitionnée avec de fausses plaques d'imma- fusées, passé au titre de conseiller à
triculation françaises et peintes en bleu blanc l'ONERA (l'Office national d'études et de
rouge. En atteignant le poste de contrôle entre recherches aéronautiques) de Paris, Wolf-
la zone américaine du Wurtemberg et de la gang Pilz, un spécialiste des questions de
zone française du pays de Bade, le conducteur propulsion à Peenemünde, l'ingénieur Goer-
présente aux Américains des faux papiers at- ke, Hans Kleinwachter, un expert en ques-
testant qu'il s'agit d'un dangereux criminel de tions radio, les ingénieurs Graf, Weiss, Jaue-
guerre que la France réclame pour jugement. mick, Habermann, Müller, des techniciens,
Oestrich est emmené à Paris et, au Ministère comme le docteur Kimm, un spécialiste des
7
automobiles, ou l'ingénieur Kampmann, le locales allemandes car l'exode des meilleurs
créateur de la maquette en bois du Me 262 à spécialistes, tout comme le démontage des
réaction, ou encore l'ingénieur Müllejans, un usines, suscite l'opposition des Allemands,
spécialiste des moteurs d'avions. Un point que ce soient les autorités allemandes ou les
commun entre ces scientifiques : ce sont tous ouvriers et employés allemands dont l'outil de
plutôt des ingénieurs et des techniciens ca- travail est supprimé.
pables d'assembler et de faire fonctionner les
V2, que les savants célèbres - et donc digni- Conclusion
taires nazis - qui les ont imaginées. Les deux
exemples des professeurs Schardin et Oes- Au terme de cette présentation, il est intéres-
trich sont significatifs de la première vague sant de s'interroger sur la valeur de l'apport
de recrutement par les services du ministère scientifique allemand. Je laisserai ici la parole
de l'Armement. Ils procèdent plus du roman à un spécialiste : M. Jacques Villain, de la
d'espionnage, que d'une entreprise sereine et SEP, que j'ai déjà cité : “Indéniablement, l'ai-
méthodique. Il est vrai que les circonstances de qu'ils ont apportée à la France juste après
exigent une action rapide. Toutefois, à la fin guerre a permis à ce pays dont l'industrie
de l'année 1945 et en 1946, les services fran- avait été ruinée par l'occupation et la guerre
çais entreprennent le fichage systématique de limiter son retard sur les Etats-Unis et
des scientifiques allemands afin de pouvoir l'Union soviétique. Leur apport, puis leur coo-
faciliter leur recrutement et, à la date du 25 pération avec les ingénieurs et les techni-
août 1948, les services français disposent de ciens français ont grandement contribué au
1 971 fiches de savants et techniciens alle- fait que la France devienne en 1965 la troisiè-
mands installés en ZFO et de 1566 fiches de me puissance spatiale et occupe un des pre-
personnels en zones étrangères. Chaque miers rangs en matière de missiles et d'aéro-
armée française contacte alors les spécialis- nautique” [9].
tes allemands l'intéressant et procède à leur Dernière modification : Avril 2005.
interrogatoire, notamment sur leur passé Rédaction HUBERT Caroline
pendant la guerre. Un dossier, comprenant
un curriculum vitae, un exposé des travaux [1] Ancien élève de l'ENA, conseiller maire
effectués et des mémoires techniques, est honoraire à la Cour des comptes, Jean Mailet
constitué car, à cette époque, il y a pléthore a été déporté à Buchenwald et à Dora. Il est
de scientifiques allemands qui offrent leurs en particulier l'auteur de Le Déporté, La hai-
services aux Français et il faut étudier minu- ne et Le pardon chez Fayard.
tieusement chaque dossier, même si tous
ces savants “recrutés” assez tard ont été [2] "Pourquoi on a oublié Dora ?", entretien
souvent déjà “utilisés” par les Britanniques ou avec Jean Mialet, L'Histoire, n° 185, février
les Américains et ont donc théoriquement 1995, p. 34-35.
déjà été interrogés sur leur passé pendant la [3] créé en 1942, démantelé le 1er octobre
période nazie. Combien de scientifiques alle- 1945; remplacé le 22 janvier 1946, par le
mands ont été “recrutés” par la France en Central Intelligence Group (CIG) puis, en
1945-1948 ? Il est difficile de donner un chif- 1947, par la CIA.
fre précis. Jacques Villain, chef du départe- [4] Cf. Marie-France LUDMANN-OBIER, "Un
ment “informations et stratégies” de la SEP aspect de la chasse aux cerveaux: les trans-
(la Société Européenne de Propulsion) et ferts de techniciens allemands en France:
membre de l'Association d'Aéronautique et 1945-1949", Relations internationales, n° 46,
d'Astronautique de France, avance le chiffre été 1986.
de 6 772 spécialistes allemands recrutés par
la France, ce qui est un chiffre très important. [5] Cf. Amaud TEYSSIER et Roland HAUTE-
Cependant, force est aussi de constater que, FEUILLE, "Recherche scientifique et politique
dès 1946-1947, comme souvent en France, militaire en France (1945-1958)", Revue His-
la bureaucratie l'emporte et la procédure de torique des Armées, n° 2/1989.
recrutement de plus en plus lourde (enquête,
[6] Centre d'études des projectiles auto-
contre-enquête, contrat de travail devant re-
cevoir le visa de trois ministères au moins, propulsés
avis du préfet du département où le scientifi- [7] Direction des études et fabrications d'ar-
que allemand doit travailler, etc.) fait que,
mement.
parfois, le spécialiste allemand, rebuté, préfè-
re accepter l'offre d'un autre gouvemement. [8] Michel BAR-ZOHAR, la chasse aux sa-
C'est pourquoi, pour renforcer l'attrait d'une vants allemands (1944-1960), Paris, 1965,
embauche par la France, des suppléments Fayard, P.167
de ravitaillement sont accordés à la famille du [9] Jacques VILLAIN (président de la Commis-
spécialiste allemand demeurée en Allema- sion Histoire de l'AAAF) , "La France a-telle
gne. Mais la famille est souvent en but à hérité de Peenemünde ?", octobre 1992,
l'hostilité et aux tracasseries des autorités SHAA, série Z, fonds Hautefeuille, p. 27.
8
Sciences et Avenir- N° 700 - juin 2005

Aéronautique. Les premiers pas de la collaboration franco-allemande

HISTOIRE SECRETE D’ UNE COLLABORATION

A la fin de la Seconde Guerre mondiale, la France, comme d’autres pays alliés, recrute des sa-
vants issus de l’Allemagne vaincue. Cette contribution, souvent cachée, permettra le développe-
ment d’une puissante industrie aérospatiale.

En récupérant, en 1947, dans le cadre de


Soufflerie supersonique
l'opération Paperclip*, le scientifique alle-
C'est une histoire à couper le souffle. En
mand Wernher von Braun, qui leur a décro-
1939, le Dr Peters, Allemand travaillant
ché la Lune avec le programme Apollo, les
pour le Massachusetts Institute of Tech-
Américains ont réussi un coup magistral. On
nology (Cambridge, Etats-Unis), se retrou-
sait moins que les Français n'ont pas, loin de
ve coincé en Europe par la guerre. Les
là, manqué d'inspiration dans leurs recrute-
Allemands le réquisitionnent et l'affectent à
ments allemands de l'après-Seconde Guerre
l'étude et à la construction des souffleries
mondiale. Et si les noms de Heinz Bringer,
subsoniques et supersoniques. A la fin de
Hermann Oestrich, Eugène Sanger, Irène
la guerre, les Alliés découvrent à Oetztal,
Bredt ou encore Friedrich Nallinger de-
à 30 km d'Innsbruck, dans le Tyrol autri-
meurent généralement inconnus du grand
chien, une soufflerie expérimentale en
public, les programmes qu'ils ont aidés à
construction, qui devait permettre la mise
concevoir sont, eux, devenus célèbres : fu-
au point de nouvelles armes par le IIIème
sée Ariane (réacteurs), chasseurs Mystère
Reich. Son intérêt stratégique n'échappe
ou Mirage III, missiles SS-10 ou hélicoptères
ni à l'Intelligence Service britannique, ni au
ancêtres de ceux d'Eurocopter...
Deuxième Bureau français. Un accord in-
tervient, où les Français soufflent le bébé
Six décennies plus tard, les ambiguïtés
au nez de leurs Alliés : la soufflerie géan-
commencent à s'effacer, et il devient possible
te sera démontée et transférée à Moda-
de ne plus occulter que, pour une bonne part,
ne, en Savoie, Britanniques et Américains
l'industrie aéronautique et d'armement fran-
pouvant l'utiliser en toute liberté pour leur
çaise d'après-guerre doit sa reconstruction à
propre recherche. Quant au Dr Peters,
la récupération - dans des conditions parfois
après avoir fait l'objet, tout au long de la
rocambolesques - d'installations et de sa-
guerre, d'une suspicion permanente de
vants allemands. Et si certains ingénieurs et
l'administration hitlérienne en raison de
scientifiques ont choisi de leur plein gré de
ses attaches aux Etats-Unis, à l'issue du
coopérer avec les Français plutôt qu'avec les
conflit, c'est au tour des Américains de le
Britanniques, Américains ou Soviétiques,
soupçonner de n'être qu'un pur et simple
d'autres, nombreux, n'ont pas eu le choix.
collaborateur des nazis. Finalement, le Dr
Peters travaillera avec l'Onera (Office na-
Fait assez peu souligné, les “prises de guer-
re” et autres récupérations ont finalement été tional d'études et de recherches aéro-
“ blanchies” par le traité de l’Elysée du 22 nautiques) français, qui recrutera par ail-
janvier 1963, signé par le général de Gaulle leurs plus de 70 scientifiques allemands
et le chancelier Konrad Adenauer. Commen- dont Rolf Engel, spécialiste des fusées
çait alors à s'établir un véritable “axe politi- (devenu conseiller scientifique de l’Offi-
que”. ce). Il contribuera à la reconstruction de la
fameuse soufflerie - la plus grande du
Au sortir de la guerre, la France privilégie, monde. De Concorde à l’Airbus A 380, en
dans un premier temps, la récupération, dans passant par les hélicoptères et les avions
sa zone d'occupation, des nombreux maté- militaires, tous les grands programmes
riels, machines-outils et armes dont les unités français et européens y ont été testés.
spécialisées allemandes s'étaient emparées
durant l'Occupation en France. Priorité abso-
lue est à la remise en place de l'outil de pro- mement alertent le général de Gaulle de la
duction industriel. Mais très vite, les spé- massive chasse aux cerveaux allemands opé-
cialistes français de l'aéronautique et de l'ar- rée par les Russes, les Anglais et les Améri-

9
sol-air). Ultérieurement, certains seront testés
cains. D'où l'instruction personnelle qu'il fait
sur le polygone de tir d'une base française
parvenir le 17 mai 1945 au général Pierre
dans le Sahara. Rappelons qu'aujourd'hui,
Kœnig, alors commandant de la 1ère armée
MBDA (filiale d'EADS et de British Systems)
française:“ Il y a tout lieu de transférer en
est devenue n° 1 mondial de ce secteur d'acti-
France les scientifiques et techniciens al-
vité.
lemands de grande valeur pour les interroger
sur leurs travaux et éventuellement les enga-
La fusée Ariane
ger à rester à notre disposition.” Cette déci-
Les travaux du groupe “engins spéciaux”, ren-
sion scelle l'avenir de l'aéronautique euro-
forcé par d'anciens spécialistes de la soufflerie
péenne et jette les bases de ce qui deviendra
aérodynamique de Kochel, au sud de Munich,
la coopération franco-allemande.
aboutiront bientôt à des avancées promises à
un grand avenir : la mise au point de la fusée-
les missiles sonde Véronique puis du lanceur Diamant.
Très tôt, c'est aux V1 et V2 qui ont bombardé D'évolution en évolution, naîtra... la fusée
Londres que les Français s'intéressent. En Ariane. C'est un aréopage de spécialistes émi-
juin 1945, l'ingénieur en chef Jacques Lafar- nents qui se retrouvait là : Heinz Bringer, le
gue, responsable du service technique de la père du fameux moteur Viking (1er étage
Direction des études et fabrication d'ar- d'Ariane), qui finira par être intégré à la Socié-
mements (Defa) visite l'usine souterraine de té européenne de propulsion (SEP) qui, outre
Mittelwerke, qui fait partie du camp de concen- Ariane, est étroitement associée au déve-
tration de Dora, au nord-ouest de Buchen- loppement des missiles stratégiques de la for-
wald, où fut fabriqué l'avion-fusée de Hitler. Il ce nucléaire française de dissuasion, Hans
revient convaincu de l'avenir de ce type d'ar- Kleinwachter, spécialiste des questions radio.
mes. Moins d'un an plus tard, en mai 1946, Sans oublier Wolfgang Pilz, qui prit part à
est créé à Vernon, dans l'Eure, le LRBA Peenemünde aux premiers travaux de mise
(Laboratoire de recherche balistique et aéro- au point d'un missile intercontinental capable
dynamique). Tout droit récupérés à Peene- de frapper New York à partir de l'Allemagne.. .
münde par le service action de la DGER, la
DGSE de l'époque, une soixantaine de spé- Réacteurs et turbines
cialistes allemands des V2 (dont le directeur- Auparavant, un autre commando d'agents
ingénieur Otto Müller, expert en guidage et spéciaux français a capturé, en 1945, l'ingé-
Heinz Bringer, spécialiste de la propulsion) nieur de premier plan, Hermann Oestrich,
s'activent désormais à Vernon. iIs vont direc- alors en pleine négociation avec les Améri-
tement participer à la mise au point des pre- cains. Transporté en zone d'occupation fran-
miers missiles français. çaise, ce spécialiste des moteurs militaires
crée un atelier qui deviendra fameux, l'Atar
(Atelier technique aéronautique de Ricken-
De même qu'un autre groupe, basé cette bach), sur les bords du lac de Constance. Et
fois à l'arsenal de Châtillon, dans les Hauts c'est ainsi que, du 25 avril 1946 à l'année
-de-Seine, à partir de juillet 1946. Ont été 1951, l'homme ayant mis au point le premier
récupérés des spécialistes de premier plan en turbomoteur BMW 03 aide la société des aéro-
aérodynamique supersonique, Eugène San- planes Voisin puis le motoriste français Snec-
ger et sa collaboratrice, devenue son épouse, ma à construire les réacteurs de la famille
Irène Bredt, ainsi que l'un des très rares ex- Atar. Plusieurs familles d'avions de Dassault
perts des entrées d'air (discipline capitale de (Mystère, Etendard et Mirage III) en seront
la propulsion des missiles et des moteurs équipées.
d'avions), le professeur Ruden. Le couple Le Groupe “ 0 ”
Sanger-Bredt est rejoint par vingt ingénieurs Septembre 1945 : l'Allemand.Hermann Oes-
allemands qui se divisent en deux sous- trich, Directeur technique de la branche tur-
groupes : le premier chargé de la mise au boréacteurs des usines BMW, s'installe avec
point des tout premiers missiles air-air et anti- une équipe technique à Richenbach, en zone
chars (notamment le SS-1O, ancêtre des en-
d’occupation française, dans une ancienne
gins Milan et Hot) ; le second, sous la direction
usine Dornier. Ils forment le groupe “ 0 ” de
du Français Emile Stauff, constituera la pre-
cet atelier aéronautique baptisé ATAR, qui
mière équipe chargée des études des “engins
concevra les turboréacteurs du même nom.
spéciaux” (notamment les missiles

10

a
qualité extrême des travaux réalisés par l'Ins-
Quant à Turbomeca, l’un des deux leaders titut balistique de Berlin-Gatow. S'ensuit une
mondiaux des turbines d’avions et d’hélicoptè- longue et délicate mission d'action psy-
res, il récupère plus d’une centaine de cher- chologique. Contacté, Hubert Schardin, di-
cheurs allemands spécialistes de ce type de recteur de cet Institut, commence par accep-
moteurs. Le fondateur de l’entreprise, Joseph ter de travailler pour la France avant de se
Szydlowski, réussira même à convaindre l’in- récuser. Finalement, à partir du 15 août
génieur Friedrich Nallinger, un des plus émi- 1945, il consent à venir s'installer en Alsace,
nents experts allemands des turboréacteurs accompagné d'une trentaine de spécialistes
de s'installer à Bordes (Pyrénées-Atlantiques), exceptionnels de la balistique, de la thermo-
siège et principale unité de production de Tur- dynamique et des matériaux. Tous les jours,
bomeca. Il y développera notamment des tur- ces derniers traverseront la frontière pour se
bines qui contribueront de manière détermi- rendre de leur domicile de Weil et Haltingen
nante à l'essor de l’hélicoptère au début des à Saint-Louis.
années 1950.
Serge BROSSELIN
Cette industrie dans son ensemble aura * A la fin de la Seconde Guerre mondiale,
bénéficié, elle aussi, de l'expérience de l’Etat-major américain met en place l’opéra-
transfuges allemands. A la fin de 1945 et tion Paperclip qui consistera à recruter quel-
courant 1946, arrivent à la Sncase (Société que 1 500 scientifiques et ingénieurs alle-
nationale des constructions aéronautiques du mands.
Sud-Est), Heinrich Focke, le plus éminent spé-
cialiste allemand des hélicoptères puis tous
ses collaborateurs. Mais il faudra attendre Connexions
plus de quatre décennies pour que se “ clari-
Hermann Oestrich
fie” réellement la relation franco-allemande
Responsable de la division turbomachines
dans le domaine. C'est à la faveur de très
chez BMW. Pendant la Seconde Guerre mon-
grands programmes militaires lancés au début
diale, il devient directeur technique du groupe
des années 1990 (notamment l'hélicoptère de
« 0 », où il met au point l'Atar. De 1950 à
combat Tigre et l'hélicoptère de transport NH-
1960, il est directeur technique de la Snecma.
90) qu'une fusion a fini par se réaliser entre
Joseph Szydlowski
les activités hélicoptères d'Aérospatiale, en
Fondateur de Turbomeca en 1938, il récupère
France, et celles de MBB, en Allemagne. Une
plus d'une centaine de chercheurs allemands
opération qui a donné naissance à Euro-
spécialistes en turbines d'avions et hélicoptè-
copter, aujourd'hui n° 1 mondial des hélicoptè-
res, dont Friedrich Nallinger, qui contribuera
res.
fortement à l'essor de la société.
Heinz Bringer
Dans un autre domaine de pointe, celui des
Ce spécialiste de la propulsion ayant collaboré
avions à décollage vertical, on ne peut man-
aux V2 fut récupéré à Peenemünde par les
quer de citer le nom de Helmut von Zhorows-
services secrets français pour travailler au
ki, qui y travailla au sein de la SEPR (Société
LRBA. On lui doit le moteur Viking de la fusée
d'étude de la propulsion par réaction), après
Ariane. Il finira par être intégré à la SEP.
avoir participé pendant la guerre au dévelop-
pement de l'avion de chasse ME-163 Komet
(qui franchit le mur des 1000 km/h en octobre
1941. Les pères fondateurs d'Airbus
Deux ingénieurs français et un aérodyna-
Recherche fondamentale micien allemand vont croire les premiers à
un pôle aéronautique européen.
Outre les multiples développements de pre- Annoncé en 1965 au Salon aéronautique du
mier plan cités ci-dessus, on ne saurait évo- Bourget*, créé en 1969, c'est en 1945 qu'il
quer l'après-guerre sans mentionner la nais- faut chercher les vraies origines d'Airbus,
sance d'un institut de très haut niveau, long- auiourd'hui n° 1 mondial de l'aéronautique
temps resté d'une totale discrétion, l'Institut civile. Avec, dans le rôle des “pères” fonda-
franco-allemand de Saint-Louis (ISL), dans le teurs, trois visionnaires: deux ingénieurs fran-
Haut-Rhin. C'est au capitaine Fayolle, à la çais, Roger Beteille et Henri Ziegler, et un
tête d'une petite équipe d'experts du Deuxiè- aérodynamicien allemand Felix Kracht. Dès la
me Bureau (le service de renseignements fin de la Seconde Guerre mondiale, en effet,
militaire) qu'on le doit. Dès 1945, il repère la

11
le gaulliste Ziegler plaidait pour la création grammes d'avion de transport militaire : le
d'un “pôle aéronautique” européen puissant. Nord Atlas et le Transall C-160, lancé à la fin
Devenu le patron de Sud Aviation en 1968 des années 1950. Il est resté en France jus-
(après la démission de Maurice Papon), cet qu'en 1967, pays qu'il a “choisi” après la guer-
ingénieur opposé dès le début du programme re, déclare sa fille Barbara Kracht. Selon elle,
au supersonique franco-britannique Concorde en effet, “ au cours de la guerre, il s'est pris
relance très vite le projet Airbus, torpillé l'an- d'amitié avec des ingénieurs français
née précédente. L'ingénieur Roger Beteille lui contraints de travailler en Allemagne. En
apprend, en effet, que le projet n'a, en réalité, 1945, bien qu'étant dans la zone d'occupation
jamais été enterré. Une équipe pirate regrou- américaine, il a refusé de suivre Wernher von
pant quelques ingénieurs de très haut niveau Braun aux Etats-Unis et choisi la France”.
a continué sans relâche à travailler et à faire Cet ancien aérodynamicien, fin et cultivé, qui
avancer ce black-program “ Allez-y, foncez ”, a accueilli l'Américain Charles Lindbergh
ordonne alors Henri Ziegler. dans son Institut de recherche de vol à voile
allemand, en Bavière, semble aux deux Fran-
Mais la firme anglaise Rolls-Royce, pres- çais l'organisateur rêvé. Mettre en place la
sentie pour le développement du moteur de production de l'Airbus et attribuer les tâches à
l'Airbus, éprouve des difficultés dans sa mise chacun des sites prévus pour la construction,
au point. Le gouvernement français de l'épo- relève du casse-tête. Kracht le Bavarois relè-
que se tourne alors vers l'américain General vera ce défi, qu'on s'empressera de rebap-
Electric, à la technologie pourtant moins tiser le “mécano d'Airbus”. Tout aussi
avancée. De quoi piquer au vif les suiets de convaincu que Beteille et Ziegler de la né-
sa Majesté : c'est la rupture. cessité d'un pôle aéronautique européen ba-
Paris reste seul, mais pas pour longtemps. Le sé sur la coopération franco-allemande, c'est
leader bavarois Franz Joseph Srauss, alors lui aussi qui choisira Toulouse comme centre
ministre des Finances d'outre Rhin, est un d'assemblage final.
inconditionnel de la cause aéronautique. Et il
entrevoit l'occasion de faire sortir son pays de
l'isolement – l’Allemagne a été interdite de
La suite de la saga Airbus est connue. Un
construction aéronautique pendant cinq ans
par les Alliés en mars 1946. Il propose alors démarrage difficile, un avion unanimement
de créer Airbus à égalité de parts avec la considéré comme une remarquable réussite
France. De Gaulle y voit une ouverture ines- technologique… mais qui ne se vend pas.
pérée. Un strapontin sera réservé au britanni- Avant que, en 1995, la situation ne se soit
que Hawker Siddeley Aviation, à titre privé (la enfin retournée et que les Américains, qui
firme était présente dans le premier projet de avaient ironisé en 1969, ne voient Airbus pas-
coopération), la BAC (aujourd'hui British Sys- ser devant Boeing. Mais c'est une autre his-
tem) entrant plus tard à hauteur de 20,9 % toire.
lorsque commenceront à poindre les premiers
succès commerciaux.
——
C'est alors que l'Allemand Felix Kracht en-
tre en scène. Pour Roger Beteille, qui le dé-
bauche de VFW, comme pour Henri Ziegler, * Le 29 mai, par les deux ministres français et
allemand des Transports Jean Chamant et Karl
c'est tout sauf un inconnu. A Nord Aviation, il Schiller.
a participé au développement de deux pro-

12
La Grande soufflerie de l’ONERA à Modane

Les Nouvelles de l’Onera n° 7 – juin 1966


DE LA NAISSANCE ET DE LA MAJORITÉ
D’UN CENTRE D’ESSAIS AÉRODYNAMIQUE

Au lendemain de la guerre, en 1945, des Les ventilateurs de la soufflerie d'Oetz-


missions françaises partirent pour l'Allema- tal étaient entraînés par des turbines hy-
gne et l'Autriche à la recherche de rensei- drauliques Pelton. Une enquête fut rapide-
gnements techniques. Ne disposant que de ment menée en France pour trouver une
matériels de récupération, elles s'enfoncè- chute d'eau dont les caractéristiques se
rent d'autant plus profondément à l'intérieur rapprochaient le plus de celles du barrage
de ces pays que les véhicules désuets char- autrichien qui devait fournir l’énergie princi-
gés de les transporter tinrent plus long- pale à ladite soufflerie. Après avoir failli
temps. C'est après maintes péripéties que être pyrénéens, nous devînmes alpins, le
l'une de ces missions, dirigée par Lucien choix s'étant porté sur la haute vallée de la
MALAVARD, atteignit le Tyrol en juillet 1945 Maurienne, à quelques kilomètres de la
et découvrit sur les bords de l'Inn, au frontière italienne. dans le cirque d'Avrieux
confluent de la charmante vallée de l'Oetz, protégé par la chapelle St Benolt, construi-
une grande soufflerie en cours de construc- te au pied de la cascade du même nom.
****
tion, soufflerie dont les dimensions et la vi-
tesse devaient être supérieures à celles du
projet français présenté avant la guerre au Notre activité se concentra sur trois ob-
ministère de l'Air.*
jectifs principaux :
- le démontage en Autriche.
Le courage des missionnaires ne se - les fabrications complémentaires en Alle-
laissa pas entamer par l'attente indétermi- magne et en France.
née d'une communication téléphonique - le montage à Modane.
vers Paris : c'est ainsi que le sommeil de
l'Ingénieur Général Paul DUMANOIS fut Le démontage à Oetztal commença en
interrompu au milieu de la nuit par une voix octobre 1945, avec le concours de nom-
qui, d'Autriche, lui annonçait "la" découver- breuses personnes qui ne ménagèrent ni
te et suggérait le transfert de cette souffle- leur temps, ni leur peine pour résoudre les
rie en France. Une réponse affirmative fut difficultés de tous ordres qui se présentè-
donnée à cette proposition et l'opération rent. Tout manquait sauf la conviction, ce
démarra. Henri GIRERD me téléphona à la qui n'est cependant pas suffisant pour faire
soufflerie de Cannes, que tous deux nous vivre les hommes : je me souviens avec
avions construite pendant la guerre, pour émotion du payeur général de Baden-Baden
m'offrir la responsabilité de ce transfert. qui, touché par ma ressemblance avec son

*Extrait d’un article de Jean DUBOIS paru dans le N° 7 des Nouvelles de l’Onera de juin 1966

…… Un fait, en lui-même modeste en ce qu'il n'est qu'un exemple, mais dont l'objet nous est sensible, peut
illustrer la différence entre ce qui put se passer en France et en Allemagne - disons entre 1937 et le début de
1945 :
En France, c'est en 1937 qu'un Jeune ingénieur de la S.N.C.A.S.O., Marcel PIERRE (devenu par la suite
Directeur des Grandes Souffleries de Modane-Avrieux à l’ONERA), concevait de faire actionner par des turbines
hydrauliques Pelton une soufflerie de 6x4m, V:250 m/s, de 40 000 CV, dont il formulait le projet auprès de son
chef, Henry GlRERD (Directeur scientifique de l’Aérodynamique à l’ONERA de 1946 à 1956), lequel, saisissant
tout l'intérêt de cette conception, présenta et soutint activement ce projet au ministère de l'Air. Pour des raisons
diverses, notamment parce que la guerre survint deux ans après, ce projet resta dans les cartons. - Le temps
passa ……....

Cinq ans plus tard, en 1942, en Allemagne, le Pr PETERS, face à un problème exigeant des performances
plus importantes, imagina des solutions identiques à celles qu'avait conçues M. PIERRE, à savoir une gigantes-
que soufflerie en circuit fermé dont les ventilateurs seraient précisément entraînés par des turbines Pelton. Tren-
te mois seulement plus tard, dans le Tyrol autrichien, on découvrit que les Allemands avant leur défaite, étaient
déjà en train de construire et de monter cette soufflerie, dont bien des éléments étaient en voie de réalisation
avancée ! ... (plus de 4 000 t de matériel prirent le chemin de Modane ...)

13
fils aviateur tué au cours de la guerre, se devant être exécutés soit en Allemagne. soit
laissa convaincre par mes arguments et me en France. selon le cas le plus favorable. En
remit personnellement 10 000 marks pour la 1947, les conditions de travail en Allemagne
paie des ouvriers. étaient précaires et André SIBERT, aidé de
Les parties métalliques déjà montées Louis GIRERD, eut à vaincre beaucoup de
furent repérées et découpées au chalu- difficultés pour assurer une marche normale
meau ; elles représentaient. avec les pièces des fabrications, malgré la bonne volonté des
mécaniques récupérées, environ 11% du Allemands à qui nous assurions une certaine
tonnage global de la soufflerie qui se monte reprise d'activité. Nos efforts furent un mo-
à 5 500 tonnes. Onze trains complets furent ment très compromis car l'usine principale,
nécessaires pour le transport de 1 856 ton- qui travaillait sur nos commandes, devait être
nes de matériels de soufflerie et de 2 472 transférée dans un pays allié ; heureusement.
tonnes de matériels divers jusqu'à Modane. des négociations permirent d'éviter ce trans-
Les cinq derniers trains faillirent rester en fert.
Autriche. car la date de fin de sortie de ma- Durant ces années très difficiles, nous
tériel était expirée depuis quelques jours partagions les soucis quotidiens de nos sous
quand ils furent prêts à partir. L'insistance -traitants. Même le ravitaillement des canti-
des services français et la compréhension nes était subordonné à nos interventions
des autorités autrichiennes permirent d'ac- directes ; un lieutenant qui accompagnait un
complir la totalité du transfert. camion de pommes de terre conserva long-
Tous les éléments de cette soufflerie temps un souvenir fâcheux de ses démêlés
n'étaient pas réunis à Oetztal et certains se avec les gendarmes allemands.
trouvaient encore répartis dans l'Allemagne De nombreuses liaisons furent nécessai-
entière : les roues des turbines à Heiden- res pour coordonner toutes les actions et ob-
heim (zone d'occupation américaine), les tenir les matières premières ; nos missions se
arbres à Essen (zone d'occupation anglai- croisaient en Allemagne ou en Autriche, nous
se), les accouplements élastiques et des sautions d'une voiture dans une autre, nous
structures métalliques à Augsburg, certai- ne prenions pas le temps de déjeuner, nous
nes autres pièces sur des wagons. couchions chez l'habitant dans des chambres
pas chauffées, mais tout le monde était
Les deux arbres intermédiaires de 18 m content. Je me souviens d'un trajet de Deux-
de long furent retrouvés sous le toit effondré Ponts (Palatinat) à Kreissbronn (lac de Cons-
d'une usine bombardée de la Ruhr, au mi- tance) pour toucher 2 200 litres de bons d'es-
lieu d'un invraisemblable chaos ; un de ces sence : 19 heures de voiture aller et retour,
arbres était terminé mais atteint d'éclats de un retournement sur le quai de Meersburg,
bombes dont l'un avait même traversé les deux heures d'arrêt sur le bord de la route et
50 mm d’épaisseur d’acier. Les arbres des le retour à Deux-Ponts à 11 heures, le côté
ventilateurs et leurs paliers avaient été ter- droit de la voiture complètement froissé. Puis,
minés en Allemagne et chargés sur wagons nouveau départ à 14 heures, avec une autre
pour l'Autriche. Nous mîmes des mois à les. voiture, pour Munich où nos sympathiques
suivre à la trace, sur de vagues indications, collaborateurs d'Ottobronn nous attendaient :
en visitant les gares de triage et escaladant MM. PETERS. NOVOTNY. KERL. DRES-
les wagons. A Stuttgart. tous nos espoirs CHER. Je devais d'ailleurs quelques mois
s'évanouirent ; quelque temps après, et tout plus tard, en juillet 1946, les accompagner à
à fait par hasard, en discutant avec les auto- la gare de Münich à destination de La Tron-
rités d'occupation américaines, nous apprî- che (près de Grenoble) où les attendait une
mes que ce matériel se trouvait à New-York villa dont le moins qu'on puisse en dire est
où il était arrivé via San Francisco : très obli- qu'elle n'était pas en état ; je me souviens de
geamment. les Américains nous cédèrent la bassine qui ornait le salon de M. DRES-
gratuitement ce matériel qu'un cargo rame- CHER, et du récipient itinérant en usage
na à Marseille. dans l'appartement de M. KERL, bassine et
récipient destinés à recueillir les gouttes
d'eau qui tombaient du plafond par temps de
L'inventaire des matériels retrouvés fut pluie.
établi. un plan de travail fut dressé pour
achever les éléments à terminer et pour fa- Durant la même période, le chantier de
briquer ceux qui manquaient. ces travaux Modane se préparait à recevoir les premiers

14
éléments métalliques. André RAFFIN était Pendant plusieurs années, des ouvriers
sur place depuis une nuit de décembre français, allemands, autrichiens, italiens,
1946 où il avait débarqué à Modane dans espagnols, un chinois même, au prix de six
une gare constituée de quelques baraques jours de travail de 11 heures et le septième
en planches, à une époque où les arrivées de 6 heures, soit 72 heures par semaine,
tardives imposaient automatiquement de édifièrent cet important ensemble .
passer le reste de la nuit dans une salle
d'attente. car il n'y avait ni café. ni buffet. Un Que d'astuces. de dévouement. d'activi-
seul hôtel était ouvert. mais les propriétaires tés de toutes sortes déployées pour que,
en interdisaient l'accès la nuit. car. à la suite coûte que coûte, rien ne soit arrêté et que
des bombardements, les portes des cham- tout progresse normalement. Je me sou-
bres ne fermaient plus. viens de l'étonnement de Guy FASSO, poly-
technicien, quand je lui confiai son premier
Le premier but visé à Modane consis- travail à l'O.N.E.R.A. : trouver sans retard
tait à relier le futur chantier au réseau SNCF une sableuse supplémentaire pour accélé-
afin de décharger sur place les trains de rer les opérations de décapage de pièces
matériels. Malgré tous nos efforts. les pre- métalliques, et quelques kilomètres de câ-
miers wagons arrivèrent avant la mise en bles de levage destinés à équiper les mâts
service de la voie ferrée et la première pièce de l'entreprise qui en manquait.
à décharger en gare de Modane, dotée
d'une grue de 4.5 tonnes, en pesait 17.
De son côté, l' Electricité de France tra-
Une équipe limitée, mais résolue et vaillait ardemment au barrage d'Aussois. et
efficace, accomplit avec enthousiasme un le dynamisme de M. POUSSE faisait mer-
énorme travail. Le logement était précaire, veille malgré les embûches nombreuses
mais nous nous retrouvions au repos rencontrées dans le percement de la galerie
dans une popote installée dans une villa ou dans de grandes fissurations de masses
du génie militaire où un ménage sympa- rocheuses séparées par des failles étroites
thique assurait une difficile subsistance et profondes qu'un ouvrier, descendu au
(dès l'arrivée des froids, il n'y avait plus de bout d'un filin, nettoyait à la main et au seau
légumes, ni d'eaux minérales d'ailleurs). comme un enfant s'amusant dans le sable.

Les conditions climatiques influèrent Grâce à cet élan, le montage du cir-


beaucoup sur le démarrage du chantier ; cuit aérodynamique avançait à la cadence
les objectifs de délais imposaient de lutter de 300 tonnes par mois. Il fallait voir le
contre les éléments, au lieu de les subir vertigineux travail des soudeurs à plus de
en attendant des jours meilleurs. Les 20 m du sol, évoluant autour de la grande
moyens matériels étaient très limités par coque, semblant défier les lois de la pe-
l'état des approvisionnements : ciment, santeur à la façon des astronautes autour
fers à béton, câbles électriques faisaient de leur laboratoire orbital.
défaut. Ce fut une explosion de joie
quand le premier train franchit le pont sur Puis, il fallut se préoccuper de cons-
l'Arc et déboucha sur la plateforme de la truire des logements pour le personnel
soufflerie. La firme de chaudronnerie d'exploitation, le personnel en place ayant
monta.. les mâts de déchargement, l'en- admis de vivre inconfortablement pendant
treprise de génie civil battit des pieux: quelques années. Que de mal alors pour
établit les fondations ; les baraques de trouver les propriétaires des parcelles de
chantier destinées au logement du per- terrain sur lesquelles il convenait de bâtir !
sonnel (500 au maximum). au stockage C'est pour y parvenir malgré tout que Ro-
du matériel délicat. aux bureaux des en- ger COURTOIS - ceux qui l'ont connu se
treprises s'élevèrent de toute part. Aux souviennent de cet homme courageux qui
confins du chantier. un chalet démontable a peut-être payé de sa vie son dévoue-
accueillait les missionnaires venus de ment à notre œuvre - avait piqueté d'auto-
Paris ou de Grenoble; ses parois de bois rité des terrains sur lesquels devaient être
étouffaient les ardentes discussions qui édifiés immeubles et villas et placé des
s'élevaient parfois à propos d'un calcul de écriteaux qui surprirent beaucoup Jean
pertes de charge ou d'une hasardeuse DUBOIS, notre juriste, à son arrivée sur
annonce de bridge.
15
les lieux, car ils portaient cette inscription : Par souci d'efficacité, les ingénieurs du
terrain réservé à l'O.N.E.R.A., prière de bureau de La Tronche furent ramenés à
s'adresser au notaire, Maitre DELAVE- Châtillon en novembre 1953. Leurs cogita-
NAY. tions continuèrent pour donner naissance à
un caisson d'ambiance de 2,50 m de diamè-
Il faut bien dire aussi que les autorités tre dans lequel des essais de séparation
et les habitants de Modane et de la région d'étages ou d'arrêt de poussée avec com-
se montrèrent toujours fort compréhensifs, bustion de pains de poudre sont possibles.
conscients qu'il s'agissait d'une œuvre
La dernière réalisation en cours concer-
d'intérêt général.
ne une soufflerie à rafales de 0,700 m de
diamètre dans laquelle le Mach 12. voire 14.
Après beaucoup d'efforts, le jour J arriva :
pourra être obtenu. Les conditions généra-
La plus grande turbine du monde tourna. . . .
trices sont élevées : 150 bars et 1500 °C. le
Pour ceux qui étaient là, la surprise fut vive,
temps de fonctionnement de l'ordre de 20
Son bruit étant celui d'une locomotive.
secondes.

C'est ainsi que se créa autour de la pre-


Mais tandis que des hommes se débat-
mière soufflerie un centre homogène. or-
taient au milieu de difficultés matérielles se
donné. Dynamique qui doit beaucoup au
renouvelant sans cesse, nos ermites de La
soutien constant et éclairé de l'Ingénieur
Tronche à qui l'on devait la soufflerie
Général Robert LEGENDRE.
d'Oetztal préparaient l'avenir dans des
conditions idéales de calme propre à la ré-
flexion.
Sous l'impulsion de M. Maurice Roy, les ——
résultats de leurs études conduisirent à la
construction d'une seconde soufflerie im-
plantée à côté de la première, qui permet
d'atteindre Mach 3. En plus des vitesses
supersoniques, des régimes subsonique et Des hommes ont succédé aux hom-
transsonique sont obtenus dans une section mes, tous de bonne volonté. Des équipes
d'expériences de 1,80 x 1,75 m2. Le com- hautement spécialisées ont été formées,
presseur de 45 000 kW de cette soufflerie des méthodes ont été mises au point, un
est entraîné, lui aussi, par une turbine Pel- équipement scientifique de haut niveau a
ton. Bien entendu, cette installation est plus été constitué qui permet l'exécution de
évoluée que la première, et ce progrès s'est nombreuses mesures. L'exploitation s'in-
poursuivi par l'implantation d'une troisième tensifie d'année en année, le nombre des
soufflerie qui, équipée de veines interchan- essais augmente, leur importance et leur
geables, permet de réaliser Mach 5.5 dans diversité aussi. L'assistance technique
une section de 0.80 x 0.75m2. Le niveau de ainsi apportée aux constructeurs aérospa-
pression génératrice peut varier dans de tiaux continuera à se développer dans
larges proportions ainsi que la température l'avenir, à leur satisfaction. c'est ce que
génératrice qui peut atteindre 300 °C. nous souhaitons.

Et cela parce que, voici 20 ans, quelques hommes, des pionniers, ont osé .

Marcel PIERRE (juin 1966)

16
INGENIEURS ALLEMANDS EN POSTE A L'ONERA le 1er Novembre 1948
Informations recueillies dans le "GUIDE ONERA" - édition du 1er novembre 1948

Il existait à cette date, dans le service central APPROVISIONNEMENT, deux déta-


chements :
- Le détachement de BAD-KROZINGEN, pour la liquidation des achats en Allema-
gne –.Achats nouveaux, responsable .M. Maurice PIQUARD
- Le détachement de DEUX-PONTS, responsable M. Louis GIRERD

Dans ce guide, les ingénieurs allemands ont été répartis


dans les cinq Directions scientifiques :

OA – Aérodynamique Division “ Magnétisme ”

Bureau de théorie et calculs à Neuilly


Sous la responsabilité de
M. BLADIER, Guy M KUHNERT Kurt
(M. Paul GERMAIN était responsable du
groupe « théorie » à Toulouse, laboratoire

MM. EICHELBRENNER Ernst MM. BREITFELD Helmut


GRUSCHWITZ Eugen CORDES Rudolf
SCHWARZ Ludwig KOERBER Hans
VON BARANOFF Alexis KUHNE Rudolf
LUFT Karl
Bureau d'études de La Tronche MIEHLICH Richard
NAHRGAND Siegfried
MM. PETERS Heinrich ZIEGLER Rudolf
DRESCHER Ernst
OR - Résistance des structures
KERL Karl
NOVOTNY Karl
à Chatillon

OE - Energie et propulsion MM. DORR Johannes


RUPPEL Werner
à Chalais-Meudon,
au laboratoire de recherche sur la com- Division Contraintes-Endurance :
bustion
MM. BAUMERT Heinz
M. HERBRICH Wilhelm HAUG Kurt
HEILIG Richard
OP - Physique générale HELLMANN Johannes
HERMANN Aloys
Radio-électricité - Télécommandes HOTTENROTT Ernst
(21 Bd Richard Wallace à Neuilly) KAPPUS Robert
SCHILMKATT Gerrit
TONSKl Albert
M. ECKART Gottfried
WEGNER Udo

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Section "Vibrations" Section "Calculs systématiques et
Mécanographie"
MM. DE VRIES Gerhard M. DIETSCH Franz
FALKENHEINER Helmut Mlle GERLACH Hildegard
FELTZ Alfred Mme RUPPEL Anna
FISHER Walter M. SORG Fridolin
HARBRECHT Hugo
HENTSCHEL Georg OM - Matériaux
KAHLISCH Walter
KLAUS Gustav Division “Métallurgie”
LINDEMANN Hans
MM. BUCKLE Helmut
MELZER Rudolf
HEINGLEIN Ernst
POLODNA Viktor
KEIL Albert
ROST Joachim
KOHSOK Heinz
SAMAL Erwin
Mlle SCHWARZ Maria-Josepha
MM. SCHWEIZERHOF Sigfried Division "Rayons X et Electronique"
TAUBMANN Harro
M. RAETHER Heinz

La bâtisse inachevée de « La Renaissance Sanitaire » dominait toute la banlieu sud

18
De Véronique à Ariane
Près de la moitié des ingé-
nieurs allemands récupérés
par les Francais travailleront
à la mise au point de la
fusée-sonde Véronique
(ci-contre sur sa table de
lancement, en 1959, à
Ammaguir, au Sahara).
30 ans plus tard, naîtra la
fusée Ariane (à droite),
dont le moteur Viking a été
conçu par Heinz Bringer.

Machine de guerre
Dès la fin des années
1930, Wernher von Braun
et d'autres scientifiques
allemands travaillent au
projet d'un missile balisti-
que capable de trans-
porter 1 tonne d'explosif
et pouvant atteindre une
cible distante d'environ
300 km. Le 3 octobre 1942,
la V2 (à gauche), réussit
son premier vol. Ci-contre,
un moteur mis au point par
la Snecma, dont l'Allemand
Hermann Oestrich sera le
directeur technique de 1950
à 1960.

L'hélicoptère de combat Tigre, développé


par Eurocopter.
La firme née de la fusion de l'allemand MBB
et du francais Aérospatiale (aujourd'hui EADS)
est devenue le leader mondial des hélicoptères
civils et militaires.

L’une des
turbines Pelton
dans le ciel de la
Maurienne (face
au versant
d’Aussois)

1948 – Début de la construction de


S1 la plus grande soufflerie sonique
du monde

1986 – Le Centre de Modane-Avrieux

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