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Bulletin de psychologie

Sociologie de l’éducation et éducation sociale


Jean Vial

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Vial Jean. Sociologie de l’éducation et éducation sociale . In: Bulletin de psychologie, tome 15 n°210, 1962. pp. 1027-
1032;

doi : https://doi.org/10.3406/bupsy.1962.8754;

https://www.persee.fr/doc/bupsy_0007-4403_1962_num_15_210_8754;

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J. VIAL

Sociologie de l’éducation
et éducation sociale

EXPERIENCE DE ROGER COUSINET — Dans les clases supérieures c’est l’objet


qui détermine l’équipe.
— Ecole « La Source », Meudon. L’expérience Cousinet fait exception par le
— « Méthode du travail libre en groupe ». nombre restreint d’élèves que comporte chaque
Roger Cousinet est né en 1881. C’était un groupe (2 généralement).
praticien psychologue. « ...ce sont des considé¬ Avantages
rations psychologiques et non pédagogiques Cette méthode répond aux tendances pro¬
fondes de l’enfant : affectivité et activité...
qui m’ont guidé...» (Cousinet). Il fut profon¬
dément influencé par J. Dewey et condamne « on mélange nos idées, le travail est plus
l’école traditionnelle. « L’enfant ne s’instruit complet » disent les enfants.
Inconvénients
pas à l’école, il y est instruit ». Enfin Cousinet
prétend que le travail en équipe peut atteindre C’est un enseignement légèrement dogma¬
toutes les disciplines. tique. Les enfants « Decrolyens » observent
Enseignement alors que ceux-ci se documentent.
— Au jardin d’enfants : on joue : jeux de Remarque : Il y a plutôt une camaraderie
construction, manipulation. Ensuite les acti¬ de travail qu’un travail en équipe à l’école
vités imposées le matin apportent générale¬ Cousinet. Il faudrait que les enfants se
ment le sujet de travail de T après-midi, ce qui plaisent à ce qu’ils font, plus encore que de
prouve l'importance des motivations secondes. faire ce qui leur plait. Les «solitaires» sont
— En 4e et 3e, les mathématiques et les peut-être trop délaissés.
Conclusion
sciences attirent les équipes.
— en 2e et lre les rapports entre co-équipiers C’est une expérience vivante et heureuse.
sont très discrets, seules les sciences naturelles
se font en équipes. EXPERIENCE DE CELESTIN FREINET
Le maître
« L’imprimerie à l’école ».
L’enfant est libéré d’une contrainte, mais a) l’homme
non d’une présence. En ce qui concerne les
Ce fut un maître rural désireux de changer
notions de bases le maître oriente. Il répond à l’ordre de ses rapports avec ses élèves.
toutes les questions, contrôle la tâche et la b) l’institution
discute, alimente constamment en documents. «L’Ecole Freinet».
Le maître également assure ou suscite les — Développement d’une atmosphère de tra¬
liaisons. vail coopératif.
Principes — AME ou association pour la modernisa¬
— Réalisme scolaire : l’enfant est astreint à tion de l’enseignement.
un minimum de travail de classe (matin). e) doctrine
— Réalisme psychologique : intérêt à faire A l’école traditionnelle, selon Freinet, l’en¬
travailler l’enfant en équipe (activités libres fant vit dans un climat de contrainte, d’oppo¬
de l’après-midi). sition, de lutte. Son école au contraire est
Structure du groupe de travail conforme aux règles qui forment une société.
— Création spontanée mais favorisée. Elle Il écrit « ce n’est pas le jeu qui prend d'abord,
repose donc sur une base affective (c’est le c’est le travail ». La technique Freinet ne doit
cas dans les plus jeunes classes) : la table à avoir aucun fondement pédagogique ni psy¬
deux y convient. chologique. Nous comprendrons aisément
— En huitième on se détermine d’après la pourquoi ses sympathies vont vers Mme Mon
camaraderie. tessori et Decroly.
1028 BULLETIN DE PSYCHOLOGIE

Somme des choix réels x 100


Remarques
Mais ce respect des tendances profondes de
l’enfant n’est-ce pas déjà de la psychologie. N2 — N
D’autre part, Freinet parle de « tâtonnements b) l’indice de concentration. Il mesure avec
expérimentaux », n’est ce pas là une méthode quelle intensité un sous groupe se détache.
à laquelle fait tort l’expression « technique » ? c) l’indice d’ajustement. Il concerne l’indi¬
Pour Freinet, le point de départ a été et est vidu, son expansivité émotionnelle.
l’imprimerie à l’école, mais en réalité c’est
l’expression libre de l’enfant qui juge le mieux Méthodologie
la méthode et qui est à l’origine de la création
par l’enfant, de par son insertion vive dans — Au-dessous de 9-10 ans il existe peu de
un groupe d’expression. groupes, ain sociogramme n’est pas possible.
— L’élaboration du questionnaire est diffi¬
LE TRAVAIL DANS UNE ECOLE cile. Un bon questionnaire doit être motivé,
Les relations interindividuelles précis.
— Il faut que la classe soit au complet.
— psychogroupe : c’est un groupe compre¬ — Les enfants doivent être « affectivement
nant des personnes liées entre elles pour des neutres » au moment du choix : entendons par
raisons uniquement affectives. là que c’est leur sentiment profond, non l’idée
— sociogroupe : c’est un groupe comprenant vue à l’instant, qui les détermine.
des personnes liées entre elles pour des rai¬ Conclusion
sons fonctionnelles. Une telle recherche pour le maître peut être
Moreno fut frappé par le caractère des ras¬ d’un apport fructueux : l’équipe de travail de¬
semblements dans les jeux. vrait constituer « un groupe d’affinité ».
Il inaugura la technique du psychodrame. Le psychodrame repose sur la spontanéité
Questionnaire aux enfants : quels sont les de l’individu.
élèves de la classe que tu considères comme On pourrait noter le concept de télécommu¬
de bons camarades ? Quels sont ceux que tu nication (à distance) : quand A agit sur B, B
ne considères pas comme de bons camarades ? est transformé et B transformé agit sur A qui
A partir des réponses se trace un sociogramme à son tour est transformé.
où l’on voit se dégager la densité affective Il ne faut surtout pas séparer sociométrie et
relationnelle. psychodrame.
c) doctrine En France le psychodrame s’est détaché de
A l’école traditionnelle, sèlon Freinet, l’en¬ Moreno pour donner naissance au psychodra¬
fant vit dans un climat de contrainte, d’op¬ me analytique.
position, de lutte. Son école au contraire est Le psychodrame permet une communication
conforme aux règles, qui forment une société. meilleure entre maître et élève. La pédagogie,
Il écrit: « Ce n’est pas le jeu qui prend d’abord, pour être plus eficace, peut employer ce moyen
c'est le travail ». d’action direct. On en devine la maîtrise d’em¬
La technique Freinet ne doit avoir aucun ploi qu’exige une telle pratique. N’en dirait-on
fondement pédagogique ni psychologique. pas autant de la psychanalyse ou des mé¬
Nous comprendrons aisément pourquoi ses thodes dites non directives.
sympathies vont vers Mme Môntessori et
Decroly. L’ECOLE DECROLY (SAINT-MANDE)
Remarques : Mais ce respect des tendances
profondes de l’enfant n’est-ce pas déjà de la « Decroly est l’homme qui a le plus fait pour
psychologie? D’autre part, Freinet parle de la pédagogie d’aujourd’hui ou de demain »
« tâtonnements expérimentaux », n’est-ce pas écrit R. Gall.
là une méthode à laquelle fait tort l’expres¬ — Decroly est né en 1871 en Belgique. Son
sion « technique » ? père, un Français, était un disciple de Rous¬
Pour Freinet, ce point de départ a été et est seau.
l’imprimerie à l’école, mais en réalité c’est — Adolescent il semble rebelle aux études
l’expression libre de l’enfant qui juge le mieux traditionnelles.
la méthode et est à l’origine de la création — Il fait ses études de médecine et s’oriente
par l’enfant de son insertion vive dans un vers la neurologie.
groupe d’expression. — En 1905, il rencontre Binet : c’est pour
Moreno distingue 5 modalités principales : lui une découverte.
— type d’association en noyau : le couple C’est un personnage simple, tranquille, hu¬
— type d’association en chaîne main. Il fit preuve d’une étonnante perméa¬
— type de polarisation au 1er degré bilité aux méthodes nouvelles.
— les isolés Il est très difficile de définir en termes
— les sous groupes. clairs la méthode de Decroly. Il sait que la
Dans un ou plusieurs sous-groupes nous psychologie de l’enfant est globale, le princi¬
analyserons les indices: pal est que la pédagogie ne la contrarie pas.
a) indice d’interaction. L’enfant doit observer, associer, exprimer. Ce
C’èst en pourcentage la somme des choix que l’un exprime devient matière d’observa¬
réels. tion pour l’autre.
J. VIAL : SOCIOLOGIE DE L’EDUCATION 1029

— Il faut que l’enfant s’adapte à son milieu Le rôle du maître


si l’on veut qu’il s’adapte un jour au milieu
adulte dans lequel il sera transposé. Mais ce Il est plus important qu’à l’école Cousinet
milieu doit s’adapter à l’enfant aussi et s’or¬ puisqu’il contrôle la part apportée par cha¬
ganiser en fonction de cette petite personne. cun.

L’école Decrolyenne de Saint-Mandé C’est le leader verbal, technique, ou psycho¬


Elle fut construite en 1945 au lendemain de
logique.
la guerre. On y rasembla 23 élèves. Aujourd’hui
elle comporte 14 classes, c’est une école offi¬ C’est lui qui apaise l’emporté et stimule l’in¬
cielle. dolent. Il intervient en général dans les
conflits.
— l’apport social.
Le travail se fait en équipe, au sein de La manifestation sociale la plus marquée est
coopératives et de clubs. sans conteste celle des clubs.
— Mais comment se crée une équipe ? Gé¬ Le lundi matin (ateliers de couture, dessin,
néralement au hasard d’une occasion ou par musique, cuisine). Chaque club fait sa petite
suite d’une suggestion de la part du maître. exposition environ tous les 3 mois, ce qui lie
Dans le groupe de promenade interviennent tous les clubs de l’école.
des raisons affectives alors que dans le groupe Il faut noter aussi la grande unité d’action
de travail valent surtout des raisons de compé¬ entre la famille et l'école, trait caractéristique
tence. de l’école decrolyenne.
— Dangers du travail en équipe : il peut y ( N.D.L.R . — Les lecteurs sont priés de bien
avoir une exploitation de certains. Ensuite on vouloir excuser l’insertion tardive de ces
peut toujours s’attendre à des variabilités notes qui correspondent aux cours profes¬
dans le fonctionnement et à des modifica¬ sés par M. Vial du mois de novembre 1961
tions de durée dans les équipes. au mois de février 1962.)

LA VOCATION SOCIALE

Autonomie de soi et discipline s’inscrit dans les grands systèmes de valeurs


fondamentale.s La civilisation, par exemple,
A première vue la contradicticm est totale. qui s’appuie sur des vertus collectives et se
Cependant les définitions sont eh réalité trop doit de les diffuser.
brutales. — par ses moyens : divers mais nets. Ce mi¬
a) une action éducative est nécessaire (Ch⬠lieu cependant peut jouer un très grand rôle.
teau). Freinet écrivit que les problèmes de discipline
— l’être seul, emporté est incapable d’une pourraient être résolus le jour où les locaux
action efficace adaptée aux choses et aux seraient équipés comme il convient.
autres. Château préconise l’action éducative : Conséquences de cette action (deux paliers).
il ne faut pas se fier à la spontanéité ni aux 1° La classe traditionnelle requiert connais¬
bons sentiments. sance et acceptation d’une discipline posée en
— l’être libre : quelque sorte du dehors, tandis que celle de
Le Dr Berge écrit: «Les jeunes enfants l’atelier engage l’être dans certaines situations
ayant fait mauvais usage de leur liberté sont admises dès lors que l’action est consentie :
l’observance de la règle accompagne l’accom¬
ceux dont l’apparente liberté n’a été qu’un
abandon plus ou moins camouflé ». On ne peut plissement de l’action. C’est la discipline pro¬
nier la nécessité d’une éducation. gressive dont parle C. Freinet. L’enfant équi¬
b) une action extérieure est efficace pier acepte les règles nécessaires et ne ressent
(Mauco). pas de contrainte : pour lui ce n’est pas un
— Les enfants sont sensibles au prestige des but qui est ailleurs mais un moyen qu’il
adultes et à l’action du milieu : l’enfant se adopte « du même coup ».
constitue sous l’influence du milieu ; l’enfant « C'est une technique qui crée une atmo¬
est un produit du milieu. sphère joyeuse et confiante, une désinvolture
— Le consentement de l’enfant ne fait pas même, un enthousiasme latent qui fait envie
de doute. Les deux flux d’expression de l’en¬ et plaisir» (Decroly).
fant s’accordent sur ce plan : Les relations humaines peu à peu s’objec¬
• besoin de sécurité tivent : on voit le travail du voisin, on prend
• besoin d’affection. conscience en véritable chose de la relation
c) Une telle action peut être pernicieuse. sociale elle-même : on finit par lui donner un
Les méthodes disciplinaires employées à corps, un visage, un sens. On découvre enfin
l’école offrent un régime de contrainte qui que les travaux nécessitent un certain ordre
peuvent susciter des réactions à des règles en vue d’un travail précis. L’action sur les
coercitives. C’est alors une indiscipline qui choses n’est que le moyen permettant à l’en¬
peut se manifester sous toutes les formes, fant l’accession volontaire à la maîtrise de soi.
disent R. Cousinet et C. Freinet. 2° Du rite au code :
d) Une telle action peut être bénéfique. L’enfant a besoin de découvrir des rites,
— dans ses fins, dans la mesure où l’école c’est sa sécurité. Saint-Exupéry ne disait-il pas:
1030 BULLETIN DE PSYCHOLOGIE

« Des rites, il en faut pour apprivoiser ses morale sociale c’est peut-être la forme élé¬
amis ». mentaire de la Morale. Elle peut aller de la
.

L’enfant a besoin d’un frein à sa spontanéité simple civilité à l’esprit de sacrifice. « Toute
(l’école active explose en spontanéité enfan¬ moralisation est avant tout socialisaton » si,
tine). a contrario, toute socialisation doit porter sa
Résultats: L’enfant a des moyens de liberté moralité propre. Il faut envisager une morale
mais cette liberté doit être aidée. Ici inter¬ active : la classe doit fonctionner tout entière
vient, selon Château, le rôle de l’aîné. L’enfant en équipe sociale.
pour s’affirmer a besoin du groupe. Il faut Les risques d’une telle conception sont évi*
d’autre part que la personne de l’enfant soit dents, mais ils sont moins graves que ceux
disponible. Eduquer un enfant c’est lui ap¬ d’autres formules démissionnaires. Il est dif¬
prendre à se porter lui-même à un niveau ficile d’aligner la vie sur la morale. C’est la
supérieur. Il y a un engagement de soi de morale qui doit s’aligner sur la vie: la simple
manière que l’enfant soit à la fois soi dans occasion de la quotidienneté peut congédier
sa personne et engagé dans son groupe. Une le formalisme.

LE JEU

Nous remarquerons en premier lieu son rôle ment. « L’enfant qui joue ne sait rien des
formateur. Un temps considérable lui est sentiments qui l’animent » (Mlle Rambert).
consacré, même à l’école : les récréations sont L’enfant s’exprime lui-même car il n’y a
denses : elles permettent d’ailleurs au maître jamais jeu de pure imitation. Au delà de cette
de mieux comprendre les enfants. C’est un expression de soi le jeu apparaît comme un
point d’appui solide. accommodement volontaire à l’objet. « L’en¬
fant sort de lui-même » et un dialogue vivant
Définition s’ouvre entre l’enfant et l’outil, sorte d’intro¬
1) psychologique duction à la vie objective. Malgré son syncré¬
2) sociologique tisme l’enfant acquiert la notion de la réalité
3) pédagogique. de cet objet.
1° Définition Corrélative : De plus le jeu est social : l’enfant s’adapte
On assiste à deux grands débats: psychana¬
à un autre car on joue rarement seul, même
lytique et pédagogique. Pour les uns le jeu si le partenaire est figuré : le dédoublement
relève du rêve, pour les autres jeu et travail est déjà assimilation et adaptation à autrui
s’opposent. et aussi à un milieu à une règle. Il n’y a pas
Freinet dit non sans une certaine véhé¬ de jeu sans un minimum de règles. La plu¬
mence « nous ne voulons pas du jeu à l’école, part du temps l’origine sociale vient de l’aîné,
l’enfant doit travailler et non jouer ! ». Mais de toutes les générations qui précédaient en
tous cas.
ses disciples parisiens semblent plus nuancés.
Pour les adultes il y a le temps du jeu et le Caractères de la règle : elle vaut tout le
temps du travail : pour les enfants c’est une temps et ce qui reste est plus important que
activité où règne une atmosphère sentimentale ce qui a changé. C’est un ensemble qui se
et euphorique : ils jouent déjà la grands aven¬ maintient avec rigueur. Tout y est respecté et
ture humaine, leur corps peut travailler, leur elle entraîne une justice immanente. La sanc¬
affectivité joue. tion est irrévocable, terrible en soi, puisqu’elle
Le jeu se distingue du rêve dans la mesure va jusqu’à l’exclusion du jeu. Moyennant quoi,
où il se définit en concret dans le temps et si le jeu est deux, chacun s’y soumet.
dans l’espace ; c’est un acrochage de l’être. La contrainte du jeu s’oppose aux dériva¬
Le jeu est une activité consciente et libre ; tions ou initiatives fâcheuses, tant que le jeu
c’est une activité qui se déploie consciemment, est deux, répétons-le. « Rien n’est plus sérieux
librement, réellement, joyeusement : c’est par que le jeu de l’enfant » d’après J. Château.
là qu’il se tient entre rêve et travail. C’est d’une grande gravité, on joue « pour de
Le Congrès de Zaghreb a mis le jeu de l’en¬ bon ». L’enfant n’a qu’à adapter son action
fant à son ordre du jour. C’est une nécessité aux cadres : il n’a qu’à comprendra le système
vitale pour l’enfant ; c’est une inspiration qui de conventions sociales. Il satisfait un besoin
procède de la plénitude de sa vie affective, c’est d’ordre mais est aidé par le cadre ainrl fourni.
l’expression d’une poussée interne des ten¬ Il n’a pas à faire la découverte d’un type dè
dances les plus profondes. C’est une force vive relations sociales, il s’y soumet. Cette forme
qui jaillit. d’ordre est la première à laquelle accède l’en¬
Le jeu se déploie sans cesse et finalement fant. Il a besoin d’autre part de sécurité : la
l’enfance sert à jouer alors que « les petits règle le rassure sur lui-même, sur les autres.
vieux ne jouent pas », dit J. Chateau. Mais L’unité réside dans cet accord dans le jeu.
c’est déjà l’orientation vers l’extérieur, l’as¬ La création ludique est un élément majeur dè
piration vers un objet, l’entraînement à une la vie de l’enfant, est un facteur d’éducation,
fonction (jeux d’initiation). Il s’agit de l’ex¬ d’assimilation. .

pression plus que d’une fonction : elle ouvre Utilité morale : Le fair play, le respect de
l'être sur autre chose que lui. Les faits exté¬ la règle constituent déjà les règles de mora¬
rieurs vont imposer le jeu ; c’est le défoule lisation. Le jeu est une œuvre, le chef-d’œuvre
J. VIAL : SOCIOLOGIE DE L’EDUCATION 1031

de l’instant. « L’enfant n’est complet que là mun. Sur le plan de l’engagement d’un être
où il joue ». L’école par conséquent se doit disponible, des relations humaines et sociales,
d’intégrer le jeu. Il est très nécessaire qu’un le jeu constitue un ensemble d’apports évi¬
certain nombre d’activités désintéressées se dents, qui sont nets après 6 et 7 ans.
développent dans une atmosphère de liesse, de
tendresse collective et que pour un temps Structure du jeu
l’épanouissement joyeux de l’enfant «le jeu» Les enfants trouvent eux-mêmes les for¬
de son être, devienne pour le pédagogue une mules voulues. Le bon jeu est celui qui com¬
fin en soi. porte quatre ou cinq joueurs sauf qand il
L’emploi pédagogique du jeu, simple moyen s’agit d’une compétition, n peut y avoir un
d’instruction, est fort ancien. Au XV* siècle leader simple ou un véritable chef. Deux for¬
De Veltre avait créé « la maison des jeux » où mules idéales, structurées :
les enfants jouaient en apprenant à lire, à — l’orchestre (harmonie, équipiers concou¬
écrire et à compter. Denis Diderot, ce génie rants)
apaisant, écrivait un jour : « il faut se faire — l’équipe sportive (compétition, équipiers
tout petit pour encourager les petits à se concurrents).
faire grands ». Et c’est en quoi le jeu contri¬ Le leader s’efforce de combiner les diffé¬
bue à former le « je » de l’enfant. rents éléments de son équipe ou de l’orcheslfre.
Utilité sociale : Imaginaire dans ses buts, La densité de vie est exceptionnelle, c’est un
personnel dans ses manifestations, gratuit surcroît d’action, un dépassement qu’aucun
dans ses résultats le jeu paraît difficilement groupe de travail ne peut revendiquer. C’est
s’ouvrir sur le social. Mais le jeu est en réalité l’expression d’une solidarité qui ne se dément
concret, même quand il n’est que verbal, et pas. C’est la souscription à un code différent
ce d’autant plus qu’il est collectif et créateur de l’amoralisme, un code extériorisé, objectivé
par soi. Il est sérieux et se fait aisément com¬ et pleinement consenti.

LA FAMILLE

Nous essaierons de démontrer rapidement le fiante (Lucile Chateaubriand). Remarquons


rôle social (majeur) de la famille et de saisir aussi le rôle de l’aîné. Aussi, par une sorte
ce milieu affectif dans sa structure, dans sa d’accord préétabli, sautant un palier de géné¬
vie, au regard d’une formation implicite ou ration, on note chez les grands-parents une
mieux organisée (Ecole des Parents). disponibilité qui facilite un accrochage sen¬
La place de l’enfant dans la famille a sin¬ timental.
gulièrement varié. Jadis il était pratiquement — le foyer
méconnu ou voué à la vie des adultes (pas C'est un personnage de la famille. La for¬
de ségrégation). La naissance de la famille mule de l’enclos familial offre une sécurité
moderne en même temps que se créait l’Ecole totale (Bachelard). C’est là que chacun se
a réintégré l’enfant dans son véritable milieu. sent « protecteur protégé, vénérant vénéré »
C’est peu à peu que c'est dégagée la prise de (Alain). C’est une synthèse irremplaçable dont
conscience de l’enfant en tant que tel et l’éga¬ l’importance au point de vue de la formation
lité des enfants (droit d’aînesse). Du 17* siècle sociale n’est pas négligeable. Au total, dans
au 20* siècle se poursuit une évolution qui la famille l’amour oblation se substitue à
aboutit au « siècle de l’enfant » (J. Key). La l’amour possession.
famille s’organise autour de l’enfant, elle se Les enfants d’une famille brisée, misérable,
contracte, chacun jouant son rôle. ou des orphelins, restent marqués par leur
— la mère triste sort et les « contacts sociaux restent très
Elle contribue au développement psycholo¬ dificiles avec les mal aimés ». Ces catégories;
gique et par le jeu de sa tendresse éveille le fournissent la majorité des retardés scolaires
sentiment social. Elle est tout amour, et le (Wood) ou des blousons noirs (Berge).
rôle de l’amour maternel a été souvent sou¬ L’enfant est naturellement désaxé s’il lui
ligné dans l’accession à la vie sociale. manque ce cadre naturel (apport très sérieux
— le père des expériences israéliennes). L’enfant unique
C’est le rôle complémentaire de l’autorité souffre de l’abus d’un milieu qui ne joue pas
parentale. Les conséquences directes se mar¬ son rôle : toute sa vie il porte un « sillage
quent sur le caractère plus que sur l’affecti¬ d'amertume » dont parle Vigny. J. Chazal, le
vité. « bon juge », écrit : « Si la famille est inca¬
— le frère pable de donner le chemin du cœur, l’adoles¬
L’enfant parle un certain langage auquel cent cherchera ailleurs ce que n,e lui donne pas
répond mieux un enfant à peu près de son le foyer ».
âge. Les relations ne sont peut-être pas tou¬ « Le milieu familial aide l’enfant à se cons¬
jours harmonieuses mais ces rivalités ne sont tituer sur le modèle des gens qui l’entourent.
elles pas déjà les premières adaptations so¬ C’est à eux qu’il s’identifiera ». La famille est
ciales ? plus qu'un soubassement : elle fournit un sys¬
Soulignons dans les ménages déséquilibrés tème complet d’attitudes envers les gens et
le rôle de la sœur, celle qui remplace une les idées par lesquels les enfants, seront ou
mère morte (Jacqueline Pascal) ou insigni¬ non réceptifs. »
1032 BULLETIN DE PSYCHOLOGIE

C’est la famille
qui apporte le modèle moral climat de tendresse, de conscience affective
de base et établit un code de comportement par excellence. Il s’agit alors de réaliser un
social auquel l’enfant s’accoutume. C’est elle accord entre les idées et les attitudes. Si la
qui établit l’équilibre entre les différents fac¬ famille sait être pertinente et chaleureuse elle
teurs sociaux elle concilie
: des éléments, des agit par elle-même sur la formation sociale
phénomènes, des tendances diverses, comme dans le foyer (rôle des sorties familiales où
elle unit ses membres propres. l’enfant se découvre comme un être dépen¬
La famille est un groupe simple et naturel dant et se reprend comme un être libre).
mais efficace. « Il est inutile de chercher à Mais les relations sociales débordent le cadre
découvrir de complexes mécanismes : elle se strictementfamilial dans la mesure où se pose
saisit d’un trait », dit M. le Directeur géné¬ le problème de l’ouverture sur le monde, de
ral Le Gall, elle est son propre discours et la civilité. « Les bonnes manières sont à la
comporte sa propre sanction. charité c§ que les gestes pieux sont à la dévo¬
Difficultés
tion» disait le janséniste Nicole. L’abbé Bor
— naturelles : il est difficile de concilier delot écrit dans La belle éducation : « Le pre¬
amour et éducation. Il existe d’autre part une mier rôle d’un père et d’une mère est d’ins¬
distance entre parents et enfants. Mais si les truire pour le monde ». La politesse de l’en¬
familles sont condamnées, la famille ne l’est fant n’est certes qu’un sentiment social qui
pas. C’est une valeur sûre même chez ces en¬
peut rester de pure forme ; mais comme les
fants dont les parents sont atteints de « pau¬ enfants ne peuvent séparer forme et fond,
périsme moral », dit un observateur cruel. En¬ c’est tout entiers qu’ils s’engagent. « L’amour
core convient-il d’éduquer les parents (Ecole maternel est le plus énergique des sentiments
altruistes» (A. Courte).
des Parents) et il arrivera que les enfants eux
mêmes y contribuent. Conclusion : L’abordage social est facilité
par la vie de famille. Elle oriente l’enfant pour
Rôle social toute son existence. Même dans le vocabulaire
Il est implicite et tient du jeu même de nous retrouvons une influence persistante de
la famille. La famille est un groupe qui tend la famille qui a marqué la « patrie » et l’hu¬
du biologique au social (Durkheim). C’est le manité que nous souhaiterions « fraternelle ».

L’EDUCATION SOCIALE DE LA JEUNESSE


Définition : « L’éducation sociale est un en¬ fluence toute la jeunesse française.
semble de mesures implicites et explicites vi¬ 3° Enseignements: Il serait bon de définir
sant à l’intégration de Findividu dans son mi¬ la pédagogie sociale de l’adolescence. C’est
lieu». A cette définition reprise par M. Lerbet l’âge où l’on assume ses derniers apprentis¬
(D.E.S. Sorbonne) ajoutons l’idée d’intégration sages professionnels, sentimentaux, civiques.
bénéfique. C’est l’âge de l’adaptation « parfois drama¬
Les loisirs des jeunes tique » (M. Debesse) au monde de l’adulte.
et la formation sociale Le conflit des générations est inévitable : les
(une enquête de M. Lerbet, ci-dessus nommé): adultes ont beau multiplier leurs perfor¬
Les jeunes sont bien disposés à recevoir une mances, les adolescents attendent plus encore,
éducation sociale. et la compréhension entre générations ren¬
Quelle est V influence
1° réelle du mouve¬ contre de multiples obstacles qu’acroît le
ment sur le jeune ? rythme plus vif de l’histoire (J. Rousselin).
16 % des membres viennent quotidienne¬ L’action est triple
ment ; les cadres davantage. — le milieu de jeunes agit en tant que tel.
Petites différences entre ce que pensent les — le mouvement de jeunes marque par son
jeunes et ce que pensent les cad’res. dynamisme.
2° Que désirent les jeunes, que cherchent — l’organisation des jeunes autorise l’auto¬
ils ? gestion, l’autoéducation, l’alternance fin
— le sens des responsabilités moyen se manifestant.
— la vie en groupe Fin Moyen
— l’intelligence sociale Pour le j eune action esprit civique
— le sens civique Pour l’éducateur esprit civique action
— des connaissances objectives. D’où l’intérêt d’une analyse sociologique de
Pour les jeunes l’information joue un rôle ces mouvements, de leur action, particulière¬
important (conférences) mais ce qui les in¬ ment lorsque s’opère l’ascension du militant à
téresse surtout c’est la création des clubs. l’animateur lorsque le divertissement fait
L’éducation des relations humaines. place à la création, à l’autogestion, lorsque
L’intégration totale est proposée par les l’action se fait collective dans ses buts autant
cadres et réclamée par les jeunes qui exigent que dans ses moyens. Une pédagogie s’élabore,
un idéal. Ils se sentent à l’aise dans les mou¬ spécifiée, encore incertaine dans les Mouve¬
vements de jeunesse car ils ressentent très vi¬ ments de Jeunesse, d’adolescents. «Heureux
vement la nécessité, le plaisir de travailler, de ceux qui auront vécu et créé dans les mouve¬
vivre en groupe. ments de jeunes : les portes de l’avenir leur
Phénomène de sociocentrisme. sont ouvertes» (J. Vial).
Les jeunes pensent que leur mouvement in¬ FIN DU COURS

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