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Vial Jean. Sociologie de l’éducation et éducation sociale . In: Bulletin de psychologie, tome 15 n°210, 1962. pp. 1027-
1032;
doi : https://doi.org/10.3406/bupsy.1962.8754;
https://www.persee.fr/doc/bupsy_0007-4403_1962_num_15_210_8754;
Sociologie de l’éducation
et éducation sociale
LA VOCATION SOCIALE
« Des rites, il en faut pour apprivoiser ses morale sociale c’est peut-être la forme élé¬
amis ». mentaire de la Morale. Elle peut aller de la
.
L’enfant a besoin d’un frein à sa spontanéité simple civilité à l’esprit de sacrifice. « Toute
(l’école active explose en spontanéité enfan¬ moralisation est avant tout socialisaton » si,
tine). a contrario, toute socialisation doit porter sa
Résultats: L’enfant a des moyens de liberté moralité propre. Il faut envisager une morale
mais cette liberté doit être aidée. Ici inter¬ active : la classe doit fonctionner tout entière
vient, selon Château, le rôle de l’aîné. L’enfant en équipe sociale.
pour s’affirmer a besoin du groupe. Il faut Les risques d’une telle conception sont évi*
d’autre part que la personne de l’enfant soit dents, mais ils sont moins graves que ceux
disponible. Eduquer un enfant c’est lui ap¬ d’autres formules démissionnaires. Il est dif¬
prendre à se porter lui-même à un niveau ficile d’aligner la vie sur la morale. C’est la
supérieur. Il y a un engagement de soi de morale qui doit s’aligner sur la vie: la simple
manière que l’enfant soit à la fois soi dans occasion de la quotidienneté peut congédier
sa personne et engagé dans son groupe. Une le formalisme.
LE JEU
Nous remarquerons en premier lieu son rôle ment. « L’enfant qui joue ne sait rien des
formateur. Un temps considérable lui est sentiments qui l’animent » (Mlle Rambert).
consacré, même à l’école : les récréations sont L’enfant s’exprime lui-même car il n’y a
denses : elles permettent d’ailleurs au maître jamais jeu de pure imitation. Au delà de cette
de mieux comprendre les enfants. C’est un expression de soi le jeu apparaît comme un
point d’appui solide. accommodement volontaire à l’objet. « L’en¬
fant sort de lui-même » et un dialogue vivant
Définition s’ouvre entre l’enfant et l’outil, sorte d’intro¬
1) psychologique duction à la vie objective. Malgré son syncré¬
2) sociologique tisme l’enfant acquiert la notion de la réalité
3) pédagogique. de cet objet.
1° Définition Corrélative : De plus le jeu est social : l’enfant s’adapte
On assiste à deux grands débats: psychana¬
à un autre car on joue rarement seul, même
lytique et pédagogique. Pour les uns le jeu si le partenaire est figuré : le dédoublement
relève du rêve, pour les autres jeu et travail est déjà assimilation et adaptation à autrui
s’opposent. et aussi à un milieu à une règle. Il n’y a pas
Freinet dit non sans une certaine véhé¬ de jeu sans un minimum de règles. La plu¬
mence « nous ne voulons pas du jeu à l’école, part du temps l’origine sociale vient de l’aîné,
l’enfant doit travailler et non jouer ! ». Mais de toutes les générations qui précédaient en
tous cas.
ses disciples parisiens semblent plus nuancés.
Pour les adultes il y a le temps du jeu et le Caractères de la règle : elle vaut tout le
temps du travail : pour les enfants c’est une temps et ce qui reste est plus important que
activité où règne une atmosphère sentimentale ce qui a changé. C’est un ensemble qui se
et euphorique : ils jouent déjà la grands aven¬ maintient avec rigueur. Tout y est respecté et
ture humaine, leur corps peut travailler, leur elle entraîne une justice immanente. La sanc¬
affectivité joue. tion est irrévocable, terrible en soi, puisqu’elle
Le jeu se distingue du rêve dans la mesure va jusqu’à l’exclusion du jeu. Moyennant quoi,
où il se définit en concret dans le temps et si le jeu est deux, chacun s’y soumet.
dans l’espace ; c’est un acrochage de l’être. La contrainte du jeu s’oppose aux dériva¬
Le jeu est une activité consciente et libre ; tions ou initiatives fâcheuses, tant que le jeu
c’est une activité qui se déploie consciemment, est deux, répétons-le. « Rien n’est plus sérieux
librement, réellement, joyeusement : c’est par que le jeu de l’enfant » d’après J. Château.
là qu’il se tient entre rêve et travail. C’est d’une grande gravité, on joue « pour de
Le Congrès de Zaghreb a mis le jeu de l’en¬ bon ». L’enfant n’a qu’à adapter son action
fant à son ordre du jour. C’est une nécessité aux cadres : il n’a qu’à comprendra le système
vitale pour l’enfant ; c’est une inspiration qui de conventions sociales. Il satisfait un besoin
procède de la plénitude de sa vie affective, c’est d’ordre mais est aidé par le cadre ainrl fourni.
l’expression d’une poussée interne des ten¬ Il n’a pas à faire la découverte d’un type dè
dances les plus profondes. C’est une force vive relations sociales, il s’y soumet. Cette forme
qui jaillit. d’ordre est la première à laquelle accède l’en¬
Le jeu se déploie sans cesse et finalement fant. Il a besoin d’autre part de sécurité : la
l’enfance sert à jouer alors que « les petits règle le rassure sur lui-même, sur les autres.
vieux ne jouent pas », dit J. Chateau. Mais L’unité réside dans cet accord dans le jeu.
c’est déjà l’orientation vers l’extérieur, l’as¬ La création ludique est un élément majeur dè
piration vers un objet, l’entraînement à une la vie de l’enfant, est un facteur d’éducation,
fonction (jeux d’initiation). Il s’agit de l’ex¬ d’assimilation. .
pression plus que d’une fonction : elle ouvre Utilité morale : Le fair play, le respect de
l'être sur autre chose que lui. Les faits exté¬ la règle constituent déjà les règles de mora¬
rieurs vont imposer le jeu ; c’est le défoule lisation. Le jeu est une œuvre, le chef-d’œuvre
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de l’instant. « L’enfant n’est complet que là mun. Sur le plan de l’engagement d’un être
où il joue ». L’école par conséquent se doit disponible, des relations humaines et sociales,
d’intégrer le jeu. Il est très nécessaire qu’un le jeu constitue un ensemble d’apports évi¬
certain nombre d’activités désintéressées se dents, qui sont nets après 6 et 7 ans.
développent dans une atmosphère de liesse, de
tendresse collective et que pour un temps Structure du jeu
l’épanouissement joyeux de l’enfant «le jeu» Les enfants trouvent eux-mêmes les for¬
de son être, devienne pour le pédagogue une mules voulues. Le bon jeu est celui qui com¬
fin en soi. porte quatre ou cinq joueurs sauf qand il
L’emploi pédagogique du jeu, simple moyen s’agit d’une compétition, n peut y avoir un
d’instruction, est fort ancien. Au XV* siècle leader simple ou un véritable chef. Deux for¬
De Veltre avait créé « la maison des jeux » où mules idéales, structurées :
les enfants jouaient en apprenant à lire, à — l’orchestre (harmonie, équipiers concou¬
écrire et à compter. Denis Diderot, ce génie rants)
apaisant, écrivait un jour : « il faut se faire — l’équipe sportive (compétition, équipiers
tout petit pour encourager les petits à se concurrents).
faire grands ». Et c’est en quoi le jeu contri¬ Le leader s’efforce de combiner les diffé¬
bue à former le « je » de l’enfant. rents éléments de son équipe ou de l’orcheslfre.
Utilité sociale : Imaginaire dans ses buts, La densité de vie est exceptionnelle, c’est un
personnel dans ses manifestations, gratuit surcroît d’action, un dépassement qu’aucun
dans ses résultats le jeu paraît difficilement groupe de travail ne peut revendiquer. C’est
s’ouvrir sur le social. Mais le jeu est en réalité l’expression d’une solidarité qui ne se dément
concret, même quand il n’est que verbal, et pas. C’est la souscription à un code différent
ce d’autant plus qu’il est collectif et créateur de l’amoralisme, un code extériorisé, objectivé
par soi. Il est sérieux et se fait aisément com¬ et pleinement consenti.
LA FAMILLE
C’est la famille
qui apporte le modèle moral climat de tendresse, de conscience affective
de base et établit un code de comportement par excellence. Il s’agit alors de réaliser un
social auquel l’enfant s’accoutume. C’est elle accord entre les idées et les attitudes. Si la
qui établit l’équilibre entre les différents fac¬ famille sait être pertinente et chaleureuse elle
teurs sociaux elle concilie
: des éléments, des agit par elle-même sur la formation sociale
phénomènes, des tendances diverses, comme dans le foyer (rôle des sorties familiales où
elle unit ses membres propres. l’enfant se découvre comme un être dépen¬
La famille est un groupe simple et naturel dant et se reprend comme un être libre).
mais efficace. « Il est inutile de chercher à Mais les relations sociales débordent le cadre
découvrir de complexes mécanismes : elle se strictementfamilial dans la mesure où se pose
saisit d’un trait », dit M. le Directeur géné¬ le problème de l’ouverture sur le monde, de
ral Le Gall, elle est son propre discours et la civilité. « Les bonnes manières sont à la
comporte sa propre sanction. charité c§ que les gestes pieux sont à la dévo¬
Difficultés
tion» disait le janséniste Nicole. L’abbé Bor
— naturelles : il est difficile de concilier delot écrit dans La belle éducation : « Le pre¬
amour et éducation. Il existe d’autre part une mier rôle d’un père et d’une mère est d’ins¬
distance entre parents et enfants. Mais si les truire pour le monde ». La politesse de l’en¬
familles sont condamnées, la famille ne l’est fant n’est certes qu’un sentiment social qui
pas. C’est une valeur sûre même chez ces en¬
peut rester de pure forme ; mais comme les
fants dont les parents sont atteints de « pau¬ enfants ne peuvent séparer forme et fond,
périsme moral », dit un observateur cruel. En¬ c’est tout entiers qu’ils s’engagent. « L’amour
core convient-il d’éduquer les parents (Ecole maternel est le plus énergique des sentiments
altruistes» (A. Courte).
des Parents) et il arrivera que les enfants eux
mêmes y contribuent. Conclusion : L’abordage social est facilité
par la vie de famille. Elle oriente l’enfant pour
Rôle social toute son existence. Même dans le vocabulaire
Il est implicite et tient du jeu même de nous retrouvons une influence persistante de
la famille. La famille est un groupe qui tend la famille qui a marqué la « patrie » et l’hu¬
du biologique au social (Durkheim). C’est le manité que nous souhaiterions « fraternelle ».