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Catholique
86 e année - Tiré à part des 3203 - 3204 - 3205 mars 2010
ISSN 0015-9506
Les docteurs et l
T
out chrétien est un mystique même connues, mais on observe des dominantes natio-
s’il l’ignore, du moins doit-il l’être nales au lendemain du Moyen Âge. Au XVIe siècle
pour vivre sa foi. Le plus souvent on c’est l’Espagne mystique qui brille, au XVIIe siècle
considère que cette dimension de la c’est le tour de la France, puis au XVIIIe siècle
vie chrétienne relève de la spiritua- c’est l’Italie. Au XIXe siècle la situation est mar-
lité de chacun ne nécessitant pas de quée par le déclin de la mystique compensé par
formation particulière et par ailleurs la multiplication des épiphanies mariales qui se
on note qu’elle ne se prête pas à un enseigne- poursuivent au XXe siècle. Aujourd’hui on assiste
ment systématique comme la théologie morale à une sorte de « mondialisation » des charismes
par exemple. Le résultat peut être résumé en une mystiques donnant naissance à des dévotions
phrase : l’affectivité n’est pas évangélisée, ou ne adaptées aux nouvelles mentalités. Au XXe siècle,
l’est pas suffisamment. Cette situation n’est pas la sœur polonaise sainte Faustine est l’exemple
vraiment nouvelle, mais ce qui est nouveau c’est
l’esprit de notre temps où l’émotionnel orchestré
Chaque d’un sommet mystique parmi d’autres révélations
moins connues et remarquables.
par bien des facteurs, humains et techniques, est docteur est Quel usage fait-on de ces trésors de spiri-
devenu envahissant. La science n’a pas manqué tualité ? Dans le clergé la réserve, parfois l’oppo-
de s’y intéresser et même de proposer des solu- un univers sition, sont souvent la règle, faute de formation
tions, mais son registre est purement humain,
un humain blessé, qui ne tient pas compte du
original qui préalable ou par souci de privilégier l’action. Un
changement d’attitude serait souhaitable dans
surnaturel. doit être un monde comme affolé par l’absence de repères
Il existe des mystiques naturelles que Maritain notamment au plan affectif. La nature humaine,
proposait d’appeler des mystiques du miroir par étudié pour manipulée par les idéologies et les techniques, est
opposition à la mystique chrétienne qualifiée de
mystique du feu. C’est d’elle dont il sera question
lui-même faite pour l’amour et la vérité (Caritas in Veritate).
C’est la mystique qui peut aider nos contempo-
ici en vue de prendre la mesure des besoins et rains à trouver la paix intérieure et avec la paix,
des ressources qui sont offertes par la tradition la joie intérieure. Le clergé est au premier rang
catholique principalement. des chercheurs de paix et le modèle qui lui a été
La philosophie est au service de la théologie donné avec le curé d’Ars est tout un programme
qui est fondée sur la Révélation et est devenue, et un programme où la mystique est très présente.
avec la scolastique, une science. Elle doit garan- Le dossier proposé ici comportera quatre
tir l’orientation de la mystique qui vit de la foi, contributions. Les deux premières sur Thérèse
mais ne procède pas à l’aide de concepts. C’est la d’Avila et François de Sales ont été confiées à des
charité qui lui donne son mouvement, la mystique auteurs universitaires : Isabelle Alvira dont l’impo-
est une force unifiante qui couronne tous les sante thèse porte sur La vision de l’homme selon
savoirs. Le Christ est venu apporter le feu sur la Thérèse d’Avila (F.-X. de Guibert, 1994), et Hélène
terre et c’est son humanité qui est le chemin de Michon qui enseigne à l’université Rabelais de
la montée mystique vers l’union puis l’unité. Les Tours et a publié récemment un maître ouvrage
mystiques catholiques sont d’une merveilleuse sur François de Sales, une nouvelle mystique (Cerf,
variété et contrairement à la tradition orthodoxe 2008). Les deux autres contributions sont celles
qui ne connaît pas de femmes mystiques formel- de prêtres : Mgr Pascal Ide, prêtre du diocèse de
lement reconnues, la tradition catholique, elle, Paris et membre de la Communauté de l’Emma-
est riche depuis mille ans de mystiques féminines. nuel, qui vient de soutenir une thèse de théologie
L’ensemble
L’avènement des mystiques féminines a d’ailleurs à l’Institut catholique de Paris sur Le don chez
du dossier
coïncidé avec celui de la scolastique occidentale Hans Urs von Balthasar et Patrick de Laubier, pro-
forme un tout
menacée par le rationalisme. fesseur honoraire de l’université de Genève, qui a
ouvert au débat.
Les différents ordres ont donné à l’Église des notamment écrit sur les mystiques contemporains
mystiques hommes et femmes, leurs œuvres sont (Gabrielle Bossis, Maria Valtorta, etc.). n
2 FRANCECatholique 2010
la mystique Dossier réuni par Don Patrick de LAUBIER
D
ix docteurs de l’Église sur trente- Bartolomé
trois of frent un enseignement Esteban
Murillo :
sur la vie proprement mystique, il Saint
s’agit des saints suivants : Éphrem Augustin,
le Syrien, Augustin, Bernard de La Vierge et
Clairvaux, Bonaventure, Catherine l'Enfant Jésus
de Sienne, Thérèse d’Avila, Jean de (1664).
la Croix, François de Sales, Alphonse de Liguori,
Thérèse de l’Enfant Jésus. Il y a trois femmes et un
diacre. Parmi les prêtres quatre sont des évêques.
Il y a six moines ou moniales. Selon les nations
actuelles, trois sont italiens, trois sont français et
deux espagnols. Deux sont de l’âge patristique,
trois du Moyen Âge et cinq de l’époque moderne
et contemporaine. On peut dire que la catégo-
rie la plus représentée est celle du monachisme
dans la période moderne et contemporaine (XVIe-
XXe siècle). Chaque docteur est un univers original
qui doit être étudié pour lui-même. Il y a pourtant
des traits communs et si tous n’ont pas commenté
le Cantique des cantiques comme l’ont fait saint
Bernard et saint Jean de la Croix, tous s’en sont
inspirés.
Il faut citer ici dom Guéranger à propos de
sainte Gertrude : On a remarqué que chez les
auteurs mystiques, l’amour divin emprunte sou-
vent le langage de l’amour profane. La remarque
est naïve assurément ; mais ne serait-ce pas au
contraire l’amour humain qui aurait dérobé à
l’amour divin ses expressions enflammées ?
Les poèmes d’Éphrem de Nisibe sont des
© JUNG ESPRIT-PHOTO.COM
Sainte Thérèse d’Avila (1515-1582), l’amour de Dieu pour nous ? Comment le décou-
vrir ? Comment se manifeste-il ? Et l’homme, peut-
réformatrice du Carmel, première femme il vraiment aimer Dieu ? Que doit-il faire ? Y a-t-
docteur de l’Église avec sainte Catherine il un lien entre l’amour de Dieu et des autres ?
de Sienne (1970), est l’une des figures Thérèse, forte de son savoir, répond aux grandes
questions que nous nous posons sur ce sujet fon-
mystiques les plus influentes de damental.
ces derniers siècles.
T
hérèse , si séduite dans sa jeunesse par L’amour de Dieu pour l’homme
les romans de chevalerie, a laissé à la
postérité des romans d’amour, bien plus La première difficulté consiste à découvrir
passionnants encore, entre Dieu et elle. et à croire à l’amour que Dieu nous porte. Il ne
Ses écrits, rédigés à la première personne, fait acception de personne ; Il aime tout le monde
nous introduisent dans une aventure réellement (V 27). Dieu n’a de cesse de nous manifester son
vécue, palpitante, montrant à la fois l’action de amour : Votre Majesté cherche mille moyens, mille
Dieu dans son âme et sa réponse, avec des dia- voies, mille inventions pour nous montrer l’amour
logues débordants de tendresse, de simplicité qu’Elle nous porte. Et nous, si peu exercés à vous
et d’humour. Sa relation avec Dieu a enflammé
et transformé son âme et celle d’innombrables
Seulement aimer, nous en faisons peu de cas (PAD 1).
En outre, nous savons que pour que l’amour
personnes à travers les siècles. Et cela parce que certains soit vrai et l’amitié durable, il faut la parité de
l’histoire de la sainte d’Avila, dans sa singularité, conditions (V 8). Que faire alors pour surmon-
comporte un message universel. reçoivent le ter un tel obstacle ? C’est Dieu et lui seul qui
Elle nous raconte ses expériences humaines et
divines avec un langage populaire, dépourvu de
cadeau d'une peut l’aplanir, en se donnant le premier et en
nous donnant son propre amour afin que nous
Catholique
86 e année Hebdomadaire n° 3204 - 19 mars 2010 3€
ISSN 0015-9506
François de Sales
DOSSIER
LES DOCTEURS ET LA MYSTIQUE (2e partie)
François de Sale
S
Ce samedi 20 mars, à partir de 7 h 30, les Grand Siècle demeure pour beau-
s
d'en-Haut. Ci dessous : chapelle
de l'anthropologie
conventuelle du XVIIe siècle. Décor
peint en 1666 pour la célébration de la
canonisation de saint François de Sales.
à la mystique
Page précédente : détail du décor peint
sous la tribune de la chapelle. Pose de la
première pierre par Christine de France
et François de Sales en 1619.
de l’âme vers Dieu, à la connaissance de soi et consacré à la vie dévote qu’à celui consacré à la
au combat ascétique vie mystique : le Traité de l’Amour de Dieu.
François de Sales se démarque, de ce point Une C’est que l’auteur de l’Introduction à la vie
de vue, de ses prédécesseurs : l’Introduction à la
vie dévote constitue, en effet, une solution de
anthropologie dévote développe ce que nous pourrions appe-
ler une anthropologie de la convenance entre
continuité puisqu’elle marque le passage d’une de la l’homme et Dieu, qui n’est pas sans modifier
littérature centrée sur le combat à une littéra- par voie de conséquence son appréhension de
ture centrée sur la dévotion. Si le combat ascé- convenance la vie de relation avec Dieu. Pour lui, en effet, le
tique y est certes reconnu comme nécessaire,
il ne fonctionne pas comme point de départ de
entre l'homme rapport qui existe entre l’homme et Dieu n’est
pas de disproportion, d’infinie distance mais
l’itinéraire qui conduit l’âme à Dieu. Ce nouvel et Dieu tout au contraire de convenance, de similitude,
éclairage se vérifie aussi bien dans son ouvrage de proportion. L’homme a conservé avec Lui une
P
our célébrer le quatrième centenaire de l’ordre brodées de fils de soie, véritables peintures exécutées à
de la Visitation Sainte-Marie et rendre hommage à l’aiguille. Ou encore des croix reliquaires en argent portées
ses fondateurs, le Musée dauphinois propose une par les sœurs.
nouvelle lecture du lieu qu’il occupe depuis 1968, Plus loin, dans le chœur des religieuses, un nouvel
au fil d’un parcours qui traverse le monastère. entretien filmé de l’historienne Anne Cayol-Gerin replace
Une invitation à mieux appréhender les fondements d’un la naissance de l’ordre de la Visitation Sainte-Marie dans le
ordre religieux et à découvrir l’histoire mouvementée du contexte politique et religieux du XVIIe siècle. Marqué par
monastère de Sainte-Marie d’en-Haut. la Réforme catholique incarnée par le concile de Trente, ce
Sous les arcades du cloître, la statue de François de siècle connaît, selon ses propos , « le plus grand mouvement
Sales a retrouvé sa place dans le monastère après une de reprise en main de l’Église ». Un mouvement qui
absence de plusieurs décennies. Elle semble veiller entraîne la multiplication des monastères à Grenoble.
à nouveau sur ce lieu et annonce le début du parcours De beaux portraits, dont celui de Jeanne de Chantal
de visite. Peu après, un premier écran vidéo délivre le prêté par le monastère de la Visitation de Voiron, ou celui
témoignage d’une visitandine du monastère du May à d’une ursuline qui lui fait face, ornent les murs austères du
Voiron sur son engagement spirituel : « J’avais 16 ans, chœur des religieuses. Près de la grille de la chapelle est
confie-t-elle, lorsque le sermon d’un prêtre a déterminé installé le portrait de François de Sales.
ma vie : "Le Christ continue d’appeler des jeunes gens à Il faut ensuite franchir la grille qui isolait les visitandines
Lui consacrer leur vie comme Il l’a fait à Nazareth sur et entrer dans la chapelle, joyau de l’art baroque. Rare
les chemins de Galilée. Ce n’est pas Lui qui n’appelle témoignage d’un décor peint d’après les instructions du
plus, c’est nous qui entendons mal. Dans cette assemblée, père jésuite Claude-François Ménes trier, ces peintures
n’y aura-t-il pas un jeune homme ou une jeune fille qui, réalisées par Tous saint-Largeot pour célébrer la
entendant ce que je viens de dire, comprendra soudain canonisation de François de Sales, reprennent sens grâce
cela : C’est pour moi ?" J’ai reçu ces mots en aux explications données par Gérard Sabatier
plein cœur et n’ai pas douté un instant que « Le plus grand dans un entretien filmé. Historien, auteur
le Christ me les adressait. Inutile de décrire
le combat qui a suivi la joie profonde que j’ai
mouvement de de l’ouvrage Claude-François Ménestrier,
les jésuites et le monde des images, Gérard
éprouvée alors… Un combat qui a duré des reprise en main Sabatier dévoile avec passion les mystères
années, jusqu’au moment où je n’ai plus pu d’un décor conçu pour faire l’éloge du saint
reculer pour rejoindre la vie contemplative. de l'Église » mais aussi pour immortaliser les grands
Mais il a d’abord fallu choisir un ordre épisodes de l’histoire de la Visitation.
monastique. La lecture des lettres d’amitié Enfin, dans la chapelle latérale dédiée
de François de Sales a emporté mon choix et j’ai voulu en à saint François de Sales et à la Vierge, le tableau de
quelque sorte le suivre… Peu à peu, la vie en Visitation, par Jacques-André Treillard (1712–1794) a repris sa place en
sa simplicité, par sa cordialité, par cet appel à l’humilité et surplomb de l’autel. Il représente le saint en habit d’évêque
à la douceur, m’a attirée. Et j’ai progressivement compris accueillant dans les cieux sainte Jeanne de Chantal revêtue
la richesse, la profondeur de cette page d’Évangile : la de l’habit de visitandine.
rencontre de Marie et d’Élisabeth, rencontre de l’homme Entièrement dépoussiéré et traité pour raviver les
avec son Dieu et surtout de Dieu avec chaque homme. Et couleurs, le retable de cette chapelle resplendit. Et depuis
pouvoir passer ma vie à chanter cette page d’Évangile est quelques jours, la porte du tabernacle, subtilisée dans
une joie profonde, une joie que je suis toujours heureuse de les années 1970, est reconstituée à l’identique d’après
partager avec tous ceux qui viennent dans notre monastère photographies. Elle montre un pélican nourrissant ses petits
et tous ceux que j’approche d’une manière ou d’une autre. dans leur nid.
Et comme disaient les prédicateurs autrefois : "C’est la grâce
que je vous souhaite. Amen." » Musée dauphinois, 30, rue Maurice Gignoux, 38031
La visite se prolonge dans le couloir qui conduit à la Grenoble cedex 1. Ouvert tous les jours (10h-18h), sauf le
chapelle où est relatée l’histoire réactualisée du monastère, mardi et le 1er mai. Entrée gratuite. Tél. : 04.57.58.89.01,
enrichie des dernières recherches et complétée de www.musee-dauphinois.fr
Vient de paraître : Chantal Spillemaecker, Sainte-Marie
nouveaux objets de dévotion provenant des collections du d’en-Haut à Grenoble. Quatre siècles d’histoire, Éd. Musée
musée et du monastère de la Visitation de Voiron. Ainsi sont dauphinois, 120 pages tout en couleur, 15 €. Lire aussi :
exposés en vitrine des ouvrages réalisés par les religieuses Gérard Sabatier, Claude-François Ménestrier, les jésuites et le
au XVIIe siècle, telles ces bourses de toile satinée, finement monde des images, PUG, 335 pages + CD audio, 35 €.
Chapelle de Sainte-Marie
réelle convenance : Nous sommes créés à l’image d'en-Haut. Détail du senti. Il nous faut répondre par la négative, car
et semblance de Dieu : qu’est-ce à dire cela, sinon décor de 1666 : Vase l’auteur n’hésite pas à qualifier cette inclination
que nous avons une extrême convenance avec sa symbolisant l'esprit de de secrète : Ce n’est pas possible qu’un homme
divine Majesté ? (1) saint François de Sales pensant attentivement à Dieu, voire même par
Dans le chapitre XV intitulé De la convenance éclatant de lumière. le seul discours naturel, ne ressente un certain
qui est entre l’homme et Dieu, François de Sales élan d’amour que la secrète inclination de notre
adopte alors un langage essentiellement psy- nature suscite au fond du cœur. (2)
chologique : l’homme a besoin de Dieu ; et réso- Cette secrète inclination, si elle se trouve en
lument anthropomorphique, afin de souligner la nous, ne vient pas de nous. En effet, l’adjectif
réciprocité : Dieu a besoin de l’homme. Certes, les secret possède dans la langue classique, comme
besoins ne sont pas de même nature : l’homme
a grand besoin et grande capacité de recevoir
Le double en témoigne Furetière, le double sens de ce que
l’on tient caché et de ce que l’on ne connaît pas.
du bien, Dieu a grande abondance et grande sens de ce Cette inclination peut bien se trouver en nous,
inclination pour en donner, mais il reste que tout en nous étant secrète, inconnue. Le texte
notre auteur utilise les mêmes termes dans les que l'on tient de François de Sales nous le confirme : l’hono-
deux cas. De sorte que dans le Traité, François
de Sales disserte autant sur le désir de Dieu de
caché et de ce rable inclination que Dieu a mise en nos âmes. (3)
Celle-ci est donc la trace, le mémorial de l’action
l’homme que sur le désir de l’homme de Dieu. que l'on ne de Dieu en nous : il y a bien en l’homme une pré-
La convenance est-elle synonyme d’inclina- sence de Dieu sous la forme d’une inclination. La
tion ? La convenance pourrait être vue comme connaît pas différence alors entre convenance et inclination
échappant à la sphère de la conscience, l’incli- ne serait pas de l’ordre de conscient / incons-
nation, elle, appartenant au domaine du res- cient mais plutôt une relation de cause à effet :
Né en 1957, Pascal Ide notre époque, a appelé à une théolo- frayeur non seulement parce que j’ai
gie plus enracinée dans la vie de prière. conscience qu’il m’a manqué plus d’une
est prêtre du diocèse Voire, préfet de la Doctrine de la foi, fois la charité à votre égard, mais plus
de Paris et membre Joseph Ratzinger proposait un suggestif encore parce que ma modeste activité
raccourci historique : « Le discours de la théologique m’a paru bien loin de cette
de la Communauté de connexion entre théologie et sainteté haute vocation à la sainteté qu’on vient
l'Emmanuel. Médecin, n’est pas un discours sentimental ou d’assigner au théologien. (4) » La théolo-
docteur en philosophie et pieux, mais trouve son fondement dans gie plus traditionnelle ne semble guère
la logique même des choses et a pour priser non plus la piété en théologie. Le
en théologie, il est l'auteur elle le témoignage de toute l’histoire. professeur de Fribourg, grand spécialiste
de très nombreux livres. Athanase n’est pas pensable sans la de saint Thomas, qu’était le père Jean-
nouvelle expérience du Christ faite par Hervé Nicolas disait : « Saint Paul dit
Il conclut pour nous le l’abbé Antoine, Augustin sans la pas- que ‘la piété est utile à tout’. Oserais-je
dossier rassemblé par le sion de son chemin vers la radicalité gloser ce mot en ajoutant : ‘en théologie,
Père Patrick de Laubier chrétienne, Bonaventure et la théologie elle ne suffit à rien’. » Et de citer le mot
franciscaine au XIIIe siècle sans la nou- de Jésus : « Ce n’est pas en me disant :
sur les Docteurs de l'Église velle et immense réalisation du Christ Seigneur, Seigneur, qu’on entrera dans
et la mystique.* dans la figure de saint François d’As- le Royaume des Cieux » (Mt 7,21). Et
sise, Thomas d’Aquin sans la passion de il ajoutait qu’en matière de théologie
D
Dominique pour l’Évangile et l’évangé- mariale, bien des errements sont dus à
a n s u n a r t i c l e justement lisation ; et l’on pourrait continuer ainsi la fausse conviction « que la piété pou-
célèbre, dont la première tout au long de l’histoire de la théolo- vait suppléer une réflexion sérieuse et
publication remonte à 1948, gie. (2) » exigeante. (5) »
le grand théologien suisse Certains s’alarmeront que la mys-
Hans Urs von Balthasar écri- tique, la sainteté ou la spiritualité N’opposons pas ce qui doit être uni.
vait : « Que depuis la haute scolastique chrétiennes soient proposées comme Dom Jean Leclercq a montré que, au
il n’y ait plus eu qu’un petit nombre voie obligée du renouvellement de la douzième siècle, la théologie monas-
de théologiens qui furent des saints, théologie actuelle. Les craintes et les tique et la théologie scolastique avaient
c’est peut-être dans l’histoire de la objections ne manqueront pas : émo- vivement conscience de leur complé-
théologie catholique l’un des faits les tionnalisme, subjectivisme, fidéisme, mentarité, le moine étant « ordon-
moins remarqués et pourtant les plus et autres « ismes ». Une telle approche né à la spiritualité » et le clerc « à la
dignes d’attention ». Inversement, n’est-elle pas trop identitaire ? À être science (6) ». Chacune des positions ici
jusqu’au treizième siècle, « les grands trop confessante, la théologie ne risque- esquissée présente une part de vérité
saints […] étaient aussi, pour la plu- t-elle pas de faire fi de l’exigence cri- à sauver. D’un côté, on ne saurait nier,
part d’entre eux, de grands dogmati- tique ? À Jean-Yves Lacoste qui affirme dans l’histoire, un éloignement progres-
ciens (1) ». Certes, depuis sept siècles, que la théologie est l’effort d’une foi sif entre spiritualité et théologie. Le 1er
les grands spirituels ne manquent pas. « en quête de charité et déjà mûe par décembre 2009, dans une homélie aux
Mais quel théologien de l’ampleur d’un la charité », précisant que, pour les membres de la Commission théologique
Origène, d’un saint Augustin ou d’un Pères, « elle s’identifie avec la plus haute internationale, Benoît XVI commentait
saint Thomas, c’est-à-dire ayant « inter- contemplation et s’élabore dans l’ex- ainsi le passage où Jésus bénit son Père
prété la Révélation dans sa plénitude », périence des saints aussi certainement d’avoir caché son mystère aux sages
a été canonisé durant cette période ? et plus que dans celle des docteurs (3) », pour le révéler aux petits (Mt 11,25-
À plusieurs reprises, le pape actuel, qui Marcel Neusch répond, non sans iro- 27) : « On pourrait facilement citer de
est l’un des plus grands théologiens de nie : « En lisant cela, j’ai été pris de grands noms de l’histoire de la théo-
18 FRANCECatholique 2010
ystiques ?
logie de ces deux cents ans, dont nous pendant le haut Moyen Âge, le cher- logien n’est plus seulement ni même
avons beaucoup appris, mais le mystère cheur à partir de la Renaissance. Certes, d’abord un maître qui expose la doctrine
ne s’est pas ouvert aux yeux de leur on pourrait apporter bien des nuances à ses élèves, répond à leurs questions,
cœur. En revanche, il y a aussi à notre et des précisions, par exemple, en intro- voire dispute avec eux, mais celui qui
époque des petits qui ont connu ce mys- duisant les moines entre les évêques et cherche. Son émergence s’associe à deux
tère. Nous pensons à sainte Bernadette les enseignants universitaires, mais le évolutions : de la compétence généra-
Soubirous ; à sainte Thérèse de Lisieux, schéma global demeure. liste (le dogmaticien médiéval est aussi
avec sa nouvelle lecture de la Bible ‘non Les Pères sont presque tous des exégète, moraliste, canoniste, etc.) à la
scientifique’, mais qui entre dans le cœur évêques (font principalement excep- spécialisation, du commentaire d’écrits
de l’Écriture Sainte », etc. Le cardinal tion saint Jérôme, saint Maxime et faisant autorité (dont le plus célèbre
Lustiger proposait un jugement simi- saint Jean Damascène). En effet, pour est Les sentences de Pierre Lombard)
laire : « La théologie, après avoir fourni être docteur, « deux choses sont [alors] aux manuels d’enseignement – auxquels
à la philosophie, voire à la sociologie requises : d’abord une reconnaissance l’imprimerie donnera une portée inouïe.
occidentale, une grande part de leurs par la voix des fidèles, et ensuite une Peut-être la nouvelle configuration du
concepts et de leur substance, a souvent certaine excellence, non seulement dans savoir qui s’amorce avec la communica-
pris comme condition de production la parole, mais aussi dans l’action au tion planétaire immédiate permise par
les normes de la scientificité critique, service de l’Église (8) ». Celui que l’on la toile informatique entraînera-t-elle
jusqu’à laisser s’essouffler les démarches appellera ‘théologien’, au sens étymo- un modèle inédit de docteur et donc de
originales qui lui permettent de donner logique, parle de Dieu et porte cette théologien. Ce modèle demeure en tout
son fruit propre […]. La théologie n’est parole au peuple, non seulement par son cas très inchoatif. La figure aujourd’hui
point la métathéorie du discours reli- verbe mais aussi par ses actes. encore dominante est celle apparue au
gieux, ni la science des religions, mais, Au haut Moyen Âge, la société seuil des Temps modernes, qui valorise le
au sein de l’Église, elle est recherche de change, la classe des commerçants travail de la raison.
Dieu par l’intelligence humaine, éclairée apparaît. De même qu’une partie de la Ne rêvons pas nostalgiquement à
par la foi au Verbe incarné, mort et res- population se déplace de la campagne un prétendu âge d’or. Assurément, « la
suscité, dans la communion de l’Esprit- à la ville, de même le lieu de transmis- théologie universitaire au Moyen Âge »,
Saint. (7) » sion du savoir se déplace-t-il du monas- qu’elle soit dominicaine, franciscaine ou
De l’autre côté, on ne peut affirmer tère à l’université (qui vient de naître). autre, « n’en demeura pas moins, tout
que seuls les saints sont théologiens. Désormais, comme on le voit dans le au long de son histoire, sinon identifiée
Une telle assertion n’est pas seulement débat entre Abélard et saint Bernard, à une quête spirituelle, du moins pré-
injuste et excluante, elle nie la spéci- la part donnée à la raison, voire à son occupée de spiritualité (9) ». On pourrait
ficité du discours théologique. D’une autonomie, s’agrandit. À l’orée de sa en dire de même de l’époque patris-
part, celui-ci n’est pas d’abord fondé Somme de théologie, un saint Thomas tique. Mais l’ouverture au monde, un
sur l’expérience, mais sur la foi. Ensuite, d’Aquin se demande si celle-ci est une sens croissant de l’autonomie du savoir,
il est intelligence de cette foi et donc science et il répond affirmativement. de l’homme, des institutions, un déve-
doit faire appel à l’ordre des raisons. La troisième figure du théolo- loppement inédit des outils intellectuels,
Comment concilier les deux affirma- gien, celle du chercheur, apparaît à la qui va caractériser l’époque suivante, va
tions ? Renaissance. Influencée elle aussi par la inventer un nouveau visage de la raison
métamorphose de l’intellectualité, elle que, non sans risque mais heureusement,
Leur diversité s’explique pour des est calquée sur celle du savant. Le théo- la théologie prendra, au moins pour une
raisons historiques. De fait, depuis l’ori-
gine du christianisme, se sont succédé
trois figures de théologiens : le pasteur
à l’âge des Pères de l’Église, l’enseignant
On ne peut affirmer que seuls
les saints sont théologiens )
FRANCECatholique 2010 19
DOSSIER
part, en compte. De plus, aucune des Ne peut-on pas encore davantage 3. Enfin, ces deux sagesses ne sont
figures de théologien précédemment unir en sauvegardant la distinction ? Je pas juxtaposées mais hiérarchisées. En
décrites n’est adéquate à la totalité de la m’aiderai ici d’une mise au point heu- effet, la théologie vient de la foi vivante,
théologie qui est parole sur le Dieu inef- reuse du cardinal Charles Journet (12) , mais la sagesse mystique naît de plus
fable ; toutes en disent quelque chose rejoignant – une fois n’est pas coutume haut, de la foi surélevée par les dons du
sans en épuiser le Mystère. – son collègue et compatriote le cardinal Saint-Esprit ; or, leur action ne va jamais
Donc, répétons-le, il s’agit d’in- Hans Urs von Balthasar. La culture his- sans une expérience, un goût. « La mys-
tégrer et non d’exclure. Paraphrasant torique du second s’enrichit de la finesse tique, disait le spécialiste de mystique
une phrase célèbre de Kant, le théo- doctrinale du premier. mulsulmane Louis Gardet, est l’expé-
logien allemand Walter Kasper, depuis rience fruitive de l’absolu. (14) »
devenu cardinal, écrivait en 1979 : « Les 1. Théologie et mystique (ou spiri-
concepts théologiques sans expérience tualité) sont unies, puisque toutes deux 4. Passons au plan de l’existence
religieuse sont vides, les expériences reli- procèdent de la foi. En effet, sans la du théologien. La distinction des deux
gieuses sans concepts théologiques sont lumière de la foi vive, ni l’une ni l’autre sagesses se retrouve dans sa vie.
aveugles. (10) » Ce qui pose à nouveau la ne pourrait atteindre Dieu qui se révèle. Charles Journet le manifeste à partir de
question : comment réconcilier théologie Plus encore, ces deux approches consti- l’exemple par excellence qui est celui de
et mystique ou spiritualité ? tuent deux sagesses, autrement dit deux saint Thomas : « Dans son cœur, comme
Pour faire court, deux voies sont regards permettant d’approcher leur dans celui des Pères et des mystiques,
habituellement proposées. La première, ‘objet’ par les sommets. brûlait la flamme de la sagesse propre-
objective, propose d’étudier la théolo- ment inexprimable des dons, et c’est elle
gie vécue par les Saints. Jean-Paul II l’a 2. Pour autant, ces deux approches qui lui faisait verser des larmes chaque
particulièrement valorisée. Présentant se distinguent. Elles constituent deux fois qu’il célébrait le saint sacrifice de
l’encyclique Fides et ratio, il observait : régimes différents de connaissance, la messe. Mais son travail se déroulera
« L’heure est venue de valoriser systé- deux manières de connaître. La sagesse sur le plan et selon les lois d’une sagesse
matiquement et avec plus d’attention théologique procède par mots et proprement exprimable, de soi concep-
l’expérience et la pensée des saints pour concepts. En effet, dès qu’elle est enra- tuelle et discursive, la sagesse théolo-
l’approfondissement des vérités chré- cinée dans le cœur de l’homme, la foi gique. » Il faut donc clairement affirmer
tiennes. (11) » Dans sa lettre apostolique suscite l’intelligence : « Comment la véri- que la mystique des Saints ne s’identifie
Novo millenio ineunte du 6 janvier 2001, té révélée, dès qu’on la suppose adressée pas à la théologie : celle-ci a ses règles
le même pape convoquait ce qu’il appelle à des hommes et descendue à la ren- rationnelles et ses exigences critiques.
le « grand patrimoine qu’est la ‘théologie contre de leurs ignorances et de leurs
vécue’ des Saints », en précisant bien que égarements, ne provoquerait-elle pas 5. Mais ce qui est vitalement uni
cette « aide sérieuse » se fait « conjointe- elle-même, et ne couvrirait-elle pas de est aussi vitalement hiérarchisé. « La
ment à la recherche théologique » (n°27, son influence souveraine les démarches théologie […] demande à être mise tout
Souligné dans le texte). de l’intelligence conceptuelle destinée entière, pour l’accomplissement de sa
La seconde, subjective, vise à récon- à l’accueillir ? ». La théologie emploie tâche spéculative comme de sa tâche
cilier le travail du théologien et la vie toutes les ressources de la raison pour pratique, sous la lumière des dons du
de sainteté. À plusieurs reprises, le pape rendre compte du Mystère, dans la Saint-Esprit. (15) » Il y va d’une raison
Benoît XVI en a souligné l’importance. lumière de la foi. Mais il existe une autre commune à toute connaissance que
Voici par exemple ce qu’il écrivait, au connaissance de Dieu : la sagesse mys- Jacques Maritain formule ainsi : « Il
début de son pontificat, le 6 octobre tique. Trois traits la caractérisent : elle n’y a pas de savoir sans intuition, sans
2005 dans un message pour un congrès procède par connaturalité, c’est-à-dire une lumière fournie par quelque saisie
sur Balthasar : « La spiritualité n’atténue par expérience ; elle fait appel à l’amour ; intuitive du réel ou de l’objet. » Voilà
pas l’aspect scientifique, mais confère à elle n’est pas mesurée par les mots et pourquoi notre monde a tellement soif
l’étude théologique la méthode correcte les concepts. Pour autant, elle ne les nie d’expériences authentiques et écoute
pour pouvoir parvenir à une interpré- pas, ainsi que le théologien fribourgeois si volontiers les témoins. Chesterton
tation cohérente. Elles ne sont en rien le dit dans une formule dense et capi- raconte qu’à l’issue d’une de ses confé-
exclusives. […] La théologie ne peut se tale : « Sur la route que la foi ouvre par rences portant sur les dogmes, un géné-
développer que par la prière qui saisit la les concepts, l’amour fait aller la foi plus ral l’avait apostrophé, lui disant qu’il
présence de Dieu et qui se confie à lui loin que les concepts. (13) » avait un jour, dans le désert, fait l’ex-
dans l’obéissance. » périence de Dieu, et que cela avait pour
lui plus de prix que tous les dogmes. Et
20 FRANCECatholique 2010
si juste affirmé par Maritain pose un ne peut qu’admirer la splendeur ». En (1) « Théologie et sainteté », in Mgr Philippe
problème considérable : en cette vie, effet, elle a su « que la réalité princi- Barbarin, Théologie et sainteté, Saint-Maur,
Parole et Silence, 1999, p. 93.
nous ne pouvons avoir une intuition pale de l’Église, l’élan intérieur qui la (2) Joseph Ratzinger, Natura e compito della
de Dieu et des mystères révélés, qui ne vivifie, disons son ‘âme créée’, c’est la teologia, trad. Riccardo Mazzarol et Carlo Fedeli,
sont connus que par la foi. Nous ne les charité (17) ». coll. « Il teologo nella disputa contemporanea.
verrons que dans ce que l’on appelle, Le philosophe français ami de Storia e dogma », Milano, Jaca Book, 2005, p.
justement, « vision béatifique ». Où trou- Charles Journet est ainsi conduit à dis- 55.
(3) Dictionnaire critique de la théologie, Jean-
ver ces ressources de lumière ? Maritain tinguer les grands théologiens – ceux Yves Lacoste (éd.), Paris, PUF, 1998, p. 1126-
en distingue deux : la théologie, écrit- dont la théologie est illuminée par les 1132.
il, « regorge d’intuitivité par le savoir dons du Saint-Esprit – et ceux qui sont (4) Marcel Neusch, « Leçon académique. La
supérieur de la contemplation infuse seulement (!) de bons théologiens (18) – dernière classe ! », Transversalités, n° 79, juillet-
(don de Sagesse), et par le savoir infé- bien que priant, voire fervents, ils sont septembre 2001, p. 175-182, ici p. 176.
(5) Jean-Hervé Nicolas, « Marie-Joseph Nicolas :
rieur et purement rationnel de la méta- dénués d’une telle lumière. Par exemple, une vie au service de la théologie », Bulletin de
physique (16) » – qui est, pour lui, celle Karl Rahner fait partie de la race des Littérature Ecclésiastique, 113 (2002), p. 5-18,
de saint Thomas. Mais, on peut et doit premiers lui dont toute la théologie ici p. 10.
le regretter, la métaphysique n’a plus est la thématisation d’une expérience (6) L’amour des Lettres et le désir de Dieu. Ini-
guère d’audience en théologie depuis décisive : l’expérience de la « consola- tiation aux auteurs monastique du Moyen Âge,
coll. « Initiations au Moyen Âge », Paris, Le Cerf,
quelques décennies. Ne pourrait-on tion sans cause », développée par saint 1956, p. 13.
d’ailleurs faire l’hypothèse que, de même Ignace dans les Exercices spirituels (19) . (7) Jean-Marie Lustiger, « La pratique théo-
que, depuis un demi-siècle, dans l’Uni- Répétons-le une dernière fois : logique dans un monde sécularisé », Etudes
versité, les sciences humaines se sont il s’agit d’unir en distinguant, non de (janvier 2000), p. 50.
autonomisées et ont pris des galons de (8) Camille Dumont, « Qui est théologien ? »,
séparer en excluant. Aux yeux de la foi Nouvelle revue théologique, 113 (1991), p.
commandement, souvent au détriment dont parlait le Père Rousselot, la théolo- 185-204, ici p. 187. Cf. Hans Urs von Balthasar,
de la philosophie, de même, la théologie gie doit joindre ceux de l’amour et ceux Retour au centre, trad. Robert Givord, Paris, DDB,
a trouvé dans la méthodologie, autant de la raison (dans la double lumière 1971, chap. 1 : « Unité de la théologie et de la
que dans les moissons de fait engran- d’abord de la sagesse philosophique et spiritualité ».
gées par ces sciences nouvelles venues, (9) Gilles Berceville, Histoire de la théologie, sous
ensuite des sciences humaines). Pour le la dir. Jean-Yves Lacoste, Paris, Seuil, 2009, p.
le lieu d’un rajeunissement ? C’est ce dire autrement, un théologien authen- 277 ; cf. p. 225-279.
qu’évoquait l’ancien archevêque de Paris tique doit vivre à genoux autant qu’as- (10) « Aspekte gegenwärtiger Pneumatologie.
cité ci-dessus. Pour ne donner qu’un sis, et dans l’ordre. À genoux, car la Einführung », Walter Kasper (éd.), Gegenwart des
exemple, et même si son emploi s’ex- prière est « élévation de l’esprit vers Geistes. Aspekte der Pneumatologie, Freiburg-
plique aussi pour d’autres motivations, il Basel-Wien, Herder, 1980, p. 7-22, ici p. 9.
Dieu », selon la belle définition de saint (11) « Discorso alla Pontificia Università Urba-
suffit de songer à l’impact considérable Jean de Damas, et prépare donc à son niana », L’Osservatore romano, 13 novembre
du marxisme sur le discours théologique ascension, selon l’ordre des raisons, 1998, p. 5.
et pas seulement en Amérique latine. vers le Mystère trois fois Saint. Assis (12) Je m’aiderai du bel article de Michel Cagin,
Mais les sciences humaines ne pourront à sa table de travail, car la théologie « Théologie dogmatique et spiritualité chez
jamais accéder à la dignité d’un savoir Charles Journet », Charles Journet un témoin du
est une discipline rigoureuse : elle est XXe siècle. Actes de la semaine théologique de
sapientiel. science de la foi. J’ajouterais volontiers l’Université de Fribourg, Faculté de théologie,
Quoi qu’il en soit, le théologien que le théologien doit enfin être debout 8-12 avril 2002, coll. « Sagesse et culture »,
doit d’abord puiser à la source de la pour transmettre. Certes, pour des rai- Parole et Silence, 2003, p. 341-356.
sagesse d’amour. C’est aussi là que la sons pédagogiques : Joseph Ratzinger (13) Charles Journet, Connaissance et inconnais-
théologie des Saints trouve sa place. sance de Dieu, coll. « Foi vivante » n° 119, Paris,
demeure un exemple indépassé d’en- DDB, 1969, p. 63 et 101.
En effet, à défaut de cette lumière des seignant qui conjugue la limpidité à la (14) La Mystique, coll. « Que sais-je ? » n° 694,
dons du Saint-Esprit, le théologien aura profondeur. Mais aussi pour des raisons Paris, PUF, 1970, p. 5.
tout intérêt à se mettre à l’école des intrinsèques : le savoir, comme le bien, (15) Charles Journet, Introduction à la théologie,
mystiques reconnus par l’Église. On est appelé à se communiquer. Cette loi Paris, DDB, 1947, p. 31 et 91.
attend par exemple une ecclésiologie (16) « Savoir théologique et intuitivité », Cahiers
se vérifie a fortiori quand il s’agit de Jacques Maritain, n° 20 (juin 1990), p. 19-62, ici
qui recueille pleinement la conception la bonne nouvelle de Dieu se révélant p. 26 et 29.
de l’Église que vivait sainte Thérèse de pour sauver l’homme. « Vous avez reçu (17) « L’Eglise telle que la pense et la vit sainte
l’Enfant-Jésus. D’ailleurs Charles Journet gratuitement, donnez gratuitement » Thérèse de Lisieux », Entretiens sur l’Eglise,
en est déjà partiellement l’héritier lui (Mt 10,8). n Saint-Maur, Parole et Silence, 2001, p. 119.
qui écrivait : « Il y a chez sainte Thérèse (18) « Savoir théologique et intuitivité », p. 39
et sqq.
de Lisieux, non certes une ecclésiolo- (19) Cf. Bernard Sesbouë, Karl Rahner, coll.
gie, mais une connaissance vécue de “Initiation aux théologiens”, Paris, Le Cerf, 2001,
ce qu’est l’Église, dont le théologien * cf. France Catholique Nos 3203 et 3204. chap. 2 : “L’inspiration spirituelle d’une œuvre”.
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