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Troubles digestifs, Partie 1 : Le microbiote sous la

loupe
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Dr. A. D'Oro 1 juin 2017

Introduction
Le colon irritable ou colon spastique est le
trouble digestif le plus fréquent, touchant 10 à
15% de la population, principalement les
femmes. Il s’agit d’un syndrome chronique dont
la médecine estime qu’il n’y a pas de causes
précises. Il existe toutefois deux hypothèses
principales, l’une estimant qu’il s’agit d’un
trouble psychosomatique en relation avec une
hypersensibilité viscérale, qui serait modulée
par l’état émotionnel de la personne. C’est
pourquoi certains médecins proposent des antidépresseurs ou des antagonistes des
récepteurs sérotoninergiques (5-HT3), ainsi que des antispasmodiques.

L’autre hypothèse serait en relation avec un déséquilibre de la flore intestinale, mais dans
ce domaine la médecine n’a pas beaucoup d’expérience, se contentant de prescrire des
mucilages, des antispasmodiques, voir des probiotiques.

Souvent, le médecin considère le colon irritable comme un diagnostic d’exclusion. Son


but principal est d’éliminer des maladies organiques, telles qu’une maladie inflammatoire
de l’intestin (maladie de Crohn, colite ulcéreuse), une intolérance au lactose, une maladie
coeliaque, une diverticulose ou tout autre problème organique.

Cette conception médicale est toutefois discutable, si l’on tient compte des récentes
découvertes sur le microbiote qui remet en question en partie la vision médicale actuelle.

En effet, la relation entre l’équilibre des bactéries intestinales et notre santé est de plus
en plus étudiée. Des publications médicales récentes montrent qu’un tiers des personnes
souffre d’un appauvrissement de la biodiversité du microbiote. Cet appauvrissement
entraîne un déséquilibre important permettant aux bactéries pathogènes de prendre le
contrôle de nos intestins, au détriment des bactéries amies. Ce déséquilibre s’appelle
une dysbiose intestinale et peut être associé à des fermentations intestinales excessives
(SIBO). La persistance d’une dysbiose peut altérer la muqueuse de l’intestin qui devient
vulnérable et poreuse (leakygut). On comprend dès lors que la vision des troubles
digestifs fonctionnels doit évoluer et tenir compte des différentes perturbations du
microbiote que nous allons détailler ci-dessous, car c’est en prenant en charge
spécifiquement ces perturbations que nous pouvons espérer amener une guérison
durable à ces troubles.

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Microbiote et colon irritable

La dysbiose
Le microbiote est composé de 100 000
milliards de bactéries qui influencent notre
métabolisme, notre immunité et le
fonctionnement de l’intestin. Lorsque
l’écosystème intestinal est appauvri avec
réduction des bactéries amies et excès de
bactéries opportunistes, on parle d’une
dysbiose intestinale. Des études récentes
montrent que la majorité des patients
souffrant de colon irritable ont une dysbiose intestinale (1). De plus, récemment, des
analyses du microbiote ont pu identifier des profils microbiens qui sont corrélés avec la
sévérité du syndrome du colon irritable (2).

Des stratégies telles que l’administration de prébiotiques et de probiotiques ont montré


une capacité de moduler favorablement le microbiote intestinal et d’améliorer les
symptômes du colon irritable (3-5). D’autre part, des régimes qui réduisent les aliments
fermentescibles (FODMAP) ont également montré un impact très favorable sur le colon
irritable (6-7). Cela peut être expliqué par le fait que ce type de diète permet de réduire
l’activité excessive des bactéries intestinales. Toutefois cette diète ne doit pas être
prolongée sur de longues périodes, en raison du risque d’appauvrir le microbiote
intestinal (8-9).

Le SIBO (=small intestinal bacterialovergrowth)


Le SIBO est une prolifération bactérienne chronique de l’intestin grêle. D’habitude, la
majorité des bactéries intestinales se trouvent dans le gros intestin, et au fur à mesure
que l’on remonte vers l’estomac, il y a de moins en moins de bactéries. L’intestin grêle est
une zone maîtresse où la plupart des micronutriments sont absorbés, et il est donc
préférable qu’il n’y ait pas trop de bactéries pouvant interférer avec leur assimilation.
Dans certaines conditions, une pullulation bactérienne peut se développer dans l’intestin
grêle, on parle de SIBO (small intestinal bacterial overgrowth). Le SIBO n’a pas
seulement un effet négatif sur la digestion et l’absorption des nutriments, mais il
endommage également la muqueuse intestinale, pouvant même conduire à une
hyperperméabilité intestinale. La pullulation bactérienne de l’intestin grêle (SIBO) est
relativement fréquente chez les personnes souffrant de colon irritable. Le pourcentage du
SIBO reste toutefois difficile à évaluer, car très variable d’une étude à l’autre (10). La
confirmation d’une pullulation bactérienne de l’intestin grêle n’est toutefois pas toujours
facile à faire. Le test de référence reste une analyse quantitative bactérienne du liquide
duodénal, ceci restant une évaluation endoscopique invasive. L’évaluation la plus simple
reste le test respiratoire après ingestion de glucose ou de lactulose. L’augmentation de la
fermentation intestinale se manifeste par un pic élevé d’hydrogène ou de méthane. (11).

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L’assainissement de cet excès de bactéries par des antibiotiques, tels que la rifaximin , a
montré une bonne efficacité dans les symptômes du colon irritable, ce qui confirme la
participation du SIBO dans le colon irritable (12). Personnellement, il me semble
préférable d’éviter la prescription d’antibiotiques, qui peuvent effectivement améliorer
momentanément la situation, mais la récidive est fréquente et la perturbation du
microbiote certaine. Des alternatives naturelles à base de plantes antimicrobiennes et
d’huiles essentielles sont aussi efficaces (13).

Le leaky gut ou hyperperméabilité intestinal


La muqueuse de l’intestin est composée d’une seule couche de cellules épithéliales qui
sépare l’intérieur de notre organisme du milieu intestinal. Lors d’une dysbiose intestinale
ou d’une intolérance au gluten, la muqueuse devient plus poreuse. Lorsque l’intestin
devient perméable (leaky gut en anglais), cela permet à des aliments incomplètement
digérés ou à des fragments bactériens comme les lipopolysaccharides (LPS) de pénétrer
la barrière intestinale et de favoriser une inflammation systémique (14). Des études ont
constaté l’association entre le colon irritable et l’hyperperméabilité intestinale (leaky gut)
(15). Lorsque l’on sait les conséquences d’une hyperperméabilité intestinale, on peut
comprendre que le syndrome du colon irritable puisse être fréquemment associé à des
symptômes plus généraux comprenant un état de fatigue, des douleurs ostéo-articulaires,
des allergies, etc. Pour améliorer l’état de santé, il est nécessaire de réparer la fonction
de la barrière intestinale afin de réduire le passage de macromolécules alimentaires ou
des toxines bactériennes. Certains compléments alimentaires peuvent favoriser la
réparation de la muqueuse intestinale. Le plus connu reste la L-glutamine qui est un
acide aminé qui stimule la prolifération et la réparation des cellules de la muqueuse
intestinale.

La sensibilité au gluten ou au blé


Le terme de sensibilité au gluten est apparu à
la suite de l’observation d’individus qui
expérimentent des symptômes à l’ingestion de
gluten ou de blé, et dont les symptômes
disparaissent à l’arrêt du gluten. Ces
symptômes impliquent souvent la sphère
digestive et souvent sont assimilés à un
syndrome du colon irritable. En effet, on
retrouve fréquemment comme plaintes, des
ballonnements, flatulences, douleurs
abdominales et changement de la fréquence et de la consistance des selles (16).

Ce diagnostic est de plus en plus reconnu par la communauté scientifique, bien que les
mécanismes physiologiques ne soient pas toujours bien compris et qu’il n’existe pas de
marqueur biologique reconnu comme fiable pour poser ce diagnostic. Toutefois, on a pu

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démontrer chez les personnes souffrant de sensibilité au gluten, une augmentation de la
perméabilité intestinale par rapport à des sujets contrôles, ainsi que des marqueurs de
l’inflammation et des lésions de la muqueuse intestinale (17).

De plus, les personnes sensibles au gluten peuvent réagir à d’autres composants du


gluten autres que l’alpha-gliadine qui est impliqué dans la maladie coeliaque. On peut
être sensible à d’autres sortes de gliadine (beta-gliadine, gamma ou oméga-gliadine etc.),
ainsi que d’autres protéines du blé telles que la gluténine ou à l’agglutinine du germe de
blé (WGA) etc.

La mise en évidence de réactions à d’autres composés du blé ou du gluten peut


expliquer la fréquence de la sensibilité au gluten, malgré la normalité des tests
classiques. Une étude intéressante de 2016 a testé l’arrêt du gluten chez des personnes
souffrant d’un colon irritable dont on a exclu une maladie cœliaque, ainsi qu’une allergie
au gluten. De nombreuses personnes ont eu une amélioration des symptômes digestifs à
l’arrêt du gluten, avec récidive des plaintes lors de la reprise du gluten (18). Bien qu’il
reste des interrogations quant à la cause exacte de cette sensibilité au gluten ou au blé,
on peut toutefois constater que de nombreuses personnes souffrant de colon irritable
sont soulagées à l’arrêt du gluten.

Les infections chroniques de l’intestin


De nombreuses personnes commencent à souffrir d’un syndrome du colon irritable suite
à une gastroentérite infectieuse. Une revue médicale récente conclut que plus de 10 %
des personnes ayant eu une gastroentérite développent par la suite un colon irritable. De
plus, le fait d’avoir eu une gastroentérite augmente de 4x le risque de colon irritable (19).
Par exemple, une gastroentérite à la bactérie Campylobacter peut favoriser l’installation
d’un syndrome du colon irritable persistant dans environ 5 % des cas (21). Certains
parasites intestinaux tels que le Blastocystis hominis (22) et le Giardia lamblia (23), qui
sont relativement fréquent, peuvent également favoriser le développement d’un
syndrome du colon irritable chronique. Le Blastocystis a montré une capacité d’altérer la
muqueuse intestinale, de favoriser une perméabilité intestinale et d’induire des réactions
inflammatoires locales (24). Quant au Giardia duodenalis, il a la capacité de modifier le
microbiote intestinal favorisant une dysbiose qui persiste même après l’éradication du
parasite (25). Si l’on veut assainir le microbiote de ces germes pathogènes, il est
préférable de favoriser en premier lieu des prises en charge naturelles. Ainsi, par
exemple, les huiles essentielles d’origan et de cannelle ont montré une efficacité dans le
traitement du Campylobacter jejuni (26). D’autre part le gingembre, le curcuma ou la
cannelle se sont également montrés efficaces contre ces parasites (27,28). L’adjonction
de probiotiques est également intéressante pour inhiber le développement de ces germes
(29,30). Une étude récente de 2017 a montré que l’administration de Lactobacillus Casei
DG permettait de moduler favorablement les réactions intestinales d’origine
inflammatoires et immunitaires caractéristiques du syndrome du colon irritable post-
infectieux (31).

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En conclusion
Nous avons vu que derrière le terme de « colon irritable » ou « de colon spastique » ou
encore de « troubles digestifs fonctionnels » se cache souvent un microbiote malade
expliquant la plupart des symptômes classiques du colon irritable, tels que douleurs
abdominales, ballonnements, flatulences, diarrhées ou constipation. Les découvertes
médicales récentes montrent du doigt notre microbiote comme cause de nombreuses
pathologies intestinales. La médecine classique devra dans l’avenir élargir sa vision
étriquée du colon irritable, ce qui permettrait de ne pas se contenter de traitements
symptomatiques. En effet, il est nécessaire de mieux comprendre les causes qui
perturbent notre intestin afin de développer des stratégies pour retrouver un microbiote
sain et équilibré, et par conséquent un intestin qui fonctionne sainement, sans douleur.
Dans la deuxième partie de cet article, nous allons voir qu’il est possible d’envisager une
approche différente plus naturelle et holistique qui intègre alimentation, microbiote et
cerveau émotionnel.

Dr. A. D’Oro

Troubles digestifs, Partie 2 : Approche naturelle et holistique

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