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Article

Atteinte hépatique, digestive,


prise en charge nutritionnelle
et troubles de l’oralité chez l’enfant atteint
de mucoviscidose

Liver disease, gastrointestinal complications,


nutritional management and feeding disorders
in pediatric cystic fibrosis

D. Debraya, E. Masb,c, A. Munckd, M. Gérardind, H. Clouzeaue,*

aUnité d’Hépatologie pédiatrique, APHP- CHU Necker-enfants malades, 75015 Paris, France
bUnité de Gastroentérologie, Hépatologie, Nutrition, Diabétologie et Maladies
Disponible en ligne sur Héréditaires du Métabolisme, Hôpital des Enfants, CHU de Toulouse, France
cIRSD, Université de Toulouse, INSERM, INRA, ENVT, UPS, Toulouse, France
dAP-HP, Hôpital Robert Debré, CRCM, Université Paris7, Paris, France
eUnité de Gastroentérologie, Hépatologie et Nutrition Pédiatrique, CRCM pédiatrique,
www.sciencedirect.com CIC1401 Hôpital des Enfants, CHU de Bordeaux, France

Résumé Abstract
Environ 5 à 8 % des patients atteints de mucoviscidose développent In cystic fibrosis (CF), approximately 5-8% of the patients
une cirrhose multilobulaire au cours de la première décennie. develop multilobular cirrhosis during the first decade of life.
Le dépistage annuel de signes d’atteinte hépatique par l’examen Annual screening (clinical examination, liver biochemistry,
clinique, les tests biologiques hépatiques, l’échographie et le ultrasonography) is recommended in order to identify early signs of
suivi sont recommandés afin d’instaurer un traitement par acide liver involvement, initiate ursodeoxycholic acid therapy and detect
ursodésoxycholique et d’identifier les complications : hypertension complications (portal hypertension and liver failure). Management
portale et insuffisance hépatocellulaire. La correction de la should focus on nutrition and prevention of variceal bleeding.
malnutrition et la prévention de l’hémorragie digestive sont les The gut may also be involved in children with CF. Gastroesophageal
principaux objectifs de la prise en charge. reflux is frequent, although often neglected and should be
Différentes atteintes digestives peuvent être rencontrées chez ces investigated by pH monitoring and impedancemetry, if available.
enfants. Le reflux gastro-œsophagien, très fréquent mais souvent Acute pancreatitis occurs in patients with persistent exocrine
négligé, doit être recherché par pH-métrie couplée éventuellement pancreatic activity. Intussusception, appendicular mucocele, distal
à une impédancemétrie. Des épisodes de pancréatite aigüe peuvent intestinal occlusion syndrome, small bowel bacterial overgrowth
survenir chez des patients ayant une activité pancréatique exocrine and Clostridium difficile colitis should be considered in case of
résiduelle suffisante. Invagination intestinale aigüe, mucocèle abdominal pain.
appendiculaire (accumulation de mucus épais dans l’appendice), Preventive nutritional support should be started as soon as possible
syndrome d’occlusion intestinale distale (impaction de selles et de after diagnosis of CF. Attainment of normal growth is one of the main
mucus au niveau iléo-caecal), syndrome de pullulation bactérienne goals and can be achieved with hypercaloric and salt supplemented
de l’intestin grêle et colite à Clostridium difficile sont à évoquer food. Pancreatic enzyme replacement therapy should be started as

*Auteur correspondant.
e-mail : haude.clouzeau@chu-bordeaux.fr (H. Clouzeau).

12S15
© 2016 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Archives de Pédiatrie 2016;23:12S15-12S20
H. Clouzeau et al. Archives de Pédiatrie 2016;23:12S15-12S20

devant des douleurs abdominales. soon as exocrine pancreatic insufficiency is confirmed and ingested
Sur le plan nutritionnel, la prise en charge préventive et la immediately prior to meals with intake of fat-soluble vitamins.
surveillance attentive de la croissance débutent dès le diagnostic. Curative nutritional interventions are more likely to be effective in
L’alimentation, tout en restant équilibrée, doit être hyper-énergétique the early stages of pulmonary disease.
et supplémentée en sel. Les extraits pancréatiques lors des repas Feeding disorders, related to the physiopathology and the
sont prescrits dès l’insuffisance pancréatique exocrine confirmée, psychologic aspects of the disease are frequent. Repeated
de même que les vitamines liposolubles. En cas de dénutrition, la corporeal aggressions, associated with inappropriate medical and
prise en charge nutritionnelle curative par assistance nutritionnelle parental pressure, may increase the child’s refusal of food. The
est d’autant plus efficace qu’elle est précoce, chez des patients à multidisciplinary team should guide parents in order to avoid all
l’état respiratoire satisfaisant. intrusive feeding practices and promote pleasant mealtimes.
Les difficultés d’alimentation sont très fréquentes, liées à la
physiopathologie de la maladie mais également à son retentissement
psychologique. Le vécu corporel négatif de l’enfant, la pression
médicale et parentale parfois excessive peuvent majorer les refus
alimentaires. L’équipe multidisciplinaire doit veiller à proscrire
toute attitude contre-productive de nourrissage intrusif et valoriser
l’instauration d’un climat de plaisir au cours des repas.

1. Introduction peut être liée à une stéatose isolée ou à une cirrhose biliaire focale,
ni les anomalies des enzymes hépatiques (transaminases, gam-
Le dysfonctionnement de la protéine CFTR, présente au pôle apical maglutamyl-transférase (GGT), phosphatases alcalines) qui sont
des cellules épithéliales, affecte les secrétions des canaux hépa- fréquentes mais en général modérées ou intermittentes.
tobiliaires et du tractus digestif. L’atteinte hépatique, digestive et L’échographie hépatique peut montrer une hyperéchogénicité ou
la malnutrition retentissent sur la qualité de vie des patients et une hétérogénéité du foie, mais une échographie normale n’élimine
contribuent fortement à la morbidité et à la mortalité de la muco- pas l’existence d’une fibrose extensive. L’imagerie par résonance
viscidose. magnétique (IRM) peut être utile pour différencier la stéatose de
la fibrose et reconnaître des anomalies des voies biliaires intra-
hépatiques. La biopsie hépatique peut sous-estimer le degré de
2. Atteinte hépatique fibrose en raison de sa distribution initialement focale et ne peut
être renouvelée pour dépister ou suivre le développement d’une
La gravité de l’atteinte hépatique de la mucoviscidose tient au fibrose hépatique.
risque (5-8 %) de développement d’une cirrhose multilobulaire. Elle De nouvelles méthodes non invasives d’évaluation de la fibrose
représente la 3ème cause de mortalité au cours de la mucoviscidose. hépatique sont à l’étude. Une bonne corrélation entre les valeurs
de l’élastométrie impulsionnelle (Fibroscan®) et les scores histolo-

2.1. Diagnostic giques de fibrose a été montrée sur de petits effectifs de patients.
L’élastométrie couplée à l’échographie et l’élastoIRM sont en cours
L’atteinte hépatique de la mucoviscidose revêt différents aspects : d’évaluation dans cette population.
stéatose, cirrhose biliaire focale, cholangite sclérosante, cirrhose
multilobulaire [1]. Trente à 40 % des enfants développent une 2.2. Recommandations pour le dépistage
atteinte hépatique, mais dans seulement 5 à 10 % des cas, celle-ci et la surveillance d’une atteinte hépatique
progresse vers une cirrhose multilobulaire avant l’âge de 10 ans
pour une raison indéterminée. Le diagnostic de fibrose hépatique Les recommandations actuelles sont [2] :
à un stade précoce est un enjeu d’autant plus important que de
nouvelles thérapeutiques susceptibles de prévenir l’évolution vers 2.2.1. Chez tout enfant atteint de mucoviscidose
la cirrhose multilobulaire sont en cours de développement. Aucun • Dépister une atteinte hépatique une fois par an par l’examen
signe clinique ou biologique n’est corrélé au degré de fibrose hépa- clinique, des tests biologiques hépatiques et une échographie hépa-
tique et n’est prédictif d’une évolution vers la cirrhose, ni l’ictère tique. Le diagnostic d’atteinte hépatique repose sur l’association de 2
cholestatique néonatal, ni la découverte d’une hépatomégalie qui des 3 critères suivants :

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• hépatomégalie ou splénomégalie confirmées à l’échographie ; une dérivation porto-systémique chirurgicale ont été réalisées avec
• augmentation des transaminases et des GGT à 3 contrôles de bons résultats à long terme chez les enfants ne présentant aucun
successifs sur une période de 1 an après avoir exclu d’autres causes signe d’IHC, ni insuffisance respiratoire.
d’atteinte hépatique ; La décision de transplantation hépatique (TH) demande à être dis-
• anomalies de l’échostructure du foie ou existence de signes cutée au cas par cas avec une équipe de transplantation en tenant
d’hypertension portale (HTP) à l’échographie. compte de la fonction hépatique et de la sévérité des manifestations
• Vacciner contre les hépatites A et B extrahépatiques de la mucoviscidose. En l’absence d’IHC, le bénéfice
• Contre-indiquer l’aspirine et les anti-inflammatoires non stéroï- de la TH doit être pesé contre le risque de complications secondaires
diens dès qu’une atteinte hépatique est suspectée. à la greffe et à l’immunosuppression prolongée.

2.2.2. En cas de cirrhose ou signes d’HTP


(splénomégalie, thrombopénie) 3. Atteintes digestives et reflux
• Rechercher des varices œsophagiennes (VO) ou gastriques par la gastro-œsophagien
fibroscopie oesogastroduodénale (FOGD). En l’absence de varices, la
FOGD doit être répétée tous les 2-3 ans. En présence de VO, il est pru- Les enfants atteints de mucoviscidose sont susceptibles de déve-
dent de répéter la FOGD tous les ans et de traiter les VO de grade 2. lopper diverses atteintes digestives qui peuvent être à l’origine de
• Dépister une insuffisance hépatocellulaire (IHC), des complica- symptômes chroniques parfois invalidants.
tions cardio-pulmonaires de l’HTP (syndrome hépatopulmonaire et
hypertension artérielle pulmonaire) et un hépatocarcinome (dosage 3.1. Reflux gastro-œsophagien
de l’alphafoetoprotéine tous les 6 mois).
Le reflux gastro-œsophagien (RGO) [1,4] est très fréquent mais les

2.3. Recommandations pour la prise en charge symptômes sont souvent anciens et négligés. Il doit être recherché

thérapeutique. par pH-métrie couplée éventuellement à une impédancemétrie.


Il est dû à une relaxation inappropriée du sphincter inférieur de
L’acide ursodésoxycholique reste recommandé (20 à 25 mg/kg/jour) l’œsophage, parfois à un retard de vidange gastrique, mais n’est pas
en Europe dès le diagnostic d’atteinte hépatique, mais son efficacité secondaire à la toux. Il favorise la présence d’acides biliaires dans
pour prévenir l’évolution vers la cirrhose multilobulaire n’est pas la salive et le liquide de lavage broncho-alvéolaire. Le traitement
démontrée [3]. repose sur les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) ou la chirurgie
La supplémentation en vitamines liposolubles A, E et D par voie anti-reflux qui est le seul traitement réellement efficace.
orale est indispensable. La supplémentation en vitamine K n’est pas
systématique sous réserve d’une surveillance régulière du TP. 3.2. Pancréatite aiguë
2.3.1. En cas de cirrhose Des épisodes de pancréatite aigüe [1] surviennent chez des patients
Les apports caloriques doivent être augmentés à 150 % des besoins qui ont une activité pancréatique exocrine résiduelle suffisante. Le
caloriques recommandés. La supplémentation en sel est à éviter car risque est lié à la fois au degré d’obstruction des canaux pancréatiques
elle risque de favoriser l’apparition d’une ascite. et à la fonction pancréatique résiduelle. La combinaison de ces deux
paramètres favorise une activation inappropriée intra-canalaire des
2.3.2. En cas d’HTP enzymes pancréatiques et un épisode de pancréatite. Le risque est
L’hypersplénisme (thrombopénie, leucopénie) ne nécessite aucun très faible lorsqu’il n’y a plus d’acini fonctionnels ou chez les suffisants
traitement spécifique. pancréatiques qui n’ont pas d’obstruction canalaire. Il existe une bonne
En cas de VO, il n’existe pas de consensus concernant l’indication corrélation génotype/phénotype concernant l’atteinte pancréatique.
d’un traitement préventif de l’hémorragie digestive. La majorité des
équipes réalise une ligature élastique des VO en cas de VO de grade 3.3. Invagination intestinale aiguë
≥ 2 avec prolongement sous cardial ou signes de la lignée rouge,
mais peu d’études en ont évalué l’efficacité à long terme et le Les épisodes d’invagination intestinale aigüe (IIA) [1], de localisation
retentissement des anesthésies générales répétées sur la fonction iléo-colique ou iléo-iléale, sont relativement fréquents chez ces
respiratoire. L’efficacité et la tolérance des β-bloquants n’a pas été enfants mais ils sont le plus souvent découverts de manière fortuite
évaluée dans cette population. En cas d’échec du traitement endos- lors d’une échographie abdominale réalisée dans le cadre d’un bilan
copique, une dérivation porto-systémique trans-hépatique (TIPS), ou annuel et non en raison d’un syndrome abdominal aigu douloureux.

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L’échographie abdominale doit rechercher un facteur favorisant la Cependant, si le portage asymptomatique de ce germe est fréquent
survenue d’une IIA comme un mucocèle appendiculaire. (30 %), le nombre de cas de colite reste faible. Il faut être vigilant chez les
transplantés car la fréquence augmente et les colites sont plus sévères.

3.4. Mucocèle appendiculaire Devant des douleurs abdominales avec diarrhée, il faut rechercher dans
les selles la présence de toxines de Clostridium difficile. Le traitement
Le mucocèle appendiculaire [1] correspond à une accumulation de repose sur une antibiothérapie (métronidazole ou vancomycine per os),
mucus épais dans l’appendice qui est élargi. Il peut être stable et indo- sur la perfusion d’immunoglobulines ou sur la transplantation fécale.
lore, ne justifiant qu’une surveillance échographique habituelle. Plus
rarement, il peut être à l’origine de douleurs abdominales aigües. Dans 3.8. Autres pathologies associées
ce cas, il faut réaliser une appendicectomie élargie, l’accumulation de
mucus étant parfois étendue au cæcum. L’appendicite aigüe est moins La mucoviscidose semble être associée de façon non fortuite à
fréquente que dans la population générale et est diagnostiquée avec d’autres pathologies : maladie de Crohn, maladie cœliaque, œso-
retard, souvent compliquée d’abcès appendiculaire ou de perforation. phagite à éosinophiles et cancer colorectal à l’âge adulte [1]. Enfin,
on observe parfois une augmentation de la calprotectine fécale

3.5. Syndrome d’occlusion intestinale distale témoignant d’une inflammation intestinale dont les mécanismes
sont encore méconnus.
Le syndrome d’occlusion intestinale distale (SOID) [1,6] correspond
à une impaction de selles et de mucus au niveau iléo-caecal. Un
antécédent d’iléus méconial est souvent retrouvé. Par définition, le 4. Prise en charge nutritionnelle
SOID complet associe obstruction intestinale complète (vomisse- et croissance
ments bilieux ou niveaux hydro-aériques radiologiques), palpation
d’une masse fécale en fosse iliaque droite, douleurs abdominales Au cours de la mucoviscidose, la balance énergétique est caractérisée
ou distension. Le premier critère n’est pas présent dans la forme par une élévation de la dépense énergétique de repos (inflammation
incomplète. En fonction de la sévérité, le traitement repose sur les et infection pulmonaire, anomalie génétique de CFTR) et une augmen-
laxatifs osmotiques à base de polyéthylène-glycol (PEG), l’hydrata- tation des pertes (maldigestion/ malabsorption digestive, vomisse-
tion, les lavements rétrogrades à la Gastrographine® diluée, voire ments voire glycosurie). Lorsque les ingesta sont insuffisants, le bilan
la perfusion ou la pose d’une sonde naso-gastrique en décharge. Ce énergétique se négative, compromettant la croissance staturo-pondé-
syndrome est différent de la constipation qui est présente dans au rale et retardant la puberté. En France, plus de 65 % des diagnostics
moins 1/3 des cas. La constipation justifie une bonne hydratation, de mucoviscidose sont portés dans le cadre du dépistage néonatal
un traitement laxatif au long cours (PEG) et une optimisation de offrant l’opportunité d’une prise en charge nutritionnelle préventive
la supplémentation en extraits pancréatiques (pas de diminution). précoce chez des nourrissons souvent peu symptomatiques [6].

3.6. Syndrome de pullulation bactérienne 4.1. Approche nutritionnelle préventive

En présence de douleurs abdominales chroniques, éventuellement Les apports énergétiques doivent permettre chez tous une crois-
associées à de la diarrhée, des ballonnements et des gaz, il faut évo- sance normale [7,8]. Ils varient de 110 à 200 % des recommandations
quer un syndrome de pullulation bactérienne de l’intestin grêle [1]. Il pour l’âge et le sexe. L’allaitement est bénéfique ; un allaitement
s’agit d’une malabsorption des sucres qui fermentent dans le côlon, exclusif de 2 mois permet une croissance satisfaisante et réduirait
secondaire à un déséquilibre du microbiote intestinal (dysbiose). Les le nombre d’infections à Pseudomonas aeruginosa jusqu’à l’âge de
facteurs favorisant cette dysbiose sont un antécédent de chirurgie 2 ans [9]. Si la prise pondérale est insuffisante, on peut enrichir le
digestive, une anse digestive borgne ou dilatée et l’utilisation lait à 1,2-1,5 Kcal/ml. Les laits à base d’hydrolysat de protéine sont
d’IPP. Le diagnostic peut être fait par la mesure de l’hydrogène et indiqués en cas de résection intestinale (ileus méconial), de dénutri-
du méthane expirés lors d’un test respiratoire au glucose, mais on tion ou d’intolérance aux protéines du lait de vache.
réalise plus souvent un test thérapeutique au métronidazole. La diversification alimentaire se fait à l’âge habituel. Il est souhai-
table de maintenir 3 repas et 2 collations. L’accompagnement pluri-

3.7. Colite à clostridium difficile disciplinaire faisant intervenir médecin, diététicien et psychologue
doit veiller à prévenir toute attitude de forcing alimentaire. L’alimen-
L’utilisation répétée d’antibiotiques et l’utilisation prolongée d’IPP tation doit être équilibrée, tout en tenant compte des préférences
pourraient favoriser la survenue de colite à Clostridium difficile [1]. alimentaires du patient, et des habitudes culturelles de la famille.

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Atteinte hépatique, digestive, prise en charge nutritionnelle et troubles de l’oralité chez l’enfant atteint de mucoviscidose

Les lipides représentent 50 % de l’apport énergétique total avant 6 oraux sont proposés, mais ne doivent pas remplacer les repas. En
mois puis 40-50 % ; les matières grasses végétales riches en acides l’absence de réponse ou de malnutrition sévère, la nutrition entérale
gras essentiels sont à favoriser. L’apport protéique souhaitable est par sonde nasogastrique ou gastrostomie, continue nocturne ou en
discuté, sans doute à majorer en raison des pertes azotées liées à bolus diurne a montré son efficacité. Elle nécessite éducation et
l’insuffisance pancréatique exocrine (IPE). Une supplémentation surveillance (glycémies, vomissements, diarrhée). Les stimulants de
sodée est recommandée pour tous les nourrissons (1-2mmol/kg/j l’appétit, l’hormone de croissance n’ont pas d’indication en routine,
pour maintenir un rapport Na urinaire/créatinine urinaire entre 17 faute d’études suffisantes.
et 51). Elle est poursuivie chez les enfants et les adultes, notamment L’approche multidisciplinaire dans les Centres de ressources et de
en climats chauds, en cas de fièvre ou d’activité sportive. compétence de la mucoviscidose (CRCM) et l’attention particulière
Des séances d’éducation thérapeutique sont proposées par la diété- portée très tôt à l’état nutritionnel ont permis d’améliorer la qualité
ticienne aux parents et à l’enfant selon l’âge : repérer les aliments de vie des patients et l’espérance de vie qui atteint actuellement
énergétiques et les aliments gras, adapter la posologie des extraits 50 ans. Plus récemment, l’utilisation des nouveaux traitements
pancréatiques selon l’apport lipidique. modulateurs de CFTR pour des patients porteurs de mutations de
classe III a entraîné un gain important et prolongé de la fonction

4.2. Enzymes pancréatiques (EP) et vitamines respiratoire et de l’état nutritionnel, ouvrant des perspectives très

liposolubles [7,8] encourageantes quant au développement de ces thérapeutiques


dans les années à venir et leur impact sur l’évolution des patients,
L’évaluation de la fonction du pancréas exocrine est nécessaire pour en particulier digestive et nutritionnelle.
confirmer une IPE (85-90 % des patients) même en présence de
symptômes évocateurs. L’élastase fécale (EF1) sur un échantillon de
selle est un test simple et fiable. Une valeur <200µg/g reflète une 5. Difficultés d’alimentation du jeune
IPE (sévère si <100µg/g). Un patient suffisant pancréatique pouvant enfant
devenir insuffisant pancréatique, une surveillance régulière de l’EF1
est préconisée notamment lors de stagnation pondérale. La supplé- Environ 25 % des enfants indemnes de pathologie chronique
mentation en EP gastro-protégés débute dès le diagnostic, adaptée présentent des difficultés d’alimentation de sévérité variable, et
au contenu lipidique des repas et collations (500-4000 IU lipase / ces difficultés sont plus fréquentes encore lorsque l’enfant est
gramme de lipide), sans dépasser les recommandations de 10 000 UI atteint de mucoviscidose, touchant environ 30 % à 50 % des jeunes
lipase/kg/j. Les EP sont donnés en début de repas (et au milieu si le patients selon les critères considérés [10]. Ces difficultés aggravent
repas se prolonge). Les gélules peuvent être ouvertes, les granules ne alors un état nutritionnel souvent précaire et constituent une pré-
doivent pas être croquées ni mises dans le biberon. Les patients sont à occupation majeure pour l’entourage, les repas devenant le théâtre
risque de carence en vitamines liposolubles A, E, D et K. Celles-ci sont d’enjeux considérables. Plusieurs mécanismes peuvent s’intriquer et
administrées au cours d’un repas avec des EP ; les dosages sériques expliquer l’installation de ces difficultés :
au moins annuels permettent d’adapter la posologie. Un dosage de La pathologie elle-même, du fait de l’inflammation et des infections,
stéatorrhée peut être utile pour apprécier le contrôle de l’IPE. et la situation d’hypercatabolisme entrainent un déséquilibre de
l’alternance physiologique faim/satiété. Les cytokines, médiateurs

4.3. Surveillance de l’état nutritionnel [7,8] de l’inflammation altèrent le fonctionnement de nombreux neuro-
transmetteurs et perturbent la régulation de l’appétit. De plus, les
À chaque visite, l’anthropométrie est évaluée (poids, taille, indice de troubles digestifs fréquents, tels que le RGO, les douleurs abdomi-
masse corporelle (IMC) après 2 ans) et reportée sur la courbe de nales, la maldigestion liée à l’IPE, l’encombrement bronchique avec
référence. L’objectif est un IMC ≥ 50e percentile de 2 à 18 ans. La bronchorrhée déglutie, la fatigabilité participent à un inconfort
malnutrition est définie chez l’enfant par une valeur <10e percentile. général ne favorisant pas l’optimisation des prises alimentaires
La densité minérale osseuse doit être évaluée par une ostéodensito- orales. Au-delà de ces causes évidentes, d’autres mécanismes
métrie à partir de 8-10 ans. peuvent être impliqués. Chez certains enfants dont l’histoire débute
par un iléus méconial, lorsqu’un jeune prolongé s’impose avec stomie

4.4. Support nutritionnel [7,8] et nutrition artificielle prolongée, les difficultés peuvent également
être liées à un défaut d’expérimentation orale physiologique indui-
En cas de dénutrition, il est nécessaire d’en rechercher la cause sant un décalage de l’acquisition des praxies de mastication. Une
(apports insuffisants, IPE mal contrôlée, diabète…) et de la corriger. décompensation respiratoire précoce, une hospitalisation prolon-
Si les ingesta sont insuffisants, des compléments nutritionnels gée, un vécu d’agressions corporelles multiples et répétées peuvent

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aboutir au développement de réactions corporelles défensives Liens d’intérêts


lorsque toute sollicitation sensorielle est perçue comme irritative.
L’enfant présente alors une hyper-sensitivité buccale, avec en parti- D. Debray : Essais cliniques : en qualité d’investigateur principal,
culier un réflexe hyper-nauséeux. Enfin, une origine psychologique coordonnateur ou expérimentateur principal (Hôpital Necker) ; Inter-
des troubles est très souvent associée. On peut ainsi fréquemment ventions ponctuelles : rapports d’expertise (VLM) ; Conférences : invi-
observer une anorexie d’opposition survenant généralement à tations en qualité d’intervenant (Congrès nationaux et internationaux).
partir de la diversification, temps sensible de l’autonomisation du E. Mas : Interventions ponctuelles : rapports d’expertise (Biocodex) ;
nourrisson, comme réponse de l’enfant à une situation difficile. Conférences : invitations en qualité d’auditeur (frais de déplace-
ment et d’hébergement pris en charge par une entreprise) (Aptalis,
L’enjeu nutritionnel lié à la mucoviscidose et la pression médicale Biocodex, Vertex).
peuvent induire des attitudes parentales de nourrissage inadaptées A. Munck : Essais cliniques : en qualité d’investigateur principal,
qui favorisent l’émergence de ces difficultés [11]. Ces enfants perçus coordonnateur ou expérimentateur principal (Vertex, Novartis, Phar-
par leurs parents ou les équipes médicales comme trop petits font maxis) ; Interventions ponctuelles : rapports d’expertise (Vertex,
l’objet de tentatives persistantes d’alimentation ou d’un nourrissage Novartis) ; Interventions ponctuelles : activités de conseil (Mylan,
mécanique ignorant leurs signaux de satiété. L’alimentation devient Mayoli Splinder) ; Conférences : invitations en qualité d’intervenant
intrusive et persécutante, aboutissant à un refus de l’enfant. Face à (Mayoli Splinder) ; Versements substantiels au budget d’une institu-
de telles difficultés, il convient, au terme d’une analyse minutieuse tion dont vous êtes responsable (Vertex, Novartis, Pharamaxis).
de la situation, d’expliquer aux parents les mécanismes impliqués, M. Gérardin : non transmis.
de les déculpabiliser et de proposer un projet cohérent coordonnant H. Clouzeau : aucun.
les versants nutritionnels, psychologiques et rééducatifs de la prise
en charge. L’optimisation nutritionnelle est en effet un objectif Références
prioritaire, même s’il faut garder en tête que l’instauration d’une
[1] Munck A, Languepin J, Debray D, et al. Management of pan-
nutrition entérale génère souvent une diminution des ingesta spon- creatic, gastrointestinal and liver complications in adult cystic
tanés. Il faut alors privilégier des prises orales favorisant le plaisir, fibrosis. Rev Mal Respir 2015;32:566-85.
[2] Debray D, Kelly D, Houwen R, et al. Best practice guidance for the
valorisant l’enfant et facilitant l’instauration d’un climat serein
diagnosis and management of cystic fibrosis-associated liver
autour des repas, afin de ne pas désinvestir la sphère orale. La prise disease. J Cyst Fibros 2011;10: S29-36.
en charge peut s’appuyer sur des séances de psychomotricité ou de [3] Cheng K, Ashby D, Smyth RL. Ursodeoxycholic acid for cystic
kinésithérapie chez les plus jeunes lorsque le corps a été très agressé fibrosis-related liver disease. Cochrane Database Syst Rev
2012;10:CD000222.
pour une remise en confiance corporelle. Un bilan orthophonique [4] Pauwels A, Blondeau K, Dupont LJ, et al. Mechanisms of increased
avec prise en charge aura pour objectifs de ré-aborder positivement gastroesophageal reflux in patients with cystic fibrosis. Am J
la bouche, de rééduquer les praxies de mastication, d’affiner les Gastroenterol 2012;107:1346-53.
[5] Munck A, Alberti C, Colombo C, et al. International prospective
perceptions et de désensibiliser en cas de réflexe hyper-nauséeux.
study of distal intestinal obstruction syndrome in cystic fibrosis:
L’accompagnement des familles au quotidien, la guidance parentale Associated factors and outcome. J Cyst Fibros 2016;15:531-9.
doit veiller à proscrire toute manœuvre de nourrissage intrusif [6] Yen EH, Quinton H, Borowitz D. Better nutritional status in
early childhood is associated with improved clinical out-
(biberon nocturne, repas prolongé, conditionnement excessif par
comes and survival in patients with cystic fibrosis. J Pediatr
distraction, nourrissage forcé) et à promouvoir des interactions 2013;162:530-5.
familiales positives favorisant un climat détendu pendant le repas. [7] Munck A. Nutritional considerations in patients with cystic
fibrosis. Expert Rev Respir Med 2010;4:47-56.
[8] Turck D, Braegger CP, Colombo C, et al. ESPEN-ESPGHAN-ECFS
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[9] Jadin SA, Wu GS, Zhang Z et al. Growth and pulmonary out-
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Avec l’augmentation de l’espérance de vie des patients atteints de
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mucoviscidose, le dépistage et la prise en charge des complications sin Routine Newborn Screening Program. Am J Clin Nutr
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l’impact négatif sur la qualité des repas, constituent des enjeux
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