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Nutrition clinique et métabolisme 19 (2005) 214–218 / http://france.elsevier.

com/direct/NUTCLI/
Numéro hors série Archives de pédiatrie, vol. 12, n° 4

Évaluation de l’état nutritionnel et des besoins


de l’enfant et de l’adolescent
Assessment of the nutritional status and needs of children and adolescents
Marie Alphonse, Régis Hankard *
Pédiatrie multidisciplinaire et nutrition de l’enfant, CHU de Poitiers, 2, rue de la Milétrie, 86021 Poitiers cedex, France
Disponible sur internet le 18 octobre 2005

Résumé

La dénutrition concerne 10 à 15 % des enfants hospitalisés, en particulier ceux atteints de maladies chroniques. L’amélioration de la prise
en charge de l’enfant dénutri impose un dépistage systématique à chaque admission. La mesure du poids et de la taille est indispensable ; elle
permet le calcul d’indices nutritionnels simples, le rapport poids sur taille ou l’indice de masse corporelle. Le risque de constituer une
dénutrition dépend : 1) de la gravité du diagnostic principal, 2) des capacités d’alimentation spontanée et 3) de la douleur. Dans tous les cas il
est indispensable de suivre l’évolution pondérale en cours d’hospitalisation. Une prise en charge est au mieux débutée avant que la dénutrition
ne s’installe. La voie digestive (orale ou entérale) doit être favorisée tant que l’intestin est fonctionnel. Une prise en charge nutritionnelle
adaptée contribue à améliorer le pronostic et le bien-être des enfants hospitalisés.
© 2005 Publié par Elsevier SAS.

Abstract

Ten to fifteen percent of hospitalized children suffer from malnutrition. Children suffering from chronic diseases are at particularly high
risk for malnutrition. A systematic screening for malnutrition and nutritional risk can improve nutritional care in this population. Simple
measures (weight and height at admission) can be used to calculate nutritional indices (weight for height ratio or body mass index). Nutritional
risk depends on: 1) the severety of the principal diagnosis, 2) the ability to feed oneself, and 3) the pain intensity. The oral or enteral route is
preferred when the gut is functional. In all cases nutritional status must be followed throughout hospitalisation. Furthermore, it is preferable to
begin nutritional care before malnutrition sets in. Nutritional care can improve the outcome and well-being of hospitalized children.
© 2005 Publié par Elsevier SAS.

Mots clés : Enfants ; Dénutrition ; Dépistage

Keywords: Children; Malnutrition; Screening

1. La dénutrition chez l’enfant en France atteints de maladies chroniques. Elle se rencontre donc à
l’hôpital et d’autant plus dans les services médicaux et chi-
La dénutrition de l’enfant n’est pas l’apanage des pays en rurgicaux accueillant des pathologies « lourdes » (maladies
voie de développement ou des situations de crises (guerres, inflammatoires, handicap, pathologies chroniques en décom-
phénomènes climatiques, migration de populations). En occi- pensation, réanimation). La dénutrition en milieu hospitalier
dent, la dénutrition concerne principalement les enfants est souvent méconnue [1,2]. Sa prévalence a été peu étudiée.
La proportion d’enfants hospitalisés dénutris (rapport poids
sur taille inférieur à 80 %) varie selon les études entre 7 et
24 % pour la plus ancienne [3–7]. Chez l’enfant comme chez
* Auteur correspondant.
Adresse e-mail : r.hankard@chu-poitiers.fr (R. Hankard).
l’adulte, la dénutrition s’aggrave au cours de l’hospitalisa-

0985-0562/$ - see front matter © 2005 Publié par Elsevier SAS.


doi:10.1016/j.nupar.2005.09.007
M. Alphonse, R. Hankard / Nutrition clinique et métabolisme 19 (2005) 214–218 / Numéro hors série Archives de pédiatrie, vol. 12, n° 4 215

tion [6,8]. La dénutrition est un facteur pronostique ; la mor- RPT est le rapport entre son poids mesuré et ce poids
talité croit avec la profondeur de la dénutrition observée à moyen pour la taille exprimé en pourcentage. Inférieur à
l’admission. Chez l’adulte, la dénutrition à l’admission pro- 80 %, il signe une dénutrition avérée [11].
longe la durée de séjour et donc son coût [9,10]. L’IMC est le rapport entre le poids mesuré en kg et la taille
L’évaluation systématique de l’état nutritionnel fait partie exprimée en mètres et élevée au carré. L’IMC doit être
des référentiels de bonnes pratiques : « La prise en charge du reporté sur les courbes de corpulence en fonction du sexe
patient est établie en fonction d’une évaluation initiale et régu- et de l’âge de l’enfant. Tout IMC inférieur au troisième
lière de son état de santé », « Les besoins spécifiques du patient percentile est considéré insuffisant ;
sont identifiés et pris en charge »... Ces démarches sont encore • règle no 3 : réévaluer régulièrement ces paramètres.
rarement mises en œuvre. Ce point est d’ailleurs cité dans La stratégie de prise en charge nutritionnelle doit être éta-
une résolution du conseil de l’Europe de 2003 qui : blie en fonction de ces paramètres simples de façon
• juge inacceptable la prévalence de la malnutrition hospi- conjointe avec la thérapeutique de la pathologie causale.
talière et ; Nul besoin de techniques complexes pour juger de l’effi-
• élève l’accès à une nourriture saine et adaptée au niveau cacité du traitement ; la mesure régulière du poids et de la
d’un droit fondamental de l’homme. taille et le calcul de ces indices suffisent pleinement.
Même si la dénutrition touche en premier lieu l’enfant hos-
pitalisé, il est important de rappeler que la dénutrition peut
être un signe d’entrée dans la maladie. Le suivi de la crois- 3. Savoir évaluer le risque de dénutrition
sance staturopondérale et le recours aux outils simples qui
sont présentés ici concernent donc aussi la consultation ambu- Prévenir la dénutrition bien avant qu’elle ne se constitue
latoire. doit être l’objectif à atteindre. Cette démarche doit être menée
parallèlement à l’amélioration du dépistage et de la prise en
charge de la dénutrition avérée et non dans un deuxième
2. Comment la détecter ? temps. En pratique, l’expérience porte là encore à s’appuyer
sur des moyens simples et validés, seuls garants de la faisa-
2.1. Des moyens simples bilité d’une évaluation systématique. Ces deux critères sont
réunis dans un excellent travail récent réalisé à Necker qui
Le diagnostic d’une dénutrition est simple et répond à une propose un score, le score de risque nutritionnel pédiatrique
définition précise. Trop souvent, le « coup d’œil du maqui- (SRNP) allant de 0 à 5 et suggère une prise en charge adaptée
gnon » est seul utilisé en pratique courante. Cette étape est à chaque cas [6]. En pratique, trois critères sont à estimer
déjà appréciable mais elle est grevée d’une grande subjecti- devant tout enfant malade :
vité dans l’estimation d’une insuffisance pondérale ou de • la gravité de la maladie ;
l’obésité. En pratique, voici trois règles d’or : • la douleur et ;
• règle no 1 : il est indispensable de peser et mesurer l’enfant. • la capacité à s’alimenter.
D’apparence simple, cette première démarche n’est que Des formulaires téléchargeables sont disponibles sur notre
rarement réalisée en hospitalisation. Dans une étude site : www.pedipoitiers.fr. Même en l’absence du calcul du
récente, les mesures du poids et de la taille étaient respec- score, s’interroger sur la prise en charge nutritionnelle d’un
tivement effectuées chez 94 et 58 % des enfants hospitali- enfant (avis d’une diététicienne, d’un médecin plus spécia-
sés (enquête un jour donné) [7]. Cette constatation lisé dans ce domaine...) constituerait déjà un gain significatif
concerne aussi le suivi ambulatoire des enfants et la mise à dans la prise en considération de l’aspect nutritionnel de la
jour du carnet de santé. Le suivi régulier de la courbe sta- pathologie.
turopondérale est au centre de la consultation pédiatri-
que ; encore faut-il s’en donner les moyens. Toute cassure 3.1. Particularités de l’enfant obèse
de la croissance pondérale doit poser question, inciter au
calcul d’indices exposés plus bas, au suivi et éventuelle- L’obésité ne protège pas des conséquences délétères de la
ment au recours à une évaluation plus spécialisée ; perte de poids et en particulier de la dénutrition et de la perte
• règle no 2 : le poids doit être évalué en fonction de la taille. de masse maigre (masse protéique), compartiment corporel
Deux indices le permettent : le calcul du rapport du poids déterminant pour la réponse au stress [12,13]. L’obésité cons-
mesuré sur le poids moyen que l’enfant devrait faire pour titue un problème de santé public majeur. Nous retrouvons
la taille qu’il mesure (RPT) et l’indice de masse corpo- régulièrement une même prévalence de l’obésité chez les
relle (IMC). enfants hospitalisés que dans la population générale [7]. Ces
Le RPT se calcule avec la courbe de croissance de l’enfant. patients posent des problèmes particuliers de prise en charge
Dans un premier temps, on note l’âge pour lequel la taille qui ne sont pas évoqués ici (conséquences métaboliques, ven-
de l’enfant est à la moyenne (par exemple une taille de 1 m tilation, mobilisation...) mais le pronostic est aggravé par
correspond à quatre ans). On note ensuite le poids moyen l’apparition d’une dénutrition. En pratique, nous sommes fré-
qu’il devrait faire à cet âge (dans notre exemple 16 kg). Le quemment faussement rassurés par un aspect « floride » qui
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Fig. 1. Comment calculer le rapport poids sur taille (RPT) en pratique ? un RPT < 80 % signe une dénutrition avérée.

masque initialement la perte de masse musculaire. La sur- 4. İntégrer une stratégie diagnostique
veillance doit donc être particulièrement attentive (poids, esti- et de prise en charge
mation de la composition corporelle, dosage de témoins du
4.1. Le programme national nutrition santé (PNNS)
catabolisme protéique comme le bilan d’azote et l’urée plas-
matique...). La survenue d’une agression n’est sûrement pas Le PNNS inclut un volet pédiatrique. Il s’agit d’un pro-
une « bonne méthode » pour perdre du poids Fig 1. grès considérable car il officialise et légitime une démarche
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Tableau 1 Tableau 2
Estimation de la dépense énergétique de repos Facteurs correctifs d’agression (www.anaes.fr)
Population Équation Contexte Facteur correctif
Harris et Garçons 67 + 14 × P + 500 × T – 7 × A Postopératoire 1,0–1,1
Benedict [15] Filles 655 + 9,6 × P + 185 × T – 5 × A Fractures multiples 1,1–1,3
Schofield [16] G (3–10 ans) 415 + 19,6 × P + 1,30 × T İnfection sévère 1,3–1,6
F (3–10 ans) 371 + 17,0 × P + 1,62 × T Brûlures 1,5–2,1
G (10–18 ans) 516 + 16,3 × P + 1,37 × T
F (10–18 ans) 200 + 8,4 × P + 4,66 × T sont eux aussi le plus souvent majorés en pathologie (situa-
G : garcons ; F : filles ; P poids en kg ; T : taille en m ; A : âge en ans. tion de stress). Ces aspects sont développés ailleurs dans ce
numéro.
menée par un petit nombre de professionnels. Le PNNS pro-
pose des outils simples et des conduites à tenir pour la dénu-
trition de l’enfant. La mesure du poids et de la taille, le calcul
5. Conclusion
d’indices nutritionnels comme le rapport poids sur taille et le
score de risque nutritionnel pédiatrique s’inscrivent ainsi dans
Comme la douleur, la dénutrition n’est pas une fatalité asso-
une démarche lisible dont nombreux documents sont attei-
ciée à la maladie. L’amélioration de la prise en charge nutri-
gnables sur Internet : http://www.nutrimetre.org/.
tionnelle passe par une information patiente et répétée auprès
des professionnels de santé (médicaux et paramédicaux), un
4.2. La thérapeutique nutritionnelle renforcement de l’enseignement de la nutrition au cours des
études de médecine ou paramédicales, la mise en place d’une
La nutrition thérapeutique couvre un horizon très étendu démarche diagnostique et thérapeutique cohérente dont la per-
et peut nécessiter le recours à des techniques complexes voire tinence doit être évaluée sur les populations à risque. Chez
une expertise spécifique (nutrition artificielle, choix des nutri- l’enfant, la première démarche concerne des actes aussi sim-
ments pour leurs effets thérapeutiques). Cependant, l’alimen- ples que la mesure systématique du poids et de la taille à
tation doit rester un acte de bon sens et inclut les dimensions l’admission et leur suivi. İntégrée dans le projet thérapeuti-
de plaisir et de convivialité que l’on ne peut dissocier de notre que du patient, la nutrition contribue à améliorer le bien-être
approche. du patient et le pronostic de la maladie causale.
La voie orale doit toujours être privilégiée. Encore faut-il
pouvoir s’adapter aux goûts de l’enfant, ce d’autant qu’il
existe une anorexie en phase aiguë. Peu de structures hospi- Références
talières permettent un régime « à la carte » aux patients à
haut risque nutritionnel. En pratique, une telle politique ne [1] McWhirter JP, Pennington CR. Incidence and recognition of malnu-
peut être menée au sein des hôpitaux qu’en association avec trition in hospital. BMJ 1994;308:945–8.
un système de détection systématique de la dénutrition, une [2] Garrow J. Starvation in hospital. BMJ 1994;308:934.
organisation rigoureuse de la prise en charge et une évalua- [3] Hendricks KM, Duggan C, Gallagher L, Carlin AC, Richardson DS,
tion. Collier SB, et al. Malnutrition in hospitalized pediatric patients. Cur-
rent prevalence. Arch Pediatr Adolesc Med 1995;149:1118–22.
Lorsque la voie orale ne suffit pas, il faut privilégier la [4] Hendrikse WH, Reilly JJ, Weaver LT. Malnutrition in a children’s
nutrition entérale qui génère moins de complications que la hospital. Clin Nutr 1997;16:13–8.
nutrition parentérale. Cette dernière nécessite la pose d’une [5] Merritt RJ, Suskind RM. Nutritional survey of hospitalized pediatric
voie centrale car la couverture quantitative et qualitative des patients. Am J Clin Nutr 1979;32:1320–5.
besoins ne peut se faire sans recourir à des solutés hyperos- [6] Sermet-Gaudelus I, Poisson-Salomon AS, Colomb V, Brusset MC,
Mosser F, Berrier F, et al. Simple pediatric nutritional risk score to
molaires veinotoxiques.
identify children at risk of malnutrition. Am J Clin Nutr 2000;72:64–
Dans tous les cas, les apports doivent être adaptés aux 70.
besoins qui dépendent de l’âge, de la maladie et des pertes. Si [7] Hankard R, Bloch J, Martin P, Randrianasolo H, Bannier MF, Machi-
un document récent issu de l’Afssa précise les apports nutri- not S, et al. Nutritional status and risk in hospitalized children. Arch
tionnels conseillés pour la population [14], les besoins en Pediatr 2001;8:1203–8.
pathologies restent mal connus. En pratique courante, on uti- [8] Man WD, Weber M, Palmer A, Schneider G, Wadda R, Jaffar S, et al.
Nutritional status of children admitted to hospital with different dis-
lise pour les besoins quantitatifs (énergie non protéique) une eases and its relationship to outcome in The Gambia, West Africa.
valeur de départ de 1500 Kcal/m2 de surface corporelle ou Trop Med Int Health 1998;3:678–86 [published erratum appears in
d’autres formules qui figurent dans le Tableau 1. Le niveau Trop Med. Int. Health 1998 Oct;3(10):854].
d’agression majore ces besoins ; en l’absence de facteurs spé- [9] Reilly JJ, Hull SF, Albert N, Waller A, Bringardener S. Economic
cifiquement pédiatriques, il faut utiliser les facteurs correc- impact of malnutrition: a model system for hospitalized patients.
JPEN J Parenter Enteral Nutr 1988;12:371–6.
tifs issus de la conférence de consensus sur le patient agressé
[10] Robinson G, Goldstein M, Levine GM. Impact of nutritional status on
(Tableau 2). En règle générale, ces estimations mènent le plus DRG length of stay. JPEN J Parenter Enteral Nutr 1987;11:49–51.
souvent à surestimer les besoins de l’enfant. Les besoins spé- [11] Waterlow JC. Classification and definition of protein-calorie malnu-
cifiques en protéines, vitamines, minéraux et oligoéléments trition. BMJ 1972;3:566–9.
218 M. Alphonse, R. Hankard / Nutrition clinique et métabolisme 19 (2005) 214–218 / Numéro hors série Archives de pédiatrie, vol. 12, n° 4

[12] Tremblay A, Bandi V. Impact of body mass index on outcomes [14] Martin A. Apports nutritionnels conseillés pour la population
following critical Care. Chest 2003;123:1202–7. française. Paris: Editions Tec&Doc; 2001 (605).
[15] Harris JA, Benedict F. A biometric study of basal metabolism in man.
[13] Jeevanandam M, Young DH, Schiller WR. Obesity and the metabolic Washington, DC: Carnegie Institute of Washington; 1919.
response to severe multiple trauma in man. J Clin Invest 1991;87: [16] Schofield WN. Predicting basal metabolic rate, new standards and
262–9. review of previous work. Hum Nutr Clin Nutr 1985;39:5–41.

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