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Nutrition clinique et métabolisme 29 (2015) 197–201

Développement professionnel continu

Nourrir un patient atteint de troubles neurocognitifs à l’hôpital et à


domicile ? Le manger-mains : aspects pratiques
Feeding a patient with neurocognitive impairment in the hospital and at home?
Convenience of finger-food
Gabriel Malerba a,∗ , Alina Pop a , Thérèse Rivasseau-Jonveaux a , Stéphanie Mouchotte a ,
Julien Fabbro b , Alexandra N’Guyen b , Anne Schmitt c , Didier Quilliot d
a Centre médical Paul-Spillmann, hôpital Saint-Julien, CHRU de Nancy, 1, rue Foller, CO no 60034, 54035 Nancy cedex, France
b Service de restauration des hôpitaux urbains, CHRU de Nancy, 54035 Nancy cedex, France
c Unité de production culinaire, service de diététique, CHRU de Nancy, 54000 Nancy, France
d Unité d’assistance nutritionnelle, hôpitaux de Brabois, CHRU de Nancy, 54511 Vandœuvre-lès-Nancy cedex, France

Disponible sur Internet le 6 juillet 2015

Résumé
Chez les personnes âgées, la maladie d’Alzheimer et les maladies apparentées aggravent la forte prévalence de la dénutrition protéinoénergétique,
elle-même responsable de décompensation des critères de fragilité gériatrique. Le manger-mains est composé de réductions dinatoires servies
individuellement, pouvant être saisies avec les mains et consommées en une bouchée. Il est décrit comme une réadaptation de la prise alimentaire dont
l’objectif principal est d’améliorer la qualité et la quantité du bilan calorique. L’évaluation multidisciplinaire va induire le choix du type de bouchée
(classique, mixé-lisse ou manger-debout) en fonction de la forme clinique des troubles neurocognitifs, de l’existence de troubles de déglutition, des
coutumes ou croyances, des difficultés logistiques inhérentes au lieu de vie et de la disponibilité des aidants ou des soignants. Cependant, bien qu’étant
favorablement évalué par les équipes l’ayant mis en place, aucune preuve tangible de son efficacité n’a été retrouvée dans la littérature scientifique.
Ainsi, le développement de son utilisation, notamment au domicile des personnes atteintes de maladies démentielles, et son enseignement auprès
des professionnels de la santé favoriseraient les possibilités d’en évaluer les impacts nutritionnels et cognitivo-comportementaux.
© 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Maladie d’Alzheimer ; Dénutrition ; Handicap ; Troubles cognitivo-comportementaux ; Rééducation nutritionnelle

Abstract
In the elderly, Alzheimer’s and related diseases increase the high prevalence of undernutrition, itself accountable of decompensation of geriatric
frailty criteria. The finger-food is composed of appetizer served individually, which can be grasped with the hands and eaten in one bite. It is described
as a food intake rehabilitation whose main objective is to improve the quality and quantity of calorie balance. The multidisciplinary evaluation will
induce the choice of the type of food morsel (classical, smooth mixed or eat-standing) depending on the clinical form of neurocognitive disorders,
the existence of swallowing disorders, customs or beliefs, logistical difficulties inherent to the place of living and the availability of carers or
caregivers. However, despite positive assessment by the teams having established the finger-food, no tangible evidence of its efficiency has been
found in the scientific literature. Thus, the development of its use, including the homes of people with dementia diseases, and education among
health professionals promote opportunities to attest the nutritional and cognitive behavioral impacts.
© 2015 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Keywords: Alzheimer’s disease; Undernutrition; Handicap; Cognitive-behavioral disorders; Nutritional rehabilitation

∗ Auteur correspondant.
Adresse e-mail : g.malerba@chu-nancy.fr (G. Malerba).

http://dx.doi.org/10.1016/j.nupar.2015.06.001
0985-0562/© 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
198 G. Malerba et al. / Nutrition clinique et métabolisme 29 (2015) 197–201

1. Introduction Tableau 1
Facteurs de risque de dénutrition chez la personne âgée [9].
Il existe une forte prévalence de dénutrition protéinoéner- Modification du régime alimentaire, perte d’appétit
gétique chez les personnes âgées : 4 à 10 % à domicile, 15 à Perte de poids
38 % en institution et elle dépasse souvent les 30 % (jusqu’à Qualité médiocre du contenu du réfrigérateur
Conditions socioéconomiques défavorables, précarité
70 % selon les services) à l’hôpital [1]. Elle peut être volontaire Isolement social
mais le plus souvent, la dénutrition est liée à une pathologie Handicaps physiques
chronique ou subaiguë, à un handicap ne bénéficiant pas d’une Troubles de la statique et de la marche
réadaptation suffisante. Elle est responsable de l’aggravation des Grand âge
polypathologies préexistantes et constitue un véritable enjeu de Polypathologie (plus de trois maladies chroniques)
Polymédication (traitement chronique associant au moins 4 médicaments)
santé publique [2]. Troubles sensoriels : visuels, altération du goût et de l’odorat, sensation de
Chez les patients atteints de maladie démentielle, la perte soif estompée
de poids est d’origine multifactorielle et le bilan des ingesta Troubles neurologiques, neurocognitifs et psychiatriques
est souvent difficile à réaliser. L’amélioration de la prise ali- Difficultés à l’hygiène
mentaire est également compliquée à mettre en place. Le Affections buccodentaires
Déglutition pathologique
manger-mains a commencé à être décrit comme réadaptation Douleur physique et morale
alimentaire en 1993 [3,4]. Toutefois, c’est Charles-Henri Rapin,
gériatre suisse, qui formalise le concept [5,6]. Le principe est
d’attiser l’appétit et de favoriser l’autonomie des patients grâce
à des recettes de mise-en-bouche. Les publications témoignent Les difficultés praxiques rendent difficile l’utilisation des
d’expériences favorablement vécues, notamment par les soi- couverts, des verres et gênent la prise des repas. Cela peut engen-
gnants et les aidants, donnant de bons résultats qualitatifs mais, drer la frustration de ne pouvoir compenser la sensation de faim,
pour la plupart, non évaluées de façon quantitative par des études mais aussi à vivre ce sentiment d’échec. L’assistance alimentaire
interventionnelles [7,8]. peut être refusée si elle est perçue comme injustifiée et entraîner
des troubles du comportement, tels qu’une majoration du repli
2. Les troubles alimentaires chez les patients âgés sur soi, un refus alimentaire ou une agressivité.
atteints de démence L’agnosie visuelle empêche également les patients
d’organiser correctement leur repas et l’utilisation des
2.1. Alimentation et vieillissement couverts complique l’intégration du rapport tridimensionnel
de la gestuelle. L’ergonomie du repas peut être améliorée en
L’évaluation des apports énergétiques est incluse dans augmentant le contraste entre l’assiette et la table, les aliments
l’évaluation gériatrique standardisée et selon les critères établis et l’assiette par un jeu de couleurs ou la création d’ombres de
par la Haute Autorité de santé (HAS) [9]. Les apports éner- lumière grâce à un éclairage favorable [13].
gétiques doivent être suffisants et maintenus en qualité et en Les troubles du comportement sont fréquemment décrits
quantité. Manger permet de maintenir des réserves fonction- à un certain stade d’évolution de la maladie d’Alzheimer.
nelles suffisantes afin d’éviter la décompensation d’un ou de L’analyse des troubles du comportement alimentaire peut être
plusieurs critères de fragilité gériatrique telle que la dysfonction évaluée grâce à l’échelle validée de Blandford [14]. Un excès
musculaire (sarcopénie) qui, elle-même, augmente les risques d’alimentation (hyperphagie) survient parfois au stade moyen
de chute [10]. Il convient donc de repérer les nombreux facteurs de la maladie démentielle. Ce trouble n’empêche pourtant pas
de risque de dénutrition (Tableau 1). les risques de dénutrition au cours de la maladie, puisqu’il est la
plupart du temps transitoire. La déambulation intempestive ou
2.2. Les troubles nutritionnels au cours de la maladie l’akathisie empêche le patient dément d’être attablé au moment
d’Alzheimer ou maladies apparentées du repas. Ainsi, la diminution des apports et l’augmentation de
la dépense énergétique expliquent une partie de la dénutrition.
Au cours des maladies neurocognitives, on estime que la La dépression, fréquente au cours des troubles démentiels,
moitié des difficultés à pouvoir s’alimenter seul est liée aux han- peut entraîner une anorexie et la nécessité de recourir à une
dicaps : troubles de l’acuité visuelle, autres troubles sensoriels assistance nutritionnelle [15]. Elle doit être dépistée et traitée.
(dysgueusie et dysosmie), troubles neuromoteurs et sensitifs, Néanmoins, certains traitements peuvent eux-mêmes induire
troubles de mastication et de déglutition [11]. Pour l’autre une anorexie, des troubles du transit, des nausées ou une séche-
moitié, il s’agit des conséquences directes du syndrome aphaso- resse des muqueuses compliquant la prise des aliments. Les
apraxoagnosique et des troubles exécutifs [12]. effets anticholinergiques peuvent également aggraver l’état cog-
Les difficultés du langage limitent la fiabilité de l’évaluation nitif et provoquer une confusion mentale.
clinique. Les proches des patients doivent être consultés afin La douleur chronique irréductible aggrave les risques de
de valider la réalité des informations recueillies même si les dénutrition et doit être traitée de façon efficace. L’évaluation
goûts ne sont pas fixés dans le temps. La maladie amène à des systématique est complétée avec les échelles validées adaptées
changements de perception et d’interprétation dans les modes d’auto- mais aussi d’hétéro-évaluation (Doloplus® , Algoplus® ,
de communication mais aussi de perception des saveurs. Échelle comportementale pour la personne âgée) [9].
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L’institutionnalisation (ou l’hospitalisation) des patients


atteints de maladie démentielle représente une source de dés-
équilibre nutritionnel [12]. La dynamique organisationnelle
imposée par la vie en collectivité fixe la répartition, le rythme
de distribution et le temps d’ingestion des repas. La période
de jeûne nocturne est souvent trop longue ; le choix des menus
est limité ; les quantités et textures des repas sont imposées ; la
qualité de présentation n’est souvent pas conforme aux habi-
tudes alimentaires de toute une vie [13]. Les repas fabriqués
en unité de production culinaire ne se conservent pas long-
temps. Ils ne peuvent donc pas être servis à distance en cas
d’indisponibilité temporaire du patient, par exemple, lors d’une
période d’agitation. Tout cela s’oppose au respect du rythme
des personnes atteintes d’une maladie d’Alzheimer du fait de
troubles de perception de la temporalité.
Fig. 1. Manger-mains « mixé lisse ».
2.3. Effet direct de la maladie d’Alzheimer

Il semblerait que la dénutrition dans la maladie d’Alzheimer classique, alternant le froid et le chaud, le salé et le sucré [6].
ne soit pas seulement liée aux mauvaises capacités à s’alimenter Elles ne sont pas servies de façon collective mais de façon indi-
mais soit aussi le résultat de la progression de la maladie viduelle, généralement dans une assiette. Nous identifions trois
elle-même, entravant la disponibilité systémique de plu- types de manger-mains différents.
sieurs nutriments [2,16]. Des expérimentations nutritionnelles
récentes, faites chez l’animal, donnent quelques espoirs de ralen-
3.2.1. Le manger-mains « classique »
tir la progression de la maladie, en améliorant simultanément
C’est le plus décrit dans la littérature. Il s’adapte principa-
la vascularisation cérébrale et en renforçant les mécanismes
lement aux troubles praxiques et aux handicaps physiques. Il
neuroprotecteurs [17].
privilégie principalement la présentation en portions réduites
tels que les beignets, quiches, toasts, légumes coupés, etc. Les
3. Le manger-mains
textures des repas sont de tous types.
3.1. Principes
3.2.2. Le manger-mains « mixé lisse »
Le manger-mains, conçu pour être saisi avec les doigts, Très peu décrit de façon spécifique dans la littérature, il
constitue une adaptation nutritionnelle spécifique ayant pour but respecte la présentation en portion unique, il est conçu pour
de contourner les handicaps et les pertes d’autonomie engendrés s’adapter aux difficultés alimentaires des patients édentés, avec
par les troubles neurocognitifs et permettant de préserver dignité des pathologies buccodentaires ou présentant des troubles de
et estime de soi. Il répond aux politiques de santé publique telles déglutition (Fig. 1). Ce type de manger-mains fait appel à
que le troisième Programme national nutrition santé (PNNS) l’utilisation de gommes alimentaires (xanthane, agar-agar, guar
2011–2015 et le plan Alzheimer 2008–2012, qui insistent sur la ou tara) ou de gélatines (bœuf) non allergisantes et n’interférant
nécessité d’élaboration de protocoles de prise en charge nutri- pas avec les interdictions alimentaires d’ordre culturel ou reli-
tionnelle spécifiques pour les patients reconnus comme dénutris gieux. Les réductions doivent être facilement manipulables mais
[9]. Dans la majorité des descriptions, le manger-mains est doivent se transformer rapidement en purée par simple écra-
constitué de bouchées dînatoires qui tendent à respecter les cri- sement par la langue contre le palais, ou contre les arcades
tères nutritionnels d’un repas classique, soit chaque jour : 35 à dentaires.
40 kcal/kg de poids dont idéalement 50 à 70 % de glucides, 30 à
40 % de lipides et 1 à 1,2 g/kg de poids de protéines [1].
3.2.3. Le manger-mains « déambulation » ou le
3.2. Les différents types de manger-mains « manger-debout »
Il ne se différencie pas par sa conception mais par le type de
En réalité, tout aliment peut être un manger-mains dans la patient auquel il est proposé [18]. Il est destiné aux personnes
mesure où il est consistant et s’il peut être absorbé en une bou- ayant des troubles du comportement du type akathisie (impos-
chée. Les différentes descriptions dans la littérature montrent sibilité de s’asseoir ou de rester dans la position assise) avec
que les équipes ayant réfléchi à sa mis en place ne tentent pas déambulation intempestive. Il doit permettre de se nourrir de
toujours de répondre aux mêmes besoins [6]. Le plus souvent, manière fractionnée pendant les promenades tout au long de
les bouchées sont confectionnées afin d’être reconnaissables par la journée chez des patients n’arrivant pas s’attabler le temps
leurs couleurs, leurs goûts, leurs odeurs mais aussi leurs formes. nécessaire à la prise d’un repas entier. Il convient également
Leur distribution respecte le plus souvent le rythme du repas parfaitement aux patients hyperphagiques.
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3.3. Modes de présentation du vécu positif des patients atteints de troubles démentiels, de
leurs familles et du personnel soignant [17]. Pourtant, la pratique
Les personnes atteintes de maladie d’Alzheimer ont une du manger-mains au domicile ne semble pas intégrée et aucun
préférence pour les bouchées accompagnées d’une sauce et témoignage n’apparaît dans la littérature scientifique.
celles composées de deux couches d’aliments. La technique de
fabrication doit tenir compte de la forme, la couleur, l’aspect
4. Des résultats attendus, mais non démontrés
afin d’améliorer la perception sensorielle des repas [7,13,19].
La température des réductions semble avoir une influence sur
4.1. Bénéfices auprès des patients atteints de troubles
l’attractivité du repas, mais aussi sur la texture et donc sur les
neurocognitifs
possibilités de préhension. Lorsque la consistance de l’amuse-
gueule est trop friable, les aliments ne sont pas consommés.
Dès 1993, le manger-mains est présenté comme un moyen
L’ordre de distribution, la taille, la texture des réductions
permettant d’améliorer le statut nutritionnel, l’appétit et
sont primordiales pour ne pas aggraver les risques de dénutri-
l’autonomie aux repas des personnes atteintes de démence,
tion.
d’autant que l’augmentation des apports nutritionnels semble
améliorer l’état cognitif des patients [6,8]. Certains auteurs
3.4. Mise en place et organisation du manger-mains
expliquent que le manger-mains peut diminuer les risques de
fausse-route chez les patients présentant des troubles de la
3.4.1. Logistique
déglutition [3,5]. Toutefois, la majorité des études, maintenant
À l’exception du « manger-debout », le lieu où s’organise
anciennes, ne démontrent qu’un maintien de la courbe de poids
le manger-mains respecte le plus souvent une configuration de
des patients [4,21]. Aucune ne fait état d’une amélioration nutri-
tablée, en salle à manger, avec un bon éclairage et un mini-
tionnelle quantitative réelle en termes de ration calorique ou
mum de distractions. La majorité des expériences insistent sur
d’apport en nutriments [5]. Le bénéfice pourrait être induit
la nécessité du respect de l’hygiène des mains avant et après le
par l’enrichissement protéinoénergétique du manger-mains mais
repas. La mise à disposition de couverts est fréquente, princi-
cela reste à être démontré [19].
palement à l’intention des familles [5]. Même si sa conception
La diminution de la perte de poids et le gain en autonomie
peut paraître facile au domicile, il ne faut pas mésestimer les
sont fréquemment couplés à une amélioration de l’estime de
difficultés organisationnelles de la mise en place d’un repas
soi des patients atteints de maladies démentielles. Néanmoins,
manger-mains en institution, du fait de nombreuses contraintes
l’impact sur les troubles du comportement et sur l’état thymique
[5]. Des étapes supplémentaires dans la confection et la distribu-
n’est pas objectivement évalué et nécessiterait des études inter-
tion des repas sont nécessaires, ce qui impose la réalisation d’un
ventionnelles. Les effets sur la mortalité ou sur la morbidité
véritable cahier des charges et de protocoles. Le temps de dis-
(apparition ou évolution des plaies et escarres, complications
tribution de repas est décrit comme sensiblement plus long que
infectieuses, chutes, évolution des troubles démentiels, nombre
pour des repas « classiques ». Ce temps supplémentaire semble
et durée d’hospitalisation) sont inconnus du fait de l’absence
être en rapport avec la nécessité d’assistance alimentaire [5].
d’études de grande envergure [15].
3.4.2. Multidisciplinarité
Le manger-mains nécessite une prise en charge transversale 4.2. Bénéfices auprès des aidants
et multidisciplinaire. L’ensemble du personnel doit être formé
et encadré. La présence de diététicien(ne), orthophoniste, assis- Un des objectifs du manger-mains est de réduire la charge de
tante de soins en gérontologie, infirmière spécialisée dans la travail des aidants. Dans la plupart des expériences vécues auprès
prise en charge des pathologies démentielles, et des programmes des patients atteints de maladies d’Alzheimer ou de troubles psy-
de formation continue, représentent une aide considérable à la chiatriques divers, on retrouve une satisfaction des soignants
réussite d’un tel projet. L’ensemble de l’équipe soignante doit vis-à-vis de la qualité de la prise des repas [6]. Néanmoins, le
adhérer à la mise en place et à la surveillance du manger-mains. manger-mains faciliterait l’initiation au repas mais ne démontre
pas de diminution de l’assistance alimentaire [22]. L’aide à la
3.4.3. L’environnement et les familles prise du repas dépend de la forme clinique de la pathologie
Les familles ont un rôle primordial dans la prise en charge des démentielle : avec le manger-mains, les patients gardant la capa-
patients atteints de troubles neurocognitifs [20]. Manger avec cité de manger seuls ont des temps de repas plus courts et ceux
les doigts n’est pas toujours accepté et nécessite un consente- ayant besoin d’une assistance alimentaire demandent plus de
ment éclairé [6]. L’image que les proches ont du manger-mains temps qu’avec les repas classiques. « Le manger-débout » n’est
dépend de leur culture, leur éducation et de leur vécu. Tout doit pas encore décrit dans la littérature scientifique et ne semble
être fait avec le respect de leurs traditions et de leurs croyances. pas représenter, pour les aidants, une réadaptation nutrition-
La plupart du temps, des explications sur les résultats attendus nelle convaincante lors de la déambulation ou de troubles du
leur permettent de valider cette réadaptation alimentaire. Les comportement. Sa mise en place quelque peu complexe, surtout
programmes d’éducation thérapeutique aux aidants des patients en institution ou à l’hôpital, explique peut-être ces réticences.
atteints de maladie démentielle prennent en compte ces diffi- Cependant, il pourrait être une alternative intéressante au domi-
cultés et les expériences faites du manger-mains témoignent cile.
G. Malerba et al. / Nutrition clinique et métabolisme 29 (2015) 197–201 201

5. Conclusions [5] Nocent C, Martineau T. Finger foods, old-age and autonomy. Soins Geron-
tol 2011;89:31–3.
[6] Launaz A, Collectif Arpege. Manger-mains : nouvelles texture pour nou-
Même s’il n’existe encore aucune preuve tangible de son velle indépendance. Lausanne: Éditions D’en Bas; 2005.
efficacité, le manger-mains s’apparente non seulement à une [7] Pouyet V, Giboreau A, Benattar L, Cuvelier G. Attractiveness and consump-
réadaptation nutritionnelle mais également à une réadaptation tion of finger foods in elderly Alzheimer’s disease patients. Food Qual
cognitivo-comportementale. Du fait d’une grande variabilité de Prefer 2014;34:62–9.
[8] Scheltens P, Kamphuis PJ, Verhey FR, Rikkert O, Wurtman RJ, Wilkin-
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son D, et al. Efficacy of a medical food in mild Alzheimer’s disease: A
sa mise en place doit respecter certaines contre-indications et fait randomized, controlled trial. Alzheimers Dement 2010;6:1–10.
donc l’objet d’une véritable prescription médicale individuelle. [9] Haute Autorité de santé. http://www.has-sante.fr
Cela nécessite un travail multidisciplinaire, incluant tous les soi- [10] Meijers JMM, Halfens RJG, Neyens JCL, Luiking YC, Verlaan G, Schols
gnants, les aidants, les familles et les proches. L’enseignement JMG. Predicting falls in elderly receiving home care: the role of malnutri-
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les aidants de personnes atteintes de troubles neurocognitifs tors of eating disability among nursing home residents with middle-stage
paraît donc conseillé mais il pourrait être diffusé de la même dementia. Clin Nutr 2011;30(2):172–7.
manière au programme de formation des écoles d’infirmières, [12] Vitale CA, Monteleoni C, Loni B, Frazior-Rios D, Volicer L. Strategies for
d’aides-soignantes, d’assistantes de soins en gérontologie, des improving care for patients with advanced dementia and eating problems:
optimizing care through physician and speech pathologist collaboration.
diététiciens, mais aussi des gériatres, des chefs cuisiniers, des
Ann Long Term Care 2009;17(5):32–9.
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professionnel continu (DPC) des personnels dans les hôpitaux et 2011;89:34–6.
maisons de retraite (établissement d’hébergement des personnes [14] Reyes Ortega G, Ousset PJ, Ghisolfi-Marque A, Vellas BJ, Abarede
âgées dépendantes [EHPAD]). Toutefois, l’impact nutritionnel JL. Étude des troubles du comportement alimentaire chez l’Alzheimer :
l’échelle de Blandford. L’année de gérontologie. Paris: Serdi éditeur; 1996.
du manger-mains reste à confirmer tout comme son retentis-
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intégrer sa faisabilité dans les institutions ou les hôpitaux, mais [16] Lopes da Silva S, Vellas B, Elemans S, Luchsinger J, Kamphuis P, Yaffe
aussi au domicile des patients. K, et al. Plasma nutrient status of patients with Alzheimer’s disease: Sys-
tematic review and meta-analysis. Alzheimers Dement 2013:1–18.
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Déclaration d’intérêts et al. Multinutrient diets improve cerebral perfusion and neuropro-
tection in a murine model of Alzheimer’s disease. Neurobiol Aging
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Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en
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