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Nutrition clinique et métabolisme 18 (2004) 169–170

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Éditorial

Alimentation du sujet âgé, un nouvel enjeu de santé publique


Feeding the elderly, new issue for public health
L’évolution démographique mondiale, accentuée dans les cette prévention. De même, il a été rapporté que la maladie
pays occidentaux, a entraîné, au cours du 20e siècle, une d’Alzheimer, ce fléau de la vieillesse, survient plus tard chez
augmentation considérable des plus de 60 ans, c’est-à-dire de les sujets non dénutris, chez ceux qui ont moins d’élévation
la population considérée comme âgée. Cette évolution démo- d’homocystéine, chez ceux qui consomment plus d’antioxy-
graphique pèse de plus en plus sur les dépenses du système dants naturels, chez ceux qui mangent plus de poissons
de santé. Cette population âgée n’est pas homogène, on a (apports d’acides gras n–3) et chez ceux qui ont une
l’habitude aujourd’hui de la diviser en trois catégories : les meilleure régulation glycémique. Ainsi la prévention des
personnes qui vieillissent avec succès, ce sont celles dont pathologies associées au vieillissement comme celles des
l’augmentation d’espérance de vie est la plus grande, les pathologies de surcharge passe par les mêmes facteurs nutri-
sujets âgés fragiles qui commencent à ralentir leurs activités tionnels et probablement par une même alimentation. Ce
et les sujets âgés malades, souvent polypathologiques. Ces type de prévention devrait commencer tôt dans la vie pour
deux dernières catégories sont fortes consommatrices de éviter les pathologies de surcharge mais a aussi un effet à
soins. l’âge avancé pour prévenir certaines pathologies liées au
Un intérêt considérable s’est développé sur les processus vieillissement. Il reste que l’on ne sait pas si l’efficacité est la
de vieillissement et sur les moyens de le ralentir ou de le même quand ces mesures nutritionnelles sont débutés tardi-
décaler dans le temps. Les « jeunes vieux », souvent appelés vement. C’est en tout cas ce que recherchent les personnes
seniors, aujourd’hui la majorité des 60–75 ans, demain des qui veulent vieillir avec succès.
60–80, après demain des 60–85 ans, sont très friands des La nutrition a certainement un rôle aussi à un âge plus
nouvelles connaissances qui leurs permettent de ralentir leur avancé, c’est-à-dire au stade de fragilité voire au stade de
vieillissement. Ils cherchent des recettes pour vieillir avec polypathologie. On sait aussi aujourd’hui que la dénutrition
succès, en très bonne santé. Les « plus vieux » sont plus majeure, appelée malnutrition protéino-énergétique (MPE)
modestes et sont parfois à la recherche de tout ce qui leur est le principal facteur pronostique, en termes de morbidité et
permet de maintenir le plus longtemps possible une qualité de mortalité, pour les plus âgés. Il existe donc un passage où
de vie acceptable. Quand on interroge les uns ou les autres, le risque lié à l’alimentation bascule du trop vers le trop peu.
leur première préoccupation est : « que dois-je manger pour C’est cela que l’on essaye de comprendre et qui nous permet-
vivre mieux ? ». L’alimentation est donc une préoccupation tra de ralentir l’évolution vers le vieillissement pathologique.
majeure de cette population. Peut-elle nous permettre de Que se passe t-il donc entre 50 et 70 ans qui entraîne un
vivre plus longtemps en meilleur état de santé ? Peut-elle changement important de notre comportement alimentaire,
influencer le vieillissement et permettre plus longtemps un comme d’ailleurs de notre comportement physique, intellec-
vieillissement réussi ? Il semble que cela puisse être le cas, tuel ou social ? Le comprendre, c’est aussi nous permettre de
l’alimentation devient un véritable enjeu majeur de santé s’y adapter en modifiant nos comportements et en nous
publique, même pour cette tranche d’âge. adaptant à nos besoins changeant, car nos besoins changent.
Les études épidémiologiques ont montré un bénéfice de Les besoins changent car notre corps change avec l’avance
l’alimentation adaptée en termes de survenue plus tardive de en âge, nos métabolismes se modifient : il nous faut plus de
pathologies associées à l’âge. La diminution de consomma- temps pour nous adapter à un stress dont les effets hormo-
tion des graisses saturées est connue depuis longtemps naux sont plus durables. Nous puisons plus longtemps dans
comme ayant un impact sur la survenue des pathologies nos réserves métaboliques avant de retrouver notre équilibre.
cardiovasculaires. Mais la meilleure prévention des maladies En d’autres termes, l’adaptation à un stress nous demande de
cardiovasculaires est le régime dit crétois ou méditerranéen. consommer plus d’énergie qu’il nous faut trouver, soit dans
Plusieurs nutriments sont probablement responsables de nos réserves énergétiques qui vont peu à peu s’éroder et nous
cette efficacité : la consommation plus importante d’antioxy- fragiliser, soit en mangeant plus ou mieux. Les nouveaux
dants, apportés surtout par les fruits et légumes, de vitamines Apports Nutritionnels Conseillés (pour les 60–80 ans) tradui-
du groupe B intervenants dans le métabolisme de l’homocys- sent bien cette modification des besoins nutritionnels. Il nous
téine, d’acides gras n–3 semblent tous jouer un rôle dans faut consommer plus d’énergie, plus de protéines, plus de
0985-0562/$ - see front matter © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés.
doi:10.1016/j.nupar.2004.10.003
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certaines vitamines B (B6, B9, B12) celles qui interviennent une préoccupation majeure des instituts de recherche comme
dans le métabolisme de l’homocystéine, plus de micronutri- des autorités sanitaires et ce quel que soit le stade du vieillis-
ments antioxydants qu’avant. Ceci traduit le plus mauvais ren- sement. Une alimentation saine, équilibrée et suffisante est
dement de notre machine énergétique (de l’ordre de 20 % aussi utile pour « bien ou mieux vieillir » qu’une activité phy-
vers 70–80 ans). Ceci traduit aussi la diminution au cours de sique ou qu’un maintien des relations sociales mais les trois
la vie de nos capacités de défense contre les agressions inter- sont liées.
nes : trouble de la régulation glycémique avec apparition pro- Mais cela nécessite de modifier son comportement tant en
gressive d’une résistance à l’insuline, augmentation de ce qui concerne son alimentation que son mode de vie. C’est
l’homocystéine entraînant des troubles des réactions de cela l’adaptation à son corps vieillissant, on ne le change pas
méthylation, dégâts liés à la production de radicaux libres on s’adapte à ce qu’il est devenu et cela demande de grandes
qui causent des anomalies lipidiques (peroxydation), des facultés d’adaptation ce qui devient de plus en plus difficile
mutations de l’ADN, des anomalies fonctionnelles des pro- car comme le corps, notre esprit à de plus en plus de difficul-
téines. Il semble que les effets nocifs de la production obli- tés à se changer.
gatoire de radicaux libres qui s’accumulent avec le temps Tout devient plus difficile, y compris à manger correcte-
jouent un grand rôle dans le processus de vieillissement. De ment. Le goût, l’odorat se modifient et cela entraîne une ten-
même la survenue d’une résistance à l’insuline semble impor- dance à manger moins alors qu’il faudrait manger plus et sur-
tante et un grand intérêt sur sa prévention se dégage dans les tout mieux pour couvrir nos besoins modifiés. Cela veut dire
recherches récentes sur le processus de vieillissement. Les accorder plus d’attention à notre cuisine pour qu’elle soit plus
propriétés anti-inflammatoires des acides gras n–3 font aussi appétissante, plus goûteuse et nous donne plus envie de man-
d’objet de nombreuses recherches. Ceci se comprend quand ger. Est-ce possible quand il faut faire plus d’effort pour faire
on sait que les réactions inflammatoires, même à bas bruit, ses courses ou pour préparer les plats ? Est-ce possible quand
provoque un vieillissement accéléré probablement par éro- on vit de façon isolée et que la société ne vous donne plus de
sion lente de nos réserves nutritionnelles. Un grand intérêt se place ? Est-ce possible quand la société n’aide pas les plus
dégage aujourd’hui sur les métabolismes protéiques et sur démunis et les personnes âgées sont nombreuses dans ce cas ?
l’évolution avec l’âge de la masse (et de la force) musculaire L’alimentation des personnes âgées un enjeu de santé publi-
réserve protéique de l’organisme. La survenue d’une sarco- que ? Oui cela devient une évidence mais au sein d’une poli-
pénie (perte de masse musculaire) est un facteur important tique vraie d’intégration des personnes âgées dans la vie de
d’accélération du vieillissement. C’est peut-être une clé notre société ?
importante que l’on commence à ouvrir. Les troubles du méta-
bolisme protéique liés à l’âge sont en partie associée à Bruno Lesourd
l’inflammation, même à bas bruit, qui induit une accélération Service de nutrition, centre hospitalier universitaire de
du turn-over protéique. Ils sont aussi associés à la résistance Clermont-Ferrand hôpital Nord, BP 56, 63118 Cébazat,
périphérique à l’insuline, autre facteur de vieillissement. À France
un degré de plus, il entraîne des troubles de la marche res- Adresse e-mail :
ponsable d’un ralentissement des activités et d’un repli sur blesourd@chu-clermontferrand.fr (B. Lesourd).
soi. Ainsi l’intérêt envers l’alimentation protéique comme fac-
teur de prévention du vieillissement est-il devenu aujourd’hui Disponible sur internet le 26 novembre 2004

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