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La gestion des matériaux excavés

Philippe Millard

Dans le cadre des « mardis de l’INFO », la Section Régionale d’Ile-de-France de l’ASTEE a


organisé le 30 janvier 2018, conjointement avec l’AFTES, Association Française des Tunnels
et de l’Espace Souterrain, une conférence sur la gestion des matériaux excavés. Elle a réuni
100 participants à la Maison de la Fédération Nationale des Travaux Publics au 9 rue de Berri
à Paris avec la contribution de la Fédération Régionale d’Ile de France.

Quatre intervenants se sont succédés pour la présentation de :


- la recommandation du Groupe de Travail GT 35 de l’AFTES mené par Jacques Burdin,
ingénieur consultant,
-la réglementation avec ses dernières évolutions par Florent Robert du CETU, Centre
d’Etudes des TUnnels, du Ministère de la Transition Ecologique et Solidaire,
-l’excavation du Lyon-Turin-Ferroviaire par Christophe Salot du TELT, Tunnel Euralpin
Lyon Turin,
-les terrassements du Grand Paris Express par Fabien Boudrières (Arcadis-Groupement
Artémis, AMO SGP, Société du Grand Paris).

Généralités
 Les matériaux excavés trouvent leurs origines dans les constructions des fondations de
bâtiments et dans les réalisations d’infrastructures, tunnels, routes, canalisations, génie civil,
etc.
 La question que l’on doit toujours se poser est dans quel classement les matériaux
extraits vont se situer: produits, déblais, déchets ?
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 Quelle est la qualité du matériau extrait ? Naturelle, recyclée ? Est-il impacté,
imprégné, pollué, d’origine naturelle ou anthropique ? Il est quelquefois évoqué des
difficultés importantes de chantier avec des déblais contenant de l’amiante, du molybdène, du
nickel, du cobalt, de l’antimoine, du sélénium, des HAP (Hydrocarbures aromatiques
polycycliques), des PCB (polychlorobiphényles), etc. nécessitant des casiers et des stockages
locaux afin d’analyses très fines puis d’éventuels traitements provoquant des arrêts de
chantier et des coûts supplémentaires.
 Question fondamentale pour l’environnement, l’urbanisme, la santé.
 Si les matériaux extraits sont classés dans les déchets, une étude de l’INSEE indique
que la France a produit 324 Mt de déchets en 2014 avec
- 223 Mt (69%) du secteur de la construction,
- 90 Mt (28%) déchets non dangereux (agriculture, industrie, tertiaire, ménages…),
- 11 Mt (3%) déchets dangereux comportant des risques pour l’environnement et la santé.

Pour se donner une échelle de l’importance des quantités en question, on voit apparaître que
globalement les déchets représentent environ 5t/an/habitant dont 500 kg/an/habitant pour les
seuls déchets ménagers.
Les nouvelles grandes opérations des 10-15 ans à venir dont les travaux ont commencé
mettent en jeu des quantités considérables à excaver : 45 Mt pour les 200 km de lignes
nouvelles du Grand Paris Express (200km), plus de 30 Mt pour les 59 km de la partie
transfrontalière des tunnels de la ligne Lyon Turin et 25 Mt pour le projet CIGEO
d’enfouissement de déchets radioactifs à Bure (Meuse). 100 Mt pour ces 3 opérations !
La gestion des déchets dans leur ensemble représente un budget proche de 20 Md€ et emploie
135 000 personnes.

Questions essentielles pour tout nouveau projet suivant législation et réglementation


 Quantité et qualité des matériaux
 Mode d’excavation
 Valorisation/recyclage, in situ/ex situ
 Stockage
 Transport
 Destination
 Coût-délai

Ci-après un résumé des 4 interventions qui permet d’apporter un éclairage sur ce sujet très
important dans la construction de nos ouvrages d’aujourd’hui.

La recommandation de l’AFTES
Jacques Burdin a présenté un résumé du très gros travail produit par le groupe GT35 de
23membres qu’il anime avec grand dévouement depuis de nombreuses années. En fait c’est
une révision de la recommandation datant de 2006. Il est indiqué que la « GEME », Gestion
et l’Emploi des Matériaux d’Excavation (MATEX), n’est plus une question, un choix
constructif, …mais qu’elle devient une obligation.

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 Le Maître d’Ouvrage est propriétaire des MATEX et en est donc responsable depuis leur
extraction jusqu’à leur valorisation ou leur élimination finale. Le producteur de déchets doit
s’assurer de leur traçabilité (bordereau et registre de suivi), de façon à être en mesure de
renseigner et conserver les informations relatives à leur circuit de traitement (article L541-7
du Code de l’Environnement). Il doit s’impliquer et faire procéder aux reconnaissances
préalables avec précision. Le projet conduit par des équipes qualifiées comprendra les
démarches de simulation de production, la recherche et la validation des sites de dépôt,
l’étude des matériels d’excavation et de moyens de transport.

Jacques Burdin

La recommandation comporte 12 chapitres avec notamment les principes de la GEME, les


conseils pour la phase « Etudes », la présentation des bétons de granulats de MATEX,
l’interaction entre le mode de creusement et les matériaux excavés, les méthodes de traitement
de ces matériaux, les conseils pour la phase « Travaux », puis la règlementation, les aspects
juridiques et économiques.
Il est rappelé le classement des matériaux excavés :

Des logigrammes présentent les procédures d’évaluation et de destination des matériaux


excavés avec une maquette de gestion de ces matériaux. Des précisions sont fournies pour la
qualité des granulats à extraire, leur recyclage notamment pour la composition des bétons. Il
est aussi décrit des courbes présentant le coût du recyclage en fonction du tonnage produit et
qu’à titre d’exemple il est de l’ordre de 20/30 € la tonne pour un chantier de 500 000 t. Des
fiches techniques de chantier sont disponibles sur le site de l’AFTES accessibles par les
membres de l’association.

Le site de l’AFTES : www.aftes.asso.fr

La réglementation

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Les chantiers du BTP sont soumis entre autres à la réglementation relative aux déchets :
-directive cadre sur les déchets 2008/98/CE du Parlement européen et du Conseil du 19
novembre 2008 avec sa transposition par l’ordonnance n° 2010-1579 du 17 décembre 2010,
-codification des dispositions législatives et réglementaires dans le Code de l’Environnement.
On appelle « Produit » le matériau issu des industries extractives et « Déchet » suivant
l’article L541-1-1 du Code de l’Environnement « toute substance ou tout objet, ou plus
généralement tout bien meuble, dont le détenteur se défait ou dont il a l'intention ou
l'obligation de se défaire »
Le déchet est classé :
-soit inerte « qui ne subit aucune modification physique, chimique ou biologique importante,
qui ne se décompose pas, ne brûle pas, ne produit aucune réaction physique ou chimique,
n'est pas biodégradable et ne détériore pas les matières avec lesquelles il entre en contact
d'une manière susceptible d'entraîner des atteintes à l'environnement ou à la santé humaine »
suivant l’article R541-8 du Code de l’Environnement,
-soit dangereux qui contient, en quantité variable, des éléments toxiques ou dangereux
présentant des risques pour la santé humaine et l’environnement avec une ou plusieurs des 15
propriétés de danger (H1 à H15) énumérées à l’annexe I de l’article R541-8 du Code de
l’Environnement,
-soit non dangereux défini par défaut comme ne présentant pas les caractéristiques
spécifiques des déchets dangereux,
-soit ultime « qui n'est plus susceptible d'être réutilisé ou valorisé dans les conditions
techniques et économiques du moment, notamment par extraction de la part valorisable ou
par réduction de son caractère polluant ou dangereux » suivant l’article L541-2-1 du Code de
l’Environnement.

Florent Robert

Suivant l’article L541-1-1 du Code de l’Environnement le traitement des déchets peut se faire
par :
 réemploi qui désigne « toute opération par laquelle des substances, matières ou
produits qui ne sont pas des déchets sont utilisés de nouveau pour un usage identique à celui
pour lequel ils avaient été conçus. Le réemploi est une opération de prévention avec comme
exemple une opération de remblaiement sur un même site avec les déblais de ce même
chantier.

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 réutilisation pour « toute opération par laquelle des substances, matières ou produits
qui sont devenus des déchets sont utilisés de nouveau ».
 préparation en vue de la réutilisation pour « toute opération de contrôle, de
nettoyage ou de réparation en vue de la valorisation par laquelle des produits ou des
composants qui sont devenus des déchets sont préparés de manière à être réutilisés sans autre
opération de prétraitement ».
 valorisation qui définit « toute opération dont le résultat principal est que des déchets
servent à des fins utiles en substitution à d'autres substances, matières ou produits qui
auraient été utilisés à une fin particulière, ou que des déchets soient préparés pour être
utilisés à cette fin, y compris par le producteur de déchets ».
 élimination qui détermine « toute opération qui n'est pas de la valorisation même
lorsque ladite opération a comme conséquence secondaire la récupération de substances,
matières ou produits ou d'énergie ».
Objectif légal pour 2020 :
La Loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte a pour
objectif, qu’au plus tard en 2020, l'Etat et les collectivités territoriales s'assurent qu'au moins
70 % des matières et déchets produits sur les chantiers de construction ou d'entretien routiers
dont ils sont maîtres d'ouvrage soient réemployés ou orientés vers le recyclage ou les autres
formes de valorisation matière.
La destination des MATEX en fonction des usages en fait des déblais surtout en termes de
définition d’une même opération pour des usages liés à la réalisation d’infrastructures
linéaires, de production de bétons ou de mortiers hydrauliques, d’aménagements
(exhaussements de sols, merlons..), de remblaiement de carrières, de stockage définitif en
ISDI (Installation de Stockage de Déchets Inertes) car il s’agit de réemploi ou de
réutilisation sinon ils sont classés en déchets.
Les déchets dangereux doivent être stockés en ISDD qui relèvent de la nomenclature des
Installations Classées pour la Protection de l’Environnement, ICPE 2760-1 et les déchets non
dangereux doivent être stockés en ISDND suivant la nomenclature ICPE 2760-2.
L’article L541-4-3 du Code de l’Environnement précise qu’un déchet traité dans une
installation ICPE ou IOTA (Installations, Ouvrages, Travaux ou Activités ayant une incidence
sur l’eau) peut cesser d’être un déchet, pour (re)devenir un produit, après une procédure dite
de « sortie du statut de déchet ».

L’excavation du Lyon-Turin-Ferroviaire
La liaison de 270 km entre Lyon à Turin se situe 70% en France et 30% en Italie et comprend
202 km en tunnel soit les ¾. La section transfrontalière de 67 km de ligne nouvelle comprend
59.5 km de liaison en tunnel sur le côté français gérée par la société TELT.

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Les enjeux de la démarche de gestion des matériaux excavés passent par la mise en œuvre
d’une politique volontariste en matière de préservation de l’environnement à travers
notamment la définition d’une stratégie de gestion durable des matériaux excavés.

Christophe Salot

Inspirée de la stratégie développée dans la recommandation du GT 35 de l’AFTES les actions


portent sur :

 les reconnaissances géologiques, classification des matériaux et maquette GEME,


Actuellement les reconnaissances ont été effectuées par 268 sondages réalisés depuis la
surface pour une longueur totale de 66 km, 9 km de descenderie en France et 7 km en Italie,
et, en cours d’excavation 12 km de tunnels en France à Saint-Martin-La-Porte,

 les études de transport, l’équipement des chantiers et la logistique,

 la démarche granulats avec des essais in situ et des essais en laboratoire,

 la démarche réglementaire,

 le chantier pilote de Saint-Martin-la-Porte (SMP4) avec des essais de caractérisation


physique en ligne

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Sur les 37.2 Mt excavés des 57.5 km de tunnels France/Italie il est prévu 28% de granulats
pour la fabrication des bétons (7Mt pour la partie française) , 20 Mt de réemploi pour les
remblais, 40% de mise en dépôt et 12 % de mise en dépôt avec mise en œuvre spéciale. Sur le
tracé seront installés 5 sites de production de matériaux d’excavation, 2 sites de traitement des
matériaux, 3 sites de stockage temporaire, 3 sites de mise en dépôt définitif et 1 aire de
chargement sur trains.

La Maîtrise d’Ouvrage a engagé la démarche de gestion des matériaux excavés en favorisant


la production de granulats à béton à partir des matériaux extraits du tunnel de base et les
solutions de valorisation (interne et externe au projet), puis le suivi et traçabilité des
matériaux, la gestion des aléas associés aux productions et aux besoins des autres lots de
travaux et en limitant les impacts sur les transports .

Les terrassements du Grand Paris Express


Les travaux de ce nouveau réseau de transport francilien composé de 205 km avec 68
nouvelles gares ont débuté en 2015 par la déviation de réseaux et le premier tunnelier a été
inauguré le 3 février 2018 à Champigny sur la M15 Sud. Ils devraient s’achever en 2030,
période à l'issue de laquelle toutes les lignes pourraient s’ouvrir au public avec une mise en
service devant intervenir progressivement à partir de 2020.

Les terrassements conduiront à la production de 23 Mm3 excavés, prévus actuellement en


10/12 ans (2016 à 2028), soit 45 Mt produites (10 à 20 % du volume annuel des déchets en
Ile de France) dont environ 50 à 60 % non inertes en termes analytiques et plus de 90%
naturels non pollués. La quantité journalière de matériaux pourrait être de 45 000 t/j qui
correspondent à environ 2100 camions ou 25 péniches.

Fabien Boudrières

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Le contexte environnemental est très sensible et la plupart des sites sont localisés dans un
environnement urbain très dense, déjà congestionné par un trafic routier important. Par
ailleurs l’Ile de France n’offre que peu de besoins en remblais.
Aussi la SGP, Société du Grand Paris a pris 3 engagements en fondement d’une charte de
bonnes pratiques:
1/ avec plusieurs milliers de sondages, anticiper la nature des déblais et sécuriser la traçabilité
2/ Valoriser plus de 70 % des déblais
3/ Favoriser le transport par voie fluviale ou voie ferroviaire pour 30 à 50% des déblais
(5 plateformes fluviales et 12 plateformes ferroviaires prévues).

La SGP, Maître d’Ouvrage, producteur et responsable des déblais, doit disposer d’une
traçabilité complète et réactive. Puisque les déblais ont le statut de déchet dès lors qu’ils
sortent des sites, plusieurs actions sont menées : pesée imposée en sortie et entrée des sites,
mise en œuvre d’une plateforme extranet de traçabilité des déblais (émission de 1.5 millions
de bordereaux de transport pour l’ensemble du projet). Il set ajouté une recherche de
valorisation avec de nouveaux partenaires pour des projets d’aménagements ou pour des
exutoires et des sites de tri (290 sites et 32 exploitants), des cahiers des charges spécifiques
aux déblais très incitatifs, de l’innovation avec notamment un appel à projets.
Ce dernier a eu un large auditoire puisque 74 projets ont été présentés et les 6 lauréats ont été
récompensés pour des solutions de caractérisation en ligne des matériaux, de la valorisation
de déblais pour la production de ciment et de matériaux de construction à faible empreinte
carbone, de la consolidation de carrières souterraines à partir de déchets minéraux, de la
création de terres fertiles ou de briques en terre en provenance de déblais ou encore pour
favoriser le double fret de lavage automatique de conteneurs lors d’un transport ferroviaire
des matériaux excavés.

Carte d’implantation des exutoires labellisés par la SGP en août 2017.

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Conclusions
Comme l’a rappelé Jacques Burdin, le rêve pour le constructeur serait de pouvoir reproduire
cet exemple remarquable de la plateforme de Raron sur le chantier du tunnel du Lötschberg
Sud où une très grande partie des matériaux excavés a pu être traitée sur place pour alimenter
aussitôt l’usine à voussoirs installée en bout de chaine.

Toutes ces présentations riches et bien documentées ont apporté un très bon éclairage sur les
pratiques à mettre en œuvre pour la gestion des matériaux excavés dans un contexte légal et
réglementaire qui tient compte de la transition énergétique et écologique et des nouvelles
avancées techniques et technologiques.
Un grand merci aux intervenants pour la qualité de leurs présentations.

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