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Journal français d’ophtalmologie (2013) 36, 618—626

Disponible en ligne sur

www.sciencedirect.com

REVUE GÉNÉRALE

Kératocône夽
Keratoconus

P. Fournié a,b,c,∗, D. Touboul a,b,d, J.-L. Arné a,b,c,


J. Colin a,b,d,†, F. Malecaze a,b,c

a
Centre de référence national du kératocône (CRNK), 33076 Bordeaux, France
b
Centre de référence national du kératocône (CRNK), 31059 Toulouse, France
c
Hôpital Purpan, CHU de Toulouse, place du Docteur-Baylac, TSA 40031, 31059 Toulouse
cedex 9, France
d
Groupe hospitalier Pellegrin, CHU de Bordeaux, place Amélie-Raba-Léon, 33076 Bordeaux
cedex, France

Reçu le 28 février 2013 ; accepté le 3 mai 2013


Disponible sur Internet le 30 juillet 2013

MOTS CLÉS Résumé Le kératocône est une maladie non inflammatoire caractérisée par un amincisse-
Kératocône ; ment et un bombement de la cornée, apparaissant généralement pendant l’adolescence et
Ectasie ; d’évolution lentement progressive. Il entraîne une diminution de l’acuité visuelle du fait de
Cornée ; l’importance de l’astigmatisme irrégulier et de la fréquente survenue d’opacités cornéennes.
Topographies L’atteinte histologique prédomine au niveau de la couche de Bowman et du stroma cornéen. La
cornéennes ; pathogénie exacte de cette affection est encore non élucidée. Il existe des formes frustes, peu
Lentilles de contact ; évolutives, détectées grâce au développement des examens vidéotopographiques et qu’il est
Cross-linking ; important de dépister notamment avant une chirurgie réfractive. Le traitement est d’abord et
Anneaux avant tout optique, grâce aux progrès de la contactologie, puis chirurgical en cas d’intolérance
intra-cornéens ; aux lentilles, avec un objectif de stabilisation : le cross-linking du collagène cornéen ou de
Kératoplastie réhabilitation visuelle : anneaux intra-cornéens et kératoplasties.
© 2013 Publié par Elsevier Masson SAS.

KEYWORDS Summary Keratoconus is a slowly progressive, non-inflammatory disorder of the eye


Keratoconus; characterized by thinning and protrusion of the cornea. Typically diagnosed in the patient’s
Ectasia; adolescent years, keratoconus may lead to substantial distortion of vision primarily from

夽 Retrouvez cet article, plus complet, illustré et détaillé, avec des enrichissements électroniques, dans EMC Ophtalmologie : Fournié P, Tou-
boul D, Arné JL, Colin J, Malecaze F. Kératocône. EMC Ophtalmologie 2013;10(1):1—15; http://dx.doi.org/10.1016/S0246-0343(12)60144-0
[Article 21-200-D-40]. Publication avec l’autorisation de reproduction.
∗ Auteur correspondant.

Adresse e-mail : fournie.p@chu-toulouse.fr (P. Fournié).


† Auteur décédé.

0181-5512/$ — see front matter © 2013 Publié par Elsevier Masson SAS.
http://dx.doi.org/10.1016/j.jfo.2013.05.004
Kératocône 619

irregular astigmatism and myopia, and secondarily from corneal scarring. The classic histopa-
Cornea; thologic features include breaks in Bowman’s layer and thinning of the corneal stroma. The
Corneal topography; etiology of keratoconus remains unclear. Form fruste keratoconus shows little progression, and
Contact lenses; has become known due to videotopographic analysis; it is very important to rule out in refractive
Cross-linking; surgery candidates. Treatment begins first and foremost with contact lenses, progressing to sur-
Intrastromal corneal gery as contact lens intolerance develops, with the goal of stabilization, including: cross-linking,
ring segments; intrastromal corneal ring segments and corneal transplantation.
Corneal transplant © 2013 Published by Elsevier Masson SAS.

Introduction et épidémiologie Maladies associées


Le kératocône est une maladie non inflammatoire carac- Les associations les plus courantes sont la trisomie 21,
térisée par un amincissement et un bombement de la l’amaurose congénitale de Leber, le prolapsus de la valve
cornée. Son incidence est estimée entre 50 et 230 pour mitrale et les maladies du collagène (Ehlers-Danlos, Marfan,
100 000 habitants [1—3] et sa prévalence à 54,5 pour 100 000 ostéogenèse imparfaite). Il est toutefois difficile d’établir un
(soit environ 1/2000) [2,3]. lien direct entre ces pathologies et le kératocône. En effet,
Il est classique de situer le début de la maladie à la la prévalence relativement importante du kératocône, sûre-
puberté, même si l’âge de survenue du kératocône est ment encore sous-estimée, rend délicate l’interprétation de
probablement variable et difficile à définir avec précision ces résultats.
d’autant qu’il peut être très différent de l’âge de décou-
verte qui intervient après une progression de la maladie
qui peut également être variable. Amsler rapporte, sur une Diagnostic
série de 286 yeux, une progression dans 22 % des cas, maxi-
male entre dix et 20 ans, ralentie entre 20 et 30 ans et rare
Circonstances de découverte
après 30 ans [4]. S’il est classique d’observer une progres-
L’examen ophtalmologique peut être motivé par une symp-
sion moindre à partir de la troisième ou quatrième décennie,
tomatologie fonctionnelle en rapport avec l’astigmatisme
une aggravation est toujours possible plus tardivement.
myopique irrégulier évolutif. Les signes fonctionnels sont
Le kératocône touche indifféremment les hommes et les
alors peu spécifiques et rapportés comme un flou visuel,
femmes. Si les formes unilatérales de kératocône sont rares,
une photophobie, une impression de brouillard, de baisse
les formes asymétriques sont la règle [5]. La surveillance de
d’acuité visuelle progressive surtout de loin. Il n’est pas
la progression du kératocône doit être bilatérale, la progres-
rare non plus de porter le diagnostic lors d’un examen sys-
sion pouvant être différente sur les deux yeux.
tématique, notamment lors d’un bilan préopératoire d’un
patient demandeur de chirurgie réfractive. Dans ce cas, sans
Terrain génétique et facteurs signes fonctionnels, l’examen vidéotopographique fera le
environnementaux diagnostic de ces formes frustes ou débutantes.

Classiquement estimées à 10 % de l’ensemble des kérato- Examen clinique


cônes, les formes familiales représenteraient en fait près
de 40 % des cas. Plusieurs travaux suggèrent l’existence de L’examen clinique sera contributif à un stade avancé de
formes infracliniques dites « frustes » parmi les apparentés la maladie et reflètera à des degrés variables : l’ectasie
de patients porteurs d’un kératocône [6—9]. Ces formes cornéenne, l’amincissement cornéen et les opacités cor-
frustes pourraient correspondre en fait à des kératocônes néennes. L’examen biomicroscopique confirme, en fente
d’expressivité faible uniquement détectables par la topo- fine, l’amincissement cornéen et la saillie conique qui
graphie cornéenne. Wang et al. [10] estiment ainsi que le déforme la fente lumineuse (Fig. 1). L’examen biomicrosco-
risque relatif d’être atteint d’un kératocône est 15 à 67 fois pique est surtout riche d’enseignements dans l’analyse des
supérieur chez les apparentés de premier degré par rapport opacités cornéennes qui peuvent éventuellement accompa-
au risque de la population générale. gner la protrusion. La fréquence de ces opacités augmente
Le frottement oculaire est souvent rapporté dans le kéra- avec la sévérité du kératocône. L’anneau de Fleischer est
tocône et doit être évité. L’association kératocône—atopie un anneau partiel ou complet de coloration brune, situé à la
est également retrouvée avec une plus grande fréquence. base du cône. Il est dû à un dépôt de ferritine, en provenance
L’hypothèse la plus séduisante faisant la synthèse de ces des larmes, à l’intérieur de l’épithélium cornéen. Davantage
résultats suggère une combinaison de facteurs génétiques et visible en lumière bleue et lorsque la pupille est dilatée, il
environnementaux : en plus de la susceptibilité génétique, évolue avec l’ectasie cornéenne, tendant à devenir complet
un cofacteur environnemental pourrait être nécessaire à (Fig. 2). Les nerfs cornéens peuvent être anormalement
l’apparition des symptômes cliniques de la maladie. Cepen- visibles chez ces patients jeunes. Cette visibilité est cepen-
dant, aucune donnée ne permet aujourd’hui de privilégier dant inconstante et non spécifique. Les stries de Vogt sont
cette théorie par rapport à celle de la coexistence de kéra- des lignes de contrainte, fines, alignées le long du méridien
tocônes d’origine génétiques et de kératocônes sporadiques de plus grande courbure (Fig. 3). Elles sont profondément
d’origine environnementale. situées dans le stroma cornéen postérieur, juste en avant de
620 P. Fournié et al.

Figure 1. Protrusion conique centrale de la cornée.

la membrane de Descemet et disparaissent lorsqu’on exerce


une pression externe sur le globe. Les lignes cicatricielles
superficielles intéressent le stroma antérieur au sommet du
cône. Elles ont souvent un aspect réticulaire et représentent
des ruptures de la couche de Bowman comblées par du tissu Figure 3. Stries de Vogt.
cicatriciel (Fig. 4). Les cicatrices profondes résultent de
la cicatrisation des ruptures de la membrane de Descemet de kératocône sont : un bombement cornéen inférieur, une
(Fig. 5). Le kératocône aigu ou hydrops cornéen est la tra- angulation des deux hémi-méridiens — celle-ci est à risque
duction d’une rupture aiguë de la membrane de Descemet. lorsqu’elle dépasse 21◦ [9] —, une asymétrie des deux hémi-
L’irruption d’humeur aqueuse à l’intérieur de la cornée pro- méridiens et une asymétrie couplée à une angulation des
voque un œdème épithélial et stromal brutal et l’apparition deux hémi-méridiens [11]. Rabinowitz et McDonnell ont
d’une opacité profonde diffuse. été les premiers à proposer une méthode numérique de
détection systématique du kératocône [12]. Cette méthode
Diagnostic vidéotopographique repose sur une asymétrie cornéenne supérieure à 1,5 D, cal-
culée par l’indice I-S qui est la différence de puissance
La topographie spéculaire « réflective » est fondée sur le dioptrique entre les zones supérieure et inférieure de la
disque de Placido. Elle permet d’obtenir une cartogra- région paracentrale de la cornée sur un cercle de 3 mm. Les
phie de la courbure cornéenne en fonction de la distance deux autres critères sont : une puissance cornéenne centrale
mesurée entre des mires circulaires concentriques proje- supérieure à 47 D et une asymétrie de kératométrie centrale
tées sur la cornée. Les formes topographiques suspectes supérieure à 1 D entre les deux yeux. De nombreux indices ou

Figure 2. Anneau de Fleischer en lumière blanche et bleue.


Kératocône 621

Classifications
Plusieurs classifications faisant intervenir différents para-
mètres morphologiques du kératocône [11,16] ou les
aberrations optiques [17] sont disponibles. Il n’existe pas de
consensus international pour classer le kératocône. Toutes
ces classifications ont d’ailleurs un intérêt pratique assez
limité puisqu’à l’échelle individuelle, aucune ne permet de
planifier un traitement. À la marge de ces classifications,
sont apparus les termes de kératocône « suspect », « fruste »
ou « débutant ». Si un kératocône débutant est une forme
avérée, les terminologies de suspect ou fruste varient selon
les auteurs et sont souvent confondues. L’intérêt réside dans
la détection de ces formes à risque dans un bilan préopé-
ratoire d’un patient demandeur de chirurgie réfractive. En
effet, 2 à 6 % de ces candidats seraient porteurs d’une forme
fruste ou suspecte de kératocône [18,19].

Figure 4. Cicatrices superficielles réticulaires par ruptures de la Ectasie post-LASIK


couche de Bowman.
L’ectasie post-LASIK est un amincissement progressif avec
algorithmes plus ou moins sophistiqués ont été développés bombement de la cornée et évolution similaire à celle
pour tenter de discriminer objectivement les topographies d’un kératocône. Les signes cliniques évocateurs sont
de courbure anormales kératocôniques des formes normales une modification de la réfraction post-LASIK, progressive,
[13,14]. Tous peuvent être pris en défaut. sphéro-cylindrique myopique. La baisse d’acuité visuelle
La topographie d’élévation mesure la forme exacte des avec correction est concomitante de l’apparition d’un
faces antérieure et postérieure de la cornée par rapport à astigmatisme irrégulier avec une topographie cornéenne
une sphère de référence. L’étude de la face postérieure est évocatrice d’un kératocône. L’analyse de la littérature
importante car sa déformation, analysée par balayage d’une montre que la plupart des cas présentaient un tableau de
fente lumineuse ou par imagerie Scheimpflug, apparaît pro- kératocône fruste ou suspect. Deux mécanismes peuvent
bablement avant celle de la face antérieure. De nombreux expliquer l’apparition d’une ectasie postopératoire : un
critères de détection du kératocône infraclinique ont été affaiblissement biomécanique de la cornée par non-respect
proposés : sphère de référence postérieure supérieure à du lit stromal postérieur résiduel minimal, classiquement
50 ␮m, critères de Roush, d’Efkarpides, de Tanabe [15], de 250 microns, ou la décompensation d’un kératocône
pachymétrie inférieure à 500 ␮m. Une convergence et un méconnu.
décalage, souvent inféro-temporal, des points remarquables Les recommandations actuelles contre-indiquant la réa-
(plus fin, plus élevé antérieur, plus élevé postérieur) sont lisation d’un LASIK sont :
souvent retrouvés (Fig. 6). Aucun paramètre pris isolément • une épaisseur cornéenne centrale inférieure à
n’a une sensibilité ou une spécificité de 100 %. Plusieurs pro- 500 microns ;
grammes de détection cumulant plusieurs paramètres sont • un lit stromal résiduel calculé préopératoire ou après
déjà ou bientôt disponibles selon les appareils et pourraient mesure pachymétrique peropératoire inférieur à
augmenter la sensibilité et la spécificité de la détection du 250 microns (mais sans preuve définie). Il faut donc
kératocône. se méfier du traitement des myopies fortes et des
reprises chirurgicales ;
• un patient porteur d’une anomalie cornéenne, topogra-
phique notamment, évoquant un kératocône fruste ou
suspect ;
• un antécédent familial de kératocône.

Diagnostic différentiel
Il se pose avec les autres causes d’ectasies et
d’amincissements cornéens. Le diagnostic est le plus
souvent clinique.

Corneal warpage
Le corneal warpage ou syndrome de déformation cornéenne
induite par les lentilles est une modification de la forme
Figure 5. Cicatrice descemétique profonde après poussée de de la cornée induite par la pression exercée par une len-
kératocône aigu. tille essentiellement rigide, plus rarement souple. L’aspect
622 P. Fournié et al.

Figure 6. Décalage et convergence des points remarquables ( ) malgré une épaisseur cornéenne conservée (point le plus fin à 544 ␮m).
L’indice de Tanabe [15] est positif en élévation antérieure avec un nombre de couleurs présentes sur les 3 mm centraux supérieur à 3 avec
un pas d’échelle antérieure à 10 ␮m. L’indice est négatif en face postérieure avec un pas de 20 ␮m. La sensibilité de ce critère est de 78 %.
Sa spécificité est de 90 %.

vidéotopographique est proche de celui d’un kératocône. normale, dans le kératoglobe, l’amincissement cornéen
La diminution ou disparition de l’anomalie topographique intéresse toute la cornée. Rare, le kératoglobe est bilatéral,
en trois à quatre semaines confirme le diagnostic. non ou peu évolutif. La cornée prend un aspect globuleux
sans anneau ferrique.
Dégénérescence pellucide marginale
Bilatérale, elle se traduit par un amincissement de la cor- Histologie et physiopathologie
née périphérique inférieure. L’amincissement intéresse une
bande étroite de 1 à 2 mm de large, elle-même séparée du Selon le stade de la maladie, toutes les couches de la cornée
limbe par une zone de cornée normale de 1 à 2 mm de large. peuvent être atteintes [1,3]. La triade histologique clas-
La cornée centrale est d’épaisseur normale et fait saillie au- sique repose sur l’amincissement stromal, les ruptures de
dessus de la zone d’amincissement. Souvent diagnostiquée la couche de Bowman et les dépôts de ferritine au sein de
entre 40 et 50 ans, les patients se plaignent d’une baisse l’épithélium.
d’acuité visuelle en rapport avec l’évolution d’un astig- L’hypothèse biomécanique considère le désordre biomé-
matisme inverse irrégulier. Contrairement au kératocône, canique comme étant le préalable, le plus souvent localisé,
une aggravation, même tardive, est souvent retrouvée. à un cercle vicieux qui induirait l’apparition progressive
L’aspect vidéotopographique est typique, mais non pathog- de l’ectasie cornéenne. Ce désordre impliquerait secon-
nomonique, avec une image en « pinces de crabe » ou « en dairement les variations de courbure, d’élévation et de
moustaches gauloises ». pachymétrie. L’exploration de la biomécanique cornéenne
est un outil en devenir, porteur d’espoir comme moyen
Kératoglobe de dépistage du kératocône infraclinique et comme moyen
d’évaluation des différentes procédures thérapeutiques.
C’est un amincissement diffus de la cornée, plus marqué L’hypothèse biologique prend le contrepied de la théorie
dans sa périphérie. Un amincissement scléral est parfois biomécanique en considérant le désordre biologique comme
rapporté. Contrairement au kératocône où il existe, même étant le primum movens à l’origine du déséquilibre bio-
dans les formes avancées, une zone supérieure d’épaisseur mécanique. Aucune donnée ne permet actuellement de
Kératocône 623

Figure 7. Cross-linking du collagène cornéen. L’association riboflavine—UV-A produit des radicaux libres oxygénés à l’origine d’un pontage
biochimique des fibres de collagène. La riboflavine joue également un rôle de barrière pour limiter la diffusion intra-oculaire des UV-A.

privilégier une théorie plus que l’autre avec une probable • une diminution supérieure ou égale à 0,1 mm du rayon de
intrication des mécanismes conduisant à l’expression phé- courbure postérieur au cours de l’adaptation de lentilles
notypique kératocônique. rigides.

Ces critères sont indicatifs. La surveillance est primor-


diale. Il existe cependant deux exceptions où l’indication
Prise en charge d’un cross-linking peut être posée dès la découverte d’un
kératocône : chez l’enfant et après LASIK. Dans ces deux cas,
Correction optique l’aggravation quasi certaine et parfois explosive de la mala-
die incite à ne pas retarder le cross-linking. Le traitement
La correction par verres de lunettes est possible à un stade du deuxième œil sera en revanche décalé d’au moins trois
précoce. La réfraction peut être difficile, fluctuante. Malgré mois afin d’être à distance d’éventuelles complications.
les différentes innovations thérapeutiques récentes, les len- Celles-ci vont du risque infectieux dû à la désépithéliali-
tilles de contact demeurent la modalité de prise en charge sation peropératoire et à la pose d’une lentille pansement,
de première ligne pour la réhabilitation visuelle des patients jusqu’à des cas de nécrose cornéenne avec perforation. Les
et ce à différentes étapes de l’évolution de la maladie cor- cas de « pseudo-haze » cicatriciel postopératoires sont fré-
néenne. L’adaptation peut concerner des kératocônes non quents, voire systématiques, et le plus souvent régressifs.
opérés ou après traitement chirurgical. Elle est possible en Il n’est cependant pas rare d’observer des pertes de ligne
lentilles rigides surtout, souples, en piggy-back, ou jumelées d’acuité visuelle après cross-linking. Des infiltrats cornéens
ou hybrides, ou en verres scléraux. Les techniques chirurgi- aseptiques ont également été rapportés. Il convient éga-
cales de réhabilitation visuelle ne s’envisagent qu’en cas lement de respecter une pachymétrie de 400 microns pour
d’échec des lentilles de contact par intolérance ou impos- limiter les risques potentiels de complications endothéliales
sibilité de port en raison de conditions d’environnement notamment.
spécifiques. L’association du cross-linking à d’autres procédures est
possible. L’effet additif du cross-linking sur l’implantation
d’anneaux intra-cornéens est à démontrer ainsi que l’ordre
Chirurgie du kératocône des deux interventions. Les indications de la photokératec-
tomie réfractive au laser excimer couplée au cross-linking
Cross-linking du collagène cornéen doivent être affinées. Enfin, les techniques de contraction
du collagène cornéen (KeraflexTM ) couplée au cross-linking
Le cross-linking du collagène cornéen a pour but de doivent être évaluées.
« rigidifier » une cornée biomécaniquement instable pour Enfin, d’autres approches du cross-linking sont en
stabiliser la maladie. Si le mécanisme d’action du cross- évaluation pour limiter les complications : cross-linking tran-
linking n’est pas complètement élucidé, le principe repose sépithélial ou iontophorèse pour éviter l’abrasion épithéliale
sur un « pontage » biochimique photo-induit des fibres de et donc la douleur et le haze postopératoire, ou le cross-
collagène par combinaison de riboflavine (vitamine B2) et linking rapide pour raccourcir la durée opératoire.
d’UV-A [20,21] (Fig. 7).
Les indications du cross-linking concernent le kératocône
évolutif définit par : Anneaux intra-cornéens
• une augmentation supérieure ou égale à 1 D du méridien L’objectif majeur des anneaux est d’améliorer la qualité de
le plus cambré (Kmax) ; vision des patients en remodelant l’architecture cornéenne,
• une augmentation supérieure ou égale à 1 D de en diminuant l’astigmatisme asymétrique, sans enlever de
l’astigmatisme manifeste réfractif ; tissu cornéen et sans toucher le centre de la cornée [22—25].
• un shift myopique supérieur ou égal à 0,50 D de Les INTACSTM « conventionnels » ont une zone optique de
l’équivalent sphérique manifeste réfractif ; 7 mm et une section hexagonale (Fig. 8). Les INTACSTM SK ont
624 P. Fournié et al.

Figure 8. Anneaux intra-cornéens INTACSTM à gauche avec une zone optique de 7 mm et FerraraTM -KeraringTM à droite avec une zone
optique de 5 mm.

une zone optique de 6 mm et une section ovale. Les anneaux épuisés. Longtemps considérée comme le traitement de
de FerraraTM ou KeraringTM ont une zone optique de 5 ou référence du kératocône, la kératoplastie transfixiante (KT)
de 6 mm et une section triangulaire (Fig. 8). La dissection a perdu cette place au profit de la kératoplastie lamellaire
des tunnels intrastromaux peut se faire mécaniquement à antérieure profonde (KLAP) pré-descemétique. Les avan-
l’aide de dissecteurs ou par laser femtoseconde. Le choix de tages sont une meilleure résistance mécanique, une acuité
l’anneau dépendra de l’équivalent sphérique préopératoire, visuelle et un astigmatisme postopératoire identiques, mais
de la localisation du cône, de l’asymétrie de la déformation surtout la conservation endothéliale [29,30]. Si le risque de
et de la pachymétrie. Une correction optique par lunettes rejet épithélial, sous-épithélial ou stromal persiste après
ou lentilles est souvent nécessaire après anneaux. KLAP, le risque de rejet endothélial est nul. La survie des
greffons lamellaires semble ainsi rallongée. En dehors de
Laser excimer la courbe d’apprentissage de la technique [31—33] (Fig. 9),
Une photoablation était contre-indiquée dans le kératocône la KLAP présente des complications propres dont la prin-
en raison de l’amincissement et de l’affaiblissement bio- cipale, la perforation peropératoire des couches profondes
mécanique cornéen. L’essor du cross-linking du collagène endothélio-descemétiques, peut nécessiter une conversion
cornéen permet de reconsidérer une photokératectomie en KT.
réfractive (PKR) dans le kératocône sous certaines condi-
tions. La PKR sera au mieux guidée par la topographie, Arbre décisionnel
avec une optique d’épargne tissulaire et une photoabla-
tion n’excédant donc pas 50 microns [26—28]. L’objectif du L’arbre décisionnel est controversé, évolutif et indicatif
traitement est de « régulariser » la surface cornéenne. La seulement (Fig. 10). La prise en charge du kératocône
détermination d’indications et de protocoles de traitement se fait au cas par cas et prend en compte de nombreux
ainsi que la validation des résultats préliminaires sur le long paramètres ophtalmologiques (acuité visuelle, confort bino-
terme sont nécessaires. culaire, transparence cornéenne, épaisseur cornéenne,
stabilité ou progression du kératocône, kératométrie maxi-
Implants intra-oculaires
La myopie dans le kératocône peut être axile, par allon-
gement de la longueur axiale de l’œil ou de courbure par
augmentation de la puissance de convergence de la cornée.
Sa correction par un implant intra-oculaire interviendra sur
une « cornée stable » spontanément ou après cross-linking.
L’implantation pourra être phaque ou pseudophaque en cas
de cataracte associée. Elle peut intervenir en première
intention ou après une chirurgie préalable par implantation
d’anneaux ou greffe de cornée. L’indication opératoire ne
repose sur aucun consensus et doit se réfléchir au cas par
cas. L’implantation intra-oculaire s’adresse essentiellement
à des kératocônes peu évolués, associés à une myopie forte
et uniquement si la réfraction est accessible.

Greffes de cornée
L’indication chirurgicale de greffe est à la fois optique
pour restaurer l’acuité visuelle, mais aussi tectonique pour Figure 9. La technique de la big bubble permet de cliver le stroma
restaurer l’intégrité cornéenne en épaisseur et en forme. profond de la membrane de Descemet par injection d’une bulle
La greffe n’intervient qu’en dernier recours, lorsque les d’air. La couche endothélio-descemétique, après retrait du stroma,
autres moyens de correction à notre disposition ont été apparaît lisse, transparente et uniforme.
Kératocône 625

Figure 10. Arbre décisionnel simplifié. Le premier élément à rechercher est l’évolutivité du kératocône pour indiquer ou pas le cross-
linking. La réhabilitation visuelle passe par un moyen optique, lentilles notamment, le plus longtemps possible puis, en cas d’échec, par un
moyen chirurgical indiqué au cas par cas. La greffe de cornée reste le traitement de dernière intention. LRPG : lentilles rigides perméables
au gaz ; AV : acuité visuelle ; CXL : cross-linking ; LIO : lentille intra-oculaire.

male, myopie axile associée, tolérance aux lentilles de dernières années, les années à venir devraient être riches
contact, cataracte), généraux (atopie, pathologies géné- en innovation pour améliorer la prise en charge globale de
rales associées, trisomie 21), mais également personnels nos patients [34].
(âge, activités professionnelles, activités de loisir, obser-
vance, attentes raisonnées et raisonnables du patient). Cet
arbre repose sur une logique de stabiliser un kératocône
évolutif, de corriger au maximum par des moyens optiques
Déclaration d’intérêts
avant d’envisager la solution chirurgicale la plus adaptée
Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflit d’intérêt en
au patient, la greffe de cornée étant réalisée en dernier
relation avec cet article.
recours.

Conclusions, perspectives Références


Le kératocône a bénéficié de nombreuses avancées diag- [1] Krachmer JH, Feder RS, Belin MW. Keratoconus and related
nostiques et thérapeutiques. Les progrès des examens non-inflammatory corneal thinning disorders. Surv Ophthalmol
1984;28:293—322.
d’exploration, et en premier lieu de la topographie cor-
[2] Kennedy RH, Bourne WM, Dyer JA. A 48-year clinical
néenne, ont permis de rendre de plus en plus précis le
and epidemiologic study of keratoconus. Am J Ophthalmol
dépistage des formes frustes, infracliniques. Des espoirs 1986;101:267—73.
sont placés dans l’exploration de la biomécanique cor- [3] Rabinowitz YS. Keratoconus. Surv Ophthalmol
néenne. La contactologie a également fortement progressé 1998;42:297—319.
et permet de repousser toujours plus loin l’échéance, [4] Amsler M. Kératocône classique et kératocône frustes, argu-
souvent redoutée, de la chirurgie. Les techniques de cor- ments unitaires. Ophthalmologica 1946;104:96—111.
néoplastie par anneaux intra-cornéens et greffes lamellaires [5] Zadnik K, Steger-May K, Fink BA, Joslin CE, Nichols JJ, Rosens-
antérieures profondes confirment leur intérêt dans cette tiel CE, et al. Between-eye asymmetry in keratoconus. Cornea
indication. Le cross-linking du collagène cornéen occupe une 2002;21:671—9.
[6] Rabinowitz YS, Garbus J, McDonnell PJ. Computer-assisted
place croissante dans la prise en charge du kératocône évo-
corneal topography in family members of patients with kera-
lutif pour essayer de stabiliser la maladie. Technique encore
toconus. Arch Ophthalmol 1990;108:365—71.
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