Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
com
Retrouver ce titre sur Numilog.com
Emmanuel Dreyer
Professeur à l’École de droit de la Sorbonne
(Université Paris 1 – Panthéon-Sorbonne)
ISBN 9782340-050327
©Ellipses Édition Marketing S.A., 2016
32, rue Bargue 75740 Paris cedex 15
Le Code de la propriété intellectuelle n’autorisant, aux termes de l’article L. 122-5.2° et
3°a), d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé
du copiste et non destinées à une utilisation collective », et d’autre part, que les analyses
et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toute représentation ou
reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants
droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4).
Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit constituerait une
contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété
intellectuelle.
www.editions-ellipses.fr
Introduction
3. Nature — À ce titre, le Droit pénal spécial se rapproche sans doute plus de la Procédure
pénale que du Droit pénal général : procédant d’une démarche synthétique, le Droit pénal
général est une discipline au premier abord assez théorique ; au contraire, envisageable
de façon analytique, le Droit pénal spécial constitue un droit d’apparence technique3.
1. Sur les interactions de ces deux droits, V. G. Vermelle, « Du droit pénal général reconfiguré par
le droit pénal spécial », Mél. Pradel, Cujas, 2006, p. 645 – et déjà : R. Vouin, « Observations sur
l’unité de la justice criminelle », Mél. Ancel, Pedone, 1975, t. 2, p. 241.
2. On a pu écrire également que « le droit pénal général est la grammaire de la langue pénale, dont le
droit pénal spécial fournit le vocabulaire » (A. Vitu, Droit pénal spécial, Cujas, 1981, p. 12, n° 4).
3. A fortiori, l’éclatement de la Procédure pénale, et la multiplication des règles de poursuite particulières,
rapproche celle-ci du Droit pénal spécial et l’éloigne du Droit pénal général (V. aussi : M. Véron,
« La loi du 9 mars 2004 dite loi Perben II », DP 2004, étude 5, p. 6).
4. Enjeux — Dès lors, peut-on douter de l’intérêt d’une telle discipline ? Il y a tout
de même un aspect du Droit pénal spécial qui peut le rendre rebutant. En effet, sa
démarche analytique ne transforme‑t‑elle pas cet enseignement en un vaste catalogue ?
L’inquiétude est d’autant plus légitime que, instable et changeante, en toute hypothèse
pléthorique, la matière pourrait donner le vertige des puits sans fond à qui aurait la
curiosité de se pencher dessus.
Il y a incontestablement un effet « catalogue » qui pourra sembler ennuyeux à cer-
tains car répétitif. On retrouvera ainsi, dans ce manuel, présentées de façon quasiment
intangibles (condition préalable/comportement incriminé/répression) les principales
incriminations figurant dans le Code pénal, et dans quelques autres codes : le Code
de la santé publique et le Code de la consommation, essentiellement.
Pour autant, le Droit pénal spécial ne se réduit pas à un catalogue. Ou, si cata-
logue il y a, c’est de façon raisonnée. Sa structure doit en éclairer le contenu. Après
d’autres mais de façon personnelle, cet ouvrage tente de mieux faire ressortir les
préoccupations de la société contemporaine et de trouver une cohérence dans un
chaos si facilement décrié.
1. V. aussi : J. Larguier, « Ce que les praticiens appellent la pratique (précédé de quelques libres propos
théoriques) », Mél. Gassin, PUAM, 2007, p. 273.
2. V. not. J.-B. Denis, La distinction du droit pénal général et du droit pénal spécial, LGDJ, coll. « Bibl.
sc.crim. », 1977, t. XXI, p. 126.
3. Violés aussi souvent que nécessaires, certains principes n’ont pas la valeur qu’on leur prête (E. Dreyer,
« La sécurité juridique et le droit pénal économique », DP 2006, étude 20)…
6. Plan — À ce stade, il ne nous reste plus qu’à justifier le plan adopté. Encore une
surprise : quatre parties, et non deux… Ou, plutôt, deux grandes parties cachées que
le lecteur repérera bien vite. Il s’agit d’opposer les atteintes portées à l’intégrité de la
personne aux atteintes étrangères à l’intégrité de celle-ci.
7. Personnes — Le terme « personne » peut être compris en des sens différents. Dans
une première approche, la personne est une abstraction. Elle se déduit de l’existence
d’un patrimoine, point d’imputation des droits et obligations de chacun. À ce titre,
la personne peut être aussi bien physique que morale. Au regard du droit pénal, la
personne morale fait toutefois rarement l’objet de dispositions qui lui sont propres :
victime ou délinquante, la personne morale est assimilée le plus souvent à une per-
sonne physique et protégée ou traitée comme elle. C’est donc par rapport à la personne
physique qu’il faut continuer de raisonner. Or, la personne physique servant ainsi de
référence est envisagée de façon concrète par le droit pénal, dans son environnement
familial, économique, social. C’est l’individu, l’être humain, dès qu’il a acquis le
statut de personne. À cet égard, il est devenu banal d’énoncer que la personne doit
être évoquée dans une double dimension : elle doit être respectée à la fois dans son
intégrité physique et dans son intégrité morale, ce dernier terme ne désignant pas
l’abstraction des groupements mais le halo immatériel qui entoure chaque individu
et qui exprime sa personnalité (intelligence, volonté, sentiments). Le droit pénal
moderne prend parfaitement en compte ces deux aspects. Il a compris que c’est une
condition de son efficacité dans la protection des personnes. Cette seconde dimension
paraît d’autant plus importante aujourd’hui que le progrès des moyens techniques
accentue les risques auxquels chacun peut être exposé. Ils sont même plus insidieux
car moins faciles à détecter1. Nous envisagerons donc successivement les atteintes
portées à l’intégrité physique puis les atteintes portées à l’intégrité morale d’autrui.
8. Autres — Mais ce n’est pas tout. En effet, deux autres types d’atteinte peuvent
encore être distingués.
Il s’agit d’abord des atteintes portées aux biens entendus de façon large comme
les éléments figurant à l’actif du patrimoine de la personne. Ces atteintes sont a priori
moins graves mais plus fréquentes que les précédentes. Elles alimentent une grande
partie du sentiment actuel d’insécurité et constituent un enjeu politique important.
Il s’agit ensuite, et enfin, d’atteintes portées aux intérêts propres de la société.
Les comportements réprimés à ce titre ne menacent pas seulement l’ordre public ; ils
affectent l’intérêt général.
9. Exclusions — Seuls les droits très spécialisés seront ignorés : droit pénal de la
presse, de la bioéthique, de la propriété intellectuelle, des données personnelles, du
travail, de la concurrence, etc. Ils relèvent en effet de logiques propres – que méconnaît
la qualification « droit pénal des affaires » sous laquelle ils sont parfois envisagés – et
mériteraient des développements trop spécifiques pour être détaillées ici. Nous nous
sommes contentés d’étudier les infractions les plus courantes, ce qu’un éminent auteur
qualifia – il y a quelques années – de « catéchisme social de l’ homme contemporain2 ».
1. La Cour européenne juge que « que la vie privée recouvre l’ intégrité physique et morale de la personne
et que l’État a également l’obligation positive de reconnaître à ses ressortissants le droit au respect effectif
de cette intégrité » (CEDH, 20 mars 2007, Tysiac c/ Pologne, § 107).
2. A. Vitu, Droit pénal spécial, préc., p. 18, n° 12.
Première partie
10. — Le corps rend la personne concrète. La personne ne se réduit pas à cet aspect
physique mais elle suppose un corps et l’action d’autrui sur son corps peut être de nature
à l’affecter directement. Ce lien étroit entre la personne et son corps explique que le
droit pénal ait, très tôt, voulu conférer une protection quasiment absolue à l’intégrité
physique. Ainsi, même si le principe de légalité commande de définir étroitement les
comportements qui lui portent atteinte, la multiplication des incriminations laisse
peu de place à un raisonnement a contrario légitimant des emprises sur un corps qui
n’est pas le sien.
On le vérifiera en évoquant non seulement la protection du corps proprement
dit mais aussi la protection des aptitudes physiques, c’est-à-dire des principales libertés
que confère à l’individu la maîtrise de son corps.
Titre premier
La protection du corps________________
Chapitre 1
Les atteintes mortelles_________________________
12. — Lorsque le droit pénal prétend lutter contre les atteintes mortelles, les dissua-
der, les punir, il entend protéger la vie de la personne. L’objet de cette protection, qui
en définit le périmètre, mérite quelques mots d’explication préalables. Ensuite, on
envisagera les atteintes intentionnelles puis les atteintes non intentionnelles portées
à la vie d’autrui car elles sont toutes deux réprimées.
Section 1
La vie, objet de protection_________________________
13. — Toutes les souffrances du monde pèsent sur les vivants. Les morts ont eu leur
compte ; ils ne souffrent plus. Ils n’ont plus besoin de la protection du droit pénal. La
vie apparaît ainsi comme l’unique objet de protection mais c’est aussi un objet de
protection essentiel. Il convient de le cerner au préalable.
Néanmoins, que vaut une société qui ne respecte pas ses morts ? Ponctuellement,
le droit pénal leur apporte à eux aussi une protection… résiduelle. Elle sera évoquée à
la suite afin de souligner, par contraste, l’attention accordée à la vie humaine, valeur
principalement protégée.
I. Le respect de la vie
14. Présentation — L’acte consistant à porter atteinte à la vie d’autrui porte un nom :
il s’agit d’un homicide. L’homicide n’est pas une infraction mais une catégorie d’infrac-
tions à l’intérieur de laquelle il convient de distinguer plusieurs formes d’homicide
volontaire ainsi que d’homicide involontaire. La vie qu’il s’agit de protéger dans tous
ces cas présente un certain nombre de caractéristiques.
D’abord, il s’agit d’une vie humaine. D’autres textes protègent la vie des animaux
(V. infra, n° 845 et s.). Quant aux Martiens, ils ne bénéficient d’aucune protection.
La tentative de meurtre d’un « petit homme vert » échappe à la sanction pénale. Encore
faut-il convaincre son juge que l’on a cru tirer contre les occupants d’une soucoupe
volante et non contre un malheureux qui, de nuit, réparait au bord d’un chemin sa
voiture tombée en panne1…
Ensuite, seule la vie d’autrui est prise en compte. Un rapport d’altérité s’impose
car il n’y a pas meurtre sur soi-même mais suicide.
Ces deux dernières affirmations méritent d’être précisées. Il s’agit de déterminer
tout d’abord les limites extrêmes de la vie et puis de souligner que seule la vie des
autres intéresse le droit pénal.
15. — Un homicide peut être commis sur tout individu, du commencement à la fin
de sa vie. L’application de ce principe pose néanmoins difficultés aux deux extrémités.
involontaire dans une telle hypothèse. Ainsi jugé dans une affaire où, suite à une
confusion entre deux patientes, un médecin avait provoqué une rupture de la poche
des eaux rendant nécessaire l’expulsion prématurée du fœtus. Ce médecin fut poursuivi
pour atteinte involontaire à la vie de l’enfant à naître. Mais l’arrêt le condamnant fut
cassé, après rappel que la loi pénale est d’interprétation stricte, au motif « que les faits
reprochés au prévenu n’entrent pas dans les prévisions des articles 319 ancien et 221-6 »1.
La solution fut réaffirmée ensuite en Assemblée plénière2. Par ailleurs, une solution
équivalente fut retenue alors que l’expulsion du fœtus avait été provoquée par l’erreur
de diagnostic d’une sage-femme3. Dans tous les cas, il s’est agi de mettre un terme au
raisonnement par analogie qui avait séduit certains juges du fond. Cette jurisprudence
reste néanmoins contestée4.
1. Crim. 30 juin 1999, B n° 174 ; DP 2000, n° 3, obs. M. Véron. – V. aussi : Crim. 25 juin 2002,
B n° 144 ; DP 2002, n° 93, obs. M. Véron.
2. AP 29 juin 2001, JCP 2001, II, 10569, rapport P. Sargos, concl. J. Sainte-Rose, note M.-L. Rassat ;
D 2001, p. 2917, note Y.Mayaud.
3. Crim. 4 mai 2004, B n° 108 ; RSC 2004, p. 884, obs. Y.Mayaud.
4. V. les protestations d’A. Decocq, « La main d’Isabelle », Mél. Malaurie, Defrénois, 2005, p. 199.
– J.-Y. Chevallier, « Naître ou n’être pas, la chambre criminelle et l’homicide du fœtus », Mél. Béguin,
Litec 2005, p. 125. – F. Dreifuss-Netter, « La protection de l’être humain avant la naissance », in La
personne juridique dans la philosophie du droit pénal, Éd. Panthéon-Assas, 2003, p. 89. – V. aussi,
au sujet de Crim. 6 juin 2002 : D. Commaret, DP 2002, étude 31.
5. Déc. n° 74-54, 15 janv. 1975 DC, Loi relative à l’ interruption volontaire de la grossesse, § 10. – V. aussi :
Déc. n° 2010-2, 11 juin 2010, QPC, Loi dite « anti-Perruche », § 7.
6. Tout en affirmant que « c’est la potentialité de cet être et sa capacité à devenir une personne… qui
doivent être protégés au nom de la dignité humaine sans pour autant en faire une “personne” qui aurait
un “ droit à la vie” au sens de l’art. 2 » (CEDH 8 juill. 2004, Vo c/ France, § 84. – V. aussi CEDH
16 déc. 2010, A, B et C c/ Irlande, § 213).
tout enjeu juridique lié à la qualité de personne, dans sa seule réalité biologique1…
L’opinion surprend d’autant plus qu’elle émane souvent d’individus qui ne rechignent
pas à mélanger les arguments juridiques aux arguments moraux, voire idéologiques,
sur cette question. Cette confusion des genres appelle bien des réserves.
En effet, l’objection n’apparaît pas déterminante. D’abord, le fait que les atteintes
à la vie de la personne figurent dans un titre du Code pénal consacré aux atteintes
à la personne « humaine » ne saurait rien changer au statut de cette personne : en
connaît-on d’autres ? La personne humaine est nécessairement une personne au sens
juridique, à la différence de « l’ être humain » tel que l’entend le Code civil qui semble
renvoyer à une autre réalité2.
Ensuite, on ne voit pas pourquoi « autrui » serait envisagé différemment pour les
infractions intentionnelles et pour les infractions non intentionnelles contre les per-
sonnes. La jurisprudence précitée de la Haute juridiction se contente de relever qu’en
l’absence d’incrimination spéciale l’interruption non intentionnelle d’une grossesse
ne peut être pénalement sanctionnée. Il s’agit de faire coïncider les champs d’appli-
cation respectifs de l’homicide volontaire et de l’homicide involontaire. L’absence de
protection du fœtus pour lui-même doit être déplorée mais elle résulte d’un choix du
législateur. On ne comprendrait pas que l’interruption involontaire d’une grossesse
puisse être punie comme homicide involontaire alors que l’interruption volontaire,
– nécessairement plus grave –, ne pourrait l’être comme homicide volontaire, sauf à
remettre en cause un droit à l’avortement désormais codifié3.
Par ailleurs, même sur le terrain des symboles où la discussion a souvent été
portée (mystère de la « conception » !), les objections à la jurisprudence de la Cour de
cassation n’apparaissent nullement convaincantes. En effet, elles oublient un symbole
qui est lui aussi essentiel : la naissance ne saurait être réduite à une péripétie dans un
développement linéaire de l’individu. C’est une étape suffisamment importante dans
le développement de la vie pour que le droit en fasse le point de départ de la protection
1. Certains juges du fond ont subordonné la protection à la preuve que le fœtus avait déjà « franchi
le seuil de viabilité, étant jusqu’ à terme apte à vivre de façon autonome » (CA Reims, 3 févr. 2000,
DP 2000, n° 54, obs. M. Véron). – Mais « la notion de personne humaine protégée ne doit pas être
liée à la notion beaucoup trop relative de viabilité » (J.-F. Seuvic, « Variations sur l’humain », préc.,
p. 370). En toute hypothèse, on fera observer là encore que la viabilité n’a de sens qu’après la nais-
sance : attestant d’une vie autonome, elle justifie que des droits soit attribués à un être qui constitue
désormais une personne (C. civ., art. 318, 725, 906).
2. Faut-il rappeler que cette qualification a été acquise, non pour faire de l’embryon une personne,
au sens juridique, mais pour éviter qu’il soit déclaré « chose » (V. not. C. Sevely, « Réflexions sur
l’inhumain et le droit, le droit en quête d’humanité », RSC 2005, p. 504) ? Il s’agit d’une qualification
intermédiaire, voulue comme telle par le législateur, afin d’éviter des confusions préjudiciables,
dans un sens comme dans l’autre.
3. La recherche biomédicale pourrait également se trouver menacée par la reconnaissance d’un droit
à la vie de l’embryon (V. Th. Cassuto, La santé publique en procès, Puf, 2008, p. 160). En toute
hypothèse, les peines deviendraient incohérentes si on punissait le « fœticide » involontaire de
3 ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende (art. 221-6) alors que l’interruption volontaire
et illégale de grossesse n’est punie que de 2 ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende (CSP,
art. L 2222-2) (V. aussi : J. Garrigue, « Les sanctions en droit des personnes », in Les sanctions en
droit contemporain, Dalloz, 2012, p. 145).
de la personne1. Comment imaginer que celui qui n’est pas encore né puisse se plaindre
d’être déjà mort ? Comment admettre une existence à laquelle aucun effet juridique
autre que pénal ne serait attaché ? Les « parents » ne devraient même pas être habilités
à représenter le fœtus dans une telle hypothèse2… L’absurdité de ces interrogations
suffit pour montrer que la question ne peut être posée ainsi. Il appartient sans doute
au législateur d’intervenir pour protéger également la liberté de la femme de mener sa
grossesse jusqu’à son terme sans crainte d’une interruption résultant de la négligence ou
de l’imprudence d’autrui (V. infra, n° 366). Cette intervention législative s’impose pour
éviter la logique du « tout ou rien » actuel3. Mais le législateur ne saurait aller au-delà.
C’est la personne, au sens juridique, qui est seule prise en compte au titre de l’homicide4.
On l’a vu en introduction, il est abusif d’opposer à cet égard des conceptions civiles
et pénales, abstraites et concrètes. Elles sont, par souci de cohérence, indissociables5.
Enfin, ce rappel permet de souligner l’inanité d’un dernier argument. Il est bien
entendu que la personnalité juridique n’est pas une condition générale de protection
par le droit pénal. L’humanité, l’espèce humaine, les animaux, voire certains biens
notamment culturels, sont protégés pour eux-mêmes alors qu’ils ne sont pas dotés
d’une telle personnalité : il suffit pour cela que la société y ait intérêt. Mais il ne s’ensuit
pas qu’en toute hypothèse la personnalité juridique est indifférente, notamment
lorsqu’il s’agit de définir la personne protégée contre les atteintes portées à sa vie6. Le
raisonnement a fortiori mené par certains auteurs se heurte à la discontinuité du droit
pénal qui interdit d’interpréter un texte par référence à un autre sans rapport avec lui.
La cohérence du système juridique commande d’entendre ici la personne au sens du
droit civil car le droit pénal n’a aucune raison d’appréhender autrement la personne
en niant ce qui est de son essence : son aptitude à exprimer une volonté propre.
20. — En toute hypothèse, l’exigence d’une personne vivante au moment des faits
pose une autre difficulté. Elle tient au :
1. De sorte que l’accident qui provoque la naissance anticipée d’un enfant qui meurt une heure après
constitue bien un homicide involontaire (Crim. 2 déc. 2003, B n° 230 ; D 2004, p. 449, note
J. Pradel ; JCP 2004, II, 10054, note M.-L. Rassat). – Peu importe que la faute soit antérieure à
la naissance (V. déjà, en matière de violence involontaire : Crim. 9 janv. 1992, DP 1992, n° 172,
obs. M. Véron). En effet, on le verra, ce n’est pas l’imprudence ou la négligence mais le décès qui
consomme ce délit : sauf à remettre en cause la structure de l’homicide involontaire et, plus large-
ment, de toutes les infractions matérielles, le raisonnement tenu par la Cour de cassation s’avère
imparable.
2. C’est parce qu’ils ne peuvent démontrer aucun préjudice en son nom devant le juge civil que les
parents usent de la voie pénale pour tenter de surmonter leur douleur. Le juge pénal doit résister
à cette instrumentalisation.
3. La juridiction de Strasbourg reconnaît la nécessité de protéger le lien que la mère entretient avec
l’enfant à venir (CEDH, 2 juin 2005, Znamenskaya c/ Russie, § 27).
4. L’art. 221-6 punissant l’homicide involontaire, à l’instar de l’art. 221-1 punissant le meurtre, prend
place dans un chapitre intitulé : « Des atteintes à la vie de la personne » (et non « De la vie humaine »).
5. V. la belle et courageuse réfutation de : J. Mouly, « Du prétendu homicide de l’enfant à naître »,
RSC 2005, p. 47. – V., aussi : B. Le Griel, « L’absence de protection pénale de l’enfant conçu », Mél.
Sainte-Rose, Bruylant, 2012, p. 712.
6 V. pourtant : N. Catelan, « Existe‑t‑il une personnalité juridique propre au droit pénal ? », in Faut-il
« regénéraliser » le droit pénal ?, LGDJ, 2015, p. 23.
21. Mort — La protection pénale est acquise à la personne née vivante jusqu’à son
décès, sachant « que la survenance de la mort constitue un phénomène continu ; que la
vie ne prend fin que par la cessation irréversible de l’ensemble des fonctions vitales et que
dès lors les lois pénales protectrices des personnes s’appliquent tant que demeure la moindre
possibilité de récupération1 ». Le Code de la santé publique propose néanmoins une
définition de la mort (art. R 1232-1). Elle suppose un arrêt cardiaque et respiratoire
persistant dès lors que s’y ajoutent les trois critères cliniques suivants : i) absence
totale de conscience et d’activité motrice spontanée ; ii) abolition de tous les réflexes
du tronc cérébral ; iii) absence totale de ventilation spontanée. Le maintien artificiel
en fonction du cœur et des autres organes (pour permettre des prélèvements) ne fait
donc pas obstacle à ce constat2.
En principe, si la victime est déjà morte au moment où des coups a priori mor-
tels lui sont portés, il ne peut y avoir meurtre. Cependant, compte tenu de la gravité
de l’acte en question et du fait que l’absence de meurtre tient à une circonstance
totalement indépendante de la volonté de son auteur, la Cour de cassation assimile
cette infraction impossible à une tentative de meurtre3. Une telle jurisprudence ne
contredit pas la précédente (sur le fœtus) : il ne s’agit pas de faire ici du mort une
personne mais de constater que le « meurtrier » a bien voulu donner la mort à ce qu’il
croyait être encore une personne.
23. — Mais toute vie humaine n’est pas prise en compte. Seule la vie d’autrui est
pénalement protégée.
24. Altérité — Les homicides qui seront étudiés à la suite ne prennent en compte
que la vie de l’autre. Le meurtre et l’empoisonnement sur soi-même ne constituent
que des actes de suicide : leur tentative n’apparaît pas punissable dès lors qu’il n’en est
1. J.-P. Doucet, Le droit criminel – La personne humaine, éd. GP, 3e éd., 1999, p. 46, n° 41.
2 V. critiquant cette solution : M. Iacub, « La construction de la mort en droit français », in Le crime
était presque sexuel, et autres essais de casuistique juridique, Epel, coll. « essais », 2002, p. 124.
3. Crim. 16 janv. 1986, B n° 25 ; D 1986, p. 265, note D. Mayer et J. Pradel ; JCP 1987, II, 20774,
note G. Roujou de Boubée.
résulté aucune conséquence pour autrui. Le droit pénal n’ose pas pénétrer au cœur
des consciences et demander à un juge de condamner cette décision intime qui a pu
pousser un individu à essayer de mettre fin à ses jours. La solution s’impose d’autant
plus que, dans une société harmonieuse, de tels actes sont rares.
25. Danger — Mais il faut que ces actes restent exceptionnels. Or, certains com-
portements peuvent sembler dangereux. Un angle mort du droit est apparu, au
milieu des années 1980, lors de la publication de l’ouvrage Suicide mode d’emploi
– qui aurait notamment été retrouvé au chevet de Dalida ! Par son ampleur, une telle
publication s’avérait déstabilisante mais difficile à sanctionner. Techniquement, en
effet, la liberté reconnue à chacun de se donner la mort assurait l’impunité de ceux
qui avaient pu s’y associer : l’infraction de non-obstacle à la commission d’un crime
ou délit ne pouvait être constituée, faute de qualification pénale de l’acte de suicide ;
on ne pouvait sanctionner davantage cet agissement au titre de la complicité à raison
de l’aide ou de l’assistance apportée aux candidats au suicide, faute d’infraction prin-
cipale punissable. Il n’était même pas possible de sanctionner là une abstention de
porter secours à personne en péril, en l’absence de rapport personnel avec le défunt
permettant de conclure à la conscience qu’avait eu l’agent de la réalité de son projet de
suicide. Une telle impunité suscita l’indignation du public. Le législateur a donc fini
par intervenir, le 31 déc. 1987, en créant deux infractions nouvelles qui concernent
l’une la provocation au suicide ; l’autre le prosélytisme en faveur du suicide.
L’étude de ces deux infractions permet de souligner combien la liberté du sujet à
l’égard de sa propre vie est envisagée strictement et l’attitude des tiers jugée avec sévérité.
1. La provocation au suicide
26. — L’article 223-13, C. pén. incrimine une provocation suivie d’effet. Il vise : « le fait
de provoquer au suicide d’autrui… lorsque la provocation a été suivie du suicide ou d’une
tentative de suicide ». En l’absence de suicide ou de tentative de suicide judiciairement
constatée, la provocation ne peut être sanctionnée. Il s’agit d’une infraction matérielle.
Le législateur n’a pas voulu en faire un délit obstacle car il fallait éviter de porter atteinte
à la liberté d’expression1. En pratique, la question d’une éventuelle provocation ne se
pose donc qu’a posteriori. S’il apparaît que la décision de se suicider n’a pas été prise
librement par la victime, celui qui est à l’origine de son acte peut être inquiété.
a. Caractères de la provocation
1. Constat qui pourrait néanmoins être remis en cause par une approche extensive de la tentative de
suicide. Pour maintenir l’incrimination dans des limites raisonnables, il faut exiger que la provo-
cation ait conduit à un acte manifestant la volonté irrévocable de la victime de se donner la mort.
Si les magistrats voient au contraire une tentative dans tout acte désespéré, même insusceptible de
tuer, la sanction d’une provocation trop aisément relevée risque d’entraîner une atteinte excessive
à la liberté d’expression.
28. Formes — Peu importe les moyens mis en œuvre à cette fin. Ils ne sont pas
précisés à l’article 223-13 qui n’envisage que leur résultat. Toutes formes de pression
psychologique peuvent donc être prises en compte : propos ou fourniture de moyens.
Mais, s’agissant des propos, toute information donnée sur la façon de se procu-
rer un suicide n’est pas nécessairement délictueuse. Ainsi, il a été jugé que « le simple
conseil de se suicider, s’ il n’est pas accompagné de manœuvres visant à en développer la
force de conviction échappe à la répression1 ».
De la même façon, il est nécessaire qu’à travers la fourniture de moyens le
ministère public parvienne à établir la volonté de l’agent de pousser la « victime » à se
donner la mort. L’infraction n’a pas été déclarée constituée à l’encontre d’un prévenu
qui avait remis un couteau à une personne dont il connaissait le comportement sui-
cidaire et déséquilibré en la défiant de s’en servir. Le tribunal a estimé que ce simple
geste « ne comporte aucun caractère contraignant ou convaincant de nature à paralyser
sa volonté en ne laissant d’autre alternative que la mort pour résoudre ses difficultés2 ».
29. Étendue — Par ailleurs, les circonstances dans lesquelles cette incrimination a
vu le jour donnent à penser que la provocation peut être collective et non seulement
individuelle3. La provocation paraît encore plus dangereuse et mérite de plus belle
une sanction lorsqu’elle a conduit plusieurs personnes au suicide ou à des tentatives
de suicide dès lors que le ministère public est en mesure de démontrer un lien de
causalité direct entre l’information donnée et ces suicides ou tentatives de suicide.
Mais, en pratique, cela ne peut guère concerner que les appels au suicide lancés par
un gourou devant l’assemblée de ses adeptes ou dans un ouvrage rédigé à leur inten-
tion. Il sera peut-être plus simple alors d’agir sur le fondement de l’article 223-6, al.
2, C. pén. (V. infra, n° 212).
b. Répression de la provocation
qu’à la plupart des peines de l’article 131-9 (la dissolution n’étant encourue que dans
l’hypothèse d’une provocation dirigée contre un mineur de 15 ans – art. 223-15-1).
La personne morale, à l’instar de la personne physique, peut aussi se voir inter-
dire l’activité de prestataire de formation professionnelle continue pendant 5 ans
(art. 223-13, al. 2).
32. Action civile — L’infraction fait partie de celles pour lesquelles le législateur
autorise toute association régulièrement déclarée depuis au moins 5 ans à la date
des faits, et dont l’objet statutaire comporte la défense ou l’assistance de l’enfant en
danger, à exercer les droits reconnus à la partie civile lorsque l’action publique a déjà
été mise en mouvement (CPP, art. 2-3).
34. Définitions — Par propagande, on entend tout discours favorable à des objets
ou méthodes censés donner la mort. Peu importe que ces objets ou méthodes soient
envisagés de façon générique (mérites de la ciguë) ou particulière (mérites d’un produit
de telle marque).
Par publicité, on entend un discours commercial poussant à l’achat d’un objet
ou d’une méthode déterminée.
1. TGI Paris, 11 avril 1995, JCP 1996, II, 22729, note I. Lucas-Gallay.
différentes façons d’en finir avec la vie1. L’incitation n’était qu’indirecte car la publicité
en question n’avait d’autre but que de favoriser la vente du livre. Néanmoins, la Cour
de cassation a admis qu’elle incitait à utiliser les méthodes de suicide que l’ouvrage
proposait : « cette publicité en faveur de l’ouvrage constitue en même temps une publicité
pour les procédés de suicide qu’ il décrit… puisque la motivation de celui qui acquiert
l’ouvrage est nécessairement de s’ informer sur les techniques de suicide2 ».
36. — À la différence de la vie, la mort suscite fort peu l’intérêt du droit. Certes, il
existe une protection de la volonté des morts et, même, de leur tranquillité mais cette
protection ne recouvre que des hypothèses limitées3. La mémoire des morts n’est, quant
à elle, pas protégée contre la diffamation et l’injure publique de manière autonome :
elle ne peut être réprimée « que dans le cas où les auteurs de ces diffamations ou injures
auraient eu l’ intention de porter atteinte à l’ honneur ou à la considération des héritiers,
époux ou légataires universels vivants » (L 1881, art. 344). L’essentiel de la protection
post-mortem est dû au corps de la personne.
38. — L’article 225-17, C. pén. prétend sanctionner les atteintes au respect dû aux morts
en incriminant « toute atteinte à l’ intégrité du cadavre, par quelque moyen que ce soit »
ainsi que « la violation ou la profanation, par quelque moyen que ce soit, de tombeaux,
de sépultures, d’urnes cinéraires ou de monuments édifiés à la mémoire des morts ». Dans
cette seconde hypothèse, c’est également la douleur des survivants que l’on prend
en compte en essayant de protéger leurs souvenirs et l’endroit où ils se recueillent1.
Il s’agit d’infractions que l’on croyait oubliées dans la mesure où elles n’avaient plus
guère connu d’application depuis le XIXe siècle mais que le développement des jeux
de rôle dans les cimetières ainsi que certains comportements xénophobes ou sectaires
ont remis à l’honneur.
1. Définition
40. Dépouille — Matériellement, dans le premier cas, c’est une dépouille humaine
qui est protégée. Le droit pénal apporte ici sa garantie à un principe de droit naturel
rappelé dans le Code civil. En effet, l’article 16-1-1 de ce code dispose que « le respect
dû au corps humain ne cesse pas avec la mort » et que « les restes des personnes décédées,
y compris les cendres de celles dont le corps a donné lieu à crémation, doivent être traités
avec respect, dignité et décence ».
Il y a délit pénal à y porter atteinte par quelque moyen que ce soit : attouche-
ments ou vol d’objets dont la dépouille serait encore porteuse, nécrophilie aussi
bien qu’expérimentations ou prélèvements intempestifs d’organes. L’incrimination
dépasse donc le simple outrage au cadavre. Il n’est même pas nécessaire d’attendre
que le corps soit inhumé pour que s’applique l’incrimination : le corps du défunt est
désormais protégé en lui-même, indépendamment de tout apprêt funéraire. L’atteinte
pourrait donc être constatée alors que le corps vient d’arriver à la morgue ou se trouve
encore exposé aux yeux de tous à l’endroit du décès. La jurisprudence récente révèle
néanmoins des pratiques plus tardives. L’infraction a ainsi été déclarée constituée
contre des fossoyeurs auxquels il était reproché de « sauter sur des cercueils ou [de] les
forcer avec un instrument, pour y prendre des bijoux ou des dents en or 2 ». L’infraction
1. L’article 3, Conv. EDH n’est pas applicable en cas de profanation d’une dépouille (V. CEDH, 27
fév. 2007, Akpınar et Altun c/ Turquie, § 82). En revanche, les proches auquel le corps mutilé est
remis peuvent invoquer ce texte.
2. Crim. 25 oct. 2000, B n° 318 ; JCP 2001, II, 10566, note P. Mistretta ; D 2001, p. 1052, note
Th. Garé.
fut également reprochée à des individus qui avaient exhumé le cadavre d’une jeune
fille pour prendre des clichés indécents1.
2. Répression
43. — Elle varie suivant que l’infraction a été commise avec ou sans mobile discri-
minatoire.
44. Pénalités — Les deux comportements définis ci-dessus sont punis d’un an
d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende. Ces peines sont doublées lorsqu’il y a
eu à la fois atteinte à l’intégrité du cadavre et violation du tombeau ou de la sépulture
(art. 225-17, al. 3).
L’application d’aucune peine complémentaire n’est envisagée. La tentative n’est
pas déclarée punissable.
45. Justification — L’autorisation de la loi (art. 122-4) justifie les dissections pratiquées
par un médecin légiste (CPP, art. 74 et 81) et les prélèvements d’organes pratiqués
conformément aux articles L 1232-1 et s. CSP.
46. Pénalités — Dès l’adoption du Code actuel, les peines ont été portées à 3 ans
d’emprisonnement et 45 000 € d’amende lorsque l’un ou l’autre des comportements
décrits ci-dessus sont commis « à raison de l’appartenance ou de la non-appartenance,
vraie ou supposée, des personnes décédées à une ethnie, une nation, une race ou une religion
déterminée ». Ces peines ont même été portées à 5 ans d’emprisonnement et 75 000 €
d’amende lorsque les deux comportements sont accomplis ensemble avec un mobile
discriminatoire.
Section 2
Les homicides volontaires_________________________
I. Le meurtre
A. Définition du meurtre
50. — L’article 221-1, C. pén. définit le meurtre comme « le fait de donner volontai-
rement la mort à autrui ». Une telle définition laisse apparaître tant l’élément matériel
que l’élément moral de ce crime.
51. — C’est toute action violente exercée sur autrui afin de provoquer une mort
certaine. Envisageons les deux termes de cette définition.
a. Le comportement meurtrier
52. Formes — L’article 221-1 ne précise pas la forme que doit revêtir le comportement
meurtrier. Néanmoins, parce qu’il s’agit de « donner » la mort, on considère que le
meurtre constitue nécessairement une infraction de commission car la formule évoque
un acte positif. Une abstention mortelle ne saurait être sanctionnée à ce titre : il y a,
au mieux, non-assistance à personne en péril (art. 223-6, al. 2) ou mise en péril d’un
mineur (art. 227-161).
En revanche, tout acte positif peut être pris en compte, le texte d’incrimination
ne précisant pas les moyens à utiliser pour donner la mort. Le meurtre peut donc être
réalisé par étranglement, coups portés à main nue ou par l’intermédiaire d’un objet
transformé en arme… La nécessaire distinction du meurtre et de l’empoisonnement
conduit, tout au plus, à exclure du champ d’application de ce premier crime l’admi-
nistration d’une substance mortelle qui caractérise le second.
Ajoutons que, faute de précision en sens contraire, l’acte n’a pas à être mortel par
nature : la qualification de meurtre peut être retenue à raison d’un acte simplement
violent accompli en sachant qu’il provoquera la mort de la victime compte tenu de
prédispositions connues de l’agent (allergies, not.). La jurisprudence admet aussi qu’un
meurtre puisse résulter d’une succession d’actes violents réalisés dans le but de donner
la mort à autrui2. À la différence de sa consommation, l’exécution de ce crime peut
donc s’inscrire dans le temps3.
53. — Mais il est essentiel qu’un tel comportement ait produit le résultat visé au
texte : la mort d’autrui.
b. Le résultat meurtrier
54. Décès — Pour qu’il y ait meurtre, le comportement violent doit avoir provoqué
la mort. Ce résultat doit avoir été atteint. Sa réalité et son origine – lien de causalité –
ne doivent prêter à aucune discussion. Il s’agit en effet d’une infraction matérielle qui
suppose rapportée la preuve de l’obtention d’un tel résultat. Elle est consommée au
jour où il est atteint1.
Peu importe que la victime n’ait pu être identifiée, son corps étant méconnaissable
(carbonisé) ou n’ayant jamais été retrouvé (jeté à la mer).
56. — Le meurtre suppose que l’agent ait eu l’intention de donner à autrui la mort au
moment de son acte. Il convient de s’interroger sur la consistance de cette intention
et sur sa preuve.
a. La consistance de l’ intention
58. Mobiles — Bien entendu, le mobile est indifférent : il n’efface pas l’intention
homicide et ne peut servir de fait justificatif. Peu importe que l’acte ait été dicté par
la vengeance, la jalousie, l’intérêt ou la pitié.
1. Crim. 16 oct. 2013, B n° 192 ; JCP 2013, 1309, note S. Detraz ; D. 2013, p. 2673, note Y. Mayaud.
2. V. pour le fait de tirer à l’aveuglette contre un groupe de personnes : Crim. 10 avril 1975, B n° 90.
3 Conscience absente si le tir est accidentel : Crim. 6 juin 2012, GP 26-27 oct. 2012, p. 34, obs.
E. Dreyer.
b. La preuve de l’ intention
B. Répression du meurtre
60. — Pour les personnes physiques, la répression du meurtre varie suivant que l’on
considère l’infraction simple ou ses formes aggravées. Pour les personnes morales, la
répression est au contraire la même dans ces différentes hypothèses (art. 221-5-2). Les
personnes morales déclarées coupables de meurtre encourent l’amende de 1 M€ prévue
à l’article 131-38, al. 2 ainsi que l’ensemble des peines de l’article 131-39, C. pén.
1. De façon dogmatique, la solution s’expliquerait par le fait que la vie est une valeur indisponible
(donnée par Dieu ; due à l’État). De façon pragmatique, la solution s’explique plus simplement : le
législateur présume qu’autrui veut vivre. Pour éviter la justification abusive d’actes homicides, cette
présomption est tenue pour irréfragable (Comp. X. Pin, « Le consentement à lésion de soi-même
en droit pénal », Droits 2009, t. 49, p. 83).
2. Hypothèse de l’euthanasie. – V. CA Toulouse, 9 août 1973, D 1974, p. 452.
3. La Cour de cassation admet qu’il résulte de certains faits « une présomption sérieuse d’un fait crimi-
nel » : Crim. 2 oct. 1996, B n° 342 ; RSC 1997, p. 108, obs. Y.Mayaud.
4. Crim. 6 janv. 1993, DP 1993, n° 103, obs. M. Véron. – 18 juin 1991, DP 1991, n° 277, obs. M. Véron.
– 9 janv. 1990, B n° 15 ; RSC 1990, p. 337, obs. G.Levasseur.
5. Crim. 8 janv. 1991, B n° 14 ; D 1992, p. 115, note R. Croisier-Nerac. – déduisant de la forme des
coups l’absence d’intention de tuer.
6. Crim. 23 août 2006, DP 2006, n° 151, obs. M. Véron.
61. Pénalités — Selon l’article 221-1, le meurtre simple est puni d’une peine de 30 ans
de réclusion criminelle. Le prononcé d’une période de sûreté est facultatif pour le
juge (C. pén., art. 132-23, al. 3), faute d’avoir été prévu par le texte d’incrimination
lorsqu’une peine égale ou supérieure à 10 ans est prononcée1. Rappelons que le prononcé
de cette période de sûreté empêche le condamné incarcéré de bénéficier des mesures
de faveur ouvertes dans le cadre du régime pénitentiaire commun : suspension ou
fractionnement de la peine, placement à l’extérieur, permission de sortir, semi-liberté,
liberté conditionnelle.
62. Autres — À cette peine principale s’ajoute une très longue liste de peines com-
plémentaires. En vertu de l’article 221-8 (I), le juge peut notamment prononcer :
l’interdiction d’exercer la fonction ou l’activité à l’occasion de laquelle l’infraction a
été commise ; l’interdiction de détenir ou de porter une arme soumise à autorisation ;
la confiscation d’une arme ou d’un véhicule ; le retrait du permis de chasser ; la suspen-
sion ou même l’annulation du permis de conduire ; l’obligation d’accomplir un stage
de sensibilisation aux dangers de l’usage de produits stupéfiants, etc. L’interdiction
de détenir ou porter une arme, la confiscation de celle-ci et le retrait du permis de
chasse sont même obligatoires, sauf décision spécialement motivée en considération
des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur (II). En vertu de
l’article 221-9, le juge peut également prononcer l’interdiction des droits civiques, civils
et de famille, la confiscation d’objets dangereux ou nuisibles ainsi qu’une interdiction
d’exercer et l’interdiction de séjour. En vertu de l’article 221-11, une interdiction du
territoire français, à titre définitif ou pour une durée de 10 ans au plus, peut également
être infligée au meurtrier étranger. Enfin, le suivi socio-judiciaire est applicable à tout
homicide volontaire (art. 221-9-1).
63. Sanction civile — Par ailleurs, l’article 726, C. civ. déclare indigne de succéder
« celui qui est condamné, comme auteur ou complice, à une peine criminelle pour avoir
volontairement donné ou tenté de donner la mort au défunt ». L’indignité est facultative si
seule une peine correctionnelle a été prononcée (art. 727). La juridiction de Strasbourg
admet le principe d’une telle indignité, y compris en l’absence de condamnation, à
raison du décès du meurtrier au cours de la procédure, dès lors que les faits sont établis2.
64. — Le meurtre donne lieu à une répression complexe qui témoigne de la volonté
du législateur d’aggraver les sanctions encourues suivant la forme prise par le meurtre.
Une aggravation peut ainsi être envisagée soit à raison de la qualité de la victime, soit
1. Pour les inscriptions au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou
violentes ainsi qu’au fichier national automatisé des empreintes génétiques, V. CPP, art. 706-53-1
et 706-54.
2. CEDH, 1er déc. 2009, Velcea et Mazăre c/ Roumanie, § 133.
1. S’agit-il toujours de ne pas fragiliser l’autorité de celui qui exerce le droit de correction au sein de la
famille ? On peut en douter car la qualité d’ascendant est une circonstance aggravante des violences
commises sur mineur de 15 ans (art. 222-3, – 8, – 10, – 12 et – 13). C’est plus sûrement un oubli.
2. Le cumul de certaines circonstances aggravantes peut amener la cour d’assises à porter cette période
de sûreté à 30 ans, voire à la déclarer perpétuelle (art. 221-4, in fine. – V. infra, n° 75).
3. J. Francillon, Code pénal commenté, Dalloz, 1996, p. 150.
4. Et, par extension, à l’ancien conjoint, concubin ou partenaire « dès lors que l’ infraction est commise en
raison des relations ayant existé entre l’auteur des faits et la victime » (art. 132-80, al. 2). Peu importe
l’écoulement du temps si le ressentiment existe toujours (Crim. 12 oct. 2011, B n° 210 ; DP 2012,
n° 15, obs. M. Véron)…
5. Peu importe, à cet égard, l’obligation de protection mise à la charge des États par la juridiction de
Strasbourg (V. imposant la prévention de violences domestiques : CEDH, 9 juin 2009, Opuz c/
Turquie, § 128).
68. Symboles — Est encore érigé en circonstance aggravante, le fait que le meurtre
a été commis sur certaines personnes à raison de leurs fonctions, notamment les
magistrats, témoins, jurés, policiers, officiers publics ou ministériels, les préposés
des transports publics de voyageurs et certains gardiens d’immeubles. Idem en cas
de meurtre commis sur un enseignant ou un professionnel de santé dans l’exercice
ou du fait de ses fonctions. Pour dissuader les règlements de compte, le législateur a
même prévu que l’aggravation s’applique aussi lorsque le meurtre a été commis « sur le
conjoint, les ascendants et les descendants en ligne directe [de ces agents] », ou sur toute
autre personne vivant habituellement à leur domicile lorsqu’elles sont visées « en raison
des fonctions exercées par ces [agents] ». Le meurtrier doit être sanctionné aussi sévère-
ment lorsqu’il s’attaque, en connaissance de cause, aux représentants de l’autorité que
lorsqu’il s’en prend à leurs proches. On admettra néanmoins que, dans cette dernière
hypothèse, l’autorité de l’État n’est plus directement en cause, ce qui a été contesté3.
69. — L’aggravation s’applique enfin lorsque le meurtre a été commis par plusieurs
personnes agissant en bande organisée au sens de l’article 132-71, C. pén (« tout
groupement formé ou toute entente établie en vue de la préparation, caractérisée par
un ou plusieurs faits matériels, d’une ou de plusieurs infractions »). Les règles propres à
l’enquête, la poursuite, l’instruction et le jugement de la criminalité organisée sont
alors applicables (CPP, art. 706-73).
1. Il s’agirait d’une circonstance aggravante mixte qui se communique aux coauteurs et complices
(V. Crim. 16 déc. 2014, GP 22-24 fév. 2014, p. 31, obs. S.Detraz).
2. Lorsqu’un tel meurtre est commis à l’étranger contre une personne résidant habituellement en
France, la loi française est applicable indépendamment des restrictions mises en principe à sa
compétence personnelle passive (art. 221-5-4).
3 F. Ghelfi, « La protection pénale du fonctionnaire victime », in Fonctionnaires et droit pénal,
l’Harmattan, 2015, p. 59.
dans les hypothèses précédentes, le meurtre est alors puni de la réclusion criminelle à
perpétuité éventuellement assortie d’une période de sûreté de plein droit de 18, voire
22 ans (C.pén., art. 132-23, al. 1 et 2). Il en va de même lorsqu’un meurtre a été
commis soit pour préparer ou faciliter un délit, soit pour favoriser la fuite ou assurer
l’impunité de l’auteur ou du complice d’un délit. Peu importe que ces infractions
en concours aient été consommées ou simplement tentées, dans les hypothèses où
la tentative est punissable1. La Cour de cassation y voit une circonstance aggravante
réelle, qui s’attache à la matérialité du meurtre et ne peut exister, en cas de pluralité
d’auteurs, à l’égard de l’un sans exister également à l’égard des autres2.
Il s’agit d’échapper au plafonnement de la répression applicable au concours réel
d’infractions (art. 132-3). Les conditions de cette aggravation ne sont toutefois pas
les mêmes suivant que le meurtre est doublé d’un crime ou d’un délit. L’article 221-2
distingue les deux hypothèses.
71. Autre crime — L’hypothèse d’un meurtre commis en concours avec un autre
crime est entendue largement. L’aggravation a lieu que le meurtre ait été précédé,
accompagné ou suivi de cet autre crime. Elle sanctionne la persistance de son auteur
à agir de façon criminelle. Elle s’applique notamment lorsque l’auteur d’un viol ou
de tortures et actes de barbarie tue ensuite sa victime3. Dans cette hypothèse, la
procédure propre aux infractions de nature sexuelle prévue aux articles 706-47 et s.
(CPP) est applicable.
Il n’est pas nécessaire que les deux crimes résultent d’un plan concerté. Ils doivent
tout au plus être concomitants4. Il suffit qu’ils procèdent d’un même enchaînement
de faits excluant toute autonomie entre eux. A priori, l’un et l’autre peuvent n’avoir
été que tentés.
Peu importe enfin la participation de l’agent à ces différents crimes : peu importe
que sa responsabilité pénale soit engagée en qualité d’auteur ou complice dès lors
qu’elle l’est dans les deux cas5.
Le meurtre doit donc avoir présenté une utilité par rapport à la réalisation du délit
(et non l’inverse). Cette utilité s’apprécie sur le plan tant matériel que moral. Maté-
riellement, un véritable lien de connexité doit exister entre les deux infractions
qui, à la différence de l’hypothèse précédente, ne doivent pas seulement coexister
mais s’inscrire dans un plan d’ensemble. Peu importe l’ordre dans lequel elles sont
commises : la circonstance aggravante s’applique que le meurtre du concierge ait été
commis avant le vol pour faciliter celui-ci ou après le vol pour protéger la fuite de son
auteur. Moralement, le juge doit également établir le mobile de l’auteur du meurtre
qui a agi dans un but déterminé1.
Une ultime question se pose au regard de la lettre de l’article 221-2, al. 2 : l’auteur
du meurtre assume‑t‑il nécessairement une responsabilité dans le délit ainsi perpétré?
In fine, le texte d’aggravation ne semble pas l’exiger. Il paraît néanmoins contestable
d’aggraver la responsabilité d’un meurtrier à raison d’un délit auquel il n’a pris aucune
part. La logique semble être, encore une fois, celle d’un cumul juridique d’infractions.
73. Définition — Selon l’article 221-3, C. pén. « le meurtre commis avec prémédita-
tion ou guet-apens constitue un assassinat ». La préméditation est par ailleurs définie
comme étant « le dessein formé avant l’action » (art. 132-72) ; le guet-apens consiste,
lui, à « attendre un certain temps une ou plusieurs personnes dans un lieu déterminé pour
commettre à leur encontre une ou plusieurs infractions » (art. 132-71-1). A priori, le guet-
apens implique la préméditation2.
Pour qu’il y ait assassinat, il ne suffit pas que l’intention homicide ait existé
au moment de l’acte ; elle doit s’être forgée avant. Sans le préciser, la loi exige qu’un
intervalle de temps sépare la décision de tuer du passage à l’acte. Elle suppose ainsi
l’exécution d’un acte de sang-froid, réfléchi. La gravité de l’assassinat tient au fait qu’il
a été commis dans le calme et non sous l’empire de la passion ou de la colère : l’agent
a persisté dans sa mauvaise intention. Toutefois, il peut y avoir préméditation même
si le dessein formé à l’avance ne concernait pas un individu déterminé. Se rend ainsi
coupable d’assassinat le mari qui, animé de soupçons, surprend l’amant de sa femme
et le tue sans connaître pour autant son identité3.
Il s’agit d’une circonstance aggravante morale : s’il y a pluralité d’accusés, cette
circonstance, personnelle à l’un d’eux, ne se communique pas aux autres4.
par ex. du fait d’avoir acheté arme et munitions dans le but de tuer ou de la profération
de menaces de mort quelques heures avant le passage à l’acte.
75. Pénalités — Lorsqu’il est ainsi constitué, l’assassinat est puni de la réclusion
criminelle à perpétuité assortie éventuellement d’une période de sûreté de plein droit
de 18 ans (ou 22 ans sur décision spéciale de la cour d’assises).
Mais il existe deux hypothèses dans lesquelles la répression de l’assassinat se
trouve encore aggravée. La première hypothèse suppose la réunion de deux condi-
tions : la victime devait être mineure de 15 ans au moment des faits et son assassinat
doit avoir été précédé ou accompagné d’un viol, de tortures ou d’actes de barbarie.
La seconde hypothèse suppose un assassinat commis « sur un magistrat, un fonction-
naire de la police nationale, un militaire de la gendarmerie, un membre du personnel de
l’administration pénitentiaire ou toute autre personne dépositaire de l’autorité publique,
à l’occasion de l’exercice ou en raison de ses fonctions ». La cour d’assises peut alors par
décision spéciale : soit porter la période de sûreté à 30 ans (art. 221-3 al. 2) ; soit la
rendre perpétuelle1. Ainsi aggravé, l’assassinat est l’une des infractions pour laquelle
notre Code pénal fulmine les peines principales les plus sévères2. La procédure de
l’article 706-47, CPP lui est applicable.
Inversement, la personne qui a seulement tenté de commettre un assassinat et
qui, ayant averti une autorité administrative ou judiciaire, a empêché la mort de la
victime, voire a permis d’identifier ses coauteurs ou complices, est exemptée de peine
(art. 221-5-3, al. 1). Ce qui suppose une exécution interrompue de l’infraction par un
criminel soudain repentant. Il est curieux qu’un tel mécanisme d’exemption ne joue
pas pour les autres formes de meurtre. Il n’y a pas de raison technique à cela car le
repentir est apprécié au stade du commencement d’exécution et non de la réflexion
qui l’a précédé (caractéristique de l’assassinat).
II. L’empoisonnement
77. Rescapée — L’empoisonnement fait peur car le terme même évoque une pratique
sournoise, commise le plus souvent par des proches ou par des personnes en qui la
victime a confiance1. Ajoutant à la peur de mourir la crainte de la trahison, cette
infraction a donc longtemps été punie plus sévèrement que le meurtre ordinaire.
Mais elle inquiète également car il est difficile de s’en prémunir et d’en rapporter
la preuve. En l’absence de cause apparente, il peut être délicat d’apprécier si la mort
d’autrui a été naturelle ou provoquée. On se souvient d’un certain Danval, phar-
macien, qui fut condamné pour avoir empoisonné son épouse en 1879 alors qu’il
clamait son innocence. Ensuite, les progrès de la médecine ont permis d’établir que
l’insuffisance surrénale aiguë, qui avait provoqué le décès de sa femme, correspondait
à une véritable pathologie. Elle était donc morte de maladie tout en présentant les
symptômes habituels d’un empoisonnement à l’arsenic. Finalement, la condamnation
de ce Danval fut révisée2…
Lors de la refonte du Code pénal, en 1992, il fut question de supprimer cette
incrimination au motif que son existence même alimenterait le soupçon et le risque
d’erreur judiciaire. On a prétendu qu’il serait plus simple de voir là un meurtre commis
selon un procédé spécial. Mais l’originalité de ce comportement a justifié le maintien
de son incrimination à titre autonome.
A. Définition de l’empoisonnement
78. — Selon l’article 221-5, C.pén., « le fait d’attenter à la vie d’autrui par l’emploi ou
l’administration de substances de nature à entraîner la mort constitue un empoisonne-
ment ». Ce texte d’incrimination fait nettement apparaître une condition préalable.
On l’évoquera avant d’aborder les éléments constitutifs de l’infraction.
le verra, que la preuve de l’obtention de ce résultat redouté n’ait pas à être démontrée.
En conséquence, la qualification d’administration de substances nuisibles à la santé a
été justement préférée à celle d’empoisonnement dans une affaire où le salarié d’une
usine de retraitement de combustibles nucléaires avait dissimulé sous le siège de son
chef des embouts radioactifs exposant celui-ci à une irradiation prolongée affectant
sa santé1. Le système nerveux de la victime a été détruit mais, la substance n’étant pas
de nature à provoquer directement la mort, la qualification d’empoisonnement n’a pu
être retenue. Il fut jugé de même au sujet de l’inoculation du virus du sida 2. Ce virus
n’est plus nécessairement mortel. Tous les malades ne meurent pas des suites de leur
contamination, de sorte qu’il est plus pertinent de voir là une substance nuisible à la
santé dont l’administration ne constitue pas un crime mais un délit (V. infra, n° 174).
2. Le comportement incriminé
81. — L’article 221-5 incrimine « le fait d’attenter à la vie d’autrui par l’emploi ou
l’administration de substances ». Cette définition évoque essentiellement l’élément
86. Dol spécial — L’affaire dite du « Sang contaminé » a semé le doute sur ce point.
Rappelons que, à cette occasion, des médecins, des hauts fonctionnaires et des person-
nalités politiques se sont vus reprocher d’avoir transfusé, ou fait transfuser, au début
des années 1980, des produits sanguins qu’ils savaient infectés par le virus du sida.
Aucun traitement n’existait alors ; les possibilités de détection étaient elles-mêmes
minimes. Des centaines de malades sont morts des suites de leur transfusion. Si le
caractère mortifère des produits sanguins était incontestable, leur administration
1. V. aussi : J.-Ch. Saint-Pau, « Les causalités dans la théorie de l’infraction », in Mél. Robert, LexisNexis,
2012, p. 694.
a‑t‑elle été autorisée et pratiquée en connaissance de cause, de sorte que l’on pouvait
en déduire une intention de tuer ?
Dans un premier volet de l’affaire, le tribunal puis la cour de Paris rejetèrent la
qualification d’empoisonnement pour ne retenir que celle de tromperie. Ils estimèrent
en effet que l’empoisonnement suppose l’intention de donner la mort1. Or, selon eux,
ce dol spécial ne pouvait être établi en l’espèce : les médecins ayant ignoré la contami-
nation des poches de sang servant aux transfusions n’ont pas agi avec l’intention de tuer
leurs patients. La Cour de cassation rejeta le pourvoi formé contre l’arrêt d’appel sans
prendre expressément position sur ce point2. Elle confirma néanmoins cette analyse,
quelques années plus tard, dans un autre volet de l’affaire3. De hauts fonctionnaires
du ministère de la Santé, poursuivis pour complicité d’empoisonnement, venaient
de bénéficier d’un non-lieu pour la même raison. Le pourvoi formé par des parties
civiles contre l’arrêt de chambre de l’instruction fut écarté au motif que « le crime
d’empoisonnement ne peut être caractérisé que si l’auteur a agi avec l’ intention de don-
ner la mort, élément moral commun à l’empoisonnement et aux autres crimes d’atteinte
volontaire à la vie de la personne4 ».
87. Débat — Cette décision n’a pas toujours été bien comprise. On lui a reproché de
confondre le régime d’une infraction formelle (l’empoisonnement) avec celui d’une
infraction matérielle (le meurtre). L’élément moral de ces deux infractions ne pourrait
être commun dès lors qu’il doit coïncider avec leur élément matériel qui, dans un cas,
suppose rapportée la preuve de l’obtention du résultat mortel mais pas dans l’autre.
Autrement dit, l’obtention du résultat mortel serait exigée au titre du meurtre, sur
le plan aussi bien matériel que moral ; en revanche, l’obtention de ce résultat serait
indifférente au titre de l’empoisonnement, aussi bien sur le plan matériel que moral.
En statuant comme elle l’a fait, la Cour de cassation aurait donc modifié la définition
de l’infraction, exigeant un résultat là où seul un comportement est incriminé.
La fausse évidence de cette explication ne saurait abuser. On ne peut soutenir
en effet que le résultat mortel est indifférent à la définition de l’empoisonnement.
Que ce crime soit une infraction formelle signifie seulement que la preuve de la mort
d’autrui n’a pas à être rapportée. Pour autant, un décès est la conséquence inévitable
de l’administration d’une substance mortifère. La dispense de preuve n’empêche
pas l’infraction d’être définie, tant sur le plan matériel que moral, par rapport à ce
résultat redouté5. L’agent doit avoir voulu atteindre ce résultat, indépendamment du
1. TGI Paris, 23 oct. 1992, D 1993, p. 222, note A. Prothais. – CA Paris, 13 juill. 1993, D 1994,
p. 118, note A. Prothais.
2. Crim. 22 juin 1994, B n° 248 ; JCP 1994, II, 22310, note M.-L. Rassat ; D 1995, p. 65, note
A. Prothais.
3. V. rappelant, au-delà des différentes étapes de l’affaire, que l’enjeu de la qualification d’empoi-
sonnement était essentiellement d’échapper au constat de la prescription applicable en matière
correctionnelle : Th. Cassuto, La santé publique en procès, Puf, coll. « Questions judiciaires », 2008,
p. 169.
4. Crim. 18 juin 2003, B n° 34 ; JCP 2003, II, 10121, note M.-L. Rassat ; D 2004, p. 1620, note
D. Rebut.
5. V. aussi : D. Mayer, « La notion de substance mortelle en matière d’empoisonnement », D 1994,
p. 326.
point de savoir, là encore, s’il y est parvenu. En effet, dans les infractions formelles,
comme dans les infractions matérielles, l’intention est nécessairement dirigée vers le
résultat redouté par le législateur au moment de l’incrimination du comportement
en cause. On ne saurait donc reprocher en l’espèce à la Cour de cassation d’avoir jugé
que l’empoisonnement suppose l’intention de donner la mort. L’animus necandi est
nécessaire et justifie les sanctions élevées applicables : à défaut, le législateur aurait
dû classer l’empoisonnement parmi les mises en danger de la personne et non parmi
les atteintes volontaires à la vie1.
Signalons que ce débat a été en partie obscurci par une question distincte de
preuve. À supposer que l’agent administre en connaissance de cause la substance mor-
telle, faut-il démontrer en plus qu’il a l’intention de tuer ? La Haute juridiction l’a laissé
entendre dans une affaire concernant le renvoi en cour d’assises d’un individu qui avait
sciemment transmis sa séropositivité à une partenaire en lui imposant des rapports
sexuels non protégés. La Cour de cassation a censuré l’arrêt de mise en accusation au
motif « que la seule connaissance du pouvoir mortel de la substance administrée ne suffit
pas à caractériser l’ intention homicide2 ». Or, une telle solution ne saurait convaincre.
Si l’empoisonnement suppose l’intention de donner la mort, une telle preuve s’évince
de la conscience d’administrer une substance mortifère : « adhérer en connaissance
de cause à une “ logique de mort”, c’est en soi une preuve de l’animus necandi, et point
n’est besoin de la rechercher par d’autres moyens d’ investigation ou de conviction, qui ne
peuvent que faire le jeu des mobiles, au détriment de l’ intention elle-même »3. Pour en
revenir à l’affaire du Sang contaminé, c’est donc uniquement parce que la chambre
de l’instruction a estimé que les mis en examen ignoraient le caractère mortifère des
produits dont ils ont autorité la transmission que le non-lieu s’est imposé.
B. Répression de l’empoisonnement
1. V. aussi : F. Rousseau, « Essai d’une recodification des infractions pénales contre les personnes à
l’aune des ‘scandales sanitaires’ », DP 2013, étude 11, n° 12.
2. Crim. 2 juill. 1998, B n° 211 ; JCP 1998, II, 10132, note M.-L. Rassat ; D 1998, p. 457, note J. Pradel.
3. Y. Mayaud : RSC 2003, p. 781.
Enfin, peuvent s’ajouter à ces peines principales les mêmes peines complémen-
taires qu’en matière de meurtre (V. supra, n° 62).
93. Repentir — Par ailleurs, l’administration par le coupable pris de remords d’un
antidote à sa victime ne constitue qu’un repentir actif dont la preuve influe sur la
détermination de la peine mais pas sur la constitution d’une infraction consommée
dès l’administration de la substance mortelle. Non seulement le juge peut en tenir
compte dans l’exercice de son pouvoir d’individualisation mais le législateur lui-
même envisage ici une réduction de la peine encourue : elle est ramenée à 20 ans de
réclusion criminelle si, ayant averti l’autorité administrative ou judiciaire, l’agent a
permis d’éviter la mort de la victime et d’identifier, le cas échéant, ses coauteurs ou
complices (art. 221-5-3, al. 2). Prévenir les secours aussitôt après l’administration du
poison, et aider à trouver un antidote, est ainsi formellement récompensé.
Plus radicalement encore, la personne qui a tenté de commettre un empoison-
nement et qui, avertissant une autorité administrative ou judiciaire, évite la mort à
1. CEDH, 29 avril 2002, Pretty c/ RU, § 40. Néanmoins, elle a jugé ensuite qu’une demande de suicide
assisté ne peut être laissée sans réponse (V. CEDH, 19 juill. 2012, Koch c/ Allemagne, § 72). Peu
importe le contenu de cette réponse en l’absence de consensus européen.
2. V. A. Prothais, « Notre droit pénal permet plus qu’il n’interdit en matière d’euthanasie », JCP 2011,
étude 536. – F. Alt-Maes, « La loi sur la fin de vie devant le droit pénal », JCP 2006, I, 119.
94. Procédure — Enfin, comme tout crime, l’empoisonnement se prescrit par 10 ans.
Mais, s’agissant d’une infraction formelle, le point de départ de ce délai court du jour
de l’emploi ou de l’administration de la substance mortelle et non du jour de la mort
de la victime qui n’a pas à être établie1.
Ajoutons que l’appartenance de l’infraction à la catégorie des atteintes volon-
taires à la vie permet d’en faire mention au fichier national des empreintes génétiques
(CPP, art. 706-55, 2°).
Par ailleurs, l’action civile qui concerne en premier lieu la victime et ses proches
est exceptionnellement ouverte à certaines associations (CPP, art. 2-1, – 3, – 8, – 172).
Section 3
Les homicides involontaires________________________
97. — Dans un premier alinéa, l’article 221-6, C. pén. incrimine « le fait de causer…
par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de
prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, la mort d’autrui ». Les compor-
tements ainsi énumérés procèdent tous de fautes que l’on qualifiera de « simples » par
opposition à la faute « délibérée » que le même texte envisage dans un second alinéa et
qui permet d’aggraver la répression. Précisons à la fois le contenu de ces fautes simples
et la façon dont elles sont appréciées.
98. — L’énumération des fautes simples qui vient d’être rappelée n’apparaît guère
éclairante. Elle permet seulement de souligner que la faute peut s’établir de différentes
manières. En revanche, elle n’exprime aucune hiérarchie entre elles. Pourtant des
différences existent qui ne peuvent être ignorées. Elles sont énoncées par l’article 121-
3, C. pén. auquel l’article 221-6 renvoie implicitement. Ce texte de portée générale
oppose faute « ordinaire » et faute « caractérisée ». Présentons-les avant d’évoquer les
effets juridiques attachés à cette distinction.
a. La faute ordinaire
1. V. au sujet d’un téléphone portable qui « ne passait pas » : Crim. 13 févr. 2007, JCP 2007, II, 10107,
1re espèce, note P. Mistretta.
100. Distinction — Ainsi, les manquements reprochés peuvent être classés en deux
catégories suivant l’origine de l’obligation violée.
L’imprudence et la négligence sont souvent tenues pour synonymes, bien que la
première soit révélée par un acte positif (agir sans précaution, par maladresse, inat-
tention, insiste l’art. 221-6) alors que la seconde correspond à une attitude passive (ne
pas se soucier des conséquences de son abstention). Le rapprochement de ces deux
fautes s’explique par le fait qu’elles sont appréciées de la même façon, par rapport à
la vigilance qu’aurait déployée un bon père de famille ou un bon professionnel placé
dans les mêmes circonstances3.
Ces fautes s’opposent au dernier élément de l’énumération légale où le défaut
de précaution coïncide avec un manquement à une obligation formellement mise à
la charge de l’agent par un texte particulier. Les magistrats doivent pouvoir préciser
la source et la nature exacte de l’obligation violée4, ce qui signifie que le texte à sa
base doit être clairement identifié pour permettre à la Cour de cassation d’exercer son
contrôle, de pur droit, sur ce point5. Peu importe que l’inobservation de ce texte ait
été, ou non, pénalement sanctionnée : la violation d’une obligation de surveillance
mise à la charge d’un professionnel peut servir de base à une poursuite pour homi-
cide involontaire lorsqu’elle n’a pas permis d’empêcher un décès, alors que ce seul
manquement n’aurait pas constitué une infraction6. Le défaut de précaution est alors
plus facile à établir : il se déduit de la non-conformité du comportement constaté au
comportement préconisé7. Les textes prescrivant de tels comportements tendent à se
multiplier, limitant ainsi le pouvoir d’appréciation du juge. La sécurité juridique ne
peut qu’y gagner.
101. Synthèse — En toute hypothèse, quelle que soit la forme prise par la faute, l’idée
reste la même. Il ne fait nul doute que l’agent était capable d’intelligence et de volonté,
ce qui permet de lui imputer l’acte. On lui reproche de ne pas avoir fait un usage
b. La faute caractérisée
102. Nature — La faute caractérisée n’est pas d’une nature différente de la précé-
dente ; elle présente tout au plus un degré de gravité supplémentaire3. Ainsi, elle peut
toujours être qualifiée imprudence, négligence ou manquement à une obligation de
prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement : non seulement le résultat
dommageable n’a pas été voulu mais l’acte qui en est la cause résulte encore d’une
mauvaise appréciation de l’agent4. Il n’a pas adhéré psychologiquement à son acte.
Néanmoins, ce relâchement d’attention s’avère plus grave que le précédent compte
tenu soit des circonstances de l’acte en question, soit des fonctions exercées par l’agent.
On pouvait en effet s’attendre à une vigilance accrue de sa part, qui lui aurait permis
d’éviter le dommage5. Sa faute paraît grossière et inacceptable6.
103. Gravité — Une telle qualification dépend tout entière de ce degré de gravité.
Sachant que l’article 121-3, al. 4 l’exprime de façon ambiguë. En exigeant que la
faute caractérisée ait exposé autrui à un risque d’une particulière gravité que l’agent
ne pouvait ignorer, il traite ensemble deux questions qui auraient mérité d’être distin-
guées : celle de la gravité du risque auquel autrui a été exposé et celle de la gravité de
la faute à l’origine de cette exposition. Il s’agit d’exigences distinctes et cumulatives.
D’abord, s’agissant du risque, il convient d’insister sur le fait que sa gravité est
appréciée abstraitement : la gravité tient au risque, plus qu’au dommage final qui
peut se révéler, lui, insignifiant. Une faute caractérisée peut en effet être de nature
contraventionnelle, c’est-à-dire n’avoir généré aucune incapacité totale de travail ou
une incapacité de moins de 8 jours (C. pén., art. R 610-2).
Ensuite, s’agissant de la faute à l’origine de ce risque, il convient de préciser
qu’elle n’est en aucun cas consciente : le risque d’une particulière gravité pour autrui
ne doit pas avoir été perçu par l’agent. Il ne l’a pas accepté parce qu’il n’a pas cherché
à agir de la sorte. Le grief qui lui est adressé tient précisément au fait d’avoir, sans
s’en rendre compte, exposé autrui à un risque qu’il aurait dû mesurer et circonscrire1.
C’est le sens de la formule négative : exposer autrui à un risque que les personnes
physiques, auteurs de tels actes, « ne pouvaient ignorer ». Une telle formule ne signifie
pas que l’agent évaluait parfaitement ce risque, ce qui reviendrait à lui reprocher une
faute délibérée et limiterait considérablement la répression2. Elle signifie qu’il aurait
dû en avoir conscience parce que ce risque était prévisible3. L’emploi du conditionnel
dans le jugement de reproche adressé au prévenu est caractéristique, à cet égard, de la
démarche qui doit être suivie par le juge4. Une telle interprétation du texte s’impose
d’autant plus que la gravité de la faute est appréciée à raison des circonstances ou de
la fonction exercée par l’agent5. De surcroît, elle évite une difficulté de preuve tenant
à la connaissance exacte du risque6.
104. Extension — Cependant, les tribunaux ne s’en tiennent pas toujours à cette
interprétation stricte. Ils ont tendance à assimiler à des fautes caractérisées les fautes
délibérées ne remplissant pas toutes les conditions pour être punies à ce titre. On le
verra en effet cette seconde catégorie de fautes suppose la violation consciente d’une
« obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement » :
entre les définitions de la faute caractérisée et de la faute délibérée, il existe donc une
catégorie de fautes qui n’a pas été envisagée par le législateur et que l’on répugne,
compte tenu de leur gravité, à traiter comme des fautes ordinaires. Au risque de la
dénaturer, la Haute juridiction utilise la catégorie des fautes caractérisées comme une
catégorie de repli lorsqu’une faute délibérée a été commise mais qu’elle ne peut être
sanctionnée en l’absence de violation d’une obligation particulière de prudence ou
de sécurité prévue par la loi ou le règlement. Ainsi, l’excessive précision de la faute
délibérée requise par la loi a contraint la Cour de cassation à tenir pour « caractérisée »
la faute résultant d’une violation pourtant consciente d’une obligation contenue dans
1. Crim. 16 janv. 2001, B n° 15 ; RSC 2001, p. 579, obs. Y.Mayaud. – 26 juin 2001, DP 2001, n° 124,
obs. M. Véron.
2. V. aussi : P. Morvan, « L’irrésistible ascension de la faute caractérisée : l’assaut avorté du législateur
contre l’échelle de la culpabilité », Mél. Pradel, Cujas, 2006, p. 455. – Contra : B. Cotte et D.
Guihal, « La loi Fauchon, cinq ans de mise en œuvre jurisprudentielle », DP 2006, étude 6, n° 48.
3. V. au sujet d’un médecin du SAMU n’ayant pas posé les bonnes questions : Crim. 2 déc. 2003,
B n° 226 ; JCP 2004, II, 10044, note P. Mistretta. – V. aussi, au sujet d’un médecin intervenant
en dehors de sa spécialité : Crim. 23 oct. 2012, DP 2013, n° 3, obs. M. Véron.
4. V. jugeant qu’un maire « aurait dû se préoccuper de la vérification des installations électriques et des
prescriptions à observer lors de manifestations sur la voie publique » : Crim. 11 juin 2003, B n° 19 ;
DP 2003, n° 120, obs. M. Véron.
5. Crim. 10 déc. 2002, B n° 223 ; RSC 2003, p. 332, obs. Y.Mayaud.
6 V. néanmoins : Crim. 16 avril 2013, GP 21-23 juill. 2013, p. 33, obs. E. Dreyer.
un texte dont le seul tort était de n’avoir pas été régulièrement promulgué1. La faute
caractérisée dissimule alors une faute délibérée « imparfaite » car ne répondant pas à la
définition étroite résultant de l’article 221-6, al. 2. Et les exemples sont nombreux où
la Haute juridiction est amenée à qualifier de la sorte les abstentions reprochées à des
individus qui ont manqué, en connaissance de cause, à une obligation de prudence
ou de sécurité et exposé sciemment autrui à un risque qui a fini par se réaliser. Ainsi,
cette faute fut retenue contre un maire qui « connaissait parfaitement la configuration
des lieux » où un accident, « prévisible », s’est produit2. Idem à l’encontre d’un maire
qui avait été « personnellement informé » du danger que présentait une buse non
scellée sur une aire de jeu et qui n’a rien fait pour éviter qu’elle se renverse sur des
enfants3. Idem à l’encontre d’un chef d’entreprise qui avait été informé du danger
que présentait un chantier sans échafaudage et qui n’a pas réagi avant qu’une chute
ne se produise4. Idem à l’encontre d’un chef d’entreprise qui a persisté à mettre en
place un dispositif insuffisant de sécurité après un premier accident5. La qualification
de faute caractérisée a également prévalu sur celle de faute délibérée à l’encontre du
responsable d’une coupe de bois qui avait constaté lui-même le danger présenté par
des troncs d’arbre laissés en équilibre instable mais n’a pris aucune disposition pour
avertir le public et empêcher les enfants, qui y furent écrasés, d’aller y jouer6. Dans
ces différentes hypothèses, puisque l’agent était conscient du risque grave auquel il
exposait autrui, son abstention a nécessairement été volontaire et donc d’une nature
différente de la simple négligence, imprudence ou violation (inconsciente) d’une
obligation de sécurité qui est prise en compte au titre de la faute caractérisée7. C’est à
une véritable dénaturation de cette dernière qu’a procédé la Cour de cassation pour
pallier l’insuffisance des textes d’incrimination.
invite donc le juge à comparer le comportement de l’agent avec celui d’un modèle
placé dans les mêmes circonstances qui accomplit, lui, des « diligences normales1 ».
Il en a d’ailleurs toujours été ainsi, la loi du 13 mai 1996 – qui est à l’origine de cette
disposition – ayant tout au plus exigé que le modèle de référence utilisé par le juge soit
adapté aux circonstances et non qu’il s’agisse d’un être idéal et parfait, respectueux
de toutes obligations, écrites ou non2. Les réformes successives en la matière n’ont
entraîné aucune rupture3.
106. Confirmation — L’opinion est parfois contestée s’agissant des fautes carac-
térisées. Sous prétexte que la gravité de ces fautes suppose une appréciation « au cas
par cas », les partisans de l’approche in concreto oublient que ces fautes ne peuvent
être établies que par rapport à un modèle de comportement4. Ils sont victimes d’une
illusion d’optique : ce n’est pas parce que le modèle de comportement est adapté aux
circonstances particulières dans lesquelles l’acte dommageable est intervenu que
l’appréciation change de nature5.
Comment pourrait-il en être autrement ? Les notions d’imprudence et de négli-
gence sont à ce point incertaines que le juge ne peut tenter de les préciser qu’en déter-
minant, tout d’abord, quel aurait été le comportement d’une personne moyennement
raisonnable placée dans la même situation puis en comparant ce comportement à
celui de l’agent. C’est la seule façon, pour lui, d’apprécier objectivement l’attitude en
cause : en effet, il ne peut sonder l’état d’esprit de l’agent au moment des faits pour
établir son relâchement d’attention. Cela conduirait à absoudre l’imbécile négligeant
alors que l’individu capable se verrait reprocher la moindre inattention6. Le juge doit
se contenter de l’apparence extérieure du comportement de l’agent pour dire s’il était,
ou non, en mesure de faire quelque chose pour empêcher la réalisation du dommage7.
Ainsi, le souci d’individualisation, qui anime les partisans de l’appréciation in
concreto, ne doit pas être satisfait au stade de l’infraction mais au stade de la sanction.
Pour caractériser un homicide involontaire, il suffit au juge, qui ne veut pas donner le
sentiment de déduire la faute du dommage, d’établir « en quoi les diligences du prévenu
n’ étaient pas normales au regard de l’article 121-3, al. 3, C. pén. et adaptées aux risques
prévisibles8 », c’est-à-dire qu’il lui suffit d’opposer le comportement en question à celui
d’un bon père de famille ou d’un bon professionnel placé dans les mêmes circonstances.
1. Crim. 18 nov. 2008, B n° 232. – 5 oct. 2004, B n° 235 ; RPDP 2004, p. 235, obs. J.-Ch. Saint-Pau.
2. Crim. 17 juin 1997, B n° 237 ; DP 1997, n° 139, obs. M. Véron.
3. V. le travail de référence de V. Malabat : Appréciation in abstracto et appréciation in concreto en
droit pénal, Thèse Bordeaux IV, 1999, p. 302 et s.
4. V. cette décision ambiguë : CA Poitiers, 2 févr. 2001, JCP 2001, II, 10534, note P. Salvage – pourvoi
néanmoins rejeté par : Crim. 4 juin 2002, B n° 127.
5. V. encore, déduisant la faute caractérisée d’une absence de diligences normales : Crim. 6 sept. 2005,
B n° 218 ; DP 2006, n° 3, obs. M. Véron.
6. V. aussi : J. Pouyanne, L’auteur moral de l’ infraction, PUAM, 2003, p. 504, n° 620.
7. V. concluant « que le prévenu n’a pas pris les mesures qui eussent permis d’ éviter le dommage » : Crim.
16 janv. 2001, B n° 14 ; RSC 2001, p. 579, obs. Y.Mayaud.
8. Crim. 18 juin 2002, B n° 138 ; DP 2002, n° 120, obs. M. Véron.
« imparfaites ». Rappelons qu’il s’agit de fautes conscientes mais qui ne peuvent suivre
le régime de la faute dite délibérée dans la mesure où elles ne procèdent pas de la
violation d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité1. Or, lorsque le
juge répressif constate que le prévenu avait connaissance du risque et a agi quand
même ou n’a rien fait pour éviter sa réalisation, il mène une appréciation in concreto
qui n’a plus rien à voir avec la précédente2. La faute caractérisée – au sens trop large
où l’entend la Cour de cassation – donne ainsi l’impression d’être appréciée parfois
in abstracto et d’autres fois in concreto, dans une logique dont l’opportunisme s’avère
purement répressif.
108. — Il est à peine besoin de préciser que ce lien doit être certain : si la mort d’autrui
serait survenue en toute hypothèse, la faute commise ne peut être sanctionnée car elle
n’est pas à l’origine du décès3. La même solution est rappelée lorsque les causes de la
mort restent indéterminées, de sorte qu’un lien de causalité certain ne peut être établi
entre la négligence d’un médecin et le décès de sa patiente4. Sachant que cette certitude
s’apprécie au moment de l’action ou de l’abstention coupable et non postérieurement5.
En réalité, ce caractère certain ne permet pas de préciser le lien de causalité : il
se confond avec lui car, à défaut de certitude, la causalité ne peut être établie6. C’est
à travers les autres caractères de ce lien que la causalité révèle sa spécificité en matière
pénale : lorsqu’il s’agit d’établir un homicide involontaire, le lien entre la faute et la
mort d’autrui n’a pas à être immédiat, ni même exclusif. En revanche, il doit être direct.
a. Le caractère immédiat
109. Dommage final — La causalité en matière pénale n’a pas à être immédiate.
L’hypothèse envisagée à ce titre est particulière. Il s’agit d’apprécier le lien devant
exister entre l’atteinte à l’intégrité physique ou psychique résultant de la faute et le
dommage final souffert par la victime (son décès).
En effet, il est des cas où le dommage résultant immédiatement d’une atteinte
s’aggrave par la suite : à raison de prédispositions de la victime ou de l’action ultérieure
d’un tiers. Lorsque la mort n’est pas la conséquence immédiate de la faute, peut-elle
1. V. encore, constatant qu’aucune obligation de ce type ne pouvait être retenue à la charge d’un
moniteur de voile qui, pour autant « savait » que ses élèves « étaient exposés à des réactions de panique » :
Crim. 4 oct. 2005, B n° 251 ; DP 2006, n° 2, obs. M. Véron.
2. Crim. 24 juin 1997, B n° 251 ; RSC 1997, p. 836, obs. Y.Mayaud.
3. Crim. 21 janv. 2014, DP 2014, n° 54, obs. M. Véron. – 22 mars 2005, DP 2005, n° 103, obs. M. Véron.
4. Crim. 23 sept. 2014, DP 2014, comm. 136, obs. M. Véron. – 14 mai 2008, B n° 112 ; JCP 2008,
II, 10189, note P. Mistretta.
5 V., admettant que les mis en examen ne pouvaient connaître « dans le contexte des données scienti-
fiques de l’ époque » le risque d’une particulière gravité auquel des victimes ont été exposées : Crim.
14 avril 2015, B n° 78 ; JCP 2015, 696, note H. Matsopoulou ; GP 3-4 juin 2015, p. 19, note R. Mésa.
6. V. Crim. 4 mars 2008, B n° 55 ; JCP 2008, II, 10098, note M. Benillouche.
b. Le caractère exclusif
110. Pluralité d’auteurs — Ensuite, se pose une toute autre question. Il ne s’agit plus
d’apprécier le lien devant exister entre l’atteinte à l’intégrité physique ou psychique
et la mort d’autrui mais le lien entre la faute commise et cette atteinte. Pour être
punissable, une telle faute doit-elle être la cause exclusive du décès de la victime ?
Lorsque la mort d’autrui résulte des fautes conjuguées de plusieurs personnes, y a‑t‑il
neutralisation, partage ou cumul de responsabilités pénales ? L’hypothèse se rencontre
notamment lorsque, dans un souci de sécurité, le législateur a multiplié les obligations
de surveillance ayant un même objet. Il en va notamment ainsi en matière médicale
lorsque plusieurs professionnels de santé interviennent ensemble ou successivement
au profit d’un même patient et s’avèrent tous défaillants.
Pour la Cour de cassation, chaque fautif répond des conséquences de son acte.
À titre d’exemple, si une femme décède après son accouchement des suites d’une
hémorragie, la responsabilité pénale du médecin peut être engagée pour ne pas avoir
pris les précautions qui s’imposaient mais la responsabilité pénale de la sage-femme
peut également être recherchée pour ne pas avoir diagnostiqué à temps cette hémor-
ragie : « l’existence des fautes relevées à l’encontre du gynécologue pendant les opérations
1. Crim. 21 oct. 1998, B n° 270 ; RSC 1999, p. 320, obs. Y.Mayaud. – V. aussi Crim. 1er avril 2008,
DP 2008, n° 93, obs. M. Véron.
2. Solution néanmoins contestée par certains au motif que toutes ces fautes ne sont pas nécessairement
la cause directe du dommage (V. P. Hennion-Jacquet, « Réflexions sur l’interaction entre Justice
pénale et médecine », Mél. Koering-Joulin, Anthemis, 2014, p. 337).
3. Crim. 23 juill. 1986, B n° 243 ; JCP 1987, II, 20897, note J. Borricand.
4. Ch. Dupeyron, « L’infraction collective », RSC 1973, p. 375.
5. V. aussi : Crim. 23 mars 1994, B n° 112 ; DP 1994, n° 151, obs. M. Véron. – 19 mai 1978, D 1980,
p. 3, note A. Galia-Beauchesne.
6. V. s’agissant du risque pris par une victime ivre : Crim. 23 nov. 2010, B n° 186 ou trop pressée :
Crim. 12 nov. 2014, DP 2015, n° 5, obs. M. Véron. – En effet, la faute de la victime n’exonère de
la responsabilité d’un accident que si elle en a été la cause unique (Crim. 1er avril 2008, B n° 85).
7. Crim. 23 avril 2013, GP 21-23 juill. 2013, p. 34, obs. E. Dreyer.
8. Crim. 25 oct. 1972, B n° 309. – V. aussi : Crim. 17 mai 1994, DP 1994, n° 229, obs. M. Véron.
occasionnée par lui. Une telle solution s’expliquait par le fait que, en matière d’homicide
involontaire, le résultat dommageable semblait importer plus que le comportement
lui-même. Dès lors que la mort pouvait être rattachée de manière certaine à l’action
ou à l’abstention fautive d’un individu, le lien de causalité entre ce comportement et
le dommage était tenu pour établi. Peu importait que le prévenu n’ait pas lui-même,
directement, causé le décès d’autrui. Précisément parce que le comportement à l’ori-
gine de ce dommage n’était pas précisé, il semblait possible de remonter très loin
dans l’échelle des causes et de sanctionner toutes les fautes ayant pu « contribuer » à
sa réalisation1. Sur le plan répressif, la solution s’avérait donc redoutable. Il importait
peu qu’une autre personne ait commis une faute directement à l’origine de ce résultat.
Aucune sélection n’était opérée entre les différents faits dommageables. La théorie de
l’équivalence des conditions prévalait.
114. Innovation – Une loi du 10 juill. 2000 a imposé de distinguer. L’objectif pour-
suivi par ce texte était d’alléger la responsabilité des « décideurs » en dépénalisant les
fautes les moins graves qui ne causent pas directement de dommage. Pour parvenir à
ce résultat, le législateur a reformulé les alinéas 3 et 4 de l’article 121-3, C. pén. Une
lecture a contrario de ces deux alinéas ne permet désormais de reprocher une faute
ordinaire à une personne physique que si cette faute a présenté un lien de causalité
direct avec le dommage qu’elle a provoqué. En d’autres termes, sous la qualification
d’homicide involontaire, une personne physique n’engage sa responsabilité pénale que
si elle a commis une faute ordinaire à la fois « essentielle et déterminante » à l’origine
de la mort d’autrui2. Tel est le cas pour un automobiliste qui se déporte sur la gauche
quand il devrait serrer la droite et qui, faute d’avoir regardé dans son rétroviseur, heurte
le motocycliste qui arrivant derrière lui3. Sans ces fautes de conduite, le décès ne serait
jamais survenu. Idem pour un médecin qui, à la suite d’une intervention à risques,
néglige d’effectuer les contrôles qui auraient permis de déceler immédiatement une
hémorragie et de sauver son patient4. Dans une telle hypothèse, la causalité entre la
négligence du médecin et le décès du patient est directe car, quelle que soit l’origine
de l’hémorragie, le décès aurait pu être évité si le médecin avait respecté les règles de
son art. Inversement, la faute ordinaire de la personne physique qui est seulement à
l’origine de la situation à risque à l’occasion de laquelle autrui a commis une faute
dommageable ne tombe plus sous le coup de la loi pénale. Une telle modification
législative profita à cette institutrice qui avait accepté d’encadrer des enfants « cheminant
dans le lit du Drac pour observer l’ habitat des castors » au moment d’un lâcher d’eau1.
La répression a bien été limitée par cette exigence nouvelle.
Cependant, ce caractère direct du lien de causalité est entendu largement : peu
importe l’interposition d’un événement entre le dommage et la faute reprochée dès lors
que cet événement n’est pas punissable. Ainsi, lorsqu’un conducteur roulant à grande
vitesse heurte un sanglier qui lui fait perdre la maîtrise de son véhicule et l’amène à
percuter une voiture arrivant en sens inverse, les magistrats considèrent qu’un lien
de causalité direct subsiste entre la faute initiale (excès de vitesse n’ayant pas permis
de stabiliser le véhicule après collision avec l’animal) et le dommage occasionné aux
passagers du véhicule circulant sur l’autre voie2. Dans une telle hypothèse, le « fait »
du sanglier, à l’origine de l’accident, n’est pas pris en compte3. Dès lors qu’il ne revêt
pas les caractères d’une cause étrangère, il est ignoré. Seul subsiste le constat d’une
voiture en percutant une autre à raison d’un défaut de maîtrise de son conducteur.
Il est jugé de même lorsqu’un interne cause la mort de sa patiente, sans qu’une faute
pénale puisse lui être reprochée, alors que l’opération se déroulait sous la direction et
la responsabilité d’un chirurgien qui s’est révélé défaillant dans sa mission de contrôle
de l’acte accompli4.
115. Faute caractérisée – L’exigence de causalité directe n’a pas une portée générale.
En effet, même si une faute a seulement contribué à la réalisation d’un dommage,
elle peut engager la responsabilité pénale de la personne physique qui en est l’auteur
lorsqu’elle s’avère caractérisée. Compte tenu de sa gravité, la faute caractérisée peut
toujours être relevée, même si elle n’a qu’indirectement causé la mort d’autrui. C’est
d’ailleurs le seul enjeu pénal de cette qualification. En effet, les fautes caractérisées
sont punies comme les fautes ordinaires. Elles ne sont donc distinguées, parmi les
fautes simples, que s’il peut en résulter, grâce à l’admission d’une causalité indirecte,
une extension du champ de la répression5. D’où une certaine perversion du raison-
nement. En pratique, les magistrats se demandent d’abord si le fait a directement
causé le dommage : dans l’affirmative, ils renoncent à arbitrer entre faute ordinaire
et faute caractérisée6. Cette qualification spéciale n’est mise en valeur qu’à partir du
1. Crim. 12 déc. 2000, B 2000, n° 371 – solution implicite et contestable : au regard de la mission de
surveillance incombant à l’institutrice, l’absence de prévision du risque de délestage, inhérent au
fonctionnement du barrage hydroélectrique situé en amont, ne correspondait-elle pas davantage
à une faute caractérisée (Comp. Crim. 16 mai 2006, DP 2006, n° 108, obs. M. Véron) ?
2. Crim. 25 sept. 2001, B n° 188, RSC 2002, p. 101, obs. Y.Mayaud.
3 Idem lorsqu’un propriétaire perd la maîtrise de son chien dangereux qui tue une passante : la
négligence du maître est directement à l’origine du décès (V. Crim. 21 janv. 2014, B n° 17 ; GP
16-17 avril 2014, p. 5, note R. Mésa. – 29 mai 2013, B n° 121 ; D. 2013, p. 2016, note F. Desprez).
Peu importe l’action du chien.
4. Crim. 10 févr. 2009, B n° 33 ; JCP 2009, II, 10069, note F. Desprez.
5. Crim. 1er avril 2003, DP 2003, n° 110, obs. M. Véron.
6. V. déclarant cette recherche inopérante: Crim. 16 sept. 2008, B n° 186. – V. ttfois : Crim. 12 sept.
2006, B n° 219 ; JCP 2007, II, 10006, note Th. Faict et P. Mistretta, relèvant une faute caractérisée
dans une hypothèse où la causalité semblait directe.
moment où la causalité n’est pas directe1. Une faute caractérisée n’est ainsi relevée
que dans l’hypothèse où aucune faute ordinaire ne peut être sanctionnée, c’est-à-dire
lorsque les personnes physiques, auteurs d’une telle faute, « n’ont pas causé directement
le dommage, mais… ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation
du dommage ou… n’ont pas pris les mesures permettant de l’ éviter »2.
À titre d’exemple, se rend coupable d’homicide involontaire, à raison de sa
faute caractérisée, le professionnel de la location qui confie un scooter des mers à un
individu qui, n’ayant pas le permis de navigation requis, en perd la maîtrise et tue et
blesse les occupants d’un autre scooter3. Dans une telle hypothèse, le dommage ne
résulte pas directement de la faute caractérisée : sans la faute du conducteur imprudent,
la collision mortelle ne se serait pas produite. La faute du loueur a supposé l’inter-
vention fautive d’un tiers pour réaliser son potentiel dommageable. Elle appelle tout
de même une sanction compte tenu de sa gravité. C’est le caractère inacceptable de
cette faute qui justifie que l’on remonte l’échelle des causes jusqu’à elle. Idem pour le
commerçant qui méconnaît les règles de sécurité applicables au produit qu’il vend4 et
pour le médecin qui donne à une infirmière des instructions imprécises5. Certaines
personnes, soit à raison de leur situation, soit à raison de leurs fonctions, doivent éviter
de placer autrui dans la position de commettre l’irréparable6. Lorsque l’on est tenu
à une vigilance particulière, il est normal de se voir reprocher un défaut de contrôle
qui aurait empêché autrui de provoquer un dommage.
116. Groupements – Par ailleurs, la loi du 10 juillet 2000 n’a rien changé à la res-
ponsabilité pénale des personnes morales dans une telle hypothèse. En effet, on l’a vu,
l’exigence de causalité directe ne concerne que les personnes physiques : le législateur
a maintenu la possibilité d’engager la responsabilité pénale de la personne morale
pour le compte de laquelle une faute, quelle que soit sa gravité, a été commise par son
1. V. également : E. Dreyer, « L’imputation des infractions aux règles d’hygiène et de sécurité », RSC
2004, p. 813.
2. En disposant de la sorte, l’article 121-3, al. 4, semble distinguer deux situations, suivant qu’il est
reproché à l’agent d’avoir agi ou de s’être abstenu. Toutefois, cela revient au même : peu importe
que l’agent ait donné une instruction déplacée ou se soit abstenu de donner l’ordre qui s’imposait.
Il faut essentiellement constater que sa faute n’est pas la causa proxima du dommage mais une cause
plus lointaine : l’agent est seulement à l’origine de la situation dangereuse dans le cadre de laquelle
la faute d’un tiers s’est révélée fatale.
3. Crim. 5 oct. 2004, B n° 236 ; RPDP 2004, p. 235, obs. J.-Ch. Saint-Pau.
4. Crim. 29 juin 2010, B n° 119 ; DP 2010, n° 136, obs. M. Véron. – Idem, s’il n’informe pas le
consommateur des précautions d’emploi qui s’imposent : Crim. 15 juin 2010, DP 2010, n° 136,
obs. M. Véron.
5. Crim. 1er avril 2008, DP 2008, n° 93, obs. M. Véron.
6. La faute des décideurs, publics ou privés, s’avère ainsi le plus souvent caractérisée (V. s’agissant d’un
chef d’entreprise tenu de faire respecter la législation du travail : Crim. 9 nov. 2010, DP 2011, n° 18,
obs. M. Véron. – 16 mars 2010, DP 2010, n° 74, obs. M. Véron). Mais ils ne sont pas seuls concer-
nés : l’automobiliste qui prête son véhicule à un individu ivre et sans permis contribue lui-aussi à la
réalisation du dommage qui ne manque pas de s’ensuivre (Crim. 14 déc. 2010, B n° 200 ; DP 2011,
n° 33, obs. M. Véron). Idem pour le bailleur qui ne met pas en conformité l’installation du gaz ou
de l’électricité dont un mauvais usage cause ensuite un accident (Crim. 7 sept. 2010, DP 2010,
n° 136, obs. M. Véron. – 18 nov. 2008, B n° 233 ; D 2009, p. 1320, note Y. Joseph-Ratineau).
organe ou représentant dès lors qu’il en est résulté un dommage pour autrui. Ainsi,
lorsqu’un accident survient dans une entreprise, parce qu’un salarié a pris une initiative
malheureuse à l’insu de son dirigeant, il n’y a sans doute pas faute caractérisée ou
même délibérée de ce dernier. Néanmoins, il peut subsister un défaut de surveillance
ou d’organisation – expliquant cette désobéissance – qui ne constitue qu’une faute
ordinaire, sans rapport direct avec le dommage. Cette faute ne permet plus d’engager
la responsabilité pénale du dirigeant mais elle permet toujours d’engager la responsa-
bilité pénale de la personne morale dont l’organisation s’est avérée défectueuse1. En
pratique, l’exigence d’une causalité directe reste donc limitée.
117. — La répression varie suivant que la faute était simple ou délibérée. La conscience
du risque mortel auquel l’agent a exposé autrui constitue en effet une circonstance
aggravante de l’homicide involontaire lorsque ce risque s’est réalisé2.
1. Crim. 28 avril 2009, B n° 80 ; JCP 2009, 402, note J.-Y. Maréchal. – 24 oct. 2000, B n° 308 ;
D 2002, p. 514, note J.-Ch. Planque ; JCP 2001, II, 10535, note M. Daury-Fauveau. – V. aussi
s’agissant de la mauvaise organisation d’un hôpital : Crim. 9 mars 2010, B n° 49 ; D 2010, p. 2135,
note J.-Y. Maréchal.
2. En toute hypothèse, les associations de consommateur sont également autorisées à se constituer
partie civile de ce chef dès lors qu’un décès provient du défaut de conformité d’un produit (Crim.,
1er avril 2008, B n° 88 ; DP 2008, n° 110, obs. M. Véron). Mais aucune action civile ne saurait
prospérer contre un médecin-hospitalier dont la faute n’est pas détachable des fonctions (Crim.
8 févr. 2011, DP 2011, n° 61, obs. M. Véron). À signaler également que des règles de procédure
particulières s’appliquent désormais en cas d’accident collectif (CPP, art. 706-176 et s.).
3. Sont énumérés notamment la conduite en état d’ivresse manifeste ou sous l’emprise de produits
stupéfiants, le refus de se soumettre à des contrôles permettant d’établir un état d’imprégnation
alcoolique ou toxicologique, l’absence d’un permis de conduire valable au moment des faits ainsi
que le délit de fuite.
119. Autres — Par ailleurs, à ces peines principales, s’ajoutent des peines complémen-
taires énumérées à l’article 221-8 (I). Spécialement, lorsque l’homicide involontaire est
commis par un chauffard, la suspension – voire l’annulation – du permis de conduire
peut être prononcée pour une durée d’au plus 10 ans sans possibilité de sursis (lorsque
l’homicide involontaire n’est pas commis au volant, seule est encourue une suspension
du permis de conduire pendant 5 ans avec possibilité de sursis ou d’aménagement à
des fins professionnelles). Si le conducteur était propriétaire du véhicule ayant servi
à commettre l’infraction, ce véhicule peut être immobilisé pendant un an, voire
confisqué. En plus, le coupable peut se voir imposer un stage de sensibilisation à la
sécurité routière ainsi qu’un stage de sensibilisation aux dangers de l’usage des pro-
duits stupéfiants4. Est également encourue la peine complémentaire d’affichage ou
de diffusion de la décision de condamnation (art. 221-10).
Lorsque l’homicide involontaire survient à l’occasion d’une action de chasse, le
permis peut en outre être retiré de façon temporaire ou définitive (C. env., art. L. 428-14).
121. Pénalités — Les peines encourues par les personnes physiques sont portées
à 5 ans d’emprisonnement et 75 000 € d’amende lorsque la mort d’autrui a résulté
d’une « violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou
de sécurité imposée par la loi ou le règlement » (C. pén., art. 221-6, al. 2). Ces peines
sont même portées à 7 ans d’emprisonnement et 100 000 € d’amende lorsqu’une telle
faute a été commise par le conducteur d’un véhicule terrestre à moteur et elles sont
portées à 10 ans d’emprisonnement et 150 000 € d’amende lorsque ce conducteur a
commis, en plus, l’un des délits routiers énumérés à l’article 221-6-1, al. 2.
Pour les peines complémentaires, V. supra, n° 119.
Pour les peines encourues par les personnes morales, V. supra, n° 120.
122. — Cette notion de faute délibérée est complexe. Il faut la définir avant de
pouvoir envisager son régime qui va bien au-delà du régime des autres circonstances
aggravantes.
123. Délimitation — La faute délibérée est une faute de nature différente de la faute
simple. Elle consiste à « prendre bêtement et crânement des risques graves pour autrui1 ».
Elle implique une « adhésion psychologique au comportement lui-même2 » : une obligation
particulière de prudence ou de sécurité s’imposait à l’agent et il l’a violée sciemment.
Il a donc recherché ce manquement. On ne lui reproche pas d’avoir ignoré l’obligation
qui s’imposait à lui ; on ne prétend pas qu’il aurait dû, à tout le moins, connaître le
texte lui servant de base : on admet qu’il savait et qu’il a agi « quand même » en étant
convaincu que le dommage ne surviendrait pas ou qu’il parviendrait à l’éviter. La
seule différence par rapport à l’intention tient au fait que ce dommage n’a pas été
recherché par l’agent. Mais il est tout de même certain que la démarche de l’agent
était volontaire. Voilà ce qui distingue la faute délibérée de la faute simple.
Cela étant dit, toute faute délibérée n’est pas prise en compte à l’article 221-6,
al. 2. La faute délibérée fait l’objet d’une définition étroite. Cette faute n’est prise en
compte qu’à l’occasion d’un manquement spécifique ; ce manquement doit, en plus,
être à l’origine d’un décès.
a. L’objet du manquement
124. Source — La faute délibérée n’est prise en compte qu’à l’occasion de la viola-
tion d’une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement.
Cela signifie, tout d’abord, que le manquement à une obligation de prudence ou de
sécurité non écrite – dont le respect peut s’imposer à tout bon père de famille ou tout
bon professionnel – n’entre pas dans le champ de l’incrimination. Il faut que cette
obligation de prudence ou de sécurité ait été formellement prévue dans un texte1. Peu
importe sa nature législative ou règlementaire.
127. Risque — En premier lieu, le manquement doit avoir exposé autrui à un risque
mortel. La question se pose alors de savoir si cette prise de risque devait être consciente
pour que la faute apparaisse délibérée. La discussion est permise par les nuances intro-
duites entre plusieurs dispositions du Code. Il résulte des article 121-3, al. 4 et 221-6,
al. 2 que c’est la violation de l’obligation qui doit être délibérée. Mais il ressort tout
aussi clairement du deuxième alinéa de l’article 121-3, dont la portée est générale, que
la mise en danger d’autrui devrait elle-même être délibérée. La prise de risque devrait
alors être consciente ; l’agent devrait avoir clairement envisagé le danger susceptible
128. Mort – En toute hypothèse, le manquement ne doit pas seulement avoir exposé
autrui à un risque mortel. Il doit avoir permis la réalisation de ce risque : pour qu’il
y ait homicide involontaire aggravé, la preuve de l’obtention de ce résultat redouté
doit être rapportée. La mort d’autrui doit être établie pour caractériser une infraction
matérielle et elle ne doit pas avoir été recherchée pour caractériser une infraction non
intentionnelle : l’expression dol éventuel parfois employée pour désigner l’élément
moral de cet homicide involontaire aggravé s’avère donc ambiguë. Elle mérite d’être
abandonnée car le dol évoque l’intention. Or, il ne saurait être question d’intention
ici sous peine de confondre homicide involontaire et meurtre. Même s’il avait été posé
en règle générale que la prise de risque doit être consciente, il aurait fallu considérer
que l’agent ne souhaitait pas la réalisation du risque. L’option retenue par la Cour de
cassation (évoquée au paragraphe précédent) évite cette preuve difficile.
130. Méthode — C’est ici que la différence entre les fautes simples et la faute délibérée
produit tous ses effets. Alors que les premières s’apprécient in abstracto, la seconde ne
peut s’apprécier qu’in concreto. Il n’est plus question de raisonner par rapport à un
modèle de comportement : il faut établir non pas que l’agent aurait dû connaître la
règle qu’il transgressait mais qu’il la connaissait effectivement et qu’il l’a transgressée
« en pleine connaissance de cause2 ». La méthode s’impose : le caractère délibéré de la