Vous êtes sur la page 1sur 61

Retrouver ce titre sur Numilog.

com
Retrouver ce titre sur Numilog.com

DROIT PÉNAL SPÉCIAL


3 e édition

Emmanuel Dreyer
Professeur à l’École de droit de la Sorbonne
(Université Paris 1 – Panthéon-Sorbonne)

9782340-014015_001_DroitPenalSpecial3_CM_EP3_744.indd 1 07/07/16 14:51


Retrouver ce titre sur Numilog.com

Dans la collection « Cours magistral »


Droit pénal spécial, 3e éd., Emmanuel Dreyer
Contentieux constitutionnel, 2e éd., Valérie Goesel-Le Bihan
Droit des obligations, Daniel Mainguy et Jean-Louis Respaud
Droit électoral, Bernard Maligner
Droit des sûretés, 2e éd., Stéphane Piedelièvre
Droit des partis politiques, Yves Poirmeur et Dominique Rosenberg
Droit pénal général, 3e éd., Michèle-Laure Rassat
Institutions administratives et juridictionnelles, Michèle-Laure Rassat, Jean-Michel
Lemoyne de Forges et Patricia Lemoyne de Forges
Philosophie du droit, Alexandre Viala
Droit des biens, Pierre Berlioz
Droit de la famille, Jean-Jacques Lemouland

Composition : Soft Office

ISBN 9782340-050327
©Ellipses Édition Marketing S.A., 2016
32, rue Bargue 75740 Paris cedex 15
Le Code de la propriété intellectuelle n’autorisant, aux termes de l’article L. 122-5.2° et
3°a), d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé
du copiste et non destinées à une utilisation collective », et d’autre part, que les analyses
et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toute représentation ou
reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants
droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4).
Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit constituerait une
contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété
intellectuelle.

www.editions-ellipses.fr

9782340-014015_001_DroitPenalSpecial3_CM_EP3_744.indd 2 07/07/16 14:51


Retrouver ce titre sur Numilog.com

Tableau des abréviations

AJP revue Actualité juridique Pénal


Al. alinéa
àpB à paraître au Bulletin
Art. article
B Bulletin de la Cour de cassation
C. civ. Code civil
CCC revue Contrat, concurrence, consommation
CCE revue Communication et commerce électronique
C. com. Code de commerce
C. consom. Code de la consommation
C. éduc. Code de l’éducation
CGCT Code général des collectivités territoriales
Civ. 1 ou 2 1re ou 2e chambre civile de la Cour de cassation
CMF Code monétaire et financier
Comp. comparer
Conv. EDH Convention européenne des droits de l’homme
CEDH Cour européenne des droits de l’homme
CPI Code de la propriété intellectuelle
CPP Code de procédure pénale
Crim. chambre criminelle de la Cour de cassation
C. route Code de la route
CSP Code de la santé publique

9782340-014015_001_DroitPenalSpecial3_CM_EP3_744.indd 3 07/07/16 14:51


Retrouver ce titre sur Numilog.com
4 Tableau des abréviations

C. trav. Code du travail


D Recueil Dalloz
Déc. décision
DP revue Droit pénal
GP revue Gazette du Palais
JCP revue Semaine juridique, édition générale
L loi
LP revue Légipresse
LG revue Légicom
M€ million d’euros
Mél. Mélanges offerts à…
Obs. observations
LPA revue Petites Affiches
Pacte IDCP Pacte internationalrelatif aux droits civils et politiques
par ex. par exemple
R règlement
RPDP Revue pénitentiaire et de droit pénal
RSC Revue de science criminelle
RTDH Revue trimestrielle des droits de l’ homme
S Recueil Sirey
Somm. sommaire
TMIN Tribunal militaire international de Nuremberg

9782340-014015_001_DroitPenalSpecial3_CM_EP3_744.indd 4 07/07/16 14:51


Retrouver ce titre sur Numilog.com

Introduction

1. Question — Un manuel en Droit pénal spécial a‑t‑il besoin d’introduction ?


La question mérite d’être posée tant il semble évident que l’introduction à ce cours
est constituée par le cours antérieur de Droit pénal général.
Et, pourtant, introduction il y a. Celle-ci s’impose d’abord parce que la fonction
du Droit pénal général ne saurait être réduite à celle d’introduction à une discipline ulté-
rieure, « plus évoluée ». Le Droit pénal général ne peut jouer un simple rôle ancillaire. Il y
a là deux aspects d’une même discipline, – le Droit pénal –, qui ont une égale dignité1.
Ensuite, une introduction s’impose parce que quelques éléments méthodologiques
propres au Droit pénal spécial doivent être présentés.

2. Définition — Le premier d’entre eux, correspond à la nécessité pour le lecteur


de se remémorer l’enseignement de Droit pénal général qui lui a été prodigué et qu’il
ne s’agit donc pas de présenter ici. Le Droit pénal général offre la méthode nécessaire
pour appréhender le Droit pénal spécial : il donne les outils qui permettent d’analyser
n’importe quelle infraction2. Une bonne connaissance de la procédure pénale est
également requise. En effet, le Droit pénal spécial est cette branche du droit pénal qui
étudie les comportements incriminés, les peines fulminées contre les auteurs de ces
comportements ainsi que les règles particulières régissant leur poursuite.

3. Nature — À ce titre, le Droit pénal spécial se rapproche sans doute plus de la Procédure
pénale que du Droit pénal général : procédant d’une démarche synthétique, le Droit pénal
général est une discipline au premier abord assez théorique ; au contraire, envisageable
de façon analytique, le Droit pénal spécial constitue un droit d’apparence technique3.

1. Sur les interactions de ces deux droits, V. G. Vermelle, « Du droit pénal général reconfiguré par
le droit pénal spécial », Mél. Pradel, Cujas, 2006, p. 645 – et déjà : R. Vouin, « Observations sur
l’unité de la justice criminelle », Mél. Ancel, Pedone, 1975, t. 2, p. 241.
2. On a pu écrire également que « le droit pénal général est la grammaire de la langue pénale, dont le
droit pénal spécial fournit le vocabulaire » (A. Vitu, Droit pénal spécial, Cujas, 1981, p. 12, n° 4).
3. A fortiori, l’éclatement de la Procédure pénale, et la multiplication des règles de poursuite particulières,
rapproche celle-ci du Droit pénal spécial et l’éloigne du Droit pénal général (V. aussi : M. Véron,
« La loi du 9 mars 2004 dite loi Perben II », DP 2004, étude 5, p. 6).

9782340-014015_001_DroitPenalSpecial3_CM_EP3_744.indd 5 07/07/16 14:51


Retrouver ce titre sur Numilog.com
6 Introduction

Il y aurait là un droit des Praticiens opposé au droit des Professeurs ? L’auteur de


ces lignes, qui a été avocat avant d’être enseignant, n’a jamais trouvé de distinction
plus fausse et plus hypocrite1. La distinction du Droit pénal général et du Droit pénal
spécial ne peut prospérer sur l’opposition de l’École et du Palais.
Certes, le droit pénal apparaît, le plus souvent, au praticien sous l’aspect « spécial »
d’une infraction ou d’une qualification dont il lui faut apprécier les enjeux. C’est
d’ailleurs elle qui intéresse ou inquiète ses clients. Mais le praticien, qui n’est pas
capable d’en discuter les conditions d’application dans le temps ou dans l’espace, qui
n’est pas capable de contester l’interprétation « large » qui en est faite, qui n’est pas en
mesure de rappeler les exigences d’un concours réel d’infractions ou les modalités
d’appréciation de la récidive, se prive de beaucoup d’arguments. Inversement, le Droit
pénal spécial intéresse lui-aussi l’Université où il donne matière à enseignements et à
théories. En effet, sa démarche analytique, permise et structurée par les principes du
Droit pénal général, est l’occasion de vérifier la solidité ou la pertinence de principes
dégagés par la doctrine et consacrés de façon, plus ou moins fidèle, par le législateur
puis par le juge2. Si le Droit pénal général est une tentative d’explication du système
pénal, le Droit pénal spécial permet une rude confrontation de la théorie générale de
l’infraction à la réalité. Le législateur d’abord, le juge ensuite, respectent-ils toujours ses
enseignements ? L’étude du Droit pénal spécial est l’occasion de constater un surprenant
divorce entre les principes et leur application. Des transformations inattendues s’y font
jour3. Il s’ensuit une absolue nécessité, non d’opposer les pensées et les actes, mais de
les confronter en permanence pour mesurer leurs apports réciproques.

4. Enjeux — Dès lors, peut-on douter de l’intérêt d’une telle discipline ? Il y a tout
de même un aspect du Droit pénal spécial qui peut le rendre rebutant. En effet, sa
démarche analytique ne transforme‑t‑elle pas cet enseignement en un vaste catalogue ?
L’inquiétude est d’autant plus légitime que, instable et changeante, en toute hypothèse
pléthorique, la matière pourrait donner le vertige des puits sans fond à qui aurait la
curiosité de se pencher dessus.
Il y a incontestablement un effet « catalogue » qui pourra sembler ennuyeux à cer-
tains car répétitif. On retrouvera ainsi, dans ce manuel, présentées de façon quasiment
intangibles (condition préalable/comportement incriminé/répression) les principales
incriminations figurant dans le Code pénal, et dans quelques autres codes : le Code
de la santé publique et le Code de la consommation, essentiellement.
Pour autant, le Droit pénal spécial ne se réduit pas à un catalogue. Ou, si cata-
logue il y a, c’est de façon raisonnée. Sa structure doit en éclairer le contenu. Après
d’autres mais de façon personnelle, cet ouvrage tente de mieux faire ressortir les
préoccupations de la société contemporaine et de trouver une cohérence dans un
chaos si facilement décrié.

1. V. aussi : J. Larguier, « Ce que les praticiens appellent la pratique (précédé de quelques libres propos
théoriques) », Mél. Gassin, PUAM, 2007, p. 273.
2. V. not. J.-B. Denis, La distinction du droit pénal général et du droit pénal spécial, LGDJ, coll. « Bibl.
sc.crim. », 1977, t. XXI, p. 126.
3. Violés aussi souvent que nécessaires, certains principes n’ont pas la valeur qu’on leur prête (E. Dreyer,
« La sécurité juridique et le droit pénal économique », DP 2006, étude 20)…

9782340-014015_001_DroitPenalSpecial3_CM_EP3_744.indd 6 07/07/16 14:51


Retrouver ce titre sur Numilog.com
Introduction 7

5. Références — Ne s’agit-il alors que d’organisation ? Si tel devait être le cas, la


lecture de l’actuel Code pénal – formellement meilleur que l’ancien – ne suffirait-
elle pas ? Son organisation n’est-elle pas suffisante pour révéler toute la richesse de la
discipline ? On pourrait le soutenir si l’œuvre du législateur n’avait pas été une œuvre
de transaction, s’il n’avait pas reculé devant plus d’innovation et hésité à abandonner
entièrement des solutions d’un autre âge.
Sans chercher à rompre systématiquement avec sa logique, nous avons souvent
fait d’autres choix et espérons ainsi donner à ce manuel une valeur ajoutée qui est sa
seule raison d’être. La démarche se veut résolument tournée vers l’avenir. Les solu-
tions dégagées sous l’ancien Code ne seront rappelées que dans les hypothèses où elles
apparaîtront absolument nécessaires. En effet, après plus de vingt années d’application,
le nouveau Code fournit déjà une jurisprudence abondante qui permet d’en illustrer
les principales dispositions. Les décisions les plus récentes seront donc privilégiées (et
référencées en priorité dans les revues qui les reproduisent intégralement). Les arrêts
de la Cour européenne seront également rappelés en tant que de besoin ; le droit
pénal ne s’envisage plus aujourd’hui sans cet autre aspect du droit français qu’est le
droit européen.
Il en va de même pour la doctrine et les travaux de recherche. L’auteur de ces
lignes n’ignore pas ce qu’il doit à ses illustres prédécesseurs. Mais il ne faut pas entrer
dans le xxie siècle à reculons en regardant vers le siècle précédent (pour ne pas dire le
siècle qui précède celui-ci et qui semble à certains d’autant plus proche qu’il s’éloigne
pourtant davantage…). En revanche, il sera fait référence à des thèses et travaux de
recherche contemporains qui illustrent souvent avec brio les nouveaux enjeux de la
matière.

6. Plan — À ce stade, il ne nous reste plus qu’à justifier le plan adopté. Encore une
surprise : quatre parties, et non deux… Ou, plutôt, deux grandes parties cachées que
le lecteur repérera bien vite. Il s’agit d’opposer les atteintes portées à l’intégrité de la
personne aux atteintes étrangères à l’intégrité de celle-ci.

7. Personnes — Le terme « personne » peut être compris en des sens différents. Dans
une première approche, la personne est une abstraction. Elle se déduit de l’existence
d’un patrimoine, point d’imputation des droits et obligations de chacun. À ce titre,
la personne peut être aussi bien physique que morale. Au regard du droit pénal, la
personne morale fait toutefois rarement l’objet de dispositions qui lui sont propres :
victime ou délinquante, la personne morale est assimilée le plus souvent à une per-
sonne physique et protégée ou traitée comme elle. C’est donc par rapport à la personne
physique qu’il faut continuer de raisonner. Or, la personne physique servant ainsi de
référence est envisagée de façon concrète par le droit pénal, dans son environnement
familial, économique, social. C’est l’individu, l’être humain, dès qu’il a acquis le
statut de personne. À cet égard, il est devenu banal d’énoncer que la personne doit
être évoquée dans une double dimension : elle doit être respectée à la fois dans son
intégrité physique et dans son intégrité morale, ce dernier terme ne désignant pas
l’abstraction des groupements mais le halo immatériel qui entoure chaque individu
et qui exprime sa personnalité (intelligence, volonté, sentiments). Le droit pénal

9782340-014015_001_DroitPenalSpecial3_CM_EP3_744.indd 7 07/07/16 14:51


Retrouver ce titre sur Numilog.com
8 Introduction

moderne prend parfaitement en compte ces deux aspects. Il a compris que c’est une
condition de son efficacité dans la protection des personnes. Cette seconde dimension
paraît d’autant plus importante aujourd’hui que le progrès des moyens techniques
accentue les risques auxquels chacun peut être exposé. Ils sont même plus insidieux
car moins faciles à détecter1. Nous envisagerons donc successivement les atteintes
portées à l’intégrité physique puis les atteintes portées à l’intégrité morale d’autrui.

8. Autres — Mais ce n’est pas tout. En effet, deux autres types d’atteinte peuvent
encore être distingués.
Il s’agit d’abord des atteintes portées aux biens entendus de façon large comme
les éléments figurant à l’actif du patrimoine de la personne. Ces atteintes sont a priori
moins graves mais plus fréquentes que les précédentes. Elles alimentent une grande
partie du sentiment actuel d’insécurité et constituent un enjeu politique important.
Il s’agit ensuite, et enfin, d’atteintes portées aux intérêts propres de la société.
Les comportements réprimés à ce titre ne menacent pas seulement l’ordre public ; ils
affectent l’intérêt général.

9. Exclusions — Seuls les droits très spécialisés seront ignorés : droit pénal de la
presse, de la bioéthique, de la propriété intellectuelle, des données personnelles, du
travail, de la concurrence, etc. Ils relèvent en effet de logiques propres – que méconnaît
la qualification « droit pénal des affaires » sous laquelle ils sont parfois envisagés – et
mériteraient des développements trop spécifiques pour être détaillées ici. Nous nous
sommes contentés d’étudier les infractions les plus courantes, ce qu’un éminent auteur
qualifia – il y a quelques années – de « catéchisme social de l’ homme contemporain2 ».

1. La Cour européenne juge que « que la vie privée recouvre l’ intégrité physique et morale de la personne
et que l’État a également l’obligation positive de reconnaître à ses ressortissants le droit au respect effectif
de cette intégrité » (CEDH, 20 mars 2007, Tysiac c/ Pologne, § 107).
2. A. Vitu, Droit pénal spécial, préc., p. 18, n° 12.

9782340-014015_001_DroitPenalSpecial3_CM_EP3_744.indd 8 07/07/16 14:51


Retrouver ce titre sur Numilog.com

Première partie

Les atteintes portées


à l’intégrité physique
de la personne________________

10. — Le corps rend la personne concrète. La personne ne se réduit pas à cet aspect
physique mais elle suppose un corps et l’action d’autrui sur son corps peut être de nature
à l’affecter directement. Ce lien étroit entre la personne et son corps explique que le
droit pénal ait, très tôt, voulu conférer une protection quasiment absolue à l’intégrité
physique. Ainsi, même si le principe de légalité commande de définir étroitement les
comportements qui lui portent atteinte, la multiplication des incriminations laisse
peu de place à un raisonnement a contrario légitimant des emprises sur un corps qui
n’est pas le sien.
On le vérifiera en évoquant non seulement la protection du corps proprement
dit mais aussi la protection des aptitudes physiques, c’est-à-dire des principales libertés
que confère à l’individu la maîtrise de son corps.

9782340-014015_001_DroitPenalSpecial3_CM_EP3_744.indd 9 07/07/16 14:51


Retrouver ce titre sur Numilog.com

9782340-014015_001_DroitPenalSpecial3_CM_EP3_744.indd 10 07/07/16 14:51


Retrouver ce titre sur Numilog.com

Titre premier

La protection du corps________________

11. — La protection du corps est susceptible de degrés. Dans certaines hypothèses,


l’atteinte portée au corps peut être telle qu’une fonction vitale s’en trouve affectée et
que l’existence même de la personne est remise en cause. Dans d’autres hypothèses,
l’atteinte ne conduit pas à un tel résultat mais affecte néanmoins l’intégrité physique
de la personne. Dans d’autres hypothèses encore, la personne est seulement exposée
à un risque, pour sa vie ou sa santé, qui mérite d’être sanctionné même s’il ne s’est
pas réalisé. Il conviendra donc d’envisager successivement les atteintes mortelles, les
atteintes non mortelles puis les atteintes seulement potentielles.

9782340-014015_001_DroitPenalSpecial3_CM_EP3_744.indd 11 07/07/16 14:51


Retrouver ce titre sur Numilog.com

9782340-014015_001_DroitPenalSpecial3_CM_EP3_744.indd 12 07/07/16 14:51


Retrouver ce titre sur Numilog.com

Chapitre 1
Les atteintes mortelles_________________________

12. — Lorsque le droit pénal prétend lutter contre les atteintes mortelles, les dissua-
der, les punir, il entend protéger la vie de la personne. L’objet de cette protection, qui
en définit le périmètre, mérite quelques mots d’explication préalables. Ensuite, on
envisagera les atteintes intentionnelles puis les atteintes non intentionnelles portées
à la vie d’autrui car elles sont toutes deux réprimées.

Section 1
La vie, objet de protection_________________________

13. — Toutes les souffrances du monde pèsent sur les vivants. Les morts ont eu leur
compte ; ils ne souffrent plus. Ils n’ont plus besoin de la protection du droit pénal. La
vie apparaît ainsi comme l’unique objet de protection mais c’est aussi un objet de
protection essentiel. Il convient de le cerner au préalable.
Néanmoins, que vaut une société qui ne respecte pas ses morts ? Ponctuellement,
le droit pénal leur apporte à eux aussi une protection… résiduelle. Elle sera évoquée à
la suite afin de souligner, par contraste, l’attention accordée à la vie humaine, valeur
principalement protégée.

I. Le respect de la vie

14. Présentation — L’acte consistant à porter atteinte à la vie d’autrui porte un nom :
il s’agit d’un homicide. L’homicide n’est pas une infraction mais une catégorie d’infrac-
tions à l’intérieur de laquelle il convient de distinguer plusieurs formes d’homicide
volontaire ainsi que d’homicide involontaire. La vie qu’il s’agit de protéger dans tous
ces cas présente un certain nombre de caractéristiques.
D’abord, il s’agit d’une vie humaine. D’autres textes protègent la vie des animaux
(V. infra, n° 845 et s.). Quant aux Martiens, ils ne bénéficient d’aucune protection.
La tentative de meurtre d’un « petit homme vert » échappe à la sanction pénale. Encore

9782340-014015_001_DroitPenalSpecial3_CM_EP3_744.indd 13 07/07/16 14:51


Retrouver ce titre sur Numilog.com
14 Première partie. Les atteintes portées à l’ intégrité physique de la personne

faut-il convaincre son juge que l’on a cru tirer contre les occupants d’une soucoupe
volante et non contre un malheureux qui, de nuit, réparait au bord d’un chemin sa
voiture tombée en panne1…
Ensuite, seule la vie d’autrui est prise en compte. Un rapport d’altérité s’impose
car il n’y a pas meurtre sur soi-même mais suicide.
Ces deux dernières affirmations méritent d’être précisées. Il s’agit de déterminer
tout d’abord les limites extrêmes de la vie et puis de souligner que seule la vie des
autres intéresse le droit pénal.

A. Délimitation de la vie humaine

15. — Un homicide peut être commis sur tout individu, du commencement à la fin
de sa vie. L’application de ce principe pose néanmoins difficultés aux deux extrémités.

1. Point de départ de la protection pénale

16. Naissance — La personne existe à compter de sa naissance. Pour être pris en


compte, « autrui » doit être né. Il ne saurait donc y avoir d’homicide avant cet instant ;
la personne ne bénéficie d’aucune protection entre le moment de sa conception et le
moment de sa naissance car elle n’existe pas encore en tant que telle. On peut, sans
doute, le regretter et souhaiter qu’une protection particulière lui soit reconnue2 mais
on ne peut nier l’évidence3.

17. Homicide in utero — Au demeurant, la question ne se pose guère lorsque l’atteinte


à la vie est intentionnelle. Il ne saurait y avoir meurtre si « autrui » n’existe pas encore4.
L’interruption du développement d’un fœtus constitue le délit d’avortement forcé prévu
à l’article 223-10, C. pén. lorsqu’elle est imposée à la femme et le délit d’avortement
illégal prévu à l’article L. 2222-2, CSP lorsque cette interruption est effectuée avec
son accord mais hors des conditions prévues par la loi (V. infra, n° 372). S’il n’existe
pas d’exemple de condamnation pour meurtre, suite à l’interruption volontaire et
illégale d’une grossesse (envisageable au motif que ces deux qualifications protègent
des intérêts différents), c’est précisément parce que l’existence du fœtus comme une
personne n’est pas reconnue.
Par contre, la question a été débattue en matière d’homicide involontaire. Des
juges du fond n’ont pas hésité à retenir cette dernière qualification lorsque des fautes
d’imprudence ou de négligence avaient interrompu le développement d’un fœtus. La
Cour de cassation a répondu, à plusieurs reprises, qu’il ne saurait y avoir homicide

1. Comp. T. corr. Laon, 14 janv. 1955, JCP 1955, II, 8638.


2. V. évoquant l’existence de choses « sacrées » : J.-F. Seuvic, « Variations sur l’humain comme valeurs
pénalement protégées », Mél. Bolze, Economica 1999, p. 365.
3. Sur le statut du nasciturus à travers les âges, V. S. de Beauvoir, Le deuxième sexe, t. 1 : Les faits et les
mythes, FL, coll. « Bibl. du XXe siècle », 1990, [1949], p. 215.
4. V. aussi : E. Dreyer, « Autrui en matière pénale », Mél. Sainte-Rose, Bruylant, 2012, p. 431 et
C. Ambroise-Castérot, « Droit pénal et droit des personnes », in Droit pénal et autres branches du
droit, Cujas, 2012, p. 16.

9782340-014015_001_DroitPenalSpecial3_CM_EP3_744.indd 14 07/07/16 14:51


Retrouver ce titre sur Numilog.com
Chapitre 1. Les atteintes mortelles 15

involontaire dans une telle hypothèse. Ainsi jugé dans une affaire où, suite à une
confusion entre deux patientes, un médecin avait provoqué une rupture de la poche
des eaux rendant nécessaire l’expulsion prématurée du fœtus. Ce médecin fut poursuivi
pour atteinte involontaire à la vie de l’enfant à naître. Mais l’arrêt le condamnant fut
cassé, après rappel que la loi pénale est d’interprétation stricte, au motif « que les faits
reprochés au prévenu n’entrent pas dans les prévisions des articles 319 ancien et 221-6 »1.
La solution fut réaffirmée ensuite en Assemblée plénière2. Par ailleurs, une solution
équivalente fut retenue alors que l’expulsion du fœtus avait été provoquée par l’erreur
de diagnostic d’une sage-femme3. Dans tous les cas, il s’est agi de mettre un terme au
raisonnement par analogie qui avait séduit certains juges du fond. Cette jurisprudence
reste néanmoins contestée4.

18. Critiques — Certains rappellent que plusieurs textes imposent le respect de


l’être humain dès le commencement de la vie. L’article 16, C. civ. ferait ainsi écho à
l’article 2, Conv. EDH, consacrant un « droit à la vie ».
Mais aucun de ces textes ne fait remonter la protection juridique au jour de la
conception. De surcroît, le Conseil constitutionnel ne s’est pas opposé à l’entrée en
vigueur de la loi Veil organisant pourtant plusieurs exceptions à la règle qui vient
d’être rappelée5. Quant à la Cour européenne, elle abandonne à chaque État le soin
de déterminer le point de départ du droit à la vie6.
À supposer qu’il existe une incertitude en la matière, le problème ne peut être
résolu que dans l’intérêt de la personne poursuivie. Le pénaliste ne saurait oublier les
principes régissant sa matière.

19. Autres critiques — D’autres auteurs reprochent à la Cour de cassation d’avoir


assimilé la personne du droit pénal à la personne du droit civil. À les suivre, le droit
pénal aurait pour fonction de protéger la vie « en elle-même », indépendamment de

1. Crim. 30 juin 1999, B n° 174 ; DP 2000, n° 3, obs. M. Véron. – V. aussi : Crim. 25 juin 2002,
B n° 144 ; DP 2002, n° 93, obs. M. Véron.
2. AP 29 juin 2001, JCP 2001, II, 10569, rapport P. Sargos, concl. J. Sainte-Rose, note M.-L. Rassat ;
D 2001, p. 2917, note Y.Mayaud.
3. Crim. 4 mai 2004, B n° 108 ; RSC 2004, p. 884, obs. Y.Mayaud.
4. V. les protestations d’A. Decocq, « La main d’Isabelle », Mél. Malaurie, Defrénois, 2005, p. 199.
– J.-Y. Chevallier, « Naître ou n’être pas, la chambre criminelle et l’homicide du fœtus », Mél. Béguin,
Litec 2005, p. 125. – F. Dreifuss-Netter, « La protection de l’être humain avant la naissance », in La
personne juridique dans la philosophie du droit pénal, Éd. Panthéon-Assas, 2003, p. 89. – V. aussi,
au sujet de Crim. 6 juin 2002 : D. Commaret, DP 2002, étude 31.
5. Déc. n° 74-54, 15 janv. 1975 DC, Loi relative à l’ interruption volontaire de la grossesse, § 10. – V. aussi :
Déc. n° 2010-2, 11 juin 2010, QPC, Loi dite « anti-Perruche », § 7.
6. Tout en affirmant que « c’est la potentialité de cet être et sa capacité à devenir une personne… qui
doivent être protégés au nom de la dignité humaine sans pour autant en faire une “personne” qui aurait
un “ droit à la vie” au sens de l’art. 2 » (CEDH 8 juill. 2004, Vo c/ France, § 84. – V. aussi CEDH
16 déc. 2010, A, B et C c/ Irlande, § 213).

9782340-014015_001_DroitPenalSpecial3_CM_EP3_744.indd 15 07/07/16 14:51


Retrouver ce titre sur Numilog.com
16 Première partie. Les atteintes portées à l’ intégrité physique de la personne

tout enjeu juridique lié à la qualité de personne, dans sa seule réalité biologique1…
L’opinion surprend d’autant plus qu’elle émane souvent d’individus qui ne rechignent
pas à mélanger les arguments juridiques aux arguments moraux, voire idéologiques,
sur cette question. Cette confusion des genres appelle bien des réserves.
En effet, l’objection n’apparaît pas déterminante. D’abord, le fait que les atteintes
à la vie de la personne figurent dans un titre du Code pénal consacré aux atteintes
à la personne « humaine » ne saurait rien changer au statut de cette personne : en
connaît-on d’autres ? La personne humaine est nécessairement une personne au sens
juridique, à la différence de « l’ être humain » tel que l’entend le Code civil qui semble
renvoyer à une autre réalité2.
Ensuite, on ne voit pas pourquoi « autrui » serait envisagé différemment pour les
infractions intentionnelles et pour les infractions non intentionnelles contre les per-
sonnes. La jurisprudence précitée de la Haute juridiction se contente de relever qu’en
l’absence d’incrimination spéciale l’interruption non intentionnelle d’une grossesse
ne peut être pénalement sanctionnée. Il s’agit de faire coïncider les champs d’appli-
cation respectifs de l’homicide volontaire et de l’homicide involontaire. L’absence de
protection du fœtus pour lui-même doit être déplorée mais elle résulte d’un choix du
législateur. On ne comprendrait pas que l’interruption involontaire d’une grossesse
puisse être punie comme homicide involontaire alors que l’interruption volontaire,
– nécessairement plus grave –, ne pourrait l’être comme homicide volontaire, sauf à
remettre en cause un droit à l’avortement désormais codifié3.
Par ailleurs, même sur le terrain des symboles où la discussion a souvent été
portée (mystère de la « conception » !), les objections à la jurisprudence de la Cour de
cassation n’apparaissent nullement convaincantes. En effet, elles oublient un symbole
qui est lui aussi essentiel : la naissance ne saurait être réduite à une péripétie dans un
développement linéaire de l’individu. C’est une étape suffisamment importante dans
le développement de la vie pour que le droit en fasse le point de départ de la protection

1. Certains juges du fond ont subordonné la protection à la preuve que le fœtus avait déjà « franchi
le seuil de viabilité, étant jusqu’ à terme apte à vivre de façon autonome » (CA Reims, 3 févr. 2000,
DP 2000, n° 54, obs. M. Véron). – Mais « la notion de personne humaine protégée ne doit pas être
liée à la notion beaucoup trop relative de viabilité » (J.-F. Seuvic, « Variations sur l’humain », préc.,
p. 370). En toute hypothèse, on fera observer là encore que la viabilité n’a de sens qu’après la nais-
sance : attestant d’une vie autonome, elle justifie que des droits soit attribués à un être qui constitue
désormais une personne (C. civ., art. 318, 725, 906).
2. Faut-il rappeler que cette qualification a été acquise, non pour faire de l’embryon une personne,
au sens juridique, mais pour éviter qu’il soit déclaré « chose » (V. not. C. Sevely, « Réflexions sur
l’inhumain et le droit, le droit en quête d’humanité », RSC 2005, p. 504) ? Il s’agit d’une qualification
intermédiaire, voulue comme telle par le législateur, afin d’éviter des confusions préjudiciables,
dans un sens comme dans l’autre.
3. La recherche biomédicale pourrait également se trouver menacée par la reconnaissance d’un droit
à la vie de l’embryon (V. Th. Cassuto, La santé publique en procès, Puf, 2008, p. 160). En toute
hypothèse, les peines deviendraient incohérentes si on punissait le « fœticide » involontaire de
3 ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende (art. 221-6) alors que l’interruption volontaire
et illégale de grossesse n’est punie que de 2 ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende (CSP,
art. L 2222-2) (V. aussi : J. Garrigue, « Les sanctions en droit des personnes », in Les sanctions en
droit contemporain, Dalloz, 2012, p. 145).

9782340-014015_001_DroitPenalSpecial3_CM_EP3_744.indd 16 07/07/16 14:51


Retrouver ce titre sur Numilog.com
Chapitre 1. Les atteintes mortelles 17

de la personne1. Comment imaginer que celui qui n’est pas encore né puisse se plaindre
d’être déjà mort ? Comment admettre une existence à laquelle aucun effet juridique
autre que pénal ne serait attaché ? Les « parents » ne devraient même pas être habilités
à représenter le fœtus dans une telle hypothèse2… L’absurdité de ces interrogations
suffit pour montrer que la question ne peut être posée ainsi. Il appartient sans doute
au législateur d’intervenir pour protéger également la liberté de la femme de mener sa
grossesse jusqu’à son terme sans crainte d’une interruption résultant de la négligence ou
de l’imprudence d’autrui (V. infra, n° 366). Cette intervention législative s’impose pour
éviter la logique du « tout ou rien » actuel3. Mais le législateur ne saurait aller au-delà.
C’est la personne, au sens juridique, qui est seule prise en compte au titre de l’homicide4.
On l’a vu en introduction, il est abusif d’opposer à cet égard des conceptions civiles
et pénales, abstraites et concrètes. Elles sont, par souci de cohérence, indissociables5.
Enfin, ce rappel permet de souligner l’inanité d’un dernier argument. Il est bien
entendu que la personnalité juridique n’est pas une condition générale de protection
par le droit pénal. L’humanité, l’espèce humaine, les animaux, voire certains biens
notamment culturels, sont protégés pour eux-mêmes alors qu’ils ne sont pas dotés
d’une telle personnalité : il suffit pour cela que la société y ait intérêt. Mais il ne s’ensuit
pas qu’en toute hypothèse la personnalité juridique est indifférente, notamment
lorsqu’il s’agit de définir la personne protégée contre les atteintes portées à sa vie6. Le
raisonnement a fortiori mené par certains auteurs se heurte à la discontinuité du droit
pénal qui interdit d’interpréter un texte par référence à un autre sans rapport avec lui.
La cohérence du système juridique commande d’entendre ici la personne au sens du
droit civil car le droit pénal n’a aucune raison d’appréhender autrement la personne
en niant ce qui est de son essence : son aptitude à exprimer une volonté propre.

20. — En toute hypothèse, l’exigence d’une personne vivante au moment des faits
pose une autre difficulté. Elle tient au :

1. De sorte que l’accident qui provoque la naissance anticipée d’un enfant qui meurt une heure après
constitue bien un homicide involontaire (Crim. 2 déc. 2003, B n° 230 ; D 2004, p. 449, note
J. Pradel ; JCP 2004, II, 10054, note M.-L. Rassat). – Peu importe que la faute soit antérieure à
la naissance (V. déjà, en matière de violence involontaire : Crim. 9 janv. 1992, DP 1992, n° 172,
obs. M. Véron). En effet, on le verra, ce n’est pas l’imprudence ou la négligence mais le décès qui
consomme ce délit : sauf à remettre en cause la structure de l’homicide involontaire et, plus large-
ment, de toutes les infractions matérielles, le raisonnement tenu par la Cour de cassation s’avère
imparable.
2. C’est parce qu’ils ne peuvent démontrer aucun préjudice en son nom devant le juge civil que les
parents usent de la voie pénale pour tenter de surmonter leur douleur. Le juge pénal doit résister
à cette instrumentalisation.
3. La juridiction de Strasbourg reconnaît la nécessité de protéger le lien que la mère entretient avec
l’enfant à venir (CEDH, 2 juin 2005, Znamenskaya c/ Russie, § 27).
4. L’art. 221-6 punissant l’homicide involontaire, à l’instar de l’art. 221-1 punissant le meurtre, prend
place dans un chapitre intitulé : « Des atteintes à la vie de la personne » (et non « De la vie humaine »).
5. V. la belle et courageuse réfutation de : J. Mouly, « Du prétendu homicide de l’enfant à naître »,
RSC 2005, p. 47. – V., aussi : B. Le Griel, « L’absence de protection pénale de l’enfant conçu », Mél.
Sainte-Rose, Bruylant, 2012, p. 712.
6 V. pourtant : N. Catelan, « Existe‑t‑il une personnalité juridique propre au droit pénal ? », in Faut-il
« regénéraliser » le droit pénal ?, LGDJ, 2015, p. 23.

9782340-014015_001_DroitPenalSpecial3_CM_EP3_744.indd 17 07/07/16 14:51


Retrouver ce titre sur Numilog.com
18 Première partie. Les atteintes portées à l’ intégrité physique de la personne

2. Terme de la protection pénale

21. Mort — La protection pénale est acquise à la personne née vivante jusqu’à son
décès, sachant « que la survenance de la mort constitue un phénomène continu ; que la
vie ne prend fin que par la cessation irréversible de l’ensemble des fonctions vitales et que
dès lors les lois pénales protectrices des personnes s’appliquent tant que demeure la moindre
possibilité de récupération1 ». Le Code de la santé publique propose néanmoins une
définition de la mort (art. R 1232-1). Elle suppose un arrêt cardiaque et respiratoire
persistant dès lors que s’y ajoutent les trois critères cliniques suivants : i) absence
totale de conscience et d’activité motrice spontanée ; ii) abolition de tous les réflexes
du tronc cérébral ; iii) absence totale de ventilation spontanée. Le maintien artificiel
en fonction du cœur et des autres organes (pour permettre des prélèvements) ne fait
donc pas obstacle à ce constat2.
En principe, si la victime est déjà morte au moment où des coups a priori mor-
tels lui sont portés, il ne peut y avoir meurtre. Cependant, compte tenu de la gravité
de l’acte en question et du fait que l’absence de meurtre tient à une circonstance
totalement indépendante de la volonté de son auteur, la Cour de cassation assimile
cette infraction impossible à une tentative de meurtre3. Une telle jurisprudence ne
contredit pas la précédente (sur le fœtus) : il ne s’agit pas de faire ici du mort une
personne mais de constater que le « meurtrier » a bien voulu donner la mort à ce qu’il
croyait être encore une personne.

22. Preuve — En toute hypothèse, pour s’assurer de la mort d’autrui, et pouvoir


en vérifier la cause, l’article R 645-6, C. pén. menace de l’amende prévue pour les
contraventions de la 5e classe (soit 1 500 €) celui qui procéderait ou ferait procéder à
l’inhumation d’un individu décédé « sans que cette inhumation ait été préalablement
autorisée par l’officier public, dans le cas où une telle autorisation est prescrite, ou en
violation des dispositions législatives et réglementaires relatives aux délais prévus en cette
matière ». L’inhumation suppose en effet un certificat médical attestant la mort de
l’individu ainsi qu’un permis délivré en principe par l’officier d’état civil du lieu du
décès (CGCT, art. R 2213-17). Elle doit intervenir dans un délai de 24 heures à
6 jours après le décès (CGCT, art. R 2213-33).

23. — Mais toute vie humaine n’est pas prise en compte. Seule la vie d’autrui est
pénalement protégée.

B. Prise en compte de la vie d’autrui

24. Altérité — Les homicides qui seront étudiés à la suite ne prennent en compte
que la vie de l’autre. Le meurtre et l’empoisonnement sur soi-même ne constituent
que des actes de suicide : leur tentative n’apparaît pas punissable dès lors qu’il n’en est

1. J.-P. Doucet, Le droit criminel – La personne humaine, éd. GP, 3e éd., 1999, p. 46, n° 41.
2 V. critiquant cette solution : M. Iacub, « La construction de la mort en droit français », in Le crime
était presque sexuel, et autres essais de casuistique juridique, Epel, coll. « essais », 2002, p. 124.
3. Crim. 16 janv. 1986, B n° 25 ; D 1986, p. 265, note D. Mayer et J. Pradel ; JCP 1987, II, 20774,
note G. Roujou de Boubée.

9782340-014015_001_DroitPenalSpecial3_CM_EP3_744.indd 18 07/07/16 14:51


Retrouver ce titre sur Numilog.com
Chapitre 1. Les atteintes mortelles 19

résulté aucune conséquence pour autrui. Le droit pénal n’ose pas pénétrer au cœur
des consciences et demander à un juge de condamner cette décision intime qui a pu
pousser un individu à essayer de mettre fin à ses jours. La solution s’impose d’autant
plus que, dans une société harmonieuse, de tels actes sont rares.

25. Danger — Mais il faut que ces actes restent exceptionnels. Or, certains com-
portements peuvent sembler dangereux. Un angle mort du droit est apparu, au
milieu des années 1980, lors de la publication de l’ouvrage Suicide mode d’emploi
– qui aurait notamment été retrouvé au chevet de Dalida ! Par son ampleur, une telle
publication s’avérait déstabilisante mais difficile à sanctionner. Techniquement, en
effet, la liberté reconnue à chacun de se donner la mort assurait l’impunité de ceux
qui avaient pu s’y associer : l’infraction de non-obstacle à la commission d’un crime
ou délit ne pouvait être constituée, faute de qualification pénale de l’acte de suicide ;
on ne pouvait sanctionner davantage cet agissement au titre de la complicité à raison
de l’aide ou de l’assistance apportée aux candidats au suicide, faute d’infraction prin-
cipale punissable. Il n’était même pas possible de sanctionner là une abstention de
porter secours à personne en péril, en l’absence de rapport personnel avec le défunt
permettant de conclure à la conscience qu’avait eu l’agent de la réalité de son projet de
suicide. Une telle impunité suscita l’indignation du public. Le législateur a donc fini
par intervenir, le 31 déc. 1987, en créant deux infractions nouvelles qui concernent
l’une la provocation au suicide ; l’autre le prosélytisme en faveur du suicide.
L’étude de ces deux infractions permet de souligner combien la liberté du sujet à
l’égard de sa propre vie est envisagée strictement et l’attitude des tiers jugée avec sévérité.

1. La provocation au suicide

26. — L’article 223-13, C. pén. incrimine une provocation suivie d’effet. Il vise : « le fait
de provoquer au suicide d’autrui… lorsque la provocation a été suivie du suicide ou d’une
tentative de suicide ». En l’absence de suicide ou de tentative de suicide judiciairement
constatée, la provocation ne peut être sanctionnée. Il s’agit d’une infraction matérielle.
Le législateur n’a pas voulu en faire un délit obstacle car il fallait éviter de porter atteinte
à la liberté d’expression1. En pratique, la question d’une éventuelle provocation ne se
pose donc qu’a posteriori. S’il apparaît que la décision de se suicider n’a pas été prise
librement par la victime, celui qui est à l’origine de son acte peut être inquiété.

a. Caractères de la provocation

27. Causalité — La provocation au suicide doit présenter plusieurs caractères. Tout


d’abord, il faut qu’elle soit directe. L’infraction suppose une véritable incitation au

1. Constat qui pourrait néanmoins être remis en cause par une approche extensive de la tentative de
suicide. Pour maintenir l’incrimination dans des limites raisonnables, il faut exiger que la provo-
cation ait conduit à un acte manifestant la volonté irrévocable de la victime de se donner la mort.
Si les magistrats voient au contraire une tentative dans tout acte désespéré, même insusceptible de
tuer, la sanction d’une provocation trop aisément relevée risque d’entraîner une atteinte excessive
à la liberté d’expression.

9782340-014015_001_DroitPenalSpecial3_CM_EP3_744.indd 19 07/07/16 14:51


Retrouver ce titre sur Numilog.com
20 Première partie. Les atteintes portées à l’ intégrité physique de la personne

suicide, c’est-à-dire un encouragement à se donner la mort. Un tel objectif doit être


clairement énoncé.

28. Formes — Peu importe les moyens mis en œuvre à cette fin. Ils ne sont pas
précisés à l’article 223-13 qui n’envisage que leur résultat. Toutes formes de pression
psychologique peuvent donc être prises en compte : propos ou fourniture de moyens.
Mais, s’agissant des propos, toute information donnée sur la façon de se procu-
rer un suicide n’est pas nécessairement délictueuse. Ainsi, il a été jugé que « le simple
conseil de se suicider, s’ il n’est pas accompagné de manœuvres visant à en développer la
force de conviction échappe à la répression1 ».
De la même façon, il est nécessaire qu’à travers la fourniture de moyens le
ministère public parvienne à établir la volonté de l’agent de pousser la « victime » à se
donner la mort. L’infraction n’a pas été déclarée constituée à l’encontre d’un prévenu
qui avait remis un couteau à une personne dont il connaissait le comportement sui-
cidaire et déséquilibré en la défiant de s’en servir. Le tribunal a estimé que ce simple
geste « ne comporte aucun caractère contraignant ou convaincant de nature à paralyser
sa volonté en ne laissant d’autre alternative que la mort pour résoudre ses difficultés2 ».

29. Étendue — Par ailleurs, les circonstances dans lesquelles cette incrimination a
vu le jour donnent à penser que la provocation peut être collective et non seulement
individuelle3. La provocation paraît encore plus dangereuse et mérite de plus belle
une sanction lorsqu’elle a conduit plusieurs personnes au suicide ou à des tentatives
de suicide dès lors que le ministère public est en mesure de démontrer un lien de
causalité direct entre l’information donnée et ces suicides ou tentatives de suicide.
Mais, en pratique, cela ne peut guère concerner que les appels au suicide lancés par
un gourou devant l’assemblée de ses adeptes ou dans un ouvrage rédigé à leur inten-
tion. Il sera peut-être plus simple alors d’agir sur le fondement de l’article 223-6, al.
2, C. pén. (V. infra, n° 212).

b. Répression de la provocation

30. Individu — La personne physique qui se rend coupable de provocation au suicide


s’expose à 3 ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende. Ces peines sont toutefois
portées à 5 ans d’emprisonnement et 75 000 € d’amende lorsque la provocation au
suicide a concerné un mineur de 15 ans. Sont en outre applicables différentes peines
complémentaires dont la saisie et la confiscation des documents écrits, visuels ou
sonores ayant servi à réaliser l’infraction. La juridiction peut en autoriser, en tout ou
partie, la destruction (art. 223-16 et – 17).

31. Groupement — La responsabilité d’une personne morale se conçoit essentiellement


dans l’hypothèse où, à l’occasion d’une dérive sectaire, son dirigeant appelle des « fidèles »
au suicide. La personne morale s’expose alors à une amende portée au quintuple ainsi

1. Crim. 5 mars 1992, GP 1993.2, Somm. p. 486.


2. TGI Lille, 5 avril 1990, D 1993, Somm. p. 14 obs. G. Azibert.
3. V. sur ce point : A. Lepage, « Suicide et droit pénal », Mél. Robert, LexisNexis, 2012, p. 407.

9782340-014015_001_DroitPenalSpecial3_CM_EP3_744.indd 20 07/07/16 14:51


Retrouver ce titre sur Numilog.com
Chapitre 1. Les atteintes mortelles 21

qu’à la plupart des peines de l’article 131-9 (la dissolution n’étant encourue que dans
l’hypothèse d’une provocation dirigée contre un mineur de 15 ans – art. 223-15-1).
La personne morale, à l’instar de la personne physique, peut aussi se voir inter-
dire l’activité de prestataire de formation professionnelle continue pendant 5 ans
(art. 223-13, al. 2).

32. Action civile — L’infraction fait partie de celles pour lesquelles le législateur
autorise toute association régulièrement déclarée depuis au moins 5 ans à la date
des faits, et dont l’objet statutaire comporte la défense ou l’assistance de l’enfant en
danger, à exercer les droits reconnus à la partie civile lorsque l’action publique a déjà
été mise en mouvement (CPP, art. 2-3).

2. La propagande ou la publicité en faveur de produits suicidaires

33. Présentation — L’article 223-14 incrimine à la suite : « la propagande ou la publicité,


quel qu’en soit le mode, en faveur de produits, d’objets ou de méthodes préconisés comme
moyens de se donner la mort ». Cette infraction est punie des mêmes peines, principales
et complémentaires, que la précédente.
Il s’agit d’un délit qui se commet par voie de presse. Le législateur a voulu lui
donner le champ d’application le plus large possible en incriminant « la propagande
ou la publicité quel qu’en soit le mode ». Peu importe ses destinataires : le public est ici
indéterminé. Peu importe que la diffusion du message litigieux n’ait pas été suivie
d’effet. Peu importe même que les produits, objets ou méthodes vantés n’aient pas été
capables de donner la mort. Il suffit qu’ils soient « préconisés », c’est-à-dire présentés
comme tels. À la différence du précédent, il s’agit là d’un délit formel qui existe sans
qu’il soit nécessaire de rapporter la preuve de ses suites.

34. Définitions — Par propagande, on entend tout discours favorable à des objets
ou méthodes censés donner la mort. Peu importe que ces objets ou méthodes soient
envisagés de façon générique (mérites de la ciguë) ou particulière (mérites d’un produit
de telle marque).
Par publicité, on entend un discours commercial poussant à l’achat d’un objet
ou d’une méthode déterminée.

35. Illustrations — Cette incrimination ne menace guère la liberté d’expression car


l’objectif n’est pas d’atteindre tout discours favorable au suicide mais seulement la
valorisation de moyens précis de se donner la mort.
C’est sur ce seul fondement que s’est placé le tribunal correctionnel de Paris
pour sanctionner une réédition de l’ouvrage Suicide mode d’emploi après l’entrée en
vigueur de la loi du 31 déc. 19871. Plus récemment, une autre application de ce texte
a été faite à une publicité, parue dans un quotidien, en faveur d’un livre anglo-saxon
défendant un prétendu droit de mourir dans la dignité et proposant, en conséquence,

1. TGI Paris, 11 avril 1995, JCP 1996, II, 22729, note I. Lucas-Gallay.

9782340-014015_001_DroitPenalSpecial3_CM_EP3_744.indd 21 07/07/16 14:51


Retrouver ce titre sur Numilog.com
22 Première partie. Les atteintes portées à l’ intégrité physique de la personne

différentes façons d’en finir avec la vie1. L’incitation n’était qu’indirecte car la publicité
en question n’avait d’autre but que de favoriser la vente du livre. Néanmoins, la Cour
de cassation a admis qu’elle incitait à utiliser les méthodes de suicide que l’ouvrage
proposait : « cette publicité en faveur de l’ouvrage constitue en même temps une publicité
pour les procédés de suicide qu’ il décrit… puisque la motivation de celui qui acquiert
l’ouvrage est nécessairement de s’ informer sur les techniques de suicide2 ».

II. Le respect de la mort

36. — À la différence de la vie, la mort suscite fort peu l’intérêt du droit. Certes, il
existe une protection de la volonté des morts et, même, de leur tranquillité mais cette
protection ne recouvre que des hypothèses limitées3. La mémoire des morts n’est, quant
à elle, pas protégée contre la diffamation et l’injure publique de manière autonome :
elle ne peut être réprimée « que dans le cas où les auteurs de ces diffamations ou injures
auraient eu l’ intention de porter atteinte à l’ honneur ou à la considération des héritiers,
époux ou légataires universels vivants » (L 1881, art. 344). L’essentiel de la protection
post-mortem est dû au corps de la personne.

A. L’atteinte à la volonté des morts

37. Funérailles — Il y a, bien sûr, quelque chose de paradoxal à évoquer la « volonté »


d’un mort. La volonté dont il s’agit a nécessairement été exprimée par un vivant. Mais
elle mérite d’être défendue après son décès. Ainsi, l’article 433-21-1, C. pén. punit
de 6 mois d’emprisonnement et de 7 500 € d’amende « toute personne qui donne aux
funérailles un caractère contraire à la volonté du défunt ou à une décision judiciaire,
volonté ou décision dont elle a connaissance ». Il s’agit principalement de sanctionner les
proches qui, en connaissance de cause, organisent des funérailles religieuses alors que le
défunt s’y était opposé de son vivant ou qui, inversement, refusent de telles funérailles
alors que le défunt avait expressément demandé une cérémonie religieuse. Ce genre
de difficultés apparaît notamment lorsque le défunt et ses proches appartiennent à
des mouvements religieux (ou sectaires) différents.
L’infraction est intentionnelle. Le législateur a cru bon de le rappeler en soulignant
que la volonté du défunt ou la décision relative à ses funérailles devait avoir été connue
de l’agent. La preuve de cette intention se déduira, bien souvent, de la proximité qui
existait, de son vivant, entre le défunt et ceux qui ont organisé ses obsèques. Ils ne
peuvent avoir ignoré sa volonté.

1. CA Paris, 18 janv. 2001, DP 2001, n° 84, obs. M. Véron.


2. Crim. 13 nov. 2001, B n° 234 ; RSC 2002, p. 615, obs. J.Francillon.
3. Curieusement, cela n’a pas empêché la Cour de cassation de faire une interprétation large de la
protection pénale de la vie privée en jugeant que « la fixation de l’ image d’une personne vivante
ou morte, sans autorisation préalable des personnes ayant pouvoir de l’accorder, est prohibée et que
la diffusion ou la publication de ladite image sans autorisation entre nécessairement dans le champ
d’application des art. 226-1, 226-2 et 226-6, C. pén. » (Crim. 20 oct. 1998, D 1999, p. 106, note
B. Beignier ; JCP 1999, II, 10 044, note G. Loiseau. – V. infra, n° 434).
4. V. sur ce texte : E. Dreyer, Responsabilités civile et pénale des médias, Litec, 2012, 3e éd., n° 206 et s.

9782340-014015_001_DroitPenalSpecial3_CM_EP3_744.indd 22 07/07/16 14:51


Retrouver ce titre sur Numilog.com
Chapitre 1. Les atteintes mortelles 23

B. L’atteinte à la paix des morts

38. — L’article 225-17, C. pén. prétend sanctionner les atteintes au respect dû aux morts
en incriminant « toute atteinte à l’ intégrité du cadavre, par quelque moyen que ce soit »
ainsi que « la violation ou la profanation, par quelque moyen que ce soit, de tombeaux,
de sépultures, d’urnes cinéraires ou de monuments édifiés à la mémoire des morts ». Dans
cette seconde hypothèse, c’est également la douleur des survivants que l’on prend
en compte en essayant de protéger leurs souvenirs et l’endroit où ils se recueillent1.
Il s’agit d’infractions que l’on croyait oubliées dans la mesure où elles n’avaient plus
guère connu d’application depuis le XIXe siècle mais que le développement des jeux
de rôle dans les cimetières ainsi que certains comportements xénophobes ou sectaires
ont remis à l’honneur.

1. Définition

39. — L’article 225-17 envisage deux comportements distincts : i) l’atteinte à l’intégrité


du cadavre ; ii) la violation et la profanation de tombeaux, de sépultures, d’urnes ciné-
raires ou de monuments édifiés à la mémoire des morts. Précisions en quoi consistent
ces deux comportements.

a. L’acte accompli par l’agent

40. Dépouille — Matériellement, dans le premier cas, c’est une dépouille humaine
qui est protégée. Le droit pénal apporte ici sa garantie à un principe de droit naturel
rappelé dans le Code civil. En effet, l’article 16-1-1 de ce code dispose que « le respect
dû au corps humain ne cesse pas avec la mort » et que « les restes des personnes décédées,
y compris les cendres de celles dont le corps a donné lieu à crémation, doivent être traités
avec respect, dignité et décence ».
Il y a délit pénal à y porter atteinte par quelque moyen que ce soit : attouche-
ments ou vol d’objets dont la dépouille serait encore porteuse, nécrophilie aussi
bien qu’expérimentations ou prélèvements intempestifs d’organes. L’incrimination
dépasse donc le simple outrage au cadavre. Il n’est même pas nécessaire d’attendre
que le corps soit inhumé pour que s’applique l’incrimination : le corps du défunt est
désormais protégé en lui-même, indépendamment de tout apprêt funéraire. L’atteinte
pourrait donc être constatée alors que le corps vient d’arriver à la morgue ou se trouve
encore exposé aux yeux de tous à l’endroit du décès. La jurisprudence récente révèle
néanmoins des pratiques plus tardives. L’infraction a ainsi été déclarée constituée
contre des fossoyeurs auxquels il était reproché de « sauter sur des cercueils ou [de] les
forcer avec un instrument, pour y prendre des bijoux ou des dents en or 2 ». L’infraction

1. L’article 3, Conv. EDH n’est pas applicable en cas de profanation d’une dépouille (V. CEDH, 27
fév. 2007, Akpınar et Altun c/ Turquie, § 82). En revanche, les proches auquel le corps mutilé est
remis peuvent invoquer ce texte.
2. Crim. 25 oct. 2000, B n° 318 ; JCP 2001, II, 10566, note P. Mistretta ; D 2001, p. 1052, note
Th. Garé.

9782340-014015_001_DroitPenalSpecial3_CM_EP3_744.indd 23 07/07/16 14:51


Retrouver ce titre sur Numilog.com
24 Première partie. Les atteintes portées à l’ intégrité physique de la personne

fut également reprochée à des individus qui avaient exhumé le cadavre d’une jeune
fille pour prendre des clichés indécents1.

41. Monuments — Mais l’atteinte peut résulter aussi de la destruction du lieu où le


corps du défunt a été déposé (y compris après incinération : urne), enterré (sépulture)
ou non (tombeau). La protection semble même s’étendre aux monuments aux morts
qui ne comportent pas de sépulture véritable. Les actes reprochés sont, ici, plus préci-
sément désignés : à l’atteinte succède la violation et la profanation. Sont cités là deux
moyens de réaliser une atteinte. Ils peuvent néanmoins être largement appréhendés
(là aussi, « par quelque moyen que ce soit »).
La « violation » est constituée en cas de bris de cercueil ou d’une pierre tombale.
Elle peut résulter également d’une simple dégradation (éclats, inscriptions, dessins,
etc.2). Une atteinte superficielle à la sépulture suffit. Il n’est pas nécessaire, pour que
l’infraction soit constituée, qu’il y ait atteinte au cercueil et a fortiori au cadavre (c’est
une circonstance aggravante : V. infra, n° 46). Dans cette logique, on a longtemps
enseigné qu’il faut qu’existent des violences ou une voie de fait : de simples paroles ne
suffiraient pas ; elles pourraient au mieux constituer une diffamation ou une injure
envers la mémoire du mort (L 29 juill. 1881, article 34). En réalité, la façon de com-
mettre l’atteinte importe moins que son résultat : c’est l’absence de résultat tangible
qui exclut ce genre de propos du champ de l’incrimination.
La « profanation » s’entend, quant à elle, de tout acte affectant la dimension
sacrée du lieu ou des objets qui s’y trouve : c’est pénétrer sans autorisation dans un
lieu consacré et, éventuellement, s’y attaquer à des symboles religieux.

b. La perception par l’agent de son acte

42. Intention — En toute hypothèse, l’infraction n’est constituée que si l’agent a


eu conscience de porter atteinte au respect dû aux morts. Il n’en va pas ainsi lorsque,
à la suite d’une erreur, un corps est déterré avec une pelleteuse mécanique devant
accomplir des travaux de terrassement3. L’infraction ne serait pas davantage constituée
s’il était reproché à un agent des pompes funèbres d’avoir exhumé un corps pour le
déplacer d’un caveau provisoire à sa sépulture définitive. A fortiori, l’infraction dis-
paraît lorsque le caveau est ouvert et le corps exhumé sur décision de justice à des fins
d’autopsie4. Mais il est sans doute plus exact de voir dans cette dernière hypothèse
une justification de l’infraction par l’exécution du commandement d’une autorité
légitime (C. pén., art. 122-4).

1. TGI Paris, 27 oct. 1998, D 1999, p. 511, note X. Labbée.


2. V. s’agissant de fleurs arrachées sur une tombe : Crim. 8 févr. 1977, B n° 52.
3. Crim. 3 avril 1997, DP 1997, n° 122, obs. M. Véron.
4. V. aussi, s’agissant de membres d’une famille s’opposant à la dispersion des cendres d’un défunt,
non par manque de respect mais pour honorer sa mémoire : CA Pau, 24 févr. 2005, JCP 2005, IV,
3041.

9782340-014015_001_DroitPenalSpecial3_CM_EP3_744.indd 24 07/07/16 14:51


Retrouver ce titre sur Numilog.com
Chapitre 1. Les atteintes mortelles 25

2. Répression

43. — Elle varie suivant que l’infraction a été commise avec ou sans mobile discri-
minatoire.

a. L’ infraction sans mobile discriminatoire

44. Pénalités — Les deux comportements définis ci-dessus sont punis d’un an
d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende. Ces peines sont doublées lorsqu’il y a
eu à la fois atteinte à l’intégrité du cadavre et violation du tombeau ou de la sépulture
(art. 225-17, al. 3).
L’application d’aucune peine complémentaire n’est envisagée. La tentative n’est
pas déclarée punissable.

45. Justification — L’autorisation de la loi (art. 122-4) justifie les dissections pratiquées
par un médecin légiste (CPP, art. 74 et 81) et les prélèvements d’organes pratiqués
conformément aux articles L 1232-1 et s. CSP.

b. L’ infraction aggravée par un mobile discriminatoire

46. Pénalités — Dès l’adoption du Code actuel, les peines ont été portées à 3 ans
d’emprisonnement et 45 000 € d’amende lorsque l’un ou l’autre des comportements
décrits ci-dessus sont commis « à raison de l’appartenance ou de la non-appartenance,
vraie ou supposée, des personnes décédées à une ethnie, une nation, une race ou une religion
déterminée ». Ces peines ont même été portées à 5 ans d’emprisonnement et 75 000 €
d’amende lorsque les deux comportements sont accomplis ensemble avec un mobile
discriminatoire.

47. Procédure — La preuve de ce mobile ne peut résulter de la seule appartenance de


la personne décédée à une race ou religion déterminée. Une telle preuve s’infère, en
revanche, des inscriptions ou graffitis laissés sur place, voire du caractère systématique
de la profanation de certaines sépultures.
Les associations de défense des intérêts moraux et de l’honneur des anciens
combattants et victimes de guerre peuvent exercer les droits reconnus à la partie civile
à ce titre (CPP, art. 2-11).

Section 2
Les homicides volontaires_________________________

48. — Il existe deux catégories de comportement à l’occasion desquelles un individu


agit dans le but de donner la mort à autrui. La première catégorie correspond au
meurtre, la seconde à l’empoisonnement.

9782340-014015_001_DroitPenalSpecial3_CM_EP3_744.indd 25 07/07/16 14:51


Retrouver ce titre sur Numilog.com
26 Première partie. Les atteintes portées à l’ intégrité physique de la personne

I. Le meurtre

49. — Infraction gravissime, le meurtre a particulièrement retenu l’attention du


législateur : si sa définition est relativement aisée, sa répression s’avère complexe.

A. Définition du meurtre
50. — L’article 221-1, C. pén. définit le meurtre comme « le fait de donner volontai-
rement la mort à autrui ». Une telle définition laisse apparaître tant l’élément matériel
que l’élément moral de ce crime.

1. L’acte accompli par l’agent

51. — C’est toute action violente exercée sur autrui afin de provoquer une mort
certaine. Envisageons les deux termes de cette définition.

a. Le comportement meurtrier

52. Formes — L’article 221-1 ne précise pas la forme que doit revêtir le comportement
meurtrier. Néanmoins, parce qu’il s’agit de « donner » la mort, on considère que le
meurtre constitue nécessairement une infraction de commission car la formule évoque
un acte positif. Une abstention mortelle ne saurait être sanctionnée à ce titre : il y a,
au mieux, non-assistance à personne en péril (art. 223-6, al. 2) ou mise en péril d’un
mineur (art. 227-161).
En revanche, tout acte positif peut être pris en compte, le texte d’incrimination
ne précisant pas les moyens à utiliser pour donner la mort. Le meurtre peut donc être
réalisé par étranglement, coups portés à main nue ou par l’intermédiaire d’un objet
transformé en arme… La nécessaire distinction du meurtre et de l’empoisonnement
conduit, tout au plus, à exclure du champ d’application de ce premier crime l’admi-
nistration d’une substance mortelle qui caractérise le second.
Ajoutons que, faute de précision en sens contraire, l’acte n’a pas à être mortel par
nature : la qualification de meurtre peut être retenue à raison d’un acte simplement
violent accompli en sachant qu’il provoquera la mort de la victime compte tenu de
prédispositions connues de l’agent (allergies, not.). La jurisprudence admet aussi qu’un
meurtre puisse résulter d’une succession d’actes violents réalisés dans le but de donner
la mort à autrui2. À la différence de sa consommation, l’exécution de ce crime peut
donc s’inscrire dans le temps3.

1. La question pourrait néanmoins se discuter, compte tenu de l’imprécision du texte d’incrimina-


tion, dans l’hypothèse d’une abstention impliquant non la simple conscience du danger mais la
volonté de tuer (V. M. Benillouche et J.-Y. Maréchal, Leçons de droit pénal spécial, Ellipses, coll.
« Examens », 2011, p. 30).
2. Crim. 9 juin 1977, B n° 5. – 13 mai 1965, B n° 139.
3. V. aussi, mais dans une hypothèse contestable : Crim. 8 juill. 2015, JCP 2015, 1064, note P.-J.
Delage ; GP 1-3 nov. 2015, p. 31, obs. E. Dreyer.

9782340-014015_001_DroitPenalSpecial3_CM_EP3_744.indd 26 07/07/16 14:51


Retrouver ce titre sur Numilog.com
Chapitre 1. Les atteintes mortelles 27

53. — Mais il est essentiel qu’un tel comportement ait produit le résultat visé au
texte : la mort d’autrui.

b. Le résultat meurtrier

54. Décès — Pour qu’il y ait meurtre, le comportement violent doit avoir provoqué
la mort. Ce résultat doit avoir été atteint. Sa réalité et son origine – lien de causalité –
ne doivent prêter à aucune discussion. Il s’agit en effet d’une infraction matérielle qui
suppose rapportée la preuve de l’obtention d’un tel résultat. Elle est consommée au
jour où il est atteint1.
Peu importe que la victime n’ait pu être identifiée, son corps étant méconnaissable
(carbonisé) ou n’ayant jamais été retrouvé (jeté à la mer).

55. — Toutefois, le fait de donner la mort à autrui ne suffit pas à caractériser un


meurtre. À cet élément matériel s’ajoute un élément moral essentiel.

2. La perception par l’agent de son acte

56. — Le meurtre suppose que l’agent ait eu l’intention de donner à autrui la mort au
moment de son acte. Il convient de s’interroger sur la consistance de cette intention
et sur sa preuve.

a. La consistance de l’ intention

57. Dol spécial — Selon l’approche classique, l’intention homicide superpose un


dol spécial au dol général. Elle implique la conscience de porter des coups suscep-
tibles de provoquer la mort mais aussi la volonté de tuer. On parle d’animus necandi.
Ce dédoublement présente un intérêt surtout pédagogique. Il permet d’insister sur
l’importance de la volonté de tuer autrui qui sert à distinguer le meurtre de l’homicide
involontaire (art. 221-6) ainsi que des coups ayant entraîné la mort sans intention
de la donner (art. 221-7). Mais, pour rendre au concept de dol son unité, il est sans
doute plus exact de dire que l’agent doit avoir recherché l’acte accompli dans toutes
ses dimensions, y compris son résultat.
En revanche, peu importe que l’agent n’ait pas connu sa victime ou se soit mépris
sur son identité2. Pour établir l’intention de tuer, il suffit de démontrer que l’agent
avait conscience de donner la mort à autrui3.

58. Mobiles — Bien entendu, le mobile est indifférent : il n’efface pas l’intention
homicide et ne peut servir de fait justificatif. Peu importe que l’acte ait été dicté par
la vengeance, la jalousie, l’intérêt ou la pitié.

1. Crim. 16 oct. 2013, B n° 192 ; JCP 2013, 1309, note S. Detraz ; D. 2013, p. 2673, note Y. Mayaud.
2. V. pour le fait de tirer à l’aveuglette contre un groupe de personnes : Crim. 10 avril 1975, B n° 90.
3 Conscience absente si le tir est accidentel : Crim. 6 juin 2012, GP 26-27 oct. 2012, p. 34, obs.
E. Dreyer.

9782340-014015_001_DroitPenalSpecial3_CM_EP3_744.indd 27 07/07/16 14:51


Retrouver ce titre sur Numilog.com
28 Première partie. Les atteintes portées à l’ intégrité physique de la personne

Peu importe également le consentement de la victime : il ne fait pas disparaître


l’intention de donner la mort1. Quant au souci de « rendre service », il n’est lui-même
qu’un mobile indifférent car le meurtre est d’abord réprimé dans l’intérêt de la société
et ensuite seulement dans l’intérêt de la victime ou de sa famille. La question se pose
néanmoins lorsque la victime a accepté de se battre en duel ou lorsqu’elle a demandé
qu’on lui donne la mort pour abréger ses souffrances2. L’indulgence des cours d’assises
dans ces deux cas ne peut s’exprimer qu’en termes de sanction car il y a nécessairement
infraction à donner la mort à autrui.

b. La preuve de l’ intention

59. Déductions — L’intention de tuer est une donnée purement psychologique


difficile à établir. En l’absence d’aveu, elle ne peut être déduite que des circonstances
dans lesquelles l’acte a été commis3. Les magistrats raisonnent à partir d’indices :
l’utilisation d’une arme dangereuse, la force des coups et la région vitale du corps de
la victime où ils ont été portés font présumer que l’agent a volontairement donné la
mort à autrui4. L’acte ne peut guère avoir d’autre explication. Néanmoins, il importe
que cette présomption de fait reste une présomption simple toujours susceptible d’être
combattue par la preuve contraire5.
Celle-ci n’entraînera pas nécessairement l’impunité du coupable mais elle peut
conduire à lui appliquer une qualification moins grave. Ainsi, doit seulement être
condamné pour violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner un
individu qui « a porté des coups et fait heurter violemment à plusieurs reprises la tête de
sa femme sur une surface dure » dès lors qu’il est parvenu à convaincre ses juges que
« cet élément reste en soi insuffisant pour caractériser une intention homicide6 ».
Bien entendu, cette intention doit être caractérisée au moment même de l’acte.

B. Répression du meurtre

60. — Pour les personnes physiques, la répression du meurtre varie suivant que l’on
considère l’infraction simple ou ses formes aggravées. Pour les personnes morales, la
répression est au contraire la même dans ces différentes hypothèses (art. 221-5-2). Les
personnes morales déclarées coupables de meurtre encourent l’amende de 1 M€ prévue
à l’article 131-38, al. 2 ainsi que l’ensemble des peines de l’article 131-39, C. pén.

1. De façon dogmatique, la solution s’expliquerait par le fait que la vie est une valeur indisponible
(donnée par Dieu ; due à l’État). De façon pragmatique, la solution s’explique plus simplement : le
législateur présume qu’autrui veut vivre. Pour éviter la justification abusive d’actes homicides, cette
présomption est tenue pour irréfragable (Comp. X. Pin, « Le consentement à lésion de soi-même
en droit pénal », Droits 2009, t. 49, p. 83).
2. Hypothèse de l’euthanasie. – V. CA Toulouse, 9 août 1973, D 1974, p. 452.
3. La Cour de cassation admet qu’il résulte de certains faits « une présomption sérieuse d’un fait crimi-
nel » : Crim. 2 oct. 1996, B n° 342 ; RSC 1997, p. 108, obs. Y.Mayaud.
4. Crim. 6 janv. 1993, DP 1993, n° 103, obs. M. Véron. – 18 juin 1991, DP 1991, n° 277, obs. M. Véron.
– 9 janv. 1990, B n° 15 ; RSC 1990, p. 337, obs. G.Levasseur.
5. Crim. 8 janv. 1991, B n° 14 ; D 1992, p. 115, note R. Croisier-Nerac. – déduisant de la forme des
coups l’absence d’intention de tuer.
6. Crim. 23 août 2006, DP 2006, n° 151, obs. M. Véron.

9782340-014015_001_DroitPenalSpecial3_CM_EP3_744.indd 28 07/07/16 14:51


Retrouver ce titre sur Numilog.com
Chapitre 1. Les atteintes mortelles 29

1. La répression du meurtre simple

61. Pénalités — Selon l’article 221-1, le meurtre simple est puni d’une peine de 30 ans
de réclusion criminelle. Le prononcé d’une période de sûreté est facultatif pour le
juge (C. pén., art. 132-23, al. 3), faute d’avoir été prévu par le texte d’incrimination
lorsqu’une peine égale ou supérieure à 10 ans est prononcée1. Rappelons que le prononcé
de cette période de sûreté empêche le condamné incarcéré de bénéficier des mesures
de faveur ouvertes dans le cadre du régime pénitentiaire commun : suspension ou
fractionnement de la peine, placement à l’extérieur, permission de sortir, semi-liberté,
liberté conditionnelle.

62. Autres — À cette peine principale s’ajoute une très longue liste de peines com-
plémentaires. En vertu de l’article 221-8 (I), le juge peut notamment prononcer :
l’interdiction d’exercer la fonction ou l’activité à l’occasion de laquelle l’infraction a
été commise ; l’interdiction de détenir ou de porter une arme soumise à autorisation ;
la confiscation d’une arme ou d’un véhicule ; le retrait du permis de chasser ; la suspen-
sion ou même l’annulation du permis de conduire ; l’obligation d’accomplir un stage
de sensibilisation aux dangers de l’usage de produits stupéfiants, etc. L’interdiction
de détenir ou porter une arme, la confiscation de celle-ci et le retrait du permis de
chasse sont même obligatoires, sauf décision spécialement motivée en considération
des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur (II). En vertu de
l’article 221-9, le juge peut également prononcer l’interdiction des droits civiques, civils
et de famille, la confiscation d’objets dangereux ou nuisibles ainsi qu’une interdiction
d’exercer et l’interdiction de séjour. En vertu de l’article 221-11, une interdiction du
territoire français, à titre définitif ou pour une durée de 10 ans au plus, peut également
être infligée au meurtrier étranger. Enfin, le suivi socio-judiciaire est applicable à tout
homicide volontaire (art. 221-9-1).

63. Sanction civile — Par ailleurs, l’article 726, C. civ. déclare indigne de succéder
« celui qui est condamné, comme auteur ou complice, à une peine criminelle pour avoir
volontairement donné ou tenté de donner la mort au défunt ». L’indignité est facultative si
seule une peine correctionnelle a été prononcée (art. 727). La juridiction de Strasbourg
admet le principe d’une telle indignité, y compris en l’absence de condamnation, à
raison du décès du meurtrier au cours de la procédure, dès lors que les faits sont établis2.

2. La répression des autres formes de meurtre

64. — Le meurtre donne lieu à une répression complexe qui témoigne de la volonté
du législateur d’aggraver les sanctions encourues suivant la forme prise par le meurtre.
Une aggravation peut ainsi être envisagée soit à raison de la qualité de la victime, soit

1. Pour les inscriptions au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou
violentes ainsi qu’au fichier national automatisé des empreintes génétiques, V. CPP, art. 706-53-1
et 706-54.
2. CEDH, 1er déc. 2009, Velcea et Mazăre c/ Roumanie, § 133.

9782340-014015_001_DroitPenalSpecial3_CM_EP3_744.indd 29 07/07/16 14:51


Retrouver ce titre sur Numilog.com
30 Première partie. Les atteintes portées à l’ intégrité physique de la personne

à raison de l’existence d’autres infractions en concours, soit à raison de l’état d’esprit


du meurtrier. En revanche, la qualité d’ascendant n’aggrave pas l’acte1.
Envisageons successivement ces trois causes d’aggravation.

a. L’aggravation tenant à la qualité de la victime

65. Présentation — L’article 221-4, C.pén. porte la réclusion criminelle à la perpétuité


assortie, éventuellement, d’une période de sûreté de plein droit – de 18 ans pouvant
être portée à 22 ans sur décision spéciale de la cour d’assises – lorsque le meurtre est
commis sur une personne relevant de l’une des catégories qu’il énumère2. Les prin-
cipales seront évoquées ci-après.

66. Victime — La réclusion criminelle à perpétuité s’applique ainsi au meurtre


commis sur un mineur de 15 ans, c’est-à-dire sur un enfant qui n’avait pas atteint son
quinzième anniversaire au moment où la mort lui a été donné. L’âge de la victime
est érigé ici en circonstance aggravante afin de compenser la disparition, en 1992, de
l’infraction autonome d’infanticide. Pour la doctrine classique, cet âge peut être pris
en compte de façon objective, c’est-à-dire sans qu’il soit nécessaire de démontrer que
l’auteur ou le complice du meurtre en avait connaissance3.
Est également puni de la réclusion criminelle à perpétuité, le meurtre sur un
ascendant légitime ou naturel ou sur des père et mère adoptifs. Cette circonstance
aggravante compense, pour sa part, la disparition de l’incrimination spécifique du
parricide. Elle est conçue de façon limitative. L’aggravation ne peut être appliquée au
meurtre d’autres membres de la famille (frères et sœurs). Néanmoins, dans le souci de
mieux lutter contre les violences conjugales, l’aggravation a été étendue à l’hypothèse
où le meurtre a été commis sur un conjoint, concubin ou partenaire à un pacte civil de
solidarité4. A priori, cette circonstance est également appréciée de manière objective,
ce qui paraît aussi contestable que dans l’hypothèse précédente5.
Enfin, la réclusion criminelle à perpétuité s’applique encore lorsque la victime était
une personne rendue particulièrement vulnérable compte tenu de son âge, de sa maladie,
d’une infirmité, d’une déficience physique ou psychique ou de son état de grossesse.
La prise en compte de l’âge à ce titre permet d’assurer une protection complémentaire
aux mineurs de plus de 15 ans ainsi qu’à d’autres personnes dont la vulnérabilité est
particulière, c’est-à-dire clairement identifiable par un meurtrier qui en a profité. Car,

1. S’agit-il toujours de ne pas fragiliser l’autorité de celui qui exerce le droit de correction au sein de la
famille ? On peut en douter car la qualité d’ascendant est une circonstance aggravante des violences
commises sur mineur de 15 ans (art. 222-3, – 8, – 10, – 12 et – 13). C’est plus sûrement un oubli.
2. Le cumul de certaines circonstances aggravantes peut amener la cour d’assises à porter cette période
de sûreté à 30 ans, voire à la déclarer perpétuelle (art. 221-4, in fine. – V. infra, n° 75).
3. J. Francillon, Code pénal commenté, Dalloz, 1996, p. 150.
4. Et, par extension, à l’ancien conjoint, concubin ou partenaire « dès lors que l’ infraction est commise en
raison des relations ayant existé entre l’auteur des faits et la victime » (art. 132-80, al. 2). Peu importe
l’écoulement du temps si le ressentiment existe toujours (Crim. 12 oct. 2011, B n° 210 ; DP 2012,
n° 15, obs. M. Véron)…
5. Peu importe, à cet égard, l’obligation de protection mise à la charge des États par la juridiction de
Strasbourg (V. imposant la prévention de violences domestiques : CEDH, 9 juin 2009, Opuz c/
Turquie, § 128).

9782340-014015_001_DroitPenalSpecial3_CM_EP3_744.indd 30 07/07/16 14:51


Retrouver ce titre sur Numilog.com
Chapitre 1. Les atteintes mortelles 31

à la différence des circonstances précédentes, celle-ci donne lieu à une appréciation


subjective : cette vulnérabilité devait être « apparente ou connue » de l’auteur de l’acte.

67. Mobiles — La réclusion criminelle à perpétuité s’applique également lorsque le


meurtrier a agi à raison de l’appartenance vraie ou supposée de la victime à une ethnie,
une nation, une race, une religion, une orientation ou identité sexuelle déterminée.
Le mobile discriminatoire est alors exceptionnellement pris en compte pour aggraver
la répression1.
L’aggravation s’applique de même lorsque le meurtre a été commis contre une
personne « en raison de son refus de contracter un mariage ou de conclure une union ».
Il s’agit, à l’inverse, de lutter contre le repli communautaire pouvant exister dans
certaines catégories de population d’origine étrangère2.

68. Symboles — Est encore érigé en circonstance aggravante, le fait que le meurtre
a été commis sur certaines personnes à raison de leurs fonctions, notamment les
magistrats, témoins, jurés, policiers, officiers publics ou ministériels, les préposés
des transports publics de voyageurs et certains gardiens d’immeubles. Idem en cas
de meurtre commis sur un enseignant ou un professionnel de santé dans l’exercice
ou du fait de ses fonctions. Pour dissuader les règlements de compte, le législateur a
même prévu que l’aggravation s’applique aussi lorsque le meurtre a été commis « sur le
conjoint, les ascendants et les descendants en ligne directe [de ces agents] », ou sur toute
autre personne vivant habituellement à leur domicile lorsqu’elles sont visées « en raison
des fonctions exercées par ces [agents] ». Le meurtrier doit être sanctionné aussi sévère-
ment lorsqu’il s’attaque, en connaissance de cause, aux représentants de l’autorité que
lorsqu’il s’en prend à leurs proches. On admettra néanmoins que, dans cette dernière
hypothèse, l’autorité de l’État n’est plus directement en cause, ce qui a été contesté3.

69. — L’aggravation s’applique enfin lorsque le meurtre a été commis par plusieurs
personnes agissant en bande organisée au sens de l’article 132-71, C. pén (« tout
groupement formé ou toute entente établie en vue de la préparation, caractérisée par
un ou plusieurs faits matériels, d’une ou de plusieurs infractions »). Les règles propres à
l’enquête, la poursuite, l’instruction et le jugement de la criminalité organisée sont
alors applicables (CPP, art. 706-73).

b. L’aggravation tenant à l’existence d’ infractions en concours

70. Présentation — L’article 221-2 érige en circonstance aggravante du meurtre


le fait que celui-ci a été précédé, accompagné ou suivi par un autre crime. Comme

1. Il s’agirait d’une circonstance aggravante mixte qui se communique aux coauteurs et complices
(V. Crim. 16 déc. 2014, GP 22-24 fév. 2014, p. 31, obs. S.Detraz).
2. Lorsqu’un tel meurtre est commis à l’étranger contre une personne résidant habituellement en
France, la loi française est applicable indépendamment des restrictions mises en principe à sa
compétence personnelle passive (art. 221-5-4).
3 F. Ghelfi, « La protection pénale du fonctionnaire victime », in Fonctionnaires et droit pénal,
l’Harmattan, 2015, p. 59.

9782340-014015_001_DroitPenalSpecial3_CM_EP3_744.indd 31 07/07/16 14:51


Retrouver ce titre sur Numilog.com
32 Première partie. Les atteintes portées à l’ intégrité physique de la personne

dans les hypothèses précédentes, le meurtre est alors puni de la réclusion criminelle à
perpétuité éventuellement assortie d’une période de sûreté de plein droit de 18, voire
22 ans (C.pén., art. 132-23, al. 1 et 2). Il en va de même lorsqu’un meurtre a été
commis soit pour préparer ou faciliter un délit, soit pour favoriser la fuite ou assurer
l’impunité de l’auteur ou du complice d’un délit. Peu importe que ces infractions
en concours aient été consommées ou simplement tentées, dans les hypothèses où
la tentative est punissable1. La Cour de cassation y voit une circonstance aggravante
réelle, qui s’attache à la matérialité du meurtre et ne peut exister, en cas de pluralité
d’auteurs, à l’égard de l’un sans exister également à l’égard des autres2.
Il s’agit d’échapper au plafonnement de la répression applicable au concours réel
d’infractions (art. 132-3). Les conditions de cette aggravation ne sont toutefois pas
les mêmes suivant que le meurtre est doublé d’un crime ou d’un délit. L’article 221-2
distingue les deux hypothèses.

71. Autre crime — L’hypothèse d’un meurtre commis en concours avec un autre
crime est entendue largement. L’aggravation a lieu que le meurtre ait été précédé,
accompagné ou suivi de cet autre crime. Elle sanctionne la persistance de son auteur
à agir de façon criminelle. Elle s’applique notamment lorsque l’auteur d’un viol ou
de tortures et actes de barbarie tue ensuite sa victime3. Dans cette hypothèse, la
procédure propre aux infractions de nature sexuelle prévue aux articles 706-47 et s.
(CPP) est applicable.
Il n’est pas nécessaire que les deux crimes résultent d’un plan concerté. Ils doivent
tout au plus être concomitants4. Il suffit qu’ils procèdent d’un même enchaînement
de faits excluant toute autonomie entre eux. A priori, l’un et l’autre peuvent n’avoir
été que tentés.
Peu importe enfin la participation de l’agent à ces différents crimes : peu importe
que sa responsabilité pénale soit engagée en qualité d’auteur ou complice dès lors
qu’elle l’est dans les deux cas5.

72. Délit en concours — L’aggravation de la répression est, en revanche, plus limitée


lorsque le meurtre s’accompagne d’un délit. Elle n’est envisageable que dans deux
hypothèses : i) si le meurtre a eu pour objet de préparer ou de faciliter un délit ; ii) ou
si le meurtre a eu pour but de favoriser la fuite ou d’assurer l’impunité de l’auteur ou
du complice de ce délit.

1. Crim. 12 juill. 1982, B n° 190 ; RSC 1983, p. 261, obs. G.Levasseur.


2. V. estimant, au sujet de la concomitance d’un crime avec un autre crime, qu’une telle circonstance
aggravante doit faire l’objet d’une question unique qui peut être exprimée in abstracto : Crim. 28
oct. 1992, B n° 347. – Mais une opinion différente pourrait être retenue au sujet de la corrélation
du crime avec un délit qui, tenant au mobile de l’agent, semble personnelle (E. Garçon, Code pénal
annoté, Rec. gén. lois et arrêts, 1901-1906, ss. art. 304, p. 727, n° 64).
3. Crim. 13 sept. 1986, GP 1987, Somm. p. 102, note J.-P. Doucet.
4. C’est-à-dire commis « dans le même temps » : Crim. 14 janv. 1954, B n° 14.
5. Il est nécessaire que lui-même ou l’un de ses coauteurs ou complices ait commis le crime conco-
mitant pour que l’aggravation s’applique : ce crime ne peut être constaté sans être attribué à l’un
d’eux (V. Crim. 26 fév. 2014, B n° 58 ; GP 11-13 mai 2014, p. 32, obs. S.Detraz).

9782340-014015_001_DroitPenalSpecial3_CM_EP3_744.indd 32 07/07/16 14:51


Retrouver ce titre sur Numilog.com
Chapitre 1. Les atteintes mortelles 33

Le meurtre doit donc avoir présenté une utilité par rapport à la réalisation du délit
(et non l’inverse). Cette utilité s’apprécie sur le plan tant matériel que moral. Maté-
riellement, un véritable lien de connexité doit exister entre les deux infractions
qui, à la différence de l’hypothèse précédente, ne doivent pas seulement coexister
mais s’inscrire dans un plan d’ensemble. Peu importe l’ordre dans lequel elles sont
commises : la circonstance aggravante s’applique que le meurtre du concierge ait été
commis avant le vol pour faciliter celui-ci ou après le vol pour protéger la fuite de son
auteur. Moralement, le juge doit également établir le mobile de l’auteur du meurtre
qui a agi dans un but déterminé1.
Une ultime question se pose au regard de la lettre de l’article 221-2, al. 2 : l’auteur
du meurtre assume‑t‑il nécessairement une responsabilité dans le délit ainsi perpétré?
In fine, le texte d’aggravation ne semble pas l’exiger. Il paraît néanmoins contestable
d’aggraver la responsabilité d’un meurtrier à raison d’un délit auquel il n’a pris aucune
part. La logique semble être, encore une fois, celle d’un cumul juridique d’infractions.

c. L’aggravation tenant à la préméditation ou au guet-apens

73. Définition — Selon l’article 221-3, C. pén. « le meurtre commis avec prémédita-
tion ou guet-apens constitue un assassinat ». La préméditation est par ailleurs définie
comme étant « le dessein formé avant l’action » (art. 132-72) ; le guet-apens consiste,
lui, à « attendre un certain temps une ou plusieurs personnes dans un lieu déterminé pour
commettre à leur encontre une ou plusieurs infractions » (art. 132-71-1). A priori, le guet-
apens implique la préméditation2.
Pour qu’il y ait assassinat, il ne suffit pas que l’intention homicide ait existé
au moment de l’acte ; elle doit s’être forgée avant. Sans le préciser, la loi exige qu’un
intervalle de temps sépare la décision de tuer du passage à l’acte. Elle suppose ainsi
l’exécution d’un acte de sang-froid, réfléchi. La gravité de l’assassinat tient au fait qu’il
a été commis dans le calme et non sous l’empire de la passion ou de la colère : l’agent
a persisté dans sa mauvaise intention. Toutefois, il peut y avoir préméditation même
si le dessein formé à l’avance ne concernait pas un individu déterminé. Se rend ainsi
coupable d’assassinat le mari qui, animé de soupçons, surprend l’amant de sa femme
et le tue sans connaître pour autant son identité3.
Il s’agit d’une circonstance aggravante morale : s’il y a pluralité d’accusés, cette
circonstance, personnelle à l’un d’eux, ne se communique pas aux autres4.

74. Preuve — En pratique, la preuve directe de la préméditation s’avère difficile à


rapporter. Aussi, la Cour de cassation admet-elle que le dessein formé avant l’action
peut résulter d’indices issus des circonstances de l’acte. La préméditation se déduit

1. A. d’Hauteville, « La gradation des fautes pénales en matière d’atteinte à la vie et à l’intégrité


physique », in Réflexions sur le nouveau Code pénal, Pédone, 1995, p. 36.
2. Une Cour d’assise ne peut donc retenir l’une de ces circonstances aggravantes et exclure l’autre
(Crim. 22 févr. 1989, B n° 89 ; RSC 1989, p. 737, obs. G.Levasseur).
3. Crim. 21 oct. 1998, B n° 269.
4. Crim. 14 avril 1999, B n °81. – 30 oct. 1996, B n° 384.

9782340-014015_001_DroitPenalSpecial3_CM_EP3_744.indd 33 07/07/16 14:51


Retrouver ce titre sur Numilog.com
34 Première partie. Les atteintes portées à l’ intégrité physique de la personne

par ex. du fait d’avoir acheté arme et munitions dans le but de tuer ou de la profération
de menaces de mort quelques heures avant le passage à l’acte.

75. Pénalités — Lorsqu’il est ainsi constitué, l’assassinat est puni de la réclusion
criminelle à perpétuité assortie éventuellement d’une période de sûreté de plein droit
de 18 ans (ou 22 ans sur décision spéciale de la cour d’assises).
Mais il existe deux hypothèses dans lesquelles la répression de l’assassinat se
trouve encore aggravée. La première hypothèse suppose la réunion de deux condi-
tions : la victime devait être mineure de 15 ans au moment des faits et son assassinat
doit avoir été précédé ou accompagné d’un viol, de tortures ou d’actes de barbarie.
La seconde hypothèse suppose un assassinat commis « sur un magistrat, un fonction-
naire de la police nationale, un militaire de la gendarmerie, un membre du personnel de
l’administration pénitentiaire ou toute autre personne dépositaire de l’autorité publique,
à l’occasion de l’exercice ou en raison de ses fonctions ». La cour d’assises peut alors par
décision spéciale : soit porter la période de sûreté à 30 ans (art. 221-3 al. 2) ; soit la
rendre perpétuelle1. Ainsi aggravé, l’assassinat est l’une des infractions pour laquelle
notre Code pénal fulmine les peines principales les plus sévères2. La procédure de
l’article 706-47, CPP lui est applicable.
Inversement, la personne qui a seulement tenté de commettre un assassinat et
qui, ayant averti une autorité administrative ou judiciaire, a empêché la mort de la
victime, voire a permis d’identifier ses coauteurs ou complices, est exemptée de peine
(art. 221-5-3, al. 1). Ce qui suppose une exécution interrompue de l’infraction par un
criminel soudain repentant. Il est curieux qu’un tel mécanisme d’exemption ne joue
pas pour les autres formes de meurtre. Il n’y a pas de raison technique à cela car le
repentir est apprécié au stade du commencement d’exécution et non de la réflexion
qui l’a précédé (caractéristique de l’assassinat).

76. Comportements accessoires — Lorsque l’auteur principal renonce à son projet,


son complice ne peut être poursuivi pour l’avoir provoqué : la complicité suppose que
l’infraction ait été à tout le moins tentée. Cependant, l’article 221-5-1, C. pén. punit
de 10 ans d’emprisonnement et 150 000 € d’amende « le fait de faire à une personne des
offres ou des promesses ou de lui proposer des dons, présents ou avantages quelconques afin
qu’elle commette un assassinat ». Dès lors qu’elle est directe, la provocation non suivie
d’effet est ainsi érigée en infraction autonome. On qualifie parfois cette infraction de
« mandat criminel3 ». Mais l’expression est contestable car il n’est pas nécessaire que
la proposition ait été acceptée par l’homme de main qui a finalement renoncé à agir.
En cas d’accord, une autre qualification est d’ailleurs applicable, celle d’association de
malfaiteurs (C. pén., art. 450-1). Ici, la provocation peut être caractérisée sur la base
d’une simple incitation. L’image du « contrat » n’est donc pas bonne. L’instigation est
sanctionnée pour elle-même.

1. Le condamné ne peut bénéficier de mesures de suspension ou fractionnement de sa peine, place-


ment à l’extérieur, permission de sortie ou semi-liberté et liberté conditionnelle… avant 30 ans de
réclusion criminelle car aucune peine n’est réellement incompressible (CPP, art. 720-4).
2. Par ailleurs, le délai de prescription de l’action publique est porté à 20 ans (CPP, art. 7, al. 3).
3. V. not. A. Ponseille, « L’incrimination du mandat criminel », DP 2004, étude 10.

9782340-014015_001_DroitPenalSpecial3_CM_EP3_744.indd 34 07/07/16 14:51


Retrouver ce titre sur Numilog.com
Chapitre 1. Les atteintes mortelles 35

II. L’empoisonnement

77. Rescapée — L’empoisonnement fait peur car le terme même évoque une pratique
sournoise, commise le plus souvent par des proches ou par des personnes en qui la
victime a confiance1. Ajoutant à la peur de mourir la crainte de la trahison, cette
infraction a donc longtemps été punie plus sévèrement que le meurtre ordinaire.
Mais elle inquiète également car il est difficile de s’en prémunir et d’en rapporter
la preuve. En l’absence de cause apparente, il peut être délicat d’apprécier si la mort
d’autrui a été naturelle ou provoquée. On se souvient d’un certain Danval, phar-
macien, qui fut condamné pour avoir empoisonné son épouse en 1879 alors qu’il
clamait son innocence. Ensuite, les progrès de la médecine ont permis d’établir que
l’insuffisance surrénale aiguë, qui avait provoqué le décès de sa femme, correspondait
à une véritable pathologie. Elle était donc morte de maladie tout en présentant les
symptômes habituels d’un empoisonnement à l’arsenic. Finalement, la condamnation
de ce Danval fut révisée2…
Lors de la refonte du Code pénal, en 1992, il fut question de supprimer cette
incrimination au motif que son existence même alimenterait le soupçon et le risque
d’erreur judiciaire. On a prétendu qu’il serait plus simple de voir là un meurtre commis
selon un procédé spécial. Mais l’originalité de ce comportement a justifié le maintien
de son incrimination à titre autonome.

A. Définition de l’empoisonnement

78. — Selon l’article 221-5, C.pén., « le fait d’attenter à la vie d’autrui par l’emploi ou
l’administration de substances de nature à entraîner la mort constitue un empoisonne-
ment ». Ce texte d’incrimination fait nettement apparaître une condition préalable.
On l’évoquera avant d’aborder les éléments constitutifs de l’infraction.

1. La condition préalable : les substances de nature à entraîner la mort

79. Propriétés — L’infraction suppose à titre de condition préalable l’existence d’une


substance mortifère. C’est d’ailleurs l’utilisation de cette substance qui permet de
distinguer matériellement l’empoisonnement du meurtre. Mais le législateur ne l’a
pas définie. Il utilise une périphrase. En parlant de « substance de nature à entraîner la
mort », il évite de lier les juges par l’énoncé d’une liste limitative de substances qu’il
aurait dû mettre à jour régulièrement et que les scientifiques auraient toujours contestée.
Il n’en reste pas moins que la substance doit avoir en elle-même un caractère
mortifère, à défaut de quoi d’autres qualifications sont applicables3. En effet, la mort
doit résulter de l’administration ou de l’emploi d’une telle substance. Peu importe, on

1. L’Ancien-Droit liait empoisonnement et sorcellerie. – V. A. Laingui et A. Lebigre, Histoire du droit


pénal I, Cujas, coll. « Synthèse », 1979, p. 156.
2. Crim. 28 déc. 1923, D 1924.1.66.
3. V. néanmoins : V. Malabat et J.-Ch. Saint-Pau, « Le droit pénal général malade du sang contaminé »,
DP 2004, étude 2, p. 5.

9782340-014015_001_DroitPenalSpecial3_CM_EP3_744.indd 35 07/07/16 14:51


Retrouver ce titre sur Numilog.com
36 Première partie. Les atteintes portées à l’ intégrité physique de la personne

le verra, que la preuve de l’obtention de ce résultat redouté n’ait pas à être démontrée.
En conséquence, la qualification d’administration de substances nuisibles à la santé a
été justement préférée à celle d’empoisonnement dans une affaire où le salarié d’une
usine de retraitement de combustibles nucléaires avait dissimulé sous le siège de son
chef des embouts radioactifs exposant celui-ci à une irradiation prolongée affectant
sa santé1. Le système nerveux de la victime a été détruit mais, la substance n’étant pas
de nature à provoquer directement la mort, la qualification d’empoisonnement n’a pu
être retenue. Il fut jugé de même au sujet de l’inoculation du virus du sida 2. Ce virus
n’est plus nécessairement mortel. Tous les malades ne meurent pas des suites de leur
contamination, de sorte qu’il est plus pertinent de voir là une substance nuisible à la
santé dont l’administration ne constitue pas un crime mais un délit (V. infra, n° 174).

80. Typologie — Il appartient au juge, dans chaque espèce, de déterminer concrè-


tement si la substance employée ou administrée était ou non mortelle.
Peu importe que cette substance présente une origine animale (venin), végétale
(ciguë), minérale (arsenic, réputé « poudre à succession ») ou chimique (anthrax). Peu
importe qu’elle ait une consistance solide, liquide ou gazeuse. Le mot substance
apparaît donc plus général que le terme « poison » utilisé en littérature.
Peu importe également que la substance soit mortifère par nature ou par quantité
(dès lors qu’elle est administrée en quantités suffisantes). À titre d’exemple, la surdose
d’une substance médicamenteuse peut s’avérer mortelle alors que cette substance a une
vocation thérapeutique évidente3. Quid des administrations successives d’une substance
nuisible à la santé dont l’accumulation, dans le corps de la victime, est de nature à
provoquer sa mort (arsenic) ? Prenant en compte l’intention homicide, la jurisprudence
semble analyser ces différents actes comme constitutifs d’un empoisonnement unique4,
solution qui n’est pas à l’abri de toutes critiques au regard du principe de légalité :
elle suppose en effet une pluralité d’actes d’administration et s’appuie sur un résultat
(mort de la victime) qui est seulement la conséquence du dernier d’entre eux. Une telle
infraction ne saurait donc être admise qu’au moment du dernier acte d’administration
accompli en connaissance des précédents et en sachant qu’il serait fatal.
Précisons enfin que ce caractère mortifère s’apprécie in abstracto : indépendam-
ment de la plus ou moins grande résistance de la victime, qui peut difficilement avoir
été prise en compte à l’avance par l’agent5.

2. Le comportement incriminé

81. — L’article 221-5 incrimine « le fait d’attenter à la vie d’autrui par l’emploi ou
l’administration de substances ». Cette définition évoque essentiellement l’élément

1. T. corr. Cherbourg, 31 mars 1981, D 1981, p. 536, note D. Mayer.


2. CA Colmar, 4 janv. 2005, D 2005, p. 1069, note A. Paulin et Crim. 10 janv. 2006, B n° 11 ;
RPDP 2006, p. 401, obs. J.-Ch. Saint-Pau.
3. Crim. 8 juin 1993, B n° 203 ; DP 1993, n° 211, obs. M. Véron.
4. Crim. 5 févr. 1958, B n° 126.
5. A priori, donc, le fait – dans le but de tuer – d’administrer une substance qui, abstraitement, n’est
pas de nature à causer la mort mais qui provoque néanmoins celle-ci à raison de la fragilité avérée
de la victime (allergie connue de l’agent, par ex.) constitue un meurtre et non un empoisonnement.

9782340-014015_001_DroitPenalSpecial3_CM_EP3_744.indd 36 07/07/16 14:51


Retrouver ce titre sur Numilog.com
Chapitre 1. Les atteintes mortelles 37

matériel de l’infraction. Mais il ne saurait faire de doute que le crime d’empoison-


nement comprend un élément intentionnel. Évoquons-le dans ses deux dimensions.

a. L’acte accompli par l’agent

82. Délimitation — Sont en cause l’emploi et l’administration d’une substance


mortifère.
Peu importe qu’ils se réalisent par violence ou tromperie. En revanche, il s’agit
nécessairement d’actes positifs. L’empoisonnement est une infraction de commission :
laisser quelqu’un s’empoisonner tombe, au mieux, sous la qualification de non-assis-
tance à personne en péril.
Peu importe également le mode d’emploi ou d’administration. L’infraction est
constituée lorsqu’est ingurgité un aliment ou une boisson auquel la substance a été
mélangée. Idem lorsqu’elle est inhalée par un vieillard incapable de fuir, inoculée par
piqûre ou perfusion à une victime endormie. En revanche, un tribunal a refusé de
qualifier empoisonnement le fait de mordre jusqu’au sang une personne avec l’intention
de la contaminer par le virus du sida1. Mais c’est sans doute moins l’administration
que le caractère mortifère de la substance qui était alors en cause.

83. Distinction — Il n’est pas aisé de trouver un sens à la distinction de l’emploi et de


l’administration. A priori, l’emploi est un terme large qui peut recouvrir de nombreux
comportements précédant l’administration. Il ne faut toutefois pas en exagérer la portée :
mélanger le poison à un plat, ce n’est pas l’employer. Il s’agit d’un acte préparatoire.
En revanche, présenter ou faire présenter le plat à la victime, c’est employer une subs-
tance mortifère. Et, faire absorber cette substance, c’est l’administrer. Tout se passe
donc comme si, en visant l’emploi avant l’administration, le législateur avait entendu
traiter la tentative d’emprisonnement comme un empoisonnement consommé. Ce
qui n’a pas grand intérêt en matière criminelle au regard de l’assimilation énoncée, de
manière générale, à l’article 121-4, 2°, C. pén. L’enjeu est ailleurs : il apparaît lorsque
les deux actes ont été accomplis par des personnes différentes (s’ils émanent de la
même personne, seul le second incluant le premier peut être retenu). L’individu qui
emploie d’abord et celui qui administre ensuite répondent d’infractions propres : le
premier n’est pas complice du second pour lui avoir fourni les moyens de commettre
l’infraction. Cela évite de laisser impuni l’acte d’emploi à défaut d’administration ;
cela permet également de sanctionner l’emploi alors que l’administration n’est pas
punissable. Il en va ainsi lorsque la substance est présentée à la victime qui, dans
l’ignorance de son caractère mortifère, se l’administre elle-même ; il en va de même
en cas d’administration par un tiers de bonne foi2.

84. Résultat — En toute hypothèse, ces actes d’emploi et d’administration d’une


substance mortifère suffisent à caractériser un empoisonnement.

1. TGI Mulhouse, 6 févr. 1992, D 1992, p. 301, note A. Prothais.


2. Crim. 8 juin 1993, B n° 203 ; DP 1993, n° 211, obs. M. Véron.

9782340-014015_001_DroitPenalSpecial3_CM_EP3_744.indd 37 07/07/16 14:51


Retrouver ce titre sur Numilog.com
38 Première partie. Les atteintes portées à l’ intégrité physique de la personne

Si de tels actes doivent nécessairement occasionner la mort d’autrui, il n’est


pas nécessaire que l’obtention de ce résultat redouté soit établie. L’empoisonnement
constitue en effet une infraction formelle. C’est un comportement qui est incriminé :
il paraît tellement grave que la sanction de son auteur ne doit pas dépendre du point
de savoir si la mort d’autrui a pu être démontrée.
On dit parfois que l’infraction est consommée même si la victime finalement en
réchappe (parce qu’elle a recraché à temps la substance ou parce que les secours ont
réussi à lui administrer un antidote). Mais l’affirmation est trompeuse : elle ne doit pas
être interprétée comme signifiant que la mort d’autrui est étrangère à l’infraction ; il
faut comprendre qu’à partir du moment où la survenance de la mort était certaine, il
importe peu que le décès ait pu être évité par un concours de circonstances échappant
à l’agent. C’est abstraitement que le lien de causalité est envisagé entre l’administration
d’une substance mortelle et le décès d’autrui1.

b. La perception par l’agent de son acte

85. Dol général — La portée de l’élément moral de l’empoisonnement a été discutée.


Bien sûr, comme tout crime, il s’agit d’une infraction intentionnelle. L’empoison-
nement suppose la conscience d’employer ou d’administrer une substance mortifère.
A contrario, il n’y a pas empoisonnement mais simplement homicide involontaire
lorsque l’agent n’avait pas conscience d’employer ou d’administrer une telle subs-
tance. S’il ne s’est pas renseigné sur ses effets exacts, il a tout au plus commis une
négligence ou imprudence. L’infraction ne peut davantage être retenue contre un
pharmacien qui doit réaliser un médicament et qui effectue un mauvais dosage. En
tant que professionnel tenu à une obligation de vérification préalable, il encourra les
sanctions applicables à l’homicide involontaire – si un décès survient par sa faute –
mais pas à l’empoisonnement. Le non-professionnel qui aura fait administrer à autrui
une substance mortifère pourra même plaider l’erreur de fait en s’appuyant sur des
circonstances qui rendent cette erreur vraisemblable (ciguë plutôt que carotte sauvage ;
champignons vénéneux plutôt que comestibles, etc.).
L’empoisonnement suppose donc que l’on ait administré en connaissance de
cause une substance mortifère. Mais, au-delà de ce dol général, l’empoisonnement
suppose‑t‑il que soit établie la volonté de donner la mort au moment de l’administra-
tion ou de l’emploi de la substance ?

86. Dol spécial — L’affaire dite du « Sang contaminé » a semé le doute sur ce point.
Rappelons que, à cette occasion, des médecins, des hauts fonctionnaires et des person-
nalités politiques se sont vus reprocher d’avoir transfusé, ou fait transfuser, au début
des années 1980, des produits sanguins qu’ils savaient infectés par le virus du sida.
Aucun traitement n’existait alors ; les possibilités de détection étaient elles-mêmes
minimes. Des centaines de malades sont morts des suites de leur transfusion. Si le
caractère mortifère des produits sanguins était incontestable, leur administration

1. V. aussi : J.-Ch. Saint-Pau, « Les causalités dans la théorie de l’infraction », in Mél. Robert, LexisNexis,
2012, p. 694.

9782340-014015_001_DroitPenalSpecial3_CM_EP3_744.indd 38 07/07/16 14:51


Retrouver ce titre sur Numilog.com
Chapitre 1. Les atteintes mortelles 39

a‑t‑elle été autorisée et pratiquée en connaissance de cause, de sorte que l’on pouvait
en déduire une intention de tuer ?
Dans un premier volet de l’affaire, le tribunal puis la cour de Paris rejetèrent la
qualification d’empoisonnement pour ne retenir que celle de tromperie. Ils estimèrent
en effet que l’empoisonnement suppose l’intention de donner la mort1. Or, selon eux,
ce dol spécial ne pouvait être établi en l’espèce : les médecins ayant ignoré la contami-
nation des poches de sang servant aux transfusions n’ont pas agi avec l’intention de tuer
leurs patients. La Cour de cassation rejeta le pourvoi formé contre l’arrêt d’appel sans
prendre expressément position sur ce point2. Elle confirma néanmoins cette analyse,
quelques années plus tard, dans un autre volet de l’affaire3. De hauts fonctionnaires
du ministère de la Santé, poursuivis pour complicité d’empoisonnement, venaient
de bénéficier d’un non-lieu pour la même raison. Le pourvoi formé par des parties
civiles contre l’arrêt de chambre de l’instruction fut écarté au motif que « le crime
d’empoisonnement ne peut être caractérisé que si l’auteur a agi avec l’ intention de don-
ner la mort, élément moral commun à l’empoisonnement et aux autres crimes d’atteinte
volontaire à la vie de la personne4 ».

87. Débat — Cette décision n’a pas toujours été bien comprise. On lui a reproché de
confondre le régime d’une infraction formelle (l’empoisonnement) avec celui d’une
infraction matérielle (le meurtre). L’élément moral de ces deux infractions ne pourrait
être commun dès lors qu’il doit coïncider avec leur élément matériel qui, dans un cas,
suppose rapportée la preuve de l’obtention du résultat mortel mais pas dans l’autre.
Autrement dit, l’obtention du résultat mortel serait exigée au titre du meurtre, sur
le plan aussi bien matériel que moral ; en revanche, l’obtention de ce résultat serait
indifférente au titre de l’empoisonnement, aussi bien sur le plan matériel que moral.
En statuant comme elle l’a fait, la Cour de cassation aurait donc modifié la définition
de l’infraction, exigeant un résultat là où seul un comportement est incriminé.
La fausse évidence de cette explication ne saurait abuser. On ne peut soutenir
en effet que le résultat mortel est indifférent à la définition de l’empoisonnement.
Que ce crime soit une infraction formelle signifie seulement que la preuve de la mort
d’autrui n’a pas à être rapportée. Pour autant, un décès est la conséquence inévitable
de l’administration d’une substance mortifère. La dispense de preuve n’empêche
pas l’infraction d’être définie, tant sur le plan matériel que moral, par rapport à ce
résultat redouté5. L’agent doit avoir voulu atteindre ce résultat, indépendamment du

1. TGI Paris, 23 oct. 1992, D 1993, p. 222, note A. Prothais. – CA Paris, 13 juill. 1993, D 1994,
p. 118, note A. Prothais.
2. Crim. 22 juin 1994, B n° 248 ; JCP 1994, II, 22310, note M.-L. Rassat ; D 1995, p. 65, note
A. Prothais.
3. V. rappelant, au-delà des différentes étapes de l’affaire, que l’enjeu de la qualification d’empoi-
sonnement était essentiellement d’échapper au constat de la prescription applicable en matière
correctionnelle : Th. Cassuto, La santé publique en procès, Puf, coll. « Questions judiciaires », 2008,
p. 169.
4. Crim. 18 juin 2003, B n° 34 ; JCP 2003, II, 10121, note M.-L. Rassat ; D 2004, p. 1620, note
D. Rebut.
5. V. aussi : D. Mayer, « La notion de substance mortelle en matière d’empoisonnement », D 1994,
p. 326.

9782340-014015_001_DroitPenalSpecial3_CM_EP3_744.indd 39 07/07/16 14:51


Retrouver ce titre sur Numilog.com
40 Première partie. Les atteintes portées à l’ intégrité physique de la personne

point de savoir, là encore, s’il y est parvenu. En effet, dans les infractions formelles,
comme dans les infractions matérielles, l’intention est nécessairement dirigée vers le
résultat redouté par le législateur au moment de l’incrimination du comportement
en cause. On ne saurait donc reprocher en l’espèce à la Cour de cassation d’avoir jugé
que l’empoisonnement suppose l’intention de donner la mort. L’animus necandi est
nécessaire et justifie les sanctions élevées applicables : à défaut, le législateur aurait
dû classer l’empoisonnement parmi les mises en danger de la personne et non parmi
les atteintes volontaires à la vie1.
Signalons que ce débat a été en partie obscurci par une question distincte de
preuve. À supposer que l’agent administre en connaissance de cause la substance mor-
telle, faut-il démontrer en plus qu’il a l’intention de tuer ? La Haute juridiction l’a laissé
entendre dans une affaire concernant le renvoi en cour d’assises d’un individu qui avait
sciemment transmis sa séropositivité à une partenaire en lui imposant des rapports
sexuels non protégés. La Cour de cassation a censuré l’arrêt de mise en accusation au
motif « que la seule connaissance du pouvoir mortel de la substance administrée ne suffit
pas à caractériser l’ intention homicide2 ». Or, une telle solution ne saurait convaincre.
Si l’empoisonnement suppose l’intention de donner la mort, une telle preuve s’évince
de la conscience d’administrer une substance mortifère : « adhérer en connaissance
de cause à une “ logique de mort”, c’est en soi une preuve de l’animus necandi, et point
n’est besoin de la rechercher par d’autres moyens d’ investigation ou de conviction, qui ne
peuvent que faire le jeu des mobiles, au détriment de l’ intention elle-même »3. Pour en
revenir à l’affaire du Sang contaminé, c’est donc uniquement parce que la chambre
de l’instruction a estimé que les mis en examen ignoraient le caractère mortifère des
produits dont ils ont autorité la transmission que le non-lieu s’est imposé.

B. Répression de l’empoisonnement

88. — Envisageons les peines encourues et les particularités de la poursuite de ce crime.

1. Les peines encourues

89. Individu — L’empoisonnement est puni à l’encontre des personnes physiques de


30 ans de réclusion criminelle (art. 221-5). À la différence du meurtre simple, une
période de sûreté s’applique de plein droit ici dès lors que la cour d’assises prononce
une peine privative de liberté de plus de 10 ans ; elle est égale à la moitié de cette peine
et peut être portée aux deux tiers par délibération spéciale du jury.
Par ailleurs, l’empoisonnement est aggravé et puni de la réclusion criminelle à
perpétuité : i) lorsqu’il y a eu concomitance avec un autre crime ou connexité avec un
délit ; ii) lorsqu’il a eu préméditation ou guet-apens ; iii) lorsque l’emprisonnement a été
commis avec l’une des circonstances énumérées à l’article 221-4 précité (V. supra, n° 66).

1. V. aussi : F. Rousseau, « Essai d’une recodification des infractions pénales contre les personnes à
l’aune des ‘scandales sanitaires’ », DP 2013, étude 11, n° 12.
2. Crim. 2 juill. 1998, B n° 211 ; JCP 1998, II, 10132, note M.-L. Rassat ; D 1998, p. 457, note J. Pradel.
3. Y. Mayaud : RSC 2003, p. 781.

9782340-014015_001_DroitPenalSpecial3_CM_EP3_744.indd 40 07/07/16 14:51


Retrouver ce titre sur Numilog.com
Chapitre 1. Les atteintes mortelles 41

Enfin, peuvent s’ajouter à ces peines principales les mêmes peines complémen-
taires qu’en matière de meurtre (V. supra, n° 62).

90. Groupement — À l’encontre des personnes morales, l’empoisonnement est puni


de 1 M € d’amende (art. 131-38, al. 2) ainsi que des peines mentionnées à l’article 131-
39 (art. 221-5-2).

91. Comportements accessoires — Le complice de l’empoisonnement est puni


comme s’il avait été lui-même auteur d’une telle infraction. Mais, si l’auteur principal
n’est pas passé à l’acte, son complice ne peut être poursuivi. Toutefois, comme en
matière d’assassinat, l’article 221-5-1 permet de punir de 10 ans d’emprisonnement
et de 150 000 € d’amende « le fait de faire à une personne des offres ou des promesses ou
de lui proposer des dons, présents ou avantages quelconques afin qu’elle commette… un
empoisonnement ». Dès lors qu’elle est directe, cette provocation non suivie d’effet est
ainsi érigée en infraction autonome.

2. Les particularités de la poursuite

92. Euthanasie — Bien entendu, là aussi, le consentement de la victime ne peut jus-


tifier l’infraction. Le Code ne conçoit pas que l’on puisse demander à autrui la mort.
Doutant de la réalité de ce consentement, il le prive d’effet. La cour de Strasbourg,
elle-même, considère « qu’ il n’est pas possible de déduire de l’article 2 de la Convention
un droit à mourir, que ce soit de la main d’un tiers ou avec l’assistance d’une autorité
publique1 ». Aussi, le législateur s’est-il bien gardé de consacrer un « droit à » l’euthanasie :
l’article L. 1110-5, al. 2, CSP garantit tout au plus à une personne « le droit d’avoir
une fin de vie digne et accompagnée du meilleur apaisement possible de la souffrance » en
ajoutant que « les professionnels de santé mettent en œuvre tous les moyens à leur disposition
pour que ce droit soit respecté »2.

93. Repentir — Par ailleurs, l’administration par le coupable pris de remords d’un
antidote à sa victime ne constitue qu’un repentir actif dont la preuve influe sur la
détermination de la peine mais pas sur la constitution d’une infraction consommée
dès l’administration de la substance mortelle. Non seulement le juge peut en tenir
compte dans l’exercice de son pouvoir d’individualisation mais le législateur lui-
même envisage ici une réduction de la peine encourue : elle est ramenée à 20 ans de
réclusion criminelle si, ayant averti l’autorité administrative ou judiciaire, l’agent a
permis d’éviter la mort de la victime et d’identifier, le cas échéant, ses coauteurs ou
complices (art. 221-5-3, al. 2). Prévenir les secours aussitôt après l’administration du
poison, et aider à trouver un antidote, est ainsi formellement récompensé.
Plus radicalement encore, la personne qui a tenté de commettre un empoison-
nement et qui, avertissant une autorité administrative ou judiciaire, évite la mort à

1. CEDH, 29 avril 2002, Pretty c/ RU, § 40. Néanmoins, elle a jugé ensuite qu’une demande de suicide
assisté ne peut être laissée sans réponse (V. CEDH, 19 juill. 2012, Koch c/ Allemagne, § 72). Peu
importe le contenu de cette réponse en l’absence de consensus européen.
2. V. A. Prothais, « Notre droit pénal permet plus qu’il n’interdit en matière d’euthanasie », JCP 2011,
étude 536. – F. Alt-Maes, « La loi sur la fin de vie devant le droit pénal », JCP 2006, I, 119.

9782340-014015_001_DroitPenalSpecial3_CM_EP3_744.indd 41 07/07/16 14:51


Retrouver ce titre sur Numilog.com
42 Première partie. Les atteintes portées à l’ intégrité physique de la personne

sa victime, voire permet l’identification de ses coauteurs ou complices, est exemptée


de peine (art. 221-5-3, al. 1).

94. Procédure — Enfin, comme tout crime, l’empoisonnement se prescrit par 10 ans.
Mais, s’agissant d’une infraction formelle, le point de départ de ce délai court du jour
de l’emploi ou de l’administration de la substance mortelle et non du jour de la mort
de la victime qui n’a pas à être établie1.
Ajoutons que l’appartenance de l’infraction à la catégorie des atteintes volon-
taires à la vie permet d’en faire mention au fichier national des empreintes génétiques
(CPP, art. 706-55, 2°).
Par ailleurs, l’action civile qui concerne en premier lieu la victime et ses proches
est exceptionnellement ouverte à certaines associations (CPP, art. 2-1, – 3, – 8, – 172).

Section 3
Les homicides involontaires________________________

95. — On qualifie homicides involontaires les comportements d’où il est résulté la


mort d’autrui sans que ce résultat ait été attendu. Il convient de définir ces compor-
tements avant d’évoquer leur répression.

I. Définition des homicides involontaires

96. Comportements — La matérialité de l’homicide involontaire n’est pas précisée à


l’article 221-6, C. pén. qui l’incrimine. Il s’agit en réalité de tout comportement ayant
involontairement entraîné la mort d’autrui3. Cette infraction peut donc consister aussi
bien en un acte de commission qu’en un acte d’omission. À titre d’exemple, l’infrac-
tion peut être retenue contre un médecin qui applique un traitement aventureux4 ou
qui accomplit un geste chirurgical maladroit5. Mais elle peut aussi être relevée contre
un médecin qui ne donne pas les instructions pertinentes à une infirmière pour sur-
veiller un malade6, qui s’abstient de procéder à l’intervention qui s’impose au regard
des indications données par une sage-femme7 ou qui, de garde, passe le week-end

1. CA Versailles, 7 avril 1998, D 2000, Somm. p. 26, obs. Y.Mayaud.


2. Lorsqu’une telle action est subordonnée à l’accord de la personne intéressée, elle ne peut être engagée
si cette personne est décédée avant d’avoir pu consentir : Crim. 25 sept. 2007, DP 2007, n° 145,
obs. A.Maron.
3. C’est la mort, et elle seule, qui consomme l’infraction : la prescription de l’action publique ne court
donc qu’à partir du décès de la victime (Crim. 4 nov. 1999, B n° 248 – peu importe le temps écoulé
depuis la faute : ici près de 7 ans !).
4. Crim. 5 avril 2005, DP 2005, n° 103, obs. M. Véron.
5. Crim. 30 oct. 2007, DP 2008, n° 18, obs. M. Véron.
6. Crim. 13 févr. 2007, JCP 2007, II, 10107, 2e espèce, note P. Mistretta.
7. Crim. 2 oct. 2007, B n° 234 ; JCP 2008, II, 10027, note V. Valette-Ercole.

9782340-014015_001_DroitPenalSpecial3_CM_EP3_744.indd 42 07/07/16 14:51


Retrouver ce titre sur Numilog.com
Chapitre 1. Les atteintes mortelles 43

dans un endroit où il ne peut être joint correctement1. Cette indétermination de


l’acte incriminé permet un élargissement considérable de la répression par rapport à
l’homicide volontaire qui suppose, lui, une action : ne pas effectuer les réparations
nécessaires sur le toit de sa maison, au risque de voir une tuile tomber sur un passant,
est aussi coupable que d’entreprendre maladroitement des réparations sur le toit de
cette maison au risque qu’une tuile ne tombe sur un passant…
À l’origine, cette absence de définition de la matérialité du comportement incriminé
se doublait d’une grande incertitude quant à son élément moral. Pendant longtemps,
l’homicide involontaire s’est défini en effet par défaut. L’infraction était constituée dès
lors qu’une action humaine avait provoqué la mort d’autrui sans que ce résultat ait été
recherché. Tout ce qui ne pouvait être qualifié meurtre ou empoisonnement était donc
traité comme homicide involontaire. Des précisions ont néanmoins été apportées quant
à l’élément moral de cette infraction qui interdisent désormais une telle déduction.
Aujourd’hui, elle suppose rapportée la preuve d’une faute plus étroitement définie ainsi
qu’un lien de causalité d’intensité variable entre cette faute et la mort d’autrui. Sous
ces deux aspects, l’infraction est clarifiée. Lorsque la mort d’autrui paraît certaine, le
débat se concentre sur l’état d’esprit de l’agent et sur les circonstances du décès.

A. La perception par l’agent de son acte

97. — Dans un premier alinéa, l’article 221-6, C. pén. incrimine « le fait de causer…
par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de
prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, la mort d’autrui ». Les compor-
tements ainsi énumérés procèdent tous de fautes que l’on qualifiera de « simples » par
opposition à la faute « délibérée » que le même texte envisage dans un second alinéa et
qui permet d’aggraver la répression. Précisons à la fois le contenu de ces fautes simples
et la façon dont elles sont appréciées.

1. Le contenu des fautes simples

98. — L’énumération des fautes simples qui vient d’être rappelée n’apparaît guère
éclairante. Elle permet seulement de souligner que la faute peut s’établir de différentes
manières. En revanche, elle n’exprime aucune hiérarchie entre elles. Pourtant des
différences existent qui ne peuvent être ignorées. Elles sont énoncées par l’article 121-
3, C. pén. auquel l’article 221-6 renvoie implicitement. Ce texte de portée générale
oppose faute « ordinaire » et faute « caractérisée ». Présentons-les avant d’évoquer les
effets juridiques attachés à cette distinction.

a. La faute ordinaire

99. Présentation — L’article 121-3 ne définit pas la faute ordinaire. Il énumère, en


revanche, ses différentes manifestations. Ainsi, il peut y avoir délit non intentionnel

1. V. au sujet d’un téléphone portable qui « ne passait pas » : Crim. 13 févr. 2007, JCP 2007, II, 10107,
1re espèce, note P. Mistretta.

9782340-014015_001_DroitPenalSpecial3_CM_EP3_744.indd 43 07/07/16 14:51


Retrouver ce titre sur Numilog.com
44 Première partie. Les atteintes portées à l’ intégrité physique de la personne

« en cas de faute d’ imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de pru-


dence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement » (al. 3). Cette formulation dénote
le souci du législateur d’envisager largement l’inattention. Même sans violation d’un
texte particulier, il peut y avoir place pour un homicide involontaire1. Il suffit pour
cela d’une défaillance, d’un comportement qui n’était pas à la hauteur de ce que l’on
pouvait attendre d’un bon citoyen dans une situation donnée2.

100. Distinction — Ainsi, les manquements reprochés peuvent être classés en deux
catégories suivant l’origine de l’obligation violée.
L’imprudence et la négligence sont souvent tenues pour synonymes, bien que la
première soit révélée par un acte positif (agir sans précaution, par maladresse, inat-
tention, insiste l’art. 221-6) alors que la seconde correspond à une attitude passive (ne
pas se soucier des conséquences de son abstention). Le rapprochement de ces deux
fautes s’explique par le fait qu’elles sont appréciées de la même façon, par rapport à
la vigilance qu’aurait déployée un bon père de famille ou un bon professionnel placé
dans les mêmes circonstances3.
Ces fautes s’opposent au dernier élément de l’énumération légale où le défaut
de précaution coïncide avec un manquement à une obligation formellement mise à
la charge de l’agent par un texte particulier. Les magistrats doivent pouvoir préciser
la source et la nature exacte de l’obligation violée4, ce qui signifie que le texte à sa
base doit être clairement identifié pour permettre à la Cour de cassation d’exercer son
contrôle, de pur droit, sur ce point5. Peu importe que l’inobservation de ce texte ait
été, ou non, pénalement sanctionnée : la violation d’une obligation de surveillance
mise à la charge d’un professionnel peut servir de base à une poursuite pour homi-
cide involontaire lorsqu’elle n’a pas permis d’empêcher un décès, alors que ce seul
manquement n’aurait pas constitué une infraction6. Le défaut de précaution est alors
plus facile à établir : il se déduit de la non-conformité du comportement constaté au
comportement préconisé7. Les textes prescrivant de tels comportements tendent à se
multiplier, limitant ainsi le pouvoir d’appréciation du juge. La sécurité juridique ne
peut qu’y gagner.

101. Synthèse — En toute hypothèse, quelle que soit la forme prise par la faute, l’idée
reste la même. Il ne fait nul doute que l’agent était capable d’intelligence et de volonté,
ce qui permet de lui imputer l’acte. On lui reproche de ne pas avoir fait un usage

1. Crim. 19 nov. 1996, B n° 413 ; DP 1997, n° 33, obs. M. Véron.


2. V. , dénonçant la méconnaissance des « règles de l’art » : Crim. 23 oct. 2001, B n° 217 ; DP 2002,
n° 27, obs. M. Véron. – V. aussi dénonçant l’ignorance de la notice d’utilisation d’une machine
dangereuse : Crim. 15 janv. 2008, B n° 6 ; DP 2008, n° 71, obs. M. Véron.
3. Crim. 23 oct. 2001, B n° 218 ; DP 2002, n° 27, obs. M. Véron.
4. Crim. 18 juin 2002, B n° 138 ; DP 2002, n° 120, obs. M. Véron.
5. Crim. 4 mai 2004, B n° 108 ; RSC 2004, p. 884, obs. Y.Mayaud.
6. Crim. 10 déc. 2002, B n° 223 ; DP 2003, n° 45, obs. M. Véron.
7. V. aussi, s’agissant d’un défaut de vigilance reproché à un automobiliste, Crim. 2 fev. 2016,n° 15-81121,
GP 26 avril 2016, p. 58, obs. S. Detraz.

9782340-014015_001_DroitPenalSpecial3_CM_EP3_744.indd 44 07/07/16 14:51


Retrouver ce titre sur Numilog.com
Chapitre 1. Les atteintes mortelles 45

suffisant de son intelligence et de sa volonté pour éviter l’infraction1. Est en cause un


manque de vigilance. Son attention s’est relâchée alors qu’un devoir élémentaire de
sociabilité lui imposait de rester sur ses gardes, de prendre des précautions et de veiller
éventuellement au respect des règles applicables. L’agent était donc capable d’éviter
le dommage ; il pouvait agir et n’a rien fait ou n’a pas fait ce qu’il fallait2. Il aurait dû
mesurer les conséquences de son acte mais il a été distrait et ne s’est pas représenté
son résultat… C’est cette indifférence au sort d’autrui qui lui est reprochée.

b. La faute caractérisée

102. Nature — La faute caractérisée n’est pas d’une nature différente de la précé-
dente ; elle présente tout au plus un degré de gravité supplémentaire3. Ainsi, elle peut
toujours être qualifiée imprudence, négligence ou manquement à une obligation de
prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement : non seulement le résultat
dommageable n’a pas été voulu mais l’acte qui en est la cause résulte encore d’une
mauvaise appréciation de l’agent4. Il n’a pas adhéré psychologiquement à son acte.
Néanmoins, ce relâchement d’attention s’avère plus grave que le précédent compte
tenu soit des circonstances de l’acte en question, soit des fonctions exercées par l’agent.
On pouvait en effet s’attendre à une vigilance accrue de sa part, qui lui aurait permis
d’éviter le dommage5. Sa faute paraît grossière et inacceptable6.

103. Gravité — Une telle qualification dépend tout entière de ce degré de gravité.
Sachant que l’article 121-3, al. 4 l’exprime de façon ambiguë. En exigeant que la
faute caractérisée ait exposé autrui à un risque d’une particulière gravité que l’agent
ne pouvait ignorer, il traite ensemble deux questions qui auraient mérité d’être distin-
guées : celle de la gravité du risque auquel autrui a été exposé et celle de la gravité de
la faute à l’origine de cette exposition. Il s’agit d’exigences distinctes et cumulatives.
D’abord, s’agissant du risque, il convient d’insister sur le fait que sa gravité est
appréciée abstraitement : la gravité tient au risque, plus qu’au dommage final qui

1 Crim. 16 juin 2009, B n° 124 ; GP 20-22 sept. 2009, p. 6, note R. Mesa.


2. Comp., au sujet d’un médecin informé trop tard pour intervenir utilement : Crim. 28 sept. 1999,
B n° 198 ; RSC 2000, p. 393, obs. Y.Mayaud.
3. V. not. A. Ponseille, « La faute caractérisée en droit pénal », RSC 2003, p. 79 – et depuis : A. d’Hau-
teville, « Les transformations de la faute pénale », in Le nouveau Code pénal, dix ans après, Pedone,
2005, p. 13. – D. Commaret, « La loi Fauchon, cinq ans après », DP 2006, étude 7.
4. V., respectivement, s’agissant d’imprudences et de violation d’une obligation de sécurité prévue par
le Code du travail, Crim. 12 janv. 2010, B n° 5 ; DP 2010, n° 31, obs. M. Véron. – 2 mars 2010, B
n° 44 ; DP 2010, n° 66, obs. M. Véron.
5. V. excluant la faute caractérisée dès lors que des précautions minimales ont été prises : Crim.
16 mai 2006, B n° 136 ; DP 2006, n° 134, obs. M. Véron. – V. l’admettant à défaut : Crim.
24 juin 2014, RSC 2015, p. 416, obs. P. Mistretta.
6. V. au sujet du président d’une association de chasse, dirigeant une battue au cours de laquelle un
participant fut tué, qui n’avait pas fait respecter les consignes : Crim. 8 mars 2005, B n° 80 ; RSC
2005, p. 555, obs. Y.Mayaud. – V. aussi, s’agissant d’un responsable « sécurité » qui n’a pas pris les
mesures adaptées au regain d’affluence que connaissait une soirée étudiante : Crim. 11 déc. 2007,
DP 2008, n° 43, obs. M. Véron.

9782340-014015_001_DroitPenalSpecial3_CM_EP3_744.indd 45 07/07/16 14:51


Retrouver ce titre sur Numilog.com
46 Première partie. Les atteintes portées à l’ intégrité physique de la personne

peut se révéler, lui, insignifiant. Une faute caractérisée peut en effet être de nature
contraventionnelle, c’est-à-dire n’avoir généré aucune incapacité totale de travail ou
une incapacité de moins de 8 jours (C. pén., art. R 610-2).
Ensuite, s’agissant de la faute à l’origine de ce risque, il convient de préciser
qu’elle n’est en aucun cas consciente : le risque d’une particulière gravité pour autrui
ne doit pas avoir été perçu par l’agent. Il ne l’a pas accepté parce qu’il n’a pas cherché
à agir de la sorte. Le grief qui lui est adressé tient précisément au fait d’avoir, sans
s’en rendre compte, exposé autrui à un risque qu’il aurait dû mesurer et circonscrire1.
C’est le sens de la formule négative : exposer autrui à un risque que les personnes
physiques, auteurs de tels actes, « ne pouvaient ignorer ». Une telle formule ne signifie
pas que l’agent évaluait parfaitement ce risque, ce qui reviendrait à lui reprocher une
faute délibérée et limiterait considérablement la répression2. Elle signifie qu’il aurait
dû en avoir conscience parce que ce risque était prévisible3. L’emploi du conditionnel
dans le jugement de reproche adressé au prévenu est caractéristique, à cet égard, de la
démarche qui doit être suivie par le juge4. Une telle interprétation du texte s’impose
d’autant plus que la gravité de la faute est appréciée à raison des circonstances ou de
la fonction exercée par l’agent5. De surcroît, elle évite une difficulté de preuve tenant
à la connaissance exacte du risque6.

104. Extension — Cependant, les tribunaux ne s’en tiennent pas toujours à cette
interprétation stricte. Ils ont tendance à assimiler à des fautes caractérisées les fautes
délibérées ne remplissant pas toutes les conditions pour être punies à ce titre. On le
verra en effet cette seconde catégorie de fautes suppose la violation consciente d’une
« obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement » :
entre les définitions de la faute caractérisée et de la faute délibérée, il existe donc une
catégorie de fautes qui n’a pas été envisagée par le législateur et que l’on répugne,
compte tenu de leur gravité, à traiter comme des fautes ordinaires. Au risque de la
dénaturer, la Haute juridiction utilise la catégorie des fautes caractérisées comme une
catégorie de repli lorsqu’une faute délibérée a été commise mais qu’elle ne peut être
sanctionnée en l’absence de violation d’une obligation particulière de prudence ou
de sécurité prévue par la loi ou le règlement. Ainsi, l’excessive précision de la faute
délibérée requise par la loi a contraint la Cour de cassation à tenir pour « caractérisée »
la faute résultant d’une violation pourtant consciente d’une obligation contenue dans

1. Crim. 16 janv. 2001, B n° 15 ; RSC 2001, p. 579, obs. Y.Mayaud. – 26 juin 2001, DP 2001, n° 124,
obs. M. Véron.
2. V. aussi : P. Morvan, « L’irrésistible ascension de la faute caractérisée : l’assaut avorté du législateur
contre l’échelle de la culpabilité », Mél. Pradel, Cujas, 2006, p. 455. – Contra : B. Cotte et D.
Guihal, « La loi Fauchon, cinq ans de mise en œuvre jurisprudentielle », DP 2006, étude 6, n° 48.
3. V. au sujet d’un médecin du SAMU n’ayant pas posé les bonnes questions : Crim. 2 déc. 2003,
B n° 226 ; JCP 2004, II, 10044, note P. Mistretta. – V. aussi, au sujet d’un médecin intervenant
en dehors de sa spécialité : Crim. 23 oct. 2012, DP 2013, n° 3, obs. M. Véron.
4. V. jugeant qu’un maire « aurait dû se préoccuper de la vérification des installations électriques et des
prescriptions à observer lors de manifestations sur la voie publique » : Crim. 11 juin 2003, B n° 19 ;
DP 2003, n° 120, obs. M. Véron.
5. Crim. 10 déc. 2002, B n° 223 ; RSC 2003, p. 332, obs. Y.Mayaud.
6 V. néanmoins : Crim. 16 avril 2013, GP 21-23 juill. 2013, p. 33, obs. E. Dreyer.

9782340-014015_001_DroitPenalSpecial3_CM_EP3_744.indd 46 07/07/16 14:51


Retrouver ce titre sur Numilog.com
Chapitre 1. Les atteintes mortelles 47

un texte dont le seul tort était de n’avoir pas été régulièrement promulgué1. La faute
caractérisée dissimule alors une faute délibérée « imparfaite » car ne répondant pas à la
définition étroite résultant de l’article 221-6, al. 2. Et les exemples sont nombreux où
la Haute juridiction est amenée à qualifier de la sorte les abstentions reprochées à des
individus qui ont manqué, en connaissance de cause, à une obligation de prudence
ou de sécurité et exposé sciemment autrui à un risque qui a fini par se réaliser. Ainsi,
cette faute fut retenue contre un maire qui « connaissait parfaitement la configuration
des lieux » où un accident, « prévisible », s’est produit2. Idem à l’encontre d’un maire
qui avait été « personnellement informé » du danger que présentait une buse non
scellée sur une aire de jeu et qui n’a rien fait pour éviter qu’elle se renverse sur des
enfants3. Idem à l’encontre d’un chef d’entreprise qui avait été informé du danger
que présentait un chantier sans échafaudage et qui n’a pas réagi avant qu’une chute
ne se produise4. Idem à l’encontre d’un chef d’entreprise qui a persisté à mettre en
place un dispositif insuffisant de sécurité après un premier accident5. La qualification
de faute caractérisée a également prévalu sur celle de faute délibérée à l’encontre du
responsable d’une coupe de bois qui avait constaté lui-même le danger présenté par
des troncs d’arbre laissés en équilibre instable mais n’a pris aucune disposition pour
avertir le public et empêcher les enfants, qui y furent écrasés, d’aller y jouer6. Dans
ces différentes hypothèses, puisque l’agent était conscient du risque grave auquel il
exposait autrui, son abstention a nécessairement été volontaire et donc d’une nature
différente de la simple négligence, imprudence ou violation (inconsciente) d’une
obligation de sécurité qui est prise en compte au titre de la faute caractérisée7. C’est à
une véritable dénaturation de cette dernière qu’a procédé la Cour de cassation pour
pallier l’insuffisance des textes d’incrimination.

2. L’appréciation des fautes simples

105. Principe — Faute ordinaire et faute caractérisée doivent être appréciées de la


même façon, c’est-à-dire in abstracto. Cela n’exclut pas la prise en compte effective du
comportement de l’agent8. Mais il faut davantage pour établir sa faute. Cette faute
ne peut résulter que d’une comparaison entre la façon dont l’agent s’est comporté et
la façon dont il aurait dû agir. En effet, pour établir une faute simple, il faut – selon
l’article 121-3, C. pén. – démontrer « que l’auteur des faits n’a pas accompli les diligences
normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions,
de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait ». L’article 121-3

1. Crim. 15 oct. 2002, B n° 186 ; DP 2003, n° 4, obs. M. Véron.


2. Crim. 18 mars 2003, B n° 71 ; RSC 2003, p. 783, obs. Y.Mayaud.
3. Crim. 2 déc. 2003, B n° 231 ; DP 2004, n° 17, obs. M. Véron. – V. aussi : Crim., 22 janv. 2008,
DP 2008, n° 43, obs. M. Véron.
4. Crim. 31 janv. 2006, JCP 2006, II, 10079, note E. Dreyer. – V. depuis : Crim. 11 mars 2014, B
n° 69 ; GP 16-17 avril 2014, p. 5, note R. Mésa.
5. Crim. 31 août 2011, DP 2011, n° 147, obs. M. Véron. – V. aussi : Crim. 11 janv. 2011, B n° 5.
6. Crim. 13 nov. 2002, B n° 204 ; RSC 2003, p. 337, obs. Y.Mayaud.
7. V. aussi : M. Pralus, « Réflexions autour de l’élément moral des délits », DP 2002, étude 41.
8. Crim. 19 févr. 2002, RSC 2002, p. 837, obs. G. Giudicelli-Delage.

9782340-014015_001_DroitPenalSpecial3_CM_EP3_744.indd 47 07/07/16 14:51


Retrouver ce titre sur Numilog.com
48 Première partie. Les atteintes portées à l’ intégrité physique de la personne

invite donc le juge à comparer le comportement de l’agent avec celui d’un modèle
placé dans les mêmes circonstances qui accomplit, lui, des « diligences normales1 ».
Il en a d’ailleurs toujours été ainsi, la loi du 13 mai 1996 – qui est à l’origine de cette
disposition – ayant tout au plus exigé que le modèle de référence utilisé par le juge soit
adapté aux circonstances et non qu’il s’agisse d’un être idéal et parfait, respectueux
de toutes obligations, écrites ou non2. Les réformes successives en la matière n’ont
entraîné aucune rupture3.

106. Confirmation — L’opinion est parfois contestée s’agissant des fautes carac-
térisées. Sous prétexte que la gravité de ces fautes suppose une appréciation « au cas
par cas », les partisans de l’approche in concreto oublient que ces fautes ne peuvent
être établies que par rapport à un modèle de comportement4. Ils sont victimes d’une
illusion d’optique : ce n’est pas parce que le modèle de comportement est adapté aux
circonstances particulières dans lesquelles l’acte dommageable est intervenu que
l’appréciation change de nature5.
Comment pourrait-il en être autrement ? Les notions d’imprudence et de négli-
gence sont à ce point incertaines que le juge ne peut tenter de les préciser qu’en déter-
minant, tout d’abord, quel aurait été le comportement d’une personne moyennement
raisonnable placée dans la même situation puis en comparant ce comportement à
celui de l’agent. C’est la seule façon, pour lui, d’apprécier objectivement l’attitude en
cause : en effet, il ne peut sonder l’état d’esprit de l’agent au moment des faits pour
établir son relâchement d’attention. Cela conduirait à absoudre l’imbécile négligeant
alors que l’individu capable se verrait reprocher la moindre inattention6. Le juge doit
se contenter de l’apparence extérieure du comportement de l’agent pour dire s’il était,
ou non, en mesure de faire quelque chose pour empêcher la réalisation du dommage7.
Ainsi, le souci d’individualisation, qui anime les partisans de l’appréciation in
concreto, ne doit pas être satisfait au stade de l’infraction mais au stade de la sanction.
Pour caractériser un homicide involontaire, il suffit au juge, qui ne veut pas donner le
sentiment de déduire la faute du dommage, d’établir « en quoi les diligences du prévenu
n’ étaient pas normales au regard de l’article 121-3, al. 3, C. pén. et adaptées aux risques
prévisibles8 », c’est-à-dire qu’il lui suffit d’opposer le comportement en question à celui
d’un bon père de famille ou d’un bon professionnel placé dans les mêmes circonstances.

107. Atténuation — On observera néanmoins que la confusion est entretenue sur


ce point par l’extension de la catégorie des fautes caractérisées aux fautes délibérées

1. Crim. 18 nov. 2008, B n° 232. – 5 oct. 2004, B n° 235 ; RPDP 2004, p. 235, obs. J.-Ch. Saint-Pau.
2. Crim. 17 juin 1997, B n° 237 ; DP 1997, n° 139, obs. M. Véron.
3. V. le travail de référence de V. Malabat : Appréciation in abstracto et appréciation in concreto en
droit pénal, Thèse Bordeaux IV, 1999, p. 302 et s.
4. V. cette décision ambiguë : CA Poitiers, 2 févr. 2001, JCP 2001, II, 10534, note P. Salvage – pourvoi
néanmoins rejeté par : Crim. 4 juin 2002, B n° 127.
5. V. encore, déduisant la faute caractérisée d’une absence de diligences normales : Crim. 6 sept. 2005,
B n° 218 ; DP 2006, n° 3, obs. M. Véron.
6. V. aussi : J. Pouyanne, L’auteur moral de l’ infraction, PUAM, 2003, p. 504, n° 620.
7. V. concluant « que le prévenu n’a pas pris les mesures qui eussent permis d’ éviter le dommage » : Crim.
16 janv. 2001, B n° 14 ; RSC 2001, p. 579, obs. Y.Mayaud.
8. Crim. 18 juin 2002, B n° 138 ; DP 2002, n° 120, obs. M. Véron.

9782340-014015_001_DroitPenalSpecial3_CM_EP3_744.indd 48 07/07/16 14:51


Retrouver ce titre sur Numilog.com
Chapitre 1. Les atteintes mortelles 49

« imparfaites ». Rappelons qu’il s’agit de fautes conscientes mais qui ne peuvent suivre
le régime de la faute dite délibérée dans la mesure où elles ne procèdent pas de la
violation d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité1. Or, lorsque le
juge répressif constate que le prévenu avait connaissance du risque et a agi quand
même ou n’a rien fait pour éviter sa réalisation, il mène une appréciation in concreto
qui n’a plus rien à voir avec la précédente2. La faute caractérisée – au sens trop large
où l’entend la Cour de cassation – donne ainsi l’impression d’être appréciée parfois
in abstracto et d’autres fois in concreto, dans une logique dont l’opportunisme s’avère
purement répressif.

B. Le lien entre la faute simple et la mort d’autrui

108. — Il est à peine besoin de préciser que ce lien doit être certain : si la mort d’autrui
serait survenue en toute hypothèse, la faute commise ne peut être sanctionnée car elle
n’est pas à l’origine du décès3. La même solution est rappelée lorsque les causes de la
mort restent indéterminées, de sorte qu’un lien de causalité certain ne peut être établi
entre la négligence d’un médecin et le décès de sa patiente4. Sachant que cette certitude
s’apprécie au moment de l’action ou de l’abstention coupable et non postérieurement5.
En réalité, ce caractère certain ne permet pas de préciser le lien de causalité : il
se confond avec lui car, à défaut de certitude, la causalité ne peut être établie6. C’est
à travers les autres caractères de ce lien que la causalité révèle sa spécificité en matière
pénale : lorsqu’il s’agit d’établir un homicide involontaire, le lien entre la faute et la
mort d’autrui n’a pas à être immédiat, ni même exclusif. En revanche, il doit être direct.

1. Les caractères indifférents de la causalité

a. Le caractère immédiat

109. Dommage final — La causalité en matière pénale n’a pas à être immédiate.
L’hypothèse envisagée à ce titre est particulière. Il s’agit d’apprécier le lien devant
exister entre l’atteinte à l’intégrité physique ou psychique résultant de la faute et le
dommage final souffert par la victime (son décès).
En effet, il est des cas où le dommage résultant immédiatement d’une atteinte
s’aggrave par la suite : à raison de prédispositions de la victime ou de l’action ultérieure
d’un tiers. Lorsque la mort n’est pas la conséquence immédiate de la faute, peut-elle

1. V. encore, constatant qu’aucune obligation de ce type ne pouvait être retenue à la charge d’un
moniteur de voile qui, pour autant « savait » que ses élèves « étaient exposés à des réactions de panique » :
Crim. 4 oct. 2005, B n° 251 ; DP 2006, n° 2, obs. M. Véron.
2. Crim. 24 juin 1997, B n° 251 ; RSC 1997, p. 836, obs. Y.Mayaud.
3. Crim. 21 janv. 2014, DP 2014, n° 54, obs. M. Véron. – 22 mars 2005, DP 2005, n° 103, obs. M. Véron.
4. Crim. 23 sept. 2014, DP 2014, comm. 136, obs. M. Véron. – 14 mai 2008, B n° 112 ; JCP 2008,
II, 10189, note P. Mistretta.
5 V., admettant que les mis en examen ne pouvaient connaître « dans le contexte des données scienti-
fiques de l’ époque » le risque d’une particulière gravité auquel des victimes ont été exposées : Crim.
14 avril 2015, B n° 78 ; JCP 2015, 696, note H. Matsopoulou ; GP 3-4 juin 2015, p. 19, note R. Mésa.
6. V. Crim. 4 mars 2008, B n° 55 ; JCP 2008, II, 10098, note M. Benillouche.

9782340-014015_001_DroitPenalSpecial3_CM_EP3_744.indd 49 07/07/16 14:51


Retrouver ce titre sur Numilog.com
50 Première partie. Les atteintes portées à l’ intégrité physique de la personne

être reprochée au fautif ? En d’autres termes, peut-on reprocher à l’agent le dommage


final (la mort d’autrui) ou le dommage immédiat (les blessures) résultant de son fait ?
La Cour de cassation prend en compte le dommage dans son dernier état. Elle a jugé
ainsi « que, ni l’article 319 ancien, ni l’article 221-6 nouveau du Code pénal n’exigent
qu’un lien de causalité direct et immédiat existe entre la faute du prévenu et le décès de la
victime ; qu’ il suffit que l’existence d’un lien de causalité soit certaine1 ». En conséquence,
peut être poursuivi pour homicide involontaire l’auteur d’un accident qui n’a pas
occasionné immédiatement le décès de la victime, celle-ci étant morte d’un infarctus
lié « au stress du traumatisme et de l’ hospitalisation » (ibid.). Le lien de causalité entre
le décès et l’accident reste certain dans la mesure où la victime n’aurait jamais été
conduite à l’hôpital sans la faute de l’agent. Il engage donc sa responsabilité pénale,
même si ce dommage était imprévisible lorsqu’il a commis la faute qui l’a engendré2.
De même, les prédispositions de la victime ne sont pas analysées comme une cause
étrangère ayant contribué à l’aggravation de ce résultat pénal, au terme d’un raison-
nement plus moral que juridique3.
Le dommage final est donc nécessairement mis au compte de celui qui l’a provoqué
comme s’il avait été prévu ou, du moins, prévisible par lui4. Ce qui permet d’appré-
hender les faits sous leur plus haute expression pénale dans l’espoir de responsabiliser
ceux qui n’ont manifestement pas conscience des conséquences de leurs actes…

b. Le caractère exclusif

110. Pluralité d’auteurs — Ensuite, se pose une toute autre question. Il ne s’agit plus
d’apprécier le lien devant exister entre l’atteinte à l’intégrité physique ou psychique
et la mort d’autrui mais le lien entre la faute commise et cette atteinte. Pour être
punissable, une telle faute doit-elle être la cause exclusive du décès de la victime ?
Lorsque la mort d’autrui résulte des fautes conjuguées de plusieurs personnes, y a‑t‑il
neutralisation, partage ou cumul de responsabilités pénales ? L’hypothèse se rencontre
notamment lorsque, dans un souci de sécurité, le législateur a multiplié les obligations
de surveillance ayant un même objet. Il en va notamment ainsi en matière médicale
lorsque plusieurs professionnels de santé interviennent ensemble ou successivement
au profit d’un même patient et s’avèrent tous défaillants.
Pour la Cour de cassation, chaque fautif répond des conséquences de son acte.
À titre d’exemple, si une femme décède après son accouchement des suites d’une
hémorragie, la responsabilité pénale du médecin peut être engagée pour ne pas avoir
pris les précautions qui s’imposaient mais la responsabilité pénale de la sage-femme
peut également être recherchée pour ne pas avoir diagnostiqué à temps cette hémor-
ragie : « l’existence des fautes relevées à l’encontre du gynécologue pendant les opérations

1. Crim. 14 févr. 1996, B n° 78 ; RSC 1996, p. 856, obs. Y. Mayaud.


2. Critère de prévisibilité défendu par Esmein en matière civile (« Le nez de Cléopâtre ou les affres de
la causalité », D 1964, p. 208) mais qu’écarte la Cour de cassation (Crim. 4 nov. 1971, B n° 300).
3. V. Crim. 30 janv. 2007, B n° 23 ; RPDP 2007, p. 899, obs. J.-Ch. Saint-Pau.
4. Sous réserve que l’aggravation ne résulte pas d’un cas fortuit rompant le lien de causalité entre le
dommage final et la faute (V. au sujet d’un automobiliste ayant renversé un passant qui décède non
des suites de ses blessures mais d’une infection nosocomiale contractée à l’hôpital : Crim. 5 oct.
2004, B n° 230 ; RSC 2005, p. 71, obs. Y.Mayaud).

9782340-014015_001_DroitPenalSpecial3_CM_EP3_744.indd 50 07/07/16 14:51


Retrouver ce titre sur Numilog.com
Chapitre 1. Les atteintes mortelles 51

d’ évacuation de la cavité utérine ne suffit pas à exclure l’ éventualité de fautes commises


par la sage-femme pendant ces opérations ou dans la surveillance des suites de couches1 ».
La causalité est certaine, en l’espèce, mais non exclusive : chaque professionnel doit
répondre de son acte indépendamment de l’autre2.

111. Présomption — Ce caractère non exclusif de la responsabilité pénale produit


tous ses effets lorsqu’il n’est pas possible d’individualiser la participation des différents
fautifs à la réalisation du dommage.
Soit deux automobilistes qui se suivent à vive allure pour se rendre au même
endroit. Le premier percute un piéton que le second ne peut éviter dans sa chute.
Ce piéton décède sans qu’il ait été possible de déterminer lequel des deux véhicules
a causé sa mort. À quel automobiliste reprocher l’homicide involontaire ? La juris-
prudence les tient tous les deux pour responsables du décès et leur reproche d’avoir
participé « ensemble à une action dangereuse en créant par leur imprudence un risque
grave dont X. a été la victime3 ». Le doute sur les circonstances de fait ne garantit donc
pas leur impunité. Pour la Haute juridiction, les deux automobilistes méritent d’être
sanctionnés pour cette conduite imprudente car ils ont à tout le moins porté atteinte
à l’intégrité de la victime, voire causé sa mort4. L’acceptation de ce dernier risque
dispense d’attribuer le coup mortel à l’un ou à l’autre des deux participants5.

112. Partage — Enfin, là aussi, la faute de la victime, ayant concouru à la réalisa-


tion de son propre dommage, est tenue pour indifférente6. Dès qu’une infraction
est caractérisée sur la tête d’un individu, sa responsabilité pénale est engagée. Peu
importe que sa faute n’ait pas été la cause déterminante du dommage dès lors qu’elle
a contribué à la réalisation de celui-ci7. Ainsi, un cyclomotoriste roulant sans casque
commet une imprudence mais cette faute n’exonère pas de sa responsabilité le chef
de chantier ayant omis de signaler la présence d’une plaque d’égout surélevée qui a
provoqué l’accident dans lequel ce cyclomotoriste a trouvé la mort8.

2. Le caractère attendu de la causalité

113. Rappel — Pendant longtemps, la jurisprudence s’est contentée d’une causalité


indirecte entre le comportement négligeant ou imprudent reproché à autrui et l’atteinte

1. Crim. 21 oct. 1998, B n° 270 ; RSC 1999, p. 320, obs. Y.Mayaud. – V. aussi Crim. 1er avril 2008,
DP 2008, n° 93, obs. M. Véron.
2. Solution néanmoins contestée par certains au motif que toutes ces fautes ne sont pas nécessairement
la cause directe du dommage (V. P. Hennion-Jacquet, « Réflexions sur l’interaction entre Justice
pénale et médecine », Mél. Koering-Joulin, Anthemis, 2014, p. 337).
3. Crim. 23 juill. 1986, B n° 243 ; JCP 1987, II, 20897, note J. Borricand.
4. Ch. Dupeyron, « L’infraction collective », RSC 1973, p. 375.
5. V. aussi : Crim. 23 mars 1994, B n° 112 ; DP 1994, n° 151, obs. M. Véron. – 19 mai 1978, D 1980,
p. 3, note A. Galia-Beauchesne.
6. V. s’agissant du risque pris par une victime ivre : Crim. 23 nov. 2010, B n° 186 ou trop pressée :
Crim. 12 nov. 2014, DP 2015, n° 5, obs. M. Véron. – En effet, la faute de la victime n’exonère de
la responsabilité d’un accident que si elle en a été la cause unique (Crim. 1er avril 2008, B n° 85).
7. Crim. 23 avril 2013, GP 21-23 juill. 2013, p. 34, obs. E. Dreyer.
8. Crim. 25 oct. 1972, B n° 309. – V. aussi : Crim. 17 mai 1994, DP 1994, n° 229, obs. M. Véron.

9782340-014015_001_DroitPenalSpecial3_CM_EP3_744.indd 51 07/07/16 14:51


Retrouver ce titre sur Numilog.com
52 Première partie. Les atteintes portées à l’ intégrité physique de la personne

occasionnée par lui. Une telle solution s’expliquait par le fait que, en matière d’homicide
involontaire, le résultat dommageable semblait importer plus que le comportement
lui-même. Dès lors que la mort pouvait être rattachée de manière certaine à l’action
ou à l’abstention fautive d’un individu, le lien de causalité entre ce comportement et
le dommage était tenu pour établi. Peu importait que le prévenu n’ait pas lui-même,
directement, causé le décès d’autrui. Précisément parce que le comportement à l’ori-
gine de ce dommage n’était pas précisé, il semblait possible de remonter très loin
dans l’échelle des causes et de sanctionner toutes les fautes ayant pu « contribuer » à
sa réalisation1. Sur le plan répressif, la solution s’avérait donc redoutable. Il importait
peu qu’une autre personne ait commis une faute directement à l’origine de ce résultat.
Aucune sélection n’était opérée entre les différents faits dommageables. La théorie de
l’équivalence des conditions prévalait.

a) L’exigence d’une causalité directe

114. Innovation – Une loi du 10 juill. 2000 a imposé de distinguer. L’objectif pour-
suivi par ce texte était d’alléger la responsabilité des « décideurs » en dépénalisant les
fautes les moins graves qui ne causent pas directement de dommage. Pour parvenir à
ce résultat, le législateur a reformulé les alinéas 3 et 4 de l’article 121-3, C. pén. Une
lecture a contrario de ces deux alinéas ne permet désormais de reprocher une faute
ordinaire à une personne physique que si cette faute a présenté un lien de causalité
direct avec le dommage qu’elle a provoqué. En d’autres termes, sous la qualification
d’homicide involontaire, une personne physique n’engage sa responsabilité pénale que
si elle a commis une faute ordinaire à la fois « essentielle et déterminante » à l’origine
de la mort d’autrui2. Tel est le cas pour un automobiliste qui se déporte sur la gauche
quand il devrait serrer la droite et qui, faute d’avoir regardé dans son rétroviseur, heurte
le motocycliste qui arrivant derrière lui3. Sans ces fautes de conduite, le décès ne serait
jamais survenu. Idem pour un médecin qui, à la suite d’une intervention à risques,
néglige d’effectuer les contrôles qui auraient permis de déceler immédiatement une
hémorragie et de sauver son patient4. Dans une telle hypothèse, la causalité entre la
négligence du médecin et le décès du patient est directe car, quelle que soit l’origine
de l’hémorragie, le décès aurait pu être évité si le médecin avait respecté les règles de
son art. Inversement, la faute ordinaire de la personne physique qui est seulement à
l’origine de la situation à risque à l’occasion de laquelle autrui a commis une faute
dommageable ne tombe plus sous le coup de la loi pénale. Une telle modification
législative profita à cette institutrice qui avait accepté d’encadrer des enfants « cheminant

1. Crim. 2 avril 1997, B n° 132 ; RSC 1997, p. 837, obs. Y.Mayaud.


2. Crim. 29 oct. 2002, B n° 196 ; RSC 2003, p. 330, obs. Y.Mayaud.
3. Crim. 1er oct. 2008, DP 2009, n° 4, obs. M. Véron. – V. aussi : Crim. 15 avril 2008, RSC 2008,
p. 910, obs. Y.Mayaud.
4. Crim. 13 nov. 2002, B n° 203 ; D 2004, p. 1336, note P. Conte. – Mais ce lien de causalité est
parfois, curieusement, déclaré indirect, ce qui oblige les magistrats à établir une faute caractérisée
(Crim. 23 févr. 2010, DP 2010, n° 58, obs. M. Véron). Ils conviennent ainsi que le médecin n’est
pas à l’origine de la maladie mais lui reprochent sa mauvaise prise en charge (V. aussi : V. Wester-
Ouisse, « Dépénalisation du droit médical », RGMD, 2008, n° spé., p. 252. – F. Alt-Maes, « La
grande illusion », Mél. Bouloc, Dalloz, 2006, p. 1).

9782340-014015_001_DroitPenalSpecial3_CM_EP3_744.indd 52 07/07/16 14:51


Retrouver ce titre sur Numilog.com
Chapitre 1. Les atteintes mortelles 53

dans le lit du Drac pour observer l’ habitat des castors » au moment d’un lâcher d’eau1.
La répression a bien été limitée par cette exigence nouvelle.
Cependant, ce caractère direct du lien de causalité est entendu largement : peu
importe l’interposition d’un événement entre le dommage et la faute reprochée dès lors
que cet événement n’est pas punissable. Ainsi, lorsqu’un conducteur roulant à grande
vitesse heurte un sanglier qui lui fait perdre la maîtrise de son véhicule et l’amène à
percuter une voiture arrivant en sens inverse, les magistrats considèrent qu’un lien
de causalité direct subsiste entre la faute initiale (excès de vitesse n’ayant pas permis
de stabiliser le véhicule après collision avec l’animal) et le dommage occasionné aux
passagers du véhicule circulant sur l’autre voie2. Dans une telle hypothèse, le « fait »
du sanglier, à l’origine de l’accident, n’est pas pris en compte3. Dès lors qu’il ne revêt
pas les caractères d’une cause étrangère, il est ignoré. Seul subsiste le constat d’une
voiture en percutant une autre à raison d’un défaut de maîtrise de son conducteur.
Il est jugé de même lorsqu’un interne cause la mort de sa patiente, sans qu’une faute
pénale puisse lui être reprochée, alors que l’opération se déroulait sous la direction et
la responsabilité d’un chirurgien qui s’est révélé défaillant dans sa mission de contrôle
de l’acte accompli4.

b) L’ indifférence à la causalité directe

115. Faute caractérisée – L’exigence de causalité directe n’a pas une portée générale.
En effet, même si une faute a seulement contribué à la réalisation d’un dommage,
elle peut engager la responsabilité pénale de la personne physique qui en est l’auteur
lorsqu’elle s’avère caractérisée. Compte tenu de sa gravité, la faute caractérisée peut
toujours être relevée, même si elle n’a qu’indirectement causé la mort d’autrui. C’est
d’ailleurs le seul enjeu pénal de cette qualification. En effet, les fautes caractérisées
sont punies comme les fautes ordinaires. Elles ne sont donc distinguées, parmi les
fautes simples, que s’il peut en résulter, grâce à l’admission d’une causalité indirecte,
une extension du champ de la répression5. D’où une certaine perversion du raison-
nement. En pratique, les magistrats se demandent d’abord si le fait a directement
causé le dommage : dans l’affirmative, ils renoncent à arbitrer entre faute ordinaire
et faute caractérisée6. Cette qualification spéciale n’est mise en valeur qu’à partir du

1. Crim. 12 déc. 2000, B 2000, n° 371 – solution implicite et contestable : au regard de la mission de
surveillance incombant à l’institutrice, l’absence de prévision du risque de délestage, inhérent au
fonctionnement du barrage hydroélectrique situé en amont, ne correspondait-elle pas davantage
à une faute caractérisée (Comp. Crim. 16 mai 2006, DP 2006, n° 108, obs. M. Véron) ?
2. Crim. 25 sept. 2001, B n° 188, RSC 2002, p. 101, obs. Y.Mayaud.
3 Idem lorsqu’un propriétaire perd la maîtrise de son chien dangereux qui tue une passante : la
négligence du maître est directement à l’origine du décès (V. Crim. 21 janv. 2014, B n° 17 ; GP
16-17 avril 2014, p. 5, note R. Mésa. – 29 mai 2013, B n° 121 ; D. 2013, p. 2016, note F. Desprez).
Peu importe l’action du chien.
4. Crim. 10 févr. 2009, B n° 33 ; JCP 2009, II, 10069, note F. Desprez.
5. Crim. 1er avril 2003, DP 2003, n° 110, obs. M. Véron.
6. V. déclarant cette recherche inopérante: Crim. 16 sept. 2008, B n° 186. – V. ttfois : Crim. 12 sept.
2006, B n° 219 ; JCP 2007, II, 10006, note Th. Faict et P. Mistretta, relèvant une faute caractérisée
dans une hypothèse où la causalité semblait directe.

9782340-014015_001_DroitPenalSpecial3_CM_EP3_744.indd 53 07/07/16 14:51


Retrouver ce titre sur Numilog.com
54 Première partie. Les atteintes portées à l’ intégrité physique de la personne

moment où la causalité n’est pas directe1. Une faute caractérisée n’est ainsi relevée
que dans l’hypothèse où aucune faute ordinaire ne peut être sanctionnée, c’est-à-dire
lorsque les personnes physiques, auteurs d’une telle faute, « n’ont pas causé directement
le dommage, mais… ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation
du dommage ou… n’ont pas pris les mesures permettant de l’ éviter »2.
À titre d’exemple, se rend coupable d’homicide involontaire, à raison de sa
faute caractérisée, le professionnel de la location qui confie un scooter des mers à un
individu qui, n’ayant pas le permis de navigation requis, en perd la maîtrise et tue et
blesse les occupants d’un autre scooter3. Dans une telle hypothèse, le dommage ne
résulte pas directement de la faute caractérisée : sans la faute du conducteur imprudent,
la collision mortelle ne se serait pas produite. La faute du loueur a supposé l’inter-
vention fautive d’un tiers pour réaliser son potentiel dommageable. Elle appelle tout
de même une sanction compte tenu de sa gravité. C’est le caractère inacceptable de
cette faute qui justifie que l’on remonte l’échelle des causes jusqu’à elle. Idem pour le
commerçant qui méconnaît les règles de sécurité applicables au produit qu’il vend4 et
pour le médecin qui donne à une infirmière des instructions imprécises5. Certaines
personnes, soit à raison de leur situation, soit à raison de leurs fonctions, doivent éviter
de placer autrui dans la position de commettre l’irréparable6. Lorsque l’on est tenu
à une vigilance particulière, il est normal de se voir reprocher un défaut de contrôle
qui aurait empêché autrui de provoquer un dommage.

116. Groupements – Par ailleurs, la loi du 10 juillet 2000 n’a rien changé à la res-
ponsabilité pénale des personnes morales dans une telle hypothèse. En effet, on l’a vu,
l’exigence de causalité directe ne concerne que les personnes physiques : le législateur
a maintenu la possibilité d’engager la responsabilité pénale de la personne morale
pour le compte de laquelle une faute, quelle que soit sa gravité, a été commise par son

1. V. également : E. Dreyer, « L’imputation des infractions aux règles d’hygiène et de sécurité », RSC
2004, p. 813.
2. En disposant de la sorte, l’article 121-3, al. 4, semble distinguer deux situations, suivant qu’il est
reproché à l’agent d’avoir agi ou de s’être abstenu. Toutefois, cela revient au même : peu importe
que l’agent ait donné une instruction déplacée ou se soit abstenu de donner l’ordre qui s’imposait.
Il faut essentiellement constater que sa faute n’est pas la causa proxima du dommage mais une cause
plus lointaine : l’agent est seulement à l’origine de la situation dangereuse dans le cadre de laquelle
la faute d’un tiers s’est révélée fatale.
3. Crim. 5 oct. 2004, B n° 236 ; RPDP 2004, p. 235, obs. J.-Ch. Saint-Pau.
4. Crim. 29 juin 2010, B n° 119 ; DP 2010, n° 136, obs. M. Véron. – Idem, s’il n’informe pas le
consommateur des précautions d’emploi qui s’imposent : Crim. 15 juin 2010, DP 2010, n° 136,
obs. M. Véron.
5. Crim. 1er avril 2008, DP 2008, n° 93, obs. M. Véron.
6. La faute des décideurs, publics ou privés, s’avère ainsi le plus souvent caractérisée (V. s’agissant d’un
chef d’entreprise tenu de faire respecter la législation du travail : Crim. 9 nov. 2010, DP 2011, n° 18,
obs. M. Véron. – 16 mars 2010, DP 2010, n° 74, obs. M. Véron). Mais ils ne sont pas seuls concer-
nés : l’automobiliste qui prête son véhicule à un individu ivre et sans permis contribue lui-aussi à la
réalisation du dommage qui ne manque pas de s’ensuivre (Crim. 14 déc. 2010, B n° 200 ; DP 2011,
n° 33, obs. M. Véron). Idem pour le bailleur qui ne met pas en conformité l’installation du gaz ou
de l’électricité dont un mauvais usage cause ensuite un accident (Crim. 7 sept. 2010, DP 2010,
n° 136, obs. M. Véron. – 18 nov. 2008, B n° 233 ; D 2009, p. 1320, note Y. Joseph-Ratineau).

9782340-014015_001_DroitPenalSpecial3_CM_EP3_744.indd 54 07/07/16 14:51


Retrouver ce titre sur Numilog.com
Chapitre 1. Les atteintes mortelles 55

organe ou représentant dès lors qu’il en est résulté un dommage pour autrui. Ainsi,
lorsqu’un accident survient dans une entreprise, parce qu’un salarié a pris une initiative
malheureuse à l’insu de son dirigeant, il n’y a sans doute pas faute caractérisée ou
même délibérée de ce dernier. Néanmoins, il peut subsister un défaut de surveillance
ou d’organisation – expliquant cette désobéissance – qui ne constitue qu’une faute
ordinaire, sans rapport direct avec le dommage. Cette faute ne permet plus d’engager
la responsabilité pénale du dirigeant mais elle permet toujours d’engager la responsa-
bilité pénale de la personne morale dont l’organisation s’est avérée défectueuse1. En
pratique, l’exigence d’une causalité directe reste donc limitée.

II. Répression des homicides involontaires

117. — La répression varie suivant que la faute était simple ou délibérée. La conscience
du risque mortel auquel l’agent a exposé autrui constitue en effet une circonstance
aggravante de l’homicide involontaire lorsque ce risque s’est réalisé2.

A. La sanction des fautes simples

118. Pénalités — La personne physique, auteur d’une faute simple à l’origine de la


mort d’autrui, est punie à titre principal de 3 ans d’emprisonnement et de 45 000 €
d’amende (art. 221-6, al. 1). Peu importe que cette faute soit ordinaire ou caractérisée.
Mais les peines sont portées à 5 ans d’emprisonnement et 75 000 € d’amende
lorsque l’homicide involontaire a été commis par le conducteur d’un véhicule terrestre
à moteur (art. 221-6-1, al. 1. — outre le retrait de plein droit de la moitié du nombre
maximal de points du permis de conduire : C. route, art. L 232-3). Au volant de tels
engins, l’imprudence ou la négligence serait, en effet, plus coupable encore. Par ailleurs
ces peines sont portées à 7 ans d’emprisonnement et 100 000 € d’amende lorsque
l’homicide involontaire s’accompagne de l’un des délits routiers énumérés à l’article 221-
6-13. Elles sont portées à 10 ans d’emprisonnement et 150 000 € d’amende lorsque
l’homicide involontaire a été commis avec plusieurs de ces délits routiers. C’est pour
contrarier le jeu du concours réel d’infractions que ces circonstances aggravantes ont

1. Crim. 28 avril 2009, B n° 80 ; JCP 2009, 402, note J.-Y. Maréchal. – 24 oct. 2000, B n° 308 ;
D 2002, p. 514, note J.-Ch. Planque ; JCP 2001, II, 10535, note M. Daury-Fauveau. – V. aussi
s’agissant de la mauvaise organisation d’un hôpital : Crim. 9 mars 2010, B n° 49 ; D 2010, p. 2135,
note J.-Y. Maréchal.
2. En toute hypothèse, les associations de consommateur sont également autorisées à se constituer
partie civile de ce chef dès lors qu’un décès provient du défaut de conformité d’un produit (Crim.,
1er avril 2008, B n° 88 ; DP 2008, n° 110, obs. M. Véron). Mais aucune action civile ne saurait
prospérer contre un médecin-hospitalier dont la faute n’est pas détachable des fonctions (Crim.
8 févr. 2011, DP 2011, n° 61, obs. M. Véron). À signaler également que des règles de procédure
particulières s’appliquent désormais en cas d’accident collectif (CPP, art. 706-176 et s.).
3. Sont énumérés notamment la conduite en état d’ivresse manifeste ou sous l’emprise de produits
stupéfiants, le refus de se soumettre à des contrôles permettant d’établir un état d’imprégnation
alcoolique ou toxicologique, l’absence d’un permis de conduire valable au moment des faits ainsi
que le délit de fuite.

9782340-014015_001_DroitPenalSpecial3_CM_EP3_744.indd 55 07/07/16 14:51


Retrouver ce titre sur Numilog.com
56 Première partie. Les atteintes portées à l’ intégrité physique de la personne

été prévues. À défaut, en effet, il n’aurait pu en résulter d’aggravation de la répression


à l’encontre du chauffard.
Une échelle des peines comparable a été introduite lorsque l’homicide involon-
taire « résulte de l’agression commise par un chien » à l’encontre du propriétaire ou de
celui qui détenait le chien au moment des faits (art. 221-6-2)1.
En revanche, aucune aggravation n’est encourue du fait de la pluralité de victimes,
ce qui a été regretté car l’hypothèse est fréquente2. De surcroît, lorsqu’une même
faute cause la mort d’une personne et en blesse une autre, la Cour de cassation admet
que deux déclarations de culpabilité puissent être prononcées mais requiert qu’une
seule peine soit prononcée3. Ce qui paraît contradictoire mais résulte de sa volonté
de concilier le principe non bis in idem avec la nécessaire indemnisation des victimes.

119. Autres — Par ailleurs, à ces peines principales, s’ajoutent des peines complémen-
taires énumérées à l’article 221-8 (I). Spécialement, lorsque l’homicide involontaire est
commis par un chauffard, la suspension – voire l’annulation – du permis de conduire
peut être prononcée pour une durée d’au plus 10 ans sans possibilité de sursis (lorsque
l’homicide involontaire n’est pas commis au volant, seule est encourue une suspension
du permis de conduire pendant 5 ans avec possibilité de sursis ou d’aménagement à
des fins professionnelles). Si le conducteur était propriétaire du véhicule ayant servi
à commettre l’infraction, ce véhicule peut être immobilisé pendant un an, voire
confisqué. En plus, le coupable peut se voir imposer un stage de sensibilisation à la
sécurité routière ainsi qu’un stage de sensibilisation aux dangers de l’usage des pro-
duits stupéfiants4. Est également encourue la peine complémentaire d’affichage ou
de diffusion de la décision de condamnation (art. 221-10).
Lorsque l’homicide involontaire survient à l’occasion d’une action de chasse, le
permis peut en outre être retiré de façon temporaire ou définitive (C. env., art. L. 428-14).

120. Groupement — La personne morale déclarée coupable d’un homicide involon-


taire s’expose, quant à elle, à une amende portée au quintuple de celle encourue par
la personne physique pour la même infraction ainsi qu’à l’interdiction de poursuivre
l’activité dans l’exercice ou à l’occasion de laquelle l’infraction a été commise5. Elle
s’expose également au placement, pour une durée de 5 ans au plus, sous surveillance
judiciaire, à la confiscation de la chose qui a servi ou était destinée à commettre
l’infraction ou de la chose qui en est le produit ainsi qu’à l’affichage de la décision
prononcée ou à la diffusion de celle-ci (art. 221-7).

1. La confiscation encourue à ce titre conduit à la remise de l’animal à une fondation ou association


qui pourra en disposer (art. 131-21-1). Mais la juridiction peut aussi ordonner qu’il soit procédé à
son euthanasie lorsqu’il s’avère dangereux (Crim. 29 janv. 2013, DP 2013, n° 69, obs. M. Véron).
2. V. not. J. Francillon, Code pénal commenté, préc., p. 163. – Une telle circonstance aggravante existe
par ex. en matière d’enlèvement et de séquestration (art. 224-3) ou de proxénétisme (art. 225-7,
3°). Pourquoi pas là ? La part du hasard n’apparaît pas plus grande ici que dans l’évaluation d’un
dommage individuel…
3. Crim. 26 oct. 2010, GP 5-6 janv. 2011, p. 19, obs. E.Dreyer.
4. Sur la constitution de partie civile des associations de lutte contre la violence routière, V. CPP,
art. 2-12.
5. Crim. 15 janv. 2008, DP 2008, n° 71, obs. M. Véron.

9782340-014015_001_DroitPenalSpecial3_CM_EP3_744.indd 56 07/07/16 14:51


Retrouver ce titre sur Numilog.com
Chapitre 1. Les atteintes mortelles 57

B. La sanction aggravée de la faute délibérée

121. Pénalités — Les peines encourues par les personnes physiques sont portées
à 5 ans d’emprisonnement et 75 000 € d’amende lorsque la mort d’autrui a résulté
d’une « violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou
de sécurité imposée par la loi ou le règlement » (C. pén., art. 221-6, al. 2). Ces peines
sont même portées à 7 ans d’emprisonnement et 100 000 € d’amende lorsqu’une telle
faute a été commise par le conducteur d’un véhicule terrestre à moteur et elles sont
portées à 10 ans d’emprisonnement et 150 000 € d’amende lorsque ce conducteur a
commis, en plus, l’un des délits routiers énumérés à l’article 221-6-1, al. 2.
Pour les peines complémentaires, V. supra, n° 119.
Pour les peines encourues par les personnes morales, V. supra, n° 120.

122. — Cette notion de faute délibérée est complexe. Il faut la définir avant de
pouvoir envisager son régime qui va bien au-delà du régime des autres circonstances
aggravantes.

1. La notion de faute délibérée

123. Délimitation — La faute délibérée est une faute de nature différente de la faute
simple. Elle consiste à « prendre bêtement et crânement des risques graves pour autrui1 ».
Elle implique une « adhésion psychologique au comportement lui-même2 » : une obligation
particulière de prudence ou de sécurité s’imposait à l’agent et il l’a violée sciemment.
Il a donc recherché ce manquement. On ne lui reproche pas d’avoir ignoré l’obligation
qui s’imposait à lui ; on ne prétend pas qu’il aurait dû, à tout le moins, connaître le
texte lui servant de base : on admet qu’il savait et qu’il a agi « quand même » en étant
convaincu que le dommage ne surviendrait pas ou qu’il parviendrait à l’éviter. La
seule différence par rapport à l’intention tient au fait que ce dommage n’a pas été
recherché par l’agent. Mais il est tout de même certain que la démarche de l’agent
était volontaire. Voilà ce qui distingue la faute délibérée de la faute simple.
Cela étant dit, toute faute délibérée n’est pas prise en compte à l’article 221-6,
al. 2. La faute délibérée fait l’objet d’une définition étroite. Cette faute n’est prise en
compte qu’à l’occasion d’un manquement spécifique ; ce manquement doit, en plus,
être à l’origine d’un décès.

a. L’objet du manquement

124. Source — La faute délibérée n’est prise en compte qu’à l’occasion de la viola-
tion d’une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement.
Cela signifie, tout d’abord, que le manquement à une obligation de prudence ou de
sécurité non écrite – dont le respect peut s’imposer à tout bon père de famille ou tout
bon professionnel – n’entre pas dans le champ de l’incrimination. Il faut que cette

1. P. Couvrat, « La responsabilité et le nouveau Code pénal », in Métamorphoses de la responsabilité,


Droit et cultures, t. 31, 1996, p. 103.
2. Y. Mayaud, « Retour sur la culpabilité intentionnelle en droit pénal », D 2000, p. 604.

9782340-014015_001_DroitPenalSpecial3_CM_EP3_744.indd 57 07/07/16 14:51


Retrouver ce titre sur Numilog.com
58 Première partie. Les atteintes portées à l’ intégrité physique de la personne

obligation de prudence ou de sécurité ait été formellement prévue dans un texte1. Peu
importe sa nature législative ou règlementaire.

125. Caractères — Il faut, ensuite, que le manquement résulte d’une obligation


« particulière » de prudence ou de sécurité. Cette exigence est elle aussi essentielle
car elle ne s’impose pas à l’égard des fautes simples qui peuvent ne résulter que d’un
« manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règle-
ment » (art. 121-3, al. 2). Il ne suffit donc pas qu’une loi ou un règlement crée une
obligation d’agir à la charge de certaines personnes. Il faut en plus que cette obligation
soit déterminée2. Au-delà du simple devoir de prévention, elle doit commander une
action ou une abstention précise3. Tel n’est pas le cas pour l’obligation résultant de
l’article L 131-2.6°, C. communes (actuel article L 2212-2, 3°, CGCT) « qui confie au
maire de façon générale le soin de prévenir et faire cesser tous les événements survenant
sur le territoire de sa commune et de nature à compromettre la sécurité des personnes4 ».
Certaines décisions sèment néanmoins le doute sur le degré de précision attendu de
l’obligation en cause5. Elles relativisent ce qu’une telle exigence peut avoir de restrictif.

126. Bilan – L’origine et la précision de l’obligation de prudence ou de sécurité s’avèrent


essentielles. La seule perception du risque et le fait de passer outre ne suffisent pas pour
établir une faute délibérée au sens de l’article 121-3, al. 4. Cela introduit une dualité
de régime regrettable, au sein des fautes délibérée, qui contraint – on l’a vu – la Cour
de cassation à traiter en fautes caractérisées certaines fautes délibérées « imparfaites »
(V. supra, n° 104). Mais ce n’est pas tout. Car une autre source de difficultés tient
aux conséquences du manquement à l’obligation de prudence ou de sécurité. Il doit
avoir créé un risque mortel pour autrui. Et ce risque doit s’être réalisé pour que la
qualification d’homicide involontaire puisse être retenue. Il doit donc produire deux
conséquences sur la portée desquelles on peut s’interroger.

b. Les conséquences du manquement

127. Risque — En premier lieu, le manquement doit avoir exposé autrui à un risque
mortel. La question se pose alors de savoir si cette prise de risque devait être consciente
pour que la faute apparaisse délibérée. La discussion est permise par les nuances intro-
duites entre plusieurs dispositions du Code. Il résulte des article 121-3, al. 4 et 221-6,
al. 2 que c’est la violation de l’obligation qui doit être délibérée. Mais il ressort tout
aussi clairement du deuxième alinéa de l’article 121-3, dont la portée est générale, que
la mise en danger d’autrui devrait elle-même être délibérée. La prise de risque devrait
alors être consciente ; l’agent devrait avoir clairement envisagé le danger susceptible

1. Crim. 10 déc. 2002, B n° 223 ; RSC 2003, p. 332, obs. Y.Mayaud.


2. V. aussi : St. Charpentier, « Le délit de mise en danger », in Le nouveau Code pénal, dix ans après,
Pedone, 2005, p. 99.
3. Crim. 11 juin 2014, GP 19-21 oct. 2014, p. 28, obs. E.Dreyer.
4. Crim. 25 juin 1996, B n° 274 ; DP 1996, n° 265, obs. M. Véron.
5 V. admettant qu’est particulière l’obligation de veiller à la propreté des lieux ou de fournir aux
salariés une protection adaptée : Crim. 24 juin 2014, B n° 162 ; GP 18-19 juill. 2014, p. 19, note
R. Mésa.

9782340-014015_001_DroitPenalSpecial3_CM_EP3_744.indd 58 07/07/16 14:51


Retrouver ce titre sur Numilog.com
Chapitre 1. Les atteintes mortelles 59

de se produire à l’occasion de son manquement à une obligation de prudence ou de


sécurité. C’est d’ailleurs le sens que recouvrait le dol éventuel avant l’entrée en vigueur
du Code pénal ; c’est aussi ce qui permet de distinguer le plus nettement cette faute
délibérée de la faute caractérisée où l’on considère seulement que l’agent « aurait dû »
avoir conscience du risque d’une particulière gravité auquel il a exposé autrui…
La conciliation entre ces textes, d’époques différentes et non coordonnés, s’avère
délicate. Néanmoins, compte tenu de la difficulté de preuve de la conscience du risque,
la Cour de cassation préfère retenir (première hypothèse) que la faute découle de la
seule violation consciente d’une obligation de prudence ou de sécurité. Elle admet
ainsi qu’une cour d’appel « n’ était pas tenue de constater que l’auteur du délit avait eu
connaissance de la nature du risque particulier effectivement causé par son manquement1 ».
Mais, lorsque la conscience du risque est établie, on peut a fortiori, en déduire la
conscience chez l’agent de violer une obligation qui s’imposait à lui et qu’il ne peut
prétendre avoir ignorée (V. infra, n° 208).

128. Mort – En toute hypothèse, le manquement ne doit pas seulement avoir exposé
autrui à un risque mortel. Il doit avoir permis la réalisation de ce risque : pour qu’il
y ait homicide involontaire aggravé, la preuve de l’obtention de ce résultat redouté
doit être rapportée. La mort d’autrui doit être établie pour caractériser une infraction
matérielle et elle ne doit pas avoir été recherchée pour caractériser une infraction non
intentionnelle : l’expression dol éventuel parfois employée pour désigner l’élément
moral de cet homicide involontaire aggravé s’avère donc ambiguë. Elle mérite d’être
abandonnée car le dol évoque l’intention. Or, il ne saurait être question d’intention
ici sous peine de confondre homicide involontaire et meurtre. Même s’il avait été posé
en règle générale que la prise de risque doit être consciente, il aurait fallu considérer
que l’agent ne souhaitait pas la réalisation du risque. L’option retenue par la Cour de
cassation (évoquée au paragraphe précédent) évite cette preuve difficile.

2. Le régime de la faute délibérée

129. — La spécificité de la faute délibérée apparaît s’agissant de ses modalités d’appré-


ciation ainsi que du lien de causalité devant exister par rapport au dommage qu’elle
a engendré.

a. L’appréciation de la faute délibérée

130. Méthode — C’est ici que la différence entre les fautes simples et la faute délibérée
produit tous ses effets. Alors que les premières s’apprécient in abstracto, la seconde ne
peut s’apprécier qu’in concreto. Il n’est plus question de raisonner par rapport à un
modèle de comportement : il faut établir non pas que l’agent aurait dû connaître la
règle qu’il transgressait mais qu’il la connaissait effectivement et qu’il l’a transgressée
« en pleine connaissance de cause2 ». La méthode s’impose : le caractère délibéré de la

1. Crim. 16 févr. 1999, B n° 24 ; RSC 1999, p. 581, obs. Y.Mayaud.


2. Crim. 3 déc. 2002, B n° 219 ; RSC 2003, p. 334, obs. Y.Mayaud.

9782340-014015_001_DroitPenalSpecial3_CM_EP3_744.indd 59 07/07/16 14:51


9782340-014015_001_DroitPenalSpecial3_CM_EP3_744.indd 744 07/07/16 14:54

Vous aimerez peut-être aussi