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Selon le professeur Chapu, le rapporteur public est « une des plus illustres

spécificités de notre contentieux administratif ».


En effet, le rôle du rapporteur public revêt une importance fondamentale au sein de
notre gouvernement. En tant que magistrat faisant partie du Conseil d'État, il
expose publiquement et de manière indépendante son opinion sur les requêtes
soumises à jugement ainsi que sur les solutions qu'elles nécessitent.

Dans cet arrêt en date du 21 juin 2013 (n°352427), le Conseil d’État a clarifié de
manière didactique le nouveau rôle du rapporteur public dans le contentieux
administratif. Cette décision revêt une importance significative pour les justiciables,
car elle met en lumière le rôle singulier de ce magistrat aux fonctions particulières.

En l’espèce, l'association du quartier de Saint-Pierre à Martigues a contesté devant


le tribunal administratif l'autorisation d'exploiter un centre de stockage de déchets
accordée à la Communauté d'agglomération. Le tribunal a annulé l'autorisation,
mais la Communauté a fait appel sans succès. Elle se pourvoit maintenant en
cassation, arguant d'irrégularités procédurales, notamment le manque
d'informations sur les motifs du rejet de leur requête par le rapporteur public.

Le Conseil d’Etat est alors invité à répondre à la question qui est de savoir si les
conclusions du rapporteur public doivent être soumises aux parties avant
l’audience en vertu du principe du caractère contradictoire de la justice.

Le Conseil d’État n’accueille pas les demandes de la Communauté


d’agglomération. Il rejette le pourvoi estimant que la procédure n’a été entachée
d’aucune irrégularité. Le Conseil d’État confirme alors le rejet « Consid rant qu’il
r sulte de ce qui pr c de que la Communaut d’agglom ration du pays de
Martigues n’est pas fond e soutenir que l’arr t attaqu aurait t rendu au terme
d’une proc dure irr guli re, faute pour le rapporteur public, qui a mis les parties en
mesure de conna tre avant l’audience le sens de ces conclusions, de les avoir
inform es des motifs qui l’ont conduit proposer le rejet de sa requ te d’appel »

Il s’agit alors pour le Conseil d’Etat de savoir quelles obligations pèsent sur le
rapporteur public à l’instance vis-à-vis des parties.

Question à laquelle il répondra en confirmant le rejet de la soumission du


rapporteur public au principe du caractère contradictoire (I) ainsi qu’en réaffirmant
le rôle renouvelé du rapporteur public dans les litiges administratifs (II) précisant les
contours de ses récents aménagements statutaires.

I. Le rejet de la soumission du rapporteur public au principe du caractère


contradictoire de la justice

Dans sa décision, le Conseil d’État établit un raisonnement concis caractérisé en


premier lieu par un rappel du caractère contradictoire imposé lors de la phase



















d’instruction judiciaire (A), afin d’y effectuer une dichotomie avec les conclusions du
rapporteur public (B) qui sont à distinguer en matière de règles applicables.

A. Le rappel bienvenu de l’application du principe du caractère


contradictoire à la justice administrative

En effet, dans l’espèce, le Conseil d’État a été invité à réaffirmer le principe du


caractère contradictoire, étant l’un des fondements du système judiciaire français. Il
en a de ce fait rappelé les modalités applicables aux juridictions administratives en
énonçant l’article L. 5 du Code de Justice Administrative prévoyant que
« l’instruction des affaires est contradictoire ».
Comme le rappelle la Haute juridiction, le principe du caractère contradictoire en
justice administrative « tend à assurer l’égalité des parties devant le juge ; il
favorise également l'établissement des faits en permettant à chaque partie de
présenter ses arguments et ses preuves devant la juridiction compétente »,
affirmant ainsi son importance dans le droit français.
Néanmoins, bien qu’il soit énoncé que « ces règles sont applicables à l’ensemble
de la procédure d’instruction à laquelle il est procédé sous la direction de la
juridiction », le Conseil d'État est sollicité ici à confirmer ou non l’application de ce
principe aux conclusions émises par le rapporteur public, lesquelles reposent sur
son analyse, son jugement et son opinion.
La partialité du rapporteur public a été remise en question par le passé, notamment
dans l'arrêt Kress c. France de 2001 de la Cour Européenne des Droits de
l'Homme, en raison de la participation du rapporteur public aux délibérations des
chambres de jugement après avoir rendu ses conclusions publiquement, ce qui a
pu donner l'impression d'une impartialité.
Ainsi, la question du contradictoire en matière de justice administrative a été
débattue, en particulier concernant le rôle du rapporteur public. Néanmoins, le
Conseil d'État a souligné la distinction entre l'intervention de ce dernier et la phase
d'instruction, le soustrayant ainsi à l'application du principe contradictoire.

Il est donc essentiel d’apprécier, dans ce second considérant, le choix de la Haute


juridiction de rappeler ce principe, amenant le déroulement d’une suite logique de
son raisonnement pour opposer les conclusions du rapporteur au principe du
caractère contradictoire.

B. L’affirmation de la dichotomie des conclusions du rapporteur public de la


procédure d’instruction judiciaire

En effet, dans cet arrêt, le Conseil d’État a réitéré sa traditionnelle position issue
des arrêts « Gervaise », du 10 juillet 1957 (n° 26517, rec. p. 466) et « Mme
Esclatine », du 29 juillet 1998 (n° 179635 et 180208), en précisant que les missions
du rapporteur public sont : « d’exposer les questions que présente à juger le
recours sur lequel il conclut et de faire connaître, en toute indépendance, son
appréciation, qui doit être impartiale, sur les circonstances de fait de l’espèce et les
règles de droit applicables ainsi que son opinion sur les solutions qu’appelle,
suivant sa conscience » permettant ainsi de consolider et sécuriser sa place dans
le procès administratif. Ce faisant, la juridiction rappelle également ce que le
rapporteur public n’est pas : une partie au procès représentant l’administration. Il
s’agit d’une confusion qui a pu trouver sa source dans la dénomination de la
fonction du rapporteur public qui avant 2009 était désigné par le nom de
« commissaire du gouvernement ».

De plus, la Haute juridiction poursuit en affirmant que « le litige soumis à la


juridiction à laquelle il appartient, prononce ses conclusions après la clôture de
l’instruction » et qu’en conséquence « l’exercice de cette fonction n ’est pas soumis
au principe du caractère contradictoire de la procédure applicable à l’instruction ».
Le rapporteur public intervenant à l’audience, après l’instruction de l’affaire et sans
en être une partie, n’est donc pas soumis au principe du contradictoire.
Ce raisonnement se justifie selon le conseiller d’État Mattias Guyomar puisque
« prendre parti ce n’est pas devenir partie, même si cette prise de partie finit
immanquablement par épouser les prétentions l’une ou l’autre partie au litige »

Alors que l’arrêt du Conseil d’État exclut la soumission du rapporteur public au


principe du contradictoire, la CEDH considère pourtant que le rapporteur public
reste soumis à une forme du principe du contradictoire. Ce raisonnement prend
tout son sens lorsqu’on remarque l’entropie de la réflexion du Conseil d’Etat dans
cet arrêt.
Dans la continuité de son raisonnement la Haute juridiction va tenter d’éclairer son
raisonnement sur les obligations du rapporteur public.

II. La réaffirmation du rôle renouvelé du rapporteur public dans les litiges


administratifs.

Dans la continuité de sa décision, le Conseil d’État intervient dans la clarification de


la nécessité d’une communication aux parties du sens des conclusions du
rapporteur public (A), ainsi que par la redéfinition inepte des obligations du
rapporteur public ( B)

A. L’obligation discutable d’une communication du sens des conclusions aux


parties

Quand bien même le rapporteur public n’est pas lié au principe du caractère
contradictoire de la phase d’instruction, le Conseil d’État établit tout de même un
cadre sur le déroulement de la communication du sens de ces conclusions.
La première partie du sixième considérant fait référence à l'arrêt Sogedame du 18
décembre 2009 qui avait clarifié l'objectif de l'article R. 711-3 concernant la
communication aux parties du sens des conclusions du rapporteur public.
En effet, la communication du sens des conclusions aux parties, comme prévue
par l'article R. 711-3 du Code de Justice Administrative, vise plusieurs objectifs.

Tout d'abord, comme le rappel le Conseil d’État elle a pour objet de « mettre les
parties en mesure d’apprécier l’ opportunité d’assister à l’audience publique, de
préparer, le cas échéant, les observations orales qu’elles peuvent y présenter,
après les conclusions du rapporteur public, à l’appui de leur argumentation écrite et
d’envisager, si elles l’estiment utile, la production, après la séance publique, d’une
note en délibéré ».

Or, la Haute juridiction confirme également que « les parties ou leurs mandataires
doivent tre mis en mesure de conna tre, dans un d lai raisonnable avant
l’audience, l’ensemble des l ments du dispositif de la d cision que le rapporteur
public compte proposer la formation de jugement d’adopter, l’exception de la
r ponse aux conclusions qui rev tent un caract re accessoire » montrant par
l’utilisation du verbe « devoir » une obligation imposé au rapporteur d’informer les
parties sur le sens de ses conclusions de plus « avant l’audience ».
En pratique, cela signifie que le rapporteur public doit transmettre ses conclusions
avant l'audience afin de respecter l'obligation de communication. Cette
communication doit être effectuée dans un temps permettant aux parties de décider
s'il est opportun d'assister à l'audience publique et, le cas échéant, de présenter
des observations orales.
L'introduction de la notion de "délai raisonnable" dans cet arrêt constitue une
innovation, car elle ne découle pas expressément de l'article R. 711-3. Aucune
précision n'est donnée quant à la définition de ce délai raisonnable, ce qui en fait
une notion parfaitement floue et indéterminée.

Le Conseil d’Etat dans son optique d’affirmation de l’extension des obligations du


rapporteur public, se perd en réalité dans des définitions vastes ou inexistante
comme « le délai raisonnable » non caractérisé. De ce fait, la poursuite de la
compréhension de l’arrêt se fait houleuse.

B. La redéfinition inepte des obligations du rapporteur public

En effet, le septième considérant de l'arrêt adopte une position novatrice sur la


question de la portée de l'obligation de communication du "sens des conclusions"
du rapporteur public aux parties. Dans la première partie de ce considérant, le
Conseil d'État rappelle que l'étendue de cette obligation doit être évaluée en
fonction de l'objectif de l'article R. 711-3.

Ainsi, « il appartient au rapporteur public de préciser, en fonction de l'appréciation


qu'il porte sur les caractéristiques de chaque dossier, les raisons qui déterminent la
solution qu'appelle, selon lui, le litige, et notamment d'indiquer, lorsqu'il propose le
rejet de la requête, s'il se fonde sur un motif de recevabilité ou sur une raison de
fond, et de mentionner, lorsqu'il conclut à l'annulation d'une décision, les moyens
qu'il propose d'accueillir ». L’utilisation du mot « appartenir » crée un flou dans ce
qui est de l’obligation ou non pour le rapporteur d’effectuer cette tache.

Toutefois, la deuxième partie du considérant précise que « la communication de


ces informations n’est pas prescrite à peine d’irrégularité de la décision »confirmant
le caractère obligatoire qui n’est pourtant pas sanctionner en cas d’irrégularité
constaté. Il est à comprendre que ne pas annuler une décision pour le non-respect
d’une obligation procédurale ne signifie pas nécessairement qu’une obligation
n’existe pas.











La juridiction va également affirmer qu’ «apr s avoir communiqu le sens de ses
conclusions, envisage de modifier sa position doit, peine d’irr gularit de la
d cision, mettre les parties m me de conna tre ce changement »
En l’état actuel du droit, la solution retenue par l’arrêt ne peut qu’engendrer
d’importantes disparités dans le fonctionnement de la justice administrative.
Comme l’affirme le professeur Alain Marion, « à la manière de la morale de Kant
qui, selon Sartre, a les mains propres mais n'a pas de mains, la justice
administrative façonne des produits parfaits dont personne ne peut se servir ». Cet
arrêt est indéniablement un de ses produits au raisonnement parfait mais à la
praticité nulle.

Ainsi, il est regrettable de constater que malgré l'élan impulsé par cet arrêt en
faveur d'une procédure administrative plus équitable, il se heurte à une
jurisprudence incertaine et résistante. Il reste encore à trouver un équilibre plus
stable entre la nécessité de sécurité juridique et la préservation des droits à un
procès équitable. Bien que cet arrêt soit prudent, il marque néanmoins un premier
pas dans cette direction.








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