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En attendant Pasolini

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25 novembre 2008

Un sac de plastique s’accroche à un arbuste et repart avec le vent : lorsqu’En attendant


Pasolini commence, Tarfaya continue. On retrouve effectivement dans ce quatrième film une
bonne partie de ce qui fait la qualité du cinéma de Daoud Alouad-Syad : une image de
photographe attentive aux objets et aux signes, la mise en perspective par l’utilisation des
grands espaces, le temps des êtres plutôt que celui du récit, un entre-deux imaginaire
magnifiant les personnages, un flottement général dans l’attente et la quête, une sensualité
diffuse, la poésie comme écriture aussi bien que comme vision du monde. Mais ici, Daoud
ajoute un absent de ses précédents films : la comédie. La dérision y fonctionne pourtant
comme une greffe derrière laquelle pointe l’amertume, voire le désabusement, ce tragique
vu de dos dont parlait Genette pour désigner l’humour. La peinture caustique mais très
humaine qu’il dresse de ces habitants à l’affût de la bonne occasion de sortir de la misère
n’est pas sans rappeler Les Toilettes du Pape d’Enrique Fernandes et Cesar Charlone où
tout un village urugayen pensait pouvoir vendre des monceaux de victuailles à la foule que la
télévision annonçait pour une étape du Pape.
Ici, l’occasion, c’est un tournage, ce qui permet à Daoud de faire le film dont il avait rêvé en
voyant La Nuit américaine de Truffaut ou Salaam Cinema de Mohsen Makhmalbaf. L’idée lui
en est venue en découvrant Ouarzazate Movie (2001), l’excellent documentaire d’Ali Essafi
sur les tournages de péplums italiens ou américains dans le sud marocain. Ainsi donc, des
producteurs italiens viennent au village pour un tournage dans des décors pharaoniques,
font un casting, trient impitoyablement les figurants Pasolini y avait déjà tourné Œdipe Roi
en 67 et, tombé amoureux du Maroc, y avait laissé une profonde empreinte. Le vieux Thami
(merveilleux Mohamed Majd), recyclé dans la réparation des vieilles télés et le branchement
des paraboles, en profite pour faire revivre le mythe qui ne l’a jamais quitté, si bien que la
distance entre le cinéma de Pasolini et la mièvrerie des scènes du péplum se mue en une
nostalgie partagée d’un monde en perdition. C’est une vision de cinéma autant que les
lumières d’un Pasolini chrétien communiste assassiné que l’on enterre avec l’abandon d’un
tournage que n’auront pu sauver les colliers et les tirades d’Œdipe Roi. Lorsqu’un nouveau

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tournage se dessine, Thami ne détournera même pas la tête.
A quoi bon de toute façon se battre dès lors que le mokadem continue de prélever sa dîme
et que le fkih masque de ses discours pieux sa passion du lucre, lorgnant sur toute nouvelle
jeune femme passant par là ? La dérision démonte les pouvoirs et les apparences dans un
grand sourire mais le constat est rude : dans ce monde de manipulation tous azimuts,
l’imaginaire a perdu la partie. Restent le recul et la distance, ceux-là même que développe
Daoud Aoulad-Syad dans ce film aussi étonnant qu’attachant, à la fois tendre, amer et drôle,
une belle contribution à la peinture des désillusions de notre époque.

///Article N° : 8198

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