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[La maîtresse :] Nous allons voir comment vous vous êtes tirées du problème des bois de la
commune. Quelles sont celles d’entre vous qui l’ont fait ?
Delphine et Marinette furent seules à lever la main. Ayant jeté un coup d’œil sur leurs cahiers, la
maîtresse eut une moue qui les inquiéta un peu. Elle paraissait douter que leur solution fût exacte.
- Voyons, dit-elle en passant au tableau, reprenons l’énoncé. Les bois de la commune ont une
étendue de seize hectares…
Ayant expliqué aux élèves comment il fallait raisonner, elle fit les opérations au tableau et
déclara :
- Les bois de la commune contiennent donc quatre mille huit cents chênes, trois mille deux cents
hêtres et seize cents bouleaux. Par conséquent, Delphine et Marinette se sont trompées. Elles auront une
mauvaise note.
- Permettez, dit la petite poule blanche. J’en suis fâchée pour vous, mais c’est vous qui vous êtes
trompée. Les bois de la commune contiennent trois mille neuf cent dix-huit chênes, douze cent quatorze
hêtres et treize cent deux bouleaux. C’est ce que trouvent les petites.
- C’est absurde, protesta la maîtresse. Il ne peut y avoir plus de bouleaux que de hêtres. Reprenons
le raisonnement…
- Il n’y a pas de raisonnement qui tienne. Les bois de la commune contiennent bien treize cents deux
bouleaux. Nous avons passé l’après-midi d’hier à les compter. Est-ce vrai, vous autres ?
- C’est vrai, affirmèrent le chien, le cheval et le cochon.
- J’étais là, dit le sanglier. Les arbres ont été comptés deux fois.
La maîtresse essaya de faire comprendre aux bêtes que les bois de la commune dont il était
question dans l’énoncé, ne correspondaient à rien de réel, mais la petite poule blanche se fâcha
et ses compagnons commençaient à être de mauvaise humeur. « Si l’on ne pouvait se fier à
l’énoncé, disaient-ils, le problème lui-même n’avait plus aucun sens. » La maîtresse leur déclara
qu’ils étaient stupides. »
Puisque le vrai se trouve dans le jugement, partons de sa formulation la plus classique qu’on
appelle la VERITE comme ADEQUATION : (« Veritas adaequatio rei et intellectu est ») « La vérité
réside dans l’adéquation entre la chose et l’esprit. » Le problème de cette formulation, c’est
qu’elle comporte une ambiguïté : est-ce à l’esprit de se conformer à la chose, ou bien à la chose de
se conformer à l’esprit ? En quoi consiste le vrai ? Précisons le problème en développant chacun
des deux membres de l’alternative.
- « Veritas adaequatio rei cum intellectu est » (« esse in intellectu solo » : l’être de la vérité se
trouve dans l’esprit) : « la vérité réside dans la conformité de la chose avec l’esprit. ». C’est aux
choses de se conformer à l’esprit, comme si la vérité existait préalablement aux choses dans
l’esprit, en Idées. Celles-ci seraient comme des modèles auxquels les choses devraient se plier.
C’est dans l’esprit seul (« in intellectu solo ») que l’on trouverait le vrai. Il y a dans, l’esprit, des
règles ou des critères du vrai. Telle est la position que soutient l’IDEALISME.
- « Veritas adaequatio intellectus cum re est » (« esse in re » : l’être de la vérité se trouve dans la
chose) : « La vérité réside dans la conformité de l’esprit avec la chose. ». Dans ce cas, c’est la
réalité qui commande le questionnement et la connaissance ; les choses gardent l’initiative : elles
sont le critère de validation du jugement. La vérité serait dans les choses (« esse in re »). Telle est
la position empirique, celle du REALISME.
On voit, à partir de ces deux sens de l’adéquation, se dessiner deux grands chemins ; nous
allons pouvoir les suivre, éprouver différentes méthodes afin de voir si, au bout de ces chemins,
nous trouverons la vérité et laquelle. Car, il y a deux grandes familles de vérités, les vérités
formelles qui seront le fruit du seul raisonnement, comme dans les SCIENCES FORMELLES que sont
la logique et les mathématiques ; puis, les vérités matérielles qui surgiront de la confrontation de
la pensée avec le réel, dans les SCIENCES EXPERIMENTALES et les SCIENCES HUMAINES, par
exemple. Mais avant de distinguer ces domaines de scientificité, nous allons voir en quoi le
langage se trouve au cœur de toute recherche de vérité.
Afin de cerner les enjeux relatifs à la notion de LANGAGE commençons par procéder à quelques
précisions de vocabulaire :
LE LANGAGE : au sens large, le langage signifie tout système ou ensemble de SIGNES permettant
l’expression ou la communication. On parle ainsi du langage informatique, du langage des
animaux, du langage du corps, etc.
LA LANGUE : c’est le produit social de la faculté du langage, autrement dit l’ensemble des
conventions nécessaires adoptées par le corps social. La langue est le moyen par lequel les
hommes d’une certaine communauté se comprennent. Il y a des langues vivantes, des langues
mortes. La science qui étudie le fonctionnement des langues est la linguistique (problèmes de
l’origine des langues, de la pluralité des langues).
LA PAROLE : C’est l’utilisation que chaque individu fait de sa langue en énonçant des mots et en
les articulant au moyen de la voix. On distingue la parole et l’écriture.
Du langage à la parole en passant par la langue, s’établit une gradation du général au singulier : le
langage touche des réalités qui ne sont pas exclusivement humaines ; la langue concerne une
communauté linguistique donnée (langue française, latine, etc.) ; la parole est toujours liée à un
exercice individuel (singularisation par la voix, les intonations, etc.). SAUSSURE, Cours de
linguistique générale : « En séparant la langue de la parole on sépare du même coup : 1) ce qui est
social de ce qui est individuel ; 2) ce qui est essentiel de ce qui est accessoire. »
LE DIALOGUE : du grec dialogos : de dia, à travers et logos, la parole. Sens ordinaire : discussion
entre deux ou plusieurs personnes visant à produire un accord. Le dialogue est le propre de
l’homme. Seul l’homme est capable, non seulement de communiquer avec autrui, mais encore
d’échanger avec lui, de questionner et de répondre. C’est que, pour l’homme, le langage n’est pas
essentiellement, comme chez les animaux, un outil de communication, un simple relais de l’action
–bien qu’il puisse l’être parfois, notamment lorsqu’il sert à donner des ordres-, mais ce par quoi il
accède à la pensée et à la représentation ; c’est aussi en cela qu’il est l’instrument de la VERITE. Le
dialogue est un échange d’idées. Davantage encore, il est ce par quoi nos idées se forment.
Dialoguer c’est moins communiquer à autrui des pensées déjà faites, que s’efforcer de les produire
en les formulant devant lui, en acceptant de s’exposer à la critique. Dialoguer c’est aussi, en
prévoyant les objections, éprouver la solidité de ses arguments. Le dialogue est donc fécond et
porte plus loin l’exigence de la pensée.
A partir de ces définitions, nous pouvons nous emparer du problème suivant : Le langage est-il
le miroir de la réalité ? Est-il un bon moyen pour atteindre une adéquation aux choses ? Les mots
parviennent-ils à dire ce que sont les choses ? Il s’agit de résoudre le problème du rapport entre la
généralité des catégories du langage et la singularité du réel, ce qu’on nomme aussi le problème
de l’essentielle imperfection du langage. Voyons plus précisément ce qu’il en est en analysant la
conception que se fait Nietzsche de la vérité et du langage.
NIETZSCHE prend l’exact contre-pied de PLATON : il veut replacer la vérité, qui s’était
égarée dans les « arrière-mondes » intelligibles, dans le monde sensible. Le langage, par le biais
des CONCEPTS, nous trompe et nous éloigne de la seule chose vraie : l’infinie richesse du réel. Le
concept, et davantage encore l’Idée, trahit la réalité car il ne nous livre que la silhouette ou la
forme générale des choses. Toutefois, les idées, les concepts et donc les mots n’en demeurent pas
moins des outils indispensables. L’homme est victime d’une « illusion vitale ».
Précisons la portée de cette critique nietzschéenne de la vérité et du langage, car elle est
double :
a. Les vérités que nous tenons pour telles ne sont que des illusions, des métaphores dont on
a oublié l’origine. Le « vrai » est ici compris comme le produit d’une fabrication
conceptuelle ou langagière (quelque chose d’artificiel et donc de faux) ;
b. De plus, nous transformons ces illusions originelles en vérités parce que cela nous est utile.
Il y a donc, pour NIETZSCHE, une utilité du mensonge, de l’erreur, de l’illusion. C’est ce
qu’on appelle le PRAGMATISME. Ce mot désigne la conception selon laquelle la fonction
essentielle de l’esprit humain n’est pas de nous faire connaître les choses (et donc de
rechercher la vérité), mais de permettre notre ACTION sur elles. Une idée vraie, en ce sens,
c’est une idée qui réussit. NIETZSCHE cherche à démontrer que l’aspiration de l’homme à la
vérité cache en réalité un désir de sécurité.
Lisons, pour finir, une autre citation de NIETZSCHE extraite cette fois de La Volonté de
puissance, III :
« L’homme cherche la vérité : un monde qui ne puisse se contredire, ni changer, un monde vrai,
un monde où l’on ne souffre pas ; or, la contradiction, l’illusion, le changement sont cause de la
souffrance. »
En somme, NIETZSCHE ne critique pas le fait que l’on se trompe (il n’a rien contre l’erreur en
soi) ; il reconnaît même l’utilité de l’erreur et du mensonge en tant qu’ils servent la vie. Ce qu’il
critique, c’est l’illusion dans laquelle nous nous enfermons en croyant détenir des vérités. Il
demande de faire preuve de « probité », c’est-à-dire d’honnêteté intellectuelle.
EXERCICE SUR UN TEXTE :
EXPLICATION D’UNE CITATION de BOILEAU, Art poétique, Chant I, vers 147 et suivants :
«Il est certains esprits dont les sombres pensées
Sont d’un nuage épais toujours embarrassées ;
Le jour de la raison ne le saurait percer.
Avant donc que d’écrire, apprenez à penser.
Selon que votre idée est plus ou moins obscure,
L’expression la suit, ou moins nette ou plus pure.
Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement,
Et les mots pour le dire arrivent aisément. »
Ainsi, une pensée aboutie, maîtrisée trouvera les moyens de son expression. Si les mots
nous manquent ou s’ils ne parviennent pas à dire la vérité, c’est que la pensée n’est pas encore
clairement élaborée. C’est la pensée qui est confuse et non les mots qui sont inadéquats.
L’ineffable (ou l’indicible) ne révèle pas un défaut du langage mais une pensée informe. Lorsque la
pensée est clairement élaborée et conduite, elle trouve exactement les mots qui lui conviennent. Il
semble que le discours scientifique soit emblématique de cette pensée maîtrisée. Voyons en quoi
la science est un champ privilégié de vérité.