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entrave à la relation
et à la construction psychique
Annik Beaulieu
Introduction et problématique
Quand Vicky arrive au cabinet, elle a presque 3 ans. Elle est à la fois
timide, mais très vive, avec de beaux grands yeux brillants. Elle a déjà
un langage très élaboré qui lui permet de décrire finement toutes ses
observations. C’est une vraie pipelette !
La mère me consulte car Vicky dit presque tous les jours qu’elle a
mal au ventre. Elle semble angoissée et a toujours besoin d’être rassu-
rée. Elle souffre de nombreuses allergies alimentaires qui restreignent
fortement la variété de ce qu’elle peut manger.
La mère a elle-même remarqué que les aliments interdits sont ré-
introduits par Vicky lors du jeu de dinette, sous forme de repas crées
par Vicky avec des cailloux (« Maman, tu veux de la glace au fro-
mage ? »). La longue liste d’aliments strictement défendus (produits
laitiers, beurre, bœuf, poulet, agneau, soja) alourdit le rapport de Vicky
au plaisir de manger et complique les relations sociales, notamment à
la crèche. La mère est particulièrement fine et attentive à rester dans le
plaisir, en cuisinant toutes sortes de recettes plus ingénieuses les unes
que les autres avec sa fille. Elle s’efforce de recréer des aliments qui
ressemblent à ceux qui sont proscrits, à partir de la courte liste d’ali-
ments permis.
La mère s’inquiète car, bien que Vicky soit son premier bébé, elle
la trouve très renfermée :
« À 2 mois, on croyait qu’elle était sourde. Elle ne nous regardait
pas. On a eu notre premier sourire à 6 mois. »
Les diarrhées avec rectorragies alertent les parents, qui apportent la
couche à la visite médicale.
« Le médecin ne nous croyait pas, il disait qu’on était des parents
inquiets ». Une rectoscopie à 2 mois précise le diagnostic d’entéroco-
lite induite par les protéines alimentaires. Le régime d’exclusion dans
l’alimentation de la mère, qui souhaite poursuivre l’alimentation au lait
maternel, calme les symptômes de Vicky. Elle reprend graduellement
du poids et les épisodes de pleurs intenses s’apaisent un peu, mais pas
complètement. Vicky demeure un bébé dont l’intensité des pleurs reste
élevée et peu modulée.
son doudou et suçant son pouce. « On n’a eu aucun câlin avant ses 2
ans » ajoute la mère. L’hypersensibilité aux bruits se manifeste à la
crèche mais également à la maison. L’utilisation de l’aspirateur ou
du sèche-cheveux lui déclenche des crises de pleurs intenses.
Le bébé-méchant
Telle que décrit par les parents, Vicky était un bébé qui se cam-
brait en extension et qui était très difficile à porter dans les bras.
Un bébé douloureux déclenche un réflexe tonique d’extension. Ce
phénomène est bien connu, entre-autre dans les services de néona-
talogie et auprès des prématurés dont le système nerveux central
n’est pas achevé. Ce réflexe d’extension, quand il est très fréquent et
qu’il n’est pas graduellement compensé par le développement de la
musculature abdominale, induit ce qu’on appelle un schéma d’exten-
136 CORPS & PSYCHISME
recherches en psychanalyse et sciences humaines
1. Ce fut le sujet de ma thèse sion1. Le schéma d’extension, caractérisé par le déséquilibre entre l’avant
de doctorat : Beaulieu A, Le et l’arrière du corps au profit de ce dernier, entrave le développement psy-
schéma d’extension : un obs-
chomoteur du nourrisson, qui normalement se construit sur la base d’un
tacle à l’émergence du champ
pulsionnel, chez le bébé à enroulement du bassin. Le schéma d’extension rend également le portage
risque d’autisme, Université difficile, car il est très inconfortable de prendre dans ses bras un bébé qui
de Paris, 2020. se cambre constamment en arrière. L’accordage tonico-émotionnel entre
le corps du bébé et le corps de celui qui le porte s’en trouve perturbé.
L’une des conséquences dramatiques pour les bébés qui sont pour
ainsi dire bloqués dans les processus primaires par la décharge immé-
diate des surplus d’excitations (causé par les afflux de douleur) concerne
la difficulté de passer aux processus secondaires, qui sont à la base des
processus de pensée. Le bébé ne peut alors pas constituer une banque de
souvenirs d’expérience de satisfaction apaisantes qui le ferait patienter
quand la faim commence à se faire sentir. Le système d’alarme par les
pleurs se met en branle de façon intense dès l’apparition de la sensation
de faim : : « La décharge motrice […] pendant la domination du principe
du plaisir, sert à débarrasser l’appareil psychique de l’accroissement des
excitations […]. La suspension de la décharge motrice est assurée par le
processus de pensée qui se forme à partir de l’activité de représentation.
La pensée est dotée de qualités qui permettent à l’appareil psychique de
supporter l’accroissement de la tension d’excitation pendant l’ajourne-
ment de la décharge. » (Freud, 1925)
L’agrippement à la douleur
et l’identification adhésive
Le frayage et la représentation
Nous pouvons constater après coup que malgré son retrait rela-
tionnel initial et les défenses autistiques qu’elle a utilisées, Vicky
est entrée dans le 3e temps pulsionnel, tel que j’ai pu le constater
dans sa façon de jouer à la dinette. En effet, Vicky ne donnait pas
à manger à sa mère de façon opératoire, ni par pure imitation. Elle
recherchait activement à susciter son plaisir, en regardant l’expres-
sion de son visage pour y déceler la joie qu’elle-même suscite chez
sa mère. C’est ce que ne feront pas les bébés qui n’arriveront pas à
sortir de leurs défenses autistiques, telle que l’a démontrée l’étude
Préaut (Olliac et al., 2017), validée chez les bébés dès 4 mois.
qu’elle a vécue avec son bébé. Les jolies photos qui représentaient
une version idéalisée des premiers mois de Vicky étaient rassem-
blées dans l’album que Vicky avait à disposition. Un second album,
auquel Vicky n’avait pas accès, regroupait l’ensemble des photos,
incluant celles illustrant les moments de difficultés et celles prises
à l’hôpital.
Conclusions
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