Le « Navire-Avenir », œuvre qui milite pour le sauvetage des migrants... https://www.lemonde.fr/culture/article/2023/10/14/le-navire-avenir-uv...

Le « Navire-Avenir », œuvre qui milite pour le

sauvetage des migrants en haute mer, fait escale à
Paris

Philippe Dagen, Clarisse Fabre

Culture

Immigration en Europe

Né d’un collectif réunissant artistes, chercheurs, sauveteurs et réfugiés rescapés, le projet de

catamaran, encore à l’état de maquette, sera présenté au Centre Pompidou, à Paris, mercredi
18 octobre.

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Un film, une pièce de théâtre, une installation contemporaine peuvent-ils infléchir l’état du
monde ? A la lancinante question sur le rôle de l’artiste, voici une réponse plutôt inédite, qui tient
en deux mots : le Navire-Avenir, projet de flotte mondiale conçue pour le sauvetage en haute mer
de migrants. Cette œuvre « agissante », qui existe pour l’instant à l’état de maquette (réalisée par
l’architecte naval français Marc Van Peteghem), émane d’un collectif réunissant des créateurs, des

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marins sauveteurs, des réfugiés rescapés, des juristes, des soignants des hôpitaux de Marseille, des
étudiants en art, etc. Les deux termes « navire » et « avenir » sont composés des mêmes lettres,
comme pour signifier que la traversée de la Méditerranée peut ouvrir sur d’autres lendemains
qu’un naufrage.

« Ce sera un catamaran à deux coques, pour une stabilité maximale sur l’eau, d’une longueur de
69 mètres et d’une largeur de 22,5 mètres, détaille, dans un café parisien, l’artiste et docteur en
science politique Sébastien Thiéry, l’un des initiateurs du projet, qui doit être présenté lors d’une
rencontre publique au Centre Pompidou, à Paris, mercredi 18 octobre, à 19 heures. Il sera doté
d’un dortoir modulable, pouvant recueillir 372 personnes, et de différents espaces prévus pour les
soins, l’accueil des enfants, etc. Le plan à l’échelle 1 du pont principal du Navire sera tracé sur la
place Georges-Pompidou. Et, du 17 au 22 octobre, tous les matins à 11 heures, le public pourra
effectuer une visite imaginaire du navire à partir de ce plan. » Le politologue ajoute : « En 2024,
nous présenterons la maquette définitive à la biennale de Venise » – même si la lettre qu’il a
adressée au Brésilien Adriano Pedrosa, commissaire générale de ladite Biennale en 2024 qui aura
pour titre « Etrangers partout », est pour l’heure restée sans réponse.

Pavillon maritime européen

Sébastien Thiéry parle toujours au futur, jamais au conditionnel. Le Navire-Avenir – piloté par
l’association du même nom – verra le jour, dit-il, tel un « objet performatif », qui se réalise au fur
et à mesure que des actes sont posés. Et quand bien même des obstacles d’ordre juridique,
politique et financier existent : le budget de construction est évalué à 27 millions d’euros, et l’air du
temps n’est pas à l’accueil, en dépit du discours du pape François, lors de sa visite à Marseille, le
22 septembre, dénonçant le « fanatisme de l’indifférence » face aux « tragédies des naufrages ».
Les opposants ne se limitent pas à la fachosphère : des critiques proviennent de militants, à
gauche, accusant le collectif de consacrer son énergie à un équipement de pointe, plutôt que de
s’attaquer aux politiques migratoires en vigueur.

Un autre enjeu majeur est la création d’un pavillon maritime européen, qui s’imposerait à tous les
Etats membres de l’Union européenne (UE). Il n’existe pas encore, et seuls deux pays de l’UE,
l’Allemagne et les Pays-Bas, ainsi que la Norvège, accordent leurs pavillons aux navires affrétés par
les ONG. Naviguant sous pavillon du Panama, l’Aquarius se l’est vu retirer en 2018, l’Italie de
Matteo Salvini ayant fait pression sur Panama pour l’immobiliser par cet artifice. En 2019, le
gouvernement italien a réitéré avec le Sea-Watch 3, battant pavillon allemand, affirmant qu’il ne
respectait pas les normes de sauvetage.

Le litige ainsi suscité entre Allemagne et Italie a donné l’occasion aux instances européennes de
rappeler que le sauvetage était une obligation, ce qu’a réaffirmé la présidente de la Commission
européenne, Ursula von der Leyen, en 2022 : le sauvetage n’est pas négociable, mais impératif. La
création d’un pavillon maritime européen réglerait ces problèmes, mais elle est difficile à obtenir.
Des juristes européens et des spécialistes du droit maritime des universités d’Angers et de Palerme

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travaillent sur la question : elle fera l’objet d’une table ronde, le 25 novembre, à l’Institut du monde
arabe, à Paris.

Gestes d’hospitalité

L’idée du Navire-Avenir a germé dans le cadre des travaux du Pôle d’exploration des ressources
urbaines (Perou), cofondé en 2012 par Sébastien Thiéry et le paysagiste Gilles Clément. Le Perou
se définit comme un laboratoire de recherche-action, travaillant sur des territoires à la marge
(« jungle » de Calais, bidonvilles…), repérant les gestes d’hospitalité, de survie, qu’il s’agit de
requalifier pour les « créditer, au lieu de les discréditer », souligne Sébastien Thiéry. « La pratique
de jardinier est fondatrice de tous nos travaux : Gilles Clément part de l’idée qu’il n’y a pas de
mauvaises herbes, mais de mauvaises nomenclatures. Cette ligne de conduite se donne comme
ambition d’explorer des situations de grand péril, où des violences ne cessent de se répéter, et de
répertorier les gestes d’hospitalité. Il s’agit de reconnaître au milieu du désastre ce qui n’est pas
de l’ordre du désastre, et de lui faire de la place », résume le chercheur, qui a fait sa thèse sur la
commande publique dans l’art.

« Faire reconnaître l’acte d’hospitalité au patrimoine culturel immatériel de l’humanité » : tel est le
projet qui a valu à Sébastien Thiéry d’être retenu en résidence à la Villa Médicis, à Rome, à
l’automne 2019. Ce qui suppose d’instruire une requête auprès de l’Unesco, l’Organisation des
Nations unies pour l’éducation, la science et la culture. Concrètement, il s’agit de livrer à
l’institution un « plan de sauvegarde » ou un « conservatoire de gestes » à transmettre aux
générations futures, lesquelles seront confrontées « au centuple » aux phénomènes migratoires.
« L’idée du Navire-Avenir n’est pas sortie de ma tête, mais ce sont les gestes des marins
sauveteurs, les témoignages de rescapés, etc., qui ont désigné l’œuvre manquante. Les bateaux
humanitaires actuels ne sont pas adaptés, tel le Ocean-Viking, conçu, au départ, pour les plates-
formes pétrolières », explique Sébastien Thiéry.

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Trouver l’argent pour le catamaran est l’objectif des semaines à venir – des dons peuvent être
réalisés sur le site Navireavenir.eu. Le projet a reçu une enveloppe de 100 000 euros du ministère
de la culture, au titre du dispositif « Mondes nouveaux », lancé en 2021 par la Rue de Valois. Le
Navire-Avenir pourrait être aussi coproduit, comme une création, par des établissements culturels.
Dans une tribune, à paraître dans Le Monde le 15 octobre, une cinquantaine de directeurs et
directrices de lieux ou festivals – du MuCEM, à Marseille, à la Maison de la culture d’Amiens, en
passant par le Théâtre de la Ville, à Paris, et le Festival d’Avignon – expriment leur soutien
déterminé à la réalisation de cette œuvre collective, « échappant à l’infinie répétition des formes
d’indignation et de déploration ».

Des financements pourraient-ils provenir de l’art contemporain ? Sébastien Thiéry ne l’exclut pas,
en rappelant l’épisode choc de la Barca Nostra, exposée par l’artiste suisso-islandais Christoph
Büchel, lors de la Biennale de Venise, en 2019 : il s’agissait de l’épave d’une embarcation ayant
transporté plusieurs centaines de migrants érythréens, avant que le bateau, surpeuplé, ne fasse
naufrage, en novembre 2015 – l’ancien chef du gouvernement italien Matteo Renzi avait ensuite
fait repêcher l’épave des fonds marins. A ce ready-made façon Marcel Duchamp, Sébastien Thiéry
propose de répondre par un « really-made », soit le navire en actes, ou encore l’œuvre prête à
œuvrer. « Je ne remets pas en cause la sincérité de Christoph Büchel, mais les moyens colossaux
déployés pour montrer la Barca Nostra ne pourraient-ils pas être utilisés pour la fabrication d’un
vrai navire de sauvetage ? Des mécènes seraient-ils prêts à acheter, pour 27 millions d’euros, un
exemplaire de la maquette du Navire-Avenir, au prix de sa reproduction à l’échelle 1 ? »
L’invitation est lancée.

« Navire-Avenir ». Centre Pompidou, Paris 4e. Du 17 au 22 octobre. Conférence « Ensemble pour

le Navire-Avenir. Une œuvre pour sauver des vies en Méditerranée », le 18 octobre à 19 heures
(entrée libre). Centrepompidou.fr

Philippe Dagen et Clarisse Fabre

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