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Université Cadi-Ayyad

Faculté Polydisciplinaire de Safi


Département LLCF
Filière des Études Françaises

Module:
Théâtre romantique (XIXème S) (S4)

Pièces théâtrales étudiées :

HERNANI (1830) de Victor Hugo

LES CAPRICES DE MARIANNE (1833) d’Alfred de Musset

M. Ali RAHALI

Année Universitaire 2019-2020


Section1 : Drame romantique : rappel historique
Introduction
Le drame romantique est une forme littéraire appartenant au genre du théâtre, qui
constitue une des expressions du mouvement littéraire romantique. Il s’est développé en
France dans la première moitié du XIXème siècle dans le sillage du drame bourgeois du
XVIIIème siècle et il s’est influencé par le développement du mélodrame. Le drame
romantique est influencé par le théâtre baroque de Shakespeare ainsi que par les romantiques
allemands, Friedrich von Schiller, entre autres. C'est un théâtre le plus souvent historique où
se mêlent différents styles, le tragique, le pathétique, mais aussi le comique et le burlesque. Il
s'inscrit en réaction contre la tragédie classique, jugée dépassée avec ses règles
contraignantes. Cette forme se caractérise par sa rupture avec les règles aristotéliciennes de la
tragédie classique, comme le maintien des trois unités (lieu, temps, action) ou le respect de la
bienséance.
L'œuvre de Stendhal, Racine et Shakespeare, parue en 1823, et la Préface de Cromwell (1827)
de Victor Hugo (chef de file du mouvement romantique), constituent les textes fondateurs de
ce nouveau genre théâtral.

I. Naissance du drame romantique


1.1 Fin de la tragédie classique
Il y a deux manières, paradoxales, d’envisager le théâtre classique : il peut non
seulement être synonyme de perfection imitée, mais jamais encore égalée, mais aussi
d’immobilisme, né de ces tentatives d’imitation sclérosantes. Être classique, c’est alors nier
l’histoire, se figer dans une forme passé, inadaptée, aussi idéale soit-elle, aux nouvelles
données politiques et sociales.
C’est théâtre, et dans ce combat contre le classicisme, que le romantisme s’est affirmé.
La liberté romantique est la prise de conscience du mouvement historique : fondée sur une
double attitude de prise de conscience de l’histoire et de refus, la révolution du drame
romantique n’est ainsi pas autre chose qu’une libération, une volonté de briser l’immobilisme
d’une dramaturgie figée dans le passé.
1.2 Vers un renouveau théâtre
C’est d’abord hors de France que se sont fait entendre les appels à un renouveau
dramatique. En Allemagne s’éleva très tôt une voix contre la tradition classique qui
emprisonne la dramaturgie française : le critique Lessing, commentant deux saisons du théâtre
de Hambourg, se livrait dans La Dramaturgie de Hambourg (1767-1768) à un examen critique
de la dramaturgie classique ; on traduisit dès 1785 en français cet ouvrage, dont le
retentissement en Allemagne fut grand.
1.3 Les œuvres fondatrices du drame romantique
Racine et Shakespeare de Stendhal (1823)
Stendhal met en parallèle la dramaturgie racinienne et shakespearienne et démontre la
supériorité de l'œuvre de Shakespeare. Il initie dans cet essai sur le théâtre la remise en
question des règles esthétiques de la tragédie classique. Stendhal encense la résonance
émotionnelle puissante des drames de Shakespeare qu'il oppose à la froideur des rigides
tragédies raciniennes.
Préface de Cromwell de Victor Hugo (1827)
En 1827, dans sa fresque historique Cromwell, Hugo met en pratique les principes
romantiques shakespeariens et rompt définitivement avec la tradition classique. Mais la
postérité retiendra essentiellement la préface de la pièce pour sa valeur fondatrice : la Préface
de Cromwell constitue un véritable manifeste du drame romantique qui sera à l'origine de
toute la production postérieure. Hugo s'en prend notamment aux trois unités conventionnelles
(action, temps et lieu) de la tragédie classique qu'il accuse d'asphyxier l'inspiration et le génie.
Victor Hugo a exposé les grandes lignes théoriques du drame romantique dans la préface de
Cromwell, où il définit le drame romantique comme « une peinture totale de la nature » où se
mêlent « grotesque et sublime ». Selon Victor Hugo, aux trois âges du monde correspondent
trois moments de la poésie : l'ode, l'épopée, le drame. Les temps primitifs sont lyriques, les
temps antiques sont épiques, les temps modernes sont dramatiques. Le drame romantique
devient ainsi un point d'aboutissement, accueillant la totalité du réel : « le théâtre est un point
d'optique. Tout ce qui existe dans ce monde, dans l'Histoire, dans l'homme, tout doit et peut
s'y réfléchir, mais sous la baguette de l'art ». À esthétique nouvelle, dramaturgie nouvelle : la
liberté de l'art s'accompagne d'une revendication de la totalité, du mélange des genres et des
tons.
2. La bataille d'Hernani
En 1830, la première d'Hernani de Victor Hugo, à la Comédie Française, donne lieu à
la fameuse « bataille d'Hernani » qui oppose, dans une atmosphère de scandale, les partisans
du classicisme à ceux du romantisme menés par Théophile Gautier. La lutte d'influences qui
suivra la représentation se soldera finalement par la victoire du romantisme. Après cette soirée
mémorable et excessive, la pièce devient emblématique du renouveau du théâtre.

II. Caractéristiques du drame romantique


2.1 Le mélange des genres
L'ambition des romantiques est de donner une peinture de la réalité toute entière.
Aussi, le drame romantique a-t-il recours au mélange des genres qui, seul, permet de
représenter dans toute leur richesse, toute leur singularité, l'ensemble des êtres, des situations
et des sentiments présents dans la nature.
Victor Hugo illustre ce principe de mélange des genres en n'hésitant pas, dans ses pièces aussi
bien que dans ses romans, à juxtaposer tous les styles, du grotesque au sublime.
2.2 L'unité d'ensemble
L'unité d'ensemble ne se confond pas avec l'unité d'action des classiques. Les romantiques
condamnent la règle des trois unités développée par les classiques.
L'unité de lieu empêche de tout montrer et a pour effet de substituer des récits aux scènes et
des descriptions aux tableaux. L'unité de temps, quant à elle, empêche de saisir les passions
dans toutes leurs richesses, leurs nuances et toute la complexité de leur développement.
Aussi, le romantisme en appelle-t-il à un art plus libre, moins rigoureusement intellectuel.
Une limite, cependant, à cette liberté de l'art : il s'agit de la nécessité de composer une oeuvre
d'art équilibrée et harmonieuse. C'est là qu'intervient le principe d'unité d'ensemble : sans
exclure des actions secondaires, il importe toutefois de garder l'intrigue lisible pour le
spectateur et de conserver à l'œuvre sa cohérence.

III. Bases théoriques du drame romantique


3.1 Mélange des registres, des genres et des niveaux de langue
La diversité est le maître-mot du drame romantique. En rupture avec l'unité de ton
respectée par les classiques, les nouveaux auteurs prônent le mélange des genres, des tonalités
et des niveaux de langue, propre à exprimer la multiplicité et la richesse des personnages, des
lieux, des situations et des sentiments. Une tragédie peut donc inclure du burlesque et une
comédie du tragique. Niveaux de langue familier et recherché, registre grotesque et sublime,
vers et prose sont juxtaposés en toute liberté, pour insuffler de la vie dans des pièces
jusqu'alors trop affectées et guindées.
3.2 Fin de la règle des trois unités
Le drame romantique fait exploser le carcan des trois unités (action, lieu, temps) qui
rigidifiait la tragédie classique et asphyxiait le génie du dramaturge sous une chape de plomb.
Les personnages évoluent désormais dans des actions historiques non limitées par l'espace
scénique et la durée du spectacle.
Dans le droit sillage des pièces de Shakespeare qui se jouent des unités spatio-
temporelles, le drame romantique s'affranchit de l'unité de lieu et de l'unité de temps, chères
aux classiques. L'intrigue peut maintenant se dérouler dans plusieurs lieux et excéder les
vingt-quatre heures jusqu'alors prescrites.
A l'unité d'action des classiques qui proscrit les intrigues secondaires, le drame
romantique substitue l'unité d'ensemble. C'est la seule limite imposée à leur liberté artistique :
les intrigues secondaires ne sont pas exclues mais doivent s'agencer de façon harmonieuse
autour d'un intérêt principal clairement identifié, sans nuire en aucune façon à la cohérence de
l'oeuvre.
3.3 Fin du règne des bienséances
Le dramaturge romantique n'inflige plus de limites à son génie. Les bienséances
externes qui présidaient à la création de la tragédie classique n'ont plus cours : le drame
romantique ne s'embarrasse pas du souci de préserver la sensibilité et le sens moral du
spectateur. Il veut montrer toute l'étendue de la réalité et ne met pas sous silence ses aspects
les plus cruels ou triviaux : meurtres, viols, duels, suicides, expressions vulgaires, etc. De
même, il fait fi des bienséances internes qui imposaient aux personnages un caractère constant
d'un bout à l'autre de la pièce.
3.4 Pouvoir de transfiguration de l'écriture
Le drame romantique n'obéit à aucune règle, ne s'impose aucun modèle, ne se limite
pas dans le choix inspiré des sujets, qu'il puise essentiellement dans la nature et l'histoire.
Libéré des entraves des règles classiques, le génie retrouve son indépendance et l'inspiration
sa puissance. Toutefois la nature et l'histoire ne seront véritablement transfigurées en oeuvres
d'art que par le travail minutieux d'écriture. Victor Hugo trouve dans le drame en vers une
façon de ciseler son génie. Conforme à l'esprit romantique qu'il incarne, Hugo se libère des
règles de versification. Il fait toutefois exception car la plupart des dramaturges romantiques
préfèreront la prose.
3.5 Mission du drame romantique
Le drame romantique s'investit d'une mission sociale et humaine ; il revêt une
importance politique, philosophique ou morale. Il ne s'agit plus de distraire le spectateur mais
de lui permettre d'appréhender le présent par le recours à la représentation historique et la
résurrection du passé.
Avec la Révolution, le drame romantique change de sens et devient historique ; l'Histoire ne
concerne cependant pas que les puissants, comme dans la dramaturgie classique, mais aussi le
peuple qui progressivement s'invite sur scène. C'est par exemple le cas dans le Ruy Blas de
Victor Hugo, où un simple domestique devient premier ministre de la Reine d'Espagne.
3.6 Le héros du drame romantique
Le héros du drame romantique contraste avec les personnages stéréotypés et
caricaturaux de la tragédie classique et du mélodrame. Il est peint dans son individualité
unique et complexe. Tout le long de la pièce, le spectateur suit son évolution et sa destinée. Le
héros romantique est généralement solitaire et marginal (socialement ou intellectuellement).
Souvent incompris, il tisse des liens forts avec la Nature ; l'engagement politique, les amours
impossibles, le sacrifice final (suicide...), l'importance du désir et de la fatalité rythment la vie
des héros romantiques. Le héros romantique symbolise le « mal du siècle ». Il est en fait
marqué par le désenchantement, l'impression, comme l'exprime Musset dans Rolla,
d'être « venu trop tard dans un monde trop vieux ». Le moi du personnage romantique est
souvent clivé, marqué par la coexistence du grotesque et du sublime. Le grotesque est cette
remise en cause de la virtus (le courage) du grand homme par le fait précisément de sa
faiblesse humaine : c'est le cas d'Oliver Cromwell mais aussi de Lorenzaccio.
Aussi, son statut social s'oppose à ses aspirations et grandeur d'âme: par exemple, dans Ruy
Blas de Victor Hugo, Ruy est un laquais, mais il est amoureux de la Reine d'Espagne: son
statut social s'oppose à son aspiration. Il y a un donc une dualité dans le comportement du
personnage, montrant sa dualité entre son âme et son corps, le sublime et le grotesque.

IV. Thématiques du drame romantique


Héritier de la thématique romantique, le drame a largement puisé ses sources
d'inspiration et d'expression dans des motifs privilégiés qu'on retrouve dans la plupart des
œuvres. Avec le drame, les thèmes romantiques ont vu s'offrir à eux un domaine
particulièrement tentant parce qu'il en permettait une expression directe, accessible à un
large public par la parole et par l'action. L'amour, la solitude, le désespoir, la vengeance,
la pureté ou la corruption y sont mis en scène. Par le décor, par le jeu des acteurs, par le
dialogue ou le monologue, toute la thématique des romantiques devient perceptible. Les
duels, les aveux, le suicide ou la nuit y prennent corps et s'imposent sans recourir à la
narration ou à la description propre au roman.
Thèmes récurrents
À lire les différentes œuvres, on se rend compte du lien étroit qui peut les unir. Car la
thématique est un des fondements identitaires du drame romantique. À la solitude de
Chatterton répond celle de Lorenzaccio ; au désespoir de Triboulet fait écho celui de
Marion ; les réprouvés, les bannis ou les bandits d'Hernani, de Ruy Blas et de Lorenzaccio
sont inséparables de l'interrogation sur le pouvoir et la légitimité ; la pureté et la corruption
forment un couple antagoniste qu'on retrouve chez Hugo, Musset ou Dumas. Ce ne sont là
que quelques exemples parmi des thèmes aussi récurrents que la solitude ou
l'incompréhension (Chatterton), la folie (Kean), la piété (Chatterton), la monstruosité
(Lucrèce Borgia, Le roi s'amuse), la nuit (Hernani, Lorenzaccio, Ruy Blas), la vengeance
(Lorenzaccio, Lucrèce Borgia, Le Roi s'amuse), mais aussi la mort, l'honneur, la révolte, la
jeunesse, etc.

V. Représentants majeurs du drame romantique

Victor Hugo (1802-1885)


Théoricien du drame romantique, Victor Hugo en est aussi le représentant principal. Ses huit
drames, plus ou moins fidèles à sa doctrine, préfèrent dans l'ensemble les vers à la prose,
explorent les effets contrastés du mélange des genres et jouent sur l'identité double des héros
(Ruy Blas).
L'amour y est dépeint avec lyrisme, les personnages revêtent une portée symbolique forte et le
cadre historique des pièces est traversé d'un souffle épique. L'émotivité du spectateur est
sollicitée par le foisonnement de péripéties, et son intérêt est soutenu par la complexité des
intrigues et la promesse d'un épilogue heureux.
Drames les plus connus de Victor Hugo :
• Cromwell (1827)
• Marion Delorme (1829)
• Hernani (1830)
• Ruy Blas (1833)
• Lucrèce Borgia (1833)

Alfred de Musset (1810-1857)


En 1834, Alfred de Musset écrit pour le théâtre un drame romantique, Lorenzaccio,
inspiré de faits historiques. Le drame se conclut sur une série de meurtres, d'actes manqués et
d'illusions perdues. Musset donne une portée symbolique à cette pièce qui peint la ville de
Florence livrée à la débauche. Il dénonce à travers elle les problèmes de son époque et
particulièrement ceux de la jeunesse, du peuple et des femmes sous Louis-Philippe.
Le drame romantique de Musset est caractérisé par l'abondance des personnages, des lieux et
des péripéties, ainsi que l'imbrication étroite de plusieurs intrigues.
Ses pièces, très personnelles, témoignent de ses interrogations intérieures, notamment sur
l'identité profonde face à la comédie sociale. Ses personnages souffrent de l'indifférenciation
entre l'être et le paraître et de ce « masque social» qui leur colle à la peau. Ils expérimentent
tous le drame du dédoublement.
Pièces d'Alfred de Musset :
• La Nuit vénitienne (1830)
• Les Caprices de Marianne (1833)
• Fantasio (1834)
• Lorenzaccio (1834)
• On ne badine pas avec l'amour (1834)

Alfred de Vigny (1797-1863)


En 1829, Alfred de Vigny adapte en français l'Othello de Shakespeare, écrit une pièce
historique puis s'affirme comme un des représentants du drame romantique en écrivant en
1835 Chatterton, une pièce symbolique, qui reçoit un excellent accueil. Il y confronte
l'idéalisme d'un jeune poète à une société bassement matérialiste et égoïste.
Il y pratique le mélange des genres, des registres et des styles chers au romantisme et soigne
particulièrement les détails du décor et des costumes.

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