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Explication linéaire de la scène 8, acte II

Dernière pièce de Molière, Le Malade imaginaire, créée en 1673, est une comédie-ballet
mettant en scène un bourgeois hypocondriaque, Argan, qui veut à tout prix marier sa fille Angélique
à un médecin. Mais celle-ci est amoureuse d'un certain Cléante... Dans la scène 8 de l'acte II, Argan
est prévenu par sa femme, Béline, qu'un jeune homme a secrètement rendu visite à Angélique dans
sa chambre. Il interroge alors sa fille cadette, Louison, pour savoir ce qu'il en est. Ce passage nous
offre alors une réflexion sur le spectacle et la comédie : chaque personnage joue un rôle et tente de
manipuler l'autre.
LECTURE

• Problématique : Nous nous demanderons en quoi cette scène est une forme de théâtre dans
le théâtre.
• Mouvement du texte : Au moyen d'une démarche linéaire, nous analyserons tout d'abord
l'interrogatoire truqué auquel se livre Argan de la ligne 1 à 11 ; puis la punition et la
simulation qui en découlent de la ligne 12 à 29. Enfin, nous verrons en quoi la mise en scène
se met au service de la manipulation de la ligne 30 à 40.

1er mouvement : un interrogatoire truqué (l. 1 à 11) : Ce premier mouvement se caractérise par
la vivacité du dialogue entre Argan et Louison : les répliques s'enchaînent dans un jeu de questions-
réponses, typique de l'interrogatoire. Nous comprenons vite que chaque personnage tient un rôle :

• Argan : il joue au père autoritaire, voire tyrannique, en menant l'interrogatoire par une série
de 5 interrogatives (l. 1-2 ; 4 ; 6 ; 8 ; 10). Il impose à Louison un rôle d'espionne au sein de
la maison et exige qu'elle lui fasse un rapport de ce qu'elle a vu : le verbe « recommander »
(l. 1), qui a valeur d'ordre, ainsi que l'adverbe « d'abord » (l.1) insistent sur le caractère
impératif de cette demande. Cela est renforcé par l'hyperbole « tout ce que vous voyez »,
qui traduit la volonté d'Argan de tout maîtriser dans sa demeure. Enfin, l'adverbe temporel
« aujourd'hui » (l. 6 ) révèle la dimension quotidienne de cette demande.
• Pour autant, cet interrogatoire apparaît truqué : les nombreuses interro-négatives employées
par Argan révèlent qu'il connaît déjà les réponses à ses questions : « Ne vous ai-je pas
recommandé de me venir dire d'abord tout ce que vous voyez ? » « Et n'avez-vous rien vu
aujourd'hui ? » => il est déjà au courant de ce que lui cache Louison. Cela se traduit
également par les adverbes marquant l'insistance : « Non ? » (l. 8) « Assurément ? » (l. 10).

• Face à cette autorité paternelle, dans un contraste comique, Louison joue le rôle de la petite
fille innocente. Elle ment à Argan avec aplomb en utilisant l'apostrophe affectueuse « mon
papa » à 4 reprises dans ce premier mouvement, afin de l'attendrir.
• Ses répliques fonctionnent sur un principe de répétition : « Oui, mon papa » = répété *2 =>
l'adverbe « oui » marque sa volonté de jouer la petite fille obéissante. Par ailleurs, elle feint
une forme de soumission à l'autorité paternelle en reprenant les répliques de son père =>
parallélisme : « […] de me venir dire d'abord tout ce que vous voyez » / « Je vous suis
venue dire tout ce que j'ai vu ».
• Par la suite, dans un contraste antithétique, nous pouvons relever la répétition de « Non, mon
papa » => cela marque le jeu de manipulation de Louison qui cherche à cacher la vérité à
son père et s'adapte aux questions que ce dernier lui pose. La vivacité des stichomythies et le
jeu de répétitions qui se met en place révèlent alors que les deux personnages se livrent à un
véritable jeu du chat et de la souris, chacun cherchant à manipuler l'autre dans un jeu de
faux-semblant : « Non ? » «=> « Non, mon papa » / « Assurément ? » => « Assurément ».

=> Ce dernier déni de Louison va alors provoquer la colère d'Argan.

2ème mouvement : Punition et simulation (l. 12 à 29) :


• La colère d'Argan s'exprime à travers l'exclamative : « Oh çà ! ». => . Argan ironise alors :
« je m'en vais vous faire voir quelque chose, moi ». => il cherche à se montrer menaçant et
autoritaire avec le pronom personnel tonique « moi » et le verbe « voir » => il joue sur la polysémie
de ce verbe puisqu'en réalité, il menace de fouetter sa fille au moyen des verges qu'il lui montre.
L'exclamative « Ah, ah ! » associée à l'interro-négative « vous ne me dites pas que vous avez vu un
homme dans la chambre de votre sœur ? » montrent qu'il accuse sa fille d'avoir dissimulé la vérité.
La menace est alors rendue tangible par l'allitération en [v].
Argan cherche également à se montrer déterminé à appliquer la sanction : il utilise à plusieurs
reprises le futur de l'indicatif à valeur de certitude : « apprendra ; nous verrons ; vous l'aurez », ainsi
que l'impératif « Allons, allons » (l. 29). Il cherche à se montrer intransigeant face aux supplications
de sa fille, comme le révèle la répétition « Non, non ».(l. 25).

• Nous comprenons cependant qu'Argan n'a pas réellement l'intention de fouetter sa fille : il
joue le rôle du « père fouettard ». En effet, il utilise de nombreuses phrases assertives
caractérisées par l'absence d'exclamations : « Voici qui vous apprendra à mentir. » « Il faut
premièrement que vous ayez le fouet pour avoir menti. Puis après nous verrons au reste. »
« Vous l'aurez ».
• Par ailleurs, les verges ont une fonction théâtrale => il ne dit pas « je m'en vais vous
fouetter » mais « je m'en vais vous faire voir quelque chose » => par antanaclase, Argan
joue sur la polysémie du verbe « voir » => cela révèle le caractère ostentatoire,
spectaculaire de son geste, fait pour être vu.
• Cette dimension théâtrale est renforcée par la métaphore « petite masque » : au féminin, ce
substantif a une valeur péjorative puisqu'il désigne une femme rusée=> Argan reproche à
Louison son mensonge. Mais au masculin, il renvoie à l'univers de la comédie en faisant
allusion au masque que les acteurs portaient (dans l'Antiquité ou dans la Commedia
Dell'Arte) => Argan établit un lien entre mensonge et théâtre et confirme implicitement que
toute cette scène est un jeu
• En outre, la didascalie interne induite par le présentatif « Voici » (l. 18) accentue la
dimension spectaculaire qu'a avant tout cette punition qu'Argan veut infliger à sa fille. Cela
est également renforcé par les connecteurs « premièrement ; puis » (l. 22), ainsi que la
tournure impersonnelle « Il faut » qui mettent en avant la valeur démonstrative de la
punition.

• Face à Argan, le ton de Louison change : il se fait moins assuré et plus suppliant. Cela se
traduit notamment par la ponctuation avec l'abondance des exclamatives : « mon papa ! »
« Pardon , mon papa ! » « Mon pauvre papa, ne me donnez pas le fouet ! ». Cela est renforcé
scéniquement par la didascalie : « se jette à genoux ».
• Louison avoue alors à son père ce qu'elle sait au moyen d'une antithèse « ne pas vous le dire
/ mais je m'en vais vous dire tout » => elle cherche à mettre en avant son innocence, sa
faiblesse.
• Face à la menace, son ton devient de plus en plus implorant=> elle s'excuse au moyen d'une
phrase assertive « je vous demande pardon », puis elle utilise le qualificatif « mon pauvre
papa » suivi de l'impératif à la forme négative « ne me donnez pas le fouet !» afin d'attendrir
son père. Enfin, l'exclamative « Au nom de Dieu ! » suivie du subjonctif présent « que je ne
l'aie pas » (l.28) a valeur de supplication..

=> Face à la menace paternelle, Louison va alors ruser.

3ème mouvement : la mise en scène au service de la manipulation (l. 30 à 40) : Face à


l'intransigeance d'Argan, Louison va faire comme si les coups de verge avaient été assénés et va
alors jouer sur la crédulité d'Argan qui craint tout problème de santé :

• Louison simule sa mort à travers la gradation : « vous m'avez blessée » « je suis morte ». La
parataxe (absence de mots de liaison) accélère le rythme et a pour effet de donner
l'impression d'une mort spectaculaire et inattendue.
• Cependant, le fait que Louison affirme sa mort au présent de l'indicatif souligne la
dimension comique de cette réplique => la fausse mort de Louison est une feinte, une mise
en scène destinée à créer une illusion à l'intérieur de la pièce, ce qui est confirmé par la
didascalie « Elle contrefait la morte » (l. 30-31).

• .La réaction d'Argan à cette feinte est aussi brusque qu'hyperbolique : en un instant, il passe
du « Père Fouettard » au père éploré. Cela se traduit par une succession d'interrogatives et
d'exclamatives pathétiques : « Qu'est-ce là ? » « Ah, mon Dieu ! » « Ah ! Ma fille ! »
« Qu'ai-je fait, misérable ! » « La peste soit des verges ! ». Le désespoir d'Argan est, en
outre, accentué par la parataxe de toute cette réplique.
Sa tendresse paternelle s'exprime à travers l'apostrophe « Louison » répétée 3 fois, ainsi que par
l'apostrophe affectueuse « ma fille » (l.33), renforcée par les adjectifs qualificatifs « ma pauvre
fille » (l. 33 et 34) « ma pauvre petite Louison »(l. 34-35).
Cependant, le caractère très exagéré de cette réplique mettant en scène de manière ostentatoire la
douleur paternelle montre qu'il s'agit d'une posture adoptée par Argan, d'un rôle qu'il joue à
l'intention de Louison => la soudaineté de ce passage du père tyrannique au père désespéré est un
indice du caractère factice de ce désespoir.

• Le rôle joué par Argan fait alors son effet : Louison cherche à rassurer son père au moyen de
l'impératif à la forme négative « ne pleurez point tant » et de la négation partielle « je ne suis
pas morte tout à fait » (l. 36-37) qui fait écho de façon antithétique à « je suis morte » (l. 30),
dans un contraste comique.

• Argan souligne alors l'imposture du procédé => le groupe nominal « la petite rusée » (l.38)
fait écho à « petite masque » (l.15) et met en avant le rôle qu'a joué Louison. Il revient
ensuite à son interrogatoire avec la subordonnée de condition : « pourvu que vous me disiez
bien tout ».
L'extrait se termine alors sur l'enthousiasme de Louison marqué par l'interjection « Ho ! » et
l'affirmative « Oui, mon papa »
Ainsi, cette scène se caractérise par les jeux de rôle endossés par Argan et Louison : le premier
endosse le rôle du « Père Fouettard », cherchant à faire avouer la vérité à Louison au moyen d'un
interrogatoire truqué ; tandis que la seconde joue le rôle de l'innocente. Ce jeu de rôle culmine dans
la fausse mort de Louison, à laquelle répond le désespoir simulé du père. Ce passage est donc une
véritable réflexion sur le théâtre, mettant en avant la frontière étroite qui existe entre vérité et
illusion. Il annonce par ailleurs les morts feintes d'Argan au troisième acte qui feront éclater la
vérité.

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